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NUMÉRO THÉMATIQUE 010 : LE MÉRITE Décembre 2015 ISSN : 2313-7908 |
PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES
Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines
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COMITÉ SCIENTIFIQUE
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Prof. Antoine KOUAKOU, Professeur des Universités, Métaphysique et Éthique, Université Alassane OUATTARA
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Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA
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M. N’Dri Marcel KOUASSI, Maître de Conférences, Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA
Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA
Prof. Yahot CHRISTOPHE, Professeur des Universités, Métaphysique, Université Alassane OUATTARA
SOMMAIRE
1. La “théorie de l’homme fort” : un plaidoyer thrasymaquo-gorgiassien pour une culture du mérite et de l’excellence,
Kolotioloma Nicolas YÉO………………………………………………………..1
2. La louange, l’autre nom du mérite dans la structure du penser cartésien, Marcel Silvère BléKOUAHO……………………………………………….18
3. L’élévation à l’héroïsme et à la vie mystique chez Bergson : grâce ou mérite ?, Honoré ELLA………………………………………………………………33
4. Des perspectives ontologiques aux enjeux socio-anthropologiques du mérite : l’idée d’âmes d’élite chez Bergson,
Amani Albert NIANGUI……………………………………………………………….54
5. Les paradoxes épistémologiques d’une discussion autour du mérite du “non” bachelardien, Stevens BROU Gbaley Bernaud…………….………….79
6. L’uniformité des principes du mérite comme source d’inégalité et d’injustice sociales, Joachim Diamoi AGBROFFI……………………………….101
LIGNE ÉDITORIALE
L’univers de la recherche ne trouve sa sève nourricière que par l’existence de revues universitaires et scientifiques animées ou alimentées, en général, par les Enseignants-Chercheurs. Le Département de Philosophie de l’Université de Bouaké, conscient de l’exigence de productions scientifiques par lesquelles tout universitaire correspond et répond à l’appel de la pensée, vient corroborer cette évidence avec l’avènement de Perspectives Philosophiques. En ce sens, Perspectives Philosophiques n’est ni une revue de plus ni une revue en plus dans l’univers des revues universitaires.
Dans le vaste champ des revues en effet, il n’est pas besoin de faire remarquer que chacune d’elles, à partir de son orientation, « cultive » des aspects précis du divers phénoménal conçu comme ensemble de problèmes dont ladite revue a pour tâche essentielle de débattre. Ce faire particulier proposé en constitue la spécificité. Aussi, Perspectives Philosophiques, en son lieu de surgissement comme « autre », envisagée dans le monde en sa totalité, ne se justifie-t-elle pas par le souci d’axer la recherche sur la philosophie pour l’élargir aux sciences humaines ?
Comme le suggère son logo, perspectives philosophiques met en relief la posture du penseur ayant les mains croisées, et devant faire face à une préoccupation d’ordre géographique, historique, linguistique, littéraire, philosophique, psychologique, sociologique, etc.
Ces préoccupations si nombreuses, symbolisées par une kyrielle de ramifications s’enchevêtrant les unes les autres, montrent ostensiblement l’effectivité d’une interdisciplinarité, d’un décloisonnement des espaces du savoir, gage d’un progrès certain. Ce décloisonnement qui s’inscrit dans une dynamique infinitiste, est marqué par l’ouverture vers un horizon dégagé, clairsemé, vers une perspective comprise non seulement comme capacité du penseur à aborder, sous plusieurs angles, la complexité des questions, des préoccupations à analyser objectivement, mais aussi comme probables horizons dans la quête effrénée de la vérité qui se dit faussement au singulier parce que réellement plurielle.
Perspectives Philosophiques est une revue du Département de philosophie de l’Université de Bouaké. Revue numérique en français et en anglais, Perspectives Philosophiques est conçue comme un outil de diffusion de la production scientifique en philosophie et en sciences humaines. Cette revue universitaire à comité scientifique international, proposant études et débats philosophiques, se veut par ailleurs, lieu de recherche pour une approche transdisciplinaire, de croisements d’idées afin de favoriser le franchissement des frontières. Autrement dit, elle veut œuvrer à l’ouverture des espaces gnoséologiques et cognitifs en posant des passerelles entre différentes régionalités du savoir. C’est ainsi qu’elle met en dialogue les sciences humaines et la réflexion philosophique et entend garantir un pluralisme de points de vues. La revue publie différents articles, essais, comptes rendus de lecture, textes de référence originaux et inédits.
Le comité de rédaction
NUMÉRO THÉMATIQUE 010 : LE MÉRITE
ARGUMENTAIRE :
Pourquoi engager une réflexion sur le Mérite ? Ne serait-ce pas parce que nous existons, hic et nunc, en tant que réalités humaines impliquées dans l’histoire, exposées à la déchéance ? Tout bien considéré, c’est, en général, relativement à l’effort de l’homme qu’il est fait allusion au Mérite. Le Mérite traduit ainsi l’exigence intrinsèque à honorer la personne par la récompense, le besoin d’ “estimer” sa valeur. D’où l’idée de reconnaissance.
Le Mérite apparaît, en effet, comme le témoignage de la valeur qui fait de la personne un être digne d’estime et de considération. Cependant, le quotidien de notre existence donne à observer qu’il n’est pas toujours cultivé dans nos sociétés. Pire, on en arrive à la perversion de cette valeur. Comme l’expriment respectivement Yves Michaud et Dominique Girardot, « le mérite est aujourd’hui utilisé comme une machine à justifier toutes les inégalités, y compris les moins justifiables » (Qu’est-ce que le mérite ?, 2011). Bien plus, on assiste à la « forclusion de la reconnaissance » (La Société du mérite. Idéologie méritocratique et violence néolibérale, 2011). L’anormal se normalise, le démérite supplante le mérite. Les méritants ne sont plus ceux qui sont dignes d’estime, mais ceux qui ont des amitiés, des affinités ethnique, politique, religieuse, idéologique, etc. Plutôt que d’être fondé par l’équité et la justice, le Mérite se trouve perverti. Les sociétés contemporaines, en déliquescence, n’ont-elles pas dit, à jamais, adieu/à-Dieu au Mérite ?
En définitive, dans un monde où les inégalités sociales et les discriminations sont légion, l’évocation de la notion de Mérite ne semble-t-elle pas illusoire ? Y aurait-il encore, aujourd’hui, un intérêt à questionner en direction du Mérite ? Si, selon le mot de Hegel, « philosopher, c’est penser son temps en concepts » (Hegel), n’importe-t-il pas de redonner sens et consistance à la notion de Mérite ? Comment alors appréhender cette notion dans un monde qui semble faire la promotion de la médiocrité ?
LA “THÉORIE DE L’HOMME FORT” : UN PLAIDOYER THRASYMAQUO-GORGIASSIEN POUR UNE CULTURE DU MÉRITE ET DE L’EXCELLENCE
Kolotioloma Nicolas YÉO
Université Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
La”théorie de l’homme fort” de Thrasymaque et de Gorgias est souvent perçue comme une théorie conduisant à la force. Pourtant, plus qu’un appel à la force, cette théorie ouvre la voie à l’idée d’un culte du mérite et de l’excellence. Car, elle articule les trois idées fondamentales suivantes : les hommes ne doivent pas être traités sur une base d’une stricte égalité mais à partir d’une égalité géométrique ; la médiocrité doit être bannie de la société ; seuls le mérite et la recherche de l’excellence doivent être le principe régulateur des relations sociales.
Mots-clés : Égalité, Médiocrité, Mérite, Sophistique, Violence.
ABSTRACT :
The “theory of man stronger” of Thrasymachus and Gorgias is often seen as a theory leading to force. However, more than an appeal to force, this theory opens up the idea of a cult of merit and excellence. For, it articulates the following three basic ideas: men should not be treated on an arithmetic basis of equality but from a geometric equality; mediocrity must be banished from society; only merit and research of excellence should be the regulator principle of social relations.
Key words : Equality, Mediocrity, Merit, Sophistry,V iolence.
INTRODUCTION
La “théorie de l’homme fort”, dans la perspective thrasymaquo-gorgiassienne, articule l’idée que le plus puissant ou le meilleur est, par nature, celui qui doit diriger les autres. À ce sujet, voici ce que Calliclès, développant la pensée de Gorgias,[1] et Thrasymaque affirment respectivement : « la justice selon la nature [consiste en ce que] le plus puissant ravisse les biens du plus faible, et que le meilleur commande au médiocre et que celui qui vaut davantage ait une plus grosse part que celui qui vaut moins »[2] ; « le juste n’est rien d’autre que l’intérêt du plus fort »[3]. Transcendant l’idée qu’il est possible de considérer les propos de Thrasymaque comme des propos descriptifs, l’on a souvent soutenu que ces deux sophistes sont des partisans d’une violence sociale débridée concentrée entre les mains d’individus barbares. L’une des meilleures expressions de cette idée nous est fournie par Jean Brun qui fait remarquer que « dans le Gorgias et dans le livre I de La République, Socrate s’attaque à ceux qui se font les apologistes de la force »[4]. Ce qui signifie que Gorgias et Thrasymaque, à qui s’adresse Socrate relativement à la “théorie de l’homme fort”, militent en faveur de l’idée qu’il est juste et convenable, pour un individu ou un groupe d’individus, d’imposer leur volonté aux autres par la contrainte physique et morale.
Mais, faut-il, à partir de leur “théorie de l’homme fort”, considérer ces deux sophistes comme des apologistes de la force contraignant physiquement et moralement les moins forts au respect absolu des plus forts ? Plus précisément, par-delà la force tyrannique légitime du plus fort que l’on en déduit d’ordinaire, la “théorie de l’homme fort” n’est-elle pas, à proprement parler, une théorie faisant le culte de l’excellence et du mérite ? Telle est la question centrale de la présente contribution. L’intention fondatrice ici est de montrer que la “théorie de l’homme fort” est un véritable plaidoyer en faveur de l’excellence et du mérite. Pour ce faire, le questionnement suivant, en tant qu’il oriente la réflexion, est indispensable : la “théorie de l’homme fort” n’est-elle pas une négation de l’égalité arithmétique souvent contradictoire avec la culture du mérite ? N’articule-t-elle pas, en outre, une dénonciation de la médiocrité ? N’exprime-t-elle pas, enfin, la nécessité du mérite et de l’excellence dans la société ?
La démarche heuristique utilisée pour soutenir notre thèse se veut essentiellement exégétique et est organisée autour de trois principaux points. Le premier met l’accent sur la négation de l’égalité arithmétique au profit de l’égalité géométrique, fondement indispensable à toute culture du mérite, déductible de “la théorie de l’homme fort”. Le deuxième montre que cette théorie thrasymaquo-gorgiassienne exprime un refus de la médiocrité. Le troisième présente les fondements théoriques du culte du mérite et de l’excellence que nous décelons dans ladite théorie de Thrasymaque et de Gorgias.
I- LA “THÉORIE DE L’HOMME FORT” OU LE REFUS DE L’ÉGALITÉ ARITHMÉTIQUE
Refuser l’égalité arithmétique, c’est-à-dire l’égalité à travers laquelle les éléments comparés ont strictement la même valeur, peut paraître contradictoire et sans intérêt pour quiconque veut aborder la question du mérite et de l’excellence. Précisément, l’on pourrait considérer que la culture du mérite et de l’excellence ne saurait prospérer que dans un cadre référentiel « d’égale participation »[5] à travers lequel tous les protagonistes sont jugés de manière égalitaire et équitable. Car, le mérite n’est envisageable qu’avec des compétiteurs ayant des chances égales, au départ.
Pourtant, que le mérite repose, au départ, sur des chances égales pour les différents compétiteurs, cela n’exclut en rien l’idée d’inégalité dont il doit être également chargé. En effet, dans le mérite subsiste, au terme de la compétition, l’idée de sélection ou de stratification. Or, la sélection d’un meilleur se fait toujours par le biais d’un traitement inégalitaire supposant la supériorité des meilleurs sur les faibles. Il y a donc nécessairement l’établissement d’une inégalité légitime entre les protagonistes pour que le mérite ait un sens véritable. Autrement dit, à parler de mérite, il faut forcément s’attendre à un traitement inégalitaire des différents protagonistes. Ne pas admettre cette nécessaire inégalité sur la base de laquelle se fait la récompense du meilleur conduit inéluctablement à une impasse. C’est cela que traduit Yves Michaud lorsqu’il déclare : « L’égalité est contradictoire avec le mérite »[6]. Autrement dit, l’inégalité est l’étoffe fondamentale du mérite. Le mérite ne s’articule pas uniquement autour de l’égalité ; il suppose aussi et surtout l’inégalité, même si celle-ci est souvent voilée.
Dans la pensée thrasymaquo-gorgiassienne, il ne fait l’ombre d’aucun doute, la “théorie de l’homme fort” articule une dénonciation de cette égalité stricte ou arithmétique souvent contraire aux principes du mérite. En effet, dans le cadre de la justice sociale, Thrasymaque a toujours considéré que le juste et l’injuste ne sont pas égaux. Il déclare que « l’homme juste est en toutes circonstances placé dans une position inférieure à l’homme injuste »[7]. À partir de cette déclaration, il apparaît clairement que, pour Thrasymaque, le juste est inférieur à l’injuste. Pour cela, il ne saurait être traité sur une base égalitaire avec l’injuste. En l’affirmant, Thrasymaque s’oppose clairement à la stricte égalité ou à l’égalité arithmétique qui sape les fondements de la recherche du mérite et de l’excellence.
Les divers domaines à travers lesquels Thrasymaque montre que le juste ne peut être comparé à l’injuste apparaissent comme les éléments de preuve que ce sophiste mobilise pour corroborer son refus de l’égalité stricte. Il soutient que, dans plusieurs domaines, tels que « les associations à but lucratif, le service et la conduite des affaires de l’État »[8], « l’honnêteté dans le versement de l’impôt et (…) la réception des subsides publics »[9], le juste est à tout point de vue inférieur à l’injuste. Que l’on en juge par ses propres mots :
« Dans les associations mutuelles, partout où un homme juste s’associe à un homme injuste, tu ne trouveras jamais qu’au moment où l’association se dissout le juste a plus que l’injuste, mais moins. Ensuite dans les affaires de la cité, s’il se trouve que des levées d’impôt ont lieu, le juste, à richesse égale, contribue davantage, et l’injuste moins ; s’il y a des rétributions, l’un ne touche rien, l’autre récolte beaucoup. Et lorsque chacun exerce quelque magistrature, il revient à l’homme juste, même s’il ne subit pas d’autre dommage, de souffrir parce qu’il néglige sa maison et qu’il ne profite en rien du service public, du fait qu’il est juste. (…) À l’injuste, il revient le contraire de tout cela »[10].
À l’analyse, il ressort que, pour Thrasymaque, dans les associations mutuelles où chacun (le juste et l’injuste) doit réaliser des gains, l’injuste a plus de profits que le juste. De plus, lorsque, dans le cadre fiscal, où il s’agit de débourser de l’argent, l’injuste débourse moins que le juste. Dans l’exercice des responsabilités sociales, en outre, l’injuste profite plus que le juste. En un mot, dans tous les cas de figure, l’injuste et le juste ne sauraient être traités sur un pied d’égalité. Le premier est toujours supérieur au second. Ainsi, l’on l’aura compris, ce qui se profile dans ces développements, c’est l’idée que Thrasymaque est un dénonciateur de la stricte égalité.
S’il vrai que l’identité des législateurs diffère de Thrasymaque à Gorgias, le premier considérant les dirigeants comme ceux qui élaborent les lois et le second considérant plutôt les faibles comme les initiateurs des lois, leurs conceptions de la stricte égalité ne s’opposent pas fondamentalement. En fait, Gorgias abonde dans le même registre de dénonciation de l’égalité arithmétique que Thrasymaque, lorsque, par l’entremise de Calliclès, il affirme : « Ce qui plait aux faibles, c’est d’avoir l’air d’être égaux à de tels hommes [les plus forts], alors qu’ils leur sont inférieurs »[11]. Comme l’on s’en aperçoit, Gorgias exprime ici son dédain clair pour une attitude des faibles que l’on pourrait jugée malencontreuse. Celle-ci consiste, pour eux, à se considérer comme des équivalents des plus forts. Dans la perspective gorgiassienne, un homme faible n’est aucunement comparable à un homme fort. En tant que tel, il ne doit, en aucun cas, être traité comme l’équivalent de l’homme fort. À l’inverse, le fort ne doit pas non plus être forcé à se rabaisser au stade du faible. Dans cette logique, il est véritablement inconcevable de réduire à néant les efforts du fort en lui demandant de fournir moins d’efforts pour tenir compte du faible.
Gorgias marque encore plus son rejet de la stricte égalité entre les forts et les faibles en réfutant la démarche des Athéniens consistant à inculquer aux faibles des contre-valeurs comme celle de l’égalité. Ses propos nous révèlent de manière précise la quintessence de son refus de la contre-valeur que constitue, pour lui, l’égalité stricte :
« Chez nous, [affirme-t-il], les êtres les meilleurs et les plus forts, nous commençons à les façonner, dès leur plus jeune âge, comme on fait pour dompter les lions ; avec des formules magiques et nos tours de passe-passe, nous en faisons des esclaves, en leur répétant qu’il faut être égal aux autres et que l’égalité est ce qui est beau et bon »[12].
Gorgias décrit ici une ligne d’argumentation qui s’attaque aux stratégies utilisées par les Athéniens pour conduire les plus forts vers une acceptation de l’égalité stricte. L’enjeu de cette argumentation demeure la remise en cause de l’idée que la recherche de la stricte égalité est ce qui est normal. En fait, il faut, dans la perspective de Gorgias, renoncer à cette forme d’égalité.
Le renoncement à la stricte égalité chez ces deux sophistes ne doit pas être compris comme un désaveu de toute forme d’égalité. Il y a bien, chez eux, contrairement à ce qu’affirme Platon dans le Gorgias,[13] une forme d’égalité que l’on pourrait baptiser d’égalité géométrique. L’égalité géométrique est une égalité à travers laquelle les entités comparées ne le sont pas sur une base égalitaire, mais sur la base des valeurs intrinsèques de chaque entité. Bien comprise, l’égalité géométrique est fondée sur une correspondance de valeurs au sens où plusieurs éléments réunis peuvent avoir la même valeur qu’un seul.
C’est à cette forme d’égalité que Gorgias et Thrasymaque nous semblent donner leur assentiment. Nous en voulons pour preuve leurs déclarations respectives suivantes : « Un homme intelligent est supérieur à des milliers d’autres qui, eux, sont sans intelligence »[14] ; « lorsqu’un homme, en plus de la fortune des citoyens, s’empare de leur personne et les asservit, (…) il est appelé heureux et fortuné »[15]. L’intérêt de ces propos réside dans la comparaison que Thrasymaque et Gorgias établissent entre des personnes prises individuellement et des groupes de personnes. Il y a, d’un côté, “l’homme intelligent” ou encore “l’homme qui asservit” et, de l’autre, des milliers de “personnes sans intelligence” ou l’ensemble des “citoyens”. Le seul homme intelligent ou fort est mis en rapport avec un groupe d’individus. Et Gorgias considère qu’il a une valeur plus importante que celle de la multitude constituée des citoyens. D’où l’idée d’égalité géométrique entre entités inégales propice à la culture du mérite, laquelle est fondée sur la reconnaissance de la supériorité d’un seul individu sur plusieurs autres personnes.
À ce niveau de notre développement, l’on s’aperçoit que la “théorie de l’homme fort” milite en faveur de l’égalité géométrique fondée sur la distinction des individus qualitativement supérieurs aux autres. Cela constitue déjà, en soi, un culte du mérite et de l’excellence. Mais, en plus de la nécessité de l’égalité géométrique, la pensée de Thrasymaque et de Gorgias conduit également à l’idée d’une dénonciation de la médiocrité.
II- LA PENSÉE THRASYMAQUO-GORGIASSIENNE DE L’HOMME FORT OU LE REFUS DE LA MÉDIOCRITÉ
Il est possible de déduire un refus de la médiocrité de la “théorie de l’homme fort” de Gorgias et de Thrasymaque. En d’autres termes, Thrasymaque et Gorgias peuvent être considérés comme des penseurs qui récusent la tendance à l’insuffisance qualitative ou à la pauvreté en ambition.
Pour ce qui est de Gorgias précisément, la “théorie de l’homme fort”, telle qu’il l’élabore, exprime essentiellement une dénonciation du renoncement à l’excellence. En fait, Gorgias s’oppose à la pauvreté en ambition et à la tendance à se contenter du minimum dans le cadre des valeurs sociales.
Pour exprimer son désaccord avec ceux qui ont tendance à renoncer à toute recherche de l’excellence en se complaisant dans la médiocrité sociale, Gorgias commence par s’interroger sur l’identité des législateurs. À la question “qui sont les personnes qui élaborent les lois ?”, il répond que, ce ne sont ni les dirigeants, ni les représentants du peuple, comme cela se fait aujourd’hui. « Ce sont [plutôt] les faibles, la masse des gens »[16]. Si ce sophiste rappelle l’identité de ceux qui lui apparaissent comme les législateurs dans une cité, cela n’est pas sans raison. C’est justement que Gorgias veut montrer que les législateurs, en l’occurrence les pauvres, ne légifèrent pas avec objectivité. Les lois qu’ils élaborent sont arbitrairement orientées vers la défense de leurs intérêts envers et contre les plus forts déterminés à transcender les masses populaires. Gorgias fait remarquer, dans ce sens, que « c’est (…) en fonction d’eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu’ils attribuent les louanges, qu’ils répartissent les blâmes »[17]. Ce qui les conduit, comme le souligne Nietzsche, « à exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme force, qu’elle ne soit pas volonté de domination »[18]. Ainsi, pour s’opposer efficacement à la force des forts, les faibles élaborent les lois sur mesure pour se faire plaisir eux-mêmes.
C’est au cœur de cette législation arbitraire des faibles que Gorgias loge son refus de la médiocrité. Grâce aux lois, en effet, les faibles empêchent les forts d’exceller, se présentant ainsi comme des partisans de la médiocrité. Ils manipulent les lois qui deviennent, pour eux, un stratagème pour contrarier les forts dans leur quête d’excellence. Les faibles, affirme Gorgias, « veulent faire peur aux hommes plus forts qu’eux et qui peuvent leur être supérieurs. C’est pour empêcher que ces hommes ne leur soient supérieurs qu’ils disent qu’il est vilain, qu’il est injuste, d’avoir plus que les autres et que l’injustice consiste justement à vouloir avoir plus »[19]. En d’autres termes, les faibles ne sont que des médiocres qui érigent la médiocrité en principe. Dans leur entendement, tous ceux qui veulent se hisser au-dessus de la masse doivent être légalement détournés de cet objectif.
Gorgias ne peut accepter une telle approbation de la médiocrité qui, au fond, est une désapprobation de l’excellence et du mérite. Il appelle de tous ses vœux la venue d’un homme courageux pour secouer et réduire en miettes les fatras, les grimoires et toutes ces lois contre-nature qui empêchent les forts de surclasser les faibles. Il affirme clairement cette idée en ces termes :
« s’il arrivait qu’un homme eût la nature qu’il faut pour secouer tout ce fatras, le réduire en miettes et s’en délivrer, si cet homme pouvait fouler aux pieds nos grimoires, nos tours de magie, nos enchantements et aussi toutes nos lois qui sont contraires à la nature, (…), alors, à ce moment-là, le droit de la nature brillerait de tout son éclat »[20].
Il va sans dire que le vœu ardent de Gorgias est de supprimer toutes les lois et les systèmes sociaux contre-nature, c’est-à-dire les principes et les systèmes d’organisations sociales, qui maintiennent les hommes dans la médiocrité, en les empêchant de s’élever vers l’excellence. Dmitri Georges Lavroff a bien cerné ce refus gorgiassien de la médiocrité lorsqu’il note, fort à propos, que le Calliclès du Gorgias « condamne la démocratie athénienne comme étant le règne des médiocres et des incompétents »[21]. Selon lui, ce qu’il convient de retenir de la pensée gorgiassienne, c’est la réfutation de l’incompétence et de la médiocrité.
Tout comme Gorgias, Thrasymaque ne dénonce pas moins la médiocrité. En effet, s’il est vrai qu’à l’instar de Gorgias, sa pensée ne considère pas la loi comme « l’œuvre des faibles qui entendent se protéger des êtres que la nature a rendu plus forts »[22], cela ne signifie pas qu’elle ne dénonce pas la médiocrité. Les réflexions de Thrasymaque sur l’erreur permettent de soutenir cette position. Il s’attaque à l’erreur, entendue comme un défaut de justesse. Selon lui, le défaut de justesse est injustifiable et inadmissible. Il va jusqu’à soutenir que, quelle que soit sa corporation, si un homme considéré comme un expert dans son domaine est coupable d’un défaut de justesse, il ne mérite plus son titre. Celui-ci doit lui être retiré. L’argumentaire que développe Thrasymaque, à ce sujet, est le suivant :
« Appelles-tu médecin celui qui se trompe au sujet des malades, du fait même qu’il se trompe ? Ou encore expert en calcul, celui qui se trompe dans son calcul, au moment même où il fait l’erreur, et du fait même de son erreur ? À mon avis, nous recourons alors à une manière de parler, quand nous disons que le médecin s’est trompé, que l’expert en calcul, que le grammairien se sont trompés. Je pense que chacun d’eux, dans la mesure où il correspond au nom que nous lui attribuons, ne se trompe jamais. Si bien qu’à parler rigoureusement, aucun expert dans un art ne se trompe, car il ne se trompe que dans la mesure où son savoir l’abandonne, et dans ce cas, il n’est plus expert dans un art »[23].
Ce propos souligne, à grands traits, le mépris de Thrasymaque pour l’erreur ou le manque de justesse. D’après lui, le médecin, l’expert en calcul, le grammairien et tout autre spécialiste n’ont pas le droit de se tromper au risque de se voir privés de leurs titres. S’il en est ainsi, c’est pour la simple et bonne raison que le médecin et le grammairien coupables d’erreur apparaissent comme des médiocres, des incapables qui ne méritent pas leurs titres.
Contre cette thèse Thrasymaquo-gorgiassienne, il est possible de faire remarquer que la médiocrité n’a pas toujours été perçue négativement. Des penseurs tels que Bénédikte Andersson et Véronique Denizot, à la suite d’Horace, n’ont eu de cesse de souligner que la vie ne peut se passer de la médiocrité. Ils écrivent : « La vie idéale se situe dans la médiocrité, entre la pauvreté qui menace le confort personnel, et le luxe inutile, prétexte à la jalousie de l’entourage »[24]. L’enjeu de ces propos est de montrer que la médiocrité doit être admise dans la société en ce sens qu’elle constitue le fondement de la vertu morale du juste milieu, de la modération et de l’humilité. L’une des formes les mieux élaborées de l’admiration de la médiocrité est l’aureas médiocritas, c’est-à-dire la médiocrité d’or. Elle aboutit finalement à l’idée qu’il convient « de passer inaperçu, en ne suscitant ni la pitié ni l’envie des autres »[25]. En tant qu’elle apparaît comme une licence accordée aux faibles de demeurer dans leur état de faiblesse, cette conception s’inscrit dans une logique contraire à la “théorie de l’homme fort”.
Cependant, s’il est vrai que « passer inaperçu » est une vertu, celle de la recherche du juste milieu au sens aristotélicien du terme, il est bien de reconnaître qu’elle ne suscite et ne stimule pas la volonté de se surpasser pour surclasser les autres. En effet, le partisan du juste milieu a tendance à limiter ses capacités et à réduire ses efforts au minimum acceptable. Par voie de conséquence, les personnes qui l’entourent ne trouvent pas de modèles de recherche d’excellence à imiter ou à respecter. C’est en cela que la “théorie de l’homme fort” conserve tout son intérêt.
Comme l’on s’en aperçoit, la dénonciation de la médiocrité, même si elle n’est pas admise par des penseurs, tels que Bénédikte Andersson et Véronique Denizot, est bien l’un des thèmes majeurs déductible de la “théorie de l’homme fort” de Thrasymaque et de Gorgias qu’il est possible de lire comme un éloge du mérite et de l’excellence. Toutefois, si cela ne suffit pas à convaincre de ce que la pensée de ces deux sophistes articule une apologie du mérite et de l’excellence, il convient de considérer l’intérêt théorique que la “théorie de l’homme fort” accorde au culte du mérite et à l’excellence.
III- LA THÉORIE THRASYMAQUO-GORGIASSIENNE DU PLUS FORT : UN CULTE DU MÉRITE ET DE L’EXCELLENCE
Le culte du mérite et de l’excellence est l’une des idées-forces déductibles de la “théorie de l’homme fort” de Thrasymaque et de Gorgias. En fait, en prônant l’idée qu’il est juste que « le plus puissant ravisse les biens du plus faible, et que le meilleur commande au médiocre et que celui qui vaut davantage ait une plus grosse part que celui qui vaut moins »[26], il est possible d’affirmer que la pensée thrasymaquo-gorgiassienne accorde, par là, ces lettres de noblesse à la culture du mérite et de l’excellence. Cette idée de culte du mérite et de l’excellence déductible de la “théorie de l’homme fort” découle de l’analyse des expressions clés des déclarations de ces sophistes, telles que « le plus puissant », « le meilleur », « celui qui vaut davantage »[27]. À travers ces expressions, il y va du pouvoir, de la supériorité, de la qualité, de l’efficacité ou encore de la valeur des différents individus. Concrètement, il s’agit de comprendre, par ces expressions, que seuls les individus capables de prouver qu’ils peuvent dominer les autres ou encore de prouver qu’ils peuvent être supérieurs aux autres en tout, en montrant que leur efficacité surpasse la leur, méritent le privilège et les honneurs de la gestion des biens de la cité. Ce qui n’est rien d’autre qu’une exhortation à la recherche de l’excellence traduite par ce que Thrasymaque nomme « un intérêt particulier (…) d’atteindre sa perfection le plus possible »[28].
En sus, la définition que Gorgias, lui-même, donne à l’expression « puissant » suggère bien l’idée d’excellence en ce sens que le plus fort ou le puissant est un individu qui transcende en qualité la masse populaire. Voici sa proposition de définition de l’expression « puissant » :
« Quand je parle des puissants, [affirme Calliclès], je n’entends pas par là les cordonniers ni les cuisiniers, mais ceux dont l’intelligence se porte vers les affaires de l’État, pour le bien gouverner, et qui ne sont pas seulement intelligents, mais en outre courageux, parce qu’ils sont capables d’exécuter ce qu’ils ont conçu et ne reculent pas par faiblesse d’âme devant la difficulté de la tâche »[29].
À partir de là, il apparaît clairement que l’homme puissant est aussi bien un être intelligent que courageux. En effet, il possède une grande intelligence lui conférant l’aptitude de la gestion des affaires étatiques. Mais, au-delà de cela, il est capable de faire exécuter ses décisions dans la mesure où il possède une grandeur d’âme lui permettant de ne pas reculer devant les difficultés et les obstacles. En un mot, le puissant possède des aptitudes extra-ordinaires, c’est-à-dire des aptitudes au-dessus de celles de la masse, lui donnant les moyens et les qualités de la gestion de la chose publique. Dans cette perspective, il n’est donc pas élu arbitrairement, mais en fonction de son mérite.
Cette conception de mérite et d’excellence que nous déduisons de la “théorie de l’homme fort” de Thrasymaque et de Gorgias ne rencontre pas l’assentiment de René Lefebvre, Dmitri Georges Lavroff et Jean-Marie Bertrand. Ils soutiennent que, loin d’être un culte du mérite, la “théorie de homme fort” est une théorie brutale ayant la force pour corollaire. Parlant de Thrasymaque, Lavroff écrit qu’il « nie l’État et le droit et soutient que seule la force règle les relations sociales »[30]. Dans la même veine, René Lefebvre déclare, au sujet du Calliclès du Gorgias, ce qui suit : « Calliclès, qui incarne le puissant animé par un désir de domination, estime que “la justice consiste en ce que le meilleur ait plus que le moins bon et le plus fort plus que le moins fort (…) “. Si le fort domine le moins fort, c’est là le signe que c’est juste»[31]. Il en résulte que, pour eux, Thrasymaque et Gorgias sont des partisans de la force. Ils auraient développé une théorie de la force incarnant la domination du plus fort sur les plus faibles. En conséquence, une telle théorie ne saurait être conçue comme une exhortation au mérite et à l’excellence.
Pourtant, reconnaître un “plus fort que soi” et que ce statut lui confère des droits n’est pas, en soi, subir une violence. Car, si le verbe « dominer » que Gorgias et Thrasymaque utilisent chacun peut signifier exercer une suprématie, il peut également exprimer le fait de rester maître des circonstances en se montrant infiniment supérieur aux autres. Ce qui n’articule rien de violent. Cela suppose, au contraire, la reconnaissance raisonnée de ses insuffisances et, par ricochet, le respect de la supériorité du plus fort. Pour nous, c’est sous ce dernier angle qu’il convient de comprendre la théorie de l’homme fort en ce sens que la domination du plus fort sur le plus faible dont parlent ces sophistes n’est pas uniquement physique. Elle est aussi intellectuelle au sens de : « Être supérieur, être plus fort, être meilleur » du point de vue de l’ « intelligence »[32]. Une telle domination intellectuelle est également à distinguer de « la violence morale ou symbolique »[33], dont parle Véronique Le Goaziou, et qui constitue une atteinte à la dignité. Car, ces sophistes ne parlent pas de supériorité ou de domination morale, mais de supériorité ou de domination intellectuelle. La domination intellectuelle est ni plus ni moins un appel à l’exercice soutenu de l’activité intellective de l’homme.
C’est pourquoi, contrairement à l’image qu’élabore Platon de Thrasymaque et du Calliclès du Gorgias, en les présentant respectivement comme un plébéien violent et comme un individu éhonté ne ressentant aucun scrupule à défendre l’injustice contre la justice, il convient de retenir que ces sophistes sont des partisans de l’aristocratie. Autant dire qu’ils prônent l’idée d’une émergence d’un groupe de personnes éminentes caractérisées par leurs qualités humaines et leurs compétences remarquables.
En cela, similaire à la thèse du philosophe-roi de Platon, les plus forts, dans l’entendement de Gorgias et de Thrasymaque, sont les meilleurs à tout point de vue et dans tous les domaines. En effet, comme nous l’avons montrérelativement la question de la gestion et de l’organisation de la cité,[34] la pensée thrasymaquo-gorgiassienne peut être inscrite dans le même registre que celle de Platon. Or, s’il est admis, ainsi que le souligne Francesco Fronterotta, que l’une des tâches que Platon s’est assignée, c’est d’ « établir un ordre proportionnel parmi les citoyens, en établissant le règne des plus méritants et des plus vertueux »[35], il convient de reconnaître que Thrasymaque et Gorgias peuvent être également considérés comme des défenseurs du mérite et de l’excellence. En ce qui concerne le Calliclès du Gorgias, Lavroff confirme l’idée qu’il est un aristocrate en ces termes : « La force dont Calliclès tient compte est aussi bien la force physique que celle de l’esprit. Par la défense de ce thème, Calliclès est l’allié des aristocrates et des oligarques »[36]. Quant à Thrasymaque, Mauro Bonazzi a indiqué que ses thèses constituent une dénonciation de la démocratie qui serait « le gouvernement d’une partie, du demos justement, mais pas des meilleurs »[37]. Ce qui revient à dire implicitement que Thrasymaque attache du prix à toute gouvernance qui fonde son mode de dévolution du pouvoir sur le principe du meilleur. Il est, de ce point de vue, un aristocrate.
Comme on le voit, l’intérêt des développements sus-esquissés réside dans l’idée que la “théorie de l’homme fort” de Gorgias et de Thrasymaque est l’expression d’un culte du mérite et de l’excellence.
CONCLUSION
L’idée que la “théorie de l’homme fort” est une apologie de la force débridée apparaît comme l’interprétation la plus crédible des pensées des sophistes Gorgias et Thrasymaque. Cette idée est d’autant plus admise que des penseurs de renom tels que Jean Brun ou encore Jean-Marie Bertrand lui ont accordé un intérêt particulier. Pourtant, lire la “théorie de l’homme fort” à travers ce seul prisme rigide et réducteur de la force fait courir le risque de perdre de vue l’une des idées importantes déductibles de cette théorie, à savoir la culture du mérite et de l’excellence. Pour nous, en considérant attentivement la “théorie de l’homme fort”, l’on s’aperçoit qu’elle articule une culture du mérite et de l’excellence. Cette conception trouve son fondement, d’abord, dans la négation de l’égalité arithmétique au profit de l’égalité géométrique, ensuite, dans la dénonciation de la médiocrité et, enfin, dans la théorisation du mérite et de l’excellence, que nous décelons dans ladite théorie de Thrasymaque et de Gorgias.
Il convient donc de retenir que la juste idée qu’il convient de garder à l’esprit sur la “théorie de l’homme fort” de Thrasymaque et de Gorgias, ce n’est pas qu’elle conduit à la force, mais qu’elle constitue, au contraire, un culte du mérite et de l’excellence. En fait, ces deux sophistes semblent avoir compris, très vite, que « la société juste à laquelle tout le monde aspire ne peut se concevoir que comme une société qui respecte les talents et laisse l’esprit d’entreprise s’exprimer »[38]. Ainsi, les hommes ne doivent pas être traités sur un pied d’égalité, mais en fonction de leurs valeurs intrinsèques.
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LA LOUANGE, L’AUTRE NOM DU MÉRITE DANS LA STRUCTURE DU PENSER CARTÉSIEN
Marcel Silvère Blé KOUAHO
Université Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
La réforme du savoir entreprise par Descartes, aux Temps modernes, se traduit non seulement par le rejet de toute autorité dans le domaine philosophique, mais également par la transposition de termes religieux dans ledit domaine. C’est, par exemple, la notion de louange. La conception cartésienne de la louange n’est pas sans lien avec sa volonté d’accorder, à la subjectivité pensante, une indépendance dans le champ de la connaissance comme dans celui de l’action. Désormais, c’est par le bon usage de la liberté ou volonté, faculté noble, qui rend le sujet, de quelque façon, pareil à Dieu, que l’homme est digne de louange, voire de mérite. Toutefois, cette approche nouvelle de la louange laisse transparaître un paradoxe dommageable au rationalisme cartésien.
Mots clés : Action, Autonomie, Bon usage de la liberté ou volonté, Connaissance, Louange, Mérite, Paradoxe de la louange, Subjectivité pensante.
ABSTRACT :
The reform about knowledge undertaken by Descartes in modern times is conveyed not only by the rejection of any religious authority in the philosophical filed, but also by the incorporation of religious terms into that field. That is, for instance, the case of the notion of praise. The Cartesian conception of praise has a link with his will to give to the thinking subjectivity its independence in the field of knowledge and in that of action as well. From then on, the human being is praiseworthy or worth of merit through the use of freedom or will, a noble faculty that causes him to have qualities in similarity with God, in a way or another. Still, that new approach to praise gives way to a paradox that is detrimental to Cartesian rationalism.
Keywords: action; autonomy; good use of freedom or will; knowledge; praise; merit; paradox of praise; thinking subjectivity.
INTRODUCTION
Au vu de sa définition comme témoignage de la valeur, qui fait de la personne un être digne d’estime et de considération, le mérite est une notion noble que malheureusement notre humanité n’a pas toujours célébrée. Les nombreuses frustrations, qui donnent libre cours à toutes sortes de critiques, témoignent de la gravité de la situation qui prévaut à l’heure actuelle. Et c’est ce constat peu reluisant qui, interpellant nos consciences trop souvent endormies, nous engage à une réflexion sur le mérite. Précisément le mérite dans le penser cartésien et que Descartes exprime par la louange. Il ne s’agira nullement, ici, d’évoquer la louange d’un point de vue théologique, c’est-à-dire un témoignage verbal ou un écrit d’admiration ou de grande estime qu’un croyant porte à l’endroit d’un être surnaturel. La louange laïcisée, telle que Descartes la présente, porte plutôt sur des personnes, des « âmes généreuses »,celles qui font un usage appréciable de leur raison et de leur liberté, mais que nos sociétés, plus portées sur le sensationnel, rechignent à ennoblir.
Avec Descartes, la notion de louange n’est pas perçue dans la verticalité du rapport entre l’homme et l’Être transcendant, mais dans un tout autre rapport, celui horizontal, c’est-à-dire entre l’homme et ses semblables. En inaugurant les Temps modernes, en effet, Descartes est convaincu d’une chose : c’est que l’autonomie du sujet pensant ne peut être assurée si et seulement si il use adéquatement de sa raison et de sa liberté. C’est dire qu’à ses yeux, nous n’avons pas de mérite à exister hic et nunc, en tant que réalités humaines ou à jouir de l’existence. Notre mérite est à chercher ailleurs, dans la louange, précisément la figure humaniste du généreux, très prégnante dans les domaines de la connaissance et de l’action, que Les passions de l’âme rendent parfaitement :
« Ainsi, je crois que la vraie générosité qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’ y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, en partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures. Ce qui est suivre parfaitement la vertu »[39].
C’est, pour nous, cela qui mérite de la louange et de la gloire. Dès lors, comment la louange est comprise dans l’ordre théorique et celui pratique ? Le traitement de la louange, par Descartes dans ces correspondances, ne fait-il pas de la louange une notion controversée ? Autrement dit, ce traitement ne laisse t-il pas transparaître une ambiguïté ? C’est à ces questions que notre réflexion se propose de répondre en trois points. Premièrement, il s’agira de mettre en exergue la notion de louange dans l’ordre de la connaissance. Deuxièmement, nous montrerons comment la louange est saisie dans l’ordre de l’action et, troisièmement, enfin, nous ferons ressortir le paradoxe que laisse entrevoir la notion de louange dans la structure du penser cartésien.
I- LA LOUANGE DANS L’ORDRE DE LA CONNAISSANCE
Dans la première partie des Principes de la philosophie, Descartes écrivait que « la liberté est la principale perfection de l’homme »[40] ajoutons, dans l’ordre des créatures. Cette perfection qu’il attribue à l’homme, Descartes la défendait déjà dans les Méditations métaphysiques : « C’est principalement notre liberté qui nous fait connaître que nous portons l’image et la ressemblance de Dieu »[41]. En affirmant que la principale perfection de l’homme consiste dans la liberté, Descartes signifiait par là que ce n’est que d’un être libre qu’on puisse dire qu’il soit indépendant, responsable, qu’il ait du mérite ou non. De même que l’amour de Dieu perd de sa valeur, s’il n’est pas le fruit de la liberté, mais d’une immixtion, d’une contrainte extérieure.
À suivre Descartes, le mérite de l’homme réside dans la possession d’une liberté absolue, semblable à la liberté divine. Est donc digne de louange, tout être qui jouit d’une liberté infinie. Mais, Descartes ne peut se satisfaire de cette position qui heurte les exigences éthiques de son rationalisme. C’est pourquoi, le philosophe pense, à juste titre, qu’au-delà de la possession de la liberté absolue par l’homme, le mérite de celui-ci, la louange dont-il est digne, trouve plus son sens dans l’accomplissement de la liberté. Or, pour s’accomplir, l’usage de la liberté doit devenir « ferme et constante résolution d’en bien user »[42]. Car, seul ce bon usage est le plus grand de tous les biens au sens où il permet le contentement de l’esprit, la satisfaction de l’âme. C’est ainsi que la méditation quatrième, dans la progression du raisonnement de Descartes, référera la plus grande perfection de l’homme au bon usage du libre arbitre dont Dieu nous a donnés la capacité et qui se confond avec l’habitude de ne point faillir. Ce bon usage du libre arbitre se perçoit, dans l’ordre de la connaissance, à travers la célèbre formule selon laquelle « la lumière naturelle nous enseigne que la connaissance de l’Entendement doit toujours précéder la détermination de la volonté »[43].
Autrement dit, pour éviter l’erreur, résultant d’un mauvais usage de la volonté « choisissant le mal pour le bien, ou le faux pour le vrai »[44], il faut que celle-ci, malgré son caractère infini, illimité, se tienne dans les strictes limites de l’Entendement, c’est-à-dire qu’elle évite de se précipiter dans l’affirmation ou la négation des idées qu’ « elle ne connaît pas encore, ne peut pas encore connaître, ne connaîtra jamais »[45]. Ce qui revient à signifier que l’homme doit faire un exercice raisonnable de la faculté intellectuelle que la volonté représente dans le champ théorique. Comme pouvait l’écrire Lefèvre, « l’inclination de la volonté, sous la clarté de l’entendement, unit dans le jugement vrai, connaissance et liberté, et s’accompagne d’un sentiment de mérite, voire même d’admiration pour notre volonté »[46].
Il faut comprendre que le bon usage de la volonté ou liberté ne peut pas être son usage absolument correct, mais seulement, son meilleur usage possible. En fait, il s’agit, pour l’individu, ayant les yeux tournés vers l’Entendement, de se résoudre à disposer ou à orienter sa volonté de la meilleure manière possible, c’est-à-dire de juger le mieux qu’on puisse pour faire aussi tout son mieux. La résolution pour le meilleur usage de ma liberté, signifie l’usage conforme au jugement que je rendrai en m’étant efforcé le plus que je puis de juger bien. C’est la même résolution qui affronte des situations chaque fois différentes dans la vie pratique que nous verrons par la suite.
C’est donc au regard de l’ordre de préséance, à suivre dans l’ordre de la connaissance, que Descartes en appelle au sens de la responsabilité intellectuelle et morale de l’homme qui, très souvent, utilise l’argument de la faillibilité de sa nature pour justifier toutes ses actions maladroites. Pour le gentilhomme poitevin, optimiste de surcroît, la faillibilité de la nature humaine ne saurait empêcher l’homme de tendre à une infaillibilité d’usage par le bon usage de ses facultés. Dieu n’ayant pas voulu, en lui accordant gracieusement cette infaillibilité d’usage, le priver du mérite de l’acquérir par lui-même.
On le voit, la louange, voire le mérite, à ce stade de notre réflexion, ne se traduit donc pas dans la possession d’une liberté à l’image et à la ressemblance de Dieu, mais plutôt dans l’usage que nous en faisons quotidiennement ; dans notre attitude à consentir à ce que la raison ou lumière naturelle nous conseille ou nous demande de faire. Et les Règles pour la direction de l’esprit ne pouvait pas mieux l’exprimer : « Que l’entendement puisse montrer à la volonté, le choix qu’il faut faire en chaque occasion de sa vie »[47]. C’est d’ailleurs cette idée maîtresse, qui donne de la consistance au projet moral de Descartes, que nous retrouvons gravée dans le précieux boîtier que constitue l’ouvrage Les passions de l’âme. Cette œuvre, consacrant un long développement sur le concept de générosité, soutient que la grandeur ou la valeur de l’homme réside tout entière dans l’usage de sa liberté et l’emprise qu’il a sur ses volontés.
Retenons que dans l’ordre de la connaissance, du vrai, la notion de louange, de mérite se traduit par la suspension volontaire du jugement lorsque rien ne l’éclaire, mais aussi par l’affirmation de la volonté d’une idée vraie, conçue par l’Entendement. Suspendre son jugement, c’est éviter d’affirmer ou de nier n’importe quoi, c’est « ne pas donner témérairement mon jugement sur des choses que je ne conçois qu’avec obscurité et confusion ou dont la vérité ne m’est pas clairement connue»[48]. C’est le lieu, ici, de notifier que, – contrairement à ce que certains commentateurs soutiennent, à savoir que « le problème de la liberté, du mérite et du démérite est de l’ordre de la morale uniquement puisque rattachée irrémédiablement au temps»[49], – ce problème est aussi de l’ordre de la connaissance qui, elle, évolue hors du temps. Ce que nous pensons avoir clarifié et résolu. Cette mise au point faite, qu’en est-il de la louange dans l’ordre de l’action, du bien ?
II- LA LOUANGE DANS L’ORDRE DE L’ACTION
Pour Descartes, « nous sommes tellement les maîtres de nos actions que nous ne sommes dignes de louange que lorsque nous conduisons bien nos actions »[50]. Par action, il faut entendre tous les actes que posent les hommes et qui sont symbolisés par les disciplines composant le tronc et les branches de l’arbre du savoir humain décrivant la philosophie. « Toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la Métaphysique, le tronc la physique et les branches qui sortent de ce tronc, sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales ; à savoir la Médecine, la Mécanique, et la Morale; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse »[51].
La louange se traduit par la bonne conduite de nos actions, l’action orientée dans la poursuite du bien, de ce qui possède une valeur morale (ce qui est juste, honnête). Ainsi donc, dans l’entendement cartésien,nous ne méritons d’être loués ou blâmés que pour ce dont nous sommes responsables. Être digne de louange, c’est être généreux. Si nous sommes généreux, c’est parce que nous remarquons en nous que notre bonheur dans la vie pratique dépend de nous ; il suffit seulement que « dans chaque acte, chaque situation qui se présente, nous tenions compte de la liaison qu’il y a entre notre volonté de maintenant et ce qui pourrait nous arriver ou être dit de nous dans l’avenir. Et si nous agissons mal, nous méritons le blâme car nous n’avons pas tenu compte de cette liaison »[52]. Le blâme, n’intervient que lorsque ce qui fait notre perfection ontologique ou même notre perfection morale, en l’occurrence notre liberté, n’est pas utilisé de façon rationnelle dans le champ de l’action ou du bien.
En nous recommandant dès le début de son Discours de la méthode, le bon usage, la bonne application de la raison, Descartes ne nous interpellait-il pas déjà sur les élans inconsidérés d’une liberté humaine infinie, et sur les défaillances, les avatars de la raison utilisée hors du bon sens ? « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée (…) Car, ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien »[53] Propos qui sera réitéré dans l’Épître dédicatoire des Principes de la philosophie que Descartes adresse à la Sérénissime Princesse Elizabeth de Bohême, en des mots bien choisis : « Quiconque a une volonté ferme et constante d’user toujours de la raison le mieux qu’il est en son pouvoir, et de faire en toutes ses actions, ce qu’il juge être le meilleur, est véritablement sage »[54].
Qu’avons-nous donc fait de ces maximes-héritages qui, comme un sésame, nous montraient le chemin à suivre pour ne pas faire, de la domination de notre univers, un fardeau, un casse-tête pour la postérité ?
Pendant plus de deux siècles de civilisation industrielle, les hommes se sont rendus non comme maîtres et possesseurs de la nature, mais les maîtres et possesseurs de la nature, mais de quelle manière ? Comment s’y sont-ils pris ? La réponse à cette question reste liée à ce constat à la fois alarmant et ahurissant : les émissions, à une vitesse exponentielle, de gaz à effets de serre qui polluent l’atmosphère, les catastrophes que, par mauvaise foi, nous qualifions très souvent de naturelles, alors qu’elles ne le sont pas toutes ; les déchets nucléaires dont la radioactivité constitue une menace permanente pour l’espèce humaine, les crises humanitaires dues aux interminables conflits armés , etc. ne sont que l’expression de l’errance de la volonté des hommes si l’on en juge bien.
Sommes-nous bien loin du rêve que nourrissaient les savants des Temps modernes et du siècle des Lumières : « rendre la vie agréable en libérant l’homme des tâches pénibles, en lui procurant le bien-être »[55]. Pour l’humaniste qu’est Descartes, la science tire sa légitimité non pas des joies qu’elle procure aux scientifiques, mais de l’utilité sociale qu’elle procure aux hommes. C’est pourquoi, animé de ce rêve grandiose d’une science qui serait à la fois sagesse et puissance, « le cavalier français qui partait d’un si bon pas » avait cru qu’il ne pouvait la cacher au monde « sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes »[56].
Visiblement, les progrès constatés dans les sciences et techniques posent, dans le concret, des questions qui restaient jusqu’alors tabous ou éludées. Ils soulèvent « des interrogations sur l’utilisation de cette puissance, sur sa finalité, sur les critères de choix entre les possibilités qu’elle ouvre, sur les limites entres ses usages légitimes et ses abus »[57]. Faut-il utiliser tous les moyens que la science et la technique mettent à notre disposition ? Faut-il obéir à l’impératif technique ?
Est digne de louange et de mérite, celui qui admet une utilisation immorale de ce que l’innovation technologique peut offrir à l’homme comme possibilités. Se pose, ici, l’exigence d’une évaluation anthropologiquede la technique, voire d’un « bon usage de la technique dont l’acteur et le bénéficiaire demeurent les sujets humains »[58]. Ce qui assurément permettrait aux hommes de se mettre à l’abri d’une conception de la technique décrite comme réalité détachée du devenir collectif de l’humanité, s’autonomisant et s’imposant au social avec la force d’un destin aveugle.
Si la réflexion, par nous faite, a consisté à voir en la louange, la sagesse (bien penser et bien agir), vue dans l’âme du sage, du héros cartésien, toutefois, force est de constater que le traitement accordé par Descartes à cette vertu, dans ses nombreuses correspondances, contient des maladresses que nous trouvons nécessaire d’exposer.
III- LE PARADOXE CARTÉSIEN DE LA LOUANGE
Les incohérences de la doctrine cartésienne de la liberté donnent lieu à ce que nous avons appelé « le paradoxe de la louange ». Ce paradoxe met en scène les deux facultés concourant à la connaissance que sont l’entendement et la volonté ou liberté. Si la première conçoit les idées des choses, donne, par son éclairage, à la volonté les raisons de juger, à la seconde revient le rôle de juger, d’affirmer ou de nier. Il y a un ordre de préséance à suivre, voire une subordination de la volonté à l’entendement à observer et c’est cette disposition éthique que Descartes lui-même, ironie du sort, remet en cause. D’où le paradoxe. En fait, de quoi s’agit-il ?
Au début de la Méditation quatrième, Descartes présente, d’emblée, la liberté comme la décision du sujet de faire ou de ne pas faire, de poursuivre ou de fuir un même objet et non deux objets contraires auxquels celle-ci serait indifférente. Il écrit : « La liberté consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c’est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir)… en sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne»[59]. Autrement dit, ce qui garantit la liberté, c’est l’absence de contrainte extérieure. Cette liberté, telle que la conçoit Descartes, est à l’image et à la ressemblance de Dieu. Elle est, comme laliberté divine, pouvoir décisoire de dire oui ou non sans interférence.
À côté de cette liberté, Descartes reconnaît une autre, en l’occurrence la liberté éclairée qui traduit la contrainte interne de l’évidence présentée par l’entendement et la grâce divine à la volonté (assentiment). À cet effet, nous réitérons l’idée cartésienne selon laquelle « la lumière naturelle nous enseigne que la connaissance de l’Entendement doit toujours précéder la détermination de la volonté »[60].
Mais, dans une lettre datée du 09 Février 1645qu’il adresse à son correspondant en Suède, Mesland, Descartes récuse sa conception de la liberté éclairée perceptible dans la méditation quatrième. Il défend une liberté qualifiée d’ « indifférence positive » et qui peut décider en dehors ou même à l’encontre de l’évidence intellectuelle et de la grâce divine. Étrangement, il lie le mérite à l’indifférence positive, à l’affirmation de l’autonomie d’une volonté qui, dans son élan inconsidéré, transcende les contours de l’Entendement. Descartes voit dans l’état d’indifférence positive, la manifestation, d’une part, d’un plus haut degré de la liberté[61] et, d’autre part, la traduction du caractère absolu de la liberté (pouvoir de choisir le pire, le faux tout en voyant le meilleur, le vrai) que traduit l’acte d’Adam et Eve. Le philosophe voit dans cet état, dans cette faculté de « suivre le pire tout en voyant le meilleur »[62], la louange de l’homme, tout le mérite qui lui revient. C’est bien cela qui renvoie à un vers d’Ovide, exprimé par Médée en ces termes : « Je vois, j’approuve le meilleur, je suis le pire »[63].
« Suivre le pire tout en voyant le meilleur », telle est, selon nous, cette grande faute contre le bon sens commise par Descartes et qui caractérisait, dans la troisième partie du Discours, « ces esprits faibles et chancelants qui se laissent aller inconstamment à pratiquer comme bonnes, les choses qu’ils jugent après être mauvaises »)[64].Or c’est de cette faute que Descartes tâchait, au début de cette troisième partie, de nous garder si nous avions le prodigieux pouvoir d’y céder. De ce retournement cartésien, qui ne peut qu’être sujet à caution, une question taraude notre esprit : Est-il méritoire d’affirmer une idée qu’on sait fausse même si cela exprime l’autonomie de notre liberté ? Absolument et moralement non.
Si par la «liberté d’indifférence positive», « il ne s’agit plus de déterminer les conditions requises pour la connaissance, la certitude par la nécessaire subordination de la volonté à l’entendement, la liberté en elle-même passe au premier plan »[65]. Contrairement aux développements faits par Descartes sur la notion du mérite dans les Méditations métaphysiques et dans Les passions de l’âme, le mérite, dans sa correspondance avec Mesland, consistera aussi à faire un mauvais usage de sa liberté, c’est-à-dire à suivre le faux, ne serait-ce que pour prouver sa valeur. Et pourtant, Descartes lui-même, dans la quatrième partie des Méditations, n’avait de cesse, en réitérant la prudence du Discours, de nous prévenir contre cet usage immodéré de la liberté tendant à supplanter l’Entendement.” Ôte-toi de là pour que je m’y mette ! Dit la maxime qui trouve étrangement un écho favorable chez le rationaliste.
C’est donc avec deux approches contradictoires de la louange, voire du mérite que le lecteur averti, embarrassé, se retrouve. La première qui réside dans la bonne application de la liberté; la seconde qui se révèle dans le caractère indéfini d’une volonté, infinie, dans la portée de son désir. Aussi, trouvons-nous, sous l’apparence d’une doctrine unitaire, deux théories assez différentes de la liberté, selon que le philosophe considère la puissance d’adhérer, de consentir aux idées, à savoir la liberté éclairée ou selon qu’il veut simplement sauver l’autonomie de l’homme, en l’occurrence l’indifférence positive. Cette dernière met en tension la volonté à la fois comme liberté responsable et indétermination fondamentale et comme capacité de se déterminer sans s’épuiser dans aucun motif, ou mobile, c’est-à-dire indépendamment de l’entendement et de la lumière de la foi. Ce qui, pour nous, laisse apparaître une authentique aventure dramatique de l’existence humaine, et traduit, un diabolisme, non, de notre condition métaphysique, mais de la volonté s’illustrant de la manière la plus déraisonnable.
Le fait, pour Descartes, de ne pas pouvoir adopter dans son entreprise philosophique, une position constante sur un terme donné, ne peut qu’entretenir la polémique. En tout état de cause, la lecture des textes cartésiens, laisse entrevoir de nombreuses ambiguïtés qui ne sont pas, nous le pensons vivement, étrangères à la complexité d’une philosophie qui est restée, pendant bien longtemps persécutée. C’est là, comme l’indique Blondel, toute la difficulté à décrypter « la pensée de derrière la tête de Descartes »[66].
CONCLUSION
Le caractère délibérément révolutionnaire de la philosophie cartésienne en même temps que sa radicale nouveauté, trouve toute sa signification la plus claire et la plus haute, pour pasticher Hegel, dans sa conception de la liberté. Si cela est ainsi, c’est bien parce que la liberté n’est pas un thème de la philosophie de Descartes parmi tant d’autres, mais son fondement même.
Certes, nous sommes tous libres, mais cette liberté qui nous humanise est celle dont l’usage peut nous valoir ou non la reconnaissance des autres. Être digne de louange, c’est mériter la confiance de nos semblables par l’exercice appréciable que nous faisons au quotidien des facultés (raison et liberté) dont nous sommes tous fiers d’avoir, mais peu à exercer. S’acquitter toujours de son devoir lorsqu’on fait ce qu’on juge être le meilleur, tel est, le fin mot de Descartes, voire ce qui constitue assurément le noyau de la louange, l’essence du mérite, le fondement de l’estime légitime de soi et des autres et le principe du souverain contentement.
Persuadé que, chez Descartes, les problèmes de la connaissance et de l’action sont ordonnés et articulés autour du problème moral de la liberté, de l’action humaine, du mérite, nous avons voulu mettre en exergue l’actualité de la pensée du philosophe rationaliste, sur une thématique intéressante, en pensant avec et contre lui.
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L’ÉLÉVATION À L’HÉROÏSME ET À LA VIE MYSTIQUE CHEZ BERGSON : GRÂCE OU MÉRITE ?
Honoré ELLA
Université Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
L’élévation à l’héroïsme et à la mysticité chez Bergson, par-delà le silence sur les voies d’accès d’une telle élévation, reflète le débat religieux sur le salut par mérite ou par grâce. Le mystique bergsonien, ce modèle d’une humanité libérée des clôtures de la pesanteur matérialiste, semble en effet osciller entre l’action méritoire et la grâce divine. Cette oscillation invite à penser avec plus de sérénité les exaltations méritocratiques de nos sociétés modernes, en ceci que le mérite ne saurait être pur effort de l’individu isolé, mais une somme complexe de divers facteurs.
Mots clés : Grâce, Héroïsme, Mérite, Méritocratie, Mystique, Religion.
ABSTRACT :
The raising to heroism and mysticism in Bergson, beyond the silence on the paths of such a raising, reflects the religious dispute on salvation by merit or by grace. The bergson’s mystic, this model of the humanity free from the enclosures of materialistic gravity, seems in fact waver between the praiseworthy action and the divine grace. This swing suggest to think with more serenity the meritocratic exaltations of our modern societies, in that merit could not be plain effort of the isolated individual, but a complex sum of varied factors.
Keywords: Grace, Heroism, Meritocracy, Mystic, Religion, Worth.
INTRODUCTION
À bon droit, Michaud écrit : « Le mérite est (…) une notion “épaisse”, chargée de certains des problèmes philosophiques les plus difficiles depuis toujours, comme ceux de la liberté, de la responsabilité ou de la chance, chargée aussi de strates historiques de pensées et de représentations qui ne sont pas toujours cohérentes »[67]. Cette épaisseur – en ce qu’elle convoque des notions aussi épineuses que la liberté, la responsabilité, l’influence de la transcendance – fait écho tant dans l’idéologie méritocratique de notre monde que dans les questions théologico-philosophiques portant sur l’effort méritoire et la grâce imméritée. Ainsi, entre la vie politico-sociale et la vie religieuse, le mérite connait de multiples métamorphoses qui conduisent bien souvent à des silences d’apories, filles d’inconséquences et peut-être d’impasses.
Dans le domaine religieux, la notion de mérite semble renvoyer à une dialectique aux contours sinueux, encore plus “épais”. C’est que dans ce domaine, à l’instar du punching-ball qui revient à la face du frappeur avec autant de violence qu’il est frappé, la question relative à la grâce et au mérite dans l’économie du salut revient en permanence avec autant de violence qu’elle est posée comme n’ayant plus droit de cité dans l’élévation spirituelle de l’humanité. Or, nous indique Bergson, l’avènement d’un homme nouveau – ou d’une mentalité nouvelle – s’impose à l’humanité si elle veut se donner les moyens (grands ou petits) de vivre pleinement au lieu de se contenter de « continuer à vivre » et à « vivre seulement »[68]. Cet homme nouveau, cet homme à la vie simple conduisant à la joie, Bergson en trouve des précurseurs dans les héros et les mystiques. Le mysticisme se donne alors, pour lui, comme un modèle d’existence : la vie humaine telle qu’elle devait être, si elle parvenait à transcender les entraves de la matérialité. L’homme doit donc tendre à la mysticité. Car « Joie serait en effet la simplicité de vie que propagerait dans le monde une intuition mystique diffusée »[69].Mais, cette tension exige-t-elle des efforts – auquel cas elle relèverait de l’action méritoire – ou est-elle la conséquence de la bonne disposition divine – auquel cas elle serait une donne de la chance ou, selon la terminologie religieuse, le fruit de la grâce –? En d’autres mots, la mysticité relève-t-elle de l’élection par grâce ou de la rétribution de l’action méritoire ?
Nous nous intéresserons, dans un premier temps, à l’articulation des notions de mérite et de grâce en religion. Dans un second temps, il s’agira de savoir si le mysticisme et l’héroïsme chez Bergson sont méritoires ou expressions de la grâce.
I- DE L’ARTICULATION ENTRE LA GRÂCE ET LE MÉRITE EN RELIGION
La définition de la notion de mérite articule en un tout complexe, d’une part, les notions de liberté, de pleine responsabilité, de base égalitaire, de justice et de rétribution, d’autre part, les approches judéo-chrétiennes du monde face aux visions modernes et républicaines. En termes théologiques, cette double articulation revient dialectiquement au rapport entre le mérite de l’individu et la grâce divine.
1- Le mérite : enracinement éthico-religieux et déracinement laïcisant
Qu’est-ce que le mérite ? Cette question nous invite à l’exploration de la double signification d’un terme aux cadres définitionnels mal arrêtés. En son premier sens, le mérite se donne comme une reconnaissance morale et religieuse. En ce sens, le mérite est « La qualité d’une personne telle qu’elle résulte d’un ensemble d’actions qui la distinguent »[70]. Le mérite ici est entendu comme la valeur morale du sujet qui, par une somme d’actions et d’efforts particuliers, s’est distingué du commun. Cette distinction s’évalue à l’échelle d’une vie faite de bonnes attitudes, d’actes de vertus, témoignant d’une existence excellente. Et il ne s’agit pas d’une simple somme arithmétique d’actions qu’il s’agirait de rétribuer pour des efforts ponctuellement accomplis, mais de l’exemplarité d’une existence digne d’être donnée comme modèle à la communauté.
Or, cette approche du mérite donne du sujet humain une vision différente de « la vision moderne du sujet humain comme agent libre, propriétaire de sa personne, de ses actions et de leurs conséquences, évoluant dans un monde qui n’est plus le monde chrétien de la grâce et de la vertu, mais qui est celui des accomplissements et des performances »[71]. Reléguée comme désuète, cette première approche du mérite humain a cédé le relai à cette vision moderne de l’homme qui est justement au cœur du deuxième sens du mérite.
En son deuxième sens en effet, celui qui est d’usage aujourd’hui dans l’élan méritocratique de nos sociétés dites modernes, le mérite a un caractère rétributif. De son origine latine (“meror” signifiant recevoir comme part ou comme prix)[72], l’on retient avec le Littré que le mérite se définit comme « ce qui rend quelque chose digne de récompense ou de punition ». En ce sens, mettant entre parenthèses toute dimension morale, le mérite se donne comme le fait d’avoir droit à une rétribution proportionnelle à la situation dans laquelle l’on se met. L’individu est alors jugé sur la seule base de l’effort qu’il accomplit pour surclasser les autres. C’est le mérite-rétribution. Sur un point donné, l’individu peut alors être projeté au firmament de l’organisation sociale comme digne de rétribution et de reconnaissance sociale. Négligeant les circonstances, la coopération avec les autres, le facteur chance ou hasard, les héritages comme interactions avec ses ascendants, on le pose comme devenu meilleur à tous, d’égal à tous qu’il était.
Cette approche du mérite pousse les hommes dans une logique concurrentielle où seul l’effort individuel parait l’issue de secours et où le “non-méritant” (ou le déméritant) est perçu comme le fautif qui n’a pas su profiter de l’égalité de chance de réussite donnée à tous. De là, des slogans comme « Travailler plus pour gagner plus »[73], « Tout travail mérite salaire proportionnel», « Plus de travail = plus de vie, plus d’argent », « Seul l’effort paie », battent en brèche d’une part toute dimension morale dans le souci de la propulsion au sommet de la hiérarchie sociale pour se laisser guider par le seul souci de la rétribution. Or dans cette logique, le brigand qui cambriolerait une banque hautement sécurisée, aurait plus de mérite (et serait même plus digne d’une récompense) qu’un vertueux qui supporterait dignement sa misère. D’autre part, ces slogans laissent entendre le mérite sous les seules sonorités de l’individualité et de la compétition qui serait fondée sur une base égalitaire. Seulement, y a-t-il vraiment égalité de chance ?
Toujours est-il que ce double sens du mérite conduit à deux articulations divergentes portant sur le mérite et convoquant la grâce et l’égalité.
2- De l’articulation thomiste de la grâce et du mérite à l’articulation moderne de l’égalité et du mérite : l’introuvable mérite.
Dans sa Somme théologique, Saint Thomas écrit : « la valeur du mérite peut être estimée à partir de deux principes. D’abord à partir de sa racine, qui est la charité et la grâce (…) Ensuite on juge le mérite à partir de l’importance de l’acte, laquelle est double : absolue et proportionnelle »[74]. Le principe originel à partir duquel l’on peut estimer le mérite fait du mérite un fruit de la grâce divine. En cette valeur originelle ou principe essentiel, le mérite se donne comme récompense essentielle liée à l’intimité avec Dieu. Ce mérite est en fait la manifestation de la grâce d’union à Dieu. Saint Augustin parlait déjà de la grâce « qui nous unit à Dieu pour nous rendre heureux »[75]. En demeurant autant que possible dans cette union particulière et originelle dont bénéficiait l’homme avant la rupture du péché, l’homme peut accomplir sans effort particulier de grands actes méritoires. Car, la grâce divine « eût été alors plus abondante, ne trouvant aucun obstacle dans la nature humaine »[76]. Quant au principe quantitatif ou valeur de l’importance à partir duquel le mérite peut être estimé, il pose le mérite comme effort quantifiable visant un but. L’individu devant accomplir plus d’effort quand, n’étant plus sous la grâce particulière d’union à Dieu, devant aller à la (re)conquête de cette union, le caractère méritoire de l’acte devient plus important. On peut de ce fait voir pourquoi pour lui, « si l’on considère l’importance proportionnelle, le caractère méritoire se trouve plus important après le péché en raison de la faiblesse humaine »[77].
Suivant le principe essentiel ou suivant le principe quantitatif, en valeur absolue ou en valeur proportionnelle, le mérite, dans l’approche thomiste, est toujours arrimé à la grâce divine : tout mérite émane de la grâce de Dieu qui demeure à la racine de l’acte méritoire. « Quiconque possède la grâce peut progresser par le mérite »[78] écrit Saint Thomas. Il n’est donc de valeur du mérite que par grâce. Saint Thomas ne semble toutefois pas avoir une approche unilatérale du mérite comme d’une grâce passivement reçue. Une chose est qu’un généreux donateur donne, une autre que le destinataire pose l’acte de recevoir le don. N’est-ce pas que « pour qu’un homme reçoive la grâce, il est requis qu’il donne son consentement, puisque par-là s’accomplit une sorte de mariage spirituel entre Dieu et l’âme »[79] ? Le fait est, tout compte fait, que le mérite individuel devient difficile à trouver dans cette logique où les potentialités humaines viennent de la grâce divine.
Mais, si la grâce est à l’origine de tout mérite, est-elle identiquement attribuée à tous les hommes par Dieu ou n’est-elle attribuée qu’à des privilégiés ? Si pour Saint Thomas, en accord avec la tradition judéo-chrétienne, Dieu, dans sa souveraineté, accorde diversement sa grâce à qui il veut, pour notre modernité qui a été visité par les vents antireligieux des Lumières et qui s’est inscrit dans la logique d’un humanisme gommant tout référent religieux, le mérite est à concevoir sur une base égalitaire et sans référence à quelque grâce particulière.
C’est ainsi que pour notre modernité culturelle, le principe méritocratique est arrimé à ce principe fondamental des Droits de l’Homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »[80]. En effet, dans la logique du mérite-rétribution qui est au cœur de ce principe dans nos sociétés dites démocratiques, le mérite suppose une base égalitaire sur laquelle sont évalués les hommes.
Mais, concevoir le mérite sur le fondement d’une égalité de départ entre tous les hommes, n’est-ce pas gommer les potentialités naturelles comme le talent individuel et inné, les déterminations socio-économiques, les déterminations inconscientes ? Cette approche ne biffe-t-elle pas aussi le facteur chance de l’acte méritoire ? À cet effet, Yves Michaud évoque un éloquent exemple qui éveille l’esprit critique à une légitime suspicion qui pourrait peser sur les rétributions sociales de la méritocratie:
« Le héros qu’on célèbre s’est bien comporté en héros – mais il n’est pas mort dans l’action parce qu’il était trop petit pour être atteint par les tirs (chance constitutive), parce qu’il venait de recevoir l’entraînement qui lui a permis de bien réagir (chance antécédente causale), parce qu’il avait tellement peur qu’il s’est mieux dissimulé que ses camarades (chance résultante) et parce que l’ennemi était maladroit (chance circonstancielle). Quel est son mérite, même si c’est lui le survivant qu’on décore ? »[81].
Au fond, en amont comme en aval de la société humaine, l’idéal du mérite-rétribution étale l’inégalité entre les hommes. En amont, nous l’indiquions, il est un fait que des facteurs non évaluables entrent en ligne de compte dans les motivations de l’action humaine et donc que le mérite apprécié sur un fondement égalitaire échappe à la réalité. En aval, l’idéal méritocratique introduit lui-même l’inégalité par la rétribution. La conséquence de la reconnaissance du mérite, tel qu’envisagé par l’exigence méritocratique, c’est de nier l’égalité supposée au départ. Tout se passe comme si l’idéal méritocratique exigeait un fondement égalitaire pour déboucher, in fine, sur une certaine inégalité.
De ce constat que le mérite, en son fondement comme en sa finalité, se tisse sur une égalité évanescente, on serait en droit de conclure avec Ismaïl-Battish que « le mérite[-rétribution] est devenu une coquille vide »[82].Peut-être, pourrait-on le retrouver en posant que tout le monde a du mérite puisque chaque homme vaut quelque chose. Mais alors, le mérite deviendrait si diffus qu’il perdrait toute consistance par multiplication à l’infini. Comme dit Ismaïl-Battish : « la multiplication pléthorique des mérites est le produit de l’égale possession par chacun d’un titre au mérite, à quelque égard que ce soit. Le concept de mérite qui en ressort est nécessairement un concept appauvri, rétréci, introuvable »[83]. Introuvable, en effet, est ce mérite circonstancié et diffus. Introuvable encore est ce mérite qui se quête sur fond d’une plate égalité. Introuvable, enfin, paraît ce mérite oublieux des facteurs qui échappent à l’effort personnel de l’individu méritant. Le mérite semble alors fondre dans la grâce, ainsi que l’envisageait Saint Thomas.
Surgit de ce fait la question proprement théologique de l’articulation entre la grâce et le mérite : dans cette vie, comme dans la vie à venir, l’homme se hisse-t-il au-dessus du commun par ses propres mérites ou par la grâce divine ?
3- De la grâce imméritée au mérite de la grâce
L’une des pierres d’achoppement entre l’Église Catholique et la Réforme protestante luthérienne reste d’actualité aujourd’hui et dépasse les religions chrétiennes pour se déployer dans le social et le politique : le salut relève-t-il du mérite ou de la grâce ? Autrement dit, l’homme est-il sauvé par pure grâce divine ou par son mérite ?
Pour la Réforme luthérienne, le salut de l’homme relève exclusivement de la grâce de Dieu et de la foi en Jésus. Le salut n’a donc rien de méritoire. Cette thèse prend appui sur l’épître de Paul aux Ephésiens : «c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas par les œuvres, afin que personne ne puisse se vanter »[84]. De même, “la Parabole du fils prodigue”[85] et “le bon malfaiteur”[86] sauvé par le Christ à la croix attesteraient de cette gratuité du salut sans contrepartie méritoire. Le salut serait donc une grâce imméritée, et les bonnes actions accomplies par l’homme ne relèveraient que des talents que Dieu donne aux personnes justifiées par pure grâce et par la foi (ou par la foi en la grâce). Le salut ne sauraient ni s’acquérir par des biens matériels ni se négocier par des œuvres de bienfaisance : tout est grâce et fruit de la grâce obtenu par le moyen de la foi. D’ailleurs, par définition, la grâce se donne comme ce qui est accordé librement à une personne par pure bienveillance. Le Catéchisme de l’Église Catholique précise d’ailleurs que « La grâce est le don gratuit que Dieu donne afin de nous rendre participants de sa vie trinitaire et capables d’agir par amour pour lui (…). [elle] dépend entièrement de l’initiative gratuite de Dieu et [elle] dépasse les capacités de l’intelligence et des forces humaines »[87].On peut alors comprendre pourquoi Luther et les Protestants se sont opposés avec véhémence à la thèse du pélagianisme et celle du catholicisme du salut par les mérites. Mais il conviendrait de se demander si au fond la grâce nie le mérite.
Le pélagianisme est une doctrine rationaliste et naturaliste des IVe et Ve siècles, initiée par un austère moine catholique anglais, Pélage, qui considérait le libre arbitre de l’homme comme l’élément déterminant de ses possibilités de perfectionnement. Aussi minimisait-il jusqu’à la négation, la nécessité de la grâce et de la rédemption divines. Il affirmait que la grâce réside dans les dons naturels de l’homme, notamment le libre arbitre, la raison et la conscience. Pour lui, les êtres humains peuvent mener une vie vertueuse et mériter par leurs propres efforts le paradis. L’essentiel de la religion devient alors l’action morale et non plus la foi, la grâce ou les dogmes. À la suite du stoïcisme qui conduit à exercer la volonté dans la pratique du bien en vue du perfectionnement permanent et du bonheur, le pélagianisme invite à une existence ascétique qui ouvrirait les portes de l’existence paradisiaque.
Une telle position qui réduit la grâce aux potentialités du libre arbitre et de la conscience, n’est pas celle du christianisme. Aussi, au Concile de Carthage en 418, l’Église Catholique condamna-t-elle le pélagianisme comme doctrine hérétique. Selon la position catholique telle que réaffirmée par le Concile de Trente[88], l’homme participe à son salut par la foi et par des œuvres bonnes. Le salut serait alors gagné et par le mérite de la foi et par des œuvres méritoires. Ce n’est toutefois pas une reprise de l’idée de mérite-rétribution pour des œuvres ponctuelles, mais plutôt celle du mérite comme aboutissement d’une vie. S’appuyant alors sur l’épître de Saint Jacques, cette thèse consiste à dire que la foi reste morte sans œuvre qui la manifesterait : « l’homme est déclaré juste sur la base de ses actes, et pas seulement de la foi (…) la foi sans les œuvres est morte »[89]. Les œuvres méritoires participent donc au salut. La grâce reste certes disponible, mais sans le pas de la conversion agissante, elle reste évasive. Le Coran ne semble pas dire autre chose : la faveur, la grâce, ne va pas sans l’effort méritoire. En effet, « Dieu favorise de sa miséricorde qui Il veut »[90]. Mais, il faut se garder de penser que les Juifs et les Chrétiens sont des prédestinés à la faveur d’Allah, « Non. Qui se soumet à Dieu et fait le bien a son salaire auprès de son Seigneur »[91].
Comme dit Mark Shea[92], il faut bien comprendre la position du Concile de Trente et aussi la mobilité caractéristique du langage à travers l’histoire : le terme de “mérite” employé au XVIe siècle est l’équivalent pour notre langage moderne de “porter du fruit”. En ce sens, Réformistes et Catholiques s’opposent moins sur la question du mérite et de la grâce, puisque l’ouverture à la grâce conduit à porter des fruits et donc à croître en grâces et en œuvres. C’est dans ce sens qu’il convient, selon la théologie catholique, de comprendre le mérite : « le mérite est ce qui donne droit à la récompense pour une action bonne. Dans ses rapports avec Dieu, l’homme de lui-même, ne peut rien mériter, ayant tout reçu gratuitement de Dieu.(…) Les mérites des bonnes œuvres doivent être attribuées avant tout à la grâce divine, et ensuite à la volonté libre de l’homme »[93].
La grâce imméritée conduit donc à des œuvres méritoires. Bergson nous enseigne que la dichotomisation, cette tendance à concevoir dans un rapport de radicale opposition les éléments du vivant ou de l’existence, a ceci de conduire à des approches maladroites. L’action méritoire comme unique voie, autant que la grâce imméritée et exclusive, est une approche partialisée de la réalité de la relation de l’homme au divin. Grâce et mérite ne sont donc pas en réalité dans une radicale opposition. Ainsi, le mystique bergsonien, cet homme tel que devrait être l’homme et tel que l’homme devrait vivre sa relation à Dieu, peut nous instruire sur la question du mérite.
II- LE HÉROS ET LE MYSTIQUE BERGSONIENS OU L’ARTICULATION ENTRE LA GRÂCE ET LE MÉRITE
Insatisfait et mécontent de lui-même, l’homme se projette dans un idéal humain qui serait l’homme tel que doit être l’homme. Cela exige un dépassement de l’homme actuel en vue d’un homme à la mentalité renouvelée. Bergson voit cet homme nouveau dans un idéal d’hommes posés à diverses époques de l’histoire humaine. À ces hommes particuliers, il donne le nom de héros et de mystiques. En les découvrant, Bergson voit en eux une documentation de premier choix indiquant « au philosophe d’où venait et où allait la vie »[94] et le chemin que devait emprunter l’humanité. La voie mystique est donc ce que doit être la voix de l’homme s’il veut pleinement se réaliser. Mais, la question est de savoir si l’élévation à l’héroïsme et à la mysticité relève de la grâce ou du mérite. On ne saurait répondre à cette préoccupation sans, au préalable, énoncer le sens que revêtent les notions de mysticisme et d’héroïsme chez Bergson.
1- Héroïsme et mysticisme : appel à une humanité plénière
Jaspers écrit : «Comme un arbre qui s’élève très haut pousse des racines profondes, de même celui qui est pleinement un homme s’enracine profondément dans l’absolu »[95]. Bergson ne dit rien moins que cela : celui qui s’est profondément enraciné dans l’Absolu s’élève à la hauteur des véritables grands hommes. À ces hommes d’exception par qui l’Élan vital qui est au cœur de l’histoire, à diverses époques, relance la machine quand elle tend à se griser sous l’impulsion de persistants obstacles, Bergson donne les noms de héros et de mystiques. Mais, qu’est-ce que le mysticisme qui, en fait, est la source et la figure achevée de l’héroïsme ?
Dans Les Deux sources de la morale et de la religion, Bergson indique que le mysticisme est une expérience de symbiose avec le divin. Il est en son fond une expérience de Dieu qui, se donnant comme élan d’amour, envahit une personne de sorte à la conduire vers des dimensions nouvelles qui confèrent un sens nouveau à son quotidien humain. Sans être exhaustif, on pourrait noter quelques traits caractéristiques du mysticisme : l’envahissement et le ravissement de départ, la science infuse, le trempage dans l’amour divin qui est amour transcendant et le réalisme qui conduit, à terme, le mystique authentique à ne pas s’enfermer dans un moralisme et une religiosité désincarnés. Comme dit Berdiaeff,« la mystique est l’éveil de l’esprit dans l’homme, qui perçoit mieux alors le réel et de façon plus profonde que l’homme naturel ou simplement psychique»[96].
C’est que pour Bergson, au départ d’une authentique existence, il y a une expérience mystique directe ou indirecte, complète ou inachevée. Par “expérience indirecte”, Bergson entend l’expérience par laquelle quelqu’un s’ouvre à l’écho que fait en lui l’expérience directe d’une personne passée par des états mystiques et se laisse emporter par ce dernier. « William James déclarait n’avoir jamais passé par des états mystiques ; mais il ajoutait que s’il en entendait parler par un homme qui les connût d’expérience, “quelque chose en lui faisait écho”. La plupart d’entre nous sont probablement dans le même cas »[97]écrit Bergson. Chez les meilleurs des hommes, ceux qui s’ouvrent à l’intuition mystique, à ce torrent de conscience impulsé par l’Absolu ou Dieu, l’Élan arrive à sa pleine réalisation. Même là cependant, le degré de réalisation est encore lié au degré d’ouverture à l’expérience mystique. Deux ou trois figures se dégagent alors de cet enracinement mystique : le héros et les mystiques (le mystique-sage et le mystique-saint). Les héros sont des personnes qui, sans une expérience mystique personnelle, laissent la flamme mystique faire écho en elles en répondant aux appels (composés d’actes et de paroles) des mystiques, appels qui constituent une invitation adressée à chacun de laisser brûler l’étincelle qu’il porte.
Par “expérience complète ou inachevée”, il faut entendre avec Bergson qu’au fondement des diverses religions, il y a des expériences mystiques, mais que « Le mysticisme complet est en effet celui des grands mystiques chrétiens»[98]. Avec ces derniers, l’union avec le divin est totale : quelque chose de l’ardeur qui les réchauffe se trouve aisément communiqué à la religion qui trouvera en eux la source de la radicale refondation ou la création d’une nouvelle religion. À la différence du héros qui a une expérience indirecte du divin, le sage et le saint, c’est-à-dire respectivement le mystique incomplet et le mystique complet, ont vécu une expérience mystique directe :« un immense courant de vie les a saisis, ils ont reçu une vitalité nouvelle, de leur vitalité accrue s’est dégagée une énergie, une audace, une puissance de conception et de réalisation extraordinaires […]. À travers Dieu, par Dieu, ils aiment tous les hommes d’un amour divin »[99]. Aussi, des hommes particuliers surgissent-ils dans l’histoire à diverses époques et rappellent que l’existence humaine peut être vécue autrement. Ces hommes ont surmonté l’ordinaire humain et ont transcendé les cloisonnements géographiques, tribales, raciales ou religieux, ouverts qu’ils sont à l’élan divin qui les porte. Jaspers peut renchérir : «ce n’est qu’en fixant son regard sur Dieu que l’homme grandit, au lieu de s’écouler passivement dans la vaine succession de faits qui constitue la vie»[100]. Par où l’on voit que le mystique est porteur d’un monde nouveau et d’une force agissante et transformatrice.
En fait, tous les hommes portent en eux la flamme mystique. Mais comme dit Mahatma Gandhi : «Je crois que nous pouvons tous être des messagers de Dieu, mais je n’ai eu aucune révélation particulière de Dieu. Ma croyance est qu’il se révèle à tout être humain, mais nous fermons nos oreilles à la petite voix intérieure »[101]. Et pourtant, l’existence des mystiques, ceux-là qui ont su prêter l’oreille à cette voie intérieure pour laisser l’étincelle devenir une flamme, fait écho en nous, nous charme, nous réveille en nous faisant sentir la vulgarité de nos précédents penchants.
Comment alors expliquer que tous les hommes ne se laissent pas aller à cette élévation mystique ? N’y aurait-il pas des personnes élues et disposées par la nature ou par Dieu à cette élévation ? Là est le débat entre élitisme et universalisme.
2- L’élévation à l’héroïsme et à la vie mystique: élitisme ou universalisme ?
Il est à noter qu’à la question de savoir si tout le monde est capable d’accéder à l’héroïsme et au mysticisme ou si cette élévation est l’exclusivité d’une rare espèce d’individus que conduit au jour, par sa seule fantaisie, l’Élan vital dont la source est Dieu, on serait en droit de relever qu’il y a silence des textes de Bergson et du bergsonisme, du moins en termes explicites. Peut-être faut-il inclure ce silence au chapitre de ce que Merleau-Ponty considère comme cette préférence foncière que Bergson a « de couper court à certains possibles et d’arrêter le sens dernier de son œuvre »[102]. Dans la quête de ces possibles, nous pouvons être conduits ici par William Johnston dans sa Mystique retrouvée. Dans cet ouvrage en effet, l’auteur met en lumière l’opposition entre partisans de l’élitisme mystique et partisans de l’universalisme mystique, entre l’élitisme héroïque et la vocation universelle à l’héroïsme.
Ainsi, les partisans de l’élitisme posent que le mysticisme et l’héroïsme sont des dons charismatiques accordés à une petite poignée de privilégiés. Dans cette logique, il ne dépend ni de l’homme, ni des sociétés, mais de la transcendance, qu’adviennent des hommes particuliers capables de transformer la société par un potentiel d’énergie spirituelle dynamique et agissante. Ces hommes particuliers seraient animés d’une grâce particulière qui les pousserait au-devant de la scène socio-politique ou religieuse pour remplir une mission divine. Ainsi, Gandhi en Inde, Martin Luther King aux États-Unis, Emily Pankhust en Grande Bretagne, Mandela en Afrique du Sud, mais aussi et surtout Siddharta Gautama alias Bouddha pour le Bouddhisme, Jésus Christ pour le Christianisme, Mahomet pour l’Islam, sont des exemples de la réalité que l’héroïsme et le mysticisme sont de nature élitiste, selon la seule discrétion de l’Être suprême. Ce n’est donc pas tout de vouloir s’élever au-dessus du commun des mortels pour accomplir des actes héroïques et moraux, encore faudrait-il pouvoir le faire grâce à une onction particulière venant d’En-Haut. Ceux qui ont, par leur propre initiative, tenté une telle élévation n’ont pu parvenir à une fin qu’on était en droit d’espérer, ou ont simplement basculé dans des dérives immorales qui ont attesté que, sans une élection, vaine est toute tentative. L’idée ici est donc que la grâce, et non le mérite, est au cœur de l’élévation à l’héroïsme et au mysticisme.
Il en va autrement pour les partisans de l’universalisme : tout le monde est, a priori, appelé à l’expérience mystique et à la vie héroïque. Car et l’héroïsme et le mysticisme font partie du développement normal de la grâce pour qui fait l’effort de s’ouvrir à la transcendance. Dans cette seconde thèse, l’héroïsme dépend de l’homme et de sa disposition à l’ouverture. Si donc tous ne deviennent pas – et ne deviendront pas – des mystiques ou des héros, c’est tout simplement que tous n’acceptent pas de prêter l’oreille à la petite voix intérieure qui invite, comme dit Gandhi, à se faire messager de l’amour divin. Ceux qui ont accepté d’arpenter la pente glissante de l’élévation mystique, ceux qui consentent au dépouillement et aux sacrifices qu’exige le rapport au divin, sont ceux qui arrivent à cette vie particulière de leader. Il en va ainsi de toute l’existence : l’effort est proportionnellement rétribué, la relégation est le fruit de l’indolence.
Peut-être aussi faut-il simplement comprendre que les héros moraux ne sont pas si loin de nous. Comme l’a d’ailleurs vu Rousseau : «Les bornes du possible dans les choses morales sont moins étroites que nous ne pensons : ce sont nos faiblesses, nos vices, nos préjugés qui les rétrécissent»[103]. L’élévation à l’héroïsme et au mysticisme est donc universelle puisque la grâce – si tant il est que cela relève d’une grâce – est disponible pour tous. Le tout est de s’inscrire dans une logique où l’on fait des efforts pour accomplir dans la durée des actes méritoires.
Il faut toutefois noter que l’élitisme et l’universalisme, ces deux thèses apparemment antagonistes, peuvent trouver en Bergson un rapprochement.
3- L’héroïsme et la mysticité chez Bergson : une mixité de grâce et de mérite
Chez Bergson, l’élévation à l’héroïsme et à la vie mystique donne l’image de d’une pendule dont le pendule oscillerait entre la grâce et le mérite, laissant pour l’essentiel percevoir une position médiane. D’une part, l’héroïsme et la mysticité paraissent se donner comme des faveurs ne dépendant que de Dieu, source de l’Élan vital. En effet, l’Élan vital sème, dans l’histoire, des hommes d’exception qui ouvrent « une voie où d’autres hommes pourront marcher »[104].Ces autres hommes sont ceux qui accueillent l’appel de ces hommes d’exception qui fait écho en eux et se laissent conduire. Tout se passe donc comme s’il y avait d’une part des hommes d’exception posés par le divin à diverses époques de l’histoire et, de l’autre, ceux qui se laissent toucher par l’appel de ces hommes d’exception. L’élitisme– ou l’élection par grâce – se situe au premier niveau : des hommes visités par une grâce particulière. Bergson a soin de citer certaines figures de ces hommes d’exception qui ont marqué l’histoire des religions et des sociétés : le mysticisme grec avec Plotin, le mysticisme oriental avec Brahmane, Bouddha et Ramakrishna, le mysticisme juif avec les prophètes d’Israël (Ésaïe, Ézéchiel, Osée, Daniel, etc.). Il prend soin d’évoquer avec une certaine emphase les grands mystiques chrétiens : « Qu’on pense à ce qu’accomplirent, dans le domaine de l’action, un saint Paul, une sainte Thérèse, une sainte Catherine de Sienne, un saint François, une Jeanne d’Arc, et tant d’autres »[105]. Au-dessus de tous il hisse le Christ des Évangiles : « Le Christ est surhumain, c’est évident »[106].
Le mérite de tels hommes seraient non seulement de demeurer dans la grâce à eux faite par Dieu, mais aussi de communiquer aux autres la fluidité communicationnelle qu’ils entretiennent avec Dieu. Mais même là, posant des actes, ils sont comme agis par une force qui le transcende, une « énergie spirituelle »[107]qui les transcende et leur nouvelle dynamique répond à une science à laquelle ils sont comme subitement ouverts. Ainsi, l’élite trouve accueil dans le commun (l’universel), la grâce particulière s’ouvre à tous.
D’autre part, Bergson montre bien qu’en chacun se trouve une étincelle mystique qui n’attend qu’une ouverture pour devenir une véritable flamme. La vocation mystique de l’homme aspire à passer du latent au patent pour que se réalise pour chacun l’humanité dans sa plénitude. Ce que l’humanité eût été tout de suite si le poids de la matérialité n’avait freiné l’Élan vital en la majorité des hommes, c’est ce que réalisent les meilleurs des hommes : des hommes divins. L’élite est portée par chacun, la grâce divine est disponible en chacun. «Vienne alors l’appel du héros : nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons le chemin, que nous élargirons si nous y passons »[108]. C’est d’ailleurs aussi la conclusion à laquelle parvient Johnston : «Il suffit parfois de quelques conseils. Certaines personnes ont simplement besoin d’apprendre à se taire et àse laisser aspirer dans le nuage de l’inconnaissance »[109] pour parvenir à une conscience spirituelle élevée et à même de conduire le commun à cette terre méconnue qui est en réalité sa terre natale. En d’autres mots, le charme de l’existence des héros et des mystiques s’opère indéniablement dans le for intérieur de tout le monde, car tous les hommes sont des êtres moraux et, comme tels, ils s’inclinent devant la bonté morale, devant la beauté spirituelle. Une disposition d’esprit, un ferme vouloir, pourrait suffire à déclencher l’élan vers l’expérience transformatrice, sublimante du mysticisme : « ceux qui se sont inclinés de loin devant la parole mystique, parce qu’ils en entendaient au fond d’eux-mêmes le faible écho, ne demeureront pas indifférents à ce qu’elle annonce.»[110].
En somme, le héros et le mystique authentiques semblent être chez Bergson dépositaires d’une grâce particulière que sont invités à partager d’autres hommes, pouvant à leur tour être conduit à l’héroïsme et à la vie mystique. La grâce se communique et se maintient par mérite ou effort. Du mystique, Bergson écrit :
« une science, ou plutôt une innocence acquise, lui suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l’acte décisif, le mot sans réplique. L’effet reste pourtant indispensable, et aussi l’endurance et la persévérance. Mais ils viennent tout seuls, ils se déploient d’eux-mêmes dans une âme à la fois agissante et “agie”, dont la liberté coïncide avec l’activité divine.»[111].
Celui qui a vécu l’expérience mystique est comme trempé dans une force d’agissement, mais l’endurance et la persévérance lui sont nécessaires pour que librement son activité demeure en osmose avec l’activité divine. La grâce ne dispense donc pas du mérite, ni celle-ci de celle-là puisque le potentiel est donné à chacun comme un dépôt à faire fructifier. L’élévation à l’héroïsme et à la mysticité paraît dans une constante position médiane entre la grâce et le mérite. Par-delà donc son apparent silence, Bergson semble nous signifier cette position médiane entre grâce imméritée et acte méritoire.
CONCLUSION
L’articulation entre le mérite et la grâce, en religion, conduit à des débats qui invitent à une profonde méditation sur les exhortations méritocratiques de nos sociétés modernes. Cette méditation chargée de sens nous conduit à la philosophie de Bergson qui invite l’humanité à l’élévation à la vie héroïque et à la vie mystique. C’est que la mysticité et l’héroïsme, ces modes d’être, modèles d’une humanité affranchie des pesanteurs matérialistes, sont donnés comme résultant d’une oscillation, voire d’une convocation réciproque entre dispositions de la grâce divine et actions méritoires.
On voit alors que le mérite n’est jamais pur effort d’un individu isolé, mais somme de facteurs aussi divers que complexes. Dans l’exaltation du mérite, il ne faudrait pas perdre de vue en effet que c’est faire fausse route que de s’arrêter à des performances ponctuelles et à des présupposés bases égalitaires sur lesquelles on jugerait les individus. Peut-être est-ce justement parce que le mérite, n’en déplaise à l’idéologie méritocratique, ne va pas sans d’insoupçonnables contours comme des circonstances diversifiées et comme la grâce divine. En religion, comme dans le quotidien humain, le mérite n’exige-t-il pas d’être relativisé puisque n’étant jamais autosuffisant ?
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DES PERSPECTIVES ONTOLOGIQUES AUX ENJEUX SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES DU MÉRITE : L’IDÉE D’ÂMES D’ÉLITE CHEZ BERGSON
Amani Albert NIANGUI
Université Alassane Ouattara de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Bien qu’identifié à un talent naturel, le mérite relève de la reconnaissance sociale, qui, cependant, en masque l’authenticité éthico-morale. Les masques du mérite qui se déclinent en formes de mascarades sociales se jouent dans les intrigues telles qu’elles relèvent des jeux et enjeux du personnage social. Chez Bergson, au nombre des causes, il y a l’impulsion à la spatialisation et l’égocentricité de notre intelligence. Comme qualité individuelle propre à soi, le mérite apparaît chez Bergson, comme le fait de ces personnalités exceptionnelles ou âmes d’élite que sont les héros et les mystiques.
Par leurs actions singulières dans la durée, ces derniers peuvent impulser une dynamique spirituelle de perfectionnement éthico-moral à la société par-delà tous ses membres. Comment cela est-il possible ? C’est bien là, l’objectif du présent article.
Mots clés : Âmes d’élite, Durée, Intelligence, Mérite, Qualité individuelle, Spiritualisation, Spatialisation du mérite, Société, Vie intuitive.
ABSTRACT :
Although defined as a natural talent, merit comes out of social recognition which, however, covers the moral and ethical genuineness. The masks of merit which fall under the forms of social masquerade are played in intrigues as they derive from games and stakes of social character. According to Bergson, there is an impulse to spatialization and the egocentricity of our intelligence, which can be added to the number of causes. As an individual virtue specific to oneself, merit appears to Bergson as the fact of these special personalities or the elite of souls being the heroes and the mystics.
Through their particular actions in the duration, the latter can impulse a spiritual dynamic of ethical and moral improvement to the society throughout all members. How can this be possible? This is the objective of the present article.
INTRODUCTION
La poursuite, et par suite la consolidation de l’intérêt général est la finalité de tout pouvoir politique en tant qu’instance organisatrice des rapports sociaux. Cette finalité est d’une envergure politique prononcée dans les États communistes au sein desquels primauté est donnée à la collectivité. C’est certainement cela qui fait que dans lesdits États, tout se passe comme si les potentialités individuelles, étant antithétiques à l’intérêt de la communauté, il faut, au moins les baliser sinon limiter leur pouvoir désintégrateur de l’unité sociale.
Or, à vrai dire, la société comme communauté humaine n’est pas plus réelle que les individus qui la constituent[112]. C’est cette réalité qui justifie et légitime l’exigence des philosophes individualistes de prioriser les individualités pour ainsi dire leurs potentialités en termes de talents. En fait, nous ne rencontrons dans la société et « n’y observons que l’individu»[113] qui signifie que « l’individualité est un caractère fondamental de l’homme»[114] et par ricochet de la société. Du coup, nous sommes face à un paradoxe exprimé comme suite : comment la communauté peut-elle se consolider, se construire sans la mise en commun et surtout la reconnaissance des potentialités individuelles (talents) qui la constituent ?
Ainsi dit, force est de savoir que ce paradoxe nous plonge de plain-pied dans la problématique du mérite d’un point de vue social. Le mérite est ontologiquement l’entre-deux du collectif et de l’individuel en tant qu’il est la résultante d’une reconnaissance sociale et le propre d’une individualité. De cette approche du mérite qu’on dirait ontologisante, découle une préoccupation éthico-morale sous le mode phénoménologique. Cette dernière, en outre, permet de poser la question de son authenticité, de son être en soi dépouillé de toutes fausses images ou représentations sociales.
Dans la métaphysique de Bergson, le paradoxe et la question de l’authenticité du mérite qui se jouent entre la socialité (reconnaissance collective) et l’individualité (puissance personnelle), sont posés comme problèmes résolus dans sa philosophie de la durée.
Dès lors, comment dans la métaphysique bergsonienne, l’antagonisme entre le mérite en tant que qualité individuelle, peut-il se mouvoir dans l’orbite de la reconnaissance (perception) sociétale sans pour autant rentrer en conflit avec cette dernière ? L’enjeu est socio-politique et énoncé par ailleurs par Pareto pour qui, le changement social se fait sous la poussée idéologique ou intellectuelle des élites. Ici, il se résume à la préoccupation de savoir comment le mérite individuel peut profiter à la société et forger son être éthico-moral.
Au demeurant, en quel sens l’analyse du mérite, au regard de la métaphysique bergsonienne de la durée, en dévoile l’authenticité éthico-morale masquée par ses usages sociaux ?
Répondre à cette préoccupation, exige qu’on parte de la naturalité du mérite chez Bergson à partir des individualités exceptionnelles qu’il a nommées « âmes d’élite » et les héros qui les incarnent moralement et naturellement.
I- LE NATUREL DANS LA PHILOSOPHIE DU MÉRITE CHEZ BERGSON : DES ÂMES D’ÉLITE AUX HÉROS
Dans la philosophie de la vie bergsonienne, il n’y a pas de limite entre le social et le naturel ; celui-ci étant la vie qui se fait en faisant les êtres vivants. D’ailleurs, chez Bergson, et ce, dans une perspective ontologico-phénoménologique, le social et le vital sont entremêlés. Étant d’essence biologique, « le social est au fond du vital»[115] et inversement, le vital est du social. C’est que, quand on va par-delà les manifestations de l’existence sociale de l’homme en ses différentes sphères, c’est la vie même qu’on rencontre selon Bergson. !
Par ailleurs, dans le schéma métaphysique bergsonien, on peut affirmer que « le courant [de vie qui] passe [et qui traverse] les générations humaines, [et se subdivise] en individus » [116], est le principe moteur et créateur des âmes d’élite ou privilégiées. Et celles-ci « ne sont pas autre chose que les ruisselets entre lesquels se partage le grand fleuve de la vie, coulant à travers le corps de l’humanité»[117]. Il faut, en ce sens, se rendre à cette idée qu’
« un élan, qui avait donné des sociétés closes parce qu’il ne pouvait plus entraîner la matière, mais que va ensuite chercher et reprendre, à défaut de l’espèce, telle ou telle individualité privilégiée. Cet élan se continue ainsi par l’intermédiaire de certains hommes, dont chacun se trouve constituer une espèce composée d’un seul individu »[118].
C’est que l’élan vital, immanent à tous les êtres vivants, atteint une dimension intelligible avec l’homme en général, et une valeur spirituelle avec les âmes d’élite ou les mystiques en particulier. Socialement et effectivement, par leurs actions héroïques de portée éthique et morale, ils transcendent les causes particulières de l’égoïsme de notre intelligence. Le faisant, ils défendent l’intérêt de l’humanité au risque de leur propre vie.
Si tant est que ces âmes privilégiées sont issues du courant de la vie appelé élan vital, c’est que de toute évidence, il y a un naturel méritant chez Bergson tout comme chez Platon où « la suprême essence se confond avec la suprême Excellence»[119] . Cela est d’autant justifié que cet élan est cette force vitale qui anime l’énergie du vouloir de ces âmes d’élite, qui sont à la société ce que le mystique est métaphysiquement à la religion.
1- Le naturel méritant dans l’idée d’âmes d’élite chez Bergson
S’il y a une dimension naturelle dans la philosophie de Bergson quant à la notion de mérite, cela relève du fait qu’il parle d’ « âmes d’élite »[120] ou d’ « individualités privilégiées» [121] dont l’existence découle du courant de la vie qui, traversant la matière sur notre planète, fait advenir ces dernières dans l’espace social. Ce sont ces âmes privilégiées, ces individualités exceptionnelles qui, animées de l’élan vital, sont dans la direction du divin ou sont cette direction même ! Par leurs actions héroïques et bien qu’individuelles ; elles impriment à la société, alors d’essence biologique, une impulsion de spiritualité et de moralité, insigne de leur dynamisme. Et cela fait que, chez Bergson, « l’existence complète est mobilité dans l’individualité »[122].Toutefois, selon lui,
« si la société se suffit à elle-même, elle est l’autorité suprême. Mais si elle n’est qu’une des déterminations de la vie, on conçoit que la vie, qui a dû déposer l’espèce humaine en tel ou tel point de son évolution, communique une impulsion nouvelle à des individualités privilégiées qui se seront retrempées en elle pour aider la société à aller plus loin »[123].
La vie, ayant ainsi, dans son évolution, créé lesdites individualités, celles-ci ne peuvent être animées de l’intérieur que par l’élan vital originel. C’est pourquoi, les individualités exceptionnelles en question sont des « [âmes] à la fois agissante[s] et « agie[s] », dont la liberté coïncide avec l’activité divine» [124]. Et la « vitalité qu’ [elles] réclame[nt] coule d’une source qui est celle même de la vie »[125].
Dans tous les cas de figure, il est donné comme un fait incontesté que « l’individu apporte tout un ensemble de dispositions innées»[126] dans la société. Quand ces dispositions innées dépassent les limites de ce que peut (savoir) l’intelligence humaine, on est dans la règle, c’est-à-dire la norme qui produit l’Exceptionnel. Ce dernier est du point de vue épistémique, le « supra-rationnel»[127] qui suppose dépassée, l’Excellence du philosophe-roi chez Platon ! Et sur le plan anthropologique, c’est bien le supra-humain qui se donne dans la personne du mystique et ce, dans la sphère de la religion. Dans la présentation de l’âme d’élite dans la personne du mystique, il y a comme une transcendance incarnée. Le mystique est « en réalité plus qu’homme»[128] . Il n’a pas à se diviniser. Il n’a pas à se rendre semblable aux dieux par un effort intellectuel résultant de l’activité philosophique réflexive comme le suggèrent les Grecs. Il est l’incarnation de Dieu ou des dieux ! Chaque mystique tient son originalité individuelle d’une source autre qu’humaine. Et pour cause, « chacun d’eux a son originalité, qui n’est pas voulue, qui n’a pas été désirée, mais à laquelle on sent bien qu’il tient essentiellement : elle signifie qu’il est l’objet d’une faveur exceptionnelle, encore qu’imméritée »[129].
Par ailleurs, du point de vue de l’existence et, à considérer l’intention éthique qui anime l’énergie du vouloir des âmes d’élite, il y a une aspiration à l’universel. Celle-ci a toute la coloration spirituelle d’un bien voulu pour toute l’humanité sans distinction de race, d’identité culturelle et de déterminant matériel (l’avoir) contrairement à ce que ferait l’intelligence. Cette aspiration entendue comme « une poussée mystique »[130], qui est celle de l’âme ouverte, se présente comme « l’appel d’une personnalité »[131] à une conversion générale des membres de la société à une vie éthique, morale et mystique. De ces personnalités, on peut mentionner Socrate comme figure exceptionnelle unique de la philosophie ; Bouddha comme celle des religions orientales, et Jésus-Christ que Bergson nomme le Sur-mystique, comme celle de la religion chrétienne.
Il y a bien des enjeux éthique, social et anthropologique à cet appel, car « l’acte par lequel l’âme s’ouvre a pour effet d’élargir et d’élever à la pure spiritualité une morale emprisonnée et matérialisée dans des formules »[132] qui sont des produits de l’intelligence théorique en son acte réflexif.
2- L’effort de dépassement de soi comme un acte de l’intelligence
Dans l’expression ‘‘dépassement de soi’’, il ne peut s’agir que de l’acte de réflexion porté sur soi-même. C’est dans cette démarche épistémique que le sujet se prend comme objet de l’acte de réflexion qui est ordinairement le fait de la faculté d’intelligence.
Historiquement et pour se limiter à sa version métaphysique, il s’est agi de la psychologie en première personne ou psychologie philosophique des XVIII et XIXèmes siècles. Mais, pour Bergson, cette psychologie était, sinon vertement du moins, ouvertement entachée de spatialité dès lors que ladite réflexion se fait par la médiation d’une intelligence naturellement spatialisante. Étant spatialisante, elle ne peut, en conséquence, saisir les états de conscience qui sont changeants. Parce qu’imprégnés de vie incessante, les états de conscience en question, sont animés par la durée créatrice de nouveauté. Sous ce rapport, le moi fondamental (sensations, émotions, etc,) qui est le ressort métaphysique de la conscience pour ainsi dire, de celle des âmes d’élite que cette intelligence veut (devrait) saisir, par un destin de la nature, lui échappera à coup sûr. Et pour cause,
« au-dessous de la durée homogène, symbole extensif de la durée vraie, une psychologie attentive démêle une durée dont les moments hétérogènes se pénètrent ; au-dessous de la multiplicité numérique des états conscients, une multiplicité qualitative ; au-dessous du moi aux états bien définis, un moi où succession implique fusion et organisation. […]Pour retrouver ce moi fondamental, tel qu’une conscience inaltérée l’apercevrait, un effort vigoureux d’analyse est nécessaire, par lequel on isolera les faits psychologiques internes et vivants de leur image d’abord réfractée, ensuite solidifiée dans l’espace homogène »[133] .
L’homogénéisation pour ainsi dire la spatialisation de nos états de conscience, est le propre de notre intelligence réflexive. C’est ce qui fait que, chez Bergson, l’effort de dépassement de soi est en réalité, une méconnaissance de soi, c’est-à-dire une négation de l’essence d’un moi qui dure.
En effet, le moi fondamental en tant que structure métaphysique de la personnalité des âmes d’élite, ne déploie son essence véritable que dans la durée. C’est ainsi que le concept de dépassement de soi, en raison de son élan épistémique affinitaire avec l’intelligence, se réduit à une spatialisation dudit moi. Ce qui, du reste, ne peut être naturel aux âmes d’élite qui ne vivent et ne pensent qu’intuitivement, c’est-à-dire dans la durée.
L’intelligence, quant à elle, étant par nature égoïste, ne peut conduire l’individu à se dépasser, mais plutôt à se recroqueviller sur lui-même, sans être capable de s’arracher à ses propres intérêts. Or une pensée en durée qui débouche sur une vie dans la durée, est le seul gage d’un possible dépassement de soi, du moi social égocentré pour s’ouvrir à l’intérêt universel comme celui de l’humanité. C’est que l’intelligence doit être dépassée. Et pour se dépasser, du point de vue bergsonien, celle-ci doit être gagnée par l’intuition.
En effet, dans son envergure anthropologique, le dépassement de soi qui équivaut qualitativement à la conversion de l’intelligence à l’intuition, vaut une mutation ontologique de l’individu. De l’homme ordinaire mû par l’intelligence, on passe à l’homme semi-divin appelé personnalité mystique. Mais la réalité est que notre vie sociale, stade destinal de notre intelligence, souffre de la pesanteur de spatialité de cette dernière.
Tout compte métaphysique fait, il faut comprendre dans une perspective bergsonienne, et en envisageant les choses dans un contexte ontologique, que « la vie sociale [est] immanente […] à l’intelligence»[134]. Cette réalité de rang ontologique fait que le mystique (âme d’élite) vivant en société, se trouve en droit de livrer un combat contre la spatialisation qui dénature à la fois le mérite et lui-même. Et pour cause, « les personnalités créatrices, géniales, peuvent sentir de grandes difficultés dans leurs relations avec le monde de la banalité quotidienne, être en conflit avec elle, mais en même temps comprendre en elle le monde »[135].
Le comble est que le mérite qui est naturellement donné aux âmes d’élite, est vu comme une valeur entièrement sociétale. Il apparaît comme posé-là devant soi, dans la matérialité de l’existence et se donne comme prêt à être ‘‘cueilli’’ par n’importe quel individu. Il est devenu pour ce faire, objet de quête et de conquête pour ainsi dire de convoitise. Le mérite est socialement déterminé, valorisé sous le rapport d’indices et de paradigmes matériels. Il est ainsi dévoyé, perdant en conséquence, sa valeur éthique et spirituelle.
Nous inscrivant dans une perspective bergsonienne, nous devons alors comprendre que l’intelligence, égoïste et structurée par la matérialité, est la principale cause de cet état de choses dans l’univers social qu’elle tisse. C’est ce que nous avons appelé le moment de la spatialisation du mérite, de sa banalisation-‘ ‘désélitisation’’, si on peut le dire ainsi.
II- DE LA QUÊTE D’UNE IMAGE SOCIALE PERSONNELLE COMME MOMENT DE SPATIALISATION DU MÉRITE CHEZ BERGSON
Le mérite est une qualité individuelle propre aux élites. Que son origine soit naturelle ; toujours est-il qu’il s’enracine dans un environnement social donné autant que les élites sont définies sociologiquement par rapport aux autres groupes sociaux. C’est qu’on est méritant et en position élitaire qu’en relation hiérarchique aux autres tout comme l’égoïsme qui est en soi révélateur d’un amour-propre, ne peut l’être qu’en référence aux autres. Le mérite est, ainsi, l’entre-deux de l’individuel et du collectif. Ainsi entendu, on pourrait dire, en langage phénoménologico-ontologique sartrien, que le mérite est l’en-soi et le pour-soi de l’homme en situation existentielle dans la société.
D’un point de vue socio-logique, nous pouvons évoquer cette réalité en des termes que Léon Philip a employés pour rendre compte d’une idée nietzschéenne selon laquelle l’individuation procède (ou tire son énergétique) de notre rapport avec autrui, comme le ressentiment lui-même. Il s’agit de ce qu’il a appelé l’« alter- égoïsme. »
1- L’alter-égoïsme comme fondement social du mérite individuel
En ruinant le cogito cartésien en sa forme extrême du solipsisme, Sartre indiquait que la conscience de soi ne peut se faire sans la médiation de l’autre conscience. La réalité ontologique est que l’affirmation du ‘‘Je’’ est non seulement contemporaine de celle d’un autre ‘‘Je’’, mais aussi et surtout en procède et en découle nécessairement. Le ‘‘Moi’’ autant que le ‘‘Je’’, ne peut s’auto-poser sans que soit ‘‘intra-posé’’ en toute conscience ou imaginairement, un autre Moi. Robinson Crusoé, ‘‘seul’’ sur son île en sait quelque chose, lui qui sait selon Bergson, que la société vit en lui. D’où il suit que le mérite reconnu à soi est fonction du non-mérite de l’autre.
La détermination et l’expression sociales du mérite se jouent sous le rapport de l’alter-égoïsme. Analysé dans ce sens, le mérite de l’individu perd sa valeur intrinsèque dès lors qu’il devient relatif à l’autre. C’est de là, que ce dernier devient le point à partir duquel les images sociales du mérite naissent en prenant pour centre notre égoïsme, produit de notre intelligence. On assiste, en ce sens, à une sorte de« sublimation sociale de l’égoïsme»[136] et du mérite de l’individu. Elle se joue essentiellement sous le rapport de l’idée que « l’égoïsme […] pour l’homme vivant en société, comprend l’amour-propre, le besoin d’être loué, etc., […] » [137].
Notre égoïsme qui procède de notre intelligence, bien que naturel, découle phénoménologiquement d’une relation de co-présence. Il suffit « qu’on songe à tout ce qu’il y a de déférence pour autrui dans ce qu’on appelle amour de soi, et même dans la jalousie et l’envie»[138], pour comprendre cela ! Et le développement de nos potentialités intellectuelles semble procéder de cette réalité sur la base de laquelle, Thomas Armstrong parle à bon droit, d’intelligence interindividuelle[139]. C’est ce qui fait qu’il est impossible que « celui qui voudrait pratiquer l’égoïsme absolu [s’enferme] en lui-même, et ne [se soucie] plus assez du prochain pour le jalouser ou l’envier»[140] . Ce sont les réalités phénoménologiques et ontologiques de l’alter-égoïsme qui ne manquent pas de dévoyer le mérite.
Allons plus loin pour appréhender le mérite dont la qualité est fonction ici, artificiellement de l’alter-égoïsme, sous un angle de négativité. En effet, dans le jeu conflictuel des rapports sociaux (choc des égoïsmes), on arrive à comprendre pourquoi les personnalités d’élite, mystiques ou non, ont toujours suscité, par leur être, leur vision et leurs actions, la haine ou la jalousie autour d’elles. Le mystique, personnalité de mérite, est jalousé en dépit de son intention éthique et ses actions de portée morale et spirituelle profitables à l’humanité tout entière. S’il est jalousé et méprisé et souvent victime d’ostracisme, c’est en raison de sa supériorité sur les autres ; supériorité reconnue, mais en même temps rejetée par ces derniers. C’est que la supériorité des âmes d’élite est seulement lue par les autres sous le prisme de leur propre égoïsme qui se voit dépassé. On va dès lors, assister à la naissance du complexe d’infériorité que Nietzsche appelle le ressentiment[141] qui provoque la haine des uns et des autres contre les âmes d’élite. C’est qu’en réalité, « il entre de la sympathie dans ces formes de la haine […]»[142].
Sous le rapport de l’admiration pour les âmes d’élite (privilégiées) et non plus de celui de la haine, l’individu va s’ouvrir à la quête du mérite pour un repositionnement social. Il veut se forger une personnalité dans l’intention d’être une élite pour-soi, si on peut le dire ainsi ! Et par tous les moyens et très souvent, par des voies intrigantes et éthiquement biaisées, on court après le mérite. Celui-ci devient objet de quête pour ainsi dire de conquête sociale.
Bergson explique cette réalité comme le fait de notre intelligence, qui, tournée vers l’extérieur, ne manque pas de nous livrer à un spectacle qui relève du mimétisme social (snobisme). Le mérite est ainsi arraché à sa racine spirituelle. Il se ‘‘désontologise’’ dans la mesure où il perd ses caractères naturel et individuel. C’est la spatialisation du mérite selon Bergson sous le rapport du schématisme socialisant (sociomorphisme) de l’intelligence. Comment comprendre cela ?
2- Aux fondements métaphysique et ontologique du mérite social : les images sociales ou la spatialisation du mérite
Entre les notions d’âmes d’élite et de mérite, il y a au moins une continuité, sinon une relation ontologique, ou pour employer une expression de Bergson, « une compénétration réciproque. » Mais, cela n’est justifié que dans un contexte où l’âme d’élite étant donnée naturellement, il en résulte des qualités qui relèvent du supra-humain. C’est l’Exceptionnel qui excède l’ordre social normal. C’est ce que dans les sociétés traditionnelles africaines, on évoque en termes d’ ‘‘âme de génie’’. Ce sont ces personnalités de génie dont le quotient intellectuel dépasse la norme propre à l’homme qui, socialement, forment une classe d’élites.
Par ailleurs, autant les personnalités d’élite suscitent la haine des uns, autant elles sont objets d’admiration des autres. Mais une chose est d’admirer et une autre est de vouloir être autant admiré que « d’être loué»[143] par les autres. Cette ambition personnelle ouvre la voie à la poursuite des honneurs et qui selon Platon, est cause d’injustices. Toute ambition personnelle suscite une auto-attribution du mérite. Il y a dans celle-ci, le désir de se faire passer pour le meilleur, pour ce qu’on n’est pas en réalité. Ce désir a pour moteur souterrain, notre égoïsme. Sous son impulsion, l’individu, dans son retour à soi, est poussé à vouloir apparaître sous l’image sociale d’une autre personnalité. L’individu joue socialement sa personnalité sous le mode du personnage et ce, sur le registre de ce qu’il n’est pas et surtout de ce qu’il ne mérite pas, naturellement. Et si c’est notre égoïsme qui en est le moteur, c’est que notre intelligence y est pour une grande part. L’intelligence qui est, selon Bergson, la vie regardant dehors, est finalement le moteur métaphysique de cette socialisation-spatialisation du mérite. Celle-ci nous renvoie dans le schéma bergsonien, à des images sociales du mérite qui épousent nos ambitions personnelles. En fait, « la raison en est que notre vie extérieure et pour ainsi dire sociale a plus d’importance pratique pour nous que notre existence intérieure et individuelle »[144]. Le mérite vu sous cet angle, est en profondeur, dénaturé. Comment comprendre cela ?
En effet, dès lors qu’il est ontologiquement lié à notre intelligence spatialisante, le mérite restitué ainsi dans cette forme socialement artificialisée, n’émane plus de notre moi profond. Socialisé et résultant de l’élan de spatialisation de notre intelligence, le mérite est détaché de notre moi fondamental et par voie de conséquence, de notre personnalité profonde. Il est étranger à notre être parce que surdéterminé par notre « existence-chose »[145]. Apparaissant dans ses formes sociales, le mérite n’a plus sa valeur authentiquement individuelle. Il est vrai que le mérite est de qualité avant tout individuelle. Mais ce qui est capital chez Bergson est qu’on doit accorder une importance à sa source. C’est cette dernière qui détermine sa nature.
Deux sources sont indiquées : il y a celle qui dérive du moi profond de nos états de conscience et il y a celle du moi social arrimé à notre intelligence. Bien qu’entre le moi profond et le moi social (superficiel), il y ait une différence ontologique de taille, Bergson admet qu’en raison de ce qu’on pourrait appeler la dynamique sociale de notre intelligence, celui-ci contamine celui-là. C’est de ce point de vue que le mérite individuel mis en rapport avec l’intelligence spatialisante (ou socialisante), va dépendre ontologiquement du moi social. Or en fait, celui-ci n’est que le moi profond pris dans le prisme de la spatialité. Et pour cause, « comme le moi ainsi réfracté, et par là même subdivisé, se prête infiniment mieux aux exigences de la vie sociale […], elle le préfère, et perd peu à peu de vue le moi fondamental»[146] . Ici, le mérite perd sa qualité spirituelle et éminemment individuelle. Perdant ladite qualité, il va devenir une réalité phénoménale et revêtir une nature banale. En conséquence de cela, il tombe dans le domaine de l’impersonnel pour ainsi dire de l’inauthentique.
L’enjeu d’une telle dénaturation du mérite sous le rapport de la théorie de la durée bergsonienne est ontologique et de portée sociétale. La vie évolutive atteint son expression la plus haute avec l’homme et ce, dans la vie sociale. Mais, force est de savoir qu’avec ce dernier, elle perd de sa spiritualité en raison du fait qu’elle est ontologiquement structurée par l’intelligence spatialisante. C’est ainsi que le mérite subsumé sous les penchants de l’intelligence socialisante, est arraché à sa source vitale qui innerve en lui, sa valeur éthico-morale. Sous ce rapport, on verra que c’est de l’extérieur social que le mérite est évalué pour ainsi dire dévalué. Il est réduit à des groupes élitaires tel que cela se saisit, par exemple chez Guy Rocher qui désigne l’élite comme comprenant
« les personnes et les groupes qui, par suite du pouvoir qu’ils détiennent ou de l’influence qu’ils exercent, contribuent à l’action historique d’une collectivité, soit par les décisions qu’ils prennent, soit par les idées, les sentiments ou les émotions qu’ils expriment ou qu’ils symbolisent »[147].
Par ailleurs, en réduisant le mérite à l’individualité et en envisageant son procès comme celui d’une individuation ainsi qu’on le voit chez Nietzsche, il devient porteur d’un désir de domination. De qualité, il passe pour être un privilège qui peut revêtir des colorations racistes, ethnicistes, avec une teinte anthropo-religieuse : celle de la race ou de l’ethnie élue. Un tel mérite n’a pas un fondement spirituel puisqu’il est déterminé par l’intelligence spatialisante, mécanique, égoïste. On doit savoir et se rendre bien compte qu’en raison de son penchant égoïste, c’est « […] l’intelligence [qui] sépare l’homme de ses frères»[148], et juge ses rapports avec ces derniers sous le sceau de l’intérêt matériel. Son mérite est surdéterminé par son intelligence égoïste. Subissant l’étreinte de la spatialité et de l’égoïsme de l’intelligence, le mérite, dès lors qu’il se déploie hors de la durée, ne peut viser le bien de la cité.
III- VIE DANS LA DURÉE ET CRÉATION DE SOI DES ÂMES D’ÉLITE CHEZ BERGSON : PERSPECTIVES ONTOLOGIQUES ET ENJEUX SOCIO-ANTHROPOLOGIQUES DU MÉRITE
La philosophie bergsonienne est une théorie de la vie évolutive. Son axe métaphysique central est la théorie de la durée, avec l’élan vital comme son centre métaphysique d’effusion. Les moments ontologique, épistémique et socio-anthropo-religieux de la philosophie bergsonienne de la vie évolutive sont tributaires de sa théorie de la durée. C’est ainsi que dans la perspective heuristique de notre interrogation en direction de la notion de mérite envisagée dans sa relation socio-anthropologique, religieux et ontologique avec le concept bergsonien « d’âmes d’élite », nous sommes dans la philosophie bergsonienne de la durée.
Si en effet, l’intelligence, par une impulsion de la vie évolutive, nous porte à vivre et à penser dans et par l’espace social, l’intuition, quant à elle, nous conduit à une vie dans la durée. Cette réalité ontologico-épistémique a une portée sociale d’enjeu anthropologique : l’intelligence dessine la courbure sociale de l’homme ordinaire dont l’existence, en affinité avec la matérialité, donne au mérite qu’il a, d’être dévoyé. L’intuition, quant à elle, révèle la tension épistémique de l’âme de tout individu, qui, par une sorte de destin métaphysique résultant de l’évolution de la vie, fait de lui, un mystique. L’existence de ce dernier, en osmose avec la durée, essence de la vie évolutive, fait de son mérite, une réalité de rang spirituel. Traduit en actes sociaux, ledit mérite a une visée universelle. Par cela seul celui-ci dépasse en qualité le mérite dont l’architectonique est fondée sur l’intelligence spatialisante. Tout cela est redevable chez Bergson, à la distinction théorique qu’il fait entre l’espace et la durée.
Toutefois, que cette distinction soit théorique ou pas, toujours est-il que, réellement, ainsi que Frédéric Worms l’a si bien vu, « la distinction entre la durée et l’espace n’est pas seulement une distinction théorique mais, […] elle a aussi d’emblée une portée pratique ou encore qu’elle intervient dans notre vie même […] [et] renvoie ‘‘à deux modes de vie ou deux façons de vivre’’ […]»[149].
Mais, la réalité est que l’homme ordinaire (intelligent), est soumis à la pesanteur de la spatialité naturelle de son intelligence. C’est cela qui fait que le mérite, pour briller de sa splendeur ontologique, doit être arraché à la spatialisation, à l’élan naturel de l’intelligence humaine. Il s’agit, par un effort d’intuition, de vivre dans la durée. Et cela nécessite avant tout, en raison de l’intimité entre la pensée et l’action, qu’on pense en durée pour mieux agir et révéler notre mérite en sa profondeur et teneur spirituelle intrinsèques. Il est question, en effet, selon une expression de Worms, de « faire gagner l’intelligence par l’intuition»[150] . En fait, « la pensée sociale ne peut pas ne pas conserver sa structure originelle. Est-elle intelligence ou intuition ? [Il faut] bien que l’intuition y fasse filtrer sa lumière : il n’y a pas de pensée sans esprit de finesse, et l’esprit de finesse est le reflet de l’intuition dans l’intelligence»[151].
1- De l’exigence de penser en durée : la nécessité de faire gagner l’intelligence par l’intuition
Les personnalités exceptionnelles (âmes d’élite) chez Bergson ne sont pas extérieures à leur existence sociale. Ce qu’elles vivent intérieurement, elles le manifestent extérieurement. Ce qu’elles font, dépasse les discours, les tours et tournures dialectiques de l’intelligence raisonnante. C’est ce qui fait qu’on peut dire que faire gagner l’intelligence par l’intuition est une simple exigence épistémique chez Bergson. Pour lui, l’activité philosophique est en arrière-plan, « un effort pour réabsorber l’intelligence dans l’intuition […] »[152]. Mais, quoiqu’il en soit, ledit effort ne peut être le couronnement de la vie mystique. Il est son éveil. Cela, parce que notre intelligence est enracinée dans la matérialité (spatialité) dont les corollaires sociaux sont les comportements égoïstes, les sentiments de haine et par suite le rejet de l’autre.
Tout bien considéré, si le mystique devrait réfléchir à son action, c’est-à-dire, adopter la démarche de l’intelligence égoïste, il n’agirait pas pour se sacrifier pour l’intérêt communautaire. Raisonnant toujours sur ce qu’elle fait, l’intelligence « se demandera pourquoi elle le fait»[153] . Elle dirait : « Assez de sacrifices ! Le moment est venu de penser à soi » [154].
En réalité, contrairement à ce que disent les philosophes, l’intelligence, en sa rationalité même, ne peut donner à l’homme de surmonter ses propres passions, ses intérêts et viser l’universel. Au contraire, elle l’y accroche …irrésistiblement. Moralement, et à considérer les choses sous un angle éthique, il ne peut y avoir, contrairement à ce que pensait Cavaillès, d’héroïsme qui procède de notre raison (intelligence), car à la vérité, « l’intelligence conseillera d’abord l’égoïsme »[155]. Et « c’est de ce côté que l’être intelligent se précipitera si rien ne l’arrête»[156].
Toutefois, en affirmant que nous ne sommes pas condamnés aux déficiences de l’intelligence , Bergson se place d’un point vue ontologique pour ce qui est du rapport entre l’intelligence et l’intuition. Déjà, il asserte que du point de vue de l’évolution de la vie, aucune tendance entendue comme faculté (instinct, intelligence et intuition), n’est et ne demeure à l’état pur. Elles se compénètrent comme les états de conscience. Si tel est le cas, on comprend pourquoi, selon lui, l’homme peut, par un effort réflexif de l’intelligence elle-même, « […] réveiller les virtualités d’intuition qui sommeillent encore en elle»[157].
2- La vie des âmes d’élite (de mérite) dans la durée comme élan spirituel et éthique créateur de soi par soi et de la société
La philosophie bergsonienne entendue comme une gnoséologie, a pour objectif d’opérer le dépassement d’un mode de penser et de connaissance qui ne permet pas de saisir l’essence du temps en sa structure psychologique et métaphysique comme durée. En son enjeu métaphysique et existentiel, il s’agit de vivre la durée comme création de soi par soi et par extension de transformer éthiquement la société. Il est question en cet objectif précis, de soustraire cette dernière à l’élan de spatialisation de l’intelligence et restituer l’authenticité de certaines valeurs civique, morale et éthique, entre autres le mérite. En conséquence, l’exigence gnoséologique apparaît comme un impératif épistémologique qui est qu’on « [érige] l’intuition en méthode philosophique »[158].
De ce point de vue, et pour ce qui est de notre sujet, l’intuition qui est envisagée par Bergson comme une méthode idoine à une connaissance vraie du réel mouvant, est celle des privilégiés comme les âmes d’élite, héros et mystiques. Elle leur donne, en effet, accès à une connaissance vraie de la durée. Le faisant, elle leur permet de participer effectivement à l’élan de transformation éthico-morale des individus asservis à une intelligence qui opère un nivellement des valeurs par le bas, par la matérialité. Il est question spécifiquement dans le programme gnoséologique bergsonien, de
« […] montrer dans quelle mesure il y a lieu de réformer et parfois d’écarter la pensée conceptuelle pour venir à une philosophie plus intuitive. Cette philosophie, […] [nous] détournera le plus souvent de la vision sociale de l’objet déjà fait : elle nous demandera de participer en esprit à l’acte qui le fait. Elle nous replacera donc, sur ce point particulier, dans la direction du divin. Est proprement humain, en effet, le travail d’une pensée individuelle qui accepte, telle quelle, son insertion dans la pensée sociale, et qui utilise les idées préexistantes comme tout autre outil fourni par la communauté. Mais il y a déjà quelque chose de quasi divin dans l’effort, si humble soit-il, d’un esprit qui se réinsère dans l’élan vital, générateur des sociétés qui sont génératrices d’idées »[159].
Au regard de ce qui précède, on admet que chez Bergson, l’exigence épistémique de penser en durée s’accompagne de celle de vivre et d’exister dans cette dernière. C’est pourquoi, « la connaissance, dit-il, cesse d’être un produit de l’intelligence pour devenir, en un certain sens, partie intégrante de la réalité»[160]. C’est sans doute, ce qui fait que chez Bergson, il est moins question de penser (intellectuellement) la durée que de la vivre … intuitivement ! Or, vivre intuitivement, c’est participer à l’aventure créatrice de la durée dont les mystiques, ces âmes (personnalités) d’élite qui prolongent l’élan vital, sont capables. Leur intelligence a subi, par un effort intuitif, une sorte de (trans)mutation ontologique. On sait aussi avec Bergson, que, « si la frange d’intuition qui entoure [l’] intelligence s’élargit assez pour s’appliquer tout le long de son objet, c’est la vie mystique»[161]. On passe ainsi d’un plan théorico-métaphysique de la durée créatrice telle que l’élan vital la promeut, à son incarnation dans le réel social à partir de la personne élitaire du mystique.
En effet, le creuset métaphysico-social de l’expérience mystique est ce que Bergson a appelé, la religion dynamique en tant qu’elle est créatrice de société ouverte, « rêvée de loin en loin, par des âmes d’élite […]» [162] .Et pour cause, « les vrais mystiques [qui] s’ouvrent au flot qui les envahit […], […] se révèlent grands hommes d’action […]»[163] dont la tendance éthique est « de diviniser le social » [164].
Dans le programme métaphysique général du mystique et en sa dimension pratico-existentielle, il est question de répondre à la préoccupation-ci : « […] comment l’individu peut juger la société et obtenir d’elle une transformation morale »[165], éthique et spirituelle de tous ses membres ? Cela est pour tout mystique, un impératif existentiel, une mission divine qui le hante. Il veut trouver dans la société, des porte-étendards de ses actions. D’ailleurs, « si la parole d’un grand mystique, ou de quelqu’un de ses imitateurs, trouve un écho chez tel ou tel d’entre nous, n’est-ce pas qu’il peut y avoir en nous un mystique qui sommeille et qui attend seulement une occasion de se réveiller »[166] ?
Au demeurant, parce que l’élan mystique créateur et transformateur, a un effet de contagion du fait qu’il est fondamentalement celui d’émotion (et) d’amour,
« c’était de ne pas rêver pour l’élan mystique une propagation générale immédiate, évidemment impossible, mais de le communiquer, encore que déjà affaibli, à un petit nombre de privilégiés qui formeraient ensemble une société spirituelle ; les sociétés de ce genre pourraient essaimer ; chacune d’elles, par ceux de ses membres qui seraient exceptionnellement doués, donnerait naissance à une ou plusieurs autres ; ainsi se conserverait, ainsi se continuerait l’élan jusqu’au jour où un changement profond des conditions matérielles imposées à l’humanité par la nature permettrait, du côté spirituel, une transformation radicale »[167].
En effet, chez Bergson, les problèmes sociaux sont tributaires de l’intelligence en ce qu’elle est spatialisante pour ainsi dire séparatrice des hommes entre eux. Et si elle sépare les hommes des uns des autres, c’est parce qu’elle les arrache par son mode de connaître et d’être, de la source créatrice et régénératrice qu’est l’élan vital. C’est ainsi que certaines valeurs élitaires individuelles comme le mérite ; une fois qu’elles sont soumises au schématisme de cette même intelligence, elles perdent de leur spiritualité et de leur éthicité. Et pour cause, « l’homme ne peut exercer sa faculté de penser […], il ne peut réfléchir à ce que la nature lui demande, en tant qu’elle a fait de lui un être sociable, sans se dire qu’il trouverait souvent son avantage à négliger les autres, à ne se soucier que de lui-même »[168].
Il faut rétablir le mérite dans sa source spirituelle qu’est l’élan vital. Il s’agit de conduire la société à l’unité. Cet objectif doit faire appel à des actions qui impliquent les hommes à vivre dans une communion d’amour. L’amour en question est essentiellement et manifestement une émotion vitale et spirituelle qui devra affecter les membres de la société tout entière. Et cela, parce que chez Bergson, « l’émotion est une concentration de l’âme dans l’attente d’une transformation »[169]. Et l’amour en tant qu’émotion spiritualisante, est la vie dans la durée ; de cette durée dont la source est Dieu, envisagé comme vie incessante.
Cet amour devenu émotion devra être insufflé au mérite. Et ainsi, l’attitude orgueilleuse ou alter-égoïste qui surdéterminait le mérite porté par l’homme intelligent, va être dépassée. L’amour empreint d’émotion spirituelle et animant l’âme du mystique, affectera, dans son effusion, tout le corps social. Le mérite qu’il porte en son être, parce que structuré par ledit amour, sera ‘‘contagieux’’ par son exemplarité. Libéré de sa coquille sociale créée par notre intelligence spatialisante, le mérite dont le mystique est le porte-étendard, va être alimenté à la source de la vie, à savoir l’amour de Dieu. C’est ce qui fait que le mérite du mystique affranchi de la propension spatialisante de l’intelligence égoïste, et exprimé dans la société de mystiques, est revêtu de qualité spirituelle. Celle-ci est l’amour en son effectivité éthique. Extériorisé, il n’est plus limité au moi égoïste et orgueilleux de l’âme close : « grande est au contraire son humilité. Comment ne serait-il pas humble, alors qu’il a pu constater dans des entretiens silencieux, seul à seul, avec une émotion où son âme se sentait fondre tout entière, ce qu’on pourrait appeler l’humilité divine »[170] ?
Animé par l’élan vital exprimé dans la vie intuitive (ou dans la durée), le mérite du mystique est ouvert. Par son âme qui s’ouvre et « [qui continue et prolonge] ainsi l’action divine »[171] et ce, contre la matérialité de l’existence sociale produit de l’intelligence, le mystique rentre dans une communion spirituelle avec le corps social et ce, sous le rapport d’un amour de soi vécu dans celui des autres: « union et communion supposent le degré maximum de communauté spirituelle »[172]. Cela est possible au mystique, personnalité de mérite, car « l’amour qui le consume n’est plus simplement l’amour d’un homme pour Dieu, c’est l’amour de Dieu pour tous les hommes. Et ainsi, la société entière tire bénéfice de son mérite, car ce dernier n’est plus surdéterminé par les penchants égocentriques et séparateurs de notre intelligence spatialisante.
CONCLUSION
Le mérite est vraisemblablement une qualité individuelle. Tout compte fait, bien que son expression soit sociale, il n’en demeure pas moins que la question de son essence remontant à celle de son origine, lui soit pendante. Son essence, ainsi couplée à son origine, conduit à des enjeux métaphysiques à partir de ses expressions socio-anthropologiques.
Toutefois, si la problématique de son authenticité est posée en même temps que celle de son origine pour ainsi dire de son originalité, c’est en raison de la valeur éthico-morale qui lui est corrélative. Sous ce rapport, l’analyse du mérite elle-même n’a de mérite (valeur, sens) que si elle l’inscrit dans une démarche heuristique où est prise en compte son essence. Cela nous donne l’avantage de dévoiler ses fausses images qui lui sont socialement accolées et qui, à n’en point douter, le travestissent.
En trouvant un point d’ancrage au mérite dans la philosophie bergsonienne, on voit que sa qualité est fonction des facultés d’intelligence et d’intuition, produits naturels de l’évolution de la vie. Or la thématique de la qualité d’une chose ne peut se poser chez Bergson qu’en sa relation ontologico-épistémique avec la durée en opposition naturelle avec la spatialité. En conséquence, la qualité intrinsèque du mérite qui, chez Bergson, ne se laisse saisir que dans une vie intuitive, va se jouer entre la vie sociale de l’homme intelligent et celle du mystique. Le mérite surdéterminé par notre intelligence spatialisante et souffrant de son égoïsme naturel, est source de divisions et d’inertie du corps social.
En revanche, le mérite animé de l’intérieur par la vie intuitive, est facteur d’unité et de progrès social. La vie intuitive, par son envergure spirituelle en raison de son origine et surtout de son affinité avec l’élan vital (Dieu), est porteuse d’amour que le mystique manifeste pour toute l’humanité. Et c’est en cela que le mérite du point de vue bergsonien, est d’essence éthique et évangélique. Il est en ce sens, comme tension de l’âme humaine vers une spiritualité plus haute qui arrache l’humanité aux pesanteurs matérielles et séparatrices de notre intelligence égoïste. Mais, si « l’élan d’amour qui [porte les mystiques] à élever l’humanité jusqu’à Dieu et à parfaire la création divine ne pouvait aboutir, à leurs yeux, qu’avec l’aide de Dieu dont ils [sont] les instruments[173] », n’est-ce pas parce que « les grands mystiques […] se trouvent être des imitateurs et des continuateurs originaux, mais incomplets, de ce que fut complètement le Christ des Évangiles » [174] [?]
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages de Bergson
BERGSON, Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, P.U.F, 1961.
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Autres ouvrages
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BERDIAEFF, Nicolas, 5 Méditations sur l’existence, traduit du russe par Irène Vildé-Lot, Paris, Aubier, 1936.
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ROCHER, Guy, Introduction à la sociologie générale, le changement social, Montréal, Éditions HMH, 1968.
LES PARADOXES ÉPISTÉMOLOGIQUES D’UNE DISCUSSION AUTOUR DU MÉRITE DU “NON” BACHELARDIEN
Stevens BROU Gbaley Bernaud
Université Alassane Ouattara de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
L’une des discussions actuelles autour de l’épistémologie bachelardienne est le paradoxe du mérite du “non”. Si d’ordinaire dans les discussions philosophiques, épistémologiques, c’est celui à qui la communauté scientifique dit oui qui est applaudi, qui a du mérite. Gaston Bachelard propose plutôt de s’intéresser à celui à qui l’on dit “non”. Car, il a plus de mérite. Cette idée de mérite du “non” suggère, chez lui, une dialectique, une reconstruction, une fécondité, un remaniement et un surrationalisme. Le “non” n’est finalement adressé qu’à celui qui a du mérite parce qu’il introduit des paradoxes qui favorisent le progrès scientifique.
Mots clés : Communauté scientifique,Discussion, Épistémologie bachelardienne, Fécondité, Mérite du “non”, Paradoxe.
ABSTRACT :
One of the current discussions around epistemology of Bachelard is the paradox of the merit of “not”. ¶ So usually in the philosophical discussions, epistemological, it is that with which it scientific community said yes which is applauded, which has merit. ¶Gaston Bachelard rather proposes to be interested in that with which one says “not”. ¶Because, it has more merit. ¶This idea of merit of “not” suggests, at his place, dialectical, a rebuilding, a fruitfulness, a rehandling and a surrationalism. “¶Not” is finally addressed only to that which has merit because it introduces paradoxes which support scientific progress.
Keywords : Scientific community, Discussion, Epistemology of Bachelard, Fertility, Deserve “not”, Paradox.
INTRODUCTION
Les grandes doctrines qui jalonnent l’histoire de la philosophie et des sciences ont le mérite de se poser en s’opposant les unes aux autres. De ce mouvement sortiront des doctrines majeures sans cesse renouvelées tels que le positivisme logique qui est une révision du positivisme, l’existentialisme qui conteste l’essentialisme, l’héliocentrisme qui renverse le géocentrisme. Ces oppositions incitent à penser une certaine négativité marchande des productions cognitives. Certains aspects des doctrines tentent, de façon claire, de discréditer le mérite des autres formes de connaissances. Contre le continuisme, Gaston Bachelard affirme que « lorsqu’on cherche les conditions psychologiques des progrès scientifiques on arrive à la conviction que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique »[175]. Dès lors, le continuisme se voit supplanter par le discontinuisme qui prône un progrès scientifique par rupture.
Ainsi, des idées qui ont du mérite, c’est-à-dire dignes d’estime et de récompense, de même que les connaissances couramment acceptées, des thèses qui apparaissent évidentes, des affirmations qui avaient passé jusque-là pour des vérités incontestables, deviennent des idées discutables. « Une expérience ne peut être neuve que si elle contredit l’expérience ancienne »[176]. La contradiction suppose que dans la connaissance, il y a un paradoxe qu’il faut relever. En ce sens, il est judicieux de s’intéresser à la connaissance qui dit non qu’à celle qui continue ou prolonge le même débat. Le oui, ici, doit être abandonné au profit du “non”. Ce “non” porte sur la généralité, mais ne détruit pas le cas particulier. Quelle est donc la place du “non” dans la recherche épistémologique ?
Cette recherche, qui s’inscrit dans la perspective du déconstructivisme[177], vise à analyser d’abord la dialectique épistémologique comme précurseur du “non”. Ensuite, il s’agit de relever les paradoxes du “non” à travers le surrationalisme. Enfin, elle aura pour but de mettre en évidence la place prépondérante du mérite du “non” dans la dynamique de la connaissance scientifique.
I- DIALECTIQUE ÉPISTÉMOLOGIQUE COMME PRÉCURSEUR DU PARADOXE DU “NON”
La dialectique épistémologique révèle un paradoxe qui catalyse la recherche. La connaissance n’est pas figée. La vérité d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. La contradiction est un paradoxe parce qu’elle est à la fois positive et négative. Cette contradiction est positive en ce qu’elle maintient l’esprit dans un permanent état de mouvement. Le paradoxe et la contradiction sont le moteur des mouvements qui rythment l’évolution de la connaissance scientifique, en déterminent l’orientation. De ce point de vue, la dialectique épistémologique prépare déjà le chercheur à accepter les différents enjeux scientifiques du non, qui consiste à « descendre de conséquence en conséquence jusqu’à la conclusion dernière »[178] pour une approche diversifiée des faits. Le oui côtoie le non sont les deux faces constitutives d’un même rhème de la réalité : la dialectique. Cependant dans cette marche, l’esprit dialectique est plus attentif au “non”, parce que selon Bachelard, il a plus de mérite que le oui. Il est porteur d’espoir : il ouvre la recherche à d’autres éventualités. Dans cette perspective, le “non” a un sens particulier dans l’épistémologie bachelardienne.
1- Sens et principe du mérite du “non” chez Bachelard
Parler du sens du “non”, chez Gaston Bachelard, revient à circonscrire le champ de la connaissance. Bachelard fonde son épistémologie sur l’histoire de la pensée scientifique. Dans cette épistémologie historique le “non” se signale comme symptôme d’une connaissance en voie de sa rationalisation. Par conséquent, une notion dont le profil épistémologique n’a pas encore dépassé l’analyse réaliste ne peut mériter le “non”. « En effet, la négation d’une notion prouve à nos yeux, le caractère rationnel de cette notion. On ne dialectise pas un réalisme »[179]. Une connaissance qui n’est pas à un niveau d’abstraction ne peut mériter le “non”, car elle n’offre pas la possibilité d’une intellection dialectique du phénomène. Le “non” consiste en la dialectisation d’une notion. Il montre que cette notion a franchi quelques étapes du profil épistémologique. Il certifie sa transition du réalisme naïf à l’empirisme, du positivisme au rationalisme et au rationalisme discursif.
Le “non” se déploie sous deux formes différentes : l’une compréhensive et l’autre extensive. En d’autres termes, le principe du non est la silhouette de l’unité plurielle de la substance qui conduit à une diversité d’axes de recherche. Cette pluralité, chez Bachelard, n’est pas un signe négatif. De cette manière, il ne doit pas être perçu comme un cancer intellectuel mais comme l’expression de la fertilité du “non” dans sa volonté de découvrir le réel dans sa complexité. « Le non est pour tout dire la découverte d’une autre histoire. C’est faire naviguer le passé de la connaissance sur l’eau de sa propre dette de l’infini »[180]. Le “non”, une invitation à une approche multipolaire ou interdisciplinaire voire transdisciplinaire du réel, concourt au progrès de la connaissance.
Le “non”, chez Bachelard, consiste à complexifier la grille de lecture du réel. Comme le physicien, le “non” « essaie de provoquer, de compléter le phénomène, de réaliser certaines possibilités que l’étude mathématique n’a pas décelé. Ce qui retient l’attention dans la négation, c’est la marque d’une essence et d’une nouvelle forme, et, en tant que préalable à une nouvelle connaissance »[181]. Autrement dit, les théories scientifiques, d’une certaine manière, n’arrivent pas à expliquer tout le réel. « La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres »[182]. Ces théories scientifiques confinent le réel dans leur conception en l’orientant dans une seule et même direction à telle enseigne qu’elles n’autorisent pas la diversité d’analyses. Dire non à une connaissance, à un concept ou à une pensée, c’est « augmenter la garantie de créer scientifiquement des phénomènes complets, de régénérer toutes les variables dégénérées ou étouffées que la science où la pensée naïve, avait négligées dans la première étude »[183].
De la sorte, l’un des principes du “non”, c’est la rupture avec l’ancien esprit scientifique qui instaure une logique de non contradiction et qui consacre une analyse restrictive du réel. L’ancien esprit scientifique qui est statique réduit les possibilités d’appréciation du réel puisqu’elle écarte des aspects qui ne rencontrent pas l’adhésion de la communauté scientifique. L’ancien esprit scientifique sélectionne des aspects du réel qui, selon lui, participe à la compréhension du réel et rejette ces autres aspects, considérés comme “non” instructifs. L’ancien esprit scientifique étouffe ainsi certaines variables du réel. Dans cette mesure, le “non” vient autoriser et consacrer une vision hostile des phénomènes. Un phénomène peut se présenter sous plusieurs aspects contradictoires comme l’électron qui est un corpuscule qui peut être à la fois fixe et ondulatoire. Si tant est que le “non” épistémologique se présente comme un nouveau savoir, il est à comprendre qu’il concourt à la reconstruction du savoir. C’est dans ce sens que l’épistémologie non cartésienne « est un axe dynamique de la mécanique cartésienne (…) elle ajoute à sa compréhension la mécanique newtonienne »[184]. Le “non” est une ouverture sur une autre connaissance. Pour comprendre le cartésianisme renouvelé, le “non” y ajoute du newtonisme. Il est une négation de la négation de la complémentarité.
La philosophie du non procède, en principe, de la fusion d’une connaissance et de sa propre synthèse. « En physique, la thèse et l’antithèse sont complémentaires »[185]. . La connaissance dès sa conception donne les preuves de son existence et s’engage à faire des expériences multiples et longues. Avec le “non”, le repos n’a pas d’avenir. Il ne suffit pas à une connaissance d’avoir raison, mais il faut qu’elle ait raison contre une autre connaissance. C’est dire que l’histoire des sciences est une histoire de production, de structuration et de déstructuration du savoir et même du savoir scientifique. « Un être se rend libre en se consumant pour se renouveler, en se donnant ainsi le destin d’une flamme en accueillant surtout le destin d’une sur-flamme qui vient briller au-dessus de sa pointe »[186]. Autrement exprimé, dans la vie et dans la connaissance, il y a des choses à renflammer. Seul le “non” peut rendre dynamique la connaissance en la restructurant et en la reconstruisant. Le “non” paraît finalement comme une reconstruction du savoir.
2- “Non” et reconstruction du savoir
Le “non” bachelardien a le mérite d’avoir un effet prolifique. Il permet de mener une analyse diversifiée du phénomène scientifique. Il n’est pas négatif dans la mesure où, il incite à la reconstruction des faits scientifiques en vue de faire évoluer la connaissance. C’est la raison pour laquelle Paul Ginestier considère le “non” comme une richesse pour la science. À ce propos, il écrit : « il enrichit considérablement les domaines conquis, rehausse leur potentiel de vie et les rend plus apte à engendrer de nouveaux progrès »[187]. Autrement dit, le “non” est considéré comme une reprogrammation de la construction du savoir, une réinterprétation de la vérité sans laquelle le savoir stagnerait. Sans le “non” comme destruction et reconstruction, la lumière du savoir s’étiole, s’éteint presque. « Il y a des expériences qu’on aurait jamais songé à réaliser, si l’on n’avait pas prévu a priori leur possibilité en se confiant à d’autres formules développées »[188]. Ce qui sous-entend que pour Bachelard, sans le “non”, il n’y a pas de dialectique possible.
Le “non” permet, dans la reconstruction, une alternance entre un rationalisme qui pose ses idées a priori et un empirisme qui est a posteriori. Le non établit une complémentarité entre le rationalisme et l’empirisme. C’est justement le sens que revêt l’expression “rationalisme appliqué” qui met en relief la nécessaire collaboration du rationalisme et de l’empirisme dans la construction d’un savoir de type scientifique. La démarche épistémologique adoptée par Bachelard à travers le “non” est une démarche constructive. Une connaissance ou une notion incapable de se synthétiser reste toujours en contact avec « la formulation première »[189]. Autrement dit, le “non” offre une autre perception qui n’est pas forcément le contraire de la première, mais plus étendue que la première qui prend en compte ce qui, dans la construction, avait été omis. De la sorte, le mérite du “non” se saisit comme une construction perpétuelle donnant ainsi un dynamisme à la science.
Au fond, il convient de noter que le “non” bachelardien est une conscience de l’incomplétude de notre connaissance du réel, des concepts, condition logique de la construction et de la reconstruction du savoir scientifique. En faisant du “non” un concept de révision où s’intègre le concept antérieur à l’intérieur d’une conception nouvelle, il n’y a pas de contradiction mais plutôt restructuration. En ce sens, il y a contraction et non contradiction. « Ainsi la géométrie non-euclidienne enveloppe la géométrie euclidienne, la mécanique non-newtonienne la mécanique newtonienne, la mécanique ondulatoire enveloppe la mécanique relativiste »[190]. Le “non” bachelardien projette de reconstruire le savoir en ne niant pas les bases premières de cette construction. Dire non, chez Bachelard, c’est avoir le mérite de contribuer à la reconstruction du savoir en élargissant les bases de la connaissance. La philosophie du non se veut un approfondissement de la connaissance superficielle dans le but de construire un savoir de type scientifique.
Le “non” bachelardien, en procédant par la remise en cause des connaissances antérieures, aboutit à la conclusion suivante : « la doctrine traditionnelle d’une raison absolue et immédiate n’est qu’une philosophie, c’est une philosophie périmée »[191]. C’est une invite de l’épistémologue à abandonner les schémas doctrinaires fondés soit sur la raison, soit sur les sens pour une explication qui prend en compte tous les aspects possibles du phénomène. La méthodologie qui consiste à procéder par la remise en cause des connaissances antérieures, aboutit à une explication surrationaliste[192] et complexe du phénomène. Ce surrationalisme se veut ouvert et réformateur. Il concourt à la construction des faits scientifiques intégrant à chaque stade de son évolution des nouveautés. Dans ce contexte, grâce au “non”, la raison devient un idéal régulateur qui « crée une structure correspondant à la structure du savoir. La raison doit se mobiliser autour d’articulations qui correspondent à la dialectique du savoir »[193]. En tant que principe régulateur, la raison va reconstruire les faits permettant ainsi d’adopter une attitude nouvelle qui concilie la démarche d’une philosophie faite de remise en cause, de négation et de reconstruction.
En somme, le “non” bachelardien né de sa conception dialectique est un mouvement de réforme de la connaissance sans fin. Toute connaissance incapable de se dialectiser n’est pas une. Dans ce mouvement, le non apparait comme un mérite, une richesse intellectuelle qui implique un renouvellement perpétuelle connaissance. Le “non” apparaît comme un facteur d’élargissement de reconstruction du savoir. Tout savoir affecté de ce facteur négatif devient positif. En cela il a du mérite, car la contraction est enrichissante.
II- LE “NON” OU LE PARADOXE DU MÉRITE DE LA CONTRACTION
La négation bachelardienne est la résultante d’une dialectisation de son rationalisme, ce “non” n’est pas l’expression d’une contradiction, mais plutôt celle de la mobilité irréversible propre aux opérations les plus essentielles de la raison. La contradiction est un mérite. Elle est constructive. C’est elle qui engendre la négation et la contraction. Le “non”, chez Gaston Bachelard, prend des proportions à travers le surrationalisme eu égard à sa fécondité. « Ce qui caractérise le surrationalisme, c’est précisément sa puissance de divergence, sa puissance de ramification »[194]. Le “non” est une prise de conscience d’une conscience nouvelle de ce que la raison doit transcender l’originel empirisme pour tendre vers le surrationalisme, faisant ainsi de « l’histoire des sciences, l’histoire des défaites de l’irrationalisme »[195]. C’est de cette négation (du non rationalisme) que l’on parviendra au surrationalisme.
1- Le “non” rationalisme ou le surrationalisme
Selon Gaston Bachelard, « tout progrès de la philosophie des sciences se fait dans le sens d’un rationalisme croissant, éliminant à propos de toutes les notions le réalisme initial »[196]. Autrement dit, l’objectif du surrationalisme est de pousser l’analyse rationnelle au-delà de la réalité tangible. De ce fait, l’évolution de la connaissance scientifique s’opère à travers une mathématisation croissante du réel ; elle s’exprime par une extension toujours plus grande du domaine de la rationalité. La mathématisation de la réalité met en relief le développement des connaissances qui présage une ouverture sur de nouveaux possibles marquant ainsi, l’état d’inachèvement des connaissances qui reste toujours approximatif. Dès lors, le non du rationalisme doit se comprendre comme une amplification du rationalisme. En d’autres termes, le surrationalisme en disant non au rationalisme ouvre d’autres pistes de réflexions par étirement du rationalisme. « Notre surrationalisme est donc fait de système rationnel simplement juxtaposés. La dialectique ne nous sert qu’à broder une organisation rationnelle par une organisation surrationnelle très précise. Elle ne nous sert qu’à virer d’un système à un autre »[197]. Cet étirement de la raison permet de saisir toutes les possibilités à l’arrière-plan de l’organisation rationnelle qui, en s’assouplissant dit non à l’expérience rigide et lui propose la voie de l’ouverture ou du surrationalisme. « En ce sens, c’est par le possible qu’on découvre le réel »[198]. Autrement exprimé, c’est par une voie rationnelle ou réelle que l’on découvre la voie du surrationalisme.
Le surrationalisme est conçu comme un non rationalisme dont le but est d’assouplir la raison que Gaston Bachelard qualifie de trop rigide. En effet, Bachelard en insistant sur l’évolution et la plasticité des principes de la raison veut que la raison soit discutable en ses principes. C’est le non rationalisme et la non souplesse de la raison qui conduisent au surrationalisme. « Le mot surrationalisme représente par rapport au rationalisme un enrichissement et une revitalisation »[199]. Le surrationalisme a le mérite de fournir une description plus exacte et plus commode. « Nous en tirons la conséquence pour placer le surrationalisme au-delà du rationalisme comme un assouplissement du rationalisme »[200]. Bachelard ne veut pas que la raison reste exclusivement dans l’abstraction coupée de l’expérience. La raison doit chercher, au contraire, à s’adapter et à se faire valoriser dans l’application.
Lorsque le rationalisme se fourvoie en voulant tout décrire, il faut lui adjoindre un non rationalisme. De ce point de vue, l’épistémologie bachelardienne révèle un nécessaire rapprochement entre le rationalisme et l’empirisme. Cette corrélation est nécessaire pour faire progresser la science. Telle est la raison qui a poussé Gaston Bachelard à écrire Le rationalisme appliqué et Le matérialisme rationnel. Il insiste sur la nécessité de rendre applicables les travaux rationnels. Sans doute, les difficultés dans l’application des théories élaborées est à comprendre comme un véritable test de la raison. « Pour le rationalisme scientifique, l’application de la raison n’est pas une défaite, mais un compromis »[201]. Autrement dit, la raison ne se renie pas, mais elle se dialectise. « La pensée, en effet, change avec des expériences nouvelles : celles-ci à leur tour, actualisent l’ensemble des théorèmes »[202]. Dire non au rationalisme n’est pas limitatif. C’est plutôt donner des raisons à la raison de mériter le “non” et se dialectiser. On comprend alors que dire non, c’est avoir le mérite d’assouplir la raison en l’appliquant. « Si nous cherchons à développer la philosophie du non correspondant aux progrès actuels de la pensée mathématique, il nous faudrait corriger et dialectiser un à un tous les éléments de l’intuition »[203]. Le non rationalisme est une analyse pluridimensionnelle de la réalité que Gaston Bachelard appelle la philosophie dispersée.
2- Le non comme fondement de la philosophie dispersée
Le “non” a le mérite de faire advenir ce qu’il convient d’appeler la philosophie dispersée de Gaston Bachelard. Purifiée de l’intention, la raison « augmente les possibilités des synthèses conceptuelles »[204]. Ce qui signifie que la réalité s’offre sous divers angles de perceptions. Chaque hypothèse scientifique, chaque problème à analyser, chaque expérience réclame sa philosophie. La philosophie dispersée soutient qu’on peut fonder une philosophie du détail épistémologique. Cette philosophie permettrait de mesurer le devenir d’une pensée qui correspondrait à la transformation de la pensée réaliste en une pensée rationaliste. C’est là justement qu’intervient le “non”. En fait, pour Bachelard, l’objet scientifique se révèle sous plusieurs formes conformément aux philosophies qui les sous-tendent. Il apparaît donc impossible que la pensée humaine puisse saisir qu’une seule philosophie. « Une seule philosophie est donc insuffisante pour rendre compte d’une connaissance peu précise. Si l’on veut bien dès lors poser exactement la même question à propos d’une même connaissance à différents esprits, on verra s’augmenter étrangement le pluralisme philosophique de la notion »[205]. Même s’il s’agit d’une science, étant donné qu’elle est soutenue par plusieurs idéologies, celles-ci auront des perspectives différentes. En conséquence, le “non” et la dispersion vont de pair.
Le mérite du “non” dans la philosophie dispersée est de donner lieu à la naissance de plusieurs sous-disciplines à partir d’une discipline. « Une des activités de la connaissance est la recherche de la négation partielle de la négation fine. Seule la négation fine fait penser »[206]. Par négation fine, Bachelard entend le “non” qui, en dispersant, rassemble. La dispersion se fait ici dans l’unité. Le “non” unit ce qu’elle disperse « la généralisation par le non doit inclure ce qu’elle nie »[207]. Avec le “non”, les frontières entre les disciplines tombent. « La division classique qui séparait la théorie de son application ignorait cette nécessité d’incorporer les conditions d’application dans l’essence même de la théorie »[208]. Ce n’est pas du côté de la séparation qu’il faut étudier l’activité scientifique, mais du côté de la dispersion dans l’unité. La dispersion à l’avantage d’être productive dans la mesure où « elle ne tend qu’à organiser une chimie plus générale, une panchimie, comme la pangéométrie tend à donner le plan de toutes les possibilités d’organisation géométriques »[209]. Le “non” suscite un regard critique qui permet d’organiser ou de voir les choses autrement. Par sa nature, le “non” autorise la dispersion mais une dispersion constructive et féconde. Dans le divers, la connaissance se reconstruit dans l’unité. « D’autres constructions sont possibles et les nouvelles constructions scientifiques comme la relativité, la théorie des quanta, la mécanique ondulatoire ou la mécanique de Dirac ne contient pas la connaissance vulgaire, mais naissance critique et d’une réforme »[210]. S’il n’y avait pas de “non”, ni de dispersion, il n’y aurait, à aucun moment, de changement de système et ce serait la sclérose de la connaissance scientifique.
Le “non”, chez Bachelard, ne consiste qu’à rejeter les éléments de dégénérescence en vue de préconiser l’ouverture sur d’autres horizons, il permet dans la dispersion de voir les réalités sous d’autres angles. « Le non est ce qui régule notre démarche et notre attitude cognitive »[211]. Dans pareilles circonstances, le non se présente, dans l’épistémologie bachelardienne, comme une philosophie dispersée et pluraliste. « Les progrès scientifiques éclatent de toute part, faisant nécessairement éclater l’épistémologie traditionnelle »[212]. Cette pensée de Gaston Bachelard peut être considérée comme le résumé substantiel de la philosophie du non et de la philosophie dispersée, c’est-à-dire la mise en chantier d’une philosophie de la rupture. Les différents systèmes de pensée sont souvent inaptes à décrire la réalité à l’ère du nouvel esprit scientifique. L’analyse révèle que chaque progrès de la science entraîne une modification de la pensée scientifique. C’est pourquoi, à chaque connaissance née ou naissante, l’épistémologie ou la philosophie des sciences doit être en mesure d’analyser cette activité en réclamant une orientation nouvelle qui n’est possible que par le “non”. « Pour suivre la pensée scientifique, il faut réformer les cadres rationnels et accepter les réalités nouvelles »[213]. Cette acceptation et cette ouverture du rationalisme passent par une négation des connaissances nouvellement apparues.
Dans l’épistémologie bachelardienne, l’ouverture du rationalisme renvoie à la philosophie du non. L’ère de la relativité est celle de l’ouverture des connaissances. À « l’ère de la relativité (…) le concept va s’ouvrir »[214]. Avec la relativité, la notion de masse ne sera plus perçue comme une notion simple. « La masse, posée jadis par définition comme indépendante de la vitesse, comme absolue dans l’espace et dans le temps, comme juste base d’un système d’unité absolue, est une fonction compliquée de la vitesse. La masse d’un objet est donc relative au déplacement de cet objet »[215]. La notion, autrefois perçue comme une notion simple devient, avec l’ouverture des concepts dans la dynamique du “non”, un concept pluraliste qui ne peut se comprendre qu’en rapport avec sa vitesse et même avec les mathématiques. Le concept de masse devient un concept mathématisé. Grâce à l’ouverture, l’épistémologie du non conduit à un non-newtonisme de la masse. « La mécanique de la relativité est nouvelle car si un corps gagne de la vitesse par rapport à nous, nous verrons sa masse augmenter »[216]. La formule mathématique qui donne E=m.c2 signifie que la masse d’un corps est la mesure de l’énergie qu’il contient. La lettre C désigne la vitesse de la lumière et comme cette vitesse est énorme, il y a une énorme énergie de la matière. Tout devient, avec le “non”, la dispersion et l’ouverture complexe. C’est pourquoi, pour Olivier Roy, « le concept est un travail, ce n’est pas une trouvaille »[217].
Le “non” n’est pas une contradiction, mais un cheminement vers le surrationalisme. Avec ce nouvel esprit scientifique, toutes les connaissances doivent s’ouvrir. Or, dans l’épistémologie bachelardienne, l’ouverture est synonyme d’un enveloppement d’une connaissance plus dynamique. Le “non” a le mérite d’accoucher d’autres disciplines qui élargissent le champ de la connaissance antérieure. Avec le “non”, nous sommes dans une dynamique profonde du progrès.
III- FÉCONDITÉ ET PROGRÈS SCIENTIFIQUE : LE MÉRITE DU “OUI … MAIS”
Pour Gaston Bachelard, la fécondité de la science réside dans la négation. C’est par la négation correctrice de ses erreurs, que la science progresse. « Tout réel progrès de la pensée scientifique nécessite une conversion. Les progrès de la pensée scientifique contemporaine ont déterminé des transformations dans les principes mêmes de la connaissance »[218]. La nouvelle pensée qui naît n’est pas un prolongement de l’ancienne, mais un remaniement. En même temps qu’elle dit oui à l’ancienne, elle s’y oppose. Le “oui… mais” est un changement de vecteur lisible dans le passé et l’avenir de la connaissance. L’ancienne connaissance a le mérite, malgré la négation, d’être dans la nouvelle comme un substrat nouveau. « Il ne faut pas oublier qu’en fait presque tout nouveau domaine objectif découvert contient l’ancienne et les nouvelles lois »[219]. De ce qui précède, on comprend que la nouvelle loi ou vérité est un remaniement de l’ancienne.
1- Le mérite du “oui… mais” comme un remaniement de la vérité
En réformant l’esprit scientifique pour lui inculquer la philosophie du non, l’on accorde une chance à la science de mieux pénétrer la nature, afin de découvrir la richesse qui se retrouve dans le phénomène. Grâce à la philosophie du non, initiée par Gaston Bachelard, le scientifique peut découvrir la multiplicité sous l’unité apparente des phénomènes. C’est le “non” qui atténue la certitude illimitée de la vérité afin d’offrir d’autres visions possibles. Selon Bachelard, « un seul axiome dialectisé suffit pour faire chanter toute la nature »[220]. La dialectique prend ici la valeur du “oui… mais”, voire du non ; elle fait éclore la vraie nature de la réalité en remaniant la vérité. Ce remaniement met en relief les erreurs contenues dans les connaissances anciennes.
« L’ancienne philosophie chimique qui donnait une primauté à la notion de substance, qui attribuait à la substance des sortes de qualités transitives, l’énergie cinétique, l’énergie potentielle, la chaleur latente (…) mesurait mal la réalité. L’énergie est aussi réelle que la substance et la substance n’est pas plus réelle que l’énergie »[221].
Il va sans dire que la science, dans le but d’être efficace, doit remanier constamment ses bases et prendre en compte la substance et l’énergie dans la construction de la vérité.
La vérité scientifique se construit par obstacle surmonté. Un obstacle épistémologique, dans la mesure où il empêche de saisir la réalité, doit être surmonté. Le scientifique, pour ce faire, est appelé à saisir la vraie nature des choses. Il ne peut remanier le phénomène, ni la réalité, mais doit changer ou revoir sa manière d’aborder les vraies questions de la nature. C’est la raison pour laquelle, « en toutes circonstances, l’immédiat doit céder le pas au construit »[222], c’estle constructivisme. La construction permet à chaque vérité de remanier la vérité à venir en disant non à ce qui va être un obstacle épistémologique. Le remaniement est un acte de réorganisation dont la finalité est de mettre la vérité en mouvement à travers la capacité de poser de bonnes questions, de former de bonnes hypothèses qui élargissent toutes les données de l’expérience. « Un rationalisme élargi ne peut se satisfaire d’une rectification partielle. Tout ce qui rectifie la raison la réorganise »[223].
La conception bachelardienne du remaniement doit se comprendre comme une pensée sérieuse qui réorganise la vérité et tout le processus qui y conduit. Bien penser le réel, n’est-ce pas profiter de ses ambiguïtés, c’est-à-dire saisir le phénomène dans tous ses aspects ? Mais cela ne signifie pas que la vérité découlant du phénomène est un acquis. Il convient dans ce contexte d’être toujours vigilant pour susciter de nouvelles analyses plus rationnelles. C’est ce qui vaut ces consignes de Bachelard : « Au fond, le progrès de la pensée scientifique revient à diminuer le nombre des objectifs qui conviennent à un substantif et non point à l’augmenter. On pense scientifiquement des attributs en les hiérarchisant et non pas en les juxtaposant. »[224] Le remaniement des faits revient à écrire l’histoire comme un compte à rebours. Et, il consiste à faire de l’épistémologie une exploitation des faits par récurrence. Le mérite du remaniement est clairement défini par Bachelard dans L’Activité rationaliste de la physique contemporaine comme « une histoire qui part des certitudes du présent, se construit progressivement sans oublier son passé »[225]. Dans le remaniement, la vérité ne se construit pas définitivement, mais progressivement par la révision constante de ses bases. Elle est appelée à réviser constamment ses bases. Le scientifique, pour remanier la vérité, part d’abord des faits présents pour comprendre le passé. Il s’agit dans les faits de la découverte par remaniement ou par falsification et même par vérification. La vérification de la connaissance passée par le présent peut désormais autoriser la légitimité de cette connaissance.
Le remaniement consiste à mettre des faits en avant dans la construction de la vérité. Avant tout, il faut accorder une importance aux instruments dont la vérité scientifique dépend, car « on pourrait déterminer les différents âges d’une science par la technique de ses instruments de mesure »[226]. Le savant doit avoir une haute considération des instruments de mesure. C’est eux qui indiquent ce qui est vrai ou faux dans le remaniement. « Le savant croit au réalisme de la mesure plus qu’à la réalité de l’objet. L’objet peut alors changer quand on change de degré d’approximation »[227]. Certains remaniements ont été possibles grâce à l’instrumentation. La théorie de l’héliocentrisme, la théorie de la relativité, la découverte des cellules et des tissus, par exemple, ont été possibles grâce aux remaniements des instruments. Ce qui paraissait simple, clair à l’œil nu s’est révélé comme complexe et ambigu. Les instruments déterminent le défi de remaniement de la connaissance. « Au fur et à mesure que les instruments s’affineront, leur produit scientifique sera mieux défini. La connaissance devient objective dans la proportion où elle devient instrumentale »[228]. Ce qui signifie que l’univers scientifique n’est pas prédéterminé à la découverte. Le savant doit chercher à fournir suffisamment d’efforts, par des actes de constructions, de reconstructions et de remaniements, pour aboutir à un résultat. C’est en modelant la réalité qu’il parvient à construire la vérité. Dans ce travail, il est aidé par les instruments de mesure. Le remaniement de la vérité a le mérite de faire progresser la science par une rationalisation accrue.
2- Enjeu du mérite du “non” : rationalisation et progrès scientifique
Le profil épistémologique saisit l’objet scientifique sous plusieurs angles. Du coup, l’un devient le multiple, l’unité devient dispersée. L’on perçoit diversement ce qui est uni. Chaque équation réclame une philosophie puisque d’après Bachelard, il y a un foisonnement d’idées philosophiques dans le développement de l’esprit scientifique. Dans une telle situation de confusion, l’enjeu du mérite du “non” est d’établir une rupture entre les conceptions traditionnelles (philosophie traditionnelle ou l’ancien esprit scientifique) et la philosophie du nouvel esprit scientifique afin de penser « le multiple dans l’un »[229]. Penser le multiple dans l’un renvoie à déterminer une philosophie différentielle au sein de la philosophie intégrale des philosophes. Autrement dit, c’est autoriser une diversité de philosophies qui concourent chacune à la quête de la vérité. Cette dispersion des philosophies permet de construire le fait scientifique en le faisant passer du réalisme au rationalisme et même donner à ce fait une formule mathématique. Chaque philosophie conceptualise et généralise la connaissance scientifique. Cette pluralité est un gain pour la science dans la mesure où, elle aide à élargir le corps de postulats sous ses diverses possibilités. « Ils ont alors parfaitement compris le sens philosophique nouveau d’un corps de postulats conséquemment la possibilité de formation dialectique »[230]. La différence peut être perçue ici comme une richesse. Cela signifie que dire non, c’est donner des occasions d’engager les aspects constructifs en vue du progrès scientifique.
Le mérite du “non”, prôné par Bachelard, laisse éclater la vérité. La contradiction qu’elle porte a pour objectif d’instaurer la remise en cause, de sorte qu’à l’issue de la vérification, les erreurs puissent être rectifiées dans le sens du progrès scientifique. La vérité est alors à chercher au cœur du rationalisme qui devient un rationalisme appliqué et au cœur du matérialisme qui devient un matérialisme rationnel. « L’esprit et le monde construisent conjointement l’esprit et le monde »[231]. Cette nécessaire collaboration est synonyme de progrès scientifique. « Trop souvent le savant se confie à une pédagogie fractionnée alors que l’esprit scientifique devrait viser une réforme totale »[232]. Autrement dit, c’est en réformant la pensée scientifique et en changeant les habitudes qui nous maintiennent collés aux faits qu’on amorce le progrès scientifique. « Pour suivre la pensée scientifique, il faut réformer les cadres rationnels et accepter des réalités nouvelles »[233]. La vérité n’est accessible qu’à un esprit réformé qui a pris la peine de revenir sur des connaissances antérieures. « La pensée scientifique repose sur un passé à réformer. Elle est essentiellement en état de révolution continuée. Elle vit actuellement d’axiomes et de techniques, c’est-à-dire de pensées et d’expériences qui ont fait, dans une extrême précision leurs preuves de validités »[234]. Pour arriver à cette précision, la négation a prévalu. « Il n’y a qu’un seul moyen de faire avancer la science, c’est de donner tort à la science déjà constituée, autant dire de changer sa constitution »[235].
En toute circonstance, l’immédiat doit céder la place au construit. La construction des faits par la raison augure du progrès scientifique de sorte que l’esprit, se pliant aux conditions de l’expérience, cède en elle une structure correspondant à la structure du savoir. « La connaissance scientifique est la réforme d’une illusion »[236]. Aussi, est-il important de souligner que le diagnostic de cette pensée donne à percevoir le progrès comme le raffinement des hypothèses vers une rationalisation plus poussée. L’esprit, dans la rationalisation critique ce qu’il croit savoir, c’est-à-dire tout ce qui nuit à l’élaboration de nouveaux concepts. L’histoire des sciences, en ce qui concerne le progrès, est fragmentée, pleine de ruptures, de coupures et de décalages. Le progrès, grâce à la philosophie du non, est toujours en travail, il n’a pas un sens unique ou un but ultime. « Le progrès scientifique est alimenté par le non et l’imaginaire »[237].
La rationalisation sans cesse de la science est un procès constitutif de la connaissance. Contre l’illusoire stabilité, Bachelard invite la science à se dépasser, « à dépasser ses propres frontières »[238]. De cette auto-transcendance, comme une surrationalisation, procède le progrès scientifique. Ainsi, « la cohérence rationnelle finit par primer l’évidence »[239]. C’est pourquoi, selon Bachelard, sur la voie du progrès, aucune connaissance ne peut se faire gloire de son statut. En ce sens, il est impossible de penser la richesse d’une connaissance quel que soit son mérite. Nous critiquons, dit Bachelard, « ceux qui ont du mérite pour montrer que les frontières de la connaissance sont des frontières opprimantes et illusoires »[240]. Dès lors, la critique ou le “non” doit faire disparaître ces frontières pour qu’advienne le rationnellement polémique, c’est-à-dire « la défaite de qui fut une certitude première »[241]. À vrai dire, le progrès scientifique est une rationalisation sacrificielle sans fin.
CONCLUSION
De ce parcours réflexif sur le mérite du « non » épistémologique, il se dégage deux idées. L’une, la rationalisation de la connaissance dans laquelle le “non” négateur se positive en augmentant « la garantie de créer scientifiquement des phénomènes complets »[242], et, l’autre, la permanente reconstruction de la connaissance, preuve de ce que l’esprit scientifique est sans cesse en travail. Cette activité du “non” assujettit toute connaissance à la construction. L’épistémologie bachelardienne fait de la rationalité scientifique « une activité autonome qui tend à se compléter »[243] corrélativement à l’évolution de la connaissance. Le “non” a le mérite de hiérarchiser, de remanier, de dialectiser et de rationaliser le réel. Il a le mérite de positiver tout ce que l’épistémologie classique avait frappé de l’estampille de non science : l’incertain, l’inachevé, l’irrationnel, le contradictoire, l’erreur, l’inutile ; le fragmentaire. Le “non” transfigure la configuration de l’épistémologie en général et, en particulier, de l’épistémologie bachelardienne. Dire non, c’est avoir le mérite de reconnaître les limites de l’apparemment intangible, illimité et infini.
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L’UNIFORMITÉ DES PRINCIPES DU MÉRITE COMME SOURCE D’INÉGALITÉ ET D’INJUSTICE SOCIALES
Joachim Diamoi AGBROFFI
Université Alassane Ouattara de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Le mot de mérite et ses sens constituent des notions faussement familières et acceptées. Pourtant, la moindre réflexion sur l’une quelconque de ces notions révèle qu’elles sont méconnues et inconsciemment acceptées. L’analyse précédée de définition, cherche à comprendre le mérite et le vivant. Ce premier travail a permis d’établir des liens entre les réalisations de l’être vivant et le mot de mérite. Effectivement, la nature véritable du vivant, consubstantielle au mérite, dénote que les deux sont concaténés, enchaînés. Les capacités, les vertus, les talents, les compétences du vivant sont donc ceux auxquels renvoie le mérite dans ses nombreux sens. Une base d’égalité des citoyens naît là et se révèle inégalitaire dans la pratique. Les solutions proposées ne sont pas exemptes d’inégalités parce que le mérite a deux acceptions : celles qualitative et quantitative. Les énergies qui sont à l’origine des efforts par lesquels se manifestent les qualités ont une valeur discrète lorsqu’elles sont mesurées. Du coup, il ne reste que l’aspect qualitatif, source certes d’inégalités et d’injustices sociales ; mais le mérite qui lui est insécable, est indispensable à l’épanouissement du vivant. Une règlementation égalitaire sans ces inégalités et injustices est quasiment impossible. Plusieurs obstacles au mérite existent donc. Ce sont entre autres : l’insoumission au mérite due à des exceptions faites à certains citoyens en dépit de l’égalité ; les injustices sociales au sujet de ce qui rend une personne digne d’estime, de récompense ; l’incommensurabilité des efforts et surtout des énergies qui sont à l’origine desdits efforts.
Mots clés : mérite, récompense, qualités, égalité, injustice, justice, régulation, discrimination.
ABSTRACT :
The word “merit” and its senses constitute faulty familiar notions and accepted. As such, the least reflection on one of anyof its notionsreveals that they are unknown and unconsciously accepted. The analysis preceded by definition, seeks to understand the merit and the living being. The first work permitted to establish the relations between the realizations of a living being and the word merit. Effectively, the veritable nature of the living being, consubstantial for the merit, indicates that the two are concatenated, linked. The capacities, the rewards, the talents, the competences of the living being are then of whom the merit in its many senses. There, a basis of equality of citizen is born, and indicate non-egalitarian in practice. The proposed solutions are not exempted of inequalities, because the merit has two significations: quality and quantity. The energies which are the origin of the efforts by which manifest the qualities have discrete value when they are evaluated. Unexpectedly, nothing remains save the aspect of quality, source certainly of inequalities and social injustices, but the merit, which himself is impossible to cut, is available to the bloom of the living. An egalitarian regulation without those inequalities and injustices is almost impossible. Several obstacles exist then. Among others, they are: insubordination for the merit because of exception to certain citizens in spite ofequality; social injustices on the subject which makes a person worthy of respect, the reward; tremendous efforts of basically, the energies which are the origin of the aforesaid efforts.
Keywords : merit; reward; quality; injustice; equality; justice; regulation; discrimination.
INTRODUCTION
Le mérite, du latin « meritum » et de « merere » renvoie à « récompense ou qualités intellectuelles et morales estimables » ; et un mérite qui signifie « une qualité louable »à partir du justifiable, du mesurable et de l’égalitaire, sont des notions faussement familières et acceptées par tous. Tout le monde croit savoir ce que sont le mérite et un mérite, et la fréquence de leur emploi et la croyance selon laquelle les efforts consentis les fondent égalitairement, sont des preuves.
Pourtant, la moindre réflexion sur le mot de mérite, révèle qu’il est méconnu et inconsciemment accepté. La récompense et l’appréciation des qualités, sur la base de l’estimation seule, font forcément des injustices puisqu’un recours à des jugements des valeurs qui causent du tort à certains qu’à d’autres, a lieu. Egalement, la récompense faite, à partir des qualités louables établies sur la base du mesurable impossible des énergies et des efforts, cause des torts. Une porosité du système égalitaire fait que les particularités individuelles combattues à la Révolution de 1789, dans l’ancien système inégalitaire du mérite, tels le mérite individuel et les prérequis nobiliaires qui donnaient plus d’avantage à certains hommes qu’à d’autres, réapparaissent par moments. Le système égalitaire peut être aussi bien fragilisé par, d’une part, une croissance rapide de la population face à l’insuffisance des places à pourvoir ; d’autre part, tout déséquilibre d’une telle ampleur et de nature matérielle et immatérielle. Des gens qui ne sont pas primés, mais dont les qualités ne sont pas sues, ont toujours existé. Que vaut la méritocratie ? Le mérite est-il démocratiquement et égalitairement décelé et récompensé ?
L’analyse cherche à comprendre les réalisations du vivant qui sont simultanément celles du mérite et d’un mérite ; les problèmes posés dans ces types de relations qui ont nécessité une organisation et une réglementation égalitaires qui, à leur tour, posent d’autres problèmes d’injustice, d’inégalité, d’absence de démocratie face à l’explosion démographique et les limites des places mises au concours et tous autres postes à pourvoir. Elle termine par une recommandation au sujet d’un nouvel ordre du mérite. Le développement auquel elle conduit, s’organisera en deux points essentiels : I – Mérite et résilience ; II –Les obstacles au mérite.
I- MÉRITE ET RÉSILIENCE
1- Situation de mérite
Au sujet du mérite, deux grandes situations se présentent. Celle du mérite naturel, inégalitaire et celle du mérite légale, égalitaire. La première concerne le mérite naturel, individuel, et celui qui ne tient compte ni de l’égalité ni de la légalité. Elle concerne également, en situation légale et de crise, les mérites rendus quasiment naturels. La deuxième porte sur le mérite égalitaire, légal, réglementé. Il en ressort que la ligne de démarcation n’est pas établie, une fois pour toute. Tout cela contribue d’un côté, à créer une sensation de connaissance vraie qui évite de se poser quelques questions sur les réalités fondamentales d’injustice, d’inégalité camouflées ; et de l’autre, à les mettre, en cause en s’attaquant directement à ces réalités. Du fait de tout cela, la croyance selon laquelle, il suffit d’un effort pour avoir une récompense prévue, ne se justifie pas toujours. La réalité profonde que recouvre le mot courant de mérite dans divers ses sens, est complexe et redoutable. Un dépassement s’impose.
2- L’être humain et le mérite
La nature véritable de l’être humain, consubstantielle au mérite et à un mérite, dénote que l’être vivant et le mot de mérite dans ses sens divers, sont concaténés, enchaînés, étroitement liés entre eux. L’être vivant est à la fois le mérite et un mérite ; parce qu’il se caractérise par ces deux réalités auxquelles ils réfèrent. Le mérite, un mérite et le vivant lui-même se compénètrent plus ou moins. Témoins, les expressions : « homme ou femme de bonne ou de mauvaise moralité ; de qualité plus ou moins grande ou exceptionnelle ». C’est sur cette base que s’instaure la relation entre le mérite et l’égalité ; les capacités, les vertus, les talents, les compétences scientifiques, techniques et administratives et les places mises aux concours, les postes à pourvoir et les emplois divers. C’est dans le sens de cette relation que l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 stipule que « tous les citoyens, étant égaux à ses yeux [la loi], sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction entre les citoyens, que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
Pour comprendre le mérite dans tous ses aspects et dans toutes ses évolutions qui, d’une part, l’entachent en le portant hors de son origine première, d’autre part, l’inscrivent dans la légalité, il est indispensable de le saisir d’abord, relativement à son origine.
3- Le mérite, du qualitatif au quantitatif
Le mérite a deux grandes acceptions : celles qualitative et quantitative. Le mérite qui réside dans les qualités, a deux sens. Il a le sens d’une part, de vertu, force avec laquelle l’homme tend au bien et au principe qui, dans une chose, est considérée comme la cause des effets qu’elle produit ; tels l’efficacité, l’énergie, la force, la faculté ou le pouvoir ; d’autre part, de résilience, de ressaut et de rebond. Les efforts qui conduisent à la résilience, au ressaut, au rebond, sont ceux par lesquels les difficultés sont surmontées. Cette résilience fait d’abord preuve d’une capacité à y faire face. Ensuite, elle est résistance au choc produit. Enfin, elle est le triomphe par le dépassement d’un état actuel peu reluisant ou carrément déplorable à un autre bien plus meilleur. Elle consiste à passer d’une situation vulnérable à celle invulnérable temporairement, par une multiplicité d’actions. Effectivement, « la résilience résulte de multiples processus qui viennent interrompre les trajectoires négatives et contrer la vulnérabilité »[244]. Ces processus permettent à tout individu ; de recourir à divers facteurs (biologiques ; psychologiques et sociaux, spécifiques) pour se fortifier, en se forgeant une personnalité de la situation et en déployant des énergies, des efforts dont il ne se savait pas auparavant capable ;une capacité à résister à une situation de risque et à passer maître de lui-même. Pour quelle raison, l’être vivant agit-il de la sorte ?
4- Les sources ou les vecteurs du mérite d’un individu
La force et la lumière auxquelles recourt homme pour rebondir face à l’adversité, existent chez tout être vivant. Elles ont leur source dans l’eau. Effectivement, l’eau a une force exceptionnelle qui ne se discute pas. Les cours d’eau, les inondations et autres catastrophes le témoignent. « Le démarrage de n’importe quel processus nécessite une impulsion, un démarrage»[245]. C’est dans l’eau que se trouver ce mécanisme. La base de la force de la puissance, de l’agir se trouve là. Effectivement « Pour enlever le dur et le fort, rien ne le dépasse »[246]. ). La conception religieuse selon laquelle « toute forme de vie, de la simple bactérie aux mammifères aspire à sa propre perfection»[247] devient une vérité scientifique. Or, « l’homme est constitué de 70 à 90% d’eau, son cerveau, de 85%.»[248] Et il a le cerveau le plus développé et le plus complexe. Voir plus clair, en situation de risque et de vulnérabilité, est une qualité de rebond, de ressaut de l’eau. Effectivement, à ce propos, Korotow dit que « Toute substance placée dans un fort champ électromagnétique y émet un halo lumineux »[249]. La lumière de l’esprit et celle de l’œil organique pour voir autrement et se sortir des ténèbres, des situations à risques et à vulnérabilité, est particulièrement importante chez l’homme. Le risque et la vulnérabilité occasionnent un déploiement de lumière pour imaginer quelque chose de mieux et pour émerger à nouveau, resplendir, être au firmament de son espèce. « Plus l’énergie est forte plus sa luminosité est vive »[250]. Les barrages hydroélectriques le témoignent. Le fait que celui qui cherche dise instinctivement « je vois ou je ne vois pas » est bien plus profond qu’on ne le pense habituellement. « Chercher, voilà le mot clé de notre temps. Chercher pour traquer l’inconnu, pour le comprendre, l’inconnu, pour l’introduire dans notre vie. Chercher pour que tout change, tout évolue, tout progresse. »[251]. Ce préfacier a écrit que « l’écriture qui vulgarise les sciences fait preuve des mêmes exigences. [Il] exprime l’origine même de l’esprit scientifique par la répétition du verbe « chercher » pour insister sur le besoin illimité de connaître inhérent à l’homme»[252]. Quel effort ne consentirait-il pas un homme ordinaire pour faire mieux, en ayant auparavant vu mieux dans son esprit, ce que fait un simple végétal ! La recherche d’un lendemain meilleur est inhérente à tout vivant. Les efforts que l’homme consent dans les situations inconfortables répondent à l’espèce à laquelle il appartient. Par le mérite, il se met en accord avec son espèce. Il répond à l’attente de son espèce. Il se montre conforme à la volonté de son espèce. Par un anthropomorphisme observable partout, le port des végétaux témoigne de la recherche de la lumière pour la photosynthèse et en même temps de la force. La nature en infère un droit et une obéissance du mérite. L’essentiel, c’est de toujours chercher à vaincre l’adversité pour se conformer à la puissance de l’eau contenue en chaque vivant.
En tout être vivant existent le goût et l’estime. D’ailleurs, l’estime et le goût lui sont innés. Les deux sont concaténés, l’un lié à l’autre et vice-versa. Le goût rime avec la qualité et l’estime, la morale. Tout être vivant aspire naturellement à l’excellence, au mieux ; à un meilleur-être, au bonheur. Le fait que les uns les aient à l’excellent par la culture et/ou par un surdéveloppement des zones du cerveau ou toutes autres parties du corps qui sont la source des potentialités, n’indique pas qu’ils sont inexistants chez d’autres. Sur ces basses, le mérite est inhérent à tout vivant. L’aspiration à l’excellence est également inhérente à l’espèce vivante. Elle aspire instinctivement au mieux. Le mérite est une valeur intrinsèque et vitale de l’être vivant.
5- Le mérite, comme une reconnaissance et une rétribution des efforts de l’individu
Sans mérite, l’être vivant, tel le végétal, s’étiole et meurt. Il n’est pas bonde l’en priver. L’excès de lumière par exemple, le dessèche et le tue[253]. Il en va de même de l’excès d’eau. Si ces deux éléments sont insuffisants, ils peuvent le conduire au même résultat. Le bon ingénieur agricole n’est pas celui, aux lèvres desquelles les critiques fusent. Il est celui qui sait apporter à chaque végétal, ce qu’il faut, et ce, sur la base de sa meilleure connaissance. Il existe deux moments bien distincts dans la vie de tout végétal. L’un se caractérise par la croissance ; l’autre, par un arrêt en la matière. En Côte d’Ivoire, et précisément « à Bouaké, la formation annuel de bois se fait de mai à octobre. On voit nettement que même si l’essence ne défeuille que partiellement, la formation du bois se limite à cinq ou six mois de l’année […] »[254] ; celle des feuilles vertes de mars à décembre. Tout vivant est auteur ou co-auteur de la réponse qu’il donne à une situation, face à laquelle il se trouve et à laquelle il s’affronte. La logique de la récompense doit aller de pair avec celle du vivant. Tout être vivant a besoin donc de récompenses pour ses efforts consentis dans toute entreprise. Par conséquent, le mérite est absolu, impérieux. Il émane d’un droit et il exige l’obéissance, la déférence, l’exactitude. Les efforts et leurs résultats positifs révèlent une autorité qui impose la soumission sous l’effet de l’aise qu’ils comblent. Du point de vue légal ou conventionnel, le droit et l’obéissance dans le domaine du mérite doivent exister et être suivis. La meilleure connaissance de l’humain préside au bon fonctionnement du mérite. Cela est valable même chez les végétaux. L’obscurité le rend grêle et décoloré. La légalité devrait permettre à tout un chacun, de sortir de cette obscurité, grâce au mérite et à sa pratique.
6- Le mérite, une obligation sociale
Il est prouvé que l’être humain et même tout être vivant, notamment le végétal, s’épanouit à l’appréciation qui lui est faite. Même chez ce dernier, les propos désobligeants et certaines musiques mélancoliques exercent une influence négative sur sa croissance ; les musiques et propos enthousiasmants, au contraire, le resplendissement de santé, de bonheur. D’un côté, un retentissement nuisible, un ébranlement néfaste, se produit et se constate dans la croissance par des perturbations; de l’autre, une sur-activation dans cette croissance, par le resplendissement, le fait d’être sous un éclat de bonne santé. Si à un végétal, le manque d’estime et de récompense fait un tel mal ; que ne fera-t-il pas à un homme qui l’entend, le voit, le sent, le vit et le rumine ? Un vrai drame ; un réel désastre ; une grande ruine de l’âme et du corps ; des incidences catastrophiques sur les actions et les activités humaines. Cette situation montre bien le grand bien fait l’estime convenablement manifestée.
Effectivement, chez l’être humain, les deux situations sont plus visibles et bien remarquables. C’est donc parce qu’il est de cette nature que l’estime et la récompense sont indispensables. Les deux situations qui paraissent évidentes ne sont pas sues, l’une autant que l’autre, par tous. La première l’est moins. En effet, certaines personnes contribuent à mettre d’autres personnes dans des situations à risque sans toujours le savoir ni en être pleinement conscientes parce que leur part de responsabilité reste inaperçue. Les personnes les plus visibles seront celles qui sont les cibles, et qui sont traitées de fatalistes, de fainéantes, d’incapables congénitalement. Même leur indifférence leur est néfaste. À ce propos Masaru Emoto[255] dit que « leplus grand mal étant sans doute l’indifférence »[256]. Face à de telles situations, l’estime et la récompense sont indispensables à la vie. Leur existence rime avec la vie ; leur absence, la déchéance et la mort. Rey écrit que « les enfants s’épanouissent dans la confiance »[257]. Il cite Maurois, en ces termes : Certaines femmes timides et tristes s’épanouissent à la chaleur de l’admiration, comme des fleurs au soleil »[258].
La connaissance approfondie de l’être vivant est indispensable pour l’estime et la récompense approuvées. De cette connaissance procède de celle du cerveau et de son fonctionnement. Effectivement, cet organe à muscle blanc, fonctionne par zones. Des différences sont possibles. Certaines zones peuvent être plus développées que d’autres pour des raisons diverses. Le faible développement n’est pas absolument inexorable. La malléabilité est une possibilité dans certains cas. Des compensations peuvent être également possibles. Le fonctionnement en surrégime et en simple régime ne se discute plus aujourd’hui entre l’homme et la femme. L’adversité ne doit pas être une limite pour le vivant. Dans cette lutte, les relations sont importantes. L’intense relation entre une mère et son bébé, dans les premiers moments de la naissance, est indispensable pour l’épanouissement à lui. La séparation brusque et l’absence prolongée de contact d’une mère avec son bébé a des incidences désastreuses sur le bon développement de celui-ci. C’est à ce niveau précis qu’une réglementation des droits clairement établis s’impose. Le mérite doit être réglementé
7- Mérite et règlementation sociale
La première règlementation à faire relève de l’autodiscipline et de l’attitude mentale. Elle peut se faire aussi au niveau des intentions humaines. Einstein a écrit à ce propos, ceci : « Je voudrais connaître l’intention avant la création de l’univers. Tout le reste n’est que du détail »[259]. C’est un point à ne pas négliger parce qu’il n’est point d’être humain qui ne commence tout, sans une intention qui fonde son espèce, et par laquelle le mérite se manifeste. L’être humain se déprime, s’affaiblisse, dégénère et se meurt si le mérite lui est refusé. Pour avoir le mérite à l’excellence le mental doit être gardé haut, l’attitude, positive.
La deuxième réglementation relève des relations dont le manque et la perturbation causent des torts à l’être humain. L’homme surmonte les difficultés avec le maintien des relations et aussi le soutien actif et continu de son entourage. Il construit une relation de confiance avec lui-même et établit des relations d’intelligence, d’adaptation, en situation d’obstacles. Dans le cadre de ces relations, le milieu peut avoir une multiplicité des facteurs accélérateurs et retardataires de l’énergie et de lumière, perspicacité, à engager pour faire face à une situation de risque et de vulnérabilité.
La troisième règlementation relève de la naissance. Les différences dans la naissance constituent des obstacles majeurs dans le mérite. Cette différence peut rendre les hommes inégaux dans le mérite. Une intervention pour réduire des inégalités est toujours bien venue.
La quatrième règlementation concerne l’entourage. L’environnement peut être dominé par une culture misérabiliste, fataliste, désobligeante et par un manque criant de moyens de succès. Un tel environnement regorge des facteurs accélérateurs de la baisse tendancielle d’énergie. Elle peut faire descendre davantage la personne concernée par la situation à risque, en l’enfonçant plus que cela ne devait être. Elle peut accentuer sa résignation, son découragement et la fatalité.
La cinquième règlementation concerne l’effet boomerang du risque et de la vulnérabilité. Tout environnement, tout être vivant qui influence négativement un autre se détruit lui-même. À ce propos, le Professeur Aloïs Gruber[260] dit que « celui qui a une pensée négative, celui qui envoie une pensée négative, contamine d’abord sa propre corporelle [l’eau] qui constitue 70 à 90% de son propre corps et lui attribue une charge négative. […] L’eau s’approprie toutes les formes négatives de nos pensées. Sa mémoire se modifie»[261].En nuisant moins les autres, c’est le mérite de tous qui gagne.
Nier ces réalités, sources inhérentes au vivant, c’est tuer celui-ci dans son essence même. C’est un acte contre nature, antihumain et contre la culture du vivant. Or des hommes qui entravent le mérite de la sorte en exhortant des personnes à ce même mérite, existent. Etre foncièrement contre le mérite par inconscience, mais en posant de façade des actes qui l’entravent, peut exister. Faire ce que le mérite requiert dans sa valeur intrinsèque, impose une règlementation.
L’intempérance, l’abus de critique, et l’éloge flatteuse et excessive ne procèdent ni de la nature du vivant, ni de la culture qui émane d’une connaissance approfondie de ce vivant.
II- LES OBSTACLES AU MÉRITE
Les situations et faits qui témoignent de l’absence d’une réglementation égalitaire dans le mérite sont nombreux. Nous ne prétendons pas les épuiser ni par une liste exhaustive ni par un développement prenant en compte tous leurs aspects. Toutefois, il importe que ces situations et ce faits soient spécifiés afin qu’on sache de quoi il s’agit. Ce sont entre autres, toutes les situations et tous les faits qui du fait de l’organisation sociale et politique de forme naturelle et/ou culturelle, ne se mesurent pas la plus exacte possible ; mais s’apprécient à travers des efforts consentis pour le mérite légal.
1- Insoumission au mérite
La situation de discrimination « dite positive » fait qu’en mérite, être digne demeure absolu. Une « inégalité juste »[262], existe en ce sens que l’injustice va être présentée et acceptée par tous comme une justice. Désormais l’injustice sera absolue parce que c’est elle seule qui donne des droits légaux. La vraie justice sera condamnée. Mériter est relatif à telle ou telle circonstance ;à tel ou tel fait. A telle ou telle époque, telle valeur importe plus que telle autre ; telle discipline prime sur telle ou telle autre ou toutes les autres. Celui qui bénéficie des avantages de l’injustice établie comme justice légale, combat celui qui recherche la justice dans le mérite réel. Par accommodation, à une telle injustice, les sensibilités à l’injustice réelle seront émoussées, et l’inaction s’installera, et il n’y aura plus de réaction, ni de révolte. « Ainsi prendra de l’ampleur, la défense de l’injustice, vu que la réussite individuelle et collective dans la justice [sont] a priori défavorables à l’injustice devenue justice sociale légale »[263]. C’est de cette manière que « la discrimination [est devenue] sans doute une des inégalités les plus brutales et les plus profondément injustes »[264].Les personnes physiquement bien portantes et ayant été très loin dans les études n’échappent à cette forme d’injustice, dans « les examens et concours »[265]. Cette situation se produit en ce sens que « la norme du mérite introduit une ambiguïté fondamentale, puisqu’elle s’impose comme étant la norme qui justifie les inégalités sociales alors qu’elle n’est pas nécessairement la norme qui les produit»[266]. Gonthier explique de ce fait, l’ambiguïté en ces termes : « Les sociétés démocratiques admettent que tous les individus sont en principe égaux. Mais elles admettent en même temps que les individus puissent avoir accès, de par leurs différences de mérite, à des niveaux socioprofessionnels et de hiérarchisés »[267].Une telle ambiguïté ouvre la porte à des injustices.
2- Injustices sociales
Dans son sens premier, communément donné dans le dictionnaire non spécialisé, tel le Petit Robert, le mérite est « ce qui rend une personne digne d’estime, de récompense, quand on considère la valeur de sa conduite et les difficultés surmontées »[268]. Si une personne, pour des raisons de discrimination positive, est jugée digne, une injustice se crée. Hormis son handicap, elle peut faire moins d’effort qu’une autre personne sans handicap. Les développements insuffisants dus à des malformations de certaines zones du cerveau ou de toute autre partie du reste du corps ; les malformations congénitales et tous les autres développements insatisfaisants de toute autre partie du corps sont de la sorte sources d’inégalité dans le mérite. Le « handicap culturel »[269] est une réalité indéniable. L’entrave à un épanouissement peut être compensée par un surdéveloppement, une sur-activation dans d’autres domaines ou zones du cerveau. Face à ces situations, il n’y a souvent pas une discrimination positive parmi les personnes sans leur handicap. Les handicaps peuvent accroître exceptionnellement certaines qualités ; telles les malformations du cerveau du physicien Albert Einstein qui l’ont rendu certes attardé, mais exceptionnellement compétant, voire surdoué, dans le domaine de la physique nucléaire. Par rapport à lui et parmi tous ceux qui sont concernés, il n’existe pas une discrimination positive parmi les sans handicap de leur nature. Sur ce point, les handicapés qui, par discrimination positive, sont récompensés, font commettre une injustice aux personnes qui conçoivent de telles discriminations. Les handicapés eux-mêmes qui en leur âme et conscience savent que certaines personnes sans leur handicap, font plus d’efforts qu’eux, ne demandent pas qu’une discrimination positive soit faite pour que leur qualités à elles, louables, soient récompensées. La lutte pour l’égalité dans le mérite doit faire efficacement face à des situations de risques et de vulnérabilité en matière de discrimination et de justice.
Dans le système éducatif et universitaire français, il existe une valeur des acquis professionnels (VAP) et une validation des acquis de l’expérience(VAE). Ces deux évaluations qui n’existent pas en Côte d’Ivoire, permettent aux élèves et étudiants ont été moins compétents dans la formation éducative et universitaire, de disposer des mérites qui leur donnent les mêmes avantages qui ceux ont été plus méritant au moment où ils étaient sur les bancs. Leur non adoption dans les formations ivoiriennes est source d’injustice. Leur manque ne rend pas égalitaire le système de formation dans toutes ces subtilités, en matière de mérite.
Toujours, en France et même ailleurs, le temps occupé dans l’administration des structures d’éducation et de formation universitaire, n’est pas un à côté de la fonction d’enseignant dans ses deux composantes : la recherche et l’enseignement. Il peut conduire à un savoir compétentiel utile dans le cadre du partenariat entre le monde du travail et les universités et autres structures de formation et d’éducation. Une évaluation des enseignants qui se réalise en faisant fi de ce temps, rend-t-il le mérite égalitaire dans toutes ses subtilités ? Ce n’est pas totalement certain.
Ce qui est récompensé, c’est le résultat des efforts consentis, des énergies générées et utilisées. Le mérite découle du résultat à atteindre. Le plus souvent, il n’est pas pensé en termes de somme des efforts fournis, mais de finalité, de fin qui justifie tout. La finalité recherchée peut être extraordinaire, mais présenter des faiblesses, des injustices dans ses composantes. L’inverse qui tient compte des composantes peut se présenter et mérite d’être retenu. Le résultat final seul qui compte, mérite parfois d’être dissocié. Penser à la somme des petits résultats pour un résultat global peut être fait sur le modèle des rivières, des ruisseaux et ruisselets qui font généralement les fleuves. Le fait qu’un intérêt bienveillant à un grand nombre des petits résultats conductibles au tout, n’attire pas une attention bienveillante, constitue une source d’inégalités dans la reconnaissance des mérites et de la récompense. Le tout ou rien est bien ; mais il peut être également une source d’inégalités étant donné qu’il peut être moins édifiant que le détail.
3- L’incommensurabilité des efforts et des énergies
Les énergies qui impulsent le vivant ne sont pas mesurables parce qu’elles sont trop faibles. A défaut de mesure exacte, on parle d’aide, de réconfort, de soutien moral. A défaut de mesure possible, elle est qualifiée selon chaque personne. Entre la mesure plus précise et la qualification faite selon la perception de chaque personne, les inégalités sont possibles à tous les niveaux où une énergie a été mobilisée. Ces situations d’incommensurabilité peuvent provoquer un enfoncement qui n’est non plus mesurable. La baisse de tonicité, dans un tel cas, est mise au compte de la sensibilité plus ou moins grande, voire de la sensiblerie, sensibilité outrée et déplacée, et déplorée tout simplement sans une mesure exacte de l’énergie à l’origine du dynamisme. Le différentiel d’énergie réduite n’est non plus quantifiable. Chacun apprécie, à sa façon, la situation environnementale à risque. Tout le monde n’a pas cette capacité de se représenter exactement ce qu’a vécu autrui. L’incapacité de l’homme à mesurer l’énergie déployée pour accomplir une action, laisse la possibilité à toutes formes d’injustices tant dans la récompense que dans le prix. Ce n’est pas toujours que l’homme cède à la soumission requise. La dissociation des qualités mesurables de celles non mesurables montre des facteurs retardataires, freins à tout effort pour un succès certain. L’énergie ne peut se faire de façon précise parce qu’elle n’est pas qualifiable non plus.
Le mérite fait état d’abord d’une situation de risque, de vulnérabilité, d’inconfort, de limite qui surviennent à la suite des traumatismes multiples. Tout d’abord, ces situations décontenancent, les personnes qui s’y trouvent ; provoquent un abattement chez elles et leur font perdre de l’énergie. Ni celle de tout le corps n’est ni celle perdue, ni celle déployée pour en faire, ne sont mesurables, en raison de leur petitesse et de leur valeur qui reste discrète en mesure. A défaut de la mesure de ces différents types d’énergie, l’homme s’adonne à des qualifications inévitablement sujettes à des injustices et à des inégalités. L’homme est naturellement prédisposé à des injustices dans l’appréciation des énergies qu’il déploie et perd. L’évaluation des traumatismes subis ne peut non plus se faire par mesure, ni par détermination de sa valeur réelle. Tout en l’énergie demeure également impossible, en raison de son caractère discret. Aussi l’homme s’adonne-t-il à des qualifications qui se font avec inégalités et injustices.
Le manque d’équité et de justice n’est pas le seul problème d’inégalités en matière de mérite. Il réside aussi dans les efforts (de ressaut, de rebond, de triomphe de nombreuses situations à risque, de vulnérabilités), qui ne sont pas mesurables, et sont estimés à défaut de mieux. Ces estimations peuvent n’être pas analytiquement approfondies, mais faites selon le développement des zones de la sensibilité du cerveau de l’appréciateur et des critères qualitatifs qui peuvent conduire à la partialité et à l’injustice.
L’agir fait appel au dégagement d’une multitude énergies ; passer de l’irrémédiable au remédiable ; de l’inexorable à l’exorable, de l’inflexible au flexible, du cruel au bienfaisant, de l’impitoyable au charitable en pensée et en action. Ces passages vus comme des efforts sont sous-tendus par une énergie qui comporte des aspects non quantifiables. Trois moments distincts se constatent. Le premier se caractérise par la situation de risque et la soumission plus ou moins totale à elle. Le deuxième se particularise par la distance, la séparation de ce qu’elle a de dominant et à l’ignorer. L’énergie qui permet ce détachement n’est pas chiffrable. Elle est vue comme effort et appréciée selon la sensibilité de chacun. Le troisième moment attrait à la décision de lutter contre la situation. Elle fera un sous-point à part.
Dans son sens étymologique, la résilience vient du mot latin resalire, qui signifie « ressaut », duquel est tiré le verbe résilier. L’énergie, effort qui fait ressauter, rebondir à nouveau, en vue de permettre la reprise du cours ordinaire de la vie, de renouer avec le bon développement antérieur, n’est non plus quantifiable dans tous ses aspects. De ce fait, elle est laissée à la qualification de chaque personne, selon sa sensibilité et ses points de vue. Le rebond personnel n’est pas exactement apprécié de l’extérieur à sa justification. Le sursaut en soi nécessite une quantification de l’énergie par laquelle elle permet des efforts de se déployer.
Il y a aussi que l’on est digne par sa probité, son honnêteté, sa nature. Ces conditions ne sont pas toujours admirablement satisfaites ni satisfaisantes. De ce fait, on peut être digne d’une récompense sans pour cela mériter un prix. L’ensemble de ces considérations font apparaître plusieurs niveaux de responsabilités.
CONCLUSION
Le mérite, d’une manière générale, est indispensable à la société et particulièrement à tout être humain. Il est malheureusement confronté à des obstacles divers, dont les injustices et les discriminations négatives peuvent trouver des solutions par des règlementations sociales, même si certains de ces obstacles apparaissent comme insolubles. Il s’agit des lumières et des énergies mobilisées et dépensées sous forme d’efforts individuels ou collectifs incommensurables, et qui contraignent à se contenter du qualitatif quoique source d’infinies inégalités et injustices sociales. Ces situations désastreuses ne doivent, cependant point conduire au découragement ni à l’indifférence quant à la reconnaissance du mérite qui est consubstantiel à l’être humain. Effectivement, le mérite a deux sens : d’une part, de vertu, force avec laquelle l’homme tend au bien et au principe qui, dans une chose, est considérée comme la cause des effets qu’elle produit ; tels l’efficacité, l’énergie, la force, la faculté ou le pouvoir ; d’autre part, de résilience, de ressaut et de rebond. Ces deux sens sont la trame et le principe de l’être humain.
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[1] Dans cette contribution, nous privilégions le nom de Gorgias, car c’est dans la perspective gorgiassienne que Calliclès développe sa pensée.
[2] PLATON, Gorgias in Protagoras. Gorgias. Ménon, trad. Alfred Croiset, Paris, Les Belles Lettres, 1984, 488 b.
[3] THRASYMAQUE, Chalcédoine De, « Témoignages anciens sur la vie et l’œuvre de Thrasymaque » in Les Sophiste, vol. II, traduit, présenté et annoté sous la direction de Jean-François Pradeau, Paris, Flammarion, 2009, p. 23.
[4] BRUN, Jean, Platon et l’académie, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, n°880, 1960, p. 37.
[5] FRASER, Nancy, Qu’est-ce que la justice sociale ? : reconnaissance et redistribution, trad. Estelle Ferrarese, Paris, La Découverte, 2005, p. 82.
[6] MICHAUD, Yves, Qu’est-ce que le mérite ?, Paris, Bourin, 2009, p. 12.
[7] PLATON, La République I in Œuvres complètes, trad. sous la direction de Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2011, 343 d.
[8] MACÉ, Armand, « Un monde sans pitié : Platon à l’école de Thrasymaque de Chalcédoine » in Philosophie antique, n°8, 2008, p. 48.
[9] MACÉ, Armand, Op. cit., p. 48.
[10] THRASYMAQUE, Chalcédoine De, Op. cit., p. 25.
[11] PLATON, Gorgias in Œuvres complètes, trad. sous la direction de Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2011, 483 c.
[12] PLATON, Gorgias in Œuvres complètes, Op. cit., 483 e.
[13] Idem, 508a.
[14] Ibidem, 490 a.
[15] PLATON, La République, trad. Robert Baccou, Paris, Garnier Flammarion, 1966, 343a-345c.
[16] PLATON, Gorgias in Œuvres complètes, Op. cit., 483 b.
[17] PLATON, Gorgias in Œuvres complètes, Op. cit., 483 b.
[18] NIETZSCHE, Friedrich, Généalogie de la morale, trad. Eric Blondel, Paris, Garnier Flammarion, 1996, p. 56.
[19] PLATON, Gorgias in Œuvres complètes, Op. cit., 483 c.
[20] Idem, 484 a.
[21] LAVROFF, Dmitri Georges, Histoire des idées politiques de l’Antiquité à la fin du XVIIIè siècle, Paris, Dalloz, 2007, p. 14.
[22] MACÉ, Armand, Op. cit., p. 51.
[23] PLATON, La République I in Œuvres complètes, Op. cit., 340 d.
[24] ANDERSSON, Bénédikte ; DENIZOT, Véronique, Op. cit., p. 87.
[25] Idem.
[26] PLATON, Gorgias in Protagoras. Gorgias. Ménon, Op. cit., 488 b.
[27] Idem.
[28] PLATON, La République I in Œuvres complètes, Op. cit., 341 d.
[29] Idem.
[30] LAVROFF, Dmitri Georges, Op. cit., p. 14.
[31] LEFEBVRE, René, La justice, Paris, Ellipses, 2000, p. 12.
[32] PLATON, Gorgias in Œuvres complètes, Op. cit., 488 c.
[33] GOAZIOU, Véronique Le, La violence, Paris, Le Cavalier Bleu, 2004, p. 10.
[34] Cf. notre contribution « La justice sociale chez Platon et chez les sophistes Thrasymaque et Gorgias » in Échanges, vol. 1, n°001, pp. 65-78.
[35] FRONTEROTTA, Francesco, « Platon » in Philosophie antique, Paris, P.U.F., 2010, p. 87.
[36] LAVROFF, Dmitri Georges, Op. cit., p. 14.
[37] BONAZZI, Mauro, « Thrasymaque, la polis et les dieux » in Philosophie antique, n°8, 2008, p. 75.
[38] DANIEL, Jean-Marc, Le socialisme de l’excellence : combattre les rentes et promouvoir les talents, Paris, François Bourin, 2011, p. 10.
[39] DESCARTES, René, Les passions de l’âme, Troisième partie, article 153, in Œuvres complètes, tome I, Paris, Alquié, 1973.
[40] DESCARTES, René, Méditations métaphysiques, Méditation quatrième, présentation de Jean Marie Beyssade, Paris, GF Flammarion, 1979, p. 141.
[41] Idem,
[42] DESCARTES, René, Méditations métaphysiques, Op. cit., Méditation quatrième, p. 151.
[43] Ibidem, p. 143.
[44] Ibidem, p. 145.
[45] GUEROULT, Martial, Descartes selon l’ordre des raisons, Tome I : Âme et Dieu, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p. 330.
[46] LEFÈVRE, Roger, La bataille du « Cogito », Paris, P.U.F, 1960, pp. 93-94.
[47] DESCARTES, René, Règles pour la direction de l’Esprit, Règle I, in Œuvres complètes, tome I, Paris, Alquié, 1963.
[48] DESCARTES, René, Méditations métaphysiques, Op. cit., Méditation quatrième, p. 149.
[49] VOHO, Sahi Alphonse, Descartes, le philosophe et le temps, Abidjan, P.U.C.I, 2003, p. 114.
[50] DESCARTES, René, Les Principes de la philosophie, Première partie, article 37, in Œuvres complètes, Paris, Alquié, 1973.
[51] Idem, « Lettre-préface de l’édition française » in Œuvres complètes, T III, pp. 779-780.
[52] VOHO, SahI Alphonse, Descartes, le philosophe et le temps, Op. cit., p. 109.
[53] DESCARTES, René, Discours de la méthode, première partie, présentation et notes par Laurence Renault, Paris, GF Flammarion, 2000, pp. 29-30.
[54] DESCARTES, René, « Lettre à la Sérénissime Princesse Elizabeth », in Œuvres complètes, Op. cit., p. 88.
[55] SORO, Musa David, Deux philosophes de l’action pratique : Platon et Descartes, Abidjan, Les Editions Balafons, 2010, p. 62.
[56] DESCARTES, René, Discours de la méthode, Op. cit., sixième partie, p. 98.
[57] DIAKITÉ, Sidiki, Technocratie et Question Africaine de Développement : rationalité technique et stratégies collectives, (Abidjan, Stratéca-Diffusion, 1994), p. 235.
[58] HOTTOIS, Gilbert, Le signe et la technique, la philosophie à l’épreuve de la technique, Paris, Aubier/Res, 1984, pp. 149-150.
[59] DESCARTES, René, Méditations métaphysiques, Op. cit., Méditation quatrième, p. 143.
[60] Idem.
[61] Dans la Méditation quatrième, Descartes oppose à l’indifférence positive, l’indifférence négative qu’il considère comme le plus bas degré de la liberté qui survient lorsque nous ne sommes point porté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison. C’est l’attitude indécise et suicidaire de l’âme de Buridan.
[62] DESCARTES, René, « Lettre au Père Mesland du 09 Février 1645 » in Œuvres complètes, Op. cit.
[63] OVIDE, Métamorphoses, Paris, Les Belles Lettres, 1987, TII, Ch.VII, 20, p. 29.
[64] DESCARTES, René, Discours de la méthode, op.cit,Troisième partie, p. 595.
[65] RODIS-LEWIS, Géneviève, Descartes et le rationalisme, Paris, P.U.F, « Que sais-je ? », N°1150, 1966, p. 47.
[66] BLONDEL Eric, Le Christianisme de Descartes, in Dialogues avec les philosophes, Paris, Aubier, 1966, p. 45.
[67] MICHAUD, Yves, Qu’est-ce que le mérite ?, Paris, Folio/Gallimard, 2011, p. 121.
[68] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF / Quadrige, 1990, p. 338.
[69]Idem, p. 338.
[70]MICHAUD, Yves,Op. cit., p. 67.
[71] Nour El Houda ISMAÏL-BATTIKH, « Yves : Qu’est-ce que le mérite ? » in www.actu_philosophia.com/spip?article350. Consulté le 30 Juillet 2015.
[72] Cette origine latine diffère de l’origine grecque du mérite qui ramène, elle, à l’idée de part comme destin : “meiromai” signifie recevoir en partage sa part et son destin.
[73] « Travailler plus pour gagner plus » était le slogan de campagne du Président français Nicolas Sarkozy dont la thématique principal tout le long de son mandat (2007-2012) était le mérite.
[74] SAINT THOMAS, D’Aquin, Somme Théologique, Prima pars, Question 95, Article 4, Sacra Doctrina – VerbumDomini XP 4.01 Février 2006.
[75] AUGUSTIN, Saint, La Cité de Dieu, Livre huitième, chapitre X, segment 005, Sacra Doctrina – VerbumDomini XP 4.01 Février 2006.
[76] Idem, Article 4, segment 009, Idem
[77] Idem, Article 4, segment 009.
[78] Idem, Question 95, Article 1, segment 006.
[79] SAINT THOMAS, D’Aquin, Op. cit, Article 1, segment 007.
[80] Article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 Décembre 1948, in Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.
[81] MICHAUD, Yves, Op. cit.,p. 250.
[82] MICHAUD, Yves, Op. cit.,p. 250.
[83] Idem.
[84] La Bible, Ephésiens2, 8-9, Version Louis Second, Genève, Société Biblique de Genève, 2007.
[85] Idem, Luc15, 11-32.
[86] Idem, Luc 23, 39-43.
[87] Compendium du Catéchisme de l’Église Catholique, Abidjan, Éditions Paulines, 2006, p. 128.
[88] Pour aborder les questions que posait à la foi catholique le protestantisme naissant, le Concile s’ouvrit à Trente, dans le nord de l’Italie, le 13 décembre 1545 sous Paul III élu pape en 1534 et se déroula, pour des raisons politiques et de guerre, en trois périodes (1545-1547, 1551-1552, 1561-1563). Finalement, ce Concile de l’Église catholique, en réponse à la Réforme protestante, réaffirme avec précision ses dogmes essentiels. Les décrets du concile furent confirmés par le pape Pie IV le 26 janvier 1564 ; ils définissent une norme ecclésiastique qui restera en vigueur jusqu’à la moitié du XXe siècle. (Cf Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation)
[89] La Bible, Jacques2, 24 et 26.
[90] Le Coran, 2 : La Génisse, sourate 105, Traduit de l’Arabe par Tämir M. Fakhry et Marie-France Franconville, NEI-CEDA, Abidjan, 2014.
[91] Idem, sourate 112.
[92] Mark Shéa, « Ce que l’Église catholique appelle “mérite” » in http://www.croixsens.net/eglise/merites.php.Consulté le 20 Août 2015.
[93] Compendium du Catéchisme de l’Église Catholique, Op. cit., p. 129.
[94] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 274.
[95]JASPERS, Karl, Introduction à la philosophie, Trad. Jeanne Hersch, Paris, Plon-Col. 10/18, 1991, p. 58.
[96] BERDIAEFF, Nicolas, Esprit et Réalité, Paris, Aubier/Édition Montaigne, 1943, p. 165.
[97] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 260.
[98] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 240.
[99] Idem, p. 41 et 47.
[100] JASPERS, Karl, op.cit.,p. 127
[101] MARCHON, Bernard et DE LEO, Gandhi : pèlerin de la paix, Paris, Centurion / Astrapil, 1989, p. 45.
[102] MERLEAU-PONTY, Maurice, “Bergson se faisant” in Éloge de la philosophie et autres essais, Paris, Gallimard, 1960, p. 302.
[103] ROUSSEAU, Jean Jacques, Du contrat social, Paris, G. Flammarion, 2001, p. 129.
[104] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 274.
[105] Idem, p. 241.
[106] SERTILLANGES, Antonin-Dalmace, Avec Henri Bergson, Paris, Gallimard, 1941, p. 21.
[107] BERGSON, Henri, L’Énergie spirituelle, Paris, PUF ⁄ Quadrige, 1993.
[108] BERGSON, Henri, Les Deux sources de la Morale et de la Religion, Op. cit., p. 333.
[109] JOHNSTON, William, La mystique retrouvée, Trad. de Marie-AlyxRevellat, Paris, Desclée de Brouwer, 1987, p. 48.
[110] BERGSON, Henri, Op. cit.,p. 228.
[111] Idem, p. 246.
[112] Idée axiale à la querelle des Universaux au Moyen-âge posant la problématique de la réalité des idées générales en débat avec les nominalistes qui n’y croyaient pas.
[113] CARREL, Alexis, L’homme, cet inconnu, Paris, Plon, 1935, p. 325.
[114] Idem, p. 329.
[115] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, P.U.F, 1995, p. 123.
[116] BERGSON, Henri, L’évolution créatrice, Paris, P.U.F, 1996, p. 270.
[117] Idem.
[118] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Op. cit., p. 285.
[119] Notes introductives de Robert BACCOU à la République de Platon. p. LII.
[120] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 284.
[121] Idem, p. 103.
[122] Ibidem, p. 332.
[123] Ibidem, p. 103.
[124] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, P.U.F, 1995, p. 246.
[125] Idem.
[126] Ibidem, p.103.
[127] Ibidem, p. 286.
[128] Ibidem, p. 226.
[129] Ibidem, p. 261.
[130] Ibidem, p. 240.
[131] BERGSON, Henri, Op. cit., p.102.
[132] Idem, p. 58.
[133] BERGSON, Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience in Œuvres, Paris, P.U.F, 2001. p. 85.
[134] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Op. cit., p. 22.
[135] BERDIAEFF, Nicolas, 5 Méditations sur l’existence, traduit du russe par Irène Vildé-Lot, Paris, Aubier, 1936, p.192.
[136] HUXLEY, Aldous, Dieu et moi, Essais sur la mystique, la religion et la spiritualité, Paris, Seuil, 1994 (traduction française), p. 144.
[137] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Op. cit., p. 91.
[138] Idem.
[139] ARMSTRONG, Thomas, Sept façons d’être plus intelligent, Comment multiplier vos potentiels, traduit de l’américain par Alain Deschamps, Paris, Éditions J’ai lu, 1996, p. 153-177.
[140] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 91.
[141] Le ressentiment conduit à la haine d’autrui parce que sous le rapport du mérite, il est d’abord et avant tout, haine de soi. Celle-ci advient en raison de ce que nous reconnaissons au fond de nous-mêmes que nous n’avons pas de mérite.
[142] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 91.
[143] BERGSON, Henri, Op. cit., p. 91.
[144] BERGSON, Henri, « Essai sur les données immédiates de la conscience », in Œuvres, Paris, P.U.F, 2001. p. 86.
[145] BICKEL, Lothar, Le Dehors et le dedans, traduit de l’allemand par Robert Rovini, Paris, Gallimard, p. 96.
[146] BERGSON, Henri, « Essai sur les données immédiates de la conscience », in Œuvres, Op. cit., p. 85.
[147] ROCHER, Guy, Introduction à la sociologie générale, le changement social, Montréal, Éditions HMH, 1968, p. 135.
[148] LEVESQUE, Georges, Bergson : vie et mort de l’homme et de Dieu, Paris, Les éditions du CERF, 1973, p. 46.
[149] WORMS, Frédéric, Bergson ou les deux sens de la vie, Paris, P.U.F, 2004, p. 8.
[150] Expression usitée par F. Worms dans une conférence qu’il a prononcée à Poitiers, à l’invitation de M. le Pr Jean-Louis Vieillard-Baron, en décembre 1999, dans le cadre du colloque sur « Bergson et l’idéalisme allemand ».
[151] BERGSON, Henri, « La pensée et le mouvant», in Œuvres, Op. cit., p. 1321.
[152] BERGSON, Henri, L’évolution créatrice, Op. cit, p. 271.
[153] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Op. cit., p. 95.
[154] Idem.
[155] Ibidem, p. 126.
[156] Ibidem.
[157] BERGSON, Henri, L’évolution créatrice, Op. cit, p. 181.
[158] BERGSON, Henri, « La pensée et le mouvant », in Œuvres, Op. cit., p. 1271.
[159] Idem, p. 1303.
[160] BERGSON, Henri, L’évolution créatrice, Op. cit., p. 153.
[161] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Op. cit., p. 285.
[162] Idem, p. 284.
[163] Ibidem, p. 101.
[164] Ibidem, p. 258.
[165] Ibidem, p. 103.
[166] BERGSON, Op. cit, p. 102.
[167] Idem, p. 250.
[168] Ibidem, p. 216.
[169] Ibidem, p. 243.
[170] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion in Œuvres, Op. cit., p. 1173.
[171] BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, P.U.F, 1995, p. 233.
[172] BERDIAEFF, Nicolas, Op. cit., p. 192.
[173] BERGSON, Henri, op.cit, p. 250.
[174] Idem, p. 254.
[175] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 2004, p. 14.
[176] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Paris, P.U.F., 2005, p. 72.
[177] Le déconstructivisme est une doctrine philosophique fondée par Jacques Derrida. En opposition à la rationalité close, il consiste en un acte dialogique de déconstruction et de construction conceptuelle.
[178] BUSSON, Luc & FRONTEROTTA, Francisco , Lire Platon, Paris, P.U.F., 2005, p. 184.
[179] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 53.
[180] DETIENNE, Marcel, Comparer l’incomparable, Paris, Seuil, 2009, p. 18.
[181] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Op. cit., p. 80.
[182] Idem, p. 13.
[183] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 17.
[184] BACHELARD, Gaston, Le nouvel esprit scientifique, Paris, P.U.F., 2013, p. 183.
[185] BACHELARD, Gaston, Activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, P.U.F., 1965, p. 17.
[186] BACHELARD, Gaston, La flamme d’une chandelle, Paris, P.U.F., 1984, p. 66.
[187] GINESTIER, Paul , Pour connaître Bachelard, Paris, Bordas, 1987, p. 42.
[188] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 60.
[189] Idem, p. 137.
[190] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 37.
[191] Idem, p. 145.
[192] Le surrationalisme est une doctrine qui prône une rationalisation du réel sans fin. En d’autres termes, la raison doit toujours se remettre en cause et continuer à révéler les aspects cachés du réel.
[193] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 144.
[194] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 86.
[195] BACHELARD, Gaston, L’Activité rationaliste de la physique contemporaine, Op. cit., p. 27.
[196] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 50.
[197] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 137.
[198] BACHELARD, Gaston, La valeur inductive de la relativité, Paris, Vrin, 1929, p. 93.
[199] BACHELARD, Gaston, L’Activité rationaliste de la physique contemporaine, Op. cit., p. 99.
[200] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 24.
[201] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 7.
[202] DAGOGNET, Fançois, Bachelard Gaston, Paris, P.U.F., 1972, p. 21.
[203] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 124.
[204] Idem, p. 25.
[205] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 49.
[206] BACHELARD, Gaston, L’Activité rationaliste de la physique contemporaine, Op. cit., p. 12.
[207] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 137.
[208] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Op. cit., p. 61.
[209] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 65.
[210] Idem, p. 120.
[211] LEPELTIER, Thomas, Histoire et philosophie des sciences, Paris, Éditions sociales, 2013, p. 222.
[212] BACHELARD, Gaston, Le matérialisme rationnel, Paris, P.U.F., 2010, p. 210.
[213] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 50.
[214] Idem, p. 27.
[215] Idem, p. 31.
[216] LOCHAK, Georges, Défense et illustration de la science. Le savant, la science et l’ombre, Paris, Éditions Ellipses, 2002, p. 179.
[217] ROY, Olivier, Le nouvel esprit scientifique, Paris, Pédagogie moderne, 1979, p. 55.
[218] DAGOGNET, François, Bachelard Gaston, Paris, P.U.F., 1972, p. 32.
[219] REINCHENBACH, Hans, La nouvelle philosophie scientifique, Paris, Vrin, 1993, p. 254.
[220] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Op. cit., p. 28.
[221] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 67.
[222] Idem, p. 144.
[223] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 30.
[224] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Op. cit., p. 240.
[225] BACHELARD, Gaston, L’Activité rationaliste de la physique contemporaine, p. 99.
[226] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Op. cit., p. 258.
[227] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Op. cit., p. 241.
[228] Idem, p. 246.
[229] BLANCHÉ, Robert, L’axiomatique, Paris, P.U.F., 1990, p. 77.
[230] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 122.
[231] LEPELTIER, Thomas, Histoire et philosophie des sciences, Paris, Éditions Sciences Humaines, 2013, p. 108.
[232] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 8.
[233] Idem, p. 50.
[234] BACHELARD, Gaston, Le matérialisme rationnel, Paris. P.U.F., 2010, p. 103.
[235] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 32.
[236] BACHELARD, Gaston, Études, Paris, Vrin, 2002, p. 15.
[237] LESCURE, Jean, Bachelard aujourd’hui, Paris, Clancier-Guénaud, 1986, p. 91.
[238] BACHELARD, Gaston, Études, Op. cit., p. 71.
[239] Idem, p. 74.
[240] Idem, p. 76.
[241] Idem, p. 80.
[242] BACHELARD, Gaston, La philosophie du non, Op. cit., p. 7.
[243] Idem, p. 33.
[244] BORIS, Cyrulnik, La résilience, Le mythe du renouveau instantané ? – Jocelyne … jocelynerobert.com/2013/…/resilience-le-mythe-du-renouveau-instantane.
[245] Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[246] KYRILL 1er, Associé du Laboratoire de recherches scientifique sur l’eau du Professeur, in Water, le Pouvoir Secret de l’eau (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[247] KYRILL 1er, Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau
[248] INYSHUN, Victor, Université Al-Farabi de Kazanstin, Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[249] KOROTOV, Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau
[250] film documentaire: water, le Pouvoir Secret de l’eauhttp://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau
[251] CLOSETS, François De, cité par Lavigne, 1980, p. 489.
[252] Idem.
[253] Même mort, le vivant a par l’eau, du mérite. Effectivement, aucune substance qui ne contient pas de l’eau ne pas brûler. Si vous enlever l’eau contenue dans l’essence, il ne brûlera plus dans votre véhicule pour le mettre en marche et le déplacer.
[254] Mariaux, cité par NORMAND, Didier, Forêts et bois tropicaux, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 1971, p. 21.
[255] De la Médecine alternative Tokyo.Film documentaire: water, le Pouvoir Secret de l’eau (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[256] Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[257] REY, Angélique Del, Dictionnaire Petit Robert, 1975, p. 598.
[258] REY, Dictionnaire Petit Robert, 1975, p. 598.
[259] EINSTEIN, Albert, 10 Perles Spirituelles et Scientifiques …semeunacte.com/10-perles-spirituelles-et-scientifiques-pensees-par-albert.
[260] Fondateur de Naturkraft Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[261] Water, le Pouvoir Secret de l’eau, Film documentaire (en ligne) : http://www.santemedias.com/70-water-le-pouvoir–secret-de-l-eau.
[262] DUBET, François, « L’égalité et le mérite dans l’école démocratique de masse », in L’Année sociologique, 50, 2, 2004.
[263] Idem, p. 16.
[264] Ibidem.
[265] Ibidem.
[266] GONTHIER, Frédéric, « L’égalité méritocratique des chances : entre abstraction démocratique et réalisme sociologique » in l’Année sociologique, 2007/1 (vol. 57), p.157.
[267] GONTHIER, Frédéric, L’égalité méritocratique des chances : entre abstraction démocratique et réalisme sociologique » in l’Année sociologique, 2007/1 (vol. 57). p. 155.
[268] Dictionnaire Petit Robert, 1975.
[269] MERLE, Pierre, Démocratisation de l’enseignement, Paris, Editions La Découverte, 2002.