Perspectives HS 2023

Volume XV – Numéro 27 – Université Alassane Ouattara – Campus 2 Bouaké,           les 05, 06 et 07 Octobre 2023   Côte d’IvoireISSN : 2313-7908N° DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016  

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Actes du colloque international pluridisciplinaire RÉSEAUX SOCIAUX ET DYNAMIQUE DES SOCIÉTÉS AFRICAINES      
PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES  


PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES

Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines

Directeur de Publication : Prof. Grégoire TRAORÉ

Boîte postale : 01 BP V18 ABIDJAN 01

Tél : (+225) 01 03 01 08 85

(+225) 01 03 47 11 75

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E-mail : administration@perspectivesphilosophiques.net

Site internet : https://www.perspectivesphilosophiques.net

ISSN : 2313-7908

N°DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016

ADMINISTRATION DE LA REVUE PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES

Directeur de publication : Prof. Grégoire TRAORÉ, Professeur des Universités

Rédacteur en chef : Prof. N’dri Marcel KOUASSI, Professeur des Universités

Rédacteur en chef Adjoint : Dr Éric Inespéré KOFFI, Maître de Conférences

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Prof. Aka Landry KOMÉNAN, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Antoine KOUAKOU, Professeur des Universités, Métaphysique et Éthique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA.

Prof. Azoumana OUATTARA, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa

Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa

Prof. David Musa SORO, Professeur des Universités, Philosophie ancienne, Université Alassane OUATTARA

Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA

Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA

Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal

Prof. Jean Gobert TANOH, Professeur des Universités, Métaphysique et Théologie, Université Alassane OUATTARA

Prof. Kouassi Edmond YAO, Professeur des Universités, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA

Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA

Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des Universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou

Prof. N’Dri Marcel KOUASSI, Professeur des Universités, Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA

Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA

Prof. Donissongui SORO, Professeur des Universités, Philosophie antique, Philosophie de l’éducation Université Alassane OUATTARA

COMITÉ DE LECTURE

Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA

Prof. Azoumana OUATTARA, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa

Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa

Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA

Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA

Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal

Prof. Kouassi Edmond YAO, Professeur des Universités, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA

Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA

Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des Universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou

Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA

Prof. Nicolas Kolotioloma YEO, Professeur des Universités, Philosophie antique, Université Alassane OUATTARA

COMITÉ DE RÉDACTION

Secrétaire de rédaction : Dr Kouassi Honoré ELLA, Maître de Conférences

Trésorier : Dr Kouadio Victorien EKPO, Maître de Conférences

Responsable de la diffusion : Dr Faloukou DOSSO, Maître de Conférences

Dr Kouassi Marcelin AGBRA, Maître de Conférences

Dr Alexis Koffi KOFFI, Maître de Conférences

Dr Chantal PALÉ-KOUTOUAN, Maître-assistant

Dr Amed Karamoko SANOGO,Maître de Conférences

SOMMAIRE

TDR du Colloque sur les réseaux sociaux ………………………….……………..……1

Membres du Comité d’organisation et du Comité scientifique ………..……………7

Liste des Participants en qualité de modérateurs et/ou de Rapporteurs ……..…9

ALLOCUTIONS ………………………………………………….…………………11

1- Le Président du comité d’organisation ………………………………….………….13

2- Le chef du Département de Philosophie …………………………………..……….17

CONTRIBUTIONS DES INVITÉS SPÉCIAUX ………………….……………21

1. Les réseaux sociaux ou réseaux de dé-socialisation ?,

Antoine KOUAKOU …………………………………………….…………………..……..23

2. Le langage sms dans le bruissement des réseaux sociaux : est-ce une belle chose ou une destruction des mots ? Penser avec Jean-Michel Besnier,

Auguste NSONSISSA ………………………………………………………………………37

3. La philosophie du dos ou comment philosopher autrement à partir de Facebook,

Thiémélé L. Ramsès BOA ……………………………………………………..………….51

CONTRIBUTIONS PAR AXES D’ANALYSE …………………………………73

AXE 1 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DÉMOCRATIE ………………….………75

1. Les réseaux sociaux numériques et la gouvernance démocratique en Afrique,

1. Oi Kacou Vincent Davy KACOU   2. Neuba Serge N’DRIN ………………….…77

2. Réseaux sociaux et démocratisation de l’information dans l’espace public subsaharien : entre libertés d’expression et communicationnelle,

Faloukou DOSSO ………………………………………………………………………….93

3. La démocratie burkinabè à l’épreuve des réseaux sociaux : cas des changements de régimes de 2014 à 2022 au Burkina Faso,

Sidibeouendin SAOUADOGO ………………………………………………………….111

4. Les réseaux sociaux et la problématique de la démocratie participative en Afrique,

1. Kouamé Hyacinthe KOUAKOU   2. Kadio Mathieu ANGAMAN …….……..133

5. Réseaux sociaux et lutte citoyenne,

Boubakar MAIZOUMBOU ………………………………………………………………151

6. Usages des réseaux sociaux et gouvernance en Afrique,

Odilon YAO ………………….……………………………………………………………..167

7. Impacts des réseaux sociaux et dynamiques démocratiques en Afrique entre excentricités et espérances légitimes !,

1. Séa Frédéric PLÉHIA  2. Nanou Pierre BROU ………………………………….183

8. Réseaux sociaux et identité numérique : Quelle liberté dans l’espace africain ?,

Agoussi Alphonse MOGUÉ ……………………………………………………………..205

9. Usages illicites des réseaux sociaux : cyber menaces, pratiques d’agences de désinformation et risques sur la démocratisation en Afrique,

Ange Bergson LENDJA NGNEMZUE ………………………………..……………….221

10. Réseaux sociaux et crises des sociétés africaines,

Zlankouapieu Romuald Icanor SANKO ………………………………………………241

11. Réseaux sociaux numériques et éthique de l’espace public à partir d’Hannah ARENDT,

1. Bi Zaouli Sylvain ZAMBLÉ 2. KONÉ Amidou ………………………………….257

12. Nouvelles formes de militantisme sur les réseaux sociaux :  une prise de parole politique entre patriotisme et incivisme verbal,

Mamadou Diouma DIALLO ………………………………………..…………..……..273

13. Idéologie de la transparence, réseaux sociaux et démocratie contemporaine,

Ouandé Armand REGNIMA …………………………………………………………….291

AXE 2 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ÉDUCATION …………………………307

14. De la responsabilité des réseaux sociaux numériques dans l’inconduite des adolescents en côte d’ivoire,

Koffi Jacques Anderson BOUADOU ………………………………………………..309

15. Usage juvénile des réseaux sociaux numériques et expérience des dilemmes moraux chez les mères d’adolescents à Bouaké (Côte d’Ivoire),

Yogblo Armand GROGUHÉ …………………………….………………………….….323

16. Short Message Service (SMS) : naissance d’une nouvelle forme d’écriture,

Kouassi KPANGUI ……………………………………..………….…………………….347

17. Réseaux sociaux et apprentissage du journalisme 2.0,

Antonin Idriss BOSSOTO …………………………..………………………………….369

18. Les technologies de l’information et de la communication dans le système éducatif : entre innovation et modèle pédagogique traditionnel,

Rodrigue Paulin BONANÉ ……………………………..……………………………….391

19. Réseaux sociaux, de la perte de l’individu à l’éducation,

1. Apolline Adjo NIANGORAN  2. Magloire Kassi GNAMIEN …………………….409

20. Critique du phénomène d’influenceurs sur les réseaux sociaux à partir de la pensée d’Aristote,

Djakaridja YÉO …………………………………………………………..……………….421

21. Recours aux réseaux sociaux numériques par les étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo pour l’apprentissage et la formation académique,

1. Belo ADIOLA 2. Kibouga Alphonse DIAGBOUGA 3. Bowendsom Claudine Valérie ROUAMBA/OUEDRAOGO ………………………………..………………….441

22. Sémiotique et identité sociale. Une lecture à partir des réseaux sociaux,

Masseniva TRAORÉ ………………………….………………………………………….469

23. De l’éducation : pour une utilisation optimale du web,

Kouassi Olivier SEY ………………………………………………..…………………….487

24. La jeunesse africaine et la révolution cybernétique,

Akpa Akpro Franck Michael GNAGNE ……………….…………………..………….507

AXE 3 : RÉSEAUX SOCIAUX ET SOCIÉTÉ DURABLE ………………..525

25. Réseaux sociaux numériques, territoire récuse dans la valorisation des acquis de la recherche scientifique en Côte d’Ivoire,

1. Aka NIAMKEY 2. Yéo SIBIRI …………………….…………………………………527

26. Les réseaux sociaux : une forme de « pachacuti » andin ou révolution arguédienne ?,

Doforo Emmanuel SORO ……………………………………………………………….547

27. Nouveaux médias et défis sociaux : pour une vision marcusienne de la sociabilisation de l’Afrique,

Amara SALIFOU ………………………………………………………………………….567

28. Réseaux sociaux en Afrique : contribution à la mobilisation des ressources et des compétences pour son émergence,

Laurent GANKAMA ……………………………………………………..……………….583

AXE 4 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DIGNITÉ HUMAINE …………………599

29. La protection des données personnelles à l’ère des réseaux sociaux au Cameroun,

Saidou ABOUBAKAR ……………………………………………………………….……601

30. L’identité humaine à l’ère du numérique : cas des réseaux sociaux,

1. Kouleman Amed COULIBALY   2. Issouf CAMARA ………………………….….621

31. Réseaux sociaux et recomposition du monde,

1. Soualo BAMBA   2. Assane SANOGO   3. Kouadio YAO ………………………637

32. De l’addiction aux réseaux sociaux : « Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Luc 12, 30),

1. Koko Marie-Madeleine SÉKA 2. Chiayé Marie-Pauline SÉKA ………………651

33. Impact des réseaux sociaux sur la promotion du patrimoine culturel du Bénin : cas de la plateforme Fairyland,

Elavagnon Dorothée DOGNON ………………………………………………………..663

34. L’avenir du pour-soi africain et son habitus à l’aune des réseaux sociaux,

Kouadio Julien KOUASSI ………………………………………..……………………..685

35. Crise du concept de réseaux sociaux et exigence éthique en contexte africain,

Florence BOTTI ……………………………………………………………………………705

36. Approche critique francfortoise de la culture de masse et des médias sociaux,

Klindio Lydie COULIBALY épse ZAMBLÉ …………………………………………..721

37. Les réseaux sociaux en Afrique : enjeux et portée épistémo-éthiques,

1. Evariste Dupont BOBOTO 2. Gildas DAKOYI TOLI …..………………………733

AXE 5 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ENVIRONNEMENT …………………747

38. L’État ivoirien, un régulateur impuissant du secteur minier : apport des réseaux sociaux au respect des périodes de vie des mines dans la région du Hambol,

1. Mathieu Jonasse AFFRO 2. Chifolo Daniel FOFANA 3. Nambegué SORO …………………………………………………………………………….…………………..749

AXE 6 : RÉSEAUX SOCIAUX ET IDENTITÉ SOCIALE ………….……769

39. Réseaux sociaux et identité sociale : l’ipséité africaine à l’épreuve de l’altérité,

1. Ghil-christ Elysée YANSOUNOU 2. Ariane DJOSSOU SEGLA ………………771

40. La facture des réseaux sociaux en Afrique : de l’aventure de l’identité à la sociabilité pathologique ?,

Kouadio Victorien EKPO ……………………..………………………………………..789

41. Le téléphone portable, un instrument de tension entre l’être et le paraître,

Bernadette GANSONRE ……………………………………………………………….803

42. John Kyffy sur Facebook, construction d’un monde virtuel au profit d’une carrière artistique réelle,

Yao Francis KOUAMÉ …………………………………..……………………………….823

43. Les réseaux sociaux au village : Pragmatique des usages et enjeux pour l’identité sociale,

Titi Eri Aramatou PALE …………………………………………………..………..……841

44. L’évolution du concept d’amitié à l’ѐre des Réseaux sociaux : vers la numérisation de la relation interlocutive,

Koffi KOUASSI …………………………………………………..…………….………….863

45. Les réseaux sociaux numériques : Vers une dépendance des algorithmes et la déconstruction des identités sociales,

Tiasvi Yao Raoul AGBAVON ……………………………………………………………878

46. Pour une réinvention des sociétés africaines numérisées à la lumière de la pensée de Rousseau,

Adjoua Marie Jeanne KONAN ………………………………………………….………891

47. Les technologies de l’information et de la communication (tic), vecteurs de résilience et de réliance des peuples,

Ghislain Thierry Maguessa EBOMÉ ………………………………………………….907

AXE 7 : RÉSEAUX SOCIAUX ET SEXUALITÉ ………………………….921

48. La cybersexualité en Afrique : Le corps-sexe entre tradition et modernité,

Oliver P. NGUEMA AKWE ……………………………………………………………….923

49. La critique de la banalité sexuelle sur les réseaux sociaux à l’aune du philosopher arendtien,

Amoin Elise KOUADIO …………………………………………….…………………….939

50. Les réseaux sociaux ou l’alter-égo des réseaux de la sexualité,

Mohamed CAMARA ……………………………………………………………..……….955

AXE 8 : RÉSEAUX SOCIAUX ET NORMES JURIDIQUES …….………969

51. Les entreprises burkinabè à l’épreuve des retours d’expériences : cas du groupe Facebook Consom’action-BF,

Esther Delwendé KONSIMBO …………………………………………..……………..971

52. Pacifier l’usage des réseaux sociaux par un cadre législatif : le cas de la loi sur la cybercriminalité en Côte d’Ivoire avec Facebook,

Waliyu KARIMU ………………………………………………………………..…………987

SYNTHÈSE FINALE DU COLLOQUE ……………………………..………1003

LIGNE ÉDITORIALE

L’univers de la recherche ne trouve sa sève nourricière que par l’existence de revues universitaires et scientifiques animées ou alimentées, en général, par les Enseignants-Chercheurs. Le Département de Philosophie de l’Université de Bouaké, conscient de l’exigence de productions scientifiques par lesquelles tout universitaire correspond et répond à l’appel de la pensée, vient corroborer cette évidence avec l’avènement de Perspectives Philosophiques. En ce sens, Perspectives Philosophiques n’est ni une revue de plus ni une revue en plus dans l’univers des revues universitaires.

Dans le vaste champ des revues en effet, il n’est pas besoin de faire remarquer que chacune d’elles, à partir de son orientation, « cultive » des aspects précis du divers phénoménal conçu comme ensemble de problèmes dont ladite revue a pour tâche essentielle de débattre. Ce faire particulier proposé en constitue la spécificité. Aussi, Perspectives Philosophiques, en son lieu de surgissement comme « autre », envisagée dans le monde en sa totalité, ne se justifie-t-elle pas par le souci d’axer la recherche sur la philosophie pour l’élargir aux sciences humaines ?

Comme le suggère son logo, perspectives philosophiques met en relief la posture du penseur ayant les mains croisées, et devant faire face à une préoccupation d’ordre géographique, historique, linguistique, littéraire, philosophique, psychologique, sociologique, etc.

Ces préoccupations si nombreuses, symbolisées par une kyrielle de ramifications s’enchevêtrant les unes les autres, montrent ostensiblement l’effectivité d’une interdisciplinarité, d’un décloisonnement des espaces du savoir, gage d’un progrès certain. Ce décloisonnement qui s’inscrit dans une dynamique infinitiste, est marqué par l’ouverture vers un horizon dégagé, clairsemé, vers une perspective comprise non seulement comme capacité du penseur à aborder, sous plusieurs angles, la complexité des questions, des préoccupations à analyser objectivement, mais aussi comme probables horizons dans la quête effrénée de la vérité qui se dit faussement au singulier parce que réellement plurielle.

Perspectives Philosophiques est une revue du Département de philosophie de l’Université de Bouaké. Revue numérique en français et en anglais, Perspectives Philosophiques est conçue comme un outil de diffusion de la production scientifique en philosophie et en sciences humaines. Cette revue universitaire à comité scientifique international, proposant études et débats philosophiques, se veut par ailleurs, lieu de recherche pour une approche transdisciplinaire, de croisements d’idées afin de favoriser le franchissement des frontières. Autrement dit, elle veut œuvrer à l’ouverture des espaces gnoséologiques et cognitifs en posant des passerelles entre différentes régionalités du savoir. C’est ainsi qu’elle met en dialogue les sciences humaines et la réflexion philosophique et entend garantir un pluralisme de points de vues. La revue publie différents articles, essais, comptes rendus de lecture, textes de référence originaux et inédits.

Le comité de rédaction

TDR du Colloque sur les réseaux sociaux

Contexte et justification

Les réseaux sociaux sont devenus un véritable moyen de communication planétaire « à tel point qu’une violation du droit en un lieu de la terre est ressentie partout » (Kant, 1958, p. 111). Leur mise en œuvre procède, en effet, d’un projet sociopolitique clairement défini : la démocratisation de l’accès à l’information par la création d’une toile relationnelle qui renforce et consolide les rapports entre les personnes, les sociétés et les entreprises, par-delà les frontières. Dans cette perspective, ils apparaissent comme « un outil proprement démocratique, créateur de démocratie » (Sophie Montévrin, 2019, p. 46). Par l’attrait qu’ils exercent sur la vie des individus, des États et des entreprises, « les réseaux sociaux occupent une place de plus en plus importante dans la vie des gens. Selon les derniers chiffres, 43 pourcents de la population mondiale est active sur les réseaux sociaux » (Sophie Montévrin, 2019, p. 8). Selon le site « Internet World Stats », 46% de la population totale du continent africain utilisent les réseaux sociaux. De fait, les Africains ne sont pas des récepteurs passifs de cette technologie de communication qui apporte des transformations dans leur univers social, leur mode de penser et d’agir (David Fayon, 2013). Dans le monde comme en Afrique, les réseaux sociaux suscitent de profondes mutations sociopolitiques et économiques. Ce colloque invite à réfléchir sur ces mutations en Afrique à travers le thème « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines ».

Par l’importance de leur impact sur les sociétés africaines, les réseaux sociaux révèlent une ambivalence préoccupante : d’une part, ils contribuent à la fois à leur progrès socio-économique (Tracy Tuten, 2019, Christine Balagué, David Fayon, 2022) et à l’accélération des crises sociopolitiques qui aboutissent, parfois, au renversement du pouvoir; et d’autre part, l’interaction qu’ils favorisent entre les individus de tous bords contribuent à la fois à l’affirmation et à l’épanouissement des qualités et du potentiel des Africains, mais aussi, à la violation de leur vie privée et à leur déséquilibre psychologique pouvant conduire à la déconstruction de leur personnalité (Thomas Huchon, Jean-Bernard Schmidt, 2022). Au-delà des relations interpersonnelles ordinaires, des autoproclamés « influenceurs » (Edouard Fillias, François-Charles Rohard, 2021) s’efforcent d’influencer, d’orienter les modes de vie et de pensée des Africains par leurs publications, contribuant ainsi à justifier l’idée de

« l’influence toxique des réseaux sociaux » qu’évoque Sophie Montévrin. Cette toxicité est constatable à travers l’usurpation d’identité, l’intrusion dans la vie privée, l’utilisation d’images compromettantes, les fakes news, la remise en cause des valeurs sociales, etc.

Il apparaît alors que l’avenir des sociétés africaines, la qualité de leur système éducatif, le fondement des rapports intersubjectifs et surtout les normes axiologiques au fondement de la personne humaine et des sociétés sont en jeu dans le développement vertigineux des réseaux sociaux sur le continent comme dans le monde (Robert Redeker, 2021). À travers ce colloque international et pluridisciplinaire, toute la communauté scientifique est invitée à des réflexions croisées sur l’impact des réseaux sociaux sur la dynamique des sociétés africaines. Si la démocratisation de l’information induite par les réseaux sociaux apparait comme une œuvre noble, elle semble poser problème à travers ses différents usages.

Problématique et objectifs

L’ambivalence préoccupante des réseaux sociaux conduit à la nécessité d’un accompagnement éthique de leur usage en instaurant un cadre éthique en vue d’une prise en compte efficiente et pratique de cet outil de communication. Au-delà du cadre d’origine des réseaux sociaux, les sciences et techniques de la communication, ce colloque est ouvert à toutes les régionalités scientifiques en vue d’une approche globale de l’influence et de l’usage des réseaux sociaux en Afrique. À cette fin, ce colloque pose le problème suivant : Quels sont les impacts des réseaux sociaux sur les dynamiques sociales en Afrique ? Ce problème se décline en questions spécifiques :

  • Comment caractériser les réseaux sociaux ?
  • Quelles sont leurs contributions aux dynamiques des sociétés africaines, dans leurs rapports avec les sociétés du monde, d’un point de vue cosmopolitique ?
  • Quand et comment les réseaux sociaux deviennent-ils des pesanteurs de ces dynamiques ?
  • Comment, alors, circonscrire leurs effets pervers ?

De cette problématique se dégagent les objectifs de ce colloque :

  • Montrer que les réseaux sociaux sont devenus, en Afrique, non seulement des instruments de transformations sociales (Gado Alzouma, 2008, En ligne), mais aussi dévoiler les conditions sous lesquelles leur déploiement peut véritablement être sources de dérives sociales et morales ;
  • Examiner la nécessité d’une réévaluation des objectifs de cet outil de communication et surtout souligner leur incidence sur les sociétés contemporaines, en général, et sur les sociétés africaines, en particulier ;
  • Générer une convergence des savoirs à travers une approche interdisciplinaire sur les implications politiques, juridiques, culturelles et éthique de l’usage des réseaux sociaux ;
  • Donner à comprendre les mécanismes de structuration des relations intersubjectives, les modes d’acquisition des savoirs, les leviers qui les rendent possibles, et surtout, à penser les dispositions pratico- éthiques en vue d’une meilleure gestion des réseaux sociaux dans les États africains ;
  • Identifier les outils conceptuels et pratiques à mettre en œuvre pour critiquer l’univers des réseaux sociaux et dégager des voies pour leur prise en charge efficiente.

Axes du colloque

Axe 1 : Réseaux sociaux et démocratie

L’usage des réseaux sociaux ne peut guère faire l’économie des formes abusives de la liberté d’expression et des crises sociales qu’ils influencent irrémédiablement. Cet axe traitera des rapports entre les réseaux sociaux et la politique pour justifier et/ou atténuer le sentiment de « l’influence toxique des réseaux sociaux ».

Axe 2 : Réseaux sociaux et éducation

L’un des objectifs majeurs des réseaux sociaux est la formation des individus en mettant à leur disposition une panoplie d’informations et de savoirs (scolaires, universitaires, culturels, généraux, etc.). Ce rôle éducatif assigné aux réseaux sociaux est parfois dévoyé par des intérêts qui sapent les fondements axiologiques de l’éducation. Cet axe réfléchira sur l’impact des réseaux sociaux sur les valeurs sociales qui constituent le ciment de toute société.

Axe 3 : Réseaux sociaux et société durable

Les réseaux sociaux tendent à transformer les fondements relationnels au sein des sociétés suivant une double trajectoire : obérer la paix sociale ou assurer la tranquillité sociale. Ce dernier échelon stimule de plus en plus le recours aux réseaux sociaux en vue de rétablir un climat de paix. En tant que moyen de mobilisation des masses, il apparaît évident que les réseaux sociaux peuvent être un levier de socialisation des individus. Cet axe examinera comment les réseaux sociaux peuvent être mis à contribution dans la recherche de l’équilibre social.

Axe 4 : Réseaux sociaux et dignité humaine

Les atteintes à la dignité humaine sont de plus en plus perceptibles à travers les réseaux sociaux. Pour Sophie Montévrin (2019, p. 72), « si les réseaux sociaux permettent d’avoir des espaces d’expression libres, comme au café du commerce, ils s’apparentent trop souvent à des défouloirs ». Cet axe vise la détermination de normes éthiques susceptibles de conduire à une revalorisation de la dignité humaine à travers les réseaux sociaux.

Axe 5 : Réseaux sociaux et environnement

La crise écologique actuelle procède, en partie, d’un manque de sensibilisation des individus sur les causes et les stratégies de protection de l’environnement. Cet axe de réflexion déterminera des modes d’utilisation des réseaux sociaux, aux échelons national et international, pour la diffusion de principes et savoirs innovants de la gestion des cadres de vie et de l’instauration d’une attitude écocitoyenne.

Axe 6 : Réseaux sociaux et identité sociale

L’impact des réseaux sociaux sur la perception de soi et la représentation de l’environnement social est indubitable. À travers les nouvelles formes de sociabilité qu’ils favorisent, les réseaux sociaux ambitionnent, sans doute, de produire un modèle culturel et social d’identité dans lequel l’individu projette une image de lui-même tiraillée par le réel et le virtuel. Cet axe de réflexion sera non seulement l’opportunité de comprendre la manière dont la perception de soi, de l’autre et la représentation du monde se forge à travers les réseaux sociaux, mais aussi la façon dont ils contribuent à la fragmentation identitaire.

Axe 7 : Réseaux sociaux et sexualité

L’influence des réseaux sociaux sur les comportements sexuels met au défi les mœurs africaines et l’éducation sexuelle des jeunes. Cet axe analysera les effets des réseaux sociaux sur la déliquescence des mœurs en Afrique au moment où des pratiques sexuelles controversées tentent de se mondialiser.

Axe 8 : Réseaux sociaux et normes juridiques

A l’instar de tous les objets techniques et les pratiques sociales, les réseaux sociaux doivent être soumis à une législation. Il semble, pourtant, que la régulation juridique des réseaux sociaux est confrontée au respect du principe de la liberté d’expression et de conscience. Cet axe permettra de réfléchir aux conditions et modalités d’un meilleur encadrement juridique des réseaux sociaux dans les États africains.

COMITÉ D’ORGANISATION ET COMITÉ SCIENTIFIQUE

COORDINATION

Prof. Grégoire TRAORÉ, Professeur titulaire

Prof. Edmond Yao KOUASSI, Professeur titulaire

Prof. Nicolas Kolotioloma YÉO, Professeur titulaire

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Président : M. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur titulaire, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Vice-Présidents :

M. Ayénon Ignace YAPI, Professeur titulaire, Université Alassane Ouattara, Bouaké

M. Henri BAH, Professeur titulaire, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Membres :

Prof. Aklesso ADJI, Université de Lomé

Prof. Alain RENAUT, Université de la Sorbonne, Paris

Prof. Antoine KOUAKOU, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Assouman BAMBA, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Auguste NSONSISSA, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Ayénon Ignace YAPI, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Azoumana OUATTARA, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Cablanazann Thierry Armand EZOUA, Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, Abidjan-Cocody

Prof. Charles Zacharie BOWAO, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Ernst WOLFF, Institut Supérieur de Philosophie, KU Leuven. Belgique

Prof. Évariste Dupont BOBOTO, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Donissongui SORO, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Jacques NANÉMA, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou

Prof. Jean Gobert TANOH, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Jean-Luc AKA-EVY, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Yao Edmond KOUASSI, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Mahamadé SAVADOGO, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou

Prof. Mounkaïla Abdo Laouli SERKI, Université Abdou-Moumouni, Niamey

Prof. N’Dri Marcel KOUASSI, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Samba DIAKITÉ, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Thiémelé Ramsès BOA, Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody

COMITÉ D’ORGANISATION

Président : M. Amed Karamoko SANOGO, Maître de Conférences

Vice-Président : M. Éric Inespéré KOFFI, Maître de Conférences

SECRÉTARIAT SCIENTIFIQUE

Président : M. Kouassi Honoré ELLA,Maître de Conférences

Membres :

M. Kouassi Marcelin AGBRA,Maître de Conférences

M. Fatogoma SILUE,Maître de Conférences

Dr Amidou KONE, Maître-Assistant

Dr PLEHIA Séa Frédéric, Maître-Assistant

COMMISSION COMMUNICATION

Responsable : M. Faloukou DOSSO, Maître de Conférences

Membre : Dr Amara SALIFOU, Maître-Assistant

COMMISSION TECHNIQUE VOLET INTERNET

Responsable : Dr ANGBAVON Tiasvi Yao Raoul, Maître-Assistant

Membre : Dr/MC KANON Gboméné Hilaire, Maître de Conférences

COMMISSION RESTAURATION

Responsable : Dr/MC Chantal PALE, Maître de Conférences

Membres :

Dr Anne-Marie KOUAKOU, Maître-Assistant

Dr Marcelin GALA BI, Maître-Assistant

Mme DRUID Joselyne, Secrétaire du Département

COMMISSION TRÉSORERIE ET FINANCES

Responsable : M. Victorien Kouadio EKPO, Maître de Conférences

Membre : Dr ASSIE Ahou Marthe, Maître-Assistante

COMMISSION ACCUEIL, HÉBERGEMENT ET DÉCORATION

Responsable : Dr Elisée Offo KADIO, Maître-Assistant

Membre : Dr Florence BOTTI, Assistante

COMMISSION LOGISTIQUE

Responsable : M. Yao Bernard KOUASSI, Maître de Conférences

Membres :

Dr ANGAMAN Kadio Mathieu, Maître-Assistant

Dr SABLÉ Léhoua Patrice, Maître-Assistant

COMMISSION PROTOCOLE ET MAÎTRISE DE CÉRÉMONIE

Responsable : M. Jean Joël BAHI, Maître-Assistant

Membres :

Prof. Alexis KOFFI, Professeur titulaire

Dr Madeleine Amenan KOUASSI, Assistante

COMMISSION RÉDACTION DES RAPPORTS

Responsable : M. Kouassi Thomas N’GOH, Maître de Conférences

Membres :

M. Christian Kouadio YAO, Maître de Conférences

Dr Baboua TIÉNÉ, Maître-Assistant

Dr Allassane KONE, Maître-Assistant

Dr KACOU Oi Kacou, Assistant

Dr MOULO Kouassi, Assistant

LISTE DES MODÉRATEURS ET DES RAPPORTEURS DU COLLOQUE

I. LISTE DES MODÉRATEURS DU COLLOQUE

Prof. YAPI Ayenon

Prof. YEO Nicolas

Prof. KOUASSI Marcel

Prof. KOUAKOU Antoine

Dr MC KOUASSI N’Goh

Dr MC DOSSO Faloukou

Dr MC DAGNOGO Baba

Dr MC KOUASSI Assanti

Dr MC PILLAH N. Privat 

Dr MC KPANGUI Kouassi

Dr MC KOFFI Eric

Dr MC SILUE Fatogoma

Dr MC YOULDÉ Stéphane

Dr SÉKA Koko

Dr GALA Bi

Dr PALE Titi

Dr SALIFOU Amara

Dr SORO Jean

Dr SÉKA Chayé

Dr YAO Odilon

Dr NIANGORAN Adjo

Dr BAHI Jean-Noël (Maître de cérémonie)

Dr KOUASSI A. Madeleine (Maîtresse de cérémonie)

II. LISTE DES RAPPORTEURS DU COLLOQUE

Dr MC DELLA T. Barthélémy

Dr MC YOULDÉ Stéphane

Dr KONE A. Alassane

Dr ANGAMAN K. Mathieu

Dr AFFRO Jonasse 

Dr SIALLOU Kouassi Hermann

Dr KOUA Guéi Simplice

Dr MOULO Kouassi Elisée

Dr KADIO Offo Elisée

Dr KACOU OI Kacou

Dr BOTTI Florence

Dr KOUASSI A. Madeleine

Dr KOUASSI Koffi

Dr GUI Désiré

Dr Gnagne Akpa Akpro

Dr SANOGO Assane

Dr TIENE Baboua

Dr SORO Torna

Dr SORO Doforo Emmanuel

COULIBALY Sounan

ALLOCUTIONS

ALLOCUTION DU PRÉSIDENT DU COMITÉ D’ORGANISATION

Monsieur le représentant du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ;

Monsieur le représentant du Président de l’Université Alassane Ouattara ;

Monsieur le vice-Président chargé de la pédagogie ;

Madame la représentante du vice-Président chargé de la recherche et de la vie universitaire ;

Madame la Secrétaire Générale Adjointe de l’Université Alassane Ouattara ;

Monsieur le Doyen de l’UFR-CMS ;

Monsieur le Chef du département de Philosophie ;

Très chers Maîtres et collègues ;

Mesdames et Messieurs de la presse ;

Distingués invités ;

Chers étudiants ;

Mesdames et Messieurs, en vos rangs et qualités ;

Le Comité d’Organisation, par ma voix, vous souhaite AKWABA, la cordiale bienvenue, et vous exprime sa joie de vous accueillir, à Bouaké, en terre ivoirienne. C’est un honneur bien ressenti que de vous compter parmi les participants à ce colloque pluridisciplinaire qui se tiendra sur trois jours, à savoir les 5, 6 et 7 octobre 2023.

« Mesdames et messieurs, veuillez éteindre vos téléphones portables », est une phrase souvent entendue lors des rencontres importantes. Cette adresse que d’aucuns pourraient considérer comme une forme d’injonction, loin s’en faut, révèle l’actualité du thème du colloque qui nous réunit ce jour : « Réseaux sociaux et dynamiques des sociétés africaines ».

En effet, le téléphone portable est devenu l’un des vecteurs principaux des réseaux sociaux auxquels nous nous attachons de plus en plus au fil des années. Pourtant, l’appel à éteindre nos téléphones portables, à certains moments, montre bien qu’il est possible de s’en passer surtout lorsqu’il s’agit de méditer sur des questions qui nous touchent et qui mettent à contribution nos méninges.

En tant qu’un des maillons essentiels de la dynamique que connaît l’université Alassane Ouattara, le Département de Philosophie ne pouvait donc pas marquer son désintérêt vis-à-vis de ce phénomène mondial qu’est l’expansion des réseaux sociaux et nous invite, donc, à y réfléchir à nouveaux frais pour mieux comprendre et circonscrire l’utilisation des réseaux sociaux. Le faisant, le Département est dans le rôle qui lui est assigné par la Philosophie, à savoir « penser son temps en concept », selon l’expression du philosophe des Lumières Friedrich Hegel.

Mesdames et messieurs,incontestablement, notre époque est fortement rythmée par les réseaux sociaux qui irradient, se retrouvent dans tous les secteurs d’activité : la politique, l’éducation, l’environnement, le droit, la sexualité, les relations interhumaines, etc.

Bien que considérées comme sous-développées, les sociétés africaines sont en bonne place dans l’utilisation des réseaux sociaux qui y ont assurément des impacts divers. Entre avantages et inconvénients des réseaux sociaux, les dynamiques des sociétés africaines, leurs évolutions et/ou régressions, sont également à questionner.

Quel statut faut-il accorder aux réseaux sociaux dans la dynamique de nos sociétés ? Les réseaux sociaux sont-ils un moyen sûr pour le développement économique, culturel, politique et social des États africains ? Les Africains font-ils un meilleur usage des réseaux sociaux à l’heure où les Fakes news tendent à désorganiser les sociétés ? Comment accommoder les valeurs socioculturelles de nos sociétés aux contenus des réseaux sociaux qui se propagent à la vitesse de la lumière ?

Voilà autant de préoccupations sur lesquelles les éminents participants, réunis dans le cadre de ce colloque et venant de différentes universités d’Afrique, vont se pencher. Ils examineront de manière approfondie les relations entre les réseaux sociaux et l’évolution ou la régression des sociétés africaines, tant entre elles qu’en comparaison avec les sociétés occidentales, orientales et moyen-orientales, et cela sous tous les angles possibles.

Après avoir évoqué brièvement les enjeux du colloque sur « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines », je souhaite, Mesdames et Messieurs, exprimer ma gratitude envers les divers acteurs qui ont contribué à faire de ce colloque une réalité aujourd’hui.  

Je voudrais exprimer ma gratitude au Chef du Département de Philosophie, le Professeur Traoré Grégoire, qui m’a fait confiance en me mettant à la présidence de l’organisation de ce colloque. Professeur, vous avez été attentif aux difficultés et préoccupations qui vous ont été soumises.

Je félicite chaleureusement tous les membres du Comité d’Organisation qui continueront à travailler même après la clôture des travaux qui débutent aujourd’hui. Je les remercie pour leur esprit d’équipe, leur résilience face aux difficultés rencontrées, ainsi que pour leur sens des responsabilités dans l’accomplissement de leur tâche.

Je tiens à exprimer mes remerciements renouvelés, en suivant tous les protocoles appropriés : 

À nos autorités ;

À nos Maîtres d’ici et d’ailleurs ;

À tous les contributeurs venus de tous les horizons ;   

Aux syndicats d’enseignants et aux organisations d’étudiants ;

À nos étudiants ;

Je tiens à remercier particulièrement l’administration centrale de l’UAO, avec à sa tête le Président Kouakou Koffi, pour l’accompagnement dont nous avons bénéficié.

Je tiens à adresser mes remerciements également aux partenaires de premier rang :

le Fonds pour la Science, la Technologie et l’Innovation (FONSTI) pour son soutien multiforme.

l’Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI), pour son accompagnement.

la Commission Nationale du Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (CN-MAEP), présidée par Professeur Soro David Musa, pour son implication à l’organisation de ces assises, malgré ses contraintes.

Mesdames et messieurs, je voudrais conclure mon allocution en vous exprimant mes vœux pour des travaux fructueux au cours de ces trois jours.

Merci de votre aimable attention !

M. SANOGO Amed Karamoko, Maître de Conférences, Enseignant-chercheur, Département de philosophie, Université Alassane Ouattara,

DISCOURS DU CHEF DE DÉPARTEMENT

Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique,

Monsieur le Président de l’Université Alassane Ouattara,

Monsieur le Doyen de l’UFR – Communication, Milieu et Société,

Mesdames et Messieurs les Directeurs et Chefs de services,

Mesdames et Messieurs les Enseignants-Chercheurs,

Chers étudiants,

Chers amis de la presse,

Mesdames et Messieurs, Honorables invités en vos rangs, grades et qualités,

Au nom du Département de philosophie, je voudrais vous dire, au-delà de ce que je saurai exprimer, mes sincères remerciements pour votre présence effective, massive et distinguée qui montre tout l’intérêt que vous avez bien voulu accorder à ces assises qui s’ouvrent, aujourd’hui, à l’Université Alassane Ouattara. La problématique des réseaux sociaux et leur impact sur la dynamique des sociétés africaines exige des solutions immédiates, tant ils touchent au fondement des Institutions qui donnent sens à notre être en société.  Les réseaux sociaux définissent notre vie puisqu’ils influencent notre mode d’être et d’agir en société. Dans nos sociétés contemporaines africaines, ils occupent une place prépondérante dans la mesure où ils façonnent la vision du monde des individus, leur approche relationnelle. Selon les statistiques, 46 pourcents de la population totale du continent africain utilisent les réseaux sociaux. De fait, les Africains ne sont pas des récepteurs passifs de cette technologie de communication qui apporte des transformations dans leur univers social, leur mode de penser et d’agir (David Fayon, 2013). En Afrique, les réseaux sociaux suscitent de profondes mutations sociopolitiques et économiques.

Par leur puissance transformatrice du monde social et des valeurs qui le sous-tendent, les réseaux sociaux se sont révélés être paradoxalement à la fois une véritable source d’émerveillement et d’inquiétudes suscitant une réflexion sur leurs réels enjeux et le sens qu’ils impriment à la dynamique des sociétés africaines. La tenue de ces assises qui rassemblent des experts venus de divers horizons du monde vise à ausculter le sens des réseaux sociaux et la manière dont ils influencent la dynamique de nos sociétés.

Sous certaines formes, les réseaux sociaux peuvent participer au progrès de nos sociétés dès lors que les buts qu’ils sont censés atteindre, coïncident avec les bonnes intentions et le bien-être de l’homme. Cependant, pour parodier ce célèbre philosophe allemand d’origine juive, Hans Jonas, on peut soutenir que cette intention des individus reste creuse ou vide de sens aussi longtemps que l’on ignore ce qu’est le bien que les réseaux sociaux sont censés apporter aux sociétés africaines. Nous devons savoir, en effet, vers quelle destination ils nous conduisent et surtout quelles dispositions éthiques prendre pour leur meilleure utilisation. Or comme semble le souligner Jonas dans le Phénomène de la vie, « il y a ceux qui acclament la houle qui les emporte avec elle et dédaignent de se demander vers où ? ; qui saluent le changement pour lui-même, la poussée en avant, sans fin, de la vie vers le toujours nouveau, l’inconnu, le dynamisme comme tel ». Les évènements protéiformes et angoissants qui se succèdent à un rythme infernal sur les Réseaux sociaux entraînent et traînent les sociétés africaines vers des directions tous azimuts, dans une sorte de tourbillon et de vertige, au point où l’on est tenté de croire que nous sommes face à une crise sociale, des individus et de nos Institutions. En réalité, les réseaux sociaux sont devenus de véritables cadres de défoulement des esprits, que dis-je, de logorrhée verbale, de recherche de gain facile où la recherche de la vérité n’est plus la priorité.

Si la crise est, cependant, ce moment de rupture, de malaise, parfois un tournant périlleux qui peut aussi introduire un changement de vision, une orientation nouvelle, avant que d’aboutir tout de même à une issue heureuse, une réelle démarche votive à la recherche de solutions idoines doit s’imposer. C’est donc à juste titre que l’Université, en tant qu’Institution qui contribue à l’autoréflexion de la société, mobilise, en ce jour, ses acteurs afin qu’ils fassent l’anamnèse des maux qui sapent les fondements et valeurs de la société.  Mesdames et Messieurs, ces acteurs rompus à la bonne réflexion, ces penseurs de qualité et bon goût ne sont-ils pas comme pouvait le dire Émile Zola « ces actifs ouvriers qui sondent l’édifice sociale, en indique les poutres pourries, les crevasses intérieures, les pierres descellées, tous ces dégâts que l’homme lambda ne voit pas du dehors et qui pourtant peuvent entraîner la ruine du monument social entier » ? 

L’Université est appelée à répondre à de nouveaux et grands défis en termes d’éducation, de recherche et de gouvernance face à la mutation rapide des sociétés, à l’évolution de l’état d’esprit de la jeunesse, aux nouveaux outils et technologies de communications. Caractéristiques des temps modernes, les réseaux sociaux doivent nécessairement faire l’objet d’une analyse critique de la part des universitaires et particulièrement des universitaires africains, car en Afrique, leur utilisation nous laisse parfois dubitatif quant au but de leur invention. Ce colloque vient donc à-propos pour faire un état des lieux des crises répétées qui secouent nos sociétés, qui ralentissent leur développement. Ce colloque a pour ambition de mettre en évidence les défis et trouver des solutions susceptibles de conduire les États africains sur la voie d’une gestion durable, dynamique et responsable des sociétés africaines. Il proposera, je l’espère pour ma part, une réflexion constructive sur de nouvelles perspectives heuristiques de qualités sociétales ; sur l’implication de nos Universités africaines dans la construction à court, moyen et long terme de nos Institutions régulatrices des réseaux sociaux et qui président à la destinée des sociétés.

Mesdames et Messieurs, la centralité thématique de ce colloque qui nous réunit, porte au total sur « la place des réseaux sociaux dans l’évolution des sociétés africaines ». Nous sommes tous, panélistes et partenaires extérieurs, appelés à trouver à partir de ce colloque des solutions pour sauver la situation inquiétante de la société africaine due à une mauvaise utilisation des réseaux sociaux. Poser un diagnostic sur la situation de réseaux sociaux en Afrique impose de pouvoir déceler le type de contribution qu’ils doivent apporter à nos sociétés, mais surtout de situer les responsabilités concernant leur utilisation. Un tel acte est d’une grande portée puisque l’Université, en tant que cadre d’élaboration et de partage des connaissances, est également le lieu de préparation de la société de demain. En envisageant la recherche de solutions sous l’angle de la transversalité ou du moins de l’interdisciplinarité, nous pensons que cet acte est solidaire d’une vision globale caractérisée par l’implication mutuelle des œuvres que l’on peut qualifier de l’esprit d’avec celles de la société. Une telle globalité est déjà à l’œuvre dans le réinvestissement social des recherches et réflexions issues des Universités. De sorte que l’on arrive à la logique suivante : les débats dans les Universités ne peuvent se soustraire de la réalité sociale. Au contraire, les Universités doivent analyser les maux qui minent les sociétés actuelles et anticiper l’avenir. Je suis donc convaincu que nous aurons des résultats satisfaisants au regard de la qualité des différents contributeurs qui ont bien voulu apporter leurs idées pour cerner la situation des réseaux sociaux en Afrique.

Je voudrais très chaleureusement, en ma qualité de Directeur de Département de philosophie d’une part, en tant que coordonnateur général des activités de ce colloque d’autre part, exprimer ma gratitude à nos invités de marque ainsi qu’à toutes les personnes qui ont effectué le déplacement. Je voudrais aussi remercier, avec encore beaucoup d’enthousiasme et de chaleur, le Président du Comité d’Organisation (PCO) de ce rassemblement scientifique pour avoir œuvré généreusement et efficacement au bénéfice de cet évènement, ô combien utile à nos Institutions, à toutes les Universités africaines ainsi qu’à nos décideurs socio-politiques africains. Nos remerciements vont aussi à tous nos partenaires, à tous nos collègues, nos maîtres, venus ici pour échanger sur un sujet aussi important. 

Je vous remercie et souhaite, à tous, un très bon séjour scientifique.

CONTRIBUTIONS DES INVITÉS SPÉCIAUX

LES RÉSEAUX SOCIAUX OU RÉSEAUX DE DÉ-SOCIALISATION ?

Antoine KOUAKOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

k_anthoyne@yahoo.ca

Résumé :

Les Réseaux Sociaux constituent, sans nul doute, le phénomène incontournable des sociétés contemporaines. Enfants, Jeunes et personnes âgées vivent aujourd’hui sans pouvoir s’en passer. Le Réseautage Social, dans sa diversité (Facebook, Instagram, YouTube, Linkedin, WhatsApp, etc.) participe ainsi de la dynamique des sociétés d’ici et d’ailleurs. Cependant, s’il apparaît évident qu’ils influent positivement et de façon considérable sur tous les domaines de l’activité humaine (travail, économie, loisirs, amour, éducation, etc.), leur côté néfaste n’est pas à ignorer, vu qu’ils arrivent souvent à désarticuler les principes de base qui articulent, ordinairement, la réalité sociétale. Comme tels, ils révèlent leur ambivalence qui impose l’urgence d’une éducation aux médias sociaux, condition de réalisation de sociétés durables ou éthiquement supportables.

Mots clés : Communication éthique, Désocialisation, Éducation aux médias, Éthique, Réseaux Sociaux.

Abstract:

Social networks are, without doubt, the most important phenomenon in contemporary society. Children, young people and the elderly all live their lives without them. Social networking, in all its diversity (Facebook, Instagram, YouTube, Linkedin, WhatsApp, etc.) is part of the dynamic of societies here and abroad. However, while it’s clear that they have a positive and considerable influence on all areas of human activity (work, the economy, leisure, love, education, etc.), their harmful side is not to be ignored, as they often manage to disarticulate the basic principles that ordinarily articulate societal reality. As such, they reveal their ambivalence, which imposes the urgent need for social media education as a condition for the realization of sustainable or ethically bearable societies.

Keywords : Ethical communication, Desocialization, Media literacy, Ethics, Social networks.

Introduction

Qu’est-ce qui détermine, de fond en comble, les Réseaux Sociaux ? En partant de cette évidence implacable que nous vivons dans un monde numérisé où le technocosme est en passe d’envahir toute la sphère, la question existentielle et primordiale ne s’impose-t-elle pas en ces termes : Que faire pour fonder une société durable ? Cette question, en réalité, masque le présupposé d’une société en déliquescence, d’un monde en crise de sens. Le monde d’aujourd’hui, entièrement articulé par l’explosion des technologies de l’information et de la communication serait, sans nul doute, loin de nous garantir l’épanouissement ou le bonheur espéré. Quand on vient à porter un regard sur la multitude des réseaux Sociaux (Facebook, WhatsApp, Tik Tok, Messenger, etc.), on ne saurait ne pas se réjouir de leur avènement tant ils ont positivement bouleversé ce monde politiquement, économiquement, culturellement, socialement et sanitairement… Surtout, quand on en vient aux libertés individuelles, à la possibilité offerte aux individus d’expérimenter leurs droits à la parole, à l’autonomie, à l’exaltation de convictions en eux enfouis, comment ne pas en être émerveillé et s’écrier : Waaaaoooouu ! Et seulement, autant en emporte le vent ! L’univers des Réseaux Sociaux se dévoile tant dans son être faste que néfaste. Comment vouloir en effet faire-société avec les autres en donnant libre-cours à ses caprices, en s’adonnant à « l’acte gratuit ou liberté d’indifférences » (A. Gide, 1972, 250 p) ? Dans un contexte social, au sein de l’autoroute de l’information, est-on autorisé à écrire ou à dire tout ce qui nous chante ? L’homme, au centre de tout ce système de réseautage ne peut que se retrouver balloté par des vagues de conceptions, ou d’actions qui finissent par le corrompre ou l’avilir. Quelles stratégies importe-t-il alors de mettre en place dans une société-liquide et vacillante ?

1. De l’ambivalence de l’univers des réseaux sociaux à l’insociable sociabilité de l’homme

D’un développement exponentiel des Réseaux Sociaux, avec leurs multiples avantages pour les sociétés contemporaines, répond une extrême vulnérabilité desdites sociétés désormais exposées au nihilisme de tout acabit. En eux se décèle une réalité duelle, elle-même aggravée par ce que Kant (1985, p. 192) appelait

l’insociable sociabilité de l’homme, c’est-à-dire leur penchant à entrer en société, penchant lié toutefois à une répulsion générale à le faire, qui menace constamment de dissoudre cette société. Une telle disposition est très manifeste dans la nature humaine. L’homme possède une inclination à s’associer parce que, dans un tel état, il se sent davantage homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses penchants naturels. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer (s’isoler) » : en effet, il trouve en même temps en lui ce caractère insociable qui le pousse à vouloir tout régler à sa guise ; par suite, il s’attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu’il se sait lui-même enclin de son côté à résister aux autres.

Cet isolement caractéristique de l’humain trouve sa manifestation, sur les Réseaux Sociaux, dans la constitution ou création de Groupes. De façon contextuellement analogue, disons que les Réseaux Sociaux sont à la fois des facteurs de socialisation et de désocialisation. Dans le procès de la dynamique sociale, il y a ainsi toujours un – gagner dans les Réseaux Sociaux. De leur avènement, comment s’empêcher de dire, avec M. Blay (2016, p. 10-11), ce qui suit :

Quel enthousiasme ! Quel orgueil ! Tout sera connecté, piloté par des moteurs de recherche et des machines informatiques afin d’obtenir une efficacité optimale pour tous les aspects de notre existence individuelle ou sociale. Une existence parfaitement réglée car parfaitement renseignée/surveillée pour la débarrasser de ses imperfections, des pertes de temps, de rêverie (…) Une existence vouée aux réseaux, aux sollicitations extérieures, dénuée de réflexion et de profondeur, de toute intériorité. Une existence plate, ignorant l’expérience vitale qui nous lie à notre regard intérieur.

De la connexion de tous les aspects de notre existence, sous l’égide de l’informatique, qui viendra à tout réguler, renseigner ou contrôler, s’ensuivra la perte de toute intériorité ou profondeur, donc la porte ouverte à toute forme de platitude. S’il en est ainsi, c’est bien parce que la dépendance ou la simple connexion aux Réseaux Sociaux en vient à nous désagréger de notre environnement immédiat, familial, voire individuel, au profit du monde extérieur, lointain, virtuel, communautaire. Bill Gates, dans l’Avant-Propos de l’ouvrage de Michael Dertouzos, affirmait, en 1987, ce qui suit : « Plus importants encore, des progrès imminents en hardware, en software et dans l’infrastructure des réseaux vont affecter, en petit ou en grand, la vie en société, la famille, le monde du travail, la santé, les loisirs, l’économie, et l’idée même de notre place dans l’univers » (B. Gates, in M. Dertouzos, 1999, p. 10).

L’impact considérable des Réseaux Sociaux sur l’existence ordinaire des hommes en vient à déstructurer même les croyances ou visions classique du monde, en sorte que se pose la question de notre sens dans l’univers. Qui sommes-nous ? Quel est le sens de notre être-là au monde ? Il est clair que

s’inscrire sur un réseau social peut répondre au besoin d’appartenance d’un individu à une communauté qui partage ses intérêts, voire son langage, avec laquelle il a des affinités. On parle de tribu. Cela répond aussi au besoin d’être reconnu par les membres de sa communauté. Selon le sociologue Pierre Mercklé, les réseaux sociaux pourraient constituer « un nouveau paradigme sociologique, une “troisième voie” théorique entre le holisme et l’individualisme sociologique » dans la mesure où d’une part on assiste à une montée de l’individualisme et d’autre part chacun a un fort besoin d’appartenance à une ou plusieurs communautés pour interagir et échanger, sachant que le tout peut avoir une valeur supérieure à la somme des parties (C. Belagué, D. Fahon, 2022, p. 36).

Mais, ce besoin d’appartenance ne manque pas de traduire une exigence de déconnexion vis-à-vis d’une autre sphère ou d’une autre communauté qu’on pourrait qualifier de familiale, d’universelle, etc. Est-ce bien là manifester son statut d’animal politique ? Quelle peut bien être la politicité d’un tel animal, la sociabilité d’un tel homme quand le virtuel en arrive à supplanter la vie réelle et vraie ? Par ailleurs, on pourrait bien supposer que « La communication est évidemment un élément central des réseaux sociaux qui proposent tous des outils de communication synchrones (chat ou vidéoconférence) et asynchrones (commentaires, forum) » (PMTIC, 2017).Mais, y aurait-il vraiment communication ? La société contemporaine, en apparence jugulée par les technologies de l’information et de la communication, ne nous offre-t-elle pas le paradoxe d’un univers d’incommunicabilité ?

Kierkegaard (2004, p. 93), dans La dialectique de la communication, n’a eu de cesse à relever cet état de fait caractéristique de notre temps où « la pensée – et c’est à mon sens l’un de ses plus graves défauts – a supprimé la personnalité et a rendu tout objectif. Aussi bien ne s’attarde-t-on pas à la pensée de ce que c’est que communiquer ; mais l’on se hâte aussitôt vers l’objet, le ce qu’on entend communiquer » (Idem, p. 68). Toujours est-il que, dans un tel contexte, s’efface ou s’oublie le sujet communicant sinon doué de communication, qui, dans l’appareillage technoscientifique, manque de probité, de primitivité. En réalité, dans un univers d’uniformité ou d’uniformisation, de conformisme et de consumérisme à l’universel,

il est incontestablement plus confortable et plus sûr de faire partout cause commune avec le traditionnel, de faire comme les autres, d’avoir les mêmes opinions, de penser, parler comme les autres et de se mettre le plus vite possible à la poursuite des fins temporelles. Mais la Providence n’a jamais pensé qu’il devait en être ainsi. Toute existence humaine doit avoir de la primitivité (S. Kierkegaard, p. 72).

Le naturel humain, au cœur de l’univers des Réseaux Sociaux, n’est-il pas liquéfié, disloqué ? Animal doué de Parole, le voile de l’être ou du visage réel de l’autre, du prochain ou de l’interlocuteur, engendré par l’écran, ne nous donne-t-il pas à voir l’internet comme désocialisateur de l’humaine condition ? « La parole, (…) constituée à la fois de la vie intérieure, (…) inclut les paramètres éthiques, idiosyncrasiques, axiologiques, spirituels et émotionnels de la mémoire… Cet idéal de la communication directe au travers de la parole vivante et vivifiante, semble être remis en cause par Internet » (A. L. Tsala-Mbani, 2016, p. 112-113). Au cœur donc de l’univers des Réseaux Sociaux, il apparait incontestable que se joue une dialectique du faste et du néfaste, du beau et du laid, du bon et du mauvais, etc. Aussi, autant tous les domaines de la vie humaine, que ce soit l’économie, la culture, la santé, l’éducation, la connaissance, etc., ont-ils fini par en être influencés, autant est-il indubitable que tous subissent cette ambivalence.

Combien innombrables sont ceux qui ont fini par trouver leur compte sur les e-marketing sur les Réseaux Sociaux ; mais nombreux aussi ceux qui y ont fait les frais de « vendeurs d’illusions. Avec leur avènement, s’est accru ce qu’il est convenu d’appeler les cultures de masse, au sens où, pourrait-on le dire, il n’est plus question, de nos jours, d’une élite à qui reviendrait le seul droit de se cultiver, de profiter des avantages du web ou d’Internet. Même le pauvre paysan, – qui a sa culture particulière – y a aujourd’hui un accès libre aux Réseaux Sociaux. Hannah Arendt (1972, p. 253) énonçait, à propos de culture de masse, ce qui suit : « Le terme lui-même provient visiblement du terme guère plus ancien de “société de masse” ; l’hypothèse tacite (…) est que la culture de masse, logiquement et inévitablement, est la culture de la société de masse ». De ce libre-accès à tous, s’exalte la liberté d’expression, voire la libération des mœurs. Et là demeure le versant nocif de cet univers : de l’explosion du marché de l’information à l’affluence, tous azimuts, des contenus gnoséologiques partagés, se glissent les infox et les intox, sans mentionner les déviations. De là l’interrogation suivante : Y aurait-il liberté/liberticide libération sinon dépravation ? Et quelle forme d’éducation se manifeste-t-il sur les Réseaux Sociaux aux Influenceurs ou Influenceuses sans bride ? Ces mots de Hannah Arendt (Op. cit., p. 186) nous instruisent à plus d’un titre :

Soulever la question, qu’est-ce que la liberté ? semble une entreprise désespérée. (…) Sous sa forme la plus simple, la difficulté peut être résumée comme la contradiction entre notre conscience qui nous dit que nous sommes libres et par conséquent responsables, et notre expérience quotidienne dans le monde extérieur où nous nous orientons d’après le principe de causalité. (…) Nous tenons la liberté humaine pour une vérité qui va de soi, et c’est sur cet axiome que les lois reposent dans les communautés humaines, que les décisions sont prises, que les jugements sont rendus.

La considération de la loi de la causalité, telle qu’elle opère dans le monde extérieur, vient à nous dire ce qui suit : qui dit que l’internaute connecté, qui poste tel ou tel image, qui publie telle ou telle opinion, agit en toute liberté ? N’est-il pas, au contraire, agité, poussé par une détermination extérieure qui le pousse à agir ? L’idée même d’individus connectés, celle supposant que tout serait piloté par des moteurs de recherche, ne cache-t-il pas celle d’une dépendance inéluctable – donc d’absence de liberté – expression certaine d’une forme d’aliénation. Il est donc à propos de rappeler cette réflexion critique qui résume, excellemment, l’ambivalence des Réseaux Sociaux :

Tim Berners-Lee, l’un des pères fondateurs du Web, a probablement aujourd’hui réalisé son rêve d’un monde doux et communautaire… Mais que signifient réellement ces centaines voire ces milliers d’amis revendiqués sur Facebook – où le nombre de contacts confère une certaine notoriété à ceux qui affichent des scores élevés –, cette course aux abonnés (followers) sur Twitter (…) ? Est-ce ce monde chaleureux et merveilleux rêvé par Tim Berners-Lee, où les individus sont proches, se comprennent mieux, vivent dans un bonheur collectif ? Est-ce plutôt un monde affreux où des millions d’individus n’ont pas encore réalisé que toutes ces informations diffusées volontairement à des centaines d’amis modifient la construction de leur identité, touchent dangereusement à leurs libertés individuelles, et que la notion d’amitié n’est que bien relative et très superficielle ? L’objectif de ce chapitre est de mieux distinguer la réalité du mythe… (C. Belagué et D. Fahon, 2022, p. 35-36).

Face donc à cet univers numérique dans lequel toute l’humanité se trouve embarquée, il demeure nécessaire, voire indispensable – il y va de l’avenir du genre humain – de penser aux mécanismes ou stratégies à mettre sur pied à l’effet de rendre les Réseaux Sociaux beaucoup plus profitables à tous, en limitant leurs perversités.

2. Stratégies indispensables à la durabilité de nos sociétés

La réflexion amorcée s’articule autour d’une interrogation : les Réseaux Sociaux ou Réseaux de désocialisation ? En d’autres termes, les Réseaux Sociaux sont-ils des réseaux de désocialisation, ce qui veut des structures communicationnelles au sein desquelles les hommes, êtres sociaux par excellence, en viennent à se déconnecter des pratiques sociales aptes à les rendre plus humains. Dans cette perspective, comment penser les stratégies de durabilité de nos sociétés contemporaines sans questionner, en premier lieu, la question de l’incontournable socialisation. De l’avis même de Jean-Michel Le Bot (2002, p. 65-66),

la socialisation, nous dit Madeleine Grawitz dans son Lexique des sciences sociales, c’est « le processus par lequel les individus sont intégrés dans une société donnée”, en “intériorisant les valeurs, les normes et les codes symboliques » et « font l’apprentissage de la culture en général, grâce à la famille et l’école, mais aussi par le langage, l’environnement, etc. » (…) De fait, les sociologues ont l’habitude de distinguer le processus général de socialisation du processus plus restreint qu’est l’éducation. L’éducation représente en quelque sorte un cas particulier du phénomène de socialisation.

Il s’impose un travail de socialisation, car il suffit de porter un regard sur les Réseaux Sociaux pour s’apercevoir que leur monde semble diamétralement opposé au monde concret dans lequel nous vivons. Si l’hominisation se présente comme un long processus qui dure tout le temps d’une vie et qui nous donne de comprendre que pour tout individu, vivre en société ou avec les autres suppose une intériorisation des règles, coutumes et pratiques conventionnelles, toutes choses qui empêchent les uns et les autres à exposer, par exemple, leur nudité, pour ne pas dire à platement livrer leurs parties intimes au regard de tous, cette forme d’interdiction semble mise entre parenthèses sur les Réseaux Sociaux. On y assiste, dès lors, à un nudisme ou à un pornographisme au quotidien. Que veut donc vraiment dire socialiser ? Il signifie l’application du parallélisme des formes entre société réelle et société virtuelle, afin que nul n’en vienne à s’autoriser, sur les Réseaux Sociaux, pour ce qui concerne la décence des mœurs, ce qu’il ne saurait faire au milieu des siens.

En l’occurrence, face à ce qu’on pourrait appeler la délinquance ou la déviance numérique dans les Groupes ou Réseaux Sociaux, il importe de réapprendre aux uns et aux autres comment cohérer avec les valeurs ou normes communément admises, aux fins d’une harmonie sociale. Bien évidemment, face aux difficultés, voire refus d’appropriations des règles du Groupe, soit les personnes concernées reçoivent un avertissement soit elles sont simplement bloquées par l’Administrateur. Dans le cadre précis des espaces plus ouverts comme les Réseaux Sociaux, tout déviant devra subir une restriction dans l’utilisation ou la publication des données, ou bien la personne est simplement et définitivement bloquée. Pour plus de rigueur dans ce système de socialisation, au regard des identités multiples que viennent à prendre des internautes, pourquoi ne pas engager une forme de traçage des données personnelles, – histoire d’infliger de conséquentes sanctions aux récalcitrants – comme cela se passe en Chine, et là certains crieront à la violation de droits ou à la limitation des libertés, mais pour quel homme réclame-t-on ou défend-on de tels droits ou libertés ? Quel type d’homme voudrions-nous voir émerger de cette civilisation du numérique ? De véritables monstres ou machines pour qui rien n’importe !

Il s’ensuit donc, impérativement, l’éducation aux médias sociaux, vu que la question même d’une socialisation effective intègre le volet éducationnel. Aussi, pour y parvenir, sinon pour véritablement réussir cette phase importante, condition d’advenue de sociétés durables, l’État se doit-il de jouer pleinement sa partition. Qu’est-ce en effet qu’éduquer aux médias sociaux ? Éduquer aux médias sociaux revient théoriquement à interpeller les utilisateurs desdits médias à s’y engager prudemment, avec tout l’esprit critique possible, vu que cet univers est tout à fois un monde paradisiaque et infernal. De façon pratique, cette éducation consiste à former, à édifier et ainsi à fournir les armes ou outils nécessaire au bon usage de ces médias sociaux que sont Facebook, Twitter, Instagram, Linkedin, etc. Par exemple, il s’agira d’instruire tout utilisateur d’un quelconque Réseau Social de prendre le temps de lire les textes réglementaires qui le régissent, vu qu’en général, pressé par le temps, rare sinon inexistants sont ceux qui le font. Bien plus, chacun devra être interpellé à faire attention à ce qu’il publie, car tout nous suivra, toute notre vie durant, dans la mesure où nos données sont stockées dans un Serveur extérieur. Pour ce faire, entre autres données pratiques, il reste important de savoir « gérer son profil, c’est-à-dire connaître qui vous voit ? Quelle est la portée de ce que vous publiez ? Qui peut vous trouver ? Votre nom, un pseudonyme, …Qui peut écrire sur votre journal, collaboratif, informatif, Qui parle de vous ? Contrôler les publications où vous apparaissez » (Comhafat.org, p. 11). Qui plus est, toutes ces données du profil constituent l’identité numérique de l’utilisateur.

En portant un regard sur les plus grands utilisateurs des Réseaux Sociaux, cette forme d’éducation devra particulièrement viser les plus jeunes, singulièrement la jeunesse scolaire et estudiantine. En effet, selon S. Abi et al. (2020, p. 12),

l’éducation aux médias et à l’information doit être généralisée dans les écoles. Dans une société où la communication numérique prend beaucoup de place, il ne serait en être autrement. Ne pas former la génération actuelle à la maitrise des technologies de l’information serait favoriser leur analphabétisme numérique. L’UNESCO appelle d’ailleurs tous les pays à faire des efforts en ce sens. Pour les pays comme le Togo, cela pourrait représenter certes un énorme budget additionnel pour l’éducation que d’inclure l’éducation aux médias et à l’information dans les programmes. Mais on ne peut faire l’économie de tels investissements si on veut instruire des citoyen-ne-s qui pourront innover dans le numérique pour le développement du pays.

Cette observation vaut pour tous les pays d’Afrique. Et c’est bien en cela que les différents États africains doivent jouer leur partition en en prenant l’option de l’éducation aux médias et à l’information comme le défi des défis à relever. En cela, nous parlons même d’une Éduquer au Mieux la Jeunesse. Comment comprendre cela ?

Alarmante, en réalité, est la réalité sociale dans nos pays, surtout quand on observe attentivement la jeunesse scolaire et estudiantine. De la dictature de cette jeunesse dans nos établissements primaires et secondaires, dans nos Universités et Grandes écoles, se pose cette légitime question : Ne sommes-nous pas à l’ère de la fin de l’école ? En Côte d’Ivoire par exemple, des étudiants-armés sur les campus, fagotés à la manière des apprentis de Gbakas ou de militaires déchus, prêts à brandir l’arme de la violence, aux élèves prêts à refuser tout examen blanc – mais risquant tous les mécanismes de fraude, en fin d’années, aux examens du baccalauréat, avec la méthode des réseaux sociaux – brandissant des bangers ou pétards pour réclamer ou anticiper les congés scolaires, en passant par le système de « tontines sexuelles » et de brandissement de « Cristaux de Menthe », voire des ébats amoureux de jeunes fille-gay, sous l’applaudissement de leurs camarades, filmés et publiés sur les Réseaux Sociaux, etc., subsisterait-il encore de l’espoir quant à l’avenir de nos nations ?

Ce phénomène, qui fait rage en Côte d’Ivoire, consiste, pour de jeunes filles ou jeunes garçons, en milieu scolaire, à se cotiser pour l’un-e d’entre eux-elles, en vue de payer les frais d’ébats sexuels dans un hôtel ou autres lieux. Aussi, le plus souvent, est-il que ces ébats sont filmés et postés sur des Réseaux Sociaux. « Les cristaux de menthol sont connus pour leur effet « glaçon » réfrigérant et la sensation de froid intense qu’ils procurent. Actifs très puissants, ils s’utilisent avec parcimonie, notamment dans les cosmétiques à usage local : dentifrices, gels décongestionnants ou antidouleurs, baumes, etc. » (www.mycosmetik.fr). Cependant, par l’ingéniosité de jeunes filles-élèves, ils sont désormais expérimentés dans le domaine des relations sexuelles, particulièrement en Fellation. Pourquoi tant d’entrain pour le divertissement et presque plus d’élan pour la culture scientifique ? Immanquablement, la question suivante se dénonce : À quoi servent, pour des élèves et étudiants, les Réseaux Sociaux voire Internet ?

C’est reconnaître que la question de l’éducation aux médias et à l’information urge. Tout se passe, pour la jeunesse en général, à l’exception de quelques individualités, que le Réseautage Social consiste uniquement au divertissement, aux instants d’évasion ou de rencontres sexuelles. Et alors, les connexions sur Internet servent rarement à l’utilisation de moteurs de recherche comme Google. L’autoroute de l’information et de la connaissance est certes à nos portes, mais nos intérêts semblent se trouver ailleurs ! D’où l’insigne observation suivante :

Les aspects pédagogiques des médias sociaux sont souvent inconnus des apprenants et négligés par les institutions éducatives (…) Le discours prédominant est celui qui pointe du doigt les inconvénients des médias sociaux. Il faut palier à cela en permettant à ce que les médias sociaux soient utilisés par les apprenants de façon sereine dans le milieu scolaire. Les apprenants ont certes du mal à s’intéresser aux médias sociaux pour des desseins pédagogiques valorisant plutôt leurs aspects ludiques, collaboratifs et communautaires. (…) L’éducation aux médias devient une nécessité dans un monde ou le numérique est essentiel à toutes les activités. Une telle éducation dès le banc scolaire permettrait à la jeunesse de tirer les meilleurs avantages possibles des médias sociaux en leur évitant de tomber dans les travers »

Il va sans dire qu’une éducation-au-mieux s’entend une vigilante surveillance ainsi qu’un constant contrôle des enfants et de la jeunesse supposés être les citoyens de demain. Qui plus est, depuis près d’une décennie, en Côte d’Ivoire par exemple, l’addiction à la drogue y fait rage. Or quelle chance de succès un élève drogué peut-il avoir ? N’apparait-il pas désespéré de compter sur lui ? Au bout du compte, on doit pouvoir se rendre compte que la finalité intrinsèque de ce processus éducationnel est et demeure l’intégration véritable, par l’appropriation adéquate du Réseautage Social, des jeunes gens qui sont les premiers à y affluer. On ne saurait en douter :

L’usage des outils numériques et Internet fait partie aujourd’hui des pratiques quotidiennes dans divers domaines de la vie. Nous constatons que les jeunes en général utilisent massivement ces outils, dont les réseaux et médias sociaux, caractérisés par leur facilité d’utilisation et leur interactivité. Nous définissons ces applications comme des outils de médiation et de médiatisation permettant aux individus de créer des liens, d’interagir entre eux, d’accéder à des contenus et de les diffuser (A.K. Holo et T. Koné, 2022, p. 148).

Dans une telle compréhension, il importe également d’engager des actions en faveur de la Communication. Pourquoi cet aspect devient-il fondamental ? Il est communément admis que l’homme est un animal doué de parole et donc qui communique ou entre en relation avec ses semblables par le langage aussi divers soit-il. Seulement, communiquer – en cette ère des TICs, comme cela a été déjà souligné – ne semble pas aller de soi. « Si l’on accepte de considérer, avec la très grande majorité des sociologues, que le processus de socialisation passe par une “intériorisation” » (J.-M. Le Bot, Op. cit., p. 68), pour qu’au cœur des sociétés contemporaines, articulées par les médias sociaux, les hommes parviennent à une socialisation réussie – entendu que « l’expérience clinique montre que ce processus d’intériorisation, justement, ne va toujours de soi » (Op. cit., p. 69)-, l’excellence doit être accordée à la question de la Communication.

Qu’est-ce en réalité que communiquer si ce n’est arriver à toucher le cœur même de l’autre par le biais d’une communion mystique. Et comment y parvenir si, aujourd’hui en effet, à force d’introduire entre l’homme et l’homme l’objet technique sous toutes ses formes (par écrans interposés) s’est creusé et se creuse davantage un fossé. Cela engendre l’incommunicabilité de plus en plus croissante entre nous. Il convient ici de faire allusion aux différentes formes d’obstacles ou d’entrave) la réceptivité ou réception du message sinon à son intellection : bruits, absence de connexion, manque de réseau fiable, transfert simple de messages, etc. Le Transfert de message, platement et sans mot-dire, ne vient-il pas nous dire : je n’ai pas ton temps, accueille cela comme ça ! Ainsi, il est en général l’expression d’un « on débarras ». De la sorte, au cœur d’une époque dite de Communication, où règne la communication de masse, les contemporains en sont à « ne plus ‘savoir communiquer » sinon à communiquer le moins possible.

Et l’erreur de la pensée moderne tient encore à ce que l’on a complètement oublié la réalité de cette communication qui s’appelle communication de pouvoir, qu’on l’a entièrement supprimée ou même, d’une manière tout à fait absurde, qu’on a communiqué comme savoir ce qu’il faut communiquer comme pouvoir (…) Quand, réfléchissant sur la communication, l’on fait porter la réflexion sur le récepteur, alors nous avons la communication éthique. L’émetteur disparaît en quelque sorte, se fait uniquement secourable pour contribuer au devenir de l’autre (S. Kierkegaard, 2004, p. 74-75).

Mais hélas ! Combien peu nombreux sont ceux qui se soucient de l’autre comme récepteur ? Surtout sur les Réseaux Sociaux, les récepteurs sont simplement astreints – de force ou de gré – à consommer ce qu’impose le diktat de l’émetteur, le maître absolu ! Et ce n’est que dans l’intériorisation de ce qu’en ce monde (réel ou virtuel), tout notre agir doit avoir pour référence l’impératif catégorique de Kant : Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature ». Plus simplement exprimé, il est salutaire de tourner et retourner sept fois sa pensée, avant de poser quelque action que ce soit : publication, image, etc. C’est, en somme, dans une telle perspective que le Réseautage Social pourra revêtir son essence d’espace de sociabilisation ou de socialisation.

Le réseautage social (social networking) correspond à une stratégie qui met en œuvre des moyens permettant aux personnes de se relier à d’autres personnes, que ce soit sur une base informelle, professionnelle ou institutionnalisée. Cette stratégie permet de socialiser, c’est-à-dire d’intégrer un réseau social. (F. Henri et P. Plante, 2019, p. 2).

Conclusion

Les Réseaux Sociaux, nul ne saurait le contester, sont le témoignage inouï de la dynamique intégratoire des acteurs de nos sociétés contemporaines. À partir d’eux, chaque habitant de la terre se sent avoir droit au chapitre mondial, car en leur sein, se joue « le devenir des inter-relations humaines et de la psyché (…) Nous sommes tous embarqués sur une trajectoire qui dépasse de loin le problème de l’information et débouche sur une « renaissance » de l’image que l’homme se fait de lui-même » (Michael Dertouzos, 1999, p. 237). Et c’est bien en cela que réside l’autre versant de ces réseaux. S’embarquer dans la Psyché et dans l’image que tel ou tel individu de telle ou telle partie du monde se fait de lui-même, c’est entrer, de plain-pied, dans le labyrinthe numérique aux horizons insondables. Ils ne manquent donc pas de regorger de multiples facteurs qui désagrègent le corps social lui-même. Il suffit de se référer à la perturbation du marché des emplois qu’opère l’influence du marché de l’information, des acteurs ou cyber-actifs dénommés généralement « Influenceurs ou Influenceuses », les loups de l’univers informatique que sont les Arnaqueurs ou Cybercriminels, sans oublier le phénomène de la Prostitution qui s’y développe, etc.

« Nous prenons chaque jour davantage conscience que le tournant digital n’est seulement technique et qu’il a des implications profondes sur les pratiques sociales, les normes, les politiques (…), et donc sur les territoires à toutes les échelles » (Pierre Beckouche, 2019, p. 7-8). Il y a ainsi, de plus en plus une grande crainte voire une phobie des Réseaux Sociaux ! Cela invite à la vigilance de l’humanité qui se doit de veiller, de s’éveiller à leur bomme culture ou gouvernance. Car ils sont devenus la drogue contemporaine, l’opium qui, modifiant le comportement “normal” des hommes, les amène à renverser ou à inverser les données sociétales elles-mêmes garantissant notre pérennité. Il va sans dire que par la politique d’éducation aux Réseaux Sociaux, apte à instituer une éthique des technologies de l’information et de la communication, l’espoir d’un univers davantage sociable, verra le jour.

Références bibliographiques

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TSALA-MBANI André Liboire, 2016, Regard critique sur le fantasme contemporain de la société de communication. L’idéologie de la cybernétique, Paris, L’Harmattan.

LE LANGAGE SMS DANS LE BRUISSEMENT DES RÉSEAUX SOCIAUX : PERSPECTIVES ÉPISTEMO-DIDACTIQUES SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN AFRIQUE

Auguste NSONSISSA

Université Marien Ngouabi (Brazzaville, Congo)

nsonsissa_auguste@yahoo.fr

Résumé :

On ne peut pas se livrer à l’apprentissage ou à la recherche scientifique en contexte universitaire en Afrique, particulièrement sans prendre conscience de l’enseignement de l’Intelligence Artificielle qui est devenue l’horizon indépassable de notre temps. La particularité de notre position dans le débat contemporain sur l’apport de cette nouvelle intelligence dans le développement de l’intelligence chez les apprenants tient dans le fait que les chercheurs en Intelligence Artificielle ont développé « la robotique développementale ». Mais, il existe d’autres formes d’intelligence à prendre en compte : « intelligence émotionnelle », « intelligence de la complexité », « intelligence des limites » ; quand bien même elles seraient manifestement équivoques. Quoi qu’il en soit, l’enseignement de l’intelligence artificielle dont nous visons l’instauration dans les voies qui mènent à la réforme éducative au cœur d’Internet par exemple n’est pas l’apparence de la didactique des disciplines classiques. Plutôt, il rend possible la robotisation comme processus pédagogique, d’abord, comme une des pratiques émergentes aujourd’hui à l’école, ensuite, comme un des savoirs nécessaires pour l’éducation du futur. La complexité de l’intelligence qui en découle est en rapport avec la notion de « post-humanité » recouvrant ainsi un caractère didactique par l’avènement de l’homme « augmenté », « modifié et émancipé » moyennant les « machines intelligentes ».

Mots clés : Artificielle, Complexité, Enseignement, Équivocité, Intelligence, Machine, Philosophie, Université.

Abstract:

One cannot engage in learning or scientific research in a university context in Africa particularly, without being aware of the teaching of Artificial Intelligence, which has become the indisputable horizon of our time. The particularity of our position in the contemporary debate on the contribution of this new intelligence to the development of intelligence in learners lies in the fact that Artificial Intelligence (AI) researchers have developed «developmental robotics». But there are other forms of intelligence to be taken into account: «emotional intelligence», «intelligence of complexity», «intelligence of limits», even if they are clearly equivocal. Be that as it may, the teaching of artificial intelligence that we are aiming to introduce in the paths leading to educational reform at the heart of the Internet, for example, is not the appearance of the didactics of traditional disciplines. Rather, it makes robotization possible as a pedagogical process, firstly, as one of the emerging practices in schools today, and secondly, as one of the skills needed for the education of the future. The resulting complexity of intelligence is linked to the notion of «post-humanity», which has been given a didactic character by the advent of «augmented», «modified and emancipated» humans through «intelligent machines».

Keywords : Artificial, Complexity, Teaching, Equivocity, Intelligence, Machine, Philosophy, University.

Introduction

Cette réflexion s’inscrit dans un contexte de « post-vérité » pour reprendre une expression de Myriam d’Allonnes Revault (2021, p. 28) qui révèle « ce que la post-vérité fait à notre monde commun ». Dans le dispositif conceptuel des philosophes de la technoscience prennent corps les bruissements des réseaux dits sociaux qui consacrent en quelque manière quelques « réflexions philosophiques sur notre temps » (Jean Yves Zarka, 2023, p. 45). Dans ce sens, on peut évoquer « le langage SMS ». Ce langage technico-logique est en tension pour ainsi dire, parce qu’il est à la lisière entre « la destruction des mots » et la simplification du discours qui serait « une belle chose ». Est-ce que technique peut rimer avec langage ? Quel type de langage (Cassan, 2023, p. 57) ?

Le problème que vise à résoudre notre communication est celui des réflexions philosophiques sur « les limites du langage » (Hadot, 2010, p. 23) dont on trouve les sources dans le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein. Il est évident que dans la nouvelle optique philosophique de Jean Michel Besnier, c’est la question du langage qui est mise au goût du jour. De même qu’il se propose de reformuler la question kantienne : « qu’est-ce que l’homme ? » à partir d’autres mots : « quel type d’homme nous allons construire demain » ? Il inscrit le renouvellement de cette thématique dans l’optique du langage : « Pour un autre : un autre langage » (J.-M. Besnier, 2010, p. 47). Cela veut dire qu’il est de bon aloi de lui accorder le crédit technologique qui légitime en quelque manière langage humain dans l’axe programmatique technique et scientifique du devenir ontologique de l’être humain (Le Moigne, 1990, p. 5).

1. Le langage technicisé : changement de signification ou simplexité humaine ?

C’est bien cette approche prospective dont notre réflexion cherche à mettre en avant. Mais la question qui resurgit en tout état de cause est celle de savoir si on peut en finir avec le langage technicisé. Jean-Michel Besnier (2011, p. 48) avertit : « Étrange destin que celui des modernes que nous sommes et que révèlent les fantasmes générés par la technoscience contemporaine : après avoir voulu être tout, nous pourrions aspirer à n’être plus rien. Ou, en tout cas, à être autres, radicalement autres ».

Pour caractériser cet état de fait (A. Gras, 2023, p. 9), l’image révélatrice de l’esprit de notre temps est aussi provocatrice en ce qu’elle permet de penser la situation de crise d’écriture dans laquelle se trouvent les « réseaux sociaux » mis en question ici par les normativistes, est celle du « lit de Procuste ».

La référence au fameux « lit de Procuste » est plausible pour caractériser l’homogénéisation des comportements imposée par l’extension des techniques (qui) dramatisent à l’excès notre situation contemporaine. Procuste était le surnom d’un brigand qui allongeait ses victimes sur un lit à dimension variable : tantôt trop petit, tantôt trop grand, Procuste coupait les membres qui dépassaient dans le premier cas ou les étirait pour les ajuster au cadre dans le second cas. Puissions-nous conserver de ce supplice la seule représentation de l’horreur du formatage appliqué aux hommes, fût-ce pour la louable ambition de contribuer à en égaliser la condition (J.-M. Besnier, 2012, p. 200).

Autant le lit de Procuste nous condamne à l’emprise simplificatrice des technologies sur l’humain, autant ce type de lit nous expose à la complexité de cerner avec raison et en toute logique les ambivalences du futur incarné par l’avènement des réseaux sociaux. Cela fait dire à Jean Michel Besnier : « demain les post-humains, le futur a-t-il encore besoin de nous ? » (Ibidem)

Dans cette prospective ainsi envisagée, la question du langage se pointe en termes de remodelage, c’est-à-dire que la posthumanité intéresse aussi la problématique du langage telle qu’elle se pose aujourd’hui à partir du SMS. Qui plus est, alors que l’homme est à « remodeler », le langage aussi s’y prête. Il est au nombre des « expressions prises par ce désir de métamorphose ». De plus, le SMS en transmuant le langage humain est « une aspiration à transgresser la nature humaine » (2012, p. 49). Jean-Michel Besnier (2017, p. 49) aborde le sujet du langage à remodeler dans le contexte de la approches historiques et sémantiques du discours : « Parmi elles, l’ambition de réformer le langage, ce propre de l’homme qui conditionne notre compréhension de la nature qui peut aussi la pervertir. Les philosophes, critiques de la tradition métaphysique inaugurée par Platon, connaissent bien cette tentation d’incriminer le langage ».

Enrichie par cette difficulté à laquelle l’esprit humain est exposé, le devenir ontologique de notre humanité est en jeu.  Pour le dire autrement, je ne sais s’il nous est arrivé de penser qu’en l’année 2050, au plus tard, « il n’y aura pas un seul être humain vivant, capable de comprendre une seule conversation comme celle que nous tenons maintenant », moyennant le SMS. Pareille interrogation pointée par George Orwell, en 1984, croise l’assentiment de Jean Michel Besnier, philosophe français, qui constate à sa manière, que notre temps s’expose à une sorte de maladie intellectuelle devenue symptômale, dont nous souffrons tous, inconsciemment qui s’appellerait « le syndrome de la touche ».

Sa cause spécifique tiendrait dans l’avènement d’un autre homme : « l’homme simplifié » (2012, p. 57). Ce que la sociologue Catherine Lejeall a cru utile de nommer « vivre branché ». De homo sapiens, à homo ethicus, qui plus est, de homo economicus à homo ludens, l’humain a basculé vers « homo labyrinthus » selon la belle expression de Frédéric Neyrat (2015, p. 11). L’auteur s’exclame : « Voici que s’avance Homo labyrinthus. Ni sapiens, ni faber, ou pas seulement, pas exactement. Ce labyrinthe est sombre, plus noir parfois et porteur aussi bien de nuances dans les tons obscurs ». Il s’agit là des « médiations technologiques » entre l’humanité et l’émergence des « nouveaux personnages » qui sont excellemment de l’hybridation des intelligences l’intelligence artificielle, l’intelligence humaine, l’intelligence émotionnelle, et l’intelligence de la complexité à partir de la complexité de l’intelligence.

Il est de bon ton aussi de voir dans ce tournant du langage humain, un avènement de la « conscience artificielle ». Car langage et conscience sont liées là où s’impose de toute nécessité la connexion entre langage et connaissance, quand bien même « l’imitation du système nerveux par la machine » aurait permis d’obtenir l’adaptation de notre conscience à un environnement essentiellement virtuel ou artificiel. Sur ce point d’importance Jean-Michel Besnier a eu recours à l’ouvrage d’Alain Cardon qui s’appelle : « conscience artificielle et systèmes adaptatifs » publié en 1999.

Chemin faisant, on lira l’article de Laure Belot, « l’intelligence à l’épreuve de Google, le QI des adolescents stagne » ; « la faute d’Internet ? » in Le Monde, du 4 octobre 2010. Les penseurs de la technique qui discutent la portée de ces « figurants » ont été amenés à constater qu’« en 2004, un Comité de lutte contre le langage SMS et les fautes volontaires sur Internet a été créé par un Jeune homme de 17 ans, suivi aujourd’hui, à ce qu’on dit, par environ 20.000 personnes ». À tout prendre, « son combat s’est dirigé contre le SMS en tant que tels, car écrire est aussi susceptible de recourir aux abréviations et autres stratagèmes graphiques ».

Comment ne peut-on y relever la transformation des langages humains qui donnent lieu paradoxalement à « des compagnons, des doubles, des revenants qui obligent à reconsidérer les rapports des êtres humains aux animaux et des animaux aux médiations technologiques et langagières, ces existences singulières » (F. Neyrat, 2018, p. 11).

À l’arrière-plan philosophique de ce point de vue du langage métamorphosé par la technologie, se trouve le fait que le langage ainsi technicisé serait la cause, à notre avis, de la modification négativement prononcée de notre rapport à l’environnement.  Surtout cela tient à la réduction simplement techniciste, c’est-à-dire une réduction à sa seule dimension utilitaire.

De la sorte, on a sacrifié sur l’autel du sens commun la portée sémantico-logique et surtout l’exigence logico-syntaxique de la cohérence du discours produit par l’être humain. Notre rapport au langage n’est plus sain. Son caractère malsain se révèle à nous lorsque l’écriture du SMS tient dans son arbitraire et tout au plus dans la liberté de ce que nous y mettons. (D. Andler, 2004, p. 12).

Notre prise du monde par le langage participe de cette « contingence du monde ». Mais, il reste que « ce Comité s’inquiète de l’extension du recours à pareil langage sur les forums et les sites qui ne limitent pourtant pas, sur Internet la longueur des messages. Le codage des mots raccourcis est », à mon sens, non seulement un pur « déni de communication », mais aussi et surtout la rectitude du raisonnement, et le sérieux de l’écriture. Écrire est caractéristique de l’ontologie de l’être humain, et même de son engagement.

Son devenir ontologique et son avenir devant un monde basculant et bousculé par les réseaux sociaux, qui exigent de nous la constance de l’esprit, la consistance du raisonnement, et la démarche « concordataire » des temps qui enveloppent le discours. J’allais dire, l’écriture prise au sérieux est le dévoilement de notre taille intellectuelle et la reconnaissance par autrui de notre excellence.

A contrario, elle peut participer à la cassure ontologique de notre cursus universitaire, la trahison publique de notre profil littéraire, et la mise à nu de notre manque de sérieux de la vérité sacrifiée ainsi par la légèreté de notre personnalité scientifique. C’est une forme de rupture avec la raison qui veut que l’esprit humain suive l’ordre qui convienne dans la mise au jour d’un discours. L’homme est non seulement un être raisonnable et sociable, mais aussi un être de langage. Celui-ci participe on ne peut plus des qualités et des facultés proprement humaines qui permettent à l’homme de voir le monde et de le dire avec les mots. La logique aristotélicienne est éloquent pour nous apprendre à ne pas nous contredire par pure caprice du langage. En témoigne « la logique sur laquelle reposait l’ontologie des philosophes depuis les Grecs » (J.-M. Besnier, 2012, p. 51).

Il se trouve que les apprenants pour ainsi dire, en particulier s’exposent ainsi au piège de la « simplification » du langage par la technique que Jean Michel Besnier (2012, p. 23) qualifie de « honte prométhéenne ». « Déjà, écrit-il, de nombreux indices suggèrent que la désacralisation de la syntaxe et de l’orthographe est consommée », dans un monde où « peu parle bien » et « peu écrivent maintenant bien ». Dans ce sens, une autre question se pointe : « en cherchant le bon mot, comme font tous les écrivains, peut-on mieux dire combien l’attachement au langage qui transfigure la réalité et proclame la supériorité de l’esprit n’est pas obsolète, combien il est requis dans un monde de violence et de barbarie ? » (J.-M. Besnier, 2012, p. 201). Pareille interrogation conduit inexorablement à relever un paradoxe existential. En quoi consiste-t-il ?

Ce paradoxe laisse entrevoir le danger de la déshumanisation du langage logique, et la déchéance des belles lettres, travaille, malheureusement, à sacrifier le sérieux de la vérité scientifique sur l’autel de l’arbitraire de la connaissance du sens commun. Pour ce faire, Jean Michel Besnier (2012, p. 45) s’adosse à « une récente enquête menée par le Cabinet de recrutement Robert Half qui signale que « 18 pour cent des entreprises n’attachent aucune importance à l’orthographe dans les CV » sélectionnés. Ce constat n’est pas exhaustif. Par contre, il met à nu la misère de notre attachement au langage technicisé. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, ce constat empirique mais non moins signifiant montre que « la France paraît sur ce point plus laxiste que l’Allemagne, l’Irlande, ou les Pays Bas » (J.-M. Besnier, 2012, p. 6).

2. Peut-on enseigner le langage SMS en Afrique ?

Cela étant posé, quel est notre souci majeur ? Qui plus est, comment peut-on affronter ces défis, nombreux, grands et ouverts » qui s’annoncent devant nous ? Le souci qui nous anime en contexte technoscientifique est de revenir autant que possible à « la logique et les catégories d’Aristote » si l’on veut effectivement être à la hauteur de la logique du raisonnement, malgré ses limites. Jean-Michel Besnier montre, en plus, que l’aristotélisme a connu ses limites dès l’instant où « la sémantique générale met d’abord en évidence l’incapacité constitutive du langage à décrire le réel de manière constitutive du langage à décrire le réel de manière univoque, ce qui constitue une sorte d’objection pour les scientifiques et métaphysiciens qui ont rêvé de créer une langue parfaitement transparente, dont pourrait résulter un pouvoir technique intégralement contrôlable » (J.-M. Besnier, 2011, p. 51).

Quoiqu’il en soit, « la tendance est nette : les fautes d’orthographe dans un CV, un devoir de classe, une simple correspondance, ou une lettre de motivation apparaissent de plus en plus anecdotiques et ne pas concerner les compétences que l’on cherche (réellement) à identifier » (J.-M. Besnier, 2012, p. 61). Tant il est vrai qu’à « l’ère du tout-Internet, on admet que les Candidats à l’emploi, rédigent au diable et qu’ils simplifient leur expression écrite pour aller à l’essentiel ».

Mais, attention, on est supposé le savoir, « le diable se trouve dans le détail », et en confondant vitesse et précipitation, voire la confusion entre la « marche » et la démarche » dans la construction du discours, nous font encourir le risque de partir de l’urgence à l’essentiel, plutôt, de l’essentiel à l’urgence » (E. Morin, 2021, p. 12). Autrement dit, l’urgence peut trahir l’essential, c’est-à-dire ce que nous sommes, ce que nous avons et donc ce que nous avons à être ou bien ce que nous disons quand parlons à partir de ce que nous y mettons dans nos conversations et représentations (Morand, 2004, p. 56).

Nous assistons à la montée de l’insignifiance : on consultera le beau titre de Castoriadis Cornélius : La montée de l’insignifiance (Paris, 1996, p. 45). En substance, on retiendra que l’insignifiance caractérise les sociétés modernes où la menace par l’élimination de la vie intérieure est très prononcée. Ce faisant, l’intériorité est bémolisée au profit de l’extériorité. Alors que c’est de l’intérieur que l’homme pense à ce qu’il est, à ce d’où il doit venir et surtout à ce vers quoi il va.

Il se trouve que l’une des causes de la transfiguration du langage, moyennant les SMS, n’est rien moins ce que l’on a cru être la vertu épistémologique, c’est-à-dire « la simplicité ». Ce paradigme a ceci de classique qu’il tient dans l’effort des atomistes grecs qui entendaient bien rendre compte du monde grâce à l’hypothèse du jeu d’atomes par définition insécables et indécomposables ». Chemin faisant « Descartes associe aussi son nom à cet idéal de simplicité dont la recherche justifie le privilège épistémologique de l’analyse, qui décompose les difficultés et prémunit contre l’erreur résultant toujours du non-respect des niveaux analysés » (J.-M. Besnier, 2012, p. 67).

Pourtant, l’erreur a conduit à oublier que « rien n’est simple dans la nature ». C’est nous qui simplifions. Là encore, la vertu de la simplification qui tend à conduire à la découverte de ce qui est simple, trouve ses limites dans le fait que le simple est toujours le simplifié, et que pareille procédure est loin d’épuiser la complexité du réel. (D. Andler, 2023, p. 34) Le réel a des niveaux au point où l’intelligence artificielle ne suffit pas. Il faut de l’intelligence émotionnelle. (Goleman, 1997, p. 66.)

À partir des réseaux dits sociaux, et en vertu du déploiement du langage des SMS, Besnier estime qu’il est « étrange de s’attacher à décrire la simplification de l’humain à laquelle les technologies nous exposent, alors même qu’on ne cesse de parler, aujourd’hui, de l’homme « augmenté » qu’elles devraient rendre possible ». L’homme simplifié, « l’homme augmenté » et « le langage technicisé » vont de pair. Ce qui les caractérise c’est l’éloge de la simplification du réel par le langage quand il dit le monde. (G. W. Leibniz, 2018, p. 49)

Cependant, Jean-Michel Besnier (2012, p. 51) oppose à cette démarche à caractère simplifiant une approche de la complexité dont il trouve les sources dans la « formule de Korsybski : « la carte n’est pas le territoire ». Autrement dit, les « sciences de la complexité réfractaires aux prétentions analytiques du cartésianisme et qui expérimentent la sous-détermination des phénomènes par les théories supposées les expliquer ».

Ensuite, « l’homme simplifié doit tout à la sophistication des techniques, à commencer par son insertion dans un monde qui n’attend de lui rien de plus que de s’abandonner à la tyrannie des machines » (J.-M. Besnier, 2012, p. 189). La machination du langage ou son approche techniciste est caractéristique d’un paradigme qui a dû avouer ses insuffisances. C’est l’image de « la carte qui ne fait pas le territoire » (J.-M. Besnier, 2012, p. 52).

Conclusion

Pour ne pas conclure, cette communication est partie d’un constat clair, qui plus est d’un problème spécifique : il n’y a pas de problème de langage SMS, il n’y a que le problème de ce que nous y mettons, du nouveau code illogique de l’écriture, sorti de la canonique du langage, c’est-à-dire « suivre la règle » pour parler comme Wittgenstein. Sur le fond, nous avons plaidé « pour une éthique du numérique » en général (Cf. Magazine, Philosophie, 2023, p. 8). Pourquoi y’a –il un problème ? Parce que nos attentes raisonnables « à l’égard de ce que nous avons-nous-mêmes crée » devient étrange. Notre communication a dénoncé pour ainsi dire les inélégances verbales et les monstruosités qui s’approprient à la fois la syntaxe, la sémantique et la pragmatique de notre discours (R. B. Brandom, 2022, p. 55).

Nous avons dégagé un enjeu social, sociétal et même sociologique actuel des nouvelles technologies, pour ainsi dire. (Dominique Boulier, Sociologie du numérique, Paris, Colin, 2016, p. 81). En d’autres mots, « notre rapport aux technologies » (L. Bibard, 2023, p. 43). Analysé à deux voix, le bon usage de celles-ci nous laisse interrogatif sur « notre vision de réseaux sociaux » en tant qu’espace et indice ontologique de la confusion savamment entretenue par les usagers entre le conflit d’idées à bas étage et la critique rationnelle (K. Popper, 2011, p. 45).

Du langage des SMS (L. Steels, 2013, p. 77) on pourra bientôt faire table rase de la politesse du langage qui ne va pas sans politesse des manières. En effet, « la pénétration (peu réfléchie) des ressources pourtant expressives du SMS sur Internet, de provocatrice qu’elle est encore et toujours, dictera-t-elle bientôt la norme » tant recherchée par le maître de l’école primaire ? « Peut-être le langage SMS tournera-t-il court et n’aurait-il pas plus d’avenir ?

La déshumanisation redoutée aujourd’hui (dans les bruissements du monde scandée par le tintamarre des réseaux sociaux « passera peut-être par-là » (J.-M. Besnier, 2010, p. 52). Les réseaux sociaux ont accouché « d’un homme simplifié qui est la dernière conquête d’une conception technoscientifique du monde. Affecté du syndrome de la touche étoile, serait-il capable d’éprouver la nostalgie de la profondeur dont les machines le soulagent avec complaisance, en même temps qu’elles lui ferment « les yeux intérieurs » ?  (A. Nsonsissa, 2022, p. 60).

Il ne faut pas non plus confondre les univers du discours ; si « l’informaticien sait ce que fait ou ne fait pas la machine, le philosophe interroge, par sa position (non positionnelle) délibérément « curieuse » vis-à-vis de la technologie, le sens et la pertinence des usages que nous en faisons sur tous les plans : personnel, économique, commercial, social, politique, etc. », cette nuance hypothétique introduite par le philosophe Bibard (2023, p. 48). Donc, s’il y a un sujet, ajoute-t-il, il n’est pas tant relatif aux technologies elles-mêmes, mais bien aux usages que nous en faisons, à ce que nous en attendons, et à ce dont nous rêvons ». 

Alors, au cœur des réseaux sociaux, à la faveur des « yeux intérieurs » qui permettent de réveiller en nous la cause juste des humanités, et à mesure que l’homme postmoderne appuie sur la touche étoile, répétant mécaniquement le serveur vocal, « écrivons peu, écrivons bien » et j’allais dire « écrivons juste », pour « parler vrai ». Quand bien même l’intelligence artificielle n’existerait pas. (L. Julia, 2019, p. 23).

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LA PHILOSOPHIE DU DOS OU COMMENT PHILOSOPHER AUTREMENT À PARTIR DE FACEBOOK

Thiémélé L. Ramsès BOA

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

boathie@yahoo.fr

Résumé :

Du samedi 14 septembre 2019 au vendredi 16 octobre 2020, sans autre contrainte que le plaisir de partager des réflexions sur mon mur du réseau social Facebook, ont été publiées des chroniques portant sur le dos. Au total, 52 chroniques furent publiées sous le titre générique La Philosophie du dos. Elles ont fait l’objet de publication de deux livres. Le tome 1 avait pour sous-titre : « Mentalités et diversité culturelle du dos » ; le tome 2 : « Derrière soi, l’ombre et la lumière ». Les deux livres se présentent sous trois aspects.

D’abord la chronique, toujours illustrée par des photos, dans un format global de 390-400 mots.

Ensuite, la rubrique « Pour aller plus loin », une mise à la disposition du public des textes prolongeant les problématiques de la chronique.

Enfin, la rubrique « Débats » : les interventions d’amis réels ou virtuels, connus ou inconnus en lesquelles subsistent des vérités susceptibles de nous éclairer sur la diversité d’approche du dos.

Les chroniques et les débats sont un précieux indicateur des mentalités de notre culture, de notre jeunesse, de notre société de manière générale. C’est une coupe diachronique des idées de notre époque, nos attentes, nos malheurs, nos traditions désuètes, nos espoirs et nos espérances. Certaines chroniques, datées, tiennent compte des circonstances du moment : le confinement consécutif à la pandémie de la Covid-19 ; la candidature, contre toute attente, du président sortant, M. Alassane Ouattara, à l’élection présidentielle d’octobre 2020. D’autres, renvoient à l’histoire comme l’accaparement du Congo en 1885 par un individu et l’odieux assassinat les mains liées dans le dos, de Lumumba, le premier Premier ministre du Congo indépendant ; l’étouffement de l’Africain-Américain George Floyd. Mentionnons comment le bébé porté au dos découvre le monde à hauteur d’humain et se rend disponible pour l’apprentissage. Dans quelques années, les historiens, les sociologues des mentalités, les politistes sauront ce qui constitua l’essence de nos rêves et angoisses, la racine de nos utopies. Mon secret désir fut enfin de montrer comment philosopher à partir de soi, des choses simples de l’existence, en prenant pour sujet et objet le dos.

Mots clés : Corps, Dos, Philosophie Du Dos, Philosophie Du Ventre.

Abstract:

From Saturday September 14, 2019 to Friday October 16, 2020, without any other constraint than the pleasure of sharing thoughts on my wall on the social network Facebook, columns on the back were published. In total, 52 chronicles were published under the generic title The Philosophy of the Back. They were the subject of the publication of two books. Volume 1 had the subtitle: “Mentalities and cultural diversity of the back”; volume 2: “Behind you, the shadow and the light”. The two books present themselves in three aspects.

First the chronicle, always illustrated by photos, in an overall format of 390-400 words.

Then, the “To go further” section, making available to the public texts extending the issues of the column.

Finally, the “Debates” section: the interventions of real or virtual friends, known or unknown, in which there remain truths likely to enlighten us on the diversity of approaches to the back.

Chronicles and debates are a valuable indicator of the mentalities of our culture, of our youth, of our society in general. It is a diachronic cross-section of the ideas of our time, our expectations, our misfortunes, our outdated traditions, our hopes and our hopes. Some dated chronicles take into account current circumstances: the confinement following the Covid-19 pandemic; the candidacy, against all expectations, of the outgoing president, Mr. Alassane Ouattara, in the presidential election of October 2020. Others, refer to history such as the monopolization of the Congo in 1885 by an individual and the odious assassination with his hands tied behind his back of Lumumba, the first Prime Minister of the independent Congo; the suffocation of African-American George Floyd. Let us mention how the baby carried on the back discovers the world at human level and makes himself available for learning. In a few years, historians, sociologists of mentalities, political scientists will know what constituted the essence of our dreams and anxieties, the root of our utopias. My secret desire was finally to show how to philosophize from oneself, from the simple things of existence, by taking the back as subject and object.

Keywords : Body, Back, Philosophy of the Back, Philosophy of the Stomach.

Introduction

Avec les réseaux sociaux numériques comme Facebook, Instagram, Tik Tok, LinkedIn, l’humanité est passée à une autre étape de ses relations à soi, à autrui, à l’éducation, etc. On peut penser que l’ère du numérique, plutôt que d’améliorer l’intelligence humaine, est susceptible de se muer paradoxalement en une forme d’abêtissement collectif. Ce n’est point ma thèse. Je soutiens que le numérique peut être un cadre formidable de socialité pédagogique, éducative et scientifique.Je vais montrer, au moyen de mon expérience avec la notion de la « Philosophie du dos », comment le réseau social numérique a servi à deux objectifs: d’abord faciliter la circulation des idées produites par la recherche universitaire, ensuite illustrer ma conception de la philosophie en tant que discipline non point détachée du vécu, mais éminemment ancrée dans la réalité concrète. En somme, comment du ludique, peut-on migrer, par la médiation du numérique, vers une intentionnalité scientifique et informationnelle ? Je vais d’abord faire la genèse de l’idée de la philosophie du dos. Ensuite, je vais exposer les résultats de la pratique numérique en montrant l’infinie richesse des occurrences du dos. Enfin, je vais exposer les résultats obtenus et montrer l’influence de la chronique « La philosophie du dos » à travers l’émergence des autres formes de philosophie comme la philosophie des cheveux, la philosophie du sourire, la philosophie du Kpêtou, la philosophie du ventre (qui a fait du reste de faire l’objet d’une publication (B. D. Djandué, 2023, 222 p.) aux Éditions Kamit, la philosophie de l’anus. Les résultats expriment le gain retiré de l’utilisation positive du réseau social numérique Facebook dans la production des savoirs. Quels sont les éléments de la discussion :

1. Les RS peuvent-ils contribuer à la formation des individus et à la transmission des savoirs par-delà les frontières nationales ?

2. Comment mettre à la disposition des RS comme Facebook une panoplie d’informations et de savoirs susceptible de capter l’attention ?

3. La pratique philosophique peut-elle tirer profit des RS ?

1. Philosopher autrement

Le 7 septembre 2019, le département de philosophie de l’université Félix Houphouët-Boigny organisa un voyage d’étude à Bécédi-Brignan. Bécédi-Brignan est un chef-lieu de commune du département d’Adzopé, dans la région de l’Agnéby, en Côte d’Ivoire. Ce fut l’occasion pour des individus habitués à manier les concepts, les philosophes, d’expérimenter l’éthique environnementale basée sur les traditions endogènes et inspirée par des perspectives écologiques.

Nous fûmes séduits par la beauté du site du Mafa-Mafou ou les montagnes jumelles. Parmi les photos prises lors de cette randonnée et publiées sur mon mur Facebook, celles montrant les dos eurent le plus de succès. Les commentaires à la fois amusés et sarcastiques traduisaient la fascination culturelle et esthétique du dos mais également la transcendance fantasmatique de la photographie. Pourquoi le dos captive tant le regard ? Que voyons-nous quand nous regardons le dos ? Le dos masculin fascine-t-il autant que le dos féminin ?

Au fil des recherches, le dos est apparu dans plusieurs expressions, bien souvent négatives comme : « en avoir plein le dos » ; « Tourner le dos à quelqu’un ou quelque chose » ; « Faire froid dans le dos » ; « casser du sucre sur le dos de quelqu’un » ; « faire le dos rond », l’expression populaire ivoirienne « faire taper dos/doh à quelqu’un », « donner une tape dans le dos », etc. Taper dos est construit à partir du nom d’un personnage connu de la vie politique ivoirienne Tapé Doh. « Taper dos » signifie, tromper quelqu’un, trahir la confiance placée en quelqu’un, être infidèle à…

Au départ, notre intention était simple : plaisanter sur la beauté du dos, sur l’attrait exercé sur nous grâce aux cadres esthétiques et moraux de nos différentes cultures. La plaisanterie a laissé la place à d’autres interrogations : puis-je reconnaître mon dos parmi tant d’autres dos photographiés ? Les fesses font-elles partie du dos ? Le dos, du point de vue de l’anatomie, est-il le dos du poète ? Comment profiter du réseau social numérique pour philosopher avec des amis connus ou inconnus ?

En effet, l’anatomie désigne par le dos la partie du corps humain située au-dessus du postérieur, depuis le cou jusqu’aux reins. En toute rigueur anatomique, les fesses ne font donc pas partie du dos. Elles constituent la frontière. Mais les Africains dont le regard est culturellement déterminé par une espèce singulière de valorisation esthétique fantasment sur la callipygie des femmes stéatopyges. En somme, le dos renvoie non seulement au plan anatomique à ce qui est derrière, mais il signifie également l’envers, le dehors, le passé, la fragilité, la délation.

Le dos est à la fois négatif et positif comme dans l’expression bien connue des Agni/Akan, « se tenir debout derrière quelqu’un, dans le dos de quelqu’un » pour montrer son soutien, son assentiment, le fait de pouvoir compter sur autrui. Les Agni appartiennent à la grande famille anthropologique et linguistique Akan de la Côte d’Ivoire. L’Agni est un sous-groupe de cette famille anthropologique et linguistique. Mais « se tenir debout derrière quelqu’un » peut également signifier prendre parti contre autrui. Ainsi, selon le contexte, se tenir debout derrière quelqu’un peut renvoyer à la trahison, à la traîtrise. 

Pourquoi jadis les mères africaines conseillaient à la jeune fille en âge de se marier de se souvenir de ce que le lit étant un lieu sacré, la femme n’y doit jamais tourner le dos à son mari ? Mais est-ce vrai que tourner le dos à son ou sa compagne, dans le lit conjugal, est toujours un refus de satisfaire au devoir conjugal ? Que dire d’un homme ayant en horreur la position dite Andromaque où l’homme, couché sur le dos est chevauché par la femme ? N’est-il pas victime du préjugé religieux qui, jadis, condamna cette position d’une femme dominant l’homme, d’une femme libre de creuser l’inclinaison de son buste afin de trouver à la fois l’angle idéal de pénétration du pénis et le rythme du mouvement de frottement ? L’orgueil de l’homme dominateur ne peut supporter un dos qui choit.

Au total, du samedi 14 septembre 2019 au vendredi 16 octobre 2020, librement, sans autre contrainte que le plaisir de partager des réflexions sur mon mur du réseau social Facebook, 52 chroniques furent publiées.

Comment est présentée la chronique ? D’abord, la chronique publiée sur le réseau social Facebook, en général le vendredi nuit, dans un format global de 390-400 mots au maximum. Le souci de la réduction des mots obéissait aux désirs de ne pas ennuyer les lecteurs. Les textes longs rebutent les lecteurs.

Ensuite, la rubrique « Pour aller plus loin ». Choix d’un texte pour approfondir les idées partagées dans la chronique. C’est une manière pour moi de mettre à la disposition du public enseignant, étudiant et élève, des textes prolongeant les problématiques de la chronique. Ces textes peuvent constituer des bases de données pour les enseignants ou les chercheurs.

Enfin, la rubrique « Débats ». Ce sont les interventions d’amis réels ou virtuels, connus ou inconnus. J’ai dû revoir, dans la version papier, à la publication des chroniques, certaines expressions triviales ou ivoirismes, sans trahir la pensée des auteurs. Chaque auteur est en définitive responsable de ses paroles.

Dans ces deux œuvres issues de l’expérience numérique se profile une coupe diachronique des idées de notre époque, nos attentes et malheurs, les traditions désuètes, les espoirs et espérances. Certaines chroniques, datées, tiennent compte des circonstances du moment : le couvre-feu du confinement consécutif à la pandémie de la Covid-19 ; la candidature, contre toute attente, du président sortant, M. Alassane Ouattara, à l’élection présidentielle d’octobre 2020. D’autres renvoient à notre histoire proche ou lointaine comme l’accaparement à titre personnel du Congo, en 1885, par la volonté d’un individu, Léopold II, le roi de Belgique et l’odieux assassinat les mains liées dans le dos de Lumumba, le premier d’Oh ministre du Congo indépendant ; l’introduction de la fausse monnaie par la France dans l’économie de la Guinée de Sékou Touré, nouvellement indépendante ; le KO par Mohamed Ali du boxeur George Foreman à Kinshasa en 1974 ; l’étouffement de l’Africain-Américain George Floyd, etc. Dans quelques années, les historiens, les sociologues des mentalités, les politistes sauront ce qui constitua l’essence de nos rêves et angoisses, la racine de nos utopies. Alors, ils mesureront le chemin parcouru par ceux qui donnèrent à l’humanité sa splendeur originelle, les Négro-Africains, descendants de l’Egypte antique, de la Nubie et de Koush. Ils rappelleront l’extraordinaire capacité d’adaptation de l’être humain au moment du passage de L’Homo naturalis à L’Homo numericus.

2. La fécondité de la philosophie du dos : la philosophie du ventre

Grâce au réseau social numérique Facebook, une nouvelle communauté s’est édifiée autour de la philosophie du dos. Des amitiés sont nées, les anciennes ont été entretenues. Il y eut certes de l’inimitié relativement au contenu de certaines chroniques jugées blasphématoires ou libertines. Mais, dans l’ensemble, les intervenants adhérèrent à l’esprit des échanges. Cette adhésion poussera à l’émergence d’autres types de philosophies : la philosophie du Kpêtou, la philosophie des cheveux, la philosophie du visage, la philosophie des fesses, la philosophie du sourire. Il y eut même une tentative qui fit long feu, d’une philosophie du WC et de l’anus. Je voudrais m’étendre plus longuement sur la philosophie du ventre, puisqu’elle a fait l’objet d’une publication.

L’auteur, Dr DJANDUÉ Bi Drombé n’est pas philosophe de formation. Spécialiste en didactique de l’Espagnol Langue Étrangère, il a jeté son dévolu sur une autre partie du corps, le ventre. Dès le départ, l’envie d’équilibrer une équation dont la principale inconnue lui semblait être le ventre, le poussa vers le ventre, car selon lui, toute philosophie du dos appelle d’abord une philosophie du ventre, le dos et le ventre apparaissant dans l’imaginaire comme les deux grandes faces d’une même médaille. Le proverbe baoulé l’illustre si bien : « Si tu ne veux pas que le soleil frappe ton dos, la lune ne brillera jamais sur ton ventre ». Soleil/dos, lune/ventre : deux polarités pour illustrer les polarités travail/loisir, corps célestes/corps humains. Par ailleurs, dit un autre proverbe, si quelqu’un lave ton dos, fais un effort pour laver ton ventre. L’écho de la langue et de la culture gouro de l’auteur se fait entendre avec les concepts de bondinron (réfléchir, penser) et bondiwi (la parole dans le ventre). Le Gouro place la cavité abdominale (bondi) au cœur du langage et de l’activité cognitive. Penser et dire l’étant dans le ventre en reviennent presque à rendre à la pensée ce qui est à la pensée et au ventre ce qui est du ressort de la pensée. Le ventre et la tête sont deux cavités qui renferment des objets précieux.

Ses réflexions ont fait l’objet d’une publication. Ce livre regroupe en onze (11) chapitres une série de chroniques, soixante-huit (68) au total, publiées sur le site www.attougblan.net et partagées sur le réseau social Facebook au cours de l’année 2020. Dans ces réflexions qui impliquent la Création, le ventre renvoie tantôt à la cavité ou à la paroi abdominale, tantôtà l’appareil digestif ou à ses extensions vers le haut (les seins) ou vers le bas (le sexe) pour en interrogerles fonctions, les significations et les représentations dans différentes cultures, à différentes époques et dans des domaines de connaissance variés : médecine, sport, littérature, psychologie, mathématiques, etc.

Les langues et les cultures se trouvent pour cela au cœur du livre, à commencer par celle même de l’auteur. C’est à la fois le Gouro et le spécialiste en enseignement-apprentissage de langues étrangères qui écrit. Le retour incessant aux sources irrigue ainsi sa pensée à travers des ressources telles que les concepts plus haut évoqués de bondinron ou de bondiwi (B. D. Djandué, 2023, p. 29) ou celui du bondiba (B. D. Djandué, 2023, p. 160). Les significations et représentations du ventre font voyager le lecteur dans la langue-culture japonaise ou française, ainsi que d’autres langues locales ivoiriennes : dioula, baoulé, agni ou bhété. Le tout apparaît dans un style inspiré de la structure de mes chroniques de « La philosophie du dos ». Ce faisant, il actualise dans sa discipline, cette manière que j’ai toujours défendue : rendre la philosophie accessible en parlant de sujets ordinaires, sur un ton à la fois badin et profond. Le Dr. Djandué Bi Drombé, le didacticien qui s’essaie à la philosophie, s’illustre ainsi en parfait représentant de la philosophie pour tous. Il a su allier le plaisir de l’écriture au bonheur de l’immersion culturelle. Une formation scolaire et universitaire qui éloigne de soi prive l’individu d’une grande part du savoir. L’humanité est ainsi sevrée de cette part d’intelligence culturelle ignorée. Notre devoir est d’enrichir ce fonds universel des savoirs par notre apport. Maîtriser sa langue et sa culture, en connaître les structures d’énonciation et d’expression, savoir nommer les différentes parties du corps dans sa langue maternelle, sont les rudiments de l’éveil de l’intelligence. La diversité d’approche et les différentes références culturelles rendent ces chroniques plaisantes à lire.

Ces chroniques nous font voyager physiquement et mentalement dans les différents espaces de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique et du monde. Elles participent à l’amour de soi. Plus nous nous connaissons, mieux nous nous aimons. Le mouvement physique et cognitif vers autrui devient facteur d’amour. S’enfermer en soi, dans ses propres et uniques certitudes, appauvrit. S’ouvrir aux autres formes d’expression de la vie enrichit en faisant participer à des valeurs partagées. Les frontières des espaces disciplinaires sont également franchies au moyen de référents philosophiques, sociologiques, historiques, géographiques, anthropologiques, linguistiques, etc.

Le principe de la puissance de l’homme, peut donc être trouvé dans le pouvoir de comprendre. Parce que l’homme produit sa vie selon la norme du vrai, il lui appartient de rechercher le savoir vrai. L’art de savoir et l’art de vivre font une seule et même chose. C’est dans la mesure où les hommes auront combattu les préjugés et les connaissances fausses que la concorde pourra régner dans le monde. Si nous vivons le plus souvent sous la conduite de la connaissance voire de la raison, au lieu de nous laisser guider par les préjugés, nous réussirons, à notre manière, à atténuer la discorde.

En somme, notre véritable puissance d’exister est augmentée par la recherche de ce qui nous accorde aux autres. Comment rechercher ce qui nous accorde aux autres si nous ne développons pas notre capacité d’attention, d’écoute et de réflexions, ce que veut dire proprement comprendre ? Prendre avec soi ce que les autres disent, sentent, aiment et détestent nous fait participer à leur univers mental, culturel et affectif. En un sens plus large, je puis soutenir que la connaissance peut aider à la concorde ; l’ignorance divise davantage.

La valeur libératrice du savoir n’est pas prônée uniquement par la philosophie. Elle est partagée par tous ceux que la concorde intéresse. Je la retrouve en ces chroniques de Dr. Djandué Bi Drombé qui invite à sa manière à faire de la connaissance le principe du rapprochement des êtres humains. Si tout le monde faisait l’effort de connaître l’autre, ses habitudes alimentaires, ses manières de danser ou de penser, ce qu’il aime mettre dans son ventre, les relations humaines seraient moins brutales. Le vivre-ensemble passe aussi par une amélioration des connaissances. Bien connaître pour mieux vivre ensemble, tel est le sens d’une invitation à la découverte des occurrences du ventre. Au total, l’art de vivre se fonde ainsi sur l’art de penser son ventre ou de le panser.

Quiconque garde dans son ventre les paroles de sagesse se fait le complice de la déchéance de la société. Mais quiconque ne sait quand parler, constitue une menace pour la société. Dr Djandué Bi Drombé a su trouver le juste milieu du permis et de l’interdit. Comme le disent les Senoufo, un autre peuple de la Côte d’Ivoire, c’est en relevant avec intelligence le bec du Calao posé sur le ventre que l’homme accompli enseigne avec perfection. Il a su distiller une somme de savoirs nécessaires à la compréhension du ventre dans ses états et dans ses sens. Il a été fidèle sur ce point à la sagesse ancestrale du calao. Le calao, symbole récurrent de l’institution Poro, est représenté avec son long bec fermé délicatement posé sur le ventre proéminant. Le bec fermé symbolise le savoir gardé secret et le gros ventre signifiant également que celui qui en sait beaucoup doit savoir en garder suffisamment dans le ventre. Dr Djandué Bi Drombé donne suffisamment à réfléchir à partir du ventre.

Conclusion

À partir de mon expérience personnelle, j’ai voulu montrer que le réseau social numérique peut être utilisé par la philosophie et pour la philosophie, au moment où les plus pessimistes parlent de crise de l’éducation. Un nouveau type d’humanité façonné par les activités électroniques, les technologies de l’information, le web, etc., bouleverse habitudes, façon de consommer, de travailler, de se fréquenter, de se connaître. En somme, elle crée de nouvelles relations anthropologiques et sociales.

Dr Djandué Bi Drombé, avec sa philosophie du ventre, est la preuve que le ventre du réseau social numérique Facebook peut permettre de tisser de nouvelles et fructueuses relations. Ce ventre contient d’infinis possibilités de faire société, comme le numérique. Avec les réseaux sociaux numériques, la Philosophie du dos a pu enfanter d’autres philosophies portant sur le corps. Elle a créé une communauté de penseurs unie par le désir de philosopher autrement, alliant le sérieux et la dérision.

Références bibliographiques

DJANDUÉ Bi Drombé, La philosophie du ventre. Le ventre dans tous les sens. Abidjan Les Éditions Kamit, 2023, 222 p.

https://www.beauxarts.com/grand-format/pourquoi-les-scultureségytiennes-ont-si-souvent-le-nez-cassez
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh

http://www.lisapoyakama.org/non-les-nez-des-statues…/

Annexe

1. La philosophie du Kpêtou ou du sexe de la femme

De la dignité du Kpêtou au respect de la femme. (14 avril 2020) Ernest SEKA dit Ernesto Galàn La Legende.

Je tiens tout d’abord à féliciter les autres philosophies déjà dispensées sur les réseaux sociaux telles que la philosophie du dos (Maitre Boa), la philosophie des cheveux (Disciple Lopoa), la philosophie du Visage (Doctorant Signo), la philosophie de l’esthétique (Doyen Kouakou Anicet) et la philosophie des fesses (Destin Koné). En effet, toutes ces philosophies tentent de rendre hommage au corps humain dans sa totalité. Elles exhortent les hommes à respecter leur corps. Ainsi, comme le corps humain n’est pas constitué que du dos, des cheveux, du visage, des fesses, avons-nous décidé de parler du kpêtou, pardon, du sexe féminin. Pourquoi parler du kpêtou ? Pourquoi en dégager une philosophie de la dignité ?

Au sens strict du terme, la dignité renvoie à l’idée de considération et de respect à l’égard d’une personne ou d’une chose. Comme le dit l’ermite de Königsberg, la dignité implique l’impératif selon lequel la personne humaine ne doit jamais être traitée comme un moyen, mais comme une fin en soi. Par-là, le Prussien pose tout être humain comme une valeur au-dessus de tout prix, c’est-à-dire un être qui est pour lui-même sa propre fin. Or, ce qui est sa propre fin est sacré, digne de respect inconditionnel. En ce sens, parler de la dignité du sexe de la femme ou Kpêtou, c’est parler du respect, de la considération, des égards qu’il mérite. En effet, par son caractère sacré, le kpêtou est digne d’un respect inconditionnel. Puisqu’il fonde et engendre le monde, il doit être considéré comme une chose respectable et à respecter. Il n’est ni un objet ni une machine. Il est plutôt un principe de vie. En cela, il existe en vue d’une fin : la vie. C’est pourquoi toute atteinte au Kpêtou ou à la partie génitale de la femme, mérite une sanction voire une punition ou une condamnation.

En Ouganda, par exemple, dix policiers ont été maintenus en détention jusqu’au 07 mai 2020 pour avoir porté atteinte aux sexes des femmes ougandaises. En fait, pour n’avoir pas respecté le couvre-feu instauré en raison de la lutte contre le Covid-19, des femmes ougandaises ont été forcées par des policiers à mettre de la boue sur leurs parties génitales. Selon le média local « Uganda Radio Network », ces femmes brutalisées étaient des péripatéticiennes. Qu’elles soient des prostituées ou pas, elles méritent au moins le respect. Toute personne mérite un respect inconditionnel, quel que soit l’âge, le sexe, la santé physique ou mentale, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, le statut social, etc.

Face aux différentes formes de violence que l’on inflige trop souvent aux femmes et à leurs corps, des actions ont été menées au nom de leur dignité. C’est dans cette perspective que le médecin gynécologue de la RDC Denis Mukwege s’est donné corps et âme pour réparer le sexe des femmes violées pendant la guerre au Congo. Au cours de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), des milliers de femmes ont été victimes de violences sexuelles. Cette seconde guerre congolaise que Denis Mukwege nomme “guerre sur le corps des femmes” constitue un fléau à combattre pour ne pas qu’elle s’étende à la société. À ce propos, estime-t-il, « lorsqu’on ne se bat pas contre un mal, c’est comme un cancer, il se diffuse dans la société et détruit la société entière. »

Le kpêtou a une valeur. Il est digne d’être respecté. Respecter le kpêtou, c’est élever la femme au degré de perfection. Il faut dès lors célébrer la beauté du sexe féminin. 

Si le kpêtou c’est ce qui fait la femme ce qui la distingue de l’homme, ne l’oublions pas, il est l’origine du monde. Car, c’est de là que naît toute vie et, c’est ce qui fait de l’acte sexuel, l’origine de toute chose. De cette manière, la philosophie du kpêtou n’est pas une philosophie de la perversité. Mais, elle est une philosophie par excellence tentant non seulement de redécouvrir la femme mais aussi de la redéfinir. C’est une philosophie qui tente de célébrer la femme et de la respecter. Le sexe de la femme, c’est la vie, le bonheur par excellence. Vive le kpêtou. 

2. La philosophie du visage

Le nez cassé des sculptures égyptiennes. Le visage de l’africanité déchiré par les rois revanchards, le vandalisme chrétien et l’iconoclastie musulmane. 2 avril 2020. Par Arts Philosophie Sciences (Signo Signo)

Qu’il s’agisse du Sphinx de Gizeh, des bustes de Toutankhamon ou d’autres mythiques pharaons, un détail vous a forcément déjà frappé : il leur manque souvent le nez ! Cette partie du visage entre la bouche et le front sert très souvent à identifier le caractère anthropologique d’une personne. Mais alors, où est donc passé leur nez ?

Le nez cassé des statues égyptiennes fait croire à première vue à une volonté raciste des égyptologues européens de cacher au monde l’origine africaine de l’Égypte antique. Certes, ce vandalisme relève d’actes délibérés, mais la motivation de ces actes semble être plus religieuse que raciste, bien que nous ne niions pas pour autant que le racisme fut à l’origine de nombreuses falsifications des vérités historiques sur l’Égypte antique.

L’égyptologue Dimitri Laboury souligne que ce vandalisme pur a commencé depuis l’Antiquité. Cependant, pour comprendre ces destructions, il faut d’abord saisir l’importance des statues dans la croyance des anciens Égyptiens. Contrairement à la vision dualiste (l’homme est âme et corps) de l’être humaine, les Égyptiens de l’Antiquité ont une conception de l’homme beaucoup plus complexe. Pour eux, au moment de mourir, le bâ (l’esprit), sous la forme d’un oiseau, vient s’incarner dans la statue qui a été façonnée à l’image du défunt. Ces statues deviennent pour ainsi dire vivantes ! Ainsi, les dégrader revient à s’en prendre directement à la personne. Et pourquoi casser le nez ? Casser le nez c’est couper la respiration, c’est tuer définitivement la personne qui est représentée par la statue.

C’est exactement la tactique adoptée après le règne du pharaon Akhenaton, dont la réforme religieuse en faveur d’un dieu unique a conduit son pays au fiasco. Même chose avec Hatchepsout, lorsque ses successeurs voudront asseoir leur légitimité sur le trône.

D’ailleurs, à l’époque post-pharaonique, au moment où émerge le christianisme, les chrétiens persécutent les Égyptiens « païens » et s’en prennent aux statues pour empêcher leurs cultes (https://www.beauxarts.com/grand-format/pourquoi-les-scultureségytiennes-ont-si-souvent-le-nez-cassez/).

En 1980, l’historien allemand Ulrich Haarmann a révélé que le visage du Sphinx fut endommagé en 1378 par Mohammed Sa’im al-Dahr, un soufi iconoclaste qui voulait détruire ce qu’il considérait comme idole païenne, s’attaquant en particulier au nez et aux oreilles. Cet homme fut pendu pour vandalisme et sa dépouille sera brûlée par les Égyptiens anciens, devant le Sphinx (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh).

Ce sont donc souvent les Égyptiens eux-mêmes, à l’époque pharaonique, qui cassaient les nez, sans compter les pilleurs de temples et de tombes. Les envahisseurs étrangers commettaient des crimes et détruisaient les statues.

Les Européens chrétiens de l’époque romaine et les Arabes musulmans, dans leur guerre contre la Spiritualité africaine en Égypte, détruisirent beaucoup de statues, aussi bien les nez que toute la statue.

D’ailleurs, le christianisme romain n’a-t-il pas blanchi certaines représentations égyptiennes, notamment celles d’Osiris (père), Isis (mère), Horus (fils) ? Bref, tant que nous sommes vivants, apprécions positivement et réciproquement nos visages, car à notre mort nous ne savons pas vraiment si nos visages résisteront à l’usure. Peut-être seront-ils entaillés et marqués par du vernis blanc ? On ne sait jamais !

3. Une esthétique de la main

La main, cet organe de sens précieux à l’Artiste et dans nos Civilisations du contact. (Kouakou Melaine-anicet) 29 mars 2020.

En général, tout artiste pour produire un objet d’art ou une œuvre d’art ne travaille pas ex – nihilo, c’est à dire en dehors de la sphère sensible. En effet n’ayant pas d’intuition réalisante, l’artiste, afin de donner un corps à son objet – idée a besoin de travailler par le biais de la technique, un matériau tiré de la nature. Par exemple, comme le décrit Serge Carfantan (Quelques Leçons d’Esthétique), il taillera la pierre, sculptera du bois, polira du fer, manipulera de l’argile, de la terre, etc. Toutes ces choses sont possibles, à condition de posséder des mains.

La Main occupe par conséquent une place importante dans la création artistique, en sorte que si elle venait à être supprimée chez l’artiste, il n’y aurait probablement pas de création. À dire vrai, l’architecte, le sculpteur, le peintre, le céramiste, ne peuvent créer sans leurs mains ; tout comme le pianiste, le guitariste, le violoniste, le batteur, le saxophoniste, etc., ne le peuvent également. C’est dire la nécessité toute particulière de cet organe de sens pour l’Artiste. Cela même est rappelée par Rembrandt à travers ses peintures à savoir Résurrection de Lazare et Leçon d’anatomie.

Si comme tel, la Main de l’Artiste, à l’image des Mains de la Sage-femme qui font naître un enfant, est celle qui fait entrer l’œuvre d’art au monde, cela peut par extension vouloir traduire que la Main est au cœur de la Vie des Hommes, de l’Humain, qu’il soit artiste ou pas.

De fait, dans nos civilisations du contact, la Main est ce qui permet de témoigner une amitié à son alter-égo. On en veut pour exemple, la salutation par la poignée de main, parfois utilisée comme symbole de renouvellement du serment d’amitié après une bagarre ou une querelle.

La Main, c’est aussi cette partie du corps qu’on utilise très souvent pour marquer notre complicité. À preuve lors d’un match de foot, après un but, deux supporters peuvent se taper dans les mains. Et par ce geste, ils renvoient l’image d’être ensemble en tant que complices de tribunes.

Au surplus, la Main est ce médium par lequel les humains expriment la plupart du temps, leurs émotions et sentiments les plus profonds. Au vrai, il n’existe pas d’humain qui n’ait jamais été pris dans les mains d’un être qui l’a aimé ou qui l’aime si chèrement, comme papa, maman, époux, enfant, ami, etc.

La Main est donc d’une manière ou d’une autre, que l’on soit artiste ou simple humain, rattachée à la Vie. On comprend ainsi mieux en ces temps si sombres avec la pandémie du Covid – 19, l’importance de les garder saines afin de préserver nos vies respectives.

Merci et à Dimanche prochain pour une autre aventure sur les Chemins de L’Esthétique.

4. La philosophie du sourire (N’Dré Sam Beugré. 11 mai 2020)

Au Moyen Âge et à la Renaissance, les choses sont devenues plus difficiles. Des gens de la stature de Jean Baptiste De La Salle, fondateur d’un collège bien connu, et d’Albucasis se sont proclamés contre l’exposition des dents aux autres. Le premier disait que “la nature nous a donné des lèvres pour cacher nos dents” car, selon lui, les montrer allait à l’encontre du respect d’autrui. Pour le second, une dent mal alignée était “une déformation particulièrement désagréable chez les femmes”.

Dans la période allant de la Renaissance au néoclassicisme, les sourires dans l’art sont très rares et timides. La raison ?  Les soins dentaires étaient alors très limités. Rappelons que le premier document descriptif sur la dentisterie a été rédigé en 1728 par le chirurgien-dentiste de Fauchard. De plus, comme il n’y avait pas de dentistes généralistes et encore moins de spécialistes, les sourires à l’époque n’étaient pas moins horribles. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le sourire était encore censuré par la société. Aux États-Unis, à l’époque victorienne, il était interdit aux employés de maison de sourire devant leurs maîtres. Grover Cleveland, qui était président des États-Unis en 1885, est considéré comme l’un des premiers à avoir fait du sourire en public une chose courante. À l’époque, le sourire public était encore tabou, mais les électeurs l’associaient à un sentiment de sincérité de la part de l’homme politique en question, ce qui en faisait une stratégie politique de langage corporel très efficace. Son impact a été tel qu’il a créé un précédent pour les présidents suivants : Theodore “Teddy” Roosevelt et Woodrow Wilson. Les dirigeants européens ont expliqué à Teddy à quel point son sourire était esthétique, bien que ce ne soit clairement pas le cas pour Wilson. Une fois que les gens ont remarqué l’impact positif du sourire, l’inquiétude va concerner l’esthétique dentaire. Les stars de cinéma, les politiciens et les célébrités n’auront de cesse de montrer des sourires alignés d’une oreille à l’autre.

5. Philosophie des fesses

LES FESSES DES FEMMES ET LE REGARD SEXUÉ DES HOMMES (11 avril 2020) Destin Koné

Souvenez-vous des Vénus callipyges de la Préhistoire, qui fascinaient déjà les hommes. Ceux-ci rendaient hommage à leur beauté sensuelle en les dessinant sur les parois des grottes, ou en les sculptant. Les fesses ont toujours été le symbole de la fertilité et de la sensualité.

Si certain(e)s adorent les caresses fessières, d’autres sont gêné(e)s ou ne les apprécient pas. Tout est question de goût et d’habitude.

La majorité des hommes sont excités à la vue de fesses voluptueuses : dans l’inconscient masculin, elles témoigneraient de la capacité de leur propriétaire à porter un enfant. Les femmes, quant à elles, craquent volontiers sur un « postérieur » bien musclé. La musculature évoque une puissance et une force de la gent féminine.

Le mâle est attiré par les grosses fesses de la femme. Cela se voit dans le regard. Mais une fois derrière elle, l’homme contemple leurs fesses autant qu’il les désire. Regarder les fesses d’une femme, rappelle inconsciemment la tendresse et le plaisir du sein de la maman. En tout cas, la femme n’est pas responsable si on la désire dans le dos (Voir la philosophie du dos de Boa Thiémélé).

“Et mes fesses, tu les aimes mes fesses… ?” demandait sensuellement Brigitte Bardot en 1963 dans “Le Mépris”, un film de Jean-Luc Godard. Adorées ou détestées, exposées ou cachées, les fesses ne laissent pas indifférent. On les désire musclées, volumineuses et sensuelles, et leurs courbes arrondies incitent aux caresses, parfois très intimes, ainsi qu’à des désirs souvent inavoués.

Pourquoi les femmes veulent avoir de grosses fesses ? N’est-ce pas parce que, inconsciemment, elles se sentent en sécurité d’avoir ce qui peut représenter la féminité mais aussi la capacité maternelle et induire le désir chez l’homme ? En somme, n’est-ce pas parce qu’elles veulent être désirées ? L’être humain a besoin d’être désiré mais aussi d’être capable de désirer. Les femmes ont conscience que leur postérieur est un objet de désir sexuel masculin. Les fesses sont comme le maquillage : depuis la nuit des temps, les fesses et le maquillage servent à mettre en valeur la femme au regard masculin.

Le philosophe et artiste Jean-Paul Sartre n’avait-il pas raison quand il affirmait : « La patrie, l’honneur, la liberté, il n’y a rien : l’univers tourne autour d’une paire de fesses, c’est tout…’ »

Ça se voit, certains risquent leur vie au prix d’un regard sexué. Et le regard pointu des Présidents en dit aussi.

À Samedi prochain…

6. Philosophie de l’anus et du wc #phaduwc_001. 4 août 2020

Par Don El Migno Charminov

… La philosophie dont je suis le promoteur, …place l’anus dans la centralité qui lui est due. Elle promeut le WC en tant qu’institution à part entière foncièrement humaine et pose l’anus, les fèces et le WC comme un haut lieu de réflexions savantes.

Aux puristes et autres incapables de dépasser les idées reçues et les conceptions dominantes pour se laisser aller, au hasard de la réflexion et de la quête de sens et d’objectivité, la philosophie de l’anus et du WC (en abrégé la #PhAduWC) vous fera « chier » ! Peut-être vous permettra-t-elle, je l’espère, d’inaugurer en vous l’amour de la remise en question et du doute philosophique.

Saisissant l’homme, la femme, la culture, Dieu, la religion et l’ensemble des institutions humaines sous le prisme de l’anus, des fèces et du WC, la PhAduWC met en doute les certitudes, dé-forme les aprioris et inaugure le champ de nouvelles u-topies. Foncièrement iconoclastes, la #PhAduWC marche à rebours et aime à inverser les choses. La déconstruction, au sens derridien du concept, est une méthodologie ici dictée par la nécessité d’opérer le mouvement vertical en sens inverse, en remontant de l’anus au cerveau, afin de prendre pour ainsi dire de la hauteur. Cette inversion marque le caractère inédit d’une philosophie nouvelle de la condition humaine.

L’anus, les fèces et le WC, représentent, pour reprendre les mots de Paul Valéry au sujet du corps, « ce qu’il y a de plus profond dans l’homme et que ce n’est pas dans ce qu’il-s cache(nt) qu’il faut chercher sa vérité, mais dans ce qu’il-s exhibe(nt) ». En cela, la PhAduWC pourrait bien constituer le lieu de la quête de cette authenticité.

Parce que l’anus, les fèces et le WC révèlent la vérité de l’homme/femme, la PhAduWC nous permettra à termes d’inventer du nouveau, mais aussi et surtout de nous émanciper des approches mêlant à la fois négligence, fascination et dégoût de l’anus et des fèces et qui ne peuvent qu’aboutir à des raccourcis de pensée et faire miroiter la surface et non le fond des phénomènes observés.

Conformément aux activités principales de l’anus, qui chie, mais aussi pète, les interventions de la PhAduWC seront de deux ordres : un numéro hebdomadaire plus structuré, chaque dimanche et un autre intitulé #PETS_PHILOSOPHIQUES qui regroupe des aphorismes et/ou citations sur le sujet.

A très bientôt pour le prochain numéro…

7. La philosophie des cheveux

De l’Afro. 18 décembre 2019

Lopoa Bi Kouamé

Nous avons soupçonné une philosophie des cheveux, parce qu’en Afrique les coiffures correspondent à des étapes de la vie : la naissance, l’initiation, le mariage et le deuil.

L’Africain et tous ses attributs physiques ont longtemps été disqualifiés de la course à l’humanité et au Beau. Sa peau, son anatomie, son sexe, son nez, ses lèvres, sa mâchoire et ses cheveux ont été qualifiés de sauvages, de diaboliques, de grotesques et de laids par des ethnologues et philosophes ethnocentriques. Car, sa beauté était jugée selon une valeur qui ne lui correspondait pas, à savoir les canons esthétiques européens. Pour être beau ou belle, pour être accepté, reconnu en qualité d’homme puis d’homme civilisé, il fallait souscrire aux critères de beauté de l’Occident, en s’éclaircissant la peau ou en lissant ses cheveux.

Le mouvement culturel « Black is beautiful » en français le « Noir est beau », né dans les années 60 aux USA avec les Afro-américains dont Malcom X, va justement s’insurger contre cette vision du beau qui implique le mépris de soi et le cautionnement du mépris de l’autre. Ainsi mettra-t-il, pour résister, en avant la fierté des racines africaines qui passe par l’acceptation de sa propre culture, de la couleur noire de sa peau et de ses cheveux crépus. En somme, il fallait revendiquer une identité propre. La coiffure tendance sera « L’Afro » ou pour ceux qui n’ont pas beaucoup de cheveux, des cheveux naturels tout simplement. Nous sommes en plein esthétique noire pour parler comme Garvey.

L’Afro est une coiffure volumineuse de cheveux crépus retenant l’humidité et protégeant l’homme en climat chaud. Une opinion la fait dater de Ramsès II sous son khépresh (couronne guerrière et royale) une autre la date de la tentative de pénétration des Italiens en Éthiopie. En effet c’était la coiffure des guerriers. Ils résistaient contre les Italiens qu’ils vainquirent du reste. Leur victoire fit de l’Éthiopie une Nation qui n’a pas été colonisée. Mais, historiquement et sociologiquement, elle appartient à l’histoire des Afro-américains qui résistait ainsi à l’aliénation et à l’assimilation de la culture européenne. Ils le firent au nom d’une identité africaine sublime.

Tout le parcours de cette coiffure met en exergue une philosophie de l’identité et de la résistance. Par l’Afro, on assume son appartenance à la communauté africaine ; on s’identifie à elle. Par l’Afro on est un résistant, un fier guerrier. Par elle on accepte le naturel, on en fait la promotion.

Nb : il faut utiliser le shampoing au lieu du savon pour l’entretien des cheveux en style afro.

CONTRIBUTIONS PAR AXES D’ANALYSE

AXE 1 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DÉMOCRATIE

LES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES ET LA GOUVERNANCE DÉMOCRATIQUE EN AFRIQUE

1. Oi Kacou Vincent Davy KACOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kacoudavyoi@yahoo.fr

2. Neuba Serge N’DRIN

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

serge.neuba@gmail.com

Résumé :

Se présentant à la fois comme un lieu communicationnel et informationnel, les réseaux sociaux numériques tendent à favoriser une très forte opinion publique ou une citoyenneté de parole qui constitue le gage d’une nouvelle forme de société civile émergente en Afrique. Dès lors, par l’entremise de la méthode analytique, nous tâcherons de voir si les réseaux sociaux numériques peuvent véritablement favoriser la gouvernance démocratique en Afrique dans la mesure où ils prônent sans cesse la désinformation, les atteintes à la vie privée, affectant ainsi la qualité du débat démocratique. Ne faut-il pas alors une éducation aux médias et à la littératie numérique susceptible de permettre aux citoyens de naviguer de manière critique et responsable dans cet environnement numérique constamment en évolution ?

Mots clés : Démocratie, Information sociale, Médiation sociale, Nouvelles intelligences collectives, Réseaux sociaux numériques.

Abstract:

At both a place for communication and information, digital social networks tend to foster a very strong networks tend to foster a very strong public opinion or citizen voice that is the guarantee of a new form of civil society emerging in Africa. So, using the analytical method we shall try to see whether digital social networks can really promote democracy in Africa, insofar as they constantly advocate misinformation privacy, thus affecting the quality of democratic debate. So isn’t there a need for media literacy and digital to enable.

Keywords : Democracy, Social information, Social mediation, New collective intelligences, Digital social networks.

Introduction

Le projet épistémologique qui nous habite est déterminé par deux considérations théoriquement distinctes mais pratiquement imbriquées, à savoir, d’une part les réseaux sociaux et d’autre part la démocratie en Afrique. Les réseaux sociaux numériques relèvent du virtuel alors que la démocratie est de l’ordre du concret. En effet, les réseaux sociaux numériques, souvent simplement appelés « réseaux sociaux », sont des plateformes en ligne qui permettent aux utilisateurs de créer des profils personnels, d’établir des connexions avec d’autres utilisateurs et de partager du contenu, des informations, des médias et des interactions en ligne. Quant à la démocratie, elle est un système de gouvernance dans lequel le pouvoir politique est exercé par le peuple, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants élus.

Notre démarche est guidée par la conviction que les réseaux sociaux numériques, tels que Facebook, Twitter, WhatsApp, Instagram, LinkedIn, Snapchat, TikTok et d’autres, ont transformé la manière dont les Africains s’engagent dans la politique et influencent la démocratie sur le continent. C’est dire que les réseaux sociaux numériques ont un impact significatif sur la démocratie en Afrique.

Dès lors, il y a lieu de se demander si les réseaux sociaux numériques peuvent véritablement favoriser la démocratie en Afrique dans la mesure où ils prônent sans cesse la désinformation, les atteintes à la vie privée, affectant ainsi la qualité du débat démocratique. Favorisent-ils la participation citoyenne, et renforcent-ils la transparence politique ? Comment les gouvernements et les acteurs politiques réagissent-ils à la dynamique des réseaux sociaux dans le champ politique ? Ne faut-il pas alors une éducation aux médias et à la littératie numérique susceptible de permettre aux citoyens de naviguer de manière critique et responsable dans cet environnement numérique constamment en évolution ?

Partant, la toile de fond de cette réflexion est que les réseaux numériques tendent à favoriser une très forte opinion publique ou une citoyenneté de parole qui constitue le gage d’une nouvelle forme de société civile émergente. Il convient d’explorer le sujet sous différents angles afin de saisir sa complexité. Dans cette optique, notre analyse sera articulée autour de trois axes majeurs : tout d’abord, nous examinerons l’état des lieux de la question des réseaux sociaux numériques dans la gouvernance démocratique, puis nous nous pencherons sur la relation entre la démocratie et les réseaux sociaux numériques pour enfin aborder l’incontournabilité des réseaux sociaux numériques dans l’expression actuelle de la gouvernance démocratique.

1. De l’état des lieux de la question des réseaux sociaux numériques dans la gouvernance démocratique

1.1. Les réseaux sociaux numériques : un lieu d’abus contre la liberté d’expression et d’atteinte à la vie privée des personnes

On le remarque dans bien de pays du continent noir, avec l’inexistence de frontière qu’ils favorisent, les réseau sociaux numériques constituent aussi le lieu de plusieurs abus significatifs répétés contre la liberté d’expression et l’atteinte à la vie privée des personnes qui, dans une importante mesure, sont des paramètres pertinents de la démocratie depuis la lutte pour la dignité humaine qui a abouti à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) en ces termes : « Tout individu a le droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Dans plusieurs posts d’images, de vidéos et de messages, on note des injures et des calomnies des gouvernés à l’endroit des gouvernants, des propos agressifs et humiliants entre des adversaires politiques qui peuvent même appartenir à une même famille, à un même groupe social, à une même communauté religieuse parfois. Des humiliations et des diffamations qui, malheureusement, constituent du pain béni pour les utilisateurs de ces nouveaux médias. Sur les réseaux sociaux numériques, on peut le dire sans risque de se tromper, il est devenu commun d’assister au déferlement médiatique d’une opposition très tranchée entre deux ou plusieurs personnes à la suite soit d’un soutien d’une action ou d’une idéologie, soit pour la manifestation d’un désaccord sur un fait ou un mouvement. Une opposition surtout marquée par des injures et des propos diffamatoires avec atteinte à la vie privée, comme en témoignent les images ci-dessous.

Photographie 1 : Exemple de publication relative à la libre expression, tiré des échanges sociopolitiques entre internautes (Côte d’Ivoire). Source: Facebook, 2020

Photographie 2 : Exemples de publication concernant la libre expression des gouvernés à l’encontre des gouvernants ou des hommes politiques. Côte d’Ivoire Source : Phoenix, 2020

Ces propos ne vaudraient certainement rien, s’ils ne s’articulaient pas dans une logique relationnelle qui pose, nécessairement, la question de l’altérité. Et en la matière, il est fort certain, voire fondamental, que l’autre soit, avant tout, respecté, et donc ne soit, en aucun cas et au nom d’une quelconque idéologie, même la plus certaine, inquiété pour ses idées et pour ses opinions. Ce qui laisse entendre que la différence entre les citoyens ne doit, en aucune manière, constituer un obstacle à la promotion de la démocratie. Malheureusement, ces réseaux sociaux numériques sacrifient la démocratie sur l’autel des ambitions personnelles et partisanes. Cela est d’autant vrai que les internautes constituent entre eux des communautés qui se sentent souvent touchées par des propos diffamatoires, des images, etc. et donc ne se retiennent pas de réagir, faisant ainsi de ces plateformes un lieu d’incitation à la haine.  

1.2. Les réseaux sociaux numériques : un lieu d’incitation à la haine

Dans l’expression de la démocratie, les réseaux sociaux numériques donnent d’assister bien souvent aussi à des incitations à la haine. Ils peuvent être utilisés pour diffuser des discours de haine dirigés contre des groupes ethniques, religieux, raciaux, ou d’autres minorités. C’est le cas en Côte d’Ivoire où un certain Youssouf Kamagaté avait publié le 25 janvier 2020 de massacrer les chrétiens, quand l’archidiocèse d’Abidjan a annoncé dans le cadre du programme de ses activités annuelles, une marche pour la paix : « Le 15 février, ça sera à chacun son catholique, on va verser un peu leur sang comme pour leur Jésus là ». On voit apparaître clairement ici que les réseaux sociaux numériques peuvent être le lieu des incitations à la violence et à des déclarations haineuses sans crainte de répercussions directes sur sa vie. Les réseaux sociaux numériques pourraient être des plateformes pour la propagation de discours de haine, de racisme, de xénophobie et d’autres formes de discours nuisibles. À cela s’ajoutent des groupes extrémistes qui utilisent parfois les réseaux sociaux pour recruter de nouveaux membres ou inciter à la violence. De même, la désinformation et les fausses nouvelles peuvent être rapidement diffusées sur les réseaux sociaux ; ce qui peut alimenter la haine envers certains groupes ou individus.

Ce qui fait penser que les plateformes numériques sous les cieux africains ne sont pas réglementées ou du moins que la loi est loin d’être efficace pour les empêcher ou que les chargés de la règlementation en la matière sont de vrais corrompus, laissant croître une liberticide en Afrique. Même si ces propos sont en ligne, il est bien possible qu’ils puissent avoir des conséquences bien réelles, notamment au niveau psychologique, d’une part, et au niveau de la société, d’autre part. Ce, d’autant plus que tout discours comportant des germes de la haine, cible, nécessairement, « des personnes en raison des caractéristiques des groupes auxquels elles appartiennent. » (UNESCO, 2015, p. 4) Et plus encore, tout message est susceptible de « devenir viral en quelques heures, voire quelques minutes. » (Ibid.) Toutes ces querelles numériques susmentionnées sont loin d’être profitables à la démocratie numérique. La démocratie numérique, également appelée démocratie électronique ou e-démocratie, fait référence à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour renforcer et améliorer les processus démocratiques. Au lieu de faciliter le dialogue et le débat démocratique, les réseaux sociaux peuvent perturber et même ébranler les principes fondamentaux de la démocratie.

2. De la relation entre la démocratie et les réseaux sociaux numériques

2.1. La préalable question de la relation entre gouvernés et gouvernants

La relation entre gouvernants et gouvernés constitue cette dynamique qui, par le jeu de ces deux acteurs, reconfigure les modèles de fonctionnement des institutions de la société elle-même. Ce, d’autant plus que cette relation trouve ses racines dans les mouvements et les comportements sociaux, les paroles citoyennes et les circonstances politiques, dans des espaces publics. L’on remarque avec P. Bréchon (2006, p. 7) qu’à l’ère des réseaux sociaux numériques, « les gouvernants sont aujourd’hui de plus en plus observés et critiqués » par les gouvernés et « se voient obligés d’expliquer leurs actions, légitimer leurs orientations ». (Ibidem). Mais alors, qui est le gouvernant, et qui est le gouverné ?

De manière générale, la pensée collective oppose les gouvernants et les gouvernés, et leurs présences, bien que permanentes, ne sont évoquées que pendant les moments très cruciaux, généralement emprunts de conflictualité comme les campagnes électorales, les grèves ou les crises sociopolitiques, etc.

Les gouvernants aussi appelés dirigeants forment la classe des acteurs institutionnels ; une classe subdivisée en deux catégories : les acteurs institutionnels publics et les acteurs institutionnels privés comme le montre P. Thomé (2014, p. 4). Ici, les gouvernants concernés sont ceux de la classe des acteurs institutionnels publics. Ils ont pour eux, par la Loi, le pouvoir et la puissance nécessaire pour agir au nom de tous, voire envers et contre tous. Tout citoyen est tenu de respecter la Loi, sinon il y sera contraint en vue de garantir le salut de la société. Ce sont, dans bien des contextes étatiques : le Président de la République ou le Chef de l’État, le vice-président, le chef du Gouvernement, les membres du Gouvernement, les Présidents d’institutions, les élus des Collectivités Territoriales, les Préfets et Sous-préfets. Ayant le pouvoir d’État, ils sont ceux-là qui, logiquement, établissent les lois et en assurent l’application par la gouvernance. Des lois que ces derniers eux-mêmes ne respectent pas toujours dans leur volonté manifeste de conserver le pouvoir à tout prix.

Les gouvernés, quant à eux, prenant appui sur les principes et idéaux nouveaux (Démocratie et Alternance politiques, etc.) reçus du grand bouleversement géopolitique mondial survenu à la suite de la chute du Communisme en 1960 et à la lumière des démocraties populaires de 1989, sont ces citoyens qui, aujourd’hui, « ne veulent plus être gouvernés comme avant » (C. Thuderoz, 2006, p. 185), c’est-à-dire vivre sous le joug d’un régime qui les conduirait, dans la dictature, à la famine et à la ruine plutôt qu’au salut. En effet, être gouverné, dans le siècle présent, « consiste de moins en moins à accepter ou subir « une verticale du pouvoir. » » (P. Verjans,et al., 2011, p. 54). Les gouvernés sont loin d’être ceux qui font la loi même si la Loi fondamentale les reconnaît comme des citoyens au même titre que les gouvernants. On peut citer, entre autres, les contestations populaires de grande ampleur qui se sont produites dans de nombreux pays du monde arabe entre 2010 et 2012 dont la Tunisie, l’Égypte et la Lybie et qualifiées de « Printemps arabe », les manifestations qui ont conduit à la destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff en 2016, l’effet et le succès du mouvement espagnol « Podemos » (nous pouvons) en 2014, qui rappellent, à bien des égards, le « Yes, we can » de Barack Obama.

2.2. De la nécessité du changement social

La relation entre la démocratie et les réseaux sociaux numériques ne peut pas ne pas s’articuler, fondamentalement et objectivement, autour du besoin d’un changement social, au profit, en premier lieu, des gouvernés. En effet, selon son étymologie cambiare, propre au bas latin de l’Antiquité tardive, le verbe changer renvoie à l’idée soit de modifier une façon de faire, soit de remplacer quelqu’un par un autre ou quelque chose par une autre. Ainsi, le changement constitue une variation par rapport à un état ou un mode d’existence antérieure ou, en d’autres termes, « le passage d’un état x, défini à un temps t, vers un état x1 à un temps t1 ». (J. Réhaume, 2002, p. 65). C’est dire qu’il concerne, à la fois, les ruptures et les nouveautés apportées à une situation mauvaise ou anormale ou alors moins bénéfique qui perdure.

En lien avec la société, le changement désigne « toute transformation observable et vérifiable dans le temps qui affecte d’une manière qui n’est pas provisoire la structure ou le fonctionnement d’une collectivité et qui en modifie le cours de son histoire. » (G. Rocher. (1968, p. 22). Dans cette logique, le changement social est alors et sans aucun doute différent de l’événement, de l’action historique et du processus social qui, cependant, peuvent l’intensifier ou le freiner. Il s’agit de mettre en avant les « conditionnements sociaux qui déterminent le déroulement d’une action. ». (H. Dorvil, R. Mayer, 2001, p. 66). Il convient alors que l’on comprenne les changements sociaux, en analysant toujours les fonctions propres ou spécifiques que remplissent les différentes institutions, les structures et/ou les organisations mises en place dans la société, par la société et pour la société : « À tout élément de toute culture correspond une fonction et à toute fonction correspond un élément. » (O. Aktouf, 1987, p.23). C’est bien l’enjeu de la démocratie qui tend à mettre face à face les gouvernants et les gouvernés. En tant que telle, elle est une culture ; celle du respect du choix du peuple souverain. Elle est également une fonction de la bonne gouvernance qui, justement, implique le respect du choix du peuple souverain. Partant, le changement social convoque le principe de l’acteur et du système qui, lui, pose la question de la dynamique sociale, et en filigrane, celle de la participation citoyenne en tant que réalité sociale et principe de la démocratie. Ce qu’imposent aujourd’hui les réseaux sociaux numériques.

2.3. L’inévitable question de la participation citoyenne et son actualité

Suivant les réformes institutionnelles, sociales et politiques initiées respectivement par les athéniens, Solon (https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Solon/144767/, consulté le 16 octobre 2023), Clisthène (https://www.universalis.fr/encyclopedie/clisthene-570-508/, consulté le 13 octobre 2023) et Périclès (https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Périclès/137626/, consulté le 3 octobre 2023) à partir desquelles est né l’État de droits, la citoyenneté est apparue comme une réalité sociale active qui a fait du citoyen, un être qui a la faculté de participer aux fonctions judiciaires et publiques. (Aristote, 1995, p. 167). Dès lors, pour parodier C. R. Abolou, (2016, p. 18), la participation citoyenne est devenue un véritable outil de médiation sociale par le biais de la citoyenneté qui a pour principe premier la cité. À cet égard, tous sont appelés à vivre et à partager les mêmes valeurs dans un corps social, à se construire et à se maintenir durablement, comme l’atteste D. B. G. Naécia Maciel. (1999, p. 61). Bien que considérée comme une qualité par opposition à la non-liberté, la citoyenneté, ou dans l’autre sens, la participation citoyenne, n’est aucunement un privilège telle que le montre Aristote dans sa réflexion sur l’État : « Nous appelons État la collectivité des citoyens ayant la jouissance de ce droit, et en nombre suffisant pour assurer à la cité, sil’on peut dire, une pleine indépendance. » (Aristote, 1995, p. 171).

Aussi importe-il de considérer la participation citoyenne comme une réalité sociale faisant référence à un ensemble de pratiques permettant au citoyen de participer activement à la vie de sa communauté, d’autant plus que le citoyen contemporain se définit singulièrement en relation avec l’idée de la souveraineté de l’État dont il est un corrélat. Ici, retentissent en écho les propos du président américain Fitzgerald John Kennedy : « Ask not what your country can do for you—ask what you can do for your country », c’est-à-dire « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays ». (https://www.archives.gov/ National Archives Museum Washington, DC, and Presidential Library museums Discours inaugural de John F. Kennedy, 20 janvier 1961, Washington, D.C., États-Unis).

Dans son discours à la Nation du 7 décembre 1979, à l’occasion de la célébration de la fête nationale d’indépendance à Katiola, le président Félix Houphouët-Boigny dira à son tour : « il est temps, grand temps, que chacun, à tous les niveaux s’interroge. Ai-je fait, bien fait, pour mon pays, ce que je dois ? ». (F. Houphouët-Boigny, 2013, p. 217)

L’aujourd’hui de la citoyenneté ou de la participation citoyenne qu’expriment ces deux assertions se rapporte, justement, à l’idée des libertés, des droits et devoirs du citoyen en lien avec l’idée de la souveraineté par la démocratie comprise comme le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. De nombreux débats et échanges sur les réseaux sociaux numériques n’occultent pas ces questions. Bien plus, ils les rendent actuelles. Ce qui fait de ces réseaux, à la fois un moyen et un lieu véritables et inévitables de l’expression actuelle de la démocratie.

3. De l’incontournabilité des réseaux sociaux numériques dans l’expression actuelle de la gouvernance démocratique en Afrique

3.1. L’apport des réseaux sociaux numériques dans la gouvernance démocratique

Les réseaux sociaux numériques se présentent comme une agora ou alors un espace de libres expressions et opinions où chacun peut dire ce qu’il pense tout bas, à travers des messages, des vidéos et/ou des images. Dans ce cas, les réseaux sociaux numériques se laissent saisir comme un outil social ouvrant la porte à la participation citoyenne ou à la démocratie. En tant qu’outil, ils se font un moyen de changement social positif puisqu’ils favorisent un élan d’engagement social ou alors un certain militantisme. C’est ainsi que le Sénégal a vu l’émergence de campagnes en ligne qui ont influencé l’opinion publique et le vote. En effet, les élections présidentielles sénégalaises de 2012 ont été marquées par une utilisation significative des médias sociaux et des campagnes en ligne qui ont eu un impact sur l’opinion publique. Ces élections ont vu la réélection du président sortant, Macky Sall. L’utilisation des réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter, a été remarquée pour son rôle dans la mobilisation électorale, la diffusion d’informations politiques et la stimulation du débat public. Les réseaux sociaux numériques promeuvent l’éveil des consciences en Afrique où la démocratie est en souffrance du fait de certaines réalités comme le tribalisme, le népotisme et surtout l’ignorance (R. G. Blé, 2010, p. 2-23).

En 2013, le Kenya, par exemple, a vu l’utilisation intensive de réseaux sociaux lors des élections générales pour surveiller le processus électoral et encourager la transparence. Par ailleurs, dans ses reportages sur les élections et la politique en Côte d’Ivoire, Hervé Djébé, un journaliste ivoirien laisse poindre l’utilisation des médias sociaux par rapport aux événements politiques survenus en 2020. Il met en évidence le rôle des médias sociaux dans la mobilisation politique et la diffusion de l’information.

En tout état de cause, les plateformes offrent un espace pour la participation civique et la mobilisation autour de causes importantes. Il en découle que les réseaux sociaux permettent aux citoyens africains de s’exprimer plus librement, de partager leurs opinions et de dénoncer les injustices. Dans cette perspective, les réseaux sociaux numériques ont l’avantage de construire une importante communauté ou un groupe social dont les membres ont au moins un intérêt en commun. Ils permettent aux citoyens africains de communiquer facilement et rapidement entre eux. Ce qui peut renforcer la participation civique et politique. À l’aide des réseaux sociaux numérique, les individus peuvent discuter de questions politiques, partager des informations et organiser des mouvements sociaux en ligne. Il appert que les réseaux sociaux créent un espace pour un débat public plus ouvert et diversifié. Ils permettent aux citoyens de suivre les progrès et les régressions de la démocratie dans leur pays et dans la région. Ce qui peut encourager les réformes et la consolidation de la démocratie.

Avec les réseaux sociaux numériques, les citoyens peuvent partager des informations sur les élections, les droits de l’homme, la corruption, etc., et mobiliser d’autres personnes pour soutenir leurs causes.  Les réseaux sociaux offrent une voix aux groupes minoritaires et marginalisés qui peuvent avoir été exclus du processus politique traditionnel. Cela peut contribuer à une plus grande inclusivité et diversité dans la sphère politique. Ils permettent aux citoyens de surveiller les actions du gouvernement et des responsables politiques. Les réseaux sociaux rendent plus difficile pour les gouvernements de dissimuler la corruption et les violations des droits de l’homme. Désormais, les scandales de corruption et les abus de pouvoir peuvent être exposés au grand jour. Ce qui peut mettre la pression sur les autorités pour qu’elles agissent de manière plus responsable. Par exemple, les vidéos et les photos partagées en ligne documentent ces abus, incitant à l’action et à la responsabilité. Ils favorisent la transparence politique. C’est dire que les réseaux sociaux peuvent rendre les activités politiques plus transparentes en permettant aux citoyens de suivre les actions de leurs représentants élus en temps réel.

Il convient de noter aussi que les réseaux sociaux peuvent favoriser l’innovation dans le domaine de la démocratie en permettant l’émergence de nouvelles formes de participation citoyenne, telles que les consultations en ligne, les pétitions numériques et les plateformes de gouvernance participative. À cet effet, les politiciens et les partis politiques peuvent utiliser les réseaux sociaux pour atteindre un large public et promouvoir leurs plateformes politiques. Cela peut favoriser une plus grande participation électorale et un meilleur accès à l’information politique. C’est pourquoi, il convient d’éduquer les citoyens. Les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour éduquer les citoyens sur les principes démocratiques, les droits de l’homme et les processus électoraux. Cela peut contribuer à renforcer la compréhension de la démocratie et à encourager la participation politique informée. Les réseaux sociaux numériques offrent de nombreux avantages pour la démocratie en Afrique, mais ils sont également associés à plusieurs défis et risques.

3.2. Les réseaux sociaux, une voix sonore au service de la gouvernance démocratique

Les réseaux sociaux numériques jouent aujourd’hui un rôle très important dans les sociétés humaines, notamment au niveau de la démocratie. Ils sont mêmes comme un instrument à son service. En effet, ces nouveaux médias sociaux se présentent davantage comme les moyens les plus utilisés aussi bien par les partis politiques que par les candidats aux élections pour la diffusion de leurs messages, la mobilisation de leurs partisans et la sensibilisation des électeurs à les voter. En donnant ainsi à de nombreux citoyens la possibilité de s’engager activement dans le processus démocratique de leur pays, ces plateformes ont l’avantage de renforcer manifestement la participation au débat démocratique et électoral, d’autant plus qu’elles sont fondamentalement un lieu communicationnel et informationnel.

À travers des partages d’informations et d’opinions relatives à la corruption, aux abus de pouvoir et d’autres problèmes de gouvernance, les réseaux apparaissent comme un moyen certain de mettre la pression sur les dirigeants politiques pour rendre compte de leur gestion. Nonobstant ces nombreux avantages qui marquent une évolution du processus démocratique en Afrique, il n’en demeure pas moins que les réseaux sociaux numériques engendrent d’autres défis tout aussi significatifs comme la désinformation et les discours haineux qu’il importe de relever dans la perspective de la culture de la paix et de la cohésion sociale dans de nombreux pays en Afrique. Dès lors, ne faut-il pas une éducation aux réseaux sociaux numériques susceptibles de permettre aux citoyens lambda de naviguer de manière critique et responsable dans cet environnement numérique constamment en évolution ?

3.3. L’éducation aux réseaux sociaux pour une authentique gouvernance démocratique en Afrique

L’éducation aux réseaux sociaux numériques constitue en elle-même une exigence de ce temps en numérique, en ce sens qu’elle correspond à une forme de participation citoyenne ou d’engagement citoyen faisant de la critique, l’écriture et la lecture sociales des moyens d’émancipation sociale, de progrès social et de culture de la paix. Autrement dit, l’éducation aux réseaux sociaux numériques constitue un acte citoyen actif ou alors qu’elle s’imbrique dans la citoyenneté en tant que principe positif dans la perspective de l’intérêt commun ou général. De ce point de vue, cette éducation critique des contenus médiatiques ne sera rien d’autre qu’un renforcement de la citoyenneté par le développement de la conscience politique, ainsi que Gonnet présente l’éducation aux médias de manière générale : « une exceptionnelle initiation aux pratiques démocratiques en vue de l’enrichissement des différences. » (J. Gonnet, 2001, p. 6).

Ce faisant, en tant que forme évidente de la participation citoyenne, l’éducation aux réseaux sociaux numériques aura à jouer un rôle de promotion de la démocratie qui n’est nullement la liberté de dire ce que l’on veut, comme l’on veut et quand l’on veut. Le faisant, elle ne sera, finalement, qu’un instrument démocratique fondamental, puisque l’éducation comprise comme moyen de socialisation implique dans son essence la prise en compte indissociable de la citoyenneté et de la démocratie. Et offrir à tout citoyen le moyen d’être un esprit critique ou une conscience sociopolitique de sorte à différencier l’opinion de l’information, repérer les préjugés et le manque de logique, et reconnaître les hypothèses déclarées et cachées, c’est déjà forger en ce dernier un élan, mieux un esprit citoyen et démocratique. Cela s’avère un défi à relever et à consolider pour faire de la démocratie en ligne une conviction personnelle chez chaque africain pour le respect de la dignité humaine, loin des sentiments partisans et diffamatoires.

Conclusion

Les réseaux sociaux numériques constituent objectivement, aujourd’hui, un espace médiatique offrant à chaque citoyen la possibilité de prendre activement part au processus démocratique de son pays. Ils renforcent la participation citoyenne au débat démocratique et électoral au travers des échanges (messages, vidéos, images, etc.). Pour la plupart du temps, les internautes passent par ces réseaux sociaux numériques pour se faire entendre.

Il importe, cependant, de noter que ces technologies constituent à bien des égards un danger au nom de la liberté d’expression des citoyens qui sont les utilisateurs de ces réseaux numériques. Dès lors, il s’impose une prise de conscience citoyenne et un engagement responsable à tous les niveaux. Face aux abus qu’ils favorisent, il importe de créer les conditions susceptibles de permettre aux citoyens de naviguer de manière intelligible et responsable, d’autant plus que la démocratie vise le meilleur ou le bien de la majorité du peuple.

Pour ce faire, une éducation aux réseaux sociaux numériques est indispensable, non comme un enseignement visant prioritairement l’acquisition d’un certain nombre de compétences en vue de la maîtrise des outils techniques. Mais il s’agit plutôt de favoriser un regard critique sur les contenus de ces réseaux de sorte à contribuer à l’éco-citoyenneté. Une telle approche implique non seulement un véritable engagement social des hommes de paix et des politologues, mais demande d’inclure l’éducation aux médias numériques dans les programmes éducatifs des pays africains. Du reste, les réseaux sociaux numériques doivent contribuer à une culture de la paix, préalable à tout développement quand on sait que le continent africain a encore beaucoup à faire à ce niveau.

Références bibliographiques

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RÉSEAUX SOCIAUX ET DÉMOCRATISATION DE L’INFORMATION DANS L’ESPACE PUBLIC SUBSAHARIEN : ENTRE LIBERTÉS D’EXPRESSION ET COMMUNICATIONNELLE

Faloukou DOSSO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

faloukou@hotmail.com

Résumé :

Aujourd’hui, les réseaux sociaux prennent activement part à la gestion de la société par la démocratisation de la communication et de l’information en influençant les décisions étatiques. Ainsi, les réseaux sociaux vont fertiliser l’espace public subsaharien en pleine mutation socio-politique et économique, en flexibilisant considérablement la liberté d’expression comprimée dans les canaux conventionnels ou traditionnels de communication et d’information. Il s’agit de briser la main basse sur la communication et l’information pour éradiquer toute monarchisation de la gestion de l’État grâce aux réseaux sociaux qui font effectivement obstacle à toute mutilation de la liberté en faisant barrage aux activités communicationnelles et informationnelles étriquées. Dans cette logique, ce texte se fixe l’objectif de démontrer que, bien que les réseaux sociaux distillent de vibrantes toxines communicationnelles et informationnelles, c’est en oscillant nécessairement entre les libertés d’expression et de communication que la dynamisation de toute vie sociétale subsaharienne sera une réalité.

Mots clés : Communication, Espace public, Information, Libertés, Réseaux sociaux.

Abstract:

Today, social networks take an active part in the management of society through the democratization of communication and information by influencing state decisions. Thus, social networks will fertilize the sub-Saharan public space in the midst of socio-political and economic change, by considerably flexing freedom of expression compressed in conventional or traditional channels of communication and information. It is a question of breaking the control over communication and information to eradicate any monarchization of the management of the State thanks to social networks which effectively obstruct any mutilation of freedom by blocking narrow communication and informational activities. In this logic, this text sets itself the objective of demonstrating that, although social networks distill vibrant communicational and informational toxins, it is by necessarily oscillating between freedoms of expression and communication that the dynamism of all societal life sub-Saharan Africa will be a reality.

Keywords : Communication, Public space, Information, Freedoms, Social networks.

Introduction

Les réseaux sociaux, sites Internet accessibles aux internautes via un navigateur Web, aux grands espaces de communication, de partage d’information, offrent la possibilité aux professionnels, aux particuliers d’être interconnectés, sans tenir compte de leur situation géographique. Dans ce monde virtuel, qui ne fait que se virtualiser de plus en plus, les médias sociaux, l’autre nom des réseaux sociaux, vont faciliter l’accès à l’information et à la formation, dynamiser la communication permettant aux citoyens de prendre part à la gestion de leur société. Ainsi, la gestion de la société n’est plus l’affaire de la société politique, l’élite au pouvoir.

À vrai dire, « la digitalisation du monde, accélérée par les réseaux sociaux, entraîne des mutations dans les conduites humaines qui font sauter définitivement un certain nombre de barrières, dont celle qui sépare la vie publique d’avec la vie privée » (R. Redeker, 2021, p. 15). Ainsi, le centre de gestion de la cité se déplace. La liberté d’expression ne parvient plus à faire barrage aux diverses activités communicationnelles, informationnelles sous l’épineuse bannière des canaux conventionnels de communication et d’information.

Bien qu’ils distillent de véritables toxines communicationnelles et informationnelles, les réseaux sociaux influencent les décisions de l’État et révolutionnent tout espace public. L’espace public subsaharien, en n’étant pas épargné par cette “virtualisation” du monde, est sans doute exposé au courroux de la gestion de l’État qui contrôle les canaux de diffusion de la communication et de l’information. Il se pose le problème de l’impact des réseaux sociaux sur le processus de démocratisation de la communication et de l’information dans un spécifique cadre où la liberté d’expression est, de plus en plus, étriquée. Comment les réseaux sociaux parviennent-ils à influencer les décisions de l’État dans la gestion de la société ?

En saisissant les réseaux sociaux dans leur volonté de dynamiser l’espace public, l’on comprend la nécessité de redimensionner le cadre de promotion de la liberté d’expression, de parole. Ainsi, pour influencer les décisions des États subsahariens dans leur espace public, n’est-il pas approprié que la démocratisation de l’information oscille entre les libertés d’expression et communicationnelle ? Ce qui importe, c’est la nécessité de se défaire du « politiquement correct » ventilé par la liberté d’expression en vue de faire la promotion de la liberté communicationnelle.

C’est dans les interstices des réseaux sociaux et dans leur capacité à révolutionner la communication et l’information dans la gestion de la société (1) que l’on peut dénoncer l’absolutisation de la gestion de l’État qui se déploie dans les réquisits de la liberté d’expression. C’est à la suite de la conceptualisation des termes du sujet que l’on évoquera l’influence des réseaux sociaux dans la dynamisation de l’espace public subsaharien (2). Il s’agit donc d’obstruer toute gestion absolutisante de la société pour la démocratisation de la communication, de l’information qui doit osciller impérativement entre les libertés d’expression et de communication. Les réseaux sociaux viennent dynamiser la vie sociétale subsaharienne (3).

1. Les réseaux sociaux et la gestion de l’espace public subsaharien

Les réseaux sociaux sont en constante évolution. De nouvelles tendances dans le monde de la communication et de l’information sont promues. Leur essor favorise la communication digitale, l’autre nom de la communication numérique qui prend de l’ampleur et pose le problème de la mainmise sur la communication et l’information, la question de la liberté d’expression. Cette situation vient bouleverser la communication et l’information, désorganiser franchement les canaux conventionnels et/ou traditionnels de déploiement de la société. Les réseaux sociaux ont leur mot à dire dans la gestion de tout espace public puisqu’ils arrivent à modifier, influencer toute prise de décision pour organiser la société. Il est question d’user des plateformes appropriées pour établir une stratégie de social média efficace.

1.1. Le monde de la communication et de l’information à l’ère des réseaux sociaux

Jamais sans doute, depuis l’avènement de la télévision et, plus récemment, au lendemain de l’implosion du système soviétique, les relations réciproques entre les médias et les sociétés n’avaient été aussi perceptibles. Jamais les influences réciproques n’étaient apparues avec une telle évidence entre les médias, anciens et nouveaux mêlés, et la nature du lien social, la façon dont la société se désigne elle-même, comme un Tout ou comme une association, comme unité organique (Gemeinschaft ou Corporate), ou bien comme Societas (Gesellschaft) ou (Partnership). (F. Balle, 2005, p. 617).

Le monde de la communication et de l’information a une influence perceptible sur la société à telle enseigne que l’on ne peut évoquer le terme de sociabilisation hors des médias qui déterminent la nature du lien social. Ce monde désigne la société comme un Tout, du Tout comme association, comme unité organique, comme Societas.

À vrai dire, « les médias constituent un pouvoir de gestion de la société (le quatrième dans les démocraties modernes). Leur déploiement communicationnel et informationnel obéit à de rigoureuses règles dépassant les prérogatives des discours médiatiques » (F. Dosso, 2021, p. 157) qui s’effritent là où « les conseillers en communication contrôlent aujourd’hui l’image des gouvernants comme des grands patrons et sont passés maîtres dans l’art de manipuler les journalistes et l’opinion » (A. Gorius et M. Moreau, 2013). Du coup, le monde de la communication et de l’information se constitue en un véritable espace de manipulation où tout est mis en place pour ventiler tout ce qui peut aider à contrôler monarchiquement la gestion de la société.

Les médias suivent ce que leur imposent leurs bailleurs de fonds et les conseillers en communication pour toujours engranger des intérêts et contrôler le monde de la communication et de l’information. Ainsi, ces “gourous”, l’autre nom des conseillers en communication, fonctionnent en oscillant entre les manipulations politiques et économiques en vue de contrôler les gouvernants et les patrons de presses. Aussi, « quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots » (A. Gorius et M. Moreau, 2013, p. 5). En effet, ce sont les réseaux sociaux qui mettent à nu la supercherie communicationnelle et informationnelle, promeuvent une manière de communiquer et d’informer qui ne respecte pas toujours les règles et les prérogatives des discours médiatiques. 

Avec les réseaux sociaux, le monde de la communication et de l’information traverse des zones de turbulence puisque les médias dits conventionnels et tout ce qui se rapporte à la communication sont mis en minorité dans l’obéissance aux règles et les prérogatives des discours médiatiques. La rapidité ou réactivité dans la diffusion ou rediffusion de l’information et la nécessité de communiquer facilement avec les autres de l’autre côté du monde sont des puissants éléments dans la balance communicationnelle, informationnelle, déployés en vue de concurrencer les médias conventionnels.

[À vrai dire,] les réseaux sociaux sur Internet sont des réseaux communautaires ; il s’agit d’infrastructures en ligne permettant de relier des personnes physiques et/ou morales entre elles afin de créer des échanges et d’engendrer des interactions. Les réseaux sociaux sont une forme particulière de médias sociaux, qui comprennent également les blogs, par exemple. Ces réseaux sociaux peuvent être de grande envergure, avec un espace personnalisé (un profit ou compte d’utilisateur sur une plateforme de médias sociaux) permettant de mettre en ligne à peu près tout ce que l’on souhaite, notamment ce qui relève de la sphère privée : MySpace, Facebook. (S. Montévrin, 2019, p. 8).

Les réseaux sociaux, médias sociaux ou réseaux communautaires, sont des espaces d’échanges en ligne, une interaction numérique entre des personnes physiques, morales pour communiquer, former, informer commercer, sociabiliser. Ces plateformes des médias sociaux vont mettre en ligne ce que l’on souhaite, l’on veut faire, ce que l’on veut entendre. Il existe plus d’une soixantaine (60) de réseaux sociaux dont les dix les plus usités sont : Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, WeChat, TikTok, Messenger, Snapchat, Douyin, Telegram.

Loin d’évoquer l’importance des utilisateurs afin d’un classement qui évoque ceux qui sont les plus usités, il faut s’en tenir à leur force de frappe, de diffusion qui vient mettre en grande difficulté les médias d’État sur la voie de la monopolisation de la communication et de l’information.

1.2. Les médias d’État et la monopolisation en question

L’État désigne les institutions de décisions qui fonctionnent sur un territoire donné en vue de le contrôler et assujettir tout sous son autorité. L’État affiche son autorité au-dessus de toute autorité en imposant ses appareils répressifs (Police, Tribunal, Armée, Prison, Administration) et idéologiques (l’École, l’Université et les Institutions d’État qui assurent la reproduction principielle de la société bourgeoise au pouvoir). Il s’agit d’obstruer toute velléité d’insoumission et d’éviter qu’aboutisse l’attitude fondamentalement révolutionnaire de la classe ouvrière qui est soumise à l’idéologie bourgeoise.

[Sans doute,] l’État est, entièrement quant à son origine, et presque entièrement quant à sa nature pendant les premiers stages de son existence, une organisation sociale imposée par un groupe vainqueur à un groupe vaincu, organisation dont l’unique but est de réglementer la domination du premier sur le second en défendant son autorité contre les révoltes intérieures et les attaques extérieures. Et cette domination n’a jamais eu d’autre but que l’exploitation économique du vaincu par le vainqueur. (F. Oppenheimer, 1913, p. 6).

Le meilleur fonctionnement de l’État doit aller de pair avec celui des médias d’État et/ou les médias gouvernementaux. Aucun État ne se déploie sans des médias, à son entière disposition, qui, en réglementant sa domination, font passer les informations qui épousent sa dynamique, s’assurent que tout est sous son contrôle. Les médias gouvernementaux s’approprient la télévision et le cinéma, la presse écrite, la radio, Internet, l’affichage, ces cinq supports pour assurer la bonne marche de l’État sans omettre les technologies de l’information et de la communication. L’État détient les moyens de communication et d’information nécessaires pour imposer son autorité, diffuser les informations et avoir une emprise sur la cité. Sans doute, il est question d’accompagner sa gestion du territoire et imposer son emprise sur tout ce qui se passe dans sa zone d’influence ; d’où la nécessaire promotion d’une liberté d’expression qui se déploie dans les méandres du politiquement correct. 

1.3. La liberté d’expression dans les méandres du « politiquement correct »

« La liberté d’expression n’a pas le caractère d’évidence qu’elle avait auparavant, parce que nous sommes conscients du rôle qu’ont joué les journaux, les caricatures et les stéréotypes dans la préparation du pire ». (D. Ramond, 2018, p. 16). En effet, la liberté d’expression, dans les limites du « politiquement correct », est un « objet juridique » qui occupe une place prépondérante dans les systèmes juridiques qui favorisent sa dynamique puisqu’elle ne conteste pas les normes, ni ne les discute.

La liberté d’expression n’est pas seulement une liberté fixée par le droit, mais également un principe et un ensemble de pratiques qui, souvent, précèdent le droit existant, le bousculent et contribuent à le faire évoluer. Son histoire, faite d’à-coups et de coups de force, est tout sauf pacifique et linéaire ; elle est le fruit de procès et de conflits violents. Chaque fois surviennent des questions que les lois seules ne peuvent trancher : quelles sont les limites du dicible et du représentable ? Que faire des formes d’expression qui ne sont pas encore autorisées, mais pourraient le devenir ? (D. Ramond, 2018, p. 9).

En effet, la liberté d’expression oscille entre le droit et les pratiques qui précèdent le droit existant. Sa fonction politique la maintient dans les limites « déterminées par la loi ». L’article 11 de la Déclaration stipule ceci : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La liberté d’expression se tient sur la crête de l’acceptable et de l’inacceptable en limitant ce qui peut être dit et représenté. « Longtemps pensée comme une limite au pouvoir de l’État afin de garantir le pluralisme, cette liberté est dorénavant brandie pour lutter contre les prétentions des minorités à obtenir de la reconnaissance sur la scène publique » (D Ramond, 2018, p. 11). Ce qui importe avec la liberté d’expression, c’est d’amener de la sérénité là où règne le pathos. En effet, les propositions à défendre pour révéler qu’il est difficile de parler de liberté d’expression sont :

1. On peut concevoir des limites claires et cohérentes à la liberté d’expression.

2. Défendre la liberté d’expression au nom de ses conséquences positives est inutile, voire contre-productif.

3. La seule raison valable de limiter la liberté d’expression réside dans ses conséquences négatives éventuelles.

4. Ces conséquences s’évaluent toujours sur un récepteur hypothétique.

5. Il est justifié de punir les atteintes aux personnes, en particulier à leurs appartenances, il est injustifié de punir les atteintes aux préférences.

6. On peut distinguer les stéréotypes, d’un côté, et le fait de désigner des ennemis, de l’autre. (D. Ramond, 2018, p. 11-12).

Les pensées dissidentes qui sont en faveur du progrès et le crédit qu’il faut accorder à une opinion vraie sont des raisons qui vont pousser à défendre la liberté d’expression autour du “politiquement correct“. En effet, « parler de « politiquement correct » fait moins peur que parler de « moralement correct ». La vérité, bien entendu, est qu’il n’y a pas à choisir entre politique et morale. Nous avons besoin des deux, mais la morale est toujours plus exigeante que la politique ». (A. Feertchak, 2016, p. 47).

[Le politiquement correct ne peut qu’être] la tyrannie des bons sentiments, de la morale qui prétend s’appliquer hors de son ordre. Le politiquement correct, toutefois, n’est pas l’expression de la majorité. C’est l’un de ses paradoxes. Le politiquement correct relève de la pensée dominante, mais celle-ci est le fait d’une ou de plusieurs minorités qui ont réussi à s’imposer, notamment dans les médias. Le politiquement correct, pour le dire autrement, ce n’est pas la doxa, l’opinion courante, mais la paradoxa dominante, le contraire de ce que pense la majorité, érigé en position dominante. (A. Feertchak, 2016, p. 11).

Pour éviter de s’enfermer dans une définition plus rigide, l’« on appellera « liberté d’expression » le fait de diffuser un message au sens large (théorique, artistique, satirique, littéraire, descriptif) par des mots, des images, des symboles ou des attitudes. En somme, les comportements qui injectent du sens et des formes dans le monde » (D. Ramond, 2018, p. 46). La liberté d’expression se soucie de donner du sens et des formes dans le monde. Parler, discourir, communiquer ou s’exprimer et opter pour le bien public assurent l’échange d’idées, privilégient les diverses formes d’expression les plus vulnérables à la censure. Il est question donc d’offrir un mécanisme approprié de limitation de la liberté d’expression.  

« Dans l’histoire de la pensée politique, la liberté de parole n’est pas une liberté comme les autres ; elle aurait déclenché le mouvement grâce auquel les sociétés modernes sont sorties de l’obscurantisme ». (D. Ramond, 2018, p. 34). La liberté d’expression fait partie de la liberté de parole qui n’est pas comme les autres puisqu’elle se déploie entre « parler, discourir, communiquer ou s’exprimer ». (D. Ramond, 2018, p. 34). La posture de libération de la parole prend une autre tournure à l’ère de la floraison des réseaux où les agences étatiques de régulation du monde audio-visuel ne parviennent plus à cerner la vitesse de diffusion de la communication et de l’information. L’espace public, subsaharien, est attiré par une diffusion communicationnelle et informationnelle flexible faisant profiter ses citoyens de tout ce qui se passe de l’autre côté de la planète dans les plus brefs délais. Tout est rapidement connu et su par les citoyens d’un bout à l’autre du monde.

À vrai dire, la dynamisation de tout espace public, y compris celui subsaharien, doit assurer la défense de la liberté d’expression des autres. La liberté d’expression se déploie dans les méandres du “politiquement correct” et prend une autre tournure à l’ère de l’essor des réseaux sociaux. En oscillant entre la pluralité, la conflictualité et la pratique autoritaire, la liberté d’expression fait la promotion de la civilisation occidentale, de l’occidentalisation de la liberté. Ainsi, « la liberté d’expression court le risque d’être de plus en plus perçue comme déséquilibrée et hypocrite, et de ne plus susciter l’enthousiasme de quiconque » (D. Raimond, 2018, p. 191) à l’ère de l’essor des réseaux sociaux qui arrivent à influencer tout espace public.

2. Les réseaux sociaux et l’espace public, subsaharien

[Les réseaux sociaux permettent] aux gens de se rencontrer et de rompre avec l’isolement social. Mieux, [ils favorisent] le désenclavement. Dans certaines localités du monde rural, loin des grandes agglomérations ou des pôles urbains, les utilisateurs voient les limites géographiques s’effacer grâce aux nouvelles technologies. Le temps est également réduit. Immédiateté, instantanéité, on peut contacter quelqu’un ou se tenir informé d’un événement dans la minute. On gagne également du temps car les réseaux sociaux permettent la centralisation des informations. (S. Montévrin, 2019, p. 15).

En effet, l’espace public subsaharien est devenu celui de la rupture avec l’isolement social en favorisant le désenclavement informationnel et communicationnel. Cela sous-entend que les limites géographiques vont s’effacer grâce aux nouvelles technologies de la communication et de l’information. C’est ainsi que les réseaux sociaux vont permettre à tout espace public d’aller immédiatement et instantanément à l’information en servant de contrepoids à la monopolisation de la communication et de l’information qui est assurée par les autorités étatiques de régulation de l’information et de la communication. Du coup, la fin, en tant qu’objectif, des réseaux sociaux, réside dans la fin, en tant qu’achèvement, de l’État pour la diffusion de la communication et de l’information.

2.1. Les réseaux sociaux et la nouvelle diffusion des informations et de la communication

Avec les réseaux sociaux, un pan de fonctionnement de l’État va être en grande difficulté dans sa volonté de faire profiter à sa population, à la société sa capacité communicationnelle et informationnelle. Il est question de cette initiative de l’État qui tue toute individualité, fait perdre le sens de l’individu.

La perte du sens de l’individu, en obstruant le jeu des possibles à tous dans la compétition de la vie et la mise en place d’une société fermée à tout épanouissement des individualités, n’est qu’un réel indicateur d’enfermement « dans les communautarismes et autres collectivismes verts, rouges ou bruns qui détruisent la liberté et la responsabilité et mènent volontiers au terrorisme » (J.-P. Delsol, 2015, p. 42) ou bien à la profusion des usagers des réseaux sociaux. Du coup, les médias sociaux vont envahir communicationnellement le monde de la communication de l’information et handicaper le fonctionnement des canaux conventionnels et/ou traditionnels de diffusion en posant l’épineux problème de la liberté d’expression. L’avènement des réseaux sociaux permet ainsi de sortir « de la parole unique et unilatérale » (J.-P.- Delsol, 2015, p. 47). Cela sous-entend que les réseaux sociaux font naître l’autre catégorie de diffusion des informations où des fonctions prennent forme et/ou agissent sur les prises de décision de la société politique, l’élite au pouvoir.

Les réseaux sociaux influencent les manières de penser et d’agir des citoyens en les modelant. Ils imposent leurs dictas à l’espace public, y compris celui subsaharien. En effet, « les réseaux sociaux portent en eux un potentiel social qui est utilisé par les jeunes pour tester leurs identités, les affermir ou s’en écarter » (P. Adico, 2018, p. 211). L’on comprend la floraison d’influenceurs, selon leur ligne éditoriale, de cyber-activistes selon leur appartenance aux partis politiques qui ont un impact considérable sur l’espace public subsaharien. « Le danger d’une fuite de la réalité est ici à souligner et peut conduire à une exposition de l’identité à d’autres phénomènes qui ne laissent pas indifférents » (P. Adico, 2018, p. 216). En effet, une posture déviationniste des réseaux sociaux voit le jour et expose l’identité à des phénomènes, à ce qui ne se lasse pas, ne laisse pas indifférent. Les réseaux sociaux ne font que favoriser un type d’exhibitionnisme qui est récompensé par le nombre de vues.

Une logique de récompenses liée au nombre de vues cristallise la volonté de se faire entendre. Les questions de pudeur et de sociabilisation vont entrecroiser celles de liberté d’expression, de parole. Un monde des réseaux sociaux se crée et rend difficile la posture régalienne de l’État de vouloir contrôler les acteurs qui influencent l’espace public subsaharien. « Les réseaux, dans leur logique de tout mettre à nu, dépossèdent l’intime de ce qu’il comporte de personnel pour en faire un conformisme ». (A. D. Agbessi, 2018, p. 227). En effet, les réseaux sociaux, bien qu’ils distillent des toxines, vont actionner la démocratisation de la communication et de l’information.

2.2. Les réseaux sociaux et la démocratisation de la communication, de l’information

Le monde de la communication et de l’information connaît une côte de popularité à l’ère de l’émergence des réseaux sociaux qui le poussent à se donner les meilleurs moyens de se faire entendre et d’influencer la société politique. Cela sous-entend que les réseaux sociaux bouleversent les données communicationnelles et informationnelles dans l’optique de promouvoir la communication numérique. Ainsi, bien qu’ils distillent des toxines communicationnelles, les réseaux sociaux vont démocratiser la communication et l’information en générant « de nouvelles façons de communiquer, de se parler, d’écrire » (O. Goré, 2018, p. 25), d’informer et de s’informer. L’on parle de nouvelles transparences où tout se révèle à une vitesse éclaire, rapidement. Ce sont les réseaux sociaux qui vont alimenter le monde de la communication et celui de l’information, en faisant la promotion de nouvelles transparences.

À vrai dire, « les nouvelles transparences facilitent l’accès et la diffusion de l’information dont on sait qu’elle est au centre d’importants enjeux de pouvoir, fragilisant ainsi la posture des « chefs » qui en étaient les détenteurs quasi exclusifs » (C. Arouna, 2018, p. 121). Avec plus d’une soixantaine de réseaux sociaux dans le monde de la communication et de l’information, il est difficile pour des « chefs » d’avoir l’exclusivité de l’information et de la communication au centre d’importants enjeux de leur pouvoir. Sans doute, la puissance de pénétration des réseaux sociaux laisse entrevoir la vive volonté de contourner les canaux conventionnels d’information et de communication qui manifestent l’intention de détenir l’exclusivité de la communication et de l’information.

Avec les réseaux sociaux, l’on peut parler de la naissance d’une gestion communicationnellement ouverte de la société, de l’espace public, y compris l’espace public subsaharien. « Les réseaux sociaux forment des parcs humains, certes; mais des parcs où l’égalité règne ». (R. Redeker, 2021, p. 186). Bien qu’ils présentent un visage bouillant et/ou brouillant où tout est ignoré, « les différences de richesses, d’éducation, de culture, de compétence, d’intelligence, de maturité, de race » (R. Redeker, 2021, p. 186), les réseaux sociaux promeuvent des standards d’égalité et de légitimité qui sont des filtres à censure. Ils ne prônent que des aptitudes de dynamisation de la gestion de la société puisque « supprimer la misère, alléger [fondamentalement] l’exploitation des hommes les uns par les autres, n’est aucunement leur affaire. Non économique et non sociale, cette conception de l’égalité est avant tout biologique ». (R. Redeker, 2021, p. 188). Les réseaux sociaux sont loin d’être des vecteurs d’éradication de l’exploitation de l’homme par l’homme. La question de la misère, de la lutte contre la misère n’est pas leur élément constitutif. En effet, le social des réseaux sociaux tourne autour du comment développer l’interaction sociale, se constituer un réseau de connaissances, d’amis ou de relations professionnelles en vue d’interagir en temps réel.

Toutefois, il est bon de retenir que les réseaux sociaux représentent « une chance encore mal exploitée : entre représentation, désincarnation, entre-soi et autopromotion, le sens de la communauté est sans doute à peaufiner » (S. Montévrin, 2019, p. 22). Ils ont encore quelque chose à donner dans la dynamisation de tout espace public.

3. Pour un espace public subsaharien plus dynamique : de la liberté d’expression à la liberté communicationnelle

Les réseaux sociaux sont de l’ordre de « cette « nouvelle modernité » [qui] croit au progrès, au marché et à la liberté. L’avenir de l’avenir, c’est alors l’expression de la liberté de commencer, de penser, de posséder, d’échanger, de voter » (J. Attali, 2015, p. 13). Une ère d’expression voit le jour, au-delà de la liberté d’expression. La dynamique de l’espace public subsaharien ne peut se déployer qu’entre les libertés d’expression et communicationnelle.   

3.1. Les réseaux sociaux entre la liberté d’expression et la liberté communicationnelle

La liberté d’expression, sur la sellette à l’ère des réseaux sociaux, demande que l’on s’ouvre à la liberté communicationnelle. Il faut lier la notion de publicité à l’espace public pour obtenir un monde de liberté où c’est la raison qui éclaire les hommes, le monde jusqu’aux strates les plus reculées. En démocratie, la voix de la majorité compte en tenant compte de celle des minorités. Toutefois, les réseaux sociaux vont se constituer en le porte-flambeau des minorités. Cela sous-entend que les réseaux sociaux sont, non seulement pour les minorités, mais surtout « un outil proprement démocratique, créateur de démocratie » (S. Montévrin, 2019, p. 46). Les réseaux sociaux sont un outil de démocratisation parvenu à étouffer la liberté d’expression étant donné que cette dernière s’apparente à une pratique autoritaire.

Ce qui importe, c’est « de faire échapper la liberté d’expression au triste sort qui lui est réservé dans l’actualité politique et médiatique » (D. Ramond, 2018, p. 190). Il s’agit donc de garantir et rendre compatibles les libertés subjectives en vue de recourir à la liberté communicationnelle qui est comprise « comme la possibilité, mutuellement présupposée dans l’activité orientée vers l’intercompréhension, de prendre position sur les énoncés d’un vis-à-vis et sur les exigences de validité ainsi émises, qui dépendent de la reconnaissance intersubjective » (J. Habermas, 2012, p. 136).

La liberté communicationnelle intègre une attitude performative entre les citoyens en leur permettant de se déployer sur la base du respect des actes de paroles entre la vérité, la sincérité et le consensus. La liberté communicationnelle exige des acteurs d’avoir recours aux énoncés qui constituent simultanément les actes auxquels ils se réfèrent. Il faut créer une relation interdépendante et/ou intersubjective liant les acteurs de la sociabilisation consensuelle de la société à des obligations illocutoires. Elle favorise ainsi une relation intersubjective entre les médias légitimés par une autorisation à usage public et leurs divers champs d’influence.

[En effet,] de la même manière que la liberté communicationnelle est, avant toute institutionnalisation, référée aux conditions d’un usage du langage orienté vers l’intercompréhension, l’autorisation quant à un usage public de la liberté communicationnelle dépend des procédures et des formes de communication assurées par le droit dans lesquelles les processus de délibération et de décision peuvent se dérouler. (J. Habermas, 2012, p. 145).

En effet, la liberté communicationnelle améliore l’espace public en cautionnant les acteurs à favoriser une attitude performative les uns avec les autres. Il faut leur permettre de s’entendre, d’attendre l’un de l’autre des prises de position en vue d’une intercompréhension réciproquement émise. C’est dans une interaction consensuelle entre les réseaux sociaux et la société politique que les décisions vont dynamiser la gestion de la société subsaharienne. Cela sous-entend que la quête du consensus doit favoriser une interaction entre les réseaux sociaux et la société politique.

3.2. L’interaction consensuelle entre les réseaux sociaux et la société politique

[L’Afrique noire] progresse par petites touches une conception de l’avenir où le progrès matériel est reconnu comme projet d’avenir ; la raison y impose peu à peu deux mécanismes de gestion de la rareté dans la liberté : le marché et la démocratie. L’un pour les biens privés, l’autre pour les biens publics. S’impose doucement l’idée que l’homme naturellement bon, qu’il a droit au progrès matériel, et que, s’il ne suit pas le chemin de la vertu, c’est qu’il est victime d’une mauvaise organisation de la société. (J. Attali, 2015, p. 81).

L’Afrique noire est loin d’être à la traine civilisationnelle à l’ère des réseaux sociaux puisque l’occasion lui est donnée de se faire entendre et d’attendre le son de socle de la révolution pour profiter de son printemps qui n’est pas encore effectif. Loin de demeurer la victime d’une mauvaise organisation de la société, l’Afrique noire va se donner les moyens de juguler les crises communicationnelles et informationnelles, d’améliorer les autonomies privée et publique. C’est sur la base d’autonomisation communicationnellement maîtrisée que l’espace public subsaharien va emprunter le chemin de la vertu favorable au printemps subsaharien qui sera alimenté par l’essor des réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux permettent de fédérer une partie du peuple autour d’une cause commune et de générer des mobilisations, voire des révolutions. Si tout ce qui se passe sur la Toile est virtuel, l’impact peut-être bien réel ! Les réseaux sociaux ont donc un effet levier sans précédent aujourd’hui, comme le furent en leur temps le livre imprimé, les journaux, la radio ou la télévision. Les médias jouent un rôle puissant dans la société en diffusant les informations et en délivrant leurs idées (ce n’est pas pour rien que les dictatures musellent tous les organes de presse). Dans un monde 2.0, les réseaux sociaux sont incontournables. (S. Montévrin, 2019, p. 46).

Ce qui importe à l’espace public subsaharien, c’est la nécessité de stimuler une interaction communicationnellement consensuelle aux fins de lui donner les aptitudes à la consolidation de sa société citoyenne. C’est avec les réseaux sociaux que des balises d’actions ou de réactions vont attirer l’attention de la société politique qui n’aura d’autres choix que de rationaliser ses prises de décisions. C’est ainsi que les piliers juridiques de discussion vont préserver les droits des citoyens, sociétaires juridiques légitimés par les droits politiques fondamentaux. Cela sous-entend que la liberté communicationnelle se forme, consolide la volonté et l’opinion publiques. Il s’agit de préserver les droits des citoyens.

Autrement dit, les droits politiques fondamentaux égaux pour tous résultent d’un accès symétrique à la juridicité de la liberté communicationnelle de tous les sociétaires juridiques ; or celle-ci exige, de son côté, que la formation de la volonté et de l’opinion au moyen de la discussion s’effectue sous des formes telles qu’elle permette un exercice de l’autonomie politique préservant les droits des citoyens. (J. Habermas, 2012, p. 145).

Conclusion

En définitive, les réseaux sociaux, en accélérant cette digitalisation du monde qui entraîne de profondes mutations dans la conduite des êtres humains, font sauter des barrières de sociabilisation rapprochée faisant qu’il est très difficile de faire passer l’espace public subsaharien hors de l’espace privé et vis-versa. La gestion n’est plus une affaire de minorité, de société politique, l’élite au pouvoir.

Les réseaux sociaux influencent considérablement l’État, la société politique en rationnalisant leurs prises de décisions. Il est sans doute impératif que la liberté d’expression fusionne raisonnablement avec la liberté communicationnelle en vue de faire des sociétaires juridiques des citoyens aguerris à l’argumentation, à la discussion. Ce qui importe ici, c’est la nécessité d’aboutir au consensus raisonnable en désorganisant les canaux conventionnels de communication et de l’information, en modifiant les décisions et/ou les prises de décisions de la société politique dans une société où tout citoyen n’est qu’un sociétaire juridique. Ainsi, l’usage des plateformes discursives va permettre d’établir une stratégie de social média efficace.

Les réseaux sociaux permettent de rompre avec l’isolement social pour le désenclavement puisque les limites géographiques vont s’effacer grâce aux nouvelles technologies de la communication et de l’information. C’est ainsi que les réseaux sociaux vont parvenir à influencer l’espace public subsaharien en servant de contrepoids à la monarchisation de la communication et de l’information par les autorités de régulation qui sont assignées à la tâche. Ainsi, la fin des réseaux sociaux va résider dans l’achèvement des médias d’État. D’où leur mise à jour dans la diffusion de la communication et de l’information.

Avec les réseaux sociaux, la « nouvelle modernité » croit au progrès, au marché, à la liberté, à la liberté de commencer, de penser, de posséder, d’échanger, de voter. Une ère d’expression va voir le jour au-delà de la liberté. La dynamique de tout espace public doit se déployer entre les libertés d’expression et communicationnelle où des sociétaires juridiques optent pour le consensus rationalisant dans un cadre d’argumentation, de discussion.

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LA DÉMOCRATIE BURKINABÈ À L’ÉPREUVE DES RÉSEAUX SOCIAUX : CAS DES CHANGEMENTS DE RÉGIMES DE 2014 À 2022 AU BURKINA FASO

Sidibeouendin SAOUADOGO

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

benoitsaouadogo79@gmail.com

Résumé :

Au Burkina Faso, les réseaux sociaux ont connu un développement spectaculaire avec l’insurrection populaire de 2014. Il est indiscutable qu’ils ont participé à la diffusion et à la propagation rapide de l’information mais, force est de reconnaître que les réseaux sociaux ont toujours été un moyen de déstabilisation de régimes au Burkina Faso. Par cela, les réseaux sociaux jouent un double rôle dans la démocratie en Afrique et au Burkina Faso en particulier.

L’objectif du présent article est d’analyser l’impact des réseaux sociaux sur la démocratie Burkinabè. Autrement, c’est de montrer comment la communication sur les réseaux sociaux participe à l’enracinement de la démocratie au Burkina Faso mais, aussi comment ils contribuent au bouleversement de l’ordre démocratique. C’est pourquoi, pour l’élaboration de notre problématique, nous nous sommes posés les questions suivantes : En quoi les réseaux sociaux renforcent-ils ou affaiblissent-ils la démocratie au Burkina Faso ? Quels sont les acteurs de la communication sur les réseaux sociaux ? Quel est le code et le message de cette communication ? Quels sont les fonctions de cette communication des réseaux sociaux ?

Pour aboutir aux résultats escomptés, nous avons procédé par des enquêtes sur trois grandes villes du pays (Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Ouahigouya) où nous avons pu interroger plusieurs personnes et une recherche documentaire sur les événements qui se sont déroulés dans notre pays de 2014 à 2022. Ces méthodes seront utilisées à travers la théorie de la communication de Roman Jakobson.

Mots clés : Burkina Faso, Changement, Communication, Démocratie, Réseaux.

Abstract:

In Burkina Faso, the social networks have had a great infatuation since the uprising of 2014. It is indisputable that they played a great role in the diffusion and the rapid flow of information, but we must also recognize that the social networks have always been the means by which governments have been overthrown in Burkina Faso. Because of (those) / (the above) reasons, the social networks play a dual role in African countries democracy and particularly in Burkina Faso.

The objective of this document is to analyze the impact of the social networks on the democracy of Burkina Faso. Otherwise, it is to show how social networks are of great help for democracy in Burkina Faso, but also how they contribute to the upheaval of democracy. That is why, to deal with the problem, we asked ourselves the followings questions: At what extent do social networks strengthen or weaken democracy in Burkina Faso? Who are the communicators on the social networks? What is the code and the message of this communication? What are the objectives of this communication?

To succeed in answering the questions, we proceeded by surveys on three large cities of the country (Ouagadougou, Bobo Dioulasso, and Ouahigouya) where we interviewed many people and conducted a research on the events that happened (occurred) in our country from 2014 to 2022. These methods will be used with respect to the communicative theory of Roman Jakobson.

Keywords : Burkina Faso, Changes, Communication, Democracy, Networks.

Introduction

De l’histoire du Burkina Faso, le pays a connu plus de régimes militaires que de régimes civils. Les seuls régimes civils que le pays a connus sont celui de Maurice Yaméogo de 1960 à 1966, de Michel Kafando en 2014 et Rock Marc Christian Kabore de 2015 à 2022.

Notons que c’est à partir de 2014, que le phénomène des réseaux sociaux a pris de l’ampleur dans notre pays et a contribué énormément à la réussite de l’insurrection populaire.

L’avènement des réseaux sociaux dans le paysage démocratique présente un couteau à double tranchant ; car, si l’utilisation des réseaux sociaux enrichit la démocratie burkinabè, notons aussi que sa mauvaise utilisation déstabilise les régimes démocratiques.

En rappel, au Burkina Faso, c’est 1,6 millions d’utilisateurs actifs des médias, 34% des utilisateurs internet et en croissance de+414 mille utilisateurs d’une année à l’autre ; soit 7,8% de la population selon le rapport de la CIL de janvier 2020. Ce système de communication a pris de la forme et souvent est auteur de déstabilisation des régimes avec la mauvaise communication de certains utilisateurs.

La mauvaise communication des réseaux sociaux dans notre pays constitue un frein à l’ancrage de la démocratie. Le présent article a pour objectif de montrer la place et le rôle des réseaux sociaux dans l’ancrage démocratique au Burkina Faso. Pour parvenir aux résultats, nous procèderons par des enquêtes qualitatives dans trois villes du Burkina à savoir Ouagadougou, Bobo Dioulasso et Ouahigouya. Mais avant, élucidons quelques concepts clés qui participeront à la compréhension de notre travail.

Étymologiquement, le mot démocratie vient du grec ancien démos, peuple, population d’un pays (mais aussi le territoire appartenant à une communauté), et kratos, pouvoir, autorité. La démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu’il y ait de distinctions dues à la naissance, la richesse, la compétence… (principe d’égalité). En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s’exerçant par l’intermédiaire de représentants désignés lors d’élections au suffrage universel.

Autrement, la démocratie désigne à l’origine un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques par le vote. Elle est un système politique dans lequel la souveraineté est attribuée aux citoyens qui l’exercent de façon directe. Pour dire tout simple, la démocratie est la gouvernance du peuple par le peuple.

Abordant le terme « réseaux sociaux », c’est l’anthropologue australien John Arundel Barnes qui a introduit le mot « réseaux sociaux » pour la première fois en 1954. Un réseau social est un site internet ou une application mobile permettant de développer des interactions sociales, de se constituer un réseau de connaissances, d’amis ou de relations professionnelles, avec lequel on interagit en temps réel.

En sciences humaines et sociales, l’expression réseau social désigne un agencement de liens entre des individus ou des organisations constituant un groupement qui a un sens : la famille, les collègues, un groupe d’amis, une communauté.

Dans l’usage habituel « réseaux sociaux », renvoie généralement à celle de « médias sociaux » qui recouvre les différentes activités qui intègrent technologie, interaction sociale entre individus ou groupes d’individus, et la création de contenu. Au Burkina Faso, les réseaux sociaux les plus utilisés sont Facebook, WhatsApp, Instagram et Twitter.

1. Méthodologie

Pour aboutir aux résultats, nous avons adopté la méthode d’enquête quantitative appuyée d’une recherche documentaire.

Comme zone d’étude, nous avons choisi les villes de Bobo-Dioulasso, Ouagadougou et Ouahigouya. Le choix de ces trois villes est motivé par plusieurs raisons. Ouagadougou et Bobo-Dioulasso sont les deux plus grandes villes du pays où le plus grand nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux y résident. Pour la ville de Ouahigouya, son choix est motivé par le fait qu’elle est une ville politique qui a connu d’éminents hommes politiques de notre pays.

Pour notre travail d’enquête, nous nous sommes intéressés aux jeunes, aux personnes âgées, tout sexe confondu. Le travail d’enquête a consisté à recueillir les avis des uns et des autres sur l’apport des réseaux sociaux dans la démocratie aux Burkina Faso. Pour cela nous avons interrogé 20 personnes par villes soit un total de 60 enquêtés.

1.2. Approche théorique

Roman Jakobson fait partie des premiers linguistes à suggérer un schéma de la communication. Il a proposé un schéma dans lequel toutes les variétés de fonction du langage sont étudiées.

Contexte

Destinateur message Destinataire

Canal

Code

À partir du schéma de la communication de Roman Jakobson, nous constatons qu’un aperçu sommaire porte sur les facteurs constitutifs de tout « procès linguistique », de tout acte de communication verbale.

Le destinateur envoie le message au destinataire. Pour être opérationnel, le message requiert premièrement un contexte auquel il renvoie, un contexte saisissable par le destinataire, et qui est, soit verbal ou susceptible d’être verbalisé ; ensuite, le message requiert un code, commun, en tout ou au moins en partie. Enfin, le message requiert un contact, un canal physique et une connexion psychologique entre le destinateur et le destinataire, contact qui leur permet d’établir et de maintenir la communication (Roman Jakobson, 1963, p. 213-214).

Roman Jakobson va plus loin en montrant que chaque facteur de la communication est rattaché à une fonction. Il y a selon lui six fonctions que nous allons voir sous l’angle de la communication des réseaux sociaux. Nous analyserons la communication sur les réseaux sociaux en nous basant sur le plan de communication établi par Roman Jakobson.

2. Présentation des résultats

2.1. Historique des réseaux sociaux

Mark Zuckerberg, patron de Facebook dont la fortune s’élève à 112 milliards en 2021 est souvent désigné comme le père fondateur du concept de réseau social. Pourtant ce n’est pas lui qui l’a inventé. La chronologie de création des réseaux sociaux s’est déroulée comme suit :

1997 : Création de sixdegrees.com, considéré comme le premier réseau social. Sur ce site on peut créer une page profil, se constituer un réseau et envoyer des messages à ses contacts.

1999 : Naissance de MSN (outil de discussion entre internautes rebaptisé Windows, live Messenger) et de bloggeur (une plateforme de blog sur laquelle chacun peut poster ce qu’il veut : textes, article, photos, vidéos).

2000 : Création du site hot or not hot qui était un site ou les internautes pouvaient noter les photos d’autres utilisateurs.

2002 : Création de Friends ter et de Myspace.

2003 : Mark Zuckerberg crée Facemash qui deviendra ensuite Facebook en 2005 pendant que 2 autres sites de partage de photos Flickr et Photobucket sont lancés.

2005 : YouTube publie sa première vidéo.

2006 : Twitter, plateforme de microblogging sur laquelle on publie des micro-messages appelés « tweets » est lancé ; la même année, la plateforme de mise en relation entre professionnels Linkedlin connaît enfin le succès bien que lancé en 2002.

2010 : Un Américain et un Brésilien fondent Instagram, réseau social, dédié au partage des vidéos et de photos.

2011 : Snapchat, application créée par deux jeunes étudiants de Stanford, apparaît dans le catalogue de l’Apple store (puis en 2012 Sur Android).

2017 : Tiktok arrive sur les marchés situés en dehors de chine. Cette application dédiée au partage de vidéos est déjà utilisée par les Chinois depuis 2016 sous le nom de Douyin.

2.2. Les acteurs des réseaux sociaux

Sur Facebook, on a longtemps parlé de fan, en référence aux fans d’une page. On parle de plus en plus de followers dorénavant. Un terme qui est également appliqué sur Instagram et Twitter. Youtube parle lui, d’abonnés ou « suscribers » en anglais. Chez LinkedIn, on est un contact lorsqu’on a une relation directe avec le compte concerné mais l’on peut aussi être un abonné ou followers lorsqu’on suit juste un contact. Cependant, pour notre cas d’étude, nous prendrons les utilisateurs des réseaux sociaux en deux groupes : les activistes et les amateurs. Les activistes sont les lanceurs d’alertes qui sont plus connus et les amateurs qui ne font que suivre les informations. Selon le rapport de Burkina Digital Report (BDR) sur les Médias sociaux de 2022, le pourcentage des utilisateurs de Facebook est de 94,31% ; Twiter 3,29% ; Youyube 1,15% ; Instagram 0,29% ; Pinterest 0,82% ; Linkedln 0,05%.

2.3. Les activistes

Un activiste est quelqu’un qui pratique l’activisme. C’est un engagement privilégiant l’action directe, pouvant aller jusqu’à braver la loi. Les activistes dénoncent les injustices, la mauvaise gouvernance, la corruption etc. Au nom de la liberté d’expression, ils occupent les réseaux sociaux avec des informations tous azimuts. Ils sont aussi des désinformateurs et de propagandistes de fausses informations.

Au Burkina Faso, il existe une multitude d’activistes. Mais les activistes les plus reconnus sont Ibrahim Maiga, Aminata Rachow, Naim Touré, Wendpouire Charles Sawadogo. Ce sont des activistes très suivis sur les réseaux sociaux.

2.4. Les amateurs

Les amateurs sur les réseaux sociaux sont ceux qui s’abonnent sur les pages des activistes ou des médias en ligne pour suivre les informations. Ils sont les plus nombreux sur la toile. Généralement ils réagissent souvent suite aux publications des activistes pour donner leur point de vue ou pour rétablir une vérité.

3. Les systèmes de manipulation

3.1. Avec les fakes news

Le phénomène des fake news ou fausses informations n’est pas nouveaux. Sous la forme de rumeurs ou d’informations montées de toute pièce, il a toujours existé dans l’horizon socio politique burkinabè. Les fausses informations peuvent influencer l’issue d’une élection. Par exemple, en 2O14 dès les premiers moments de l’insurrection populaire, une fausse rumeur courait sur les réseaux sociaux que les militaires ont tué une dizaine de personnes dans la cour de François Compaoré. Cette rumeur à révolté la population qui est allée vandaliser toute la maison. Tout récemment, Alassane Conombo, un activiste burkinabè vivant aux USA postait ceci sur sa page Facebook : « Vous êtes tous assis entrain de laisser IB vendre le pays aux maliens ! il a quelle légitimité pour signer des alliances avec le Mali ? Est-il un président élu ? Est-il le choix du peuple ?? » (Alassane Conombo, page Facebook, 17 /09/2023 à 11h 30mn).

Ce poste est une fausse information qui vise à manipuler la population afin qu’elle se lève contre le pouvoir en place. Ces genres de fausses informations ont été à l’origine des changements de régime dans notre pays depuis 2014.

3.2. Les buzz

Sur les réseaux sociaux, un phénomène nouveau est en vogue en ce moment. Il s’agit du buzz, c’est-à-dire la course au partage d’une information inédite. Cette technique a le bénéfice de toucher en un laps de temps un nombre important de personnes et susciter une réaction. Mais cette technique est désastreuse. Il permet de relayer de fausses informations. Au Burkina Faso le buzz n’est pas trop développé. La preuve en est que tout récemment la soirée dansante qui a fait le tour du monde avec l’histoire de « Aissa trembler » a été l’œuvre d’influenceurs ivoiriens.

3.3. Création de faux comptes

De faux comptes sont créés pour nous influencer. Ces faux comptes ne correspondent pas à une personne réelle. Ils peuvent avoir une image unique créée qui ne correspond à personne de réel. Avec les deux coups d’États c’est-à-dire celui du 24 janvier 2022 avec le lieutenant-colonel Paul Sandaogo Henri Damiba et celui du 30 septembre 2022 avec Ibrahim Traoré, les faux comptes ont contribué au pourrissement de l’environnement pour faciliter les changements de régime.

3.4. Les fausses images générées

Les fausses images sont nombreuses sur les réseaux sociaux. C’est là que nous allons voir un profil dont l’image est celle d’une femme mais en réalité c’est un homme qui en est l’auteur. Ces fausses images induisent les internautes en erreur à travers les messages qu’elles véhiculent. De même nous allons voir un activiste qui publie une information et qui illustre avec de fausses images dans le but de choquer les populations afin d’atteindre son but qui est la déstabilisation du régime.

3.5. La manipulation politique

Au Burkina Faso, il n’est pas rare de voir une information vraie détournée pour servir une cause politique malsaine. Le 22 novembre 2021, le gouvernement de Rock Marc Christian Kabore acculé par la pression populaire sur le passage du convoi militaire français s’est vu obligé de couper l’internet au Burkina Faso. Cela est un exemple concret de la désinformation car sur les réseaux sociaux il se disait que l’armée française en partance pour le Mali serait le principal fournisseur d’armes aux terroristes.

4. Analyse

Sur les réseaux sociaux, la communication va du verbal au non verbal. La communication verbale se manifeste sur les réseaux sociaux avec le post de textes ou de vidéo publiés et partagés sur la toile. La partie non verbale se caractérise par une publication de symboles qui constituent des messages bien codés.

4.1. Analyse de la communication

4.1.1. La fonction expressive

La fonction expressive ou émotive est centrée sur l’émetteur ou destinateur. Elle désigne tout ce qu’un émetteur veut transmettre ou faire connaître à son destinateur : des idées, des émotions, des désirs, des jugements de valeurs. À l’oral, les indices de reconnaissance de la fonction expressive sont perçus dans les intentions, le débit, le rythme, les gestes, les mimiques, etc. En général, sur les réseaux sociaux, les internautes utilisent les expressions. À l’écrit, elle se limite aux jugements personnels exprimés par le lecteur.

Pour exemple en 2014 quand les voix ont commencé à monter contre la révision de l’article 37 de la constitution au Burkina Faso, le balai citoyen qui est un mouvement très reconnu, postait ce message sur Facebook :

oui, le 30, que chacun sorte avec un djembé, une boite, un sifflet, ou tout autre instrument pour se faire entendre. Seule la lutte paie. Que ceux qui passent leur temps à critiquer ce régime dans les salons feutrés ou dans d’autres lieux de débats soient sur le terrain maintenant. (Le faso.net, 28 octobre 2014 à 02h 34mn).

Le message du balai citoyen posté sur les réseaux sociaux s’adresse à ses militants mais aussi à ses sympathisants. En relayant ce message sur les réseaux sociaux, il compte atteindre le maximum d’internautes et cela pourra donner une forte mobilisation pour empêcher la révision de l’article 37 qui est l’objectif principal de la création du mouvement.

Dans la même perspective, l’opposition burkinabè à travers son chef de file déclarait ce qui suit en conférence de presse :

De l’examen de la situation nationale, cette situation reste marquée par la volonté affichée du pouvoir en place d’ignorer les aspirations profondes du peuple burkinabè. En effet, au cours de sa conférence de presse le 12 décembre 2013 à Dori, le président Blaise Compaoré a fait deux déclarations hautement provocatrices, insultantes et méprisantes vis-à-vis de notre peuple (Faso.net, 16 décembre 2013).

Pour inciter les populations à la révolte, l’opposition termine sa conférence en déclarant ceci : « L’opposition qui initiera des actions d’envergure, invite de ce fait ses militants, ses sympathisants, les organisations de la société civile, tous les patriotes et l’ensemble des citoyens burkinabè à se mobiliser autour des mots d’ordre de lutte à venir. » Toutes ces déclarations relayées sur les réseaux sociaux par l’opposition et la société civile ont pour seul objectif d’inviter les populations à les aider dans leur lutte contre le pouvoir en place.

4.1.2. La fonction conative

La fonction conative ou impressive est centrée sur le récepteur ou destinataire. Elle s’occupe de cet impact que laisse le langage sur le destinataire et permet de l’impliquer ou de l’interpeller. Elle peut être d’ordre « psychologique » comme une conviction, une satisfaction, une prière ou un désir dans les propos dressés à l’interlocuteur. « À l’oral comme à l’écrit, la fonction conative se reconnaît à l’emploi de la deuxième personne du singulier ou du pluriel (tu, vous), de l’impératif, des questions. Dans l’image, la fonction conative apparait lorsqu’un personnage semble nous regarder, nous faire signe, nous solliciter » (C. Peyroutet, E. Pouzalgues-Damon, 1990, p. 7).

À titre illustratif, l’activiste Ibrahim Maiga écrivait ceci sur sa page Facebook : « Si tu portes atteinte à la sécurité du pays en conspirant avec des pays étrangers contre ton propre pays, tu te mets indéniablement en danger. L’armée, ce n’est pas l’armoire. » (Ibrahim Maiga, page Facebook consulté le 13 septembre 2023 à 12h08mn). À travers ce message, l’activiste met en garde toutes les personnes mal intentionnées qui voudraient déstabiliser le régime de la transition burkinabè. En utilisant, la deuxième personne du singulier, il les interpelle sur les dangers qu’ils courent en prenant cette option. Il continue dans une de ses publications en postant ceci : « Pendant que des femmes se font enrôler VDP, c’est sur les plateaux télé et les réseaux sociaux que tu viens avec des boules froissées pour juger le travail de ceux qui donnent leur vie pour la patrie. Vive nos forces combattantes ! » (Ibrahim Maiga, page Facebook, consulté le 12 septembre 2023 à 12H 23mn). Dans ce message l’activiste interpelle les hommes de médias qui n’apprécient pas positivement le travail des forces de défense sur le terrain de la reconquête du territoire.

Nous constatons avec les messages de l’activiste Ibrahim Maiga qu’il soutient les autorités actuelles du pays. Donc, tous ses messages vont dans la droite ligne avec les actions du régime. Ses publications donnent plus de visibilité non seulement aux actions du gouvernement mais aussi constituent un soutien communicationnel à la transition. Sur ce point, 75% des enquêtés estiment que les publications de Ibrahim Maiga ont un impact positif sur la gouvernance de l’État, car elles permettent aux populations de connaître la réalité. Cependant, 25% des enquêtés disent que les publications sont souvent erronées et participent à la manipulation des populations.

Cependant, il existe des activistes qui passent le message contraire de ceux qui soutiennent le pouvoir en place. C’est le cas d’un autre activiste du nom de Alassane Conombo qui vit aux USA qui postait ceci : « Toi tu as une arme malgré tout tu fuis le front pour te cacher à Ouaga et tu veux envoyer un agent de santé avec une seringue à la main là où tu n’as pas pu tenir avec tout un bataillon ! Qui est le conseiller de Mr tout est urgent. » (Alassane Conombo, page Facebook, posté le 9 septembre 2023). En effet, ce message est interpellateur, mais dans une logique de propagande contre le régime du Président Ibrahim Traore. La réalité est qu’il est contre la réquisition du Dr Arouna Louré qui en fait est réquisitionné par l’armée pour porter secours aux forces de défenses blessées à Koumbri, un département situé à 25km de la ville de Ouahigouya. Sur ce point, 99% des enquêtés ne sont pas d’accord avec les publications qui tendent à dénigrer le pouvoir en place dans le but de le renverser. Ils estiment que des mesures doivent être prises pour encadrer l’utilisation des réseaux sociaux.

4.1.3. La fonction référentielle

Elle est centrée sur le référent, le contexte même du message. Elle vise sur l’indication donnée sur un état de chose qui se trouve décrite (que cet état se localise dans le monde réel ou imaginaire). La fonction référentielle est considérée comme la fonction primordiale de la communication car elle constitue l’objet principal de nombreux messages : le discours est orienté vers ce qu’il évoque, de manière à le rendre plus compréhensible. À l’oral comme à l’écrit, la fonction référentielle peut se reconnaître à l’emploi de la troisième personne (elle, il, elles, ils) et du pronom neutre (ça, cela), dans les images : une toile figurative, un plan ressemblant au réel (C. Peyroutet, E.Pouzalgues-Damon, 1990, p. 7).

Au Burkina Faso, depuis 2016, le contexte sur lequel, les internautes s’appuient pour déstabiliser les régimes est le contexte sécuritaire. En effet, les activistes pro-régime ou anti-régime focalisent leurs interventions sur les réseaux sociaux sur la situation sécuritaire du pays. Ainsi, l’activiste Ibrahim Maiga (posté le 9 septembre 2023 sur sa page Facebook) dans un post dit ceci : 

Celui qui aime ce pays ne suggérera jamais de négocier avec les terroristes qui, de manière unilatérale, ont choisi de faire souffrir des populations et de plonger nos familles dans le deuil. Celui qui aime ce pays ne devrait pas accuser ceux qui défendent notre patrie d’exactions en faisant croire que des chefs terroristes sont des civils. Lorsqu’on aime son pays, on rappelle aux citoyens que cette guerre est une agression contre chaque individu, et chacun doit faire preuve d’orgueil et de patriotisme pour montrer que nous ne serons jamais soumis au dictat d’un groupe terroriste. Critiquer l’enrôlement des citoyens pour se défendre et appeler à négocier avec des bandits qui endeuillent nos familles, c’est faire un choix.

Le message posté par l’activiste fait référence à la situation sécuritaire du pays pour interpeller tous les citoyens à l’union sacrée pour faire face à l’ennemi commun. En tout, il veut dire que la lutte contre le terrorisme est l’affaire de tout le monde. À ce sujet, presque tous les enquêtés sont unanimes que tous les Burkinabès doivent s’unir et parler le même langage du moment où le pays est en proie à l’hydre terroriste. Ils soutiennent que le pays étant en guerre, il ne devrait pas avoir une place à la politique politicienne car, c’est parce qu’il y a un pays qu’on parle.

4.1.4. La fonction poétique

La fonction poétique se centre sur le message même, transmis d’un partenaire à un autre dont chacun s’efforce à l’expliquer et à le comprendre. Elle intervient lorsque le rythme, le son ou les effets visuels du message deviennent aussi importants que le contenu du message. Le niveau de langue, le ton, la hauteur de la voix construisent aussi la fonction poétique d’un message oral. Cette fonction donne au message une valeur esthétique. Le journaliste Ahmed Newton Barry, devenu de nos jours un acteur très actif sur Facebook, postait ce message : « La kutba de l’imam de ma mosquée ce vendredi a porté sur le mensonge. Le mensonge ne construit rien. Il amorce la destruction ! Bon mois de Qunut dans la vérité. ». (Ahmed Newton Barry, posté le 1er septembre 2023 à 13h 09mn).

Le message posté est une parabole que beaucoup d’internautes ne comprennent pas. C’est un style propre à lui qui complexifie la compréhension de son message. Mais, en réalité, il s’adresse à une autre classe de la société que sont les intellectuels ; et à travers ce message, il voudrait dire que le chef de la transition raconte des mensonges. Il assimile l’imam de la mosquée au chef de l’État. Cependant tout le monde sait qu’il n’est pas en bon rapport avec les autorités actuelles.

4.1.5. La fonction métalinguistique

La fonction métalinguistique est centrée sur le code c’est-à-dire le moyen utilisé pour délivrer le message. Il s’agit de s’assurer que ce qui est dit est bien compris. Roman Jakobson (1963, p. 217-218) dit ceci : 

Une distinction a été faite dans la logique moderne entre deux niveaux de langage, le langage-objet, parlant des objets, et le métalangage qui parle du langage lui-même (…) chaque fois que le destinateur et /ou le destinataire juge nécessaire de vérifier s’ils utilisent bien le même code, le discours est centré sur le code : il remplit une fonction métalinguistique.

La fonction métalinguistique est manifeste sur les réseaux sociaux à travers les postes de vidéo dans la plupart en français. L’utilisation des langues nationales est moins quand il s’agit d’un message écrit. Cela explique que la majorité des internautes est alphabète dans les langues nationales. Donc pour que le message passe et soit compris par les internautes, les activistes utilisent la langue nationale quand il s’agit des messages vidéo. Cela permettra d’atteindre le plus grand nombre de personnes. Sur ce point, plus de 95% des enquêtés ne sont pas satisfaits de la langue de transmission des messages sur les réseaux sociaux. Ils estiment que la langue devrait être la langue locale et les messages vidéo. Cela devrait permettre à une grande partie des utilisateurs des réseaux sociaux qui sont analphabètes, de mieux comprendre les messages.

4.1.6. La fonction phatique

Elle est le canal qui permet l’établissement, le maintien, voire l’interruption du contact physique ou psychologique entre destinateur et destinataire. À l’oral, les expressions comme allo, n’est-ce pas, vous m’entendez, relèvent de la fonction phatique. Il faudra ajouter que les formules de politesses comme « Bonjour », « Comment ça va ? » sont admises dans la fonction phatique. À l’écrit, les ponctuations, les variations typographiques, mises en pages, équilibres des pleins et des vides, etc. sont aussi des techniques révélatrices. S’agissant de l’image, tout ce qui est susceptible d’attirer ou de retenir l’attention se retrouve dans sa globalité. Il s’agit entre autres des couleurs, la lumière, l’échelonnement des plans, des lignes, etc.

Dans la tradition africaine, pour avoir la confiance de quelqu’un, il faut le respecter. Voilà pourquoi même sur les réseaux sociaux lorsque les gens publient des messages, ils commencent toujours par un bonjour ou bonsoir. C’est très nécessaire pour avoir les internautes avec toi. Si nous entrons dans la page du célèbre activiste Ibrahim Maiga que nous avons évoqué plus haut, il commence ses messages par dire bonjour ou bonsoir à ses followers. Cette manière de faire maintient le contact entre l’activiste et ses abonnés.

Nous remarquons aussi que les principales activistes reconnus aux Burkina quand ils publient, leurs pages sont rouges. La couleur rouge attire l’attention des internautes qui se pressent pour en savoir le contenu. Cela permet le maintien du contact entre les activistes et leurs abonnés.

5. Discussions

5.1. La démocratie et les réseaux sociaux au Burkina

Depuis l’avènement des réseaux sociaux, la gouvernance des États est de plus en plus un exercice difficile. Si, dans le moindre des cas, les réseaux sociaux ont contribué au renforcement de la démocratie à travers la liberté d’expression, l’arbre ne doit cependant pas cacher la forêt car dans d’autres cas ils ont contribué a déstabilisé l’ordre démocratique dans beaucoup de pays dont le Burkina Faso.

5.1.1. Apport des réseaux sociaux dans le renforcement de la démocratie burkinabè

Le Burkina Faso a connu une instabilité institutionnelle depuis son indépendance. Plusieurs chefs d’État se sont succédés à la tête du pays. Cependant, ces régimes qui se sont succéder jusqu’en 1991 sont qualifier de régime non démocratique, car issues de plusieurs coups d’État. C’est 1991, avec l’adoption de la constitution de la quatrième république, qui a vu l’avènement de la démocratie au Burkina Faso. Mais jusque-là cette période n’a pas connu le développement des réseaux sociaux.

L’utilisation des réseaux sociaux a vraiment pris son envol au Burkina Faso à partir de 2014. Comme la liberté d’expression est un des principes de la démocratie, nous pouvons dire que les réseaux sociaux ont participé à la formation et à l’information de l’opinion publique nationale et internationale. Ce qui garantit une véritable démocratie. Sur ce point, 90% des enquêtés estiment que les réseaux sociaux sont un véritable tremplin de la démocratie, car ils permettent aux populations d’exprimer leurs opinions et de proposer des solutions aux problèmes liés à la vie de la nation.

5.1.2. Démocratisation de la parole

Les réseaux sociaux ont libéré la parole. Ils ont permis au citoyen, quelle que soit sa position géographique ou son rang social de participer au débat public, de partager ses opinions, d’exprimer ses idées au-delà des clivages partisans et ainsi d’aider au jeu démocratique dans son pays. Dans tous les domaines de la vie de la nation, le citoyen a la possibilité de faire entendre sa voix pour qu’elle soit prise en compte. Ainsi, un cultivateur qui est à Falagountou peut donner son point de vue sur un sujet à travers les réseaux sociaux comme un autre citoyen qui se trouve à Ouagadougou. Il peut aussi se prononcer sur les conditions de vie sociale, la gouvernance locale, l’alternance, etc. À ce point presque tous les enquêtés sont unanimes que les réseaux sociaux sont véritablement un espace de libre expression.

5.1.3. Rôle d’éveil des consciences et de mobilisation sociale

Les réseaux sociaux de par leur utilisation de plus en plus répandue et leur dimension planétaire, participent à l’éveil des consciences. Par exemple depuis que la crise sécuritaire est survenue au Burkina Faso en 2015, seules les populations des zones concernées se souciaient de cette crise. Mais, grâce aux réseaux sociaux, les habitants des grandes villes comme Ouagadougou et Bobo ont pris conscience de la gravité de la crise et ont commencé à mobiliser des fonds pour venir en aide aux populations désespérées.

Les groupes marginalisées ou opprimés peuvent, par le biais de ce canal, comparer leur situation sociopolitique avec celle d’autres peuples et réagir en conséquence. L’exemple du mouvement des gilets jaunes en France a été un cas d’école pour beaucoup d’acteurs de la société civile qui ont organisé des marches et meetings au cours du premier mandat du Président Rock Marc Christian Kaboré. Sur ce point, 99% des enquêtés disent que les réseaux sociaux éveillent les consciences, car aujourd’hui rien ne peut être caché.

5.1.4. L’interaction avec les politiques

Les réseaux sociaux offrent aux acteurs et aux institutions politiques, ainsi qu’à la population, des possibilités d’interaction novatrice. Grâce aux médias sociaux, la communication est horizontale. Les politiciens le considèrent comme un moyen privilégié de diffusion de leurs messages politiques. Ainsi, avec l’avènement des réseaux sociaux, nous remarquons que les messages postés sont suivis par les hommes politiques.

5.1.5. Une réponse à la crise de la représentation

La politisation des débats même sociaux économiques, a conduit les populations à se rebeller contre les autorités publiques burkinabès à l’endroit de qui elles ont perdu confiance. Désormais, les populations cherchent à se faire entendre à travers les réseaux sociaux. Par exemple en 2019, le mouvement « Ugulmu Fi » à mobiliser toute la population de la région de l’Est pour se faire entendre sur la question de la dégradation avancée de la route Ouaga-Fada. Ils servent désormais de canal pour remonter directement leurs préoccupations au plus haut niveau.

5.2. Les réseaux sociaux comme source de déstabilisation de la démocratie

Les réseaux sociaux sont de nos jours, un puissant moyen d’éducation et d’information. Ils contribuent à l’ancrage démocratique des pays et au développement. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Au Burkina Faso, nous pouvons dire que les réseaux sociaux en plus d’être promoteur de l’expression plurielle, donc de la démocratie, sont une source de déstabilisation des régimes. Ils déstabilisent les régimes, car c’est un canal où tout est manipulable. Avec ce que nous appelons « fake news » en français, les activistes arrivent à manipuler les opinions pour faire tomber un régime. Par exemple, en 2014 une information qui passait sur les réseaux sociaux, montrant que le président Blaise Compaoré voulait se faire remplacer par son frère cadet, a contribué à la révolte populaire. Or, en réalité, Blaise Compaoré voulait modifier l’article 37 de la constitution pour se représenter et non pour placer son frère.

Aussi, le 15 septembre 2015, quand le Général Gilbert Guenguéré a fait son coup d’État, c’est sur les réseaux sociaux que la résistance a pu être organisée pour contrer cette forfaiture.

Sous le régime de Rock Mark Christian Kabore, les activistes comme Marcel Tankoano du M21 et Mamadou Drabo du mouvement sauvons le Burkina, les Naim Touré et Aminata Rachow ont contribué à la manipulation de la population en diffusant de fausses informations. Ce qui a valu la chute du régime le 24 janvier 2022.

En décembre 2010, lors du printemps arabe les manifestations et les soulèvements populaires ont notamment pu prendre de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux. Sur ce point, 55% des enquêtés pensent que les réseaux sociaux sont effectivement nuisibles à la démocratie et surtout quand ils sont mal utilisés. Ils justifient leur point de vue par la contribution des réseaux sociaux à la réussite de l’insurrection populaire de 2014 et au coup d’État de janvier 2022 et celui de septembre 2022. Les 45% estiment que les réseaux sociaux ne peuvent pas participer à la déstabilisation d’un régime. Au contraire, il revient aux autorités en place de prendre des mesures pour encadrer l’utilisation de ces réseaux sociaux.

6. Perspectives

Il devient urgent que les États et les citoyens reprennent la main sur leurs environnements numériques, et régulent les réseaux sociaux. C’est pour cela nous proposons trois pistes de solutions. D’abord, nous suggérons qu’il y ait une grande campagne de sensibilisation au profit des populations sur l’utilisation des réseaux sociaux. À travers nos enquêtes, plus de 90% des enquêtés ignorent ou négligent les conséquences des publications qu’ils font sur les réseaux sociaux. Aussi, beaucoup ne savent-ils pas faire la différence entre les fake news et les messages authentiques.

Ensuite, il faut que les autorités compétentes élaborent des lois qui encadrent l’utilisation de ces réseaux sociaux. C’est bien vrai qu’au Burkina Faso beaucoup de lois ont été votées dans ce sens, mais beaucoup reste à faire. Par exemple dans le cas du Burkina, les activistes manipulateurs ou producteurs de fake news vivent à l’extérieur du pays. Cette situation ne permet pas à la justice de les entendre. Donc il faudra que l’état signe des protocoles avec les pays frères pour permettre une extradition de ces indélicats pour qu’ils viennent répondre de leurs actes.

Aussi faudra-t-il alourdir les peines afin de dissuader les mauvais utilisateurs des réseaux sociaux. Pour le cas du Burkina Faso, les peines encourues en cas de diffamation ou de diffusion de fausses informations sont minimes. Elles vont de trois à douze mois. Et cela n’effraie pas beaucoup d’internautes qui n’hésitent pas à poster des messages mensongers sur les réseaux sociaux. Sinon dans la lutte contre la cybercriminalité, les forces de défenses et sécurités font de leur mieux mais au niveau juridique les choses piétinent toujours. Enfin, nous proposerons la limitation du nombre de carte Sim à quatre par personne. Cela permettra de mieux contrôler les utilisateurs et sanctionner les contrevenants.

Conclusion

La marche démocratique au Burkina Faso rencontre des difficultés avec l’avènement desréseaux sociaux. En réalité, les réseaux sociaux interfèrent négativement et/ou positivement dans la vie de la société. Si dans bien des cas les activistes qui les animent conscientisent le peuple, il faut aussi regretter la part de manipulation dont ils font montre. Pour preuve, en 2014, ce sont les réseaux sociaux qui ont amplifié la crise qui a conduit à l’insurrection populaire. C’est avec les réseaux sociaux que les associations de la société civile ont pu mobiliser les populations contre le régime de Roch Marc Christian Kabore qui a valu le coup d’État du 24 janvier 2022 avec à sa tête, le lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba. De même, les mêmes activistes de la société civile ont contribué à l’avènement du coup d’État du 30 septembre 2022 qui a porté le capitaine Ibrahim Traore au pouvoir.

Sur les réseaux sociaux, un système de communication se déroule. Les destinateurs sont les activistes qui sont chargés d’émettre le message. La réception du message est assurée par les internautes qui sont généralement les plus nombreux. Ils consomment la communication sans participer à son élaboration. Si une minorité de cette masse arrive à faire une analyse approfondie de ces publications tendancieuses, force est de reconnaître que beaucoup n’ont pas cette capacité et se laissent emporter par la manipulation. Les activistes élaborent leurs communications sur les réseaux sociaux en fonction du contexte du moment.

Pour conclure, nous dirons que les réseaux sociaux participent à l’ancrage de la démocratie burkinabè. Ils contribuent à la liberté d’expression qui est l’un des principes fondamentaux de la démocratie. Cependant, la mauvaise utilisation de ceux-ci constitue un véritable danger pour la stabilisation de nos États.

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JAKOBSON Roman, 1973, Question de poétique, Paris, Minuit.

LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LA PROBLÉMATIQUE DE LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE EN AFRIQUE

1. Kouamé Hyacinthe KOUAKOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kouakou_h@yahoo.fr

2. Kadio Mathieu ANGAMAN

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

angamankadio@gmail.com

Résumé :

Les réseaux sociaux, espaces d’échanges et de partage, sont aussi des espaces de revendications, de contestation et de mobilisation populaires. Dans une atmosphère mue par les aspirations démocratiques, sans cesse croissantes des peuples d’Afrique, les réseaux sociaux promeuvent la démocratie participative qui constitue une alternative à la démocratie représentative. Mais, leur mauvais usage se heurte bien souvent à la censure du pouvoir politique, d’où le durcissement de la législation. La censure n’est pas toujours l’effet des travers de l’usage des réseaux sociaux. Elle procède également de la volonté des États de restreindre le champ des libertés individuelles et collectives, en récusant toute opinion contraire au sienne. Dans une civilisation numérique où les réseaux sociaux rythment au quotidien la vie des citoyens, il incombe à l’État de faire de l’éducation aux réseaux sociaux une priorité. Toute chose qui permettrait non seulement de réguler le rapport des citoyens, des pouvoir politiques aux réseaux sociaux, mais également de donner une orientation nouvelle à la pratique démocratique en Afrique.

Mots clés : Afrique, Censure, Démocratie participative, Démocratie représentative, Liberté, Pouvoir politique, Réseaux sociaux.

Abstract:

Social networks, spaces for exchange and sharing, are also spaces for demands, protest and popular mobilization. In an atmosphere driven by the ever-growing democratic aspirations of the people of Africa, social networks promote participatory democracy which constitutes an alternative to representative democracy. But their misuse often comes up against censorship from political power, hence the tightening of legislation. Censorship is not always the effect of the shortcomings of the use of social networks. It also stems from the desire of States to restrict the scope of individual and collective freedoms, by rejecting any opinion contrary to its own. In a digital civilization where social networks punctuate the daily lives of citizens, it is up to the State to make education about social networks a priority. Anything that would not only make it possible to regulate the relationship between citizens, political powers and social networks, but also to give a new direction to democratic practice in Africa.

Keywords : Africa, Censorship, Freedom, Participatory democracy, Representative democracy, Political power, Social networks.

Introduction

L’avènement – ou la réinstauration – de la démocratie – en Afrique subsaharienne, au début de la décennie 1990 – consacre – à la faveur du discours de La Baule prononcé par le président français François Mitterrand – le passage du parti unique au multipartisme. Celui-ci se caractérise par le pluralisme politique, qui voit éclore une multitude de mouvements, d’organisations, d’associations à caractère politique, et même de tendances diverses.

Le multipartisme se traduit par la pluralité d’ambitions et d’aspirations, voire de visions idéologiques, en ce sens que tous les partis politiques sont animés par un ensemble d’idées à valoriser, à appliquer, suivant des moyens et des méthodes qui varient d’un parti à l’autre. Au nom de la liberté et de l’égalité que promeut la démocratie, les citoyens participent à la gestion de la chose publique, res pulica à travers le libre choix de leurs représentants.

Mais, il arrive trop souvent que l’exercice du pouvoir législatif trahit l’esprit même de la démocratie. La réalité est que les élus agissent de plus en plus pour le compte du pouvoir ou se bornent à défendre les intérêts de leur parti ou groupement politique. Il y a comme un fossé qui se creuse entre le peuple et ses représentants. On assiste ainsi à la marginalisation des citoyens puisqu’ils ne peuvent donc pas participer au jeu démocratique. De ce fait, ceux-ci trouvent dans l’avènement des réseaux sociaux le moyen idéal pour émettre leurs opinions sur les questions ayant trait à la vie de la nation.

De par leur facilité d’accès, les réseaux sociaux permettent aux citoyens de porter directement leurs revendications, d’échanger et de partager des idées. Au regard de ce qui précède, émerge la présente problématique : Les réseaux sociaux constituent-ils un atout pour la démocratie participative en Afrique ? Ne sont-ils pas un espace de liberté, contribuant ainsi au rayonnement de la démocratie participative ? Par ailleurs, ne concourent-ils pas au dévoiement de la démocratie ? En fin de compte, comment créer les conditions d’une véritable contribution des réseaux sociaux au débat démocratique en Afrique ?

Notre réflexion sera circonscrite autour de trois axes majeurs. Dans le premier axe, nous montrerons que les réseaux sociaux participent à la dynamique de la démocratie participative en Afrique. Dans le second axe, nous mettrons en relief le dévoiement de la démocratie du fait du mauvais usage des réseaux sociaux par les citoyens. Et dans le troisième axe, nous déclinerons les conditions pour une réelle contribution des réseaux sociaux à la consolidation de la démocratie. Pour y parvenir, nous entendons user d’une approche analytico-critique, qui s’inspire des expériences concrètes, relatives à l’usage des réseaux sociaux en Afrique, dans le cadre de l’expression des aspirations démocratiques. L’objectif visé est de montrer l’impact des réseaux sociaux sur le processus démocratique en Afrique.

1. De l’avènement des réseaux sociaux à l’éveil de la démocratie participative

L’avènement des réseaux sociaux, en Afrique, contribue sans conteste au dynamisme de la démocratie participative, dans un écosystème politique basé fondamentalement sur le règne de la démocratie parlementaire ou représentative.

Une approche comparative du « réseau social traditionnel » et du « réseau social numérique » révèle que

le réseau social traditionnel, dans une conception africaine est une organisation sociale qui rassemble des individus ayant des objectifs communs, des valeurs communes et généralement basée sur le respect de ces valeurs avec une possibilité de contact physique. Tout à fait le contraire du numérique qui rassemble des individualités, établit essentiellement des liens faibles, dans une organisation souvent égalitaire et non hiérarchique. (…) Les réseaux numériques se présentent ainsi comme le nouvel espace de gestion des activités sociales et communautaires ; une sorte de transposition des interactions traditionnellement dynamisées dans un univers où l’individualisme s’articule au communautarisme dans une dynamique d’échanges. (G. B. Dagnogo, 2018, p. 2). 

Les réseaux sociaux numériques s’inspirent de la conception traditionnelle de la communauté, de la solidarité et du partage. Ils prennent sens et fondement sur des valeurs communes véhiculées par le biais d’une communication interactive.

La forme de démocratie la plus pratiquée, de par le monde en général, et en Afrique en particulier, reste incontestablement la démocratie représentative. O. Dia justifie la priorité accordée, dans nombre d’États du monde, à la démocratie représentative au détriment de la démocratie directe ou participative, qui se pratiquait dans la Grèce antique, par le fait qu’à l’opposé d’Athènes, qui était une cité de petite taille, et qui comptait peu de citoyens – à l’exclusion des femmes, des étrangers et des esclaves – les grandes républiques modernes ne sauraient se payer le luxe d’une consultation directe des citoyens, au regard de leur taille. S’inspirant, en cela, de Rousseau, O. Dia (2023, p. 3) fait remarquer ceci :

Conscient à juste raison de ce type de contrainte, Jean Jacques Rousseau avait estimé au dix-huitième siècle qu’une authentique démocratie, c’est-à-dire une démocratie directe sur le modèle de la démocratie athénienne était impossible dans les grandes républiques modernes. Le moindre mal pour ce type de républiques, serait donc la démocratie représentative où des représentants élus dans le cadre de mandats clairement délimités se voient confiés la responsabilité et le droit de décider pour toutes et tous de questions importantes pouvant même toucher à leur vie intime.

Il y a une marginalisation légitime des citoyens dans le processus de prise de décisions au sein de la République. Par souci d’efficacité, ils ne sauraient être directement consultés lorsqu’il s’agit de définir les grandes orientations de la politique nationale, même si par moments des scrutins référendaires sont organisés, requérant ainsi une consultation directe du peuple.

Fort heureusement, l’avènement d’Internet, et des réseaux sociaux, présente une configuration nouvelle de la participation des citoyens au processus démocratique en Afrique, comme partout ailleurs, dans le monde. En effet, la fracture numérique, constatée il y a de cela deux à trois décennies entre les pays du Nord et ceux du Sud, semble se réduire sensiblement ces dernières années. Même s’il est admis que

l’influence occidentale en général, et celle des États-Unis en particulier, reste prédominante sur le fonctionnement du Réseau. D’abord pour des raisons techniques et historiques, puisqu’il a été inventé en 1969 par des informaticiens américains, dans le cadre d’un programme militaire de défense (réseau Arpanet). Ces derniers lui ont donné un format, une configuration, des appellations, un mode de gestion nécessairement imprégnés de la culture anglo-saxonne, jusqu’à imposer l’alphabet latin pour la rédaction des noms de domaine, ou à éliminer les accents, mal gérés par des serveurs largement anglophones. Malgré la montée des revendications concernant l’installation d’une « gouvernance mondiale de l’Internet, la gestion du Réseau reste encore largement centralisée, au bénéfice des États-Unis. (P. Türk, 2013, p. 6).  

Malgré tout, en Afrique, les politiques publiques nationales œuvrent en permanence pour l’accès des citoyens aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), favorisant ainsi une plus grande accessibilité à Internet, cumulée à la possibilité pour tout citoyen de s’offrir plus facilement un téléphone portable. En fait, il y a, en Afrique, une extraordinaire révolution numérique qu’on ne saurait passer sous silence. Aussi, l’intérêt des politiques africains pour le numérique se matérialise-t-il, de plus en plus, par la création, au sein des gouvernements de plusieurs États, d’un ministère des Technologies de l’Information et de la Communication, de l’Économie numérique ou de toute autre dénomination, faisant explicitement allusion aux Technologies nouvelles en matière de communication, ou au numérique.

Cette montée en force d’Internet en Afrique, associée à l’émergence des réseaux sociaux – Facebook, Instagram, Telegram, WhatsApp, X (anciennement Tweeter), etc., apparaît comme une aubaine pour les citoyens. En effet, par le canal de ces réseaux, ils peuvent dorénavant faire entendre leur voix afin de participer au débat démocratique, étant entendu que « la démocratie, tant vénérée par les sociétés modernes ne peut véritablement s’exercer sans la distribution de la parole, sans la diversité des opinions ». (S. Diakité, 2014, p. 37).

Ce qui est fort remarquable, estime M.-A. O’Reilly (2013), c’est la présence des hommes politiques africains sur Internet. Cette présence constitue l’occasion pour eux d’informer en permanence leurs concitoyens sur leur programme politique, en même temps qu’elle rend possible une communication interactive. Pour les politiques africains, les réseaux sociaux apparaissent comme des plateformes de dialogue et d’échanges avec leurs concitoyens.

M.-A. O’Reilly révèle que la création de plateformes citoyennes, par la jeunesse, constitue l’une des caractéristiques de la participation de la population au jeu politique et démocratique, à travers les réseaux sociaux. Elles se déclinent, par exemple, sous la forme de plateformes de consultations populaires, comme ce fut le cas au Maroc, en 2011, lors des préparatifs de la réforme constitutionnelle. Grâce à « Reforme.ma » une plateforme mise en place, plusieurs milliers d’internautes marocains ont pu apporter leur contribution à l’élaboration de la nouvelle constitution. C’est que la Commission consultative, chargée de la réforme de la Constitution, a pris en compte presque 40 % des commentaires et propositions des internautes qui lui ont été soumis.

Le cas marocain est loin d’être isolé. C. Richaud (2017) fait état, à ce propos, de la contribution décisive des réseaux sociaux à la révolution tunisienne ou « révolution du jasmin » entre décembre 2010 et janvier 2011, qui a abouti au départ du président de la République de Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987, consacrant ainsi l’ouverture démocratique, suscitée par le « Printemps arabe ». En somme,

la « révolution de Jasmin » ou « révolution 2.0 » comme il est d’usage de la nommer est sans doute l’illustration la plus significative de l’impact des réseaux sociaux en tant qu’ascenseurs contestataires ayant conduit à la chute d’un ordre juridique. Si l’origine des mouvements contestataires est différente pour chacun des pays, leurs déploiements ont tous été portés par les réseaux sociaux. Spontanés et imprévus, les rassemblements tunisiens, égyptiens, libyens, turcs ont tous été structurés via les réseaux sociaux. Contournant la censure et les blocages Internet, les mouvements ont pu voir le jour en un clic et offrir aux citoyens un espace virtuel de contestation commune. Donnant ainsi une portée collective aux contestations, les réseaux sociaux sont devenus les supports matériels de l’expression de cette liberté. (C. Richaud, 2017, p. 36).

Force est de constater que les réseaux sociaux concourent à la démarginalisation des citoyens, favorisant ainsi leur intégration et leur participation active au jeu politique. Ce faisant, ils peuvent influencer à distance la vie politique au sein des États africains. Dès lors, l’écart entre les citoyens et leurs élus se trouve considérablement réduit. Les réseaux sociaux contribuent donc à « réenchanter la démocratie », (S. de Vos, 2021), en donnant ou en redonnant la parole au citoyen, parole dont le monopole n’appartient plus désormais au pouvoir. Il convient, de ce fait, de les appréhender comme « l’outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen pourrait intervenir très régulièrement dans le débat public ». (P. Flichy, 2008, p. 161). Si les réseaux sociaux permettent aux citoyens d’être des acteurs du jeu démocratique, d’où le sens de la démocratie participative, toutefois, il reste que leur usage tend à court-circuiter cette forme de démocratie.

2. Du dévoiement de la démocratie participative : les réseaux sociaux en question

Il faut comprendre qu’aussi bénéfique et profitable qu’elle puise être, les technologies de l’information et de la communication en général comportent des limites qui sont dommageables lorsqu’elles sont mal utilisées. La démocratie tout comme les réseaux sociaux ne sauraient échapper à cette réalité. Comme toute œuvre humaine, l’usage des réseaux sociaux conduit, comme on peut s’en douter, à des travers. Ceux-ci ont pour conséquences les restrictions des libertés individuelles et collectives, toutes choses qui sapent les fondements de la démocratie.

Les réseaux sociaux relèvent des Technologies de l’Information et de la Communication. Or, la technique en elle-même est une aventure. C’est ce que Platon a savamment mis en relief, à travers le mythe d’Icare. Celui-ci est le fils de Dédale, qui est lui-même sculpteur et architecte, et constructeur du Labyrinthe du Minotaure, symbole même de l’ingéniosité technique.

En effet, emprisonné en Crète avec son fils Icare, Dédale confectionna pour tous deux des ailes qu’il fixa avec de la cire, et grâce auxquelles ils s’envolèrent. Dédale, en homme sage et prudent, vola de façon modérée, et alla se poser en Sicile. Mais l’imprudent Icare, ayant voulu s’élever trop haut, s’approcha du soleil, qui fit fondre la cire, et il tomba dans la mer Égée qui l’engloutit, non loin de l’île qui porte son nom, Ikaria (île grecque de la mer Égée orientale). L’enseignement de ce mythe platonicien est que toute technique est aventureuse et que l’aventure technique peut déboucher sur la libération (à l’image de Dédale) ou sur l’anéantissement de l’humanité (comme ce fut le cas son fils Icare).

C’est justement sous cette forme ambivalente qu’il convient d’appréhender l’usage des réseaux sociaux. Certes, ils contribuent à la libération de la parole, participant en cela du dynamisme de la démocratie participative. Mais, on ne saurait passer sous silence le mauvais usage que les citoyens en font bien souvent. La liberté d’expression se transforme, dans ce cas, en libertinage, c’est-à-dire en un recours immodéré au discours, au point où, aux offenses et outrages aux autorités, se mêlent diffamation, entorses aux bonnes mœurs et appels injustifiés au soulèvement populaire ou à l’insurrection.

E. Gyimah-Boadi (2021, p. 22) se fait l’écho de cet usage ambivalent des réseaux sociaux lorsqu’il écrit :

Dans le même temps, les progrès réalisés dans le domaine des technologies de l’information ont permis aux Africains de l’Ouest d’accéder à l’information et de la consulter plus facilement, mais ces technologies numériques ont également largement renforcé les possibilités de propager la désinformation, d’alimenter la polarisation et de manipuler les citoyens au travers de la création et de la dissémination de fake news. Les plateformes cryptées peer-to-peer telles que WhatsApp et autres réseaux sociaux ont été utilisés pour répandre des rumeurs et attiser la violence, et certaines désinformations ont été diffusées auprès de communautés ciblées intentionnellement afin de provoquer des conflits et de tenter d’influer sur les élections.

Réfugiés derrière l’écran de leur ordinateur ou de leur tablette et autres smartphones, certains n’hésitent pas à dire au-delà de l’indicible sur les réseaux sociaux. Ils oublient, de ce fait, que tout ce qui est pensé ne doit et ne peut être dit.

Le langage n’a de sens que de par sa relation à la pensée. Toujours est-il qu’il n’est pas en mesure de traduire la totalité des idées, des pensées de l’homme, parce que la pensée humaine est à la fois vaste, diverse et variée. Elle porte sur une multiplicité de choses. À contrario, le langage se trouve extrêmement limité, et ne saurait, par conséquent, prétendre à l’étendue de la pensée. Il est donc clair que « nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage ». (H. Bergson, 1946, p. 124).

La conséquence logique d’une telle constatation est que l’être humain n’est pas à même de trouver des termes adéquats pour exprimer convenablement tout ce qu’il pense, tout ce qu’il éprouve. Tout ne peut donc être nommé, faute de mots, ce dont D. Diderot (1877, p. 77) en est conscient : « Je crois que nous avons plus d’idées que de mots. Combien de choses senties, et qui ne sont pas nommées ! (…). On ne retient presque rien sans le secours des mots, et les mots ne suffisent presque jamais pour rendre précisément ce que l’on sent ». L’échec du langage à véhiculer, dans toute son étendue, la pensée humaine, atteste incontestablement de sa pauvreté, de sa finitude.

Certes, tout ne peut être dit, mais également tout ne doit être dit. Loin d’une incapacité du langage à traduire la pensée, il s’agit plutôt de sa volonté d’adaptation aux règles et normes sociales, dans le sens du respect de la dignité d’autrui, en vue du vivre-ensemble. Au nom du vivre-ensemble, l’individu doit s’abstenir de tout dire, s’inspirant, à ce propos de l’adage qui recommande de « tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler » ; car les mots ont un tel pouvoir qu’ils peuvent aussi bien construire que déconstruire, structurer comme déstructurer, faire comme défaire le monde.

Le pouvoir nocif des mots se traduit par l’atteinte à la dignité et à l’honorabilité des individus, et des pouvoirs publics, à travers ceux qui les incarnent. La propagation de la désinformation, tout comme la manipulation des citoyens, au travers de la création et de la dissémination de fake news, dont fait état Gyimah-Boadi, ne peuvent que concourir à l’instauration du désordre, de l’anarchie. En effet, certains utilisateurs des réseaux sociaux ignorent, ou semblent ignorer que certaines informations sensibles ne doivent être diffusées, soit pour « raison d’État », soit par respect des personnes qui en sont victimes. Aussi, les réseaux sociaux, par le canal d’internet se présentent comme un instrument aux mains du pouvoir. Celui-ci peut à tout instant, soit limiter, soit interdire leur accès aux citoyens, au nom de la fameuse « raison d’État ».

Malheureusement, au nom de la démocratie, des utilisateurs des réseaux sociaux arborent de plus en plus le manteau de « lanceur d’alerte ». C’est, en effet, aux sociologues D. F. Chateauraynaud et D. Torny (1999) que l’on doit la paternité du terme français « lanceur d’alerte ». Sous cette appellation, se révèle, à partir de faits réels et vécus, la manière dont des alertes sont signalées, au regard de certaines attitudes vigilantes, hors de tout processus institutionnalisé. La saisie et l’analyse des situations de risque et des procédures d’alerte, dont la montée en puissance est incontestable, à la fin de la décennie 1990 – dans la presse notamment – conduisent ces deux auteurs à donner à cette notion sociologique une connotation politique.

Chateauraynaud se fait plus explicite dans la caractérisation du lanceur d’alerte, à travers la distinction qu’il établit entre celui-ci et le dénonciateur. Le dénonciateur, qui est un délateur, se préoccupe de porter à l’attention du public des actes jugés illégaux, tout en étant intéressé. C’est tout le contraire du lanceur d’alerte qui œuvre dans le sens de « l’anticipation de menaces ou de risques qu’il s’agit d’éviter en réagissant à des signes précurseurs », (D. F. Chateauraynaud, 2020, p. 70), et ce, de manière désintéressée. Ce que vise le lanceur d’alerte, c’est de déclencher un processus de régulation en suscitant la mobilisation collective. Ce qu’il recherche, c’est le bien commun, l’intérêt général. Et pourtant, on ne saurait ignorer qu’il peut révéler des scandales au sommet de l’État, ou tout autre agissement de quelques particuliers ou groupes d’intérêts, susceptibles de nuire à l’intérêt général.

Dans ces conditions, l’État, garant de l’harmonie sociale, et donc des libertés individuelles et collectives, ne saurait se dérober à ses missions régaliennes. Pour contraindre les citoyens à préserver l’harmonie sociale, tout comme les libertés, l’État ne peut qu’activer les mécanismes juridiques. C’est en cela qu’il recourt à la censure, à travers la limitation de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, voire à leur interdiction, ou encore à l’interpellation de certains usagers par la justice afin que ceux-ci répondent de leurs multiples dérapages. Ces interpellations peuvent conduire à des peines privatives de liberté.

Mais la censure n’est pas toujours l’effet des dérapages et des excès des utilisateurs des réseaux sociaux. Elle procède également de la volonté des États de restreindre le champ des libertés, en récusant toute opinion contraire aux siennes, toute critique ou encore des révélations jugées dérangeantes, à travers les réseaux sociaux. En effet, « pour les élites politiques habituées à manipuler les messages électoraux dans l’objectif d’obtenir des votes, ces plateformes contestent leur position de privilège, bien qu’il arrive que ces mêmes élites les exploitent ». (A. Olojo, K. Allen, 2021).

Tout individu, investi du pouvoir de diriger est, dans bien des cas, allergique à toute forme de critique, convaincu de la légitimité, de la pertinence et de la justesse de ses décisions et de ses choix. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’interdiction de Tweeter au Nigéria, en juin 2021 – et ce, sept mois durant – ; il s’agit d’une interdiction condamnée par la Cour de justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Les modérateurs du contenu de Twitter, n’ayant pas apprécié un tweet publié du compte du président Muhammadu Buhari (Président du Nigéria, du 29 mai 2015 au 29 mai 2023, après l’avoir été du 31 décembre 1983 au 27 août 1985), qui violaient, selon eux, les règles relatives aux comportements abusifs, l’ont alors supprimé. Toute chose qui a suscité l’ire des autorités nigérianes qui ont décidé de la suppression du réseau social, comme le rapportent A. Olojo et K. Allen (2021).

Dans la tradition africaine, il est admis généralement que le chef ne se trompe pas parce qu’il ne parle pas. Celui qui parle c’est son porte-canne. Mais, nombreux sont les dirigeants africains qui soutiennent mordicus, contre vents et marées, que le Chef ne saurait se tromper même quand il s’exprime sur une question donnée. Il a toujours raison, et ne saurait être contredit. Dès lors, toutes les fois que les décisions et les options politiques des dirigeants en place se trouvent remises en cause, et ce, de manière légitime, le pouvoir ne se fait point prier pour limiter l’accès des citoyens aux réseaux sociaux, les excluant de ce fait du débat contradictoire censé contribuer à l’édification et à la consolidation de la démocratie. Les réseaux sociaux apparaissent ainsi comme des instruments aux mains des pouvoirs africains pour exercer un pouvoir sans partage sur le peuple. Dans ce contexte, comment créer les conditions d’une véritable contribution des réseaux sociaux au débat démocratique en Afrique ?

3. Repenser la démocratie en Afrique au prisme des réseaux sociaux

Le reggaeman ivoirien, Tiken Jah Fakoly ne croyait pas si bien dire lorsqu’il chantait, au tout début de la décennie 2000, ces mots tirés de son album « Caméléon » :

Le pays va mal

Le pays va mal

Le pays va mal

De mal en mal

Mon pays va mal.

Il mettait ainsi à nu les tares de la société ivoirienne, et au-delà, de toutes les communautés africaines, victimes d’un mal pernicieux : la fracture sociale. Celle-ci se manifeste, aux dires de l’artiste, par l’injustice, la xénophobie ou encore le tribalisme.

Plus de six décennies après les indépendances, nombre de promesses n’ont pas encore été tenues, les espérances se sont muées en désespérances, les espoirs en désespoirs, les rêves sont devenus de vaines illusions comme l’exprimait déjà Amadou Kourouma dans son célèbre roman Les soleils des indépendances. Il nous faut alors abonder dans le même sens que Kourouma et Tiken Jah pour clamer, à qui veut l’entendre, qu’à quelques exceptions près, les pays africains vont mal, à la fois au plan socio-politique qu’économique.

Il est temps de repenser la démocratie en Afrique, à l’ère où, par le biais des réseaux sociaux, chaque citoyen, pourvu qu’il en ait les possibilités, peut apporter sa pierre de touche à son édification et à sa consolidation. Car, il faut reconnaître que « les réseaux sociaux ont profondément changé le rapport des internautes à la politique ». (C. Richaud, 2017, p. 29). Ils concourent à la démarginalisation du citoyen qui, de la périphérie où il se trouvait logé, intègre le centre du système. Être au centre du système, c’est être à même d’user de sa liberté d’expression, reconnue à tout citoyen.

Mais, pour parvenir à une réforme de la démocratie, il appartient, en premier lieu, aux pouvoirs politiques africains de poser les jalons d’une démocratie nouvelle. Il s’agit de donner une orientation nouvelle à la pratique démocratique sur le continent.

Même si la démocratie se veut foncièrement la reconnaissance et la consécration de la souveraineté du peuple, sa gestion au quotidien relève, d’abord, et avant tout de l’autorité politique et de ses démembrements. Elles ont reçu mandat du peuple souverain pour décider et agir en son nom. Le sort de la démocratie incombe, à cet effet, au pouvoir politique. Dans une civilisation numérique où les réseaux sociaux n’ont de cesse d’impacter le quotidien des pouvoirs publics comme celui des communautés, la responsabilité des États africains est incommensurable.

À tout point de vue, les réseaux sociaux se révèlent comme un atout pour la démocratie participative. Il s’agit in fine de créer un environnement socio-politique idoine qui puisse garantir à chacun la pleine jouissance de la liberté d’expression, fondement de toute démocratie. C’est le sens de la constante interpellation du pouvoir politique qui ne saurait se réfugier derrière des artifices ou des justifications fallacieuses pour renoncer à sa mission régalienne. Il y va du bonheur des citoyens, et partant, de la stabilité de l’État, condition de l’harmonie sociale.

Les pouvoirs publics devraient faire de l’éducation aux réseaux sociaux une priorité. La possession d’un ordinateur ou d’un téléphone portable, cumulée à l’accès à Internet, sont des conditions d’accès aux réseaux sociaux. Elles en sont des conditions basiques, mais non suffisantes. Parce qu’ils instaurent « une conception horizontale de l’espace public », (C. Richaud, 2017, p. 29), les réseaux sociaux créent en permanence des liens, à la fois professionnels et affectifs entre les individus, en dehors de leur traditionnel cadre d’existence. Et comme toute existence collective requiert la saisie, la compréhension et l’application des règles de la sociabilité, il importe alors d’inculquer aux utilisateurs des réseaux sociaux une formation, une instruction, susceptibles de leur permettre de cerner les règles du vivre-ensemble virtuel, sur le modèle du vivre-ensemble concret.

La dimension éthique du rapport à l’outil informatique doit, de ce fait, prendre le pas sur la simple initiation à l’informatique, qui est enseignée dans les Lycées et Collèges, et dont le volume horaire hebdomadaire dépasse rarement une heure de cours, et dont la programmation relève plus d’une contrainte que d’une nécessité pour l’Administration. La responsabilité du Ministère en charge de l’Éducation nationale se trouve alors engagée. C’est à lui que revient la mission de définir les curricula de formation et les contenus des programmes d’enseignement.

C’est avec stupéfaction que nous relevons le peu d’intérêt accordé à l’éducation aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), à Internet et aux réseaux sociaux, au sein des Lycées et Collèges, quand on sait le taux de pénétration de plus en plus élevé de l’utilisation de ces Technologies en milieu scolaire. C’est donc à la base que l’instruction aux réseaux sociaux doit prendre forme, et se décliner sous la forme d’une sensibilisation permanente des populations.

L’adoption de la « Charte des Réseaux Sociaux », en octobre 2023, par la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), en Côte d’Ivoire, dont la loi avait été préalablement votée par le Parlement en décembre 2022, participe, à notre sens, de cette politique de sensibilisation, en vue d’une responsabilisation accrue des utilisateurs des réseaux sociaux. L’objectif visé est de veiller au respect de la dignité humaine et à l’ordre public. La HACA, faut-il le souligner, est une Institution étatique, chargée de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la communication audiovisuelle dans le cadre de la loi.

De même que l’instruction aux réseaux sociaux, il convient d’éduquer la masse au respect de la chose politique, dans une atmosphère de démocratie ambiante. Nombreux sont les citoyens qui ne voient pas la nécessité qu’il y a à s’intéresser à la politique vue, le plus souvent comme étant l’affaire des autres. Elle relèverait plus d’une activité ludique que d’une véritable occupation. C’est ainsi que par dépit ou par choix personnel, des citoyens – les jeunes surtout – se détournent de la politique, au sein des États africains. Ce désintérêt pour la politique va également de pair avec le manque de compétence politique. Tous ceux qui interpellent et invectivent de tout temps les pouvoirs publics, ou des politiques, sur les réseaux sociaux, n’ont pas toujours le sens de la mesure politique. Ils ne sont pas toujours aptes à élaborer une argumentation rigoureuse et pertinente, dans le cadre d’un débat politique.

Pour P. Bourdieu (1972, p. 1295), « Cette compétence politique n’est pas universellement répandue. Elle varie grosso modo comme le niveau d’instruction. Autrement dit, la probabilité d’avoir une opinion sur toutes les questions supposant un savoir politique est assez comparable à la probabilité d’aller au musée ». C’est justement au regard de la relativité de la compétence politique qu’il convient de donner aux citoyens des rudiments de base à même de rationaliser, de « civiliser » le débat politique.

Mais la démocratie participative, via les réseaux sociaux, ne saurait effectivement prospérer que si les politiques africains se rendent de plus en plus visibles et disponibles à l’égard des internautes ; car, ils se font le plus souvent adeptes de « la mauvaise foi », au sens sartrien du terme. Chez Sartre, la mauvaise foi consiste en la pratique de la politique de l’autruche qui, sentant le danger s’approcher, préfère se dissimuler la tête sous le sable plutôt que l’affronter. Le faire, ce n’est pourtant pas remédier au danger, encore moins l’éviter.

Par crainte des réactions et des interventions des internautes, certains leaders politiques préfèrent se détourner des réseaux sociaux. Le rôle du pouvoir central est donc de les inciter, et même de les contraindre à instaurer des débats interactifs permanents avec les citoyens sur les réseaux sociaux, à l’image des débats parlementaires qui s’imposent à eux. En somme, repenser la démocratie en Afrique au prisme des réseaux sociaux, c’est interpeller en permanence l’État sur le rôle prépondérant qu’il a à jouer, tant à l’égard des politiques qu’à l’endroit des citoyens.

Conclusion

Trois idées majeures ressortent de notre analyse sur la démocratie et les réseaux sociaux. La première met en avant la contribution notable des réseaux sociaux à l’éveil et au dynamisme de la démocratie participative. Même si la démocratie consacre la souveraineté du peuple, elle semble le marginaliser au regard de la pratique en vigueur, qui accorde la priorité aux élus, censés agir pour le compte du peuple. Dans ces conditions, l’avènement des réseaux sociaux constitue une aubaine pour les citoyens, qui peuvent directement interpeller les pouvoirs publics sur la gestion de la cité. Ils instaurent avec eux des espaces d’échanges et de partage, convaincus que « la démocratie négociée par le « haut », du seul point de vue institutionnel, relève du mirage », (F. Akindès et O. Zina, 2016, p. 84), d’où la nécessité d’une permanente implication des citoyens dans le jeu démocratique.

La seconde idée, quant à elle, insiste sur le dévoiement des fondamentaux de la démocratie, à l’ère des réseaux sociaux. La liberté d’expression que les réseaux sociaux mettent en avant, finit par se muer en libertinage, en foire aux invectives, aux diffamations et aux fréquentes atteintes à la dignité et à l’honorabilité des personnes censées incarner l’autorité de l’État. En réaction à de telles attitudes, au-delà du tolérable, l’État n’a d’autre moyen de répression que le recours à la censure. Celle-ci concourt à la restriction des libertés tant individuelles que collectives. Aussi les réseaux sociaux apparaissent-ils comme un instrument aux mains de l’État, pour réprimer toute opinion contraire aux siennes, allant jusqu’à punir ses auteurs, sous forme d’amendes ou de peines de prison.

Il est donc plus qu’urgent, dans ces conditions, de repenser la démocratie à travers l’usage des réseaux sociaux. C’est ce à quoi s’est attelée la troisième partie de cette réflexion. Elle met l’accent sur la double nécessité de l’instruction aux réseaux sociaux, d’une part, et à la culture politique et démocratique d’autre part, le défaut de connaissance étant présenté comme source de perdition. N’est-ce pas là le sens de ces mots du Prophète Osée dans La Sainte Bible : « Mon peuple est détruit, parce qu’il lui manque la connaissance » ? (La Sainte Bible, Osée 4, 6). Par conséquent, pour éviter que les réseaux sociaux ne concourent davantage à la perversion de la démocratie, il est plus que jamais nécessaire de remédier au défaut de connaissance, tant dans leur usage que dans la saisie des mécanismes de la démocratie. D’où la responsabilité de l’État dont la mission régalienne est d’œuvrer au bonheur des citoyens.

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RÉSEAUX SOCIAUX ET LUTTE CITOYENNE

Boubakar MAIZOUMBOU

Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger)

boubakarmah@gmail.com

Résumé :

Conçus comme un nouvel espace d’expression et d’application de certains droits fondamentaux (Brozeck Kandolo Wa Kandolo, 2018), les réseaux sociaux Twitter, Messenger, WhatsApp, etc., constituent, depuis ce qu’il est convenu d’appeler le printemps arabe, le facteur le plus utilisé pour passer les mots d’ordre des luttes sociales prônées par les mouvements sociaux. Les organisations de la société civile africaine, qui n’ont pas toujours l’autorisation de manifester pour leurs revendications, font de ces réseaux le canal alternatif opportun pour relayer les informations. Alors que le droit de manifester est reconnu par les régimes démocratiques africains, le refus de son application par ces mêmes régimes est immédiatement relayé et dénoncé par l’usage des réseaux sociaux. Ces réseaux sociaux peuvent-ils être la cause de l’infléchissement des autorités politiques pour le respect des principes démocratiques ? L’objectif visé, à travers cette question, est d’examiner l’implication des réseaux sociaux dans les débats et luttes pour l’effectivité des pratiques démocratiques en Afrique. L’analyse de cette question nous permettra d’évaluer aujourd’hui la portée de ces réseaux sociaux sur les pratiques politiques de nos pays qui peinent à assoir la démocratie.

Mots clés : Afrique, Lutte citoyenne, Mouvements sociaux, Réseaux sociaux.

Abstract:

Conceived as a new space for expression and the application of certain fundamental rights (Brozeck Kandolo Wa Kandolo, 2018), social networks – Twitter, Messenger, WhatsApp, etc. – are now, since the so-called Arab Spring, the most lauded factor for passing on the watchwords of social struggles advocated by social movements. African civil society organisations, which do not always have the right to demonstrate for their demands, are using these networks as an opportune alternative channel for relaying information. While the right to demonstrate is recognised by African democratic regimes, any refusal by those same regimes to apply it is immediately relayed and denounced through the use of social networks. Can these social networks be the cause of a change in the political authorities’ attitude towards respect for democratic principles? The aim of these questions is to examine the involvement of social networks in the debates and struggles for the effectiveness of democratic practices in Africa. An analysis of these issues will enable us to assess the impact of social networks on political practices in our countries, which are struggling to establish democracy.

Keywords : Africa, citizen Struggle, social Movements, social Networks.

Introduction

De prime abord, pour introduire notre réflexion, nous proposons la définition générale, d’après V. Lemieux (2000, p. 18.), des réseaux sociaux :

Les réseaux sociaux sont faits de liens, généralement positifs, forts ou faibles, tels qu’il y a une connexion directe ou indirecte de chacun des participants à chacun des autres, permettant la mise en commun des ressources dans le milieu interne. Il arrive que les connexions servent aussi à la mise en ordre des ressources par rapport à l’environnement externe, ce qui est caractéristique des appareils.

L’analyse des réseaux sociaux est menée dans les sciences sociales depuis les années 1930, d’après J. Breslin et D. Stefan (2007). L’analyse des réseaux sociaux vise, selon ces auteurs, d’une part, à identifier les structures sociales distinctes dans les réseaux et, d’autre part, à expliquer le comportement des individus au sein de ces structures sociales. Avec l’avènement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), l’Internet est devenu, depuis longtemps, un outil de diffusion de l’information ouvert à tout le monde. À ce titre, l’Internet garantit largement la liberté d’expression. Les premiers usages d’Internet ont été la mise à disposition d’informations dans des sites (le worldwideweb par exemple) longtemps considérés comme des bibliothèques virtuelles. Ensuite, dans les années 2000, les médias et réseaux sociaux sont venus modifier ces premiers usages, en devenant le lieu de « l’expression généralisée » et celui de « la coordination des amis » (H. L. Crossier, 2018). Facebook, WhatsApp, Twitter, devenu X, etc., donnent aujourd’hui l’occasion à la création de différents espaces publics virtuels, réunissant, selon le contexte, plusieurs catégories de personnes.

Ainsi, l’arrivée de ces réseaux sociaux, appelé encore Web social ou Web 2.0 (D. Tchuente et al, 2011) a énormément favorisé le développement des réseaux socionumériques. D’après D. Tchuente et al. (2011), en 2010, près de trois quarts des internautes en Europe consultent ces nouvelles plateformes quotidiennement. Très visités et comportant des applications diversifiées (mails, chats, photos, tags, groupes, événements, pages…), les réseaux socionumériques sont devenus de véritables systèmes d’exploitation d’informations. Des masses de données, riches par leur diversité, et importantes par leur quantité, sont désormais disponibles sur la toile. Ces potentialités communicationnelles suscitent alors la question de possibilité de dénoncer, en Afrique, avec les réseaux sociaux, les remises en cause des droits fondamentaux (comme les manifestations) par les dirigeants eux-mêmes.

En ce sens, nous nous posons la question de savoir si les réseaux sociaux peuvent être la cause de l’infléchissement des autorités politiques africaines pour le respect des principes démocratiques. Quels sont, en effet, les impacts des réseaux sociaux sur la lutte des organisations de la société civile africaine pour l’effectivité du respect des principes démocratiques ?

L’objectif que nous poursuivons, à travers cette question de recherche, est de montrer que les réseaux sociaux sont aujourd’hui des facteurs de mobilisation dans la lutte des mouvements sociaux en Afrique. Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes basés essentiellement sur la recherche documentaire.

Pour analyser la question ci-dessus posée nous dégageons trois axes à explorer. Premièrement, nous étudierons le rapport réseaux sociaux et mobilisation social (1). Deuxièmement, il s’agira pour nous de montrer que les réseaux sociaux constituent désormais desespaces publics virtuels et alternatifs dans la lutte citoyenne (2). Et troisièmement, nous verrons dans quelle mesure les réseaux sociaux jouent-ils un rôle déterminant aujourd’hui dans la quête de l’effectivité des droits fondamentaux (3).

1. Réseaux sociaux et mobilisation sociale

Les réseaux sociaux sont devenus aujourd’hui, plus que jamais, des outils de mobilisation sociale. Ils garantissent aux mouvements sociaux la facilité dans la mobilisation, l’instantanéité et une large couverture dans leur communication. On peut dire qu’ils dépassent désormais les voies traditionnelles de communication que sont la radio, la télévision, les lettres, caractérisées par la lenteur et l’étroitesse de couverture dans la mobilisation des militants. Or la grandeur, la crédibilité et la puissance d’un mouvement social se mesurent par sa capacité à mobiliser un grand nombre de militants. Dans ce sens, il est reconnu aujourd’hui que les réseaux sociaux sont incontournables. Facebook, Tweeter ou X, Tik Tok, etc., sont des véritables véhicules de partage instantané des mots d’ordre dans le cadre des actions collectives. Comme le souligne P. D. Grosbois (2018, p. 180-181),

il faut reconnaitre que Facebook comporte de nombreux avantages à des fins organisationnelles : d’abord, son utilisation est très répandue, ce qui permet de rejoindre beaucoup de membres dans leur quotidien, sans parler de la population en général. De plus, la création de groupes de discussion, tant pour un syndicat ou une fédération que pour un regroupement autonome ou parasyndical, y est très facile.

L’actualité que nous vivons aujourd’hui en Afrique est édifiante de ce point de vue. Nous assistons à des bouleversements sociopolitiques nourris par des manifestations populaires, des débats sur des renversements des régimes, sur l’insécurité, etc. Malgré la difficulté d’accès aux grands médias étrangers, des images et des informations sur ces situations sont communiquées à partir des pays de grands médias « au moyen de l’outil de réseau social et de diffusion directe « Twitter » (J. Borrero, 2013, p. 10).

En effet, en Afrique, la grande partie de la population n’a pas accès aux grands médias étrangers qui sont réputés dans l’investigation et la révélation des informations. Ce sont des chaines, des journaux, payables, donc difficiles d’accès pour les populations africaines constituées des couches sociales majoritairement pauvres. Pour ces couches sociales, les médias sociaux leur permettent de contourner le cryptage des informations. Il faut cependant relever ce qui fait la spécificité de la mobilisation sociale par les réseaux par rapport aux canaux traditionnels de mobilisation notamment le communiqué radio-télévisé, les lettres, etc. Cette spécificité s’explique à travers deux aspects au moins.

Le premier aspect est le fait qu’à travers les réseaux sociaux, on peut être mobilisé par quelqu’un dont on ignore l’identité. Pourtant, être mobilisé pour la lutte sociale, c’est partager l’opinion de quelqu’un, d’un leader, c’est adhérer à sa cause qu’on juge légitime. Cette adhésion, ce partage d’opinion, se fait à travers les réseaux sociaux sans cependant connaître forcément l’identité des mobilisateurs, des leaders. Cela peut, au fond, s’expliquer par le fait que dans le contexte des réseaux sociaux, c’est moins l’opinion ou la cause elle-même qui mobilise que l’outils technologique qui devient de plus en plus dominant. Dans ce cas la mobilisation devient motivation, impactant positivement les luttes sociales. Dans le cadre des échanges via réseaux sociaux, on est plus motivé, voire passionné, à faire fonctionner son appareil, à faire partie d’un groupe WhatsApp, que de s’intéresser fondamentalement au contenu des messages. Ainsi, comme pour donner raison à Y. Akakpo (2019, p. 17) qui parle de domination technologique comme appropriation par la « science et la technique » de « tout potentiel d’opérativité » concernant l’action, les mouvements sociaux sont aujourd’hui favorisés par le dispositif technologique même dans la mobilisation des adhérents aux luttes citoyennes.

Ce premier aspect lié à ce que nous pouvons appeler mobilisation-motivation n’est pas loin du second aspect. En effet, dans la mobilisation par les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement l’affichage du grand nombre qui est mis en exergue. Il y a non seulement ce grand nombre concrètement observable, mais aussi d’autres militants qui, sans être dans les rues, adhèrent à la cause en échangeant, en publiant les images, emblèmes, pancartes, du mouvement, et en « likant » toute information entrant dans le cadre de la lutte. « Liker» la publication ou le « post » d’un acteur du mouvement, c’est s’engager activement à son côté, c’est être mobilisé tout simplement pour la lutte sociale ou citoyenne. « Liker » sur les réseaux sociaux c’est aimer ce qui est partagé. « Post » veut dire message publié sur les réseaux sociaux notamment Facebook. C’est en ce sens que F. Granjon (2003, p. 142) souligne que le mouvement altermondialiste partage avec « les plus récents réseaux télématiques, un imaginaire social dont les principes fondateurs sont réglés sur le mythe de l’auto-organisation de la société civile (que l’on imagine planétaire) et de la participation active des acteurs qui la constituent ».

Cette idée de mobilisation sociale par les réseaux sociaux peut être conclue avec G. Eric (2000, p. 184) qui souligne que « les services d’Internet peuvent en effet être considérés comme des catalyseurs de l’action collective ». Cet auteur a bien noté le fait qu’avec les médias sociaux « le message peut être diffusé de façon exponentielle à un vaste public ».

2. Réseaux sociaux comme espace public virtuel et alternatif dans la lutte citoyenne

Toujours dans la perspective de facilitation de la mobilisation sociale, les réseaux sociaux constituent aujourd’hui des véritables espaces publics virtuels qui offrent de nouvelles dimensions aux luttes citoyennes. Les espaces publics virtuels sont à l’image des espaces publics traditionnels qui sont généralement connus comme des places publiques servant des lieux de rassemblement des manifestants. Du point de vue conceptuel, c’est Jürgen Habernas qui a évoqué la question de « l’espace public » pour montrer l’importance de la communication dans le processus de démocratisation. Il décrit l’espace public comme un espace de médiation entre l’État et la société où la puissance de la raison et la richesse des échanges permettent la formation d’une opinion éclairée, qui assure de sages décisions collectives. On les situe généralement dans des pays qui ont connu des révolutions citoyennes ou des « actions collectives », pour reprendre l’expression du philosophe burkinabé, Mahamadé Savadogo. C’est l’exemple de la « Place de la Concertation » à Niamey au Niger, de la « Place de la Nation » ou « Place de la Révolution » à Ouagadougou au Burkina Faso, de la « Place Taksim » à Istanbul en Turquie, etc.

L’aspect le plus important qui distingue les espaces publics virtuels des espaces publics traditionnels est lié à la participation et à la prise de parole. Dans les espaces publics traditionnels, le droit à la participation et à la prise de parole est limité. Seuls quelques citoyens indiqués, désignés ou sélectionnés, ont accès aux espaces publics. Par contre les espaces publics virtuels offrent aux citoyens, sans exclusion, la possibilité de participer et de prendre la parole à l’occasion des rencontres, des réunions, des forums, etc., sur des questions sociopolitiques engageant pourtant les autorités publiques.

Lorsqu’il s’agit de l’espace public virtuel, toutes les voies sont autorisées à s’exprimer. Elles ont la possibilité de révéler ce qu’elles pensent, de commenter, d’apprécier, de discuter même les propositions des dirigeants de leur mouvement. Ainsi, la dépendance à la parole des dirigeants du mouvement dans l’espace public traditionnel est remplacée par l’accès pour chacun à la parole dans l’espace public virtuel. C’est parce que, comme dit C. Richaud (2017, p. 29), « les réseaux sociaux opposent à l’inertie, à la verticalité et à la hiérarchisation de la politique une conception horizontale de l’espace public ».

Cette nouvelle forme d’espaces publics est d’autant plus importante en Afrique qu’elle favorise l’élargissement de l’espace public traditionnel qui n’est pas favorable à l’expression libre de la diversité d’opinions. Désormais la crainte, la restriction ou l’interdiction même de s’exprimer, est contournée par ce qu’on peut appeler aujourd’hui l’autosaisine par les citoyens de la situation sociopolitique de leur pays à travers les espaces publiques virtuels. D’où la double importance de l’espace public virtuel que souligne D. Gardon (2010, p. 11) : « D’une part, le droit de prendre la parole en public s’élargit à la société entière ; d’autre part, une partie des conversations privées s’incorpore dans l’espace public. »

Autant dire que les espaces publics virtuels sont devenus des alternatives à la restriction des droits et libertés de participation et de prise de parole dans les espaces publics traditionnels. À travers « Le numérique : de nouveaux espaces pour la démocratie », le titre évocateur de la première partie de son ouvrage (p. 21-100), H. Oberdorff (2010) s’attache à montrer comment les technologies de l’information ouvrent des espaces de plus grande liberté pour l’épanouissement de la démocratie. Il y va de la liberté de s’informer, de la liberté de communiquer, des possibilités grandissantes en termes de participation et d’interaction. En quelque sorte, l’usage adapté des nouveaux outils du numérique fondé sur la circulation des informations et du partage, annonce, dit H. Oberdorff (2010, p. 75), l’avènement d’une « e-démocratie » beaucoup plus participative et complémentaire avec la démocratie représentative. Partant de ce constat, H. Oberdorff (2010, p. 186) conclut sur le fait que « l’homo numéricus est avant tout un être humain et un citoyen ». Autrement dit, pour Henri Oberdorff, l’être numérique est d’abord un homme, et vit dans une société politique, donc encadrée par des lois et règlements.

Avec les réseaux sociaux, il y a sans doute la tendance à l’ouverture de l’espace public pour tout citoyen désireux d’exprimer son opinion dans la quête de la démocratie. C’est pourquoi E. George (2008) situe l’importance du web dans « la possibilité d’échanger de façon plus horizontale et donc de révéler des capacités de la part de personnes qui n’auraient pas forcément bénéficié d’un espace pour s’exprimer. » H. Le Crosnier (2018) pense même que c’est à cela que doit servir ce qu’il appelle la « culture numérique », c’est-à-dire former les citoyens du XXIe siècle à avoir « la tête dans le cyberespace ».

Dans ce cas, il n’y a pas de doute que les espaces publics virtuels favorisent l’émancipation des citoyens en quête de la démocratie. Leur caractère illimité dans le temps et dans l’espace donne aux citoyens des pays africains la possibilité de s’informer, de comparer des situations sociopolitiques au-delà de leurs frontières. En ce sens, G. Fleury (2008) souligne que « l’Internet est donc porteur de promesses d’émancipation et d’innovation en ce qu’il fait miroiter l’idée d’une démocratie plus transparente, plus participative, où des citoyens mieux informés pourraient investir un espace public virtuel » (G. Fleury, 2008, p. 84-85).

3. Les réseaux sociaux et l’effectivité des droits fondamentaux

La question de l’effectivité des droits fondamentaux dans l’exercice des pouvoirs démocratiques est toujours d’actualité en Afrique. Théoriquement, il est paradoxal de parler des États démocratiques et, en même temps, se soucier du respect des textes qui régissent les règles qui encadrent et protègent les actions collectives des citoyens. Pourtant il est fréquent de constater que des organisations nationales et internationales de défense des droits humains fustigent la remise en cause, par les autorités publiques elles-mêmes, de certaines dispositions légales garantissant les libertés fondamentales des citoyens.

Désormais, avec les nouveaux espaces publics virtuels, on peut dire que la liberté d’expression, le droit de manifestation, le droit à l’information, etc., deviennent de plus en plus effectifs. En effet, dans le contexte des réseaux sociaux, les citoyens, étant instantanément informés par les activistes, descendent, souvent spontanément, dans les rues. L’exemple des rassemblements des citoyens pendants le printemps arabe et les récentes mobilisations citoyennes au sahel (Burkina Faso, Mali, Niger) en est l’illustration.

Il est certes vrai que ces genres de mobilisation spontanées dépendent de la gravité de la situation qui nécessite les rassemblements des citoyens. Mais c’est pour ainsi dire que les demandes d’autorisation de marche sont en train d’être dépassées par la force de mobilisation des réseaux sociaux garantie par l’accès facile à l’information. Dans ce cas, de la restriction ou de l’interdiction à manifester, à marcher, on passe à ce que D. Cardon (2010, p. 8) appelle « formes inédites de partage du savoir, de mobilisation collective et de critique sociale ».

Les États africains tiennent désormais compte de la capacité des réseaux sociaux à permettre aux mouvements sociaux de jouir, sans grande difficulté, des droits fondamentaux garantis par nos constitutions. En effet, grâce aux réseaux sociaux, les mouvements sociaux peuvent désormais se passer des recours infinis devant les tribunaux pour être autorisés à manifester. C’est d’ailleurs partant de la reconnaissance de cette force des réseaux sociaux à contourner la restriction ou l’interdiction à manifester et à s’exprimer librement que certaines autorités africaines n’hésitent pas souvent à interrompre le réseau internet dans leur entité. Ce sont des mesures draconiennes que les autorités justifient par la menace de troubles à l’ordre public. Mais en vérité, cela ne peut freiner la tendance vers l’effectivité des droits fondamentaux en Afrique dans la mesure où les autorités elles-mêmes n’ont pas intérêt à prolonger dans le temps l’interruption du réseau internet.

On peut ainsi dire qu’aujourd’hui, en Afrique, les autorités n’ont plus d’autre choix que de rendre les droits fondamentaux, comme ceux d’expression, de manifester, d’opinion, etc., effectifs au regard de la possibilité qu’ont les citoyens de participer directement aux débats publics autour des grandes questions et décisions politiques engageant la vie de leur nation. C’est une forme de démocratie directe et participative que rendent désormais possible les réseaux sociaux. Comme le souligne T. Vedel (2017, p. 73), « l’internet peut révolutionner la politique et favoriser une évolution vers une démocratie plus participative, voire directe, dans laquelle les citoyens seraient devenus un cinquième pouvoir ». P. Levy (2002, p. 36) parle, dans le même sens, de « la cyberdémocratie » qui annonce « l’avènement d’une démocratie nouvelle, généralisée (…) une véritable société civile planétaire ».

Les réseaux sociaux peuvent ainsi être considérés comme des facteurs qui permettent de combler les insuffisances de la démocratie jusque-là connue sous ses formes de représentation ou de délégation du pouvoir. La possibilité de l’expression libre des opinions par les réseaux sociaux permet aux citoyens de participer à la démocratie avec les dirigeants. La cyberdémocratie offre un espace favorisant la participation citoyenne grâce aux outils des technologies d’informations et de communications. Dans son article, A.-M. Gingras (1999, p. 40) a souligné cette idée qu’elle qualifie de valorisation de démocratie directe :

La valorisation de l’idée de démocratie directe par l’intermédiaire des médias et des NTIC n’est pas nommée, mais elle s’est insérée insidieusement dans nos représentations de la politique. Plusieurs éléments associés à la démocratie directe ont acquis une grande popularité depuis environ vingt-cinq ans ; les sondages, les vox populi et autres moyens de connaître l’opinion de la population sur des sujets variés ont remis à l’honneur l’idée de la participation directe des citoyens et des citoyennes à la vie politique. 

Mieux encore, Anne-Marie Gingras (1999) a noté la capacité des réseaux sociaux à « combler les lacunes du système démocratique occidental en augmentant et en diversifiant les formes de participation politique et en démocratisant la gestion gouvernementale ». Anne-Marie Gingras va même jusqu’à considérer que les réseaux sociaux peuvent être pensées comme un catalyseur de l’action politique, en instaurant une dynamique nouvelle dans la société civile et entre celle-ci et l’État. Et on parle ainsi, selon elle, de décentralisation ou concertation accrues, de délibération plus étendue, de réseautage plus intense, d’acquisition d’appuis d’envergure internationale, etc.

Ce qui nous permet de dire que la souveraineté des peuples et des citoyens reconnus théoriquement, mais occultée pratiquement par les États africains, est en train d’être reprise avec l’usage des réseaux sociaux. En ce sens D. Cardon (2010, p. 100) dit qu’« Internet est un instrument de lutte contre l’infantilisation des citoyens dans un régime qui est censé leur confier le pouvoir ». Donc avec les réseaux sociaux où « une partie des conversations privées s’incorpore dans l’espace public » (D. Cardon, 2010, p. 11), les droits fondamentaux des citoyens africains finiront par devenir effectifs, malgré la réticence de certains régimes.

Il faudrait cependant tenir compte du fait que concevoir la démocratie directe par les réseaux sociaux ou « par les NTIC », comme le souligne Anne-Marie Gingras, pose des problèmes. Anne-Marie Gingras a identifié deux problème majeurs liés à la démocratie électronique directe. L’auteur dit d’abord que cette forme de démocratie est tributaire d’un « déterminisme technologique » tout à fait obsolète, mais aussi elle suppose que les citoyens soient politiquement actifs. Ce qui, dans le contexte africain, est plus difficile dans la mesure où, en dehors des périodes électorales, les populations africaines s’engagent moins politiquement.

De plus, pour Anne-Marie Gingras, la démocratie directe par les NTIC fait l’impasse sur les processus constitutifs de la gestion politique et des logiques sociétales qui pèsent sur les choix des décideurs publics, telles que la mondialisation et la libéralisation des échanges. La démocratie directe électronique doit prendre appui sur le déterminisme technologique qui imprègne encore souvent la vision du développement des NTIC que se font une partie de la communauté scientifique et les décideurs publics ; il ne semble exister aucune distinction entre les possibilités offertes par la technologie et l’usage qui en sera fait. Or, l’histoire du développement technologique démontre que les applications technologiques prévues par les concepteurs et les promoteurs sont souvent « détournées » par les utilisateurs. Ce qui pose aujourd’hui, en Afrique comme ailleurs dans le monde, tout le problème de la législation par rapport à l’usage des réseaux sociaux ou des NTIC de façon générale. Par rapport à ce problème de législation, A.-M. Gingras (1999, p. 37) a souligné le caractère anarchique des réseaux sociaux. Elle pense que le cyberespace serait une manifestation de « la société postmoderne anarchique, fragmentée et sans frontières déterminées ». On peut, selon elle, comparer l’anarchie des réseaux à la difficulté croissante pour les États « de légiférer et réglementer dans un monde global », menacé par la porosité des frontières et la multiplicité des enjeux de nature supranationale.

Dans cette même logique faisant cas des inconvénients des réseaux sociaux, G. Tremblay (1994, p. 255) a déjà évoqué la marchandisation des domaines de l’information qui risque de renforcer les inégalités sociales. Il l’affirme clairement en ces termes :

Le rattachement de la plupart des projets d’autoroutes électroniques et de leurs promoteurs à la sphère marchande ne fait aucun doute, il suffit d’aligner leur nom et de retenir les usages qu’on met en exergue pour en convenir. L’extension de la marchandisation dans le champ de la culture et de l’information (…) risque de renforcer l’inégalité sociale, voire la dualisation de la société, ce qui représente (…) un sérieux problème pour la démocratie.

Conclusion

À l’issue de cette réflexion sur les réseaux sociaux comme facteur des luttes citoyennes à l’occasion du colloque international de Bouaké (Côte d’Ivoire) sur les « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines » du 05, 06 et 07 octobre 2023, nous pouvons conclure qu’avec les réseaux sociaux, les changements en faveur de la démocratie sont plus que jamais en marche dans nos pays. La communication, l’information et la mobilisation par les réseaux sociaux sont, en effet, une affaire planétaire, et les pays africains, même s’ils trainent les pas, ne peuvent pas être en marge de cette dynamique générale des sociétés. Les États africains, comme les autres États du monde d’ailleurs, ne peuvent plus échapper à cette nouvelle donne du domaine de l’information et de la communication longtemps restés l’apanage des groupes restreints (essentiellement constitués des décideurs politiques, journalistes d’investigation et des lobbys). Les acteurs et militants des luttes citoyennes ont désormais, avec les réseaux sociaux, accès aux informations et aux espaces publics virtuels. Les rassemblements citoyens, les manifestations, bref, les actions collectives citoyennes font aujourd’hui des réseaux sociaux les meilleurs canaux alternatifs contre les interdictions, souvent systématiques, des pouvoirs publics.

Le plus important, dans ce cas, est de circonscrire ce qui peut être considéré comme raté dans cette dynamique, afin de permettre à nos sociétés de tirer les meilleurs avantages des réseaux sociaux, devenus, dans tous les cas, incontournables, dans notre existence. Donc, pour une meilleure internalisation de ces réseaux sociaux qui engagent, sans doute, la dynamique de nos sociétés, les États africains doivent emboiter le pas aux autres États du monde (les États Unies d’Amérique, l’Angleterre, les pays de l’Union Européenne) qui sont déjà avancés dans la législation des usages des réseaux sociaux. Légiférer sur les réseaux sociaux suppose impérativement un suivi et contrôle permanents des différentes plates-formes des réseaux sociaux par des spécialistes, « une veille », comme le souligne B. L. Seguin (2015) en ces termes :

Instaurer une veille sur les réseaux sociaux s’impose donc désormais. Mais pour qu’elle soit efficace, il faut savoir se détacher des usages ludiques et des messages égocentriques qui sont légion sur ces plateformes. Toutefois, un contrôle de la qualité et de la quantité d’informations diffusées par de vrais comptes permet assez rapidement de démystifier le vrai du faux. Ainsi, même s’il est très facile d’écrire n’importe quoi sur les réseaux sociaux, la confrontation avec l’esprit critique des internautes (grand public, public averti, journalistes, professionnels de l’information, etc.), permet très souvent de dénoncer les fausses informations.

Références bibliographiques

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USAGES DES RÉSEAUX SOCIAUX ET GOUVERNANCE EN AFRIQUE

Odilon YAO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

odailyao@gmail.com

Résumé :

Le réseau social est une organisation sociale formée de personnes en relation directe ou indirecte entre elles. La dénomination « réseaux sociaux » renvoie, quant à elle, aux entreprises de réseautage social via Internet et à leurs usagers, qui utilisent des identités virtuelles, à travers le monde. En tant que tels, les réseaux sociaux occupent une place importante dans la socialisation de l’homme moderne. Hier, ils étaient destinés à de simples sites de rencontres. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus des canaux référentiels en matière d’information, de désinformation, de formation, de propagande, d’investigation, d’intimidation, d’influence, voire de gouvernance. Ainsi, à partir d’une méthode sociocritique et analytique, cette communication se propose de dénoncer les usages pluriels et controversés des réseaux sociaux. Précisément, elle a pour intention fondatrice d’affirmer l’idée selon laquelle les médias sociaux sont des moyens efficaces pour jauger la démocratie dans un État. Cependant, pour atténuer ses influences néfastes sur les consciences individuelle, collective et sur la politique, ses usages doivent être encadrés par des principes juridiques et des valeurs basées sur les normes culturelles, voire coutumières.

Mots clés : Démocratie, Gouvernance, Morale, Réseaux sociaux.

Abstract:

The social network is a social organization made up of people in direct or indirect relationship with each other. The term “social networks” refers, for its part, to social networking companies via the Internet and their users, who use virtual identities, throughout the world. As such, social networks occupy an important place in the socialization of modern man. Yesterday, they were intended for simple dating sites, but today, social networks have become reference channels for information, disinformation, training, propaganda, investigation, intimidation, influence, even governance. Thus, using a sociocritical and analytical method, this communication aims to denounce the plural and controversial uses of social networks. Precisely, its founding intention is to affirm the idea that social media are effective means of gauging democracy in a state. However, to mitigate its harmful influences on individual and collective consciences and on politics, its uses must be framed by legal principles and values based on cultural, even customary, norms.

Keywords : Democracy, Governance, Morality, Social networks..

Introduction

L’usage de Internet s’est invité dans la vie de l’homme moderne et, est prééminent dans tous les domaines de son existence. Son hégémonie se ressent dans la sphère sociale, culturelle, économique et politique. À partir de là, Internet a engendré des réseaux sociaux virtuels, notamment Facebook, X, WhatsApp etc. Aujourd’hui, avec ces réseaux sociaux, les sujets relatifs au sport, à l’emploi, à la santé, à la sécurité et à la politique ne sont plus réservés aux seuls experts, mais ils sont l’apanage de tout le monde. Tout y est scruté, dans les moindres détails, et plus rien ne passe inaperçu ou incognito grâce aux réseaux sociaux. Concrètement, Internet a rapproché les extrémités et biffé le fossé qui existe entre les dirigeants et les employés, les gouvernants et les gouvernés. A contrario, il existe dorénavant une sorte de cogestion, voire de gouvernance participative à partir de la jonction entre le monde virtuel et le monde réel. Ainsi, incorporés et indispensables dans le quotidien des hommes, quel rôle concéder aux réseaux sociaux pour une meilleure gouvernance en Afrique ? Tel est le problème central auquel nous tenterons de répondre. De ce problème central découlent des questions subsidiaires : les réseaux sociaux ne seraient-ils pas des moyens en vue de contrôler, voire jauger certaines gestions déviantes des gouvernements africains ? Par ailleurs, la superpuissance octroyée aux réseaux sociaux n’est-elle pas à l’origine du dépérissement de l’État ? Finalement, n’est-il pas indéniable d’éthiciser l’usage déviationniste des réseaux sociaux pour une démocratie consciente ?

Cela dit, l’hypothèse centrale de ce travail consiste à montrer que les réseaux sociaux sont des moyens efficaces pour juger la démocratie dans un État. Mais, leur usage incontrôlé est l’une des principales causes de la dérive morale et un fardeau pour la gouvernance en Afrique. En un mot, l’usage des réseaux sociaux influence la morale et la politique dans les États africains. De cette hypothèse centrale, découlent trois hypothèses spécifiques. La première gravite autour de l’idée selon laquelle les réseaux sociaux apparaissent comme des baromètres pour une gestion efficiente de l’État. La deuxième hypothèse stipule que la prépondérance accordée aux réseaux sociaux est la cause de la déchéance et de la fragilité des États africains. La troisième hypothèse à vérifier est celle de l’éthicisation de l’usage démesuré des réseaux sociaux, pour une démocratie plus stable.

À partir de ces hypothèses, les méthodes analytique et critique nous semblent appropriées pour bien mener notre réflexion. La méthode analytique permettra d’analyser la mainmise des réseaux sociaux sur les politiques africaines, dans l’optique de montrer leur importance pour la consolidation de la démocratie. Quant à celle dite critique, elle permettra de remettre en cause la superpuissance des réseaux et leurs impacts sur les consciences tout en proposant des alternatives éthiques.

Concrètement, il s’agira, dans un premier temps, d’indiquer que les réseaux sociaux sont devenus incontournables dans la démocratisation des États africains. Dans un deuxième temps, l’analyse portera essentiellement sur les conséquences des usages inappropriés des réseaux sociaux qui fragilisent l’État et ses valeurs. Enfin, dans un troisième temps, l’analyse gravitera autour des perspectives éthiques, susceptibles de conforter l’humain dans la recherche d’une démocratie plus consciente.

1. Réseaux sociaux et gouvernance participative

Les réseaux sociaux sont au cœur de la gouvernance des États dans le monde en général, et en l’Afrique en particulier. Que faut-il entendre fondamentalement par gouvernance ? C’est Lacroix et al. (2012, p. 26) qui nous fournissent une définition qui semble abonder dans le même sens que nous. Selon eux, la gouvernance est

l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir.

Autrement dit, la gouvernance est l’ensemble des lignes directrices, écrites ou non, conjointement élaborées, à partir desquelles les acteurs choisissent leurs modes de vie. Les décisions qui en découlent sont le fruit de négociation permanente des différentes parties prenantes. Ainsi, les choix opérés conduisent les décisions et autonomisent les différents acteurs impliqués. C’est dire que la gouvernance est participative et les réseaux sociaux facilitent cette participation.

De prime abord, les réseaux sociaux occupent une place de choix dans toute sorte de gestion. Que ce soit en entreprise comme dans les États, leurs influences sont palpables. Dorénavant, ils impliquent le fait que la gestion des institutions soit devenue l’apanage de tous et pour tous. En effet, au nom de la liberté d’expression instituée par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, la démocratie, à partir des réseaux sociaux, se retrouve à un point culminant de son évolution. Les articles 10 et 11 de cette déclaration stipulent que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Ces articles démontrent explicitement la participation de tous et le droit à contribuer, par ses opinions, à l’essor des institutions démocratiques, sans être inquiétés.

Dans son élan de gouvernance inclusive, les réseaux sociaux constituent désormais la continuité des services étatiques. J.-B. J. Vilmer et al (2018, p. 129), dans un rapport intitulé Les manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties, affirment :

Certains États permettent à leurs citoyens de dénoncer les fausses informations sur un site gouvernemental. En Italie, (…) un portail permet à tout un chacun, (…) d’attirer l’attention de la Polizia Postale, l’unité de la police en charge de la cybercriminalité. Le gouvernement thaïlandais, via le ministère de la Santé publique, a lancé une application mobile, Media Watch, (…) par laquelle chacun peut signaler une fausse nouvelle. L’armée chinoise a aussi mis en ligne un site permettant à la population de signaler de fausses nouvelles.

Ces affirmations montrent, sans ambages, l’apport significatif des réseaux sociaux dans les institutions de l’État. Pour être plus précis, Jean-Baptiste Vilmer et ses pairs soutiennent que certains pays tels que l’Italie, la Thaïlande et la Chine impliquent leurs citoyens dans la dénonciation des fausses nouvelles. Simplement, cette gestion participative entre l’État et les populations, à travers Internet, démontre explicitement qu’il existe désormais une passerelle, voire une relation intrinsèque entre les deux entités.   

Par ailleurs, cette passerelle entre l’État et les populations trouve son point d’achèvement, encore plus, dans la politique. En effet, les réseaux ont généré une gouvernance inclusive à travers le virtuel qui s’entremêle avec le réel, dans les décisions et les choix politiques. A. Minc (2016, p. 2) exprime parfaitement cette corrélation lorsqu’il affirme : « Internet n’est plus un simple segment de la réalité. Il est la réalité ». En d’autres termes, il ne faut plus penser que Internet ou les réseaux sociaux sont distants de la réalité. Mais, plutôt, il faut les accepter comme étant la réalité elle-même.

Ensuite, l’on retient que la gestion des États actuels ne peut se départir de l’influence des réseaux sociaux, car ils ont créé le trait d’union entre le virtuel et le réel. À partir de là, les réseaux sociaux dessinent l’avenir des États. Pour C. Stener (2016, p. 85), « les réseaux sociaux sur Internet sont aussi des compléments aux réseaux sur le terrain. L’association du virtuel et du réel est indispensable comme l’a montré l’élection de Barack Obama en 2008. Il n’y a pas d’opposition mais plutôt une complémentarité entre les deux ». Selon lui, il existe factuellement une corrélation entre les relations qui existent sur Internet et celles des sociétés physiques et morales, grâce à l’élection du président Barack Obama. Cela prouve clairement que les réseaux sociaux représentent une force de décision.

Encore, l’une des originalités des réseaux sociaux, dans l’élan de démocratisation de nos États, c’est qu’ils ont clairement biffé l’ossature des systèmes gouvernementaux, le mystère autour de la personnalité politique est désacralisé. Déjà, Akinola Olojo et Karen Allen (2021, p. 2) le faisaient remarquer lorsqu’ils soutenaient : « Les plateformes digitales permettent aux citoyens d’exprimer leurs préoccupations et d’interagir plus directement avec ceux qui gouvernent ». Autrement dit, les réseaux sociaux ont brisé le complexe entre l’État et ses administrés. Immédiatement, à travers les réseaux sociaux, les citoyens identifient leurs préoccupations, contentements ou mécontentements et les communiquent directement aux dirigeants.

Par conséquent, ce processus de communication, souvent sans filtre, conditionnent certaines décisions importantes au niveau de la haute sphère politique. Désormais, les réseaux sociaux sont une force de décision indéniable, voire de pression sur les États. D’ailleurs, cette force serait certainement au fondement, dans un premier temps, des limogeages de Koné Mariam, directrice de l’Office National du Sport ivoirien et de son directeur administratif et financier. Ses limogeages sont intervenus après la grogne populaire, sur les réseaux sociaux, se rapportant au match amical qui opposait la Côte d’Ivoire au Mali, au stade Alassane Ouattara d’Ebimpé. Dans un second temps, cette grogne serait probablement à la base de la non-présence, dans le nouveau gouvernement de Robert Beugré Mambé, de Danho Paulin, alors ministre des sports. C’est dire que les réseaux sociaux ont un impact sur les prises de décisions étatiques.

Derechef, le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly a tort de banaliser les réseaux sociaux lorsqu’il déclare : « Je ne m’informe pas sur les réseaux sociaux, ce sont les lieux d’expression d’émotion et où malheureusement tout le monde est expert » (https://fb.watch/n-fFHh7330/?mibextid=Nif5oz, consulté le 13 septembre 2023 à 20h15min). En d’autres termes, des réseaux sociaux, l’on ne peut rien savoir qui soit rationnel, parce qu’ils sont les lieux d’expression des émotions. Pire, il sous-entend que les réseaux sociaux expriment simplement des opinions issues des émotions. Pourtant, nous le savons avec G. Bachelard (1938, p. 14) que « l’opinion pense mal. Elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance ». Alors, d’après le porte-parole, il n’y a rien de sérieux que l’on puisse tirer des réseaux sociaux, parce que les opinions qui y sont exprimées sont mal élaborées par des pseudo-experts qui n’ont aucune qualification. Pourtant, force est reconnaître la prépondérance de ces instruments dans l’orientation de la vie sociale et politique.

Il est important de préciser que les réseaux sociaux contraignent les États à une meilleure gouvernance. C’est O. Ezratty (2016, p. 86) qui trouve les mots justes pour l’exprimer. Pour lui, « les réseaux sociaux sont aussi de puissants contre-pouvoirs et outils de dissémination de l’information dite “citoyenne”. Ils menacent les régimes politiques non démocratiques qui en bloquent parfois le fonctionnement ». Il faut comprendre, à partir de cette affirmation, que les réseaux sociaux sont des outils privilégiés, que les peuples utilisent, pour diffuser des informations susceptibles de s’opposer aux décisions arbitraires de l’État. Les réseaux sociaux se comportent désormais comme une force vive de l’opposition, indépendante et de contre-pouvoir. C’est pourquoi, il arrive très souvent que les populations en soient privées, comme cela a été le cas au Gabon, l’hors des élections générales du 26 août 2023.

En sus, les réseaux sociaux sont des jauges pour contrôler la gouvernance des institutions et des pays ; dans la mesure où ils aiguiseraient ou métamorphoseraient la démocratie, alors sous les auspices des seuls gouvernants.  Dorénavant, les réseaux sociaux obligent les politiques à plus de transparence, de cohérence et de compétence, car leurs déclarations sont visionnées, discutées, analysées et traitées méticuleusement. B. Thieulin (2016, p. 32) voit juste lorsqu’il affirme : « Internet modifie également structurellement la manière dont le pouvoir s’exerce à travers des consultations publiques en ligne. (…) Le pilotage des politiques publiques est également rendu plus efficace ». D’après cette affirmation, le mode de gestion des pouvoirs publics, grâce aux analyses et critiques des réseaux sociaux, a foncièrement modifié la structuration de l’État et rendue efficace sa gestion.

Finalement, les réseaux sociaux ont permis de décentraliser le pouvoir. En un mot, ils ont démocratisé les pouvoirs et donné un véritable sens au pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Désormais, « les politiques doivent gérer un équilibre délicat : être soi-même, mettre en avant leurs collaborateurs (peuples), faire preuve d’un maximum de transparence, gérer les crises en temps réel », (O. Ezratty 2016, p. 87). C’est dire que la pression populaire, à travers les réseaux sociaux, est importante et nécessaire pour une gestion optimale des démocraties africaines. Cependant, cet important rôle que jouent les réseaux sociaux, dans l’expression démocratique, ne serait-il pas au fondement du dépérissement des États africains ?

2. Les réseaux sociaux et le dépérissement de l’État : vers la crise des valeurs morales

Les réseaux sociaux ont accentué la crise de la démocratie et la perte des valeurs morales. En effet, au nom des libertés d’expression et de communication, tout sur Internet n’est plus net à entendre et à voir. La superpuissance concédée aux réseaux sociaux entraine peu à peu l’affaiblissement des États, car ils ne sont plus toujours souverains et crédibles. À propos, E. Bernays (2007, p. 46) soutient :

Nous avons donc volontairement accepté de laisser à un gouvernement invisible le soin de passer les informations au crible pour mettre en lumière le problème principal (…). Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse (…) désignent les questions dites d’intérêt général ; nous acceptons qu’une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons.

Autrement dit, les autorités ont laissé aux réseaux sociaux, ce pouvoir virtuel, la latitude de décider et de choisir les priorités des sociétés et des États. Facilement, nous avons laissé libre cours aux influenceurs, de ces médias, de désigner les problèmes dits d’intérêt général. Sans aucune inquiétude, ces influenceurs, quels qu’ils soient (guide moral, pasteur, web-humoriste, artiste etc) sont les nouveaux portevoix du peuple. Ils sont, très souvent, invités par des autorités publiques dans les prises de décision, parce qu’ils représenteraient l’opinion publique. Précisément, ce sont eux qui dictent les règles de conduites sociales, applicables à tous avec ses lots de dérives qui l’accompagnent.

Il est évident que la déclaration des droits de l’homme accorde la prééminence à l’expression, mais force est de constater qu’au nom de ces droits, l’intégrité de l’État est entamée. L’État ne peut qu’être fragilisé et mis à nu du fait de certains activistes qui le déconstruisent et projettent de le détruire. L’on se souvient des déclarations du cyberactiviste Pierre Assalé Niangoran, plus connu sous le pseudonyme de Peter 007, faisant l’apologie de coup d’État contre le président ivoirien, Alassane Ouattara. Il disait :

Je suis prêt pour un coup d’État, (…) j’ai fait onze ans de servie au près, je fus partie de la force spéciale du GSPR pendant onze ans, on a fait la guerre jusqu’au dernier auprès de Gbagbo. Le président Alassane Ouattara aime la force, ce monsieur-là, il est Mazo, c’est un menteur. Il aime la force (https://www.koaci.com, consulté le 02 octobre 2023 à 09h04 min ).

Ces propos gravissimes, tenus à partir des réseaux sociaux, montrent à quel point nos États sont exposés. Selon les dires de ce cyber-activiste, il serait apte à détruire son propre pays avec les institutions qui l’incarnent, notamment la destitution forcée du chef de l’État.

Il faut noter que les réseaux sociaux sont visiblement les lieux où se développe la propagande. En effet, les propagandistes utilisent ces canaux de communication pour manipuler les informations dans le but d’influencer les consciences et de les mener à leur guise. J.-B. J. Vilmer et al(2018, p. 45) reconnaissent que « ce sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l’opinion publique, exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d’autres façons de relier le monde et de le guider ». Autrement dit, les influenceurs, propagandistes sont les nouveaux maîtres de l’agora. Ils manipulent et conduisent l’opinion publique en exploitant les ressources sociales et en surfant sur les difficultés existentielles.

De plus, la propagande orchestrée sur les réseaux sociaux a impacté les grandes démocraties et engendré des clivages et le déchirement du tissu social. J.-B. J. Vilmer et al (2018, p. 25) constatent :

Les manipulations de l’information, toutes virtuelles qu’elles peuvent paraître, ont de nombreux effets bien réels, et parfois physiques (…). Elles ont divisé les opinions publiques, semé le doute quant à la véracité des informations délivrées par les médias de référence, renforçant le rejet dont ces derniers peuvent faire l’objet. Elles ont joué un rôle dans des crises diplomatiques majeures (Ukraine, Syrie, Golfe).

La manipulation de l’information par les propagandistes, via les réseaux sociaux virtuels, peut avoir des conséquences graves et réelles. Pour se rendre à l’évidence, rien que ces dernières années, ses conséquences se sont ressenties dans les élections de plusieurs pays dits démocratiques. Ses effets sont palpables, car ils ont créé des dissensions, suscité le doute, nourri les clivages et seraient au fondement de l’amplification des crises en Ukraine, en Syrie et dans le Golf.

L’un des reproches majeurs adressés aux réseaux sociaux, c’est qu’ils ont contribué valablement à l’expansion du terrorisme. Les djihadistes ont trouvé un terrain propice pour se développer et impacter les consciences. Selon C. S. Liang (2015, p. 2), le virtuel a offert des opportunités pour mener des opérations terroristes. Cette idée se fonde sur la déclaration d’Ayman al-Zawahiri, ancien chef du réseau terroriste Al-Qaïda de 2011. Pour s’en rendre compte, écoutons ce qu’il dit, à travers ce compte rendu de Vilmer Jean-Baptiste Jeangène (2018, p. 44) : « Nous sommes dans une bataille, et plus de la moitié de cette bataille s’effectue dans les médias. Dans la bataille médiatique, nous luttons pour conquérir les cœurs et les esprits de notre Oumma ». En d’autres termes, le terrorisme est une guerre aussi médiatique et les réseaux sociaux sont les lieux de prédilection pour conquérir les cœurs et justifier les actes terroristes.

Dans cette même perspective, les réseaux sociaux ont servi de canaux de recrutement de nouveaux adhérents à Daech ; et cela, les États impuissants n’ont pu les freiner. C. S. Liang (2015, p. 2) renchérit sur l’usage controversé des réseaux sociaux, quand il affirme : « La campagne de Daech sur les médias sociaux lui avait permis d’attirer plus de 18 000 soldats étrangers, venant de plus de 90 pays ». Cela veut dire que les réseaux sociaux sont des outils très efficaces pour recruter des terroristes, dans tout le monde entier.  

Par ailleurs, les réseaux sociaux ont encouragé l’explosion des théories complotistes ou conspirationnistes contre des régimes dans l’optique de dénigrer, voire déstabiliser le pouvoir. K. Popper (1966, p. 67) déclare :

Il existe une thèse, que j’appellerai la thèse du complot, selon laquelle il suffirait, pour expliquer un phénomène social, de découvrir ceux qui ont intérêt à ce qu’il se produise. Elle part de l’idée erronée que tout ce qui se passe dans une société, guerre, chômage, pénurie, pauvreté, etc., résulte directement des desseins d’individus ou de groupes puissants.

Karl Popper considère que tous ceux qui utilisent comme alibi, les phénomènes sociaux, notamment la guerre, le chômage, la pénurie et la pauvreté pour inciter les populations vulnérables à la révolte, sont des complotistes. Pourtant, ces cas sont légions sous nos tropiques. En Côte d’Ivoire, il y a quelques années, l’on a connu le cyber-activiste Christ Yapi qui n’hésitait pas à divulguer des informations de l’État qui étaient sensées tenues secrètes. Avec lui, l’État était nu, parce que sa confidentialité était à découvert.

Encore, l’usage incontrôlé, parfois inapproprié des réseaux sociaux a abouti à la crise de l’autorité. En effet, il n’est plus rare de voir des individus, dissimulés derrière leurs claviers, adresser des propos acerbes à des autorités de tout ordre. Ce constat ne laisse pas indifférent Umberto Eco ; c’est pourquoi il affirme :

Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel (https://citations.ouest-france.fr/citation-umberto-eco/reseaux-sociaux-donne-droit-parole-125389.html, consulté le 05 octobre 2023 à 11h57min).

En d’autres termes, à cause des réseaux sociaux, tous les ignares ont le droit de parler et de se prononcer sur tout type de problème qui nécessitait, auparavant, un minimum de connaissance ou une expertise. Umberto se désole de savoir que les érudits ne sont plus écoutés, ni suivis. Contrairement aux ignorants qui, par le passé, ne s’exprimaient que dans les bars. Nullement, ils n’avaient droit à la parole. Justement, c’est parce que des légions d’imbéciles ont droit à la parole, grâce aux réseaux sociaux, que nos mœurs se sont perverties, qu’il devient plus qu’impérieux d’éthiciser l’usage des réseaux sociaux.

3. La gouvernance face aux doubles usages des réseaux sociaux : quelles alternatives ?

L’usage des réseaux sociaux est ambivalent et controversé. Alors, il mérite qu’on lui prête attention en le canalisant à l’effet d’amoindrir ses effets néfastes sur les consciences et son implication démesurée sur la démocratie. Pour se faire, il nous faut convoquer les principes juridiques et établir une éthique qui s’adosse sur certaines normes culturelles africaines. 

D’abord, au plan juridique, il faut l’admettre, la liberté d’expression est un droit fondamental pour l’individu. Mais, il faut savoir raison garder, ce droit n’est pas absolu. Alors, on ne peut pas tout dire sur Internet sans être inquiété par la loi. En effet, l’article 4 de la déclaration universelle des droits de l’homme confère certes à l’individu son droit à la parole, mais il précise également que ce droit doit être encadré par la loi et ne doit pas nuire à autrui. En France, par exemple, c’est la loi Léotard relative à la communication, qui donne l’explication la plus aboutie. Il s’agit de la Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (telle que modifiée jusqu’au 6 août 2018). Cette loi stipule :

La communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propreté d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale.

Cette loi traduit l’idée selon laquelle la communication via les réseaux sociaux est libre. Cependant, cette liberté doit être régie par des lois qui l’encadrent.   D’abord, cette communication doit respecter la dignité humaine. En aucun cas, cette dignité doit être assujettie au nom d’un prétendu droit à l’expression. Ensuite, cette communication doit tenir compte de la diversité des opinions et doit veiller à la sauvegarde de l’État.

De plus, si l’on veut sauvegarder la dignité humaine, il faut nécessairement punir sévèrement les propos diffamatoires qui sont en cours sur les réseaux sociaux. En effet, la loi du 29 juillet 1981 relative à la liberté de la presse, en son article 29, définie la diffamation comme :

Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.  

La diffamation consiste à dire ou attribuer des propos désobligeants qui portent atteinte à l’honneur ou au respect d’une personne ou d’une institution. Aussi, toute information diffusée intentionnellement ou partagée par ignorance, à propos d’un individu qui l’indigne, doit être punie. C’est à ce seul prix que les réseaux sociaux pourraient être assainis.

Ensuite, il faudrait durcir les lois relatives aux images obscènes sur les réseaux sociaux. Le récent cas de la blogueuse, la dénommée Lolo Beauté, laisse à désirer. En effet, cette influenceuse a diffusé sur son compte Meta, des vidéos la montrant dans des postures totalement indécentes avec une exhibition de son intimité. Après avoir pris connaissance de ces actes à caractères pervers, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) a pris des dispositions qui, d’ailleurs nous semblent très flexibles, vu l’impact que cet acte pourrait avoir sur les consciences et la jeunesse particulièrement. Entre autres dispositions, comme le rapporte le site Koaci.com, l’on peut citer « le retrait immédiat de ces vidéos, abjectes tant par les images que par les commentaires ; la restriction du compte Meta de la dénommée Lolo Beauté pour une période de 30 jours ; la non-certification (monétisation) du compte, en lien avec les vidéos incriminées » (https://www.koaci.com, consulté le 02 octobre 2023 à 14h15 min).

Par ailleurs, la nécessité d’instaurer un cadre éthique, applicable sur les réseaux sociaux, pourrait contribuer efficacement à restaurer la morale, à consolider la démocratie participative et à donner un sens à l’existence humaine. En clair, parler d’éthique dans l’usage des réseaux sociaux, c’est admettre, d’après A. G. Legault et al (2000, p. 20), que la

vie humaine est tributaire du sens autant que de l’efficience. L’agir humain ne peut se réduire, si ce n’est en réduisant l’humain, à la seule motivation de maximiser son intérêt personnel. Réhabiliter la sphère du sens, du sens de l’agir, du sens des affaires privées ou publiques, du sens des agirs et des décisions de vie, tel est le projet audacieux de toute parole éthique.

L’existence humaine, en tant que réalisation de soi, ne saurait être restreinte. Elle trouve justement son sens dans l’affirmation de soi et son rapport aux autres. Cependant, son intérêt est d’être au centre des attentions, en piétinant souvent les valeurs existentielles préétablies. Alors, réhabiliter la dignité humaine, face aux tentations matérialistes, tel est l’objet de l’éthique.

Qui plus est, pour éthiciser les réseaux sociaux, il nous faut obligatoirement vulgariser et adopter des principes tels que le respect de la vie privée, le respect d’autrui, la tolérance, le pardon et la prudence. À juste titre, la Fédération Française de Tennis (FFT) (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min) énumère quant à elle plusieurs suggestions. D’abord elle invite à une protection individuelle sur les réseaux sociaux à partir de ces termes : « Vos propos vous engagent. Pensez à l’image que vous donnez de vous à travers vos publications. Préservez votre vie privée et vos données personnelles. Veillez à ne pas trop passer de temps sur les réseaux sociaux » (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min). L’idée sous-jacente de cette invitation est de responsabiliser l’usage des réseaux sociaux pour ne pas prêter le flanc aux détracteurs et chasseurs d’information sur Internet.

Par la suite, elle invite à la courtoisie et à la politesse sur les réseaux sociaux. À propos, elle affirme : « La forme des messages sur les réseaux sociaux est importante. Comportez-vous comme si vous étiez en face de la personne. De manière générale, ne prenez pas le réseau social comme un paravent pour faire ce que vous ne feriez pas lors d’une conversation réelle » (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min). Cela dit, les réseaux sociaux ne doivent pas être un meuble derrière lequel, l’on se terre pour dire des paroles injurieuses, discourtoises et répandre des invectives.

Aussi ajoute-t-elle, il faut toujours prendre le temps de passer les informations aux cribles de la raison ou les vérifier avant de les relayer. Pour être plus précis, elle intime l’ordre suivant : « Ne relayez pas aveuglement les messages d’autrui. Autant que possible, vérifiez et citez vos sources. Ne partez jamais du principe que tout ce que vous trouvez sur internet est vrai et à jour » (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min). En d’autres termes, il faut se garder de partager les messages publiés par autrui. En dehors de cela, il faut toujours vérifier la source des informations avant de les publier. Surtout, il faut savoir tout ce qui se trouve sur Internet n’est pas vrai et juste, donc il est important de citer l’origine des informations que l’on veut publier.

Enfin, il faut recourir à certaines valeurs traditionnelles pour éthiciser les réseaux sociaux. Entre autres valeurs, l’on doit recourir au fait de ne pas injurier ses aînés. Le droit d’ainesse est une institution africaine qui permet de préserver le respect d’autrui, de ne pas appeler les personnes âgées par leurs noms, de céder la place aux personnes âgées. Si l’on a recours à ce principe traditionnel, cela aidera à moraliser la jeunesse.  

Derechef, comme autres valeurs essentielles il s’agira d’inculquer aux usagers des réseaux sociaux le fait de ne pas prendre la parole publiquement sans y être autorisé ; de considérer la sacralité de la nudité ; le sens du respect de l’autorité ; la solidarité ; l’honneur, l’obéissance etc. Ainsi, si l’on veut amener l’Afrique à être la référence des autres continents, il lui faut contrôler et restreindre l’usage d’Internet en impliquant les parents dans la surveillance des données mobiles de leurs enfants. Aux opérateurs de téléphonies mobiles, il est proposé de restreindre l’usage des réseaux sociaux aux mineurs, parce que facilement influençables. Il est aussi proposé de conditionner l’usage des réseaux aux utilisateurs analphabètes. Pour le législateur, il est proposé de légiférer et contraindre les fabricants d’appareils à intégrer un système de blocage automatique pour les diffuseurs de contenus obscènes et tendancieux.

Conclusion

Pour finir, il convient de retenir que l’usage des réseaux sociaux a une double conséquence. Certes, il permet de consolider la démocratie, mais a contrario ses intentions démesurées fragilisent l’État et ont un impact considérable sur les valeurs morales. Pour réduire ses apports néfastes, il est nécessaire de l’éthiciser en associant les normes juridiques aux valeurs culturelles.

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IMPACTS DES RÉSEAUX SOCIAUX ET DYNAMIQUES DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE ENTRE EXCENTRICITÉS                 ET ESPÉRANCES LÉGITIMES !

1. Séa Frédéric PLÉHIA

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

sfplehia@gmail.com

2. Nanou Pierre BROU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

nanoupierre@yahoo.fr

Résumé :

La célérité avec laquelle se diffuse aujourd’hui l’information par le biais des réseaux sociaux et leurs impacts sur l’existence des citoyens du monde en général et des Africains en particulier, démontrent largement que les moyens de communication connaissent une expansion vertigineuse eu égard à une digitalisation accrue des données techniques mobilisées. Et du fait de cette « révolution copernicienne » qu’accomplit la presse sociale, et ce contre les contrôles tentaculaires des politiques réactionnaires, la promesse d’une espérance démocratique en Afrique, se trouve de plus en plus manifeste tant l’espace communicationnel n’est plus hermétiquement clos mais plutôt prodigieusement ouvert. Nonobstant cette dynamique séduisante des médias numériques, la question de recherche qui interpelle raisonnablement, pourrait s’énoncer ainsi qu’il suit : la presse digitale peut-elle contribuer à la consolidation méliorative de la démocratie ou à son délitement irréversible en Afrique ? C’est à proposer une réplique valide à cette problématique que les méthodes analytique, sociocritique et heuristique seront diligentées dans la présente étude en vue, d’une part, de juger de l’utilité avérée ou non des réseaux sociaux dans l’implémentation des dynamiques socio-culturelles, pour à terme en évaluer les apports bénéfiques indéniables ou dommageables à l’émergence d’une Afrique plus démocratique, d’autre part. Quitte à paraître trop exigeant vis-à-vis des réseaux sociaux, il s’agira ici de proposer une réforme sans équivoque de la presse sociale. Cela requiert notamment de la part des gouvernants, un remède de cheval qui se déclinerait en termes de normes éthico-juridiques à mettre en œuvre en vue de corriger, de façon pérenne, tous les dysfonctionnements observés jusqu’ici.

Mots clés : Communication,Démocratie, Digitalisation, Espace virtuel, Turbo-communication.

Abstract:

The speed with which information is disseminated today through social networks, and their impact on the existence of citizens of the world in general and Africans in particular, testify that the means of communication are experiencing a dizzying expansion in view of to increased digitalization of the technical data used. And because of this “Copernican revolution” that the social press is carrying out, and against the sprawling controls of reactionary policies, the promise of democratic hope in Africa is becoming more and more evident as the communication space is more hermetically closed but rather prodigiously open. Notwithstanding this attractive dynamic of digital media, the research question which raises reasonable questions could be stated as follows: can the digital press contribute to the meliorative consolidation of democracy or to its irreversible disintegration in Africa? It is to propose a valid response to this problem that the analytical, sociocritical and heuristic methods will be carried out in the present study with a view, on the one hand, to judging the proven usefulness or not of social networks in the implementation of socio-cultural dynamics, to ultimately assess their undeniable beneficial or damaging contributions to the emergence of a more democratic Africa, on the other hand. Even if it means appearing too demanding with regard to social networks, it will be a question here of proposing a reform of the social press which requires in particular from those in power a horse remedy which would be declined in terms of ethical-legal standards to implemented with a view to permanently correcting all the dysfunctions observed to date.

Keywords : Communication, Democracy, Digitalization, Virtual space, Turbo-communication.

Introduction

Si le suffrage universel apparaît sans contexte comme le levier politique en considération duquel se juge la vitalité démocratique au point d’en constituer son palladium, son pendant naturel l’accompagnant, c’est la ferveur de la liberté d’expression à l’œuvre dans les médias numériques. Dans cette perspective dynamique, la presse digitale au travers du grand village planétaire qu’elle interconnecte, propose des fora d’interactions virtuelles qui propagent l’information en temps réel. En matière de gouvernance aussi, sa contribution à l’expansion démocratique, notamment en Afrique, s’apprécie en termes de sensibilisation de l’opinion publique sur des sujets d’intérêts comme la scolarisation de la jeune fille, les Droits de l’Homme, les violences basées sur le genre, la justice sociale, etc. Or, en dépit de cette part importante que prennent les réseaux sociaux dans l’existence factuelle des citoyens du monde, ils incarneraient autant de tares répulsives et criardes qui nuisent incontestablement à leur réputation. 

Dès lors, la question de recherche qui pourrait être mise en lumière, eu égard au développement dynamique des réseaux sociaux en matière de communication, se libellerait de la manière subséquente : la presse sociale peut-elle impacter positivement les dynamiques démocratiques en Afrique ? Dit autrement, la presse digitale participe-t-elle activement au processus de démocratisation des États africains ? Dans quelle mesure, y favoriserait-elle une expression libre, plurielle, équilibrée et bénéfique de l’information ? Toutefois, et ce au regard de l’usage incontrôlé et distrait qui en est souvent fait, ne peut-on pas en dénoncer ses nocuités, au point d’en appeler à un contrôle législatif minimal, si tant est que la volonté politique de rigueur, c’est de faire en sorte que la communication numérique incarne la clé de voûte de la consolidation des acquis démocratiques en Afrique ? Somme toute, c’est à coordonner l’inventaire des esquisses de solution à cette problématique d’ensemble que vont se consacrer les analyses à venir.

1. Le boom du passage de la communication classique à la communication numérique

L’essor fulgurant du numérique incline le nomothète moderne à inventer un florilège de néologismes, pour décrire de nouvelles conjonctures de communication. Mais dans la multitude non exhaustivement inventoriée, il s’agira de réinvestir le sens à donner aux « médias sociaux ». Et répondant à ce souci de clarification, voici ce qu’en disent A. Olojo et K. Allen (2021, consulté le 30/03/2023) : « (…) Un réseau social, ou média social, est tout simplement un site internet qui consiste et permet aux utilisateurs d’échanger entre eux, de partager des contenus (…), ou de s’informer sur des sujets ». Nés, d’une part, de la volonté de diversifier les moyens de communication, et de rendre l’information accessible à une frange importante de la population, d’autre part, « les réseaux sociaux appartiennent à la famille des médias sociaux » (Idem), et ont pour vocation de se soustraire à la mainmise des politiques despotiques.

En effet, la triste vérité dans les pratiques politiques, c’est que « pour des raisons évidentes, les gouvernements ont toujours cherché à conserver à leur bénéfice exclusif l’usage des moyens d’information. C’est un fait qui n’est pas particulier à l’Afrique ». (J. Atangana, 1973, p. 45). Sauf que, les nouveaux médias sociaux vont inaugurer une nouvelle ère de communication qui trancherait absolument avec l’influence des médias traditionnels. Jadis soumise à l’autoritarisme des pouvoirs politiques et des magnats de la presse qui ne donnaient l’information que sous le prisme déformant de leur vision du monde et au bénéfice exclusif de leurs intérêts, la presse sociale va affranchir les Africains du joug pesant d’une information univoque et polémique. Comme telle, toute l’existence concrète des citoyens africains semble aujourd’hui, et ce à tous les niveaux de responsabilité, impactée par les médias digitaux.

Aussi, la tranche d’analyse à venir s’attèlera-t-elle à démontrer, d’une part, comment la « turbo-communication » apporte en temps réel une valeur ajoutée en matière de fluidité de l’apprentissage, du développement du commerce virtuel et de la diffusion de l’information, non sans en dénoncer les avatars qui liquéfieraient la culture africaine.

1.1. L’avènement d’Internet en Afrique comme l’acclimatation d’une « turbo-communication » via les réseaux sociaux

« Portée par la téléphonie mobile et les technologies de l’information et de la communication, la révolution numérique bouleverse l’Afrique » (É. Peyroux et O. Ninot, 2018, consulté le 30/03/2023), tant elle y occupe de nos jours une place charnière. Au-delà, elle laisse aisément présager l’avènement d’une “turbo-communication” qui disposerait le monde entier sous l’emprise totale du virtuel. Et, eu égard à cette ferveur passionnée qui se déploie partout, on pourrait à la limite alléguer que « la société de la communication ou du « turbo-savoir » se caractérise par l’accès virtuel, l’accès rapide » (M. Hermans, 2011, consulté le 27/03/2023) à l’information. Sous ce registre, les réseaux sociaux assurent parfaitement une mobilité des news (pour se permettre cet anglicisme) en matière d’information.

Seulement, comparativement aux médias traditionnels, il s’observe avec les médias numériques une différence abyssale en matière de communication. Tous les codes déontologiques semblent exploser sous l’activité en plein essor des réseaux sociaux. À mettre les chiffres en parallèle, déjà en 2013, on note que les statistiques exposant les vues et les activités sur les nouveaux médias restent effarantes tant ils donnent le tournis. En témoigne que, sont échangés en continu 192 milliards de sms par jour dans le monde, 181 milliards de mails envoyés en une journée dans le monde, 4 milliards de vidéos regardées sur YouTube quotidiennement et 25% des internautes actifs, 3,5 milliards de recherches sur Google en une journée dans le monde, 1,15 milliards d’utilisateurs de Facebook et 50% des internautes actifs, 546 millions de tweets envoyés en une journée dans le monde et 22% d’internautes actifs. (M. Hermans, 2011, consulté le 27/03/2023).

Si nous osons des analogies encore aujourd’hui, ces données seraient largement hors d’atteinte. Au plan politique singulièrement, tout semble sous l’emprise de nouvelles donnes qui entrent en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir. « L’impact des TIC est considérable dans la formation et le renforcement de la société civile, et plus généralement en matière de liberté d’expression. Dans les médias en ligne, les forums et les réseaux sociaux existent des espaces entièrement ouverts et échappant très largement au contrôle des pouvoirs en place ». (É. Peyroux et O. Ninot, 2018, consulté le 30/03/2023). Les médias sociaux, en interconnectant une large palette de panélistes diversifiés, offrent entre autres opportunités la possibilité, quand bien même elle soit simplement virtuelle, de se rapprocher, de maintenir le contact malgré les distances, et de favoriser après coup les échanges très enrichissants d’idées.

Dans les agoras en ligne qui se créent au quotidien, les citoyens se comportent comme de vrais acteurs ou sujets politiques qui ne sont plus de simples laissés-pour-compte qui subiraient le joug des informations. Les avis sur les sujets d’actualité, même s’ils ne sont pas toujours pris en compte par les décideurs, sont néanmoins donnés par les internautes, puisque de plus en plus de démocraties en tiennent compte pour légiférer. Ainsi, se maintient-il l’élargissement des horizons et la diversification des connaissances à tous égards. En sus, les gains en matière de postures politiques s’avèrent colossaux. Et pour cause,

Cass Sunstein rappelle à juste titre que le principe de la souveraineté politique est fondamentalement différent. « Les citoyens ne pensent pas et n’agissent pas comme des consommateurs ». La démocratie politique est le résultat d’un gouvernement de la délibération. Les choix politiques ne correspondent pas toujours aux intérêts personnels de l’individu, mais à ceux de la collectivité. L’opinion publique se construit par le débat, l’échange et la délibération. (P. Flichy, 2008, p. 163).

Outre les avantages fort notables à l’actif des réseaux sociaux, il ne faut guère perdre de vue leurs inconvénients que C. R. Sunsteindépeint bien en ces propos:« Vous allez croire beaucoup de choses qui sont fausses et vous allez manquer d’apprendre quantité de choses qui sont vraies. Et c’est terrible pour la démocratie. D’autant que ceux qui ont des intérêts spécifiques – y compris des politiciens et des nations (…), cherchant à perturber le processus démocratique – peuvent utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir leurs intérêts ». (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023). En clair, l’ouverture démocratique sous-jacente que promeuvent les réseaux sociaux, contribue éloquemment à sensibiliser l’opinion publique sur des sujets de société d’intérêts cruciaux. Et, c’est à inventorier cet ensemble non-exhaustif des désagréments imputables au recours abusif aux réseaux sociaux que va maintenant se livrer le point d’analyse subséquent.

1.2. Les carences et excès des réseaux sociaux dans l’implémentation de la démocratie

Si l’appétence pour les réseaux sociaux continue encore à surfer sur des discours accommodants, cependant des velléités de critiques opportunistes mettant en relief leurs nuisances, deviennent de plus en plus audibles tant les vérités qu’elles indexent s’avèrent alarmantes. Et pour cause !

Le premier écueil auquel doivent faire face les médias sociaux, c’est que nul n’est sans savoir que les politiques réactionnaires ont en horreur la contradiction, surtout lorsqu’elle émane des objecteurs virtuels. C’est cela qu’élucident ces élocutions de B. Voyenne (cité par J. Atangana, 1973, p. 63) : « Ceux qui détiennent quelque part dans le monde un atome de pouvoir (…) ne peuvent pas supporter d’autre image que la leur, d’autre voix que la leur ou celle du parti qui les prolonge, d’autre jugement que la louange démesurée autant qu’intéressée de leurs flatteurs à gages (…). Le politique est si peu sûr de son autorité qu’il ne peut supporter la moindre remise en question ».

Également, les données publiées par les médias numériques à des fins de partages ou d’échanges d’expériences professionnelles, sont utilisées pour cibler des politiques publicitaires et influencer des choix de consommation. Pis, l’intrusion inélégante des médias sociaux dans la sphère intime des citoyens soulève des inquiétudes quant à la protection des données personnelles et à l’exposition ostensible de la vie privée. Et paradoxalement, ce serait sous prétexte d’anticiper les périls sécuritaires auxquels exposent les réseaux sociaux que la vie privée des citoyens serait prise en étau. La vérité qui fâche dès lors, c’est qu’Internet en tant que« réseau mondial où transitent des centaines de millions de messages en une fraction de seconde pose un problème de confidentialité : vos messages peuvent être espionnés à votre insu et des pirates malveillants peuvent utiliser les données ainsi glanées pour vous nuire ». (D.-J. David, 2013, p. 262). Visiblement, tout semble prospérer sous le règne impétueux du numérique, même les pires arnaques !

De plus, sous la houlette des internautes ayant subitement voix au chapitre, la manipulation de la vérité opère sans aucune once de gêne. Désormais dans la presse, la quête du sensationnel prend l’ascendant sur la diffusion de l’information juste. Ceci explique aussi que « (…) le numérique est maintenant vivement critiqué. Internet et les réseaux sociaux peuvent desservir la démocratie, en polarisant plus encore les opinions, en facilitant les manipulations, en exacerbant les tensions » (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023) et en vidant la vérité de sa véritable substance.

À rebours de tout le bien qu’on pourrait penser d’eux, les réseaux sociaux entretiennent l’illusion factice d’être des fora à discussions, alors qu’ils promeuvent en vérité le pullulement de pseudo-débats dans lesquels les débateurs n’ont, ni l’expertise scientifique, ni la dignité sociale requises pour. Toute chose qui incline P. Flichy à écrire (2008, p. 162-163):« (…) les débats en ligne ne correspondent pas aux caractéristiques de l’espace public, à savoir un débat entre égaux où les arguments rationnels prévalent et où on cherche à élaborer une position commune ». Les internautes, sous couvert de l’impunité induite par la liberté d’expression, se croient détenteurs d’une parcelle de savoir, et invectivent sans gêne des contradicteurs qui se trouveraient souvent être des doctes du domaine indexé. Si l’impertinence caractérisée et la malséance publique y sont les lignes de conduite en vigueur, « (…) l’échange argumenté est loin d’être toujours la règle. (…) Comme le dit bien Michaël Dumoulin, on [y] rencontre en fait des « monologues interactifs ». (P. Flichy, 2008, p. 163).

Plus grave encore, derrière des faux profils, et sous le voile d’un anonymat fluctuant et bien protégé, se cachent généralement des intentions des plus malveillantes. L’omniprésence accrue de la communication numérique dissimule des pièges qui exposent à toute sorte de graves risques. Autant insinuer que, « le caractère virtuel des messages qui circulent sur Internet est la source du problème. (…) Outre commettre des infractions qui sont attribuées à la victime de l’usurpation, il y a les achats faits » (D.-J. David, 2008, p. 263) sur Internet qui exposent également à toute sorte d’escroquerie. Plus qu’alarmant, le semblant d’anonymat qu’offre internet et derrière lequel se cachent les méchantes personnes, favorise la reproduction et la multiplication des discours distillant à tour de bras la haine, la désinformation à outrance, la dépravation visuelle des mœurs à travers un exhibitionnisme sexuel outrancier, la cybercriminalité et le cyber-harcèlement.

Même les États les plus développés n’échappent guère aux intrusions criminelles des hackers piratant tout qui se trouve à découvert souvent par le biais d’« un point d’entrée sur un système informatique, le plus souvent à partir d’un accès distant, en découvrant une identité et un mot de passe. Tous les systèmes informatiques connectés au réseau Internet ont un ou plusieurs » talons-d’Achille (S. Lohier et D. Présent, 2004, p. 158). Dès lors, si on n’y prend garde en imposant un Rubicon à ne guère franchir, tous ces travers mettraient irréversiblement en péril le vivre-ensemble, voire l’existence des États du fait du caractère supranational que revêt Internet. Grossomodo, tout serait à refaire, pour utiliser l’expression bien en usage chez les internautes africains.

Eu égard à cette forme de débauche numérique qui se développe, généralement sous le regard impuissant et désabusé des pouvoirs publics, les « (…) chercheurs contestent également l’hypothèse de l’émergence d’un nouvel espace public en ligne. Ils constatent que les forums sont souvent le siège de ces guerres d’injures où les internautes défendent violemment des opinions dont ils ne veulent plus démordre ». (P. Flichy, 2008, p. 162). Au lieu d’être des fora enrichissants et constructifs d’échanges pour une société civile responsable, les espaces virtuels deviennent des foires aux injures et autres obscénités.

Enfin, les réseaux sociaux sont cloués au pilori au motif qu’ils dissimuleraient des carences qui nuisent aux dynamiques sociétales. Du constat fait par M. Hermans (2011, consulté le 27/03/2023), « les dangers des réseaux sociaux se déclinent en termes de « repli sur soi : individualisme (la démocratie nécessite la solidarité), confusion entre monde réel et monde virtuel, surtout chez les plus jeunes, cerveau émotionnel ou reptilien : choc et oubli rapide, utilisation superficielle et ludique des nouveaux médias, rejet du « politique » par des citoyens désabusés ». Les réseaux sociaux sont ostracisés pour leur capacité funeste à créer des dépendances. Dans la nomenclature approximative de ces excès, l’addiction aux réseaux sociaux se décline en termes de cyberdélinquance, cybercriminalité, cybersexualité qui sont de loin les plus graves dangers dont il faut tenter de réduire les influences.Une autre façon dissimulée de dire que, la quête de reconnaissance et d’approbation des autres, peut conduire à des déviations telles que les postures compulsives, pouvant conduire jusqu’à l’altération de la santé mentale. Malheureusement, « (…) les réseaux sociaux peuvent créer une dépendance et prendre beaucoup de temps. Ils peuvent également être une source d’anxiété et de stress, car les utilisateurs comparent leur propre vie à celle, apparemment parfaite, des autres. En outre, les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour la cyberintimidation et d’autres formes de harcèlement ». (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023). Ce qui expliquerait manifestement le « développement de la criminalité virtuelle via TOR et les Bitcoins ». (M. Hermans, 2011, consulté le 27/03/2023).

Ainsi, au lieu de servir les nobles causes de la démocratie, les réseaux sociaux ont-ils fini par l’asservir en la vidant de toute sa substantifique moelle.Et, c’est très amer contre tous ces caprices au passif de la démocratie que P. Flichy décrète (2008, p. 179) :« La démocratie réticulaire est en somme une contre-démocratie ». Pis, si rien n’est fait pour expurger la longue liste des vices qui viennent d’être inventoriés, l’agonie de la démocratie s’annonce irréversible. En clair, le fait est que les « (…) réseaux sociaux (…) donnent à chacun le sentiment fallacieux qu’il sait mieux que quiconque ce qu’il faut faire (…). Tout a concouru à la lente décrépitude de la démocratie représentative ». (D. Strauss-Kahn, 2020, consulté le 16/04/2020). Tout bien considéré, le pessimisme induit par les réseaux sociaux s’avèrerait très inquiétant pour un vivre-ensemble sain et harmonieux en régime démocratique.

Seulement, malgré toutes ces défectuosités réelles ou présomptives imputables aux réseaux sociaux, ils n’en demeurent pas moins des vecteurs fiables à l’équilibre de l’information en Afrique. Sans leurs apports incommensurables, la démocratie africaine s’en trouverait davantage muselée.

2. Les réseaux sociaux : la panacée alternative à la dictature d’une presse aux ordres en Afrique

Outre la notoriété à la fois lumineuse et désastreuse dont jouissent les réseaux sociaux dans l’existence des citoyens du monde, ils étendent également ces influences similaires à l’acclimatation de la démocratie en Afrique. Autant le monopole de la diffusion de l’information appartient, comme pouvoir souverain et inaliénable, à l’État qui en jouirait comme bon lui semble, autant il faut convenir, comme l’avers de la médaille que « la vérité d’État a toujours pour revers l’imposture d’État ». (J. Rostand cité par J. Atangana, 1973, p. 47). À la vérité, l’État en collectant l’information, la traite au préalable avant de la divulguer sous l’angle d’approche qui lui serait favorable. La vérité politique à intégrer, c’est que l’information se travaille avant d’être divulguée.

Partant de ce postulat qui admet la dualité de la vérité dans la presse depuis Mathusalem, on pourrait aussi noter que les médias sociaux en tant qu’alternative à la presse traditionnelle, rencontrent un réel engouement auprès des populations, notamment jeunes. Et, toutes les commodités qu’ils proposent, participent d’une façon ou d’une autre à impacter qualitativement la démocratie en instituant une assemblée non-close, mais ouverte et où les débats virtuels s’opèrent sans mandat préférentiel préalable. Comme tel, « (…) Internet est souvent présenté comme une nouvelle agora électronique. (…) Howard Rheingold compare longuement Internet à l’espace public habermassien, il y voit un dispositif capable de revitaliser la démocratie » (P. Flichy, 2008, p. 162), de la stimuler.

Par contre, pour des analystes ayant un jugement suspect à l’égard des médias sociaux, il se développe de façon insidieuse une démocratie numérique qui défère tout le pouvoir de décision aux internautes qui pensent ainsi détenir la part la plus importante de l’exercice du pouvoir politique au point où P. Flichy trouve judicieux d’alerter en ces termes (2008, p. 162) : « (…), l’objectif de la cyberdémocratie devient l’hyperdémocratie » puisque le numérique a tendance à vouloir supplanter la démocratie classique. Par ailleurs, si « informer (…), c’est tout le contraire de faire de la propagande », (J. Atangana, 1973, p. 64), autant se demander, comment permettre à la fois aux réseaux sociaux de servir de substrat à la démocratie chancelante en Afrique, tout en se gardant de tomber dans les travers pernicieux de l’hyperdémocratie qui pourraient contribuer à dégoûter de par leur influence ? Aussi, cette séquence analytique à venir se donnera-t-elle pour impératif de révéler en quoi les réseaux sociaux aident à asseoir une liberté d’expression non-embastillée.

2.1. L’explosion d’une nouvelle liberté d’expression à l’œuvre dans la presse digitale

Le débat corrélatif à la liberté d’expression n’est pas d’avènement aussi récent comme pourraient le penser les maniaques d’une modernité politique qui rechignerait à investiguer sérieusement les vestiges du passé. Déjà dans l’Empire romain, « on avait le droit de traiter de tyran un empereur défunt, de l’accuser d’avoir voulu supprimer le franc-parler (parrhèsia libertas) de l’opinion noble ». (P. Brown et al, 1999, p. 163). C’est sans doute cette quête avant-gardiste de la libertas romana qui aurait séduit des politiques les plus téméraires depuis l’Antiquité, qui a fait son bout de chemin dans les périodes médiévale et moderne, qui continue encore tant bien que mal de tisser sa toile pour l’atteinte d’une équité plus hardie dans la manifestation des opinions publiques.

À l’inverse des médias traditionnels, la presse sociale bouleverse radicalement tous les codes du journalisme. Entre autres approches qui changent fondamentalement, l’espace en présentiel habermassien naguère dévolu aux seuls dépositaires des savoirs, fait dorénavant place à un espace virtuel dans lequel tout citoyen lambda, qui le désire, peut bien intervenir dans le débat politique. « Larry Diamond, (…) qualifia alors le numérique de « technologie de la libération ». Non seulement, il permettait d’exprimer les opinions dans leur diversité, mais aussi de mobiliser des manifestants, de surveiller le déroulement des élections et d’interpeller les dirigeants corrompus ou incapables ». (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

Dans ce nouveau monde informationnel en perpétuelle création, il n’existe plus de domaine réservé à quelques privilégiés. Bien plus, « (…) Internet s’inscrit également dans un contexte de large diversification des médias, où le récepteur est face à une offre beaucoup plus étendue qu’auparavant ». (P. Flichy, 2008, p. 163). L’information alléchante s’offre sans filtre à l’internaute et échappe pour ainsi dire au pouvoir coercitif en amont que s’imposait le journaliste de métier. La palette diversifiée des sources d’information à l’ère du numérique est telle que, l’existence du citoyen ordinaire s’en trouve bonifiée. Entre autres bonus, « Internet propose une information riche et abondante, quantitativement très importante. (…), contrairement à la presse ou à la télévision, l’information sur le web reste disponible de façon permanente. Il est suffisant d’indiquer ici qu’Internet est devenu aujourd’hui un média majeur » qui jouit d’un grand prestige. (P. Flichy, 2008, p. 163).

En régime démocratique, le digital fait une percée remarquable au point où ses thuriféraires ne s’embarrassent guère d’inférer :

(…) Internet n’a pas en lui-même d’effet négatif sur la délibération démocratique. Il s’est en partie moulé sur les caractéristiques de notre société, mais il offre aussi de réelles opportunités pour de nouvelles formes démocratiques multiples et réticulaires où le citoyen ne se contente pas d’élire ses représentants, mais où il peut faire connaître son opinion, débattre, surveiller et évaluer les actions de ceux qu’il a élus ». (P. Flichy, 2008, p. 163).

Avec les médias sociaux, apparaît un nouveau type de citoyen épanoui sous les auspices d’une existence débarrassée de certaines pesanteurs sociétales qui encellulaient autrefois son vécu. La société, naguère close en Afrique, joue aujourd’hui sur le modus operandi de l’ouverture aux autoroutes de l’information qui ont un impact indéniable sur son modèle démocratique. Mais comme « en Afrique, les réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook et WhatsApp se transforment de plus en plus en une scène sur laquelle la tension entre l’État et la dissidence (…) » s’observe, (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023), alors c’est à vouloir contrôler le monopole de cette nouvelle presse que se livrent désormais les régimes en place et leurs oppositions.

2.2. Les pouvoirs dictatoriaux à la croisée des chemins sous l’autorité dynamique des réseaux sociaux

Le déficit et l’absence de liberté dans la presse traditionnelle justifient largement toute la mésestime que les modernes lui vouent. Pour rappel, d’après le rapport de F.-X. Verschave, sur le génocide rwandais, les organes français d’information ont donné dans l’intoxication et la désinformation, entendu que « les deux tiers de la presse écrite appartiennent à des marchands de canons, Dassault et Lagardère. Un certain nombre de journalistes sont tenus individuellement, par de vieux mécanismes de pression, les divers chantages et corruptions classiques par l’argent, le sexe, l’alcool, tous ces ressorts humains, trop humains ». (Cité par S. Smith, 2003, p. 97). En vérité, les tuteurs de tout acabit tiennent en laisse les hommes de presse et les contrôlent au point souvent de les transformer en banals propagandistes qui ne peuvent nullement agir librement.

C’est en réaction contre cette nébuleuse mafieuse que va naître la presse sociale pour définitivement sortir les médias des oripeaux du mensonge et des artifices afin de leur conférer une liberté qui ne serait plus sous l’emprise exténuante des mécènes de la presse. Le dire, c’est reconnaître comme A. Olojo et K. Allen (2021, consulté le 30/03/2023) qu’

au-delà de la portée des médias traditionnels, les réseaux sociaux sont certainement en train de changer la relation entre les gouvernements et les citoyens. Ils remettent en question l’idée que le débat public peut être exclusivement modéré par la puissance institutionnelle de l’État. Ainsi, plutôt qu’une approche descendante ou hiérarchique pour définir des règles de liberté d’expression, ces plateformes accélèrent l’émergence d’une approche ascendante ou en réseau afin que les masses ne ploient sous les jougs pesants des détenteurs du pouvoir qui voudraient toujours contrôler à la fois le débat public et le lieu de son expression, et centraliser les pouvoirs de décision.

D’une part, les nouveaux médias numériques ont désintermédié l’information comme tout le reste : les journalistes ont été dépouillés de leur ancienne fonction de gatekeepers (intermédiaires). Tout un chacun peut émettre un avis, annoncer une information dont il a été témoin, lancer une rumeur. D’autre part, le « public » d’autrefois a éclaté en une myriade de bulles. (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

En matière d’organisation des élections, avec les médias sociaux, un véritable gain substantiel normatif s’opère et offre de réelles garanties d’efficacité et de succès. Ainsi, les manipulations des résultats par le bourrage des urnes sont-elles jugulées ou à tout le moins maîtrisées dans des proportions plus acceptables.

Dans The Filter Bubble (2011), Eli Pariser, l’un des organisateurs de la campagne électorale d’Obama en 2008, a montré que la personnalisation des résultats proposés par Google et les autres moteurs de recherche, via des algorithmes, allait enfermer chaque utilisateur dans une « bulle de filtre ». En sélectionnant les informations proposées à partir de ses préférences connues, les moteurs de recherche ont tendance à confirmer chacun dans ses opinions. (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

Les béquilles de la démocratie représentative longtemps apprivoisées par un espace sanctuarisé et aux mains d’une poignée d’élites technocrates, sont à l’ère du numérique troquées par des espaces virtuels créés et modérés par des spécialistes qui en assurent la censure dont les règles d’autoréglage ne sont pas clairement définies. Sur ce, avec les réseaux sociaux, l’organisation des élections transparentes et équitables est scrutée par une masse importante d’observateurs libres et variés. Mais, malgré cette ouverture fort enrichissante, les pouvoirs politiques conservateurs font de la résistance en restreignant l’accès à Internet ou en tentant d’en contrôler le monopole.

Pour les élites politiques habituées à manipuler les messages électoraux dans l’objectif d’obtenir des votes, ces plateformes contestent leur position de privilège, bien qu’il arrive que ces mêmes élites les exploitent. L’interdiction de Twitter au Nigeria vise à refuser l’accès des Nigérians à une plateforme que le gouvernement affirme être utilisée pour menacer « l’existence (…) » du pays. (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023).

Afin de pouvoir réduire radicalement l’influence de moins en moins contenue des réseaux sociaux dans le relais des informations politiques très sensibles, des pays africains affichent nettement leur antipathie. Clairement, « le Nigeria fait partie des pays africains qui cherchent à introduire des lois que les groupes de défense des droits humains considèrent punitives, pour imposer des réglementations strictes sur l’espace virtuel dans le but de criminaliser toute critique visant le gouvernement ». (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023). Partout sur le continent africain, les hostilités à la percée numérique se font jour, intruses et audibles au point d’interpeler les organisations des Droits de l’Homme.

Or, à ériger un mécanisme de régulation de la presse sociale, la démocratie risque fort gros. Et pourtant, la quête de la vérité devrait inciter l’État à aseptiser ledit milieu sans davantage chercher à l’embrigader par des lois trop contraignantes, parce que « (…) sans journalistes qui écrivent en fonction de la vérité, (…) n’importe quel pouvoir trouvera plus facile de s’arroger quelque chose qui ne lui revient pas. Et l’arrogance [d’une presse numérique qui jouit d’une liberté illimitée] signifie le déclin de la démocratie ». (P. Fl. d’Arcais, 2003, p. 137). D’où l’urgence de légiférer sur l’impact socio-politique des réseaux sociaux en vue d’en atténuer l’influence délétère.

3. La nécessité d’un encadrement normatif des réseaux sociaux en Afrique pour une démocratisation résiliente

Si les positions des laudateurs et détracteurs des réseaux sociaux se tiennent en balance, l’opinion médiane à promouvoir in fine pour couper la poire en deux, c’est de veiller à ce que les plateformes virtuelles créent des mécanismes d’autocensure en renforçant leurs politiques de pondération qui viseraient à combattre les posts délibérément venimeux, le harcèlement et la manipulation impudente de l’information. Par voie de fait, ils assureraient ainsi la mise en place de dispositifs de balisages d’une vigilance soutenue en vue de garantir un climat politique paisible et surtout respectueux de la dignité publique. « Dans notre société de sur-information, l’information, la plupart du temps fabriquée », (E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023), il s’avère impérieux, afin de tirer pleinement parti des avantages des médias sociaux, d’encourager une assiduité en ligne circonspecte, limitée et justifiée, et de prioriser la qualité des informations à diffuser au détriment de leur quantité. Toutes ces légitimes appréhensions au sujet des réseaux sociaux font justement dire à K. Philippe : « (…) le développement d’Internet a tantôt nourri l’espoir d’une solidarité planétaire, tantôt fait redouter une uniformisation culturelle ou, à l’inverse, une dissolution du lien social dans une multitude de micro-communautés virtuelles ». (P. Cabin et J-F. Dortier, 2008, p. 81).

Si l’information s’appréhende depuis toujours comme un domaine privilégié de l’exercice de la souveraineté de l’État, alors laisser ce privilège à la charge exclusive de quelques privés fortunés au motif de vouloir promouvoir la démocratie, c’est commettre sans le savoir un crime de lèse-démocratie. En tout état de cause, « l’État, qui se dit soucieux du bien commun, ne devrait pas abandonner le vaste domaine des communications au libre jeu du marché et des intérêts privés. (…) L’État ne peut se permettre d’abandonner le quatrième pouvoir à des intérêts privés. Mais non ! L’État a sa part de pouvoir, et il n’y renonce pas si vite ! » (E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023). Sinon, il court le risque de son dépérissement inéluctable et irréversible, pour parodier Karl Marx.

En vue de juguler la lancinante question de la désinformation persistante et les méfaits sur Internet, et ce au lieu de mettre en avant une méthode d’homologation quasi-mécanique et permanente des informations, il faut plutôt s’en tenir à celles plus importantes et décisives en vue d’encourager des échanges mélioratifs à même de booster la solidarité, l’apprentissage et la paix sociale. Les informations en ligne devraient pouvoir être passées par des filtres ou passoires en vue de sélectionner celles qui sont nécessaires, pour en éliminer celles qui pourraient prêter à querelles. Dans cette dynamique, « selon Philip N. Howard, (…) environ soixante-dix gouvernements dans le monde se sont dotés de services d’influence sur Internet » (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023), pour contrer efficacement les moyens tentaculaires de la cyberguerre.

Pour ce qui est de la protection des données informationnelles liées à la vie privée, une certaine législation coercitive devrait être prise afin de contraindre les internautes à prendre conscience que les informations qu’ils divulguent à bout de bras sur la toile, pourraient avoir des conséquences blessantes, si elles s’immisçaient dans l’intimité de leurs concitoyens. Le contrôle assidu à exercer sur les paramètres de confidentialité et la limitation des données personnelles à publier devraient pour ainsi dire constituer un arsenal préventif ayant pour but de ne pas violer l’intimité des tiers. C’est en bonne logique que, « (…) de nombreux observateurs bien informés estiment qu’il est temps d’imposer des limites au pouvoir des plateformes ». (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023). Conséquemment, dans notre village devenu planétaire, où circule un flot inouï d’informations trop souvent contradictoires et attentatoires à l’honorabilité des citoyens, et où l’intrusion injustifiée dans la vie privée des individus est devenue monnaie courante, « on devrait mettre au point des stratégies pour échapper à la surveillance continuelle des médias »,(E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023) au voyeurisme effronté des paparazzis toujours en quête de sensationnel. En vue de contrôler tous ces dysfonctionnements au passif des réseaux sociaux, les pouvoirs publics devraient jouer un rôle éminemment décisif en vue de leur assurer une meilleure régulation. Des initiatives légales et des décisions plus strictes de justice devraient être décrétées pour à la fois protéger les internautes et garantir une utilisation éthique optimale des données numériques à disposition. Ceci expliquant cela, « (…) des voix de plus en plus nombreuses réclament à présent que l’oligopole qui domine l’Internet soit démantelé en vertu des lois visant les monopoles » abusifs (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

La transparence à la mise en œuvre des algorithmes et des récoltes de données reste également capitale, pour instaurer la confiance entre les utilisateurs et les plateformes. « Si les échanges sont donc en principe équilibrés, les experts jouant un rôle de médiation entre les développeurs et les novices, il y a néanmoins un risque de congestion de la communauté. Ces communautés ne peuvent se maintenir que si elles sont régulées ». (P. Flichy, 2008, p. 164). Pour finir, et ce en s’inspirant du modèle de résilience de l’Empereur Vespasien dont l’« ingéniosité n’était jamais à court lorsqu’il s’agissait d’instituer une redevance, une taxe, des droits, un péage » (L. Jerphagnon, 2008, p. 304) pour rendre l’économie romaine davantage performante, quand bien même ses initiatives draconiennes pressuraient durement ses administrés, il va falloir résolument implémenter des mesures correctives, mais incitatives visant à contrôler les nombreuses dérives nuisibles à la bonne réputation des réseaux sociaux. Dans cette optique à la fois réparatrice et coercitive, il s’agira au plan personnel d’apprendre à « (…) communiquer avec notre environnement social, avec les règles de persuasion, les conventions stylistiques et les codes de politesse » (G. Kawasaki et P. Fitzpatrick, 2015, p. xx) propres audit domaine. Également, au plan législatif, d’énormes défis urgents restent à relever. Concrètement, lesdits « besoins concernent l’authentification, autrement dit la protection contre le piratage des identités, la confidentialité, c’est-à-dire l’impossibilité d’écouter une conversation, l’intégrité de la conversion et la défense de la vie privée ». (L. Ouakil et G. Pujolle, 2008, p. 400). Mieux, sans une législation répressive et/ou canalisatrice minimale, l’apport des réseaux sociaux s’avèrera vain et stérile d’autant que leurs inconvénients équilibreraient principiellement leurs portées réelles. Notre intime conviction, c’est que « (…) la communication ne pourra jamais être totalement neutre et sans ombre », (P. Cabin, J-F. Dortier, 2008, p. 12).

Conclusion

Au terme de cette passionnante odyssée dans l’univers des médias sociaux, ce serait un véritable truisme d’inférer que les réseaux sociaux modèlent une double facette de notre modernité. D’une part, ils offrent indéniablement un éventail d’opportunités qui visent à rapprocher des hommes d’opinions éclectiques en favorisant entre eux des échanges d’expertises, selon les champs épistémologiques. Nonobstant ces bienfaits de la presse numérique en vue de l’édification d’une société africaine plus démocratique, concurrentielle et ouverte sur le monde, il serait tout aussi judicieux d’en invalider les nuisances qui seraient imputables à son utilisation irresponsable, d’autre part.

En définitive, si « le droit à l’information est de ces droits reconnus à l’homme en tant que membre responsable d’une société », (J. Atangana, 1973, p. 43), alors ce droit devra être continuellement protégé et entretenu de sorte à sans cesse chercher à l’améliorer. C’est tout l’intérêt qu’il y a à confier le plein exercice du métier de journaliste aux seuls professionnels assermentés.

Toutefois, l’ère irréversible de la dématérialisation et/ou de la digitalisation accru(e)s des services traditionnels s’imposant, en matière de communication notamment, il serait utopique d’entrevoir la possibilité d’une marche-arrière en abandonnant la presse virtuelle au profit de celle traditionnelle. Si « le bon côté de l’explosion planétaire des médias [sociaux], c’est la possibilité de transmettre des informations utiles, des savoirs susceptibles d’améliorer la qualité de vie de toute une tranche de la population » (E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023), alors les journalistes professionnels africains, en tant que labels référentiels, devraient davantage s’investir au cœur du projet numérique afin de ne guère abandonner ce domaine trop sensible aux mains des novices ne jouissant d’aucune expertise journalistique requise. Partant du postulat qu’« Internet soulève beaucoup de problèmes dans lesquels la technologie et la législation interviennent conjointement » (A. Tanenbaum, 2007, p. 886), alors le rôle régulateur des États africains pour l’édification d’un cadre législatif régulateur du numérique, s’avère certes incessible, mais il faut veiller à ce que ce dispositif normatif ne soit trop liberticide.

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RÉSEAUX SOCIAUX ET IDENTITÉ NUMÉRIQUE : QUELLE LIBERTÉ DANS l’ESPACE AFRICAIN ?

Agoussi Alphonse MOGUÉ

Université Peleforo GON COULIBALY (Côte d’Ivoire)

alphonseagoussi@gmail.com

Résumé :

Au nombre des principes fondamentaux des systèmes démocratiques, il faut compter la liberté de la presse qu’hébergent les libertés d’opinion et d’expression. C’est à l’intérieur de ce principe démocratique majeur que s’inscrit l’irruption des plateformes sociales dans la longue histoire des canaux de communications et des médias. Les canaux traditionnels de communication tels que la radio et la télévision, très souvent à la remorque de la classe politique dominante et des capitalistes, restreignent l’espace public au point d’occulter les libertés politiques des individus. Cette communication vise à montrer que le progrès démocratique, au moyen des réseaux sociaux, est loin d’être assuré. Ces réseaux, censés apporter un nouveau souffle à la dynamique démocratique, ont transformé cette dernière en un lieu de manifestation de haine et de violence qui sont au fondement des crises sociales. Toutefois, il s’impose l’idée d’une humanisation des réseaux sociaux au regard de leur usage tous azimuts à l’écart des réglementations de l’État. Cette humanisation aura sa quiddité dans l’éducation à la culture numérique pour éviter les dérives sociales et morales.

Mots clés : Crise sociale, Démocratie, Humanités numériques, Liberté d’expression, Réseaux sociaux.

Abstract:

One of the fundamental principles of democratic systems is freedom of the press, which is enshrined in freedom of opinion and expression. It is within this major democratic principle that the irruption of social platforms in the long history of communication channels and media is inscribed. Traditional channels of communication such as radio and television, very often in the wake of the dominant political class and capitalists, restrict public space to the point of obscuring the political freedoms of individuals. This communication aims to show that democratic progress, by means of social networks, is far from assured. These networks, which are supposed to breathe new life into the democratic dynamic, have transformed it into a place where the hatred and violence that are at the root of social crises can be demonstrated. However, there is the idea of a humanization of social networks with regard to their all-out use away from state regulations. This humanization will have its quiddity in education in digital culture to avoid social and moral abuses.

Keywords : Social crisis, Democracy, Digital Humanities, Freedom of speech, Social media.

Introduction

Les technologies numériques sont indispensables à la révolution sociale. Elles sont une véritable culture qui impose de nombreuses mutations dans les dispositifs médiatiques associés au débat public dans l’espace civil. Considérés comme des médias, les réseaux sociaux font office de délibération ou d’agora libre. Ils présentent un style politico-médiatique qui s’accompagne de rêves d’une société meilleure. Si la liberté d’expression est promise et garantie à tous en démocratie, elle constitue un concept fondamental dans la conjonction média et démocratie. Car, la naissance de la liberté d’expression s’appuie sur la logique d’une souveraineté populaire, contrairement aux lois divines, et fonde l’État moderne. De ce point de vue, on pourra dire que la source de la légitimité de l’État réside dans la volonté populaire traduite par la discussion publique et le processus électoral. La discussion publique offre aux citoyens la connaissance de divers points de vue et un jugement éclairé sur des sujets d’intérêt public. Puisque dans cet échange d’idées la rationalité prévaut sur les statuts, les traditions et les hiérarchisations. 

La transformation numérique a bouleversé tous nos repères sociaux et ethniques à travers une profusion inquiétante d’opinions sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, avec la révolution numérique, on peut dire, comme le clame Sertorius dans la tragédie de Pierre Corneille (1989), « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis ». De fait, les réseaux sociaux deviennent le terrain d’exercice d’un raisonnement dans une sphère publique, pour parler comme J. Habermas, permettant l’expression de la société civile appelée opinion publique. Cet exercice d’un raisonnement public change l’attitude des citoyens au regard de l’information et permet d’aiguiser leur curiosité. Malheureusement, on y trouve un foisonnement d’informations qui échappent au contrôle de l’autorité ou du régulateur. Ces informations grisaillent l’idée de transparence lorsqu’on examine les différentes publications sur les plateformes sociales. Les réseaux sociaux présentent une vie publique qui s’apparente à un véritable pandémonium où cohabitent une certaine part de demi-vérités, de silences, de mensonges, de manipulation, d’usage de fausse identité et de tentatives de séduction. Les réseaux sociaux seraient devenus tout-puissants et leur emprise sur la société rendrait l’exercice de la démocratie impossible en enchâssant des défauts rédhibitoires.

Ce corpus vise à montrer que l’influence des réseaux sociaux, dans le sens du renforcement démocratique, est loin d’être assuré. Si la liberté d’expression, à travers les réseaux sociaux, n’est pas rassurante, il convient donc de s’interroger sur les formes de déviances que ces plateformes numériques occasionnent sur les dynamiques sociales en Afrique. Alors, quels sont les impacts sociopolitiques des réseaux sociaux dans la démocratie en Afrique ? Les réflexions à ce sujet s’articulent autour de deux grandes questions. La première est celle de l’élargissement de l’espace public : quelle fiabilité accordée à l’espace public avec les nouveaux modes de participation politique en ligne lorsqu’on sait que ces données sont falsifiables ? La seconde est relative aux effets délétères sur la vie démocratique et l’engagement des citoyens : l’usage des réseaux sociaux dans le jeu démocratique n’est-il pas une entrave à l’émancipation politique dans une Afrique où la démocratie peine à décoller ? À travers la méthode analytico-critique, il s’agira de montrer le caractère ambivalent des médias numériques dans le jeu démocratique en Afrique (1), puis d’exposer les risques qu’encourt la démocratie au regard des contenus excessifs à partir d’un voilement identitaire (2), et de poser le concept des humanités numériques comme levier d’un espoir retrouvé dans le jeu démocratique en Afrique (3). 

1. Émancipation et manipulation à travers l’usage des technologies numériques en Afrique

La nouveauté a toujours suscité deux sentiments mitigés au sein de la société : l’enthousiasme et la méfiance. C’est le cas des nouvelles formes de participation politique qu’offrent les technologies de l’information et de la communication. L’usage des technologies numériques implique une diversité de dispositifs aux commodités sans cesse fluctuantes et plus ou moins sophistiquées. L’Internet a modifié de nombreux aspects de notre vie quotidienne, et la politique n’a pas échappé à ces transformations. Cette nouvelle variante de la démocratie participative autrement appelée la « démocratie électronique » constitue un ensemble de dispositifs et de procédures mobilisant les technologies de l’information et de la communication visant à favoriser la participation des citoyens au contrôle, à la discussion ou à l’élaboration des décisions publiques. « La démocratie électronique » est un concept développé par Stefano RODOTÀ et qui désigne une réflexion sur l’avenir de la démocratie alors que les technologies de l’information et de la communication redessinent les lieux où se joue la politique, abattent les frontières, nient les contraintes mêmes de l’espace et du temps.

Les technologies numériques, en infestant le monde politique, ont finalement réussi à produire un citoyen nouveau : le « citoyen électronique ». La nouvelle dynamique du numérique en politique encourage des formes de citoyenneté très actives qui font évoluer la manière de nous informer, de nous exprimer, de débattre et d’interagir avec nos gouvernants. Grâce aux réseaux sociaux, un citoyen lambda peut se permettre de s’adresser directement à une autorité politique en rompant avec les barrières protocolaires d’usage. En outre, il est à observer que la révolution des plateformes numériques, les réseaux sociaux plus particulièrement, a considérablement intensifié la vitesse de propagation de l’information. Alors qu’il « il a fallu quasiment quatre ans au KGB pour diffuser globalement la rumeur selon laquelle le virus du sida était une création du Pentagone (la fausse nouvelle est plantée dans un journal indien en 1983 mais n’atteint la presse soviétique qu’en 1985 puis les médias occidentaux en 1987) » (J.-B. J. Vilmer et al., 2018, p. 41). Les réseaux sociaux ont cette capacité de réduire ce temps à quelques minutes ou quelques heures comme on peut le constater avec l’affaire « Macron Leaks » le 5 Mai 2017.

L’influence des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et whatsapp, pour ne citer que ceux-là, en Afrique plonge dans une sorte de visibilité et de contre-pouvoir vis-à-vis de l’exécutif. Les actions en ligne sont devenues monnaie courante dans la mesure où elles offrent des possibilités d’interpellation sans commune mesure grâce aux effets des pétitions. Pour C. Chatelanat, la pétition est initiée pour faire régner la volonté du peuple au sein d’une société démocratique. À ce propos, il écrit : « La e-pétition est un outil de démocratie électronique qui s’ouvre à un public plus large. Comme celles sur papier, les pétitions électroniques visent à rassembler de nombreux citoyens autour d’une position sur un enjeu public, dans le but de peser sur les choix des gouvernants en la matière » (C. Chatelanat, 2011, p. 29). Par l’action conjuguée de l’Internet et des réseaux sociaux, tout le monde a le loisir de s’exprimer et de lancer un mouvement sur n’importe quel sujet en conformité avec les restrictions étatiques.

Ce vent d’activisme numérique en démocratie a des résultats très satisfaisants en Afrique. C’est le cas au Nigeria où la pétition mise en ligne sur la plateforme « Change.org » pour réclamer la libération des lycéennes enlevées par Boko Haram ne faiblit pas et atteint le million de signataires en moins d’un mois. Au nombre des pétitions à grand succès, nous citerons la pétition contre l’éviction de la communauté Masaї de Tanzanie et la pétition appelant à la justice après le viol de l’adolescente kényane de 16 ans, avec 1.700.000 signatures chacune en 2013. Les réseaux sociaux ouvrent une alternative de libre expression aux citoyens marginalisés et aux producteurs de médias. De plus, l’analyse des réseaux sociaux révèle des indices exceptionnels en termes de statistique dans la mesure où elle permet de détecter des mouvements artificiels (nombre d’abonnés, impressions, taux d’engagement, etc.) et coordonnés, de déterminer le nombre de personnes atteintes, y compris en filtrant les comptes automatisés (bots). À en croire J.-B. J. Vilmer et al (2018, p. 24), « le nombre de personnes atteintes ne dit pas exactement si elles sont ou ont été convaincues et si la fausse information reçue va les faire passer à l’acte (donner ses coordonnées ou de l’argent, manifester, etc.) ». Ce qui revient à dire que les données que fournissent les réseaux sociaux ne reflètent toujours pas la réalité des faits. 

Les réseaux sociaux représentent des instruments influençant directement les raisons prises par le pouvoir et en constituent des foyers de haines et de violences nées des manipulations à la fois civiques et politiques. Les exemples sur la révolution tunisienne en 2011 et, plus récemment, le cas de Durban à l’Est de l’Afrique du Sud où des appels à manifestation violentes et xénophobes ont eu lieu via les réseaux sociaux en septembre 2019. Ces événements démontrent que les réseaux sociaux sont des canaux importants de diffusions d’informations et de mobilisation. La montée en puissance des nouvelles technologies d’information et de la communication amène à s’interroger avec C. Mabi (2021) en ces mots : « quel numérique pour la démocratie ? ». Cette interrogation est un aveu sur la fragile collaboration entre la démocratie et les réseaux sociaux en Afrique. Au-delà du renforcement des liens sociaux envers les plus vulnérables grâce à une assistance médicale en ligne ou lors de la pandémie Covid-19, la démocratie numérique suscite des formes plus inquiétantes. C’est à juste titre que C. Mabi (2021) pense que les réalités du numérique sont très variées et accompagnent des dynamiques hétérogènes, voire contradictoires, et à tout le moins ambivalentes.

Ces dynamiques plurielles que suscite la participation politique en ligne « ont tendance à équiper des visions démocratiques plus inquiétantes : démocratie d’opinion, peu transparente et instrumentalisée, avec des débats de plus en plus polarisés comme ceux que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux où prolifèrent les fausses nouvelles » C. Mabi (2021, p. 90). Il y a de quoi à prendre du recul sur les effets notoires qu’impose la révolution du numérique dans l’arène démocratique. Lesquels effets font preuves de déviations d’usages qui peuvent entraîner, selon L. Boily et M. A. Chartrand (2016, p. 29), sur « les phénomènes de désinformation, d’anonymat sur les sources utilisées et de propagande ainsi que ceux de manipulation de données, d’images et d’idées que les procédées techniques viennent faciliter ». L’étrangéité de ces plateformes numériques est un souci crucial pour tous les pays africains. Cela dénote un manque de maîtrise de ces instruments qui ne peuvent qu’en toute liberté pulluler l’atmosphère politique en Afrique. Dans un contexte où les plateformes numériques sont des produits importés avec des algorithmes susceptibles de manipulations, on pourrait dire qu’il y a un déguisement hégémonique occidental qui s’exprime au cœur de ces outils de communication. Face à cette impuissance des africains dont les bases de données sont stockées en Occident, le risque de manipulations de données personnelles devient encore très grand de la part des propriétaires des réseaux sociaux. L’ouverture vers un monde très peu contrôler ou la manipulation est fréquente laisse présager un monde asocial et fragile. Cette fragilité est bien justement la source de crises sociales dans une Afrique ou le processus de démocratisation s’est fait ennemi des réalités socio-économiques (A. A. Mogué, 2017). L’usage de fausses identités, la publication de fake news, et la manipulation des images des citoyens ou des personnalités politiques ou administratives sont autant de perversités qui viennent grimer les libertés fondamentales en Afrique. La société de l’information se présente comme une illusion d’harmonie sociale. 

2. Internet et réseaux sociaux : quelle forme de libéralisme informationnel ?

« La liberté politique se révèle indispensable à l’épanouissement de l’individu tout en présentant des impedimenta à son bonheur qui, en dehors de lui, peut émaner de la société ou du groupe auquel il est membre » (A. A. Mogué, 2017, p. 208).

Partant du fait que la démocratie a pour ressort vital la liberté d’expression, l’on est en droit de dire que c’est la souveraineté populaire, par opposition aux lois divines, qui fonde l’État moderne. Et cette souveraineté populaire se manifeste à travers le droit à l’expression et de participation des citoyens au débat public. Ce droit à la liberté d’expression est inaliénable à tout citoyen et universel. On peut trouver les fondements de cette universalité dans les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) :

Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions […] ».

Article 11 : « La libre communication de ses pensées et de ses opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Les médias de communication, les réseaux sociaux en particulier, ont un lien étroit dans les fondements actuels de la démocratie. De fait, la liberté constitue pour chacun d’entre nous une expérience, ou tout au moins une représentation aussi familière qu’indiscutable. Être libre, cela signifie tout d’abord ne pas être empêché de faire ce que l’on veut ou dire sans crainte ce que l’on pense. Elle peut être considérée comme l’absence de toute contrainte étrangère. C’est l’image que nous donne l’impact des réseaux sociaux dans le jeu des démocraties modernes. De façon consciente ou inconsciente, tout se publie et se partage sans se soucier des conséquences que cela pourrait susciter dans la société.

Ces réseaux sociaux présentent un caractère d’innovation majeure pour la démocratie au sens où la liberté qui sous-tend la participation politique en ligne est encadrée par la neutralité du réseau pour garantir l’égalité de traitement des données. Cette forme communicationnelle transcende toutes les frontières politiques et atteint un large public. Selon F. Balle (1980, p. 88) : « le Siècle des Lumières change l’attitude des citoyens vis-à-vis de l’information publique en même temps que s’aiguise leur curiosité pour les affaires publiques ». Avec les réseaux sociaux, tout se passe comme si un individu serait membre de plusieurs communautés dans lesquelles il peut donner son opinion de façon directe ou indirecte sur divers points de vue d’intérêt public ou privé. Il y a une forme de libéralisme qui se déguise progressivement en libertarisme quant à nos façons d’utiliser les plateformes sociales numériques. Les réseaux sociaux sont bien devenus un espace de vulnérabilité pour la jeunesse africaine qui devient très accrocs aux réseaux sociaux.

Si la question de vulnérabilité des individus n’est pas nouveau dans nos sociétés, force est d’affirmer que les réseaux sociaux les ont encore amplifié par l’importance de l’audience qu’ils leur accordent (G. Macilotti, 2019). Pourtant, l’exercice du pouvoir qui suppose la mise en place du contrôle social destiné à prévenir la violence ou les mécontentements est en souffrance dans nos États africains. Ces formes de victimisation sont abordées sous l’angle du cyberharcèlement qui fait l’objet de plusieurs travaux au niveau académique et institutionnel. « Cyberagression », « cyberintimidation », « cyberhumiliation », « flaming » sont autant de termes employés par les chercheurs et les médias (Grigg, 2010 ; Watts et al., 2017 ; Dilmaç, 2017). En ce sens, le cyberharcèlement désigne toute forme d’agression via le cyberespace.  Pour en dire plus, G. Macilotti (2019, p. 302), en citant Smith et al. (2008), fait du cyberharcèlement « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ». En dehors du cyberharcèlement, cet auteur utilise le concept du cyberviolence pour faire référence aux violences en ligne qui n’ont pas un caractère répétitif et ne s’inscrivant pas forcement dans la durée.

Les réseaux sociaux sont les canaux par lesquels les auteurs du cyberharcèlement et du cyberviolence parviennent à s’adresser à leurs victimes potentielles en utilisant de fausses identités numériques (avatars), rendant ainsi difficile l’autoprotection de ces dernières. Cette forme d’agressivité et d’arnaques est légion en Afrique, et principalement chez les jeunes qui les embrasent comme un métier à part entière. Les cyberviolences se présentent sous plusieurs formes à savoir : diffusion de messages textes, d’images, de photographies commentées, le tout agrémenté de son. Elles peuvent être l’expression de moqueries, menaces, insultes, agressions à caractère sexuel, ostracisme, rumeurs, diffusion d’images humiliantes, lynchage, dissémination de documents privés sans l’autorisation de la personne impliquée ou encore consister en une usurpation d’identité ou un usage frauduleux d’un mot de passe (Blaya, 2018, p. 424). Selon Price et Dalgliesh (2010), cités par Blaya (2018) le sentiment d’anonymat qu’offrent internet et les autres outils électroniques de communication est l’un des facilitateurs clés du cyberharcèlement.

Le libéralisme informationnel sur les réseaux sociaux contraste avec l’idée de libertés qu’offrent les démocraties en Afrique. Cette liberté d’expression en ligne remet en question la réputation de sa victime, la plongeant dans un mal-être profond. Certes, l’usurpation d’identité n’est pas un phénomène nouveau en Afrique comme partout au monde ; mais, le plateau d’exposition de l’humiliation de la victime devient de plus en plus important avec les réseaux sociaux. C’est avec stupéfaction que nous pouvons trouver en ligne les photographies ou des vidéos détournées de leur contexte mettant en scène l’intimité (quelques fois montées de toutes pièces), les applications au nom de la victime pointant du doigt un comportement jugé indécent, les menaces, les agressions verbales et violences psychologiques visant à discréditer la personne représentée. Le caractère ambivalent des réseaux sociaux est mis en exergue dans un sentiment relativement nuancé.

Quoique les réseaux sociaux contribuent à la mise en relation de l’individu avec l’altérité, ils sont aussi des plateformes de « mise à mort » de la réputation. Au regard des formes de déviances sur les réseaux sociaux, il convient à chaque citoyen de pratiquer la vigilance et la prudence. Dans cette forme de transformation numérique, on observe des périodes de stabilité suivies par des perturbations et des changements rapides dont ressortent des gagnants et des perdants (T. M. Siebel, 2022, p. 27). Pour ceux qui y perdent, on ne peut nier l’importance des conséquences négatives du cyberviolence qui sont vérifiables du point de vue psychologique, social et scolaire. Ces manigances notoires sur les réseaux sociaux peuvent ouvrir des fenêtres sur l’organisation de crimes, du banditisme, du djihad ou du terrorisme. Il convient donc de recourir à une éducation numérique à même de permettre la réappropriation de la culture des techno-sciences mise en évidence par les réseaux sociaux.

3. Réseaux sociaux et démocratie numérique : quelle culture face au regain de caporalisme numérique

Dans son ouvrage intitulée Les humanités numériques, D. Vinck (2016) affirme que le numérique nous plonge dans une nouvelle civilisation. Contre tout soupçon, il considère le numérique comme une civilisation numérique en opposition à toute idée de révolution numérique. Pour comprendre la préférence qu’il fait de la civilisation numérique au détriment de la révolution numérique, il écrit :

Lorsqu’émerge une nouvelle technologie, les médias s’emballent en parlant de révolution technologique c’est-à-dire une transformation de l’ensemble de la société, son économie et son fonctionnement social et politique comme ce fut le cas avec la machine à vapeur, le développement avec les mines de charbon et de l’industrie et du surgissement d’une nouvelle classe sociale (les prolétaires) (…). Généralement, l’intérêt d’une nouvelle technologie tient aux transformations déjà à l’œuvre dans la société avant son invention, tandis que la capacité de la technologie innovante à transformer le monde dépend de l’invention de nouvelles pratiques, compétences et métiers, formes d’organisation du travail, de démocratie, de commerce, de sociabilité, etc. (D. Vinck, 2016, p. 17).

Parler de civilisation numérique présume que cette culture n’est pas l’exclusivité d’un groupe social distinct mais qu’elle prend en compte l’état technique, intellectuel, politique et moral de toute une société. Cependant, faire des réseaux sociaux un nouvel espace de partage et de libre circulation des idées et des informations produites par ces innombrables utilisateurs est une utopie. Les formes de déviance constatées sur ces plateformes numériques sont des éléments probants à la nécessité de l’éducation à la culture et à la citoyenneté numérique. Cette culture est un enjeu majeur pour permettre à chacun d’exercer une citoyenneté éclairée dans un monde foncièrement dominé par le numérique. Partant du principe que tout part de l’homme comme le stipule la célèbre formule du sophiste Protagoras, « l’homme est la mesure de toute chose ».C’est bien en sa direction que nous chercherons d’éventuelles solutions et par la suite porter un regard sur le rôle décisif que doit jouer le politique. Pour atteindre ce résultat, il faut humaniser le numérique comme le pense D. Vinck (2016). Pour lui, on parle des « humanités numériques » lorsque des sciences et technologies informatiques sont à la croisée de chemin avec des sciences humaines et sociales. On pourrait parler des « Humanités digitales » dans les pays Anglo-saxons. Par ricochet, il appelle humaniste numérique la personne qui conçoit, fabrique, théorise et/ou évalue les outils numériques et les mutations associées à leurs usages.

Nos activités quotidiennes ne peuvent se soustraire des humanités numériques. Elles nous accompagnent dans la mesure où elles « traitent nos patrimoines et nos identités au point de se retrouver à certains drames récents comme le massacre de populations au nom d’arguments religieux façonnés et diffusés par les technologies numériques » (D. Vinck, 2016, p. 13). C’est pourquoi, il faut faire du numérique un espace d’émancipation et d’inclusion. Ce qui permettra à chaque individu d’exercer sa citoyenneté dans une société inclusive. Cela part d’une prise de conscience de l’impact du numérique sur l’environnement, le développement de la connaissance et en appelle a des pratiques écocitoyennes et d’usages responsables et sobres. En outre, l’éducation à la culture du numérique participera à l’augmentation du pouvoir d’agir et de la confiance en soi des individus en permettant justement l’engagement, la créativité et la réflexion critique sur le traitement des informations sur les réseaux sociaux. À travers les humanités numériques, c’est « la formation humaine des membres de nos sociétés et l’évolution de l’offre éducative » (D. Vinck, 2016, 13). La culture des communs numériques pourra favoriser la cocréation et le partage des ressources pérennes et accessibles que les individus, interconnectés via les réseaux sociaux, pourront librement utiliser et modifier.

Contrairement à l’usage désinvolte des réseaux sociaux, l’éducation à la culture du numérique vise à faire des réseaux sociaux un espace de droit. Elle invite les décideurs (pouvoir, les organes régulateurs, etc.) à renforcer l’application du droit dans le monde numérique. Réguler les droits de chaque individu sur les réseaux sociaux revient à les connaître, les respecter, les protéger et favoriser leurs mises en œuvre. Car, chaque individu a droit au respect de sa vie privée et à la protection de ses données personnelles. Cette mesure sur la protection des droits des individus dans l’espace numérique se précise chez D. Vinck (2016) avec l’idée que les humanités numériques nourrissent aussi des revendications d’autonomie et de justice. Autrement dit, faire des réseaux sociaux un espace de droit revient à informer et à sensibiliser les individus sur leurs droits et devoirs de manière adaptée à leur âge vu qu’ils ont tous droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles.

En revanche, la culture numérique, dans son déploiement doit pouvoir aider l’individu à comprendre que toute forme d’expression discriminatoire constitutive d’harcèlement ou d’incitation à la haine est un délit qui doit être signalé pour le respect d’autrui. Conformément à l’article 9 de la Déclaration Africaine des Droits et Libertés d’Internet (2014), il est écrit :

Toute personne a le droit de jouir de la sécurité, stabilité et résilience de l’Internet. En tant que ressource publique globale universelle, l’Internet devrait être un réseau sécurisé, stable, résilient et fiable. Les différentes parties prenantes devraient continuer à coopérer en vue d’assurer l’effectivité de la lutte contre les risques et les menaces pesant sur la sécurité et la stabilité de l’Internet. La surveillance illégale, le contrôle et l’interception des communications en ligne des utilisateurs par des acteurs étatiques ou non étatiques, portent fondamentalement préjudice à la sécurité et à la fiabilité de l’Internet.

Ce qui sous-entend que les libertés d’expression de tous les utilisateurs des réseaux sociaux doit être garanties dans le cadre fixée par la loi et les règles élémentaires de communication. Cette mesure doit se compléter avec l’article 2 qui garantit l’égal accès au numérique et à ses usages à tous. De ce point de vue, un travail doit être mené à l’intérieur des États africain par des acteurs à l’effet de faire comprendre les subtilités de la Déclaration et les mener à prendre des textes spécifiques.

Aussi, faudrait-il qu’aboutisse l’éducation à la civilisation numérique, dans la dynamique des sociétés africaines, à la vigilance des utilisateurs, de leurs âges et respectueux de leurs rythmes de vie et leurs santés. Cette vigilance doit conduire chaque individu à la lutte contre les manipulations de l’information et à la pratique de la vérification de l’information et à son analyse critique, notamment dans la détection des fausses informations, de leur diffusion et de leur impact sur la vie personnelle et dans une proportion plus grande sur la société. De même, la compréhension et l’application des principes fondamentaux de la sécurité numérique collective et individuelle, en l’occurrence celle des systèmes d’information, devient pour l’individu un moyen de préservation d’identité et de la réputation numérique pour les utilisateurs.

Au nombre des objectifs des humanités numériques, nous retenons qu’ils sont un processus de dématérialisation du patrimoine culturel qui marque le passage du support physique des objets de civilisation (livres, musiques, images etc.) à une phase de numérisation. En plus de la phase de numérisation, les humanités numériques visent la quantification des sciences humaines de sorte à saisir les phénomènes culturels et sociaux en les transformant en série de données numériques. En outre, ils projettent la coopération interdisciplinaire entre sciences humaines, sciences sociales et informatique et l’invention de méthodologies hybrides. Ces différentes phases des humanités numériques qui intègrent le social sont pour D. Vinck (2016, pp. 25 ; 39 et 63) la preuve de l’indispensabilités des technologies, créant ainsi une nouvelle écologie sociotechnique et un humanisme numérique.

Conclusion

Au terme de ce parcours réflexif, il convient de retenir que le basculement démocratique auquel nous assisterons à travers l’usage des réseaux sociaux comme monde de participation au débat public se loge dans un autoritarisme dont les seuls et nouveaux maîtres restent les géants du numérique. Désormais, à travers Internet, Smartphones et objets connectés, la prise de contrôle de notre existence s’opère au profit d’une nouvelle oligarchie mondiale. Quoique les réseaux sociaux facilitent la communication et brisent toutes formes de barrières entre les individus, ils constituent des nids de fabrique identitaire à la solde des utilisateurs véreux et manipulateurs. Ainsi, pour avoir fait des réseaux sociaux, des réseaux de plus en plus asociaux, les politiques sont parvenus à retourner la liberté d’expression contre la démocratie elle-même. Ces réseaux, censés apporter un nouveau souffle à la dynamique démocratique, ont transformé cette dernière en un lieu de manifestation de la haine et de la violence qui sont au fondement des crises sociales. Il faut donc humaniser les réseaux sociaux à travers une éducation culturelle de leur usage en politique. Ce qui pourrait contribuer à la réduction considérable de l’influence toxique des réseaux sociaux.

Références bibliographiques

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MACILOTTI Giorgia, 2019, « Violence et humiliation à l’ère numérique : une étude en milieu scolaire », in Déviance et Société (Vol. 43), Éditions Médecine et Hygiène, p. 299-328, https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-3-page-299.htm.

MOGUÉ Agoussi Alphonse, 2017, « La volte-face de la démocratie : entre enthousiasme et désenchantement des pays du tiers-monde », in Revue Échange, volume 1, N°008, pp. 203-215.

SIEBEL Thomas M., 2022, La transformation numérique, Paris, Fayard.

VILMER Jeangène Jean-Baptiste et al, 2018, « Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties », in Rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) du ministère des Armées, Paris.

VINCK Dominique, 2016, Humanités numériques, Paris, Éditions Le Cavalier Bleu.

Usages illicites des réseaux sociaux : cyber menaces, pratiques d’agences de désinformation et risques               sur la démocratisation en Afrique

Ange Bergson LENDJA NGNEMZUE

Université d’HARVARD (États-Unis)

ablendja@yahoo.fr

L’enquête « Story Killers » a montré la participation potentielle d’une agence israélienne de désinformation à la cybercriminalité électorale par le détournement de la technologie des réseaux sociaux. Cette agence crée de faux profils et diffuse la peur à l’avantage de ses clients qui manipulent ainsi les opinions publiques en vue de gagner des élections majeures. De plus en plus de secteurs impliqués dans les élections sont touchés par ces entrepreneurs criminels de la toile. Comme le marketing de produits et l’incitation d’achat, la publicité politique et les stratégies de persuasion et de dissuasion sont attaqués par les agences de désinformation payés au prix fort. À l’évidence, l’Afrique semble désarmée face à de telles agences qui se déploient autour et sur ce continent marqué par un retard important en cyber sécurité. Dès lors, que nous apprend cette facilité qu’ont les agences de la désinformation à manipuler les données des réseaux sociaux à des fins criminelles ? Quelles méthodes seraient mobilisées par les cybercriminels dans cette nouvelle fabrique artificielle du consentement électoral en Afrique ? Quels sont les vecteurs globaux et locaux de ces nouvelles offres de trucage rationnel et planifié des élections et des opinions ? Peut-on y faire face, et comment ?

Mots clés : Agences de désinformation, Cybercriminalité, Élections Africaines, Réseaux sociaux.

Abstract:

The ‘Story Killers’ investigation recently highlighted the potential participation of an Israeli disinformation agency is playing in electoral cybercrime trough the misuse of social media technology. This agency creates fake profiles, manufacturate dominant ideas or figures and spread fear to the advantage of clients who thus manipulate public opinion to win major elections. More and more sectors involved in the elections are affected by these criminal web entrepreneurs. Like product marketing and incitement to purchase, political advertising and persuasion and deterrence strategies are under attack from paid disinformation agencies. Obviously, Africa seems disarmed in the face of such tools which are developing and deployed around and on this continent marked by a significant delay in mastering counter-expertise to neutralize the attacks of these agencies. So what does this ease with which disinformation agencies manipulate social media data for criminal purposes ? What methods are used by cybercriminals in this new economy of the artificial factory of electoral consent in Africa? What are the local and global vectors of this springs and local networks (technical relays and customers) of these new offers of rational and planned rigging of elections and opinions? Can we deal with it, and how?

Keywords : African elections, Cybercriminality, Disinformation Agencies, Social Networks.

Introduction

Cet article émerge d’un contexte marqué par le développement de l’industrie de la cybercriminalité, que l’on peut caractériser comme une forme de capitalisme immoral et délinquant reposant sur l’idée que des systèmes informatiques et de communications institutionnalisées peuvent être pénétrés, déstabilisés et détournés à des fins d’enrichissement ou de manipulation des normes et des institutions démocratiques, conventionnelles et socialisées. Nurse et Bada (2019, p. 1) pensent qu’après avoir été longtemps considérée comme une activité de hackers isolés, la criminalité en ligne « est devenue de plus en plus une activité de groupe, avec des réseaux à travers le monde ». Ces entreprises cybercriminelles s’emparent de nouveaux objets manipulés et détournés pour développer ce capitalisme criminel mondialisé.

Récemment, cette activité de groupe a décidé de se saisir des compétitions électorales des régimes démocratiques comme d’une opportunité inédite d’affaires. La cybercriminalité électorale s’exprime au travers des procédés complexes qui font peser une série de risques inédits sur la sincérité du processus de sélection des élites politiques. L’élection présidentielle américaine de 2016 était à la fois le premier coup d’éclat électoral des cybercriminels et un tournant pour la sécurité informatique des démocraties libérales à l’ère du numérique. Selon D. Fidler (2017, p. 3), l’angoisse de ce cycle électoral américain était que «des acteurs étrangers pourraient exploiter les cyber-technologies pour falsifier l’inscription des électeurs, accéder aux machines à voter, manipuler le stockage et la transmission des résultats et influencer les résultats des élections ». James B. Come, ancien directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI) a affirmé devant la commission judiciaire du Sénat que la Russie était le principal foyer d’origine de ces cyberattaques, qui ont largement favorisé l’implication des « complotistes » et la diffusion de leurs théories dans la campagne victorieuse de Donald Trump (Berghel, 2017). L’année suivante, les campagnes d’Emmanuel Macron en France et des candidats déplaisant au Kremlin dans les élections générales allemandes étaient les nouvelles cibles de cette ingérence cybercriminelle russe (Stelzenmüller, 2017). Les cybercriminels s’emparent aussi des réseaux sociaux pour détourner l’information ou fabriquer de faux profils qu’ils injectent dans la communication politique et le processus électoral (Gercke, 2017). La cybercriminalité électorale est un facteur de désordre mondial qui heurte la non-ingérence, marque de civilité et de respect dans la société internationale (Trifunovska, 2017). Les entrepreneurs cybercriminels s’emparent des techniques du marketing de produits et d’incitation d’achat pour détourner le vote des citoyens au profit de leur clientèle.

Cette contribution porte sur la place stratégique qu’occupent les réseaux sociaux dans le développement de la nouvelle économie de la cybercriminalité électorale. L’analyse s’enracine dans les transformations de la criminalité numérique pour mettre en lumière, à une échelle plus basse, la portée des réseaux sociaux dans les pratiques des agences de désinformation qui détournent les processus électoraux. Ceux-ci sont de nouvelles cibles d’attaques pour des agences de désinformation payées au prix fort par des entrepreneurs économiques et politiques peu scrupuleux. Nous montrerons en première partie comment la cyberattaque électorale a récemment été éclaircie d’un nouveau jour par « Story Killers », du nom de code des projets d’un consortium de journalistes d’investigation qui enquêtent librement, au prix de leurs vies, sur des histoires interdites (« forbidden stories ») (https://forbiddenstories.org, consulté le 22 septembre 2023). L’irruption des agences de désinformation fait apparaître trois préoccupations qui seront ici examinées en rapport aux processus africains de démocratisation : quels sont les éventuels points d’impact sur une Afrique à la cybersécurité précaire ? En quoi l’industrie de la désinformation est-elle un vecteur nouveau de l’insécurité collective ? Comment faire face à cette nouvelle menace sur la sécurité sociétale, qui instrumentalise les réseaux sociaux dans des opérations criminelles  ?

1. La « Team Jorge », agence de désinformation mondiale

Cette section explore les conditions de la naissance et la nature du développement d’une agence de désinformation mondiale qui manipule et instrumentalise les données des réseaux sociaux à des fins criminelles, comme dans le cas de la déstabilisation des processus électoraux. Ici, nous reprenons l’essentiel des conclusions d’une enquête publiée le 15 février 2023 et signée de Cécile Andrzejewski (https://forbiddenstories.org/story-killers/team-jorge-disinformation/, consulté le 22 septembre 2023), qui a poursuivi avec ses collègues le travail de la journaliste indienne Gauri Lankesh, tuée par balles à 55 ans au pied de son immeuble de résidence à Bangalore au Karnataka (Inde) le 5 septembre 2017. Pour rappel, Lankesh enquêtait sur la désinformation et les « usines à mensonges ». Après sa mort, des journalistes d’investigation réunis au sein du collectif « Forbidden Stories » ont révélé qu’une agence israélienne ultrasecrète réalisait un gigantesque travail de manipulation à l’échelle mondiale en fabriquant des fausses informations pour le compte de ses clients déterminés à influencer des élections. 

Dans sa généalogie, la « Team Jorge » est une excroissance de Cambridge Analytica (CA), du nom de cette société britannique qui a fait scandale en 2018 en manipulant les données de plus de 87 millions d’abonnés Facebook à leur insu et à des fins de ciblage politique. CA a commencé à exploiter ces données en 2014 et développé une plateforme logicielle du nom de « Ripon » via AggregatelQ pour influencer des votes à l’avantage d’entrepreneurs politiques ayant sollicité ses services (Rehman, 2019, p. 1-11). La « Team Jorge » suit le même parcours et se définit comme une entreprise de désinformation mondiale, travaillant notamment sur le vol des élections par des usages criminels du cyberespace et spécialement des réseaux sociaux. La « Team Jorge » est sans morale ni scrupules et poursuit les mêmes objectifs que CA, qui fut impliqué dans la manipulation de nombreuses élections, « contribuant à la victoire de Donald Trump en 2016 aux États-Unis et au vote en faveur du Brexit en Angleterre » (C. Andrzejewski, « Team Jorge » : au cœur d’une machine de désinformation mondiale », Op. cit.). Mais cette filiation serait encore plus directe : Jorge est probablement le chef de file de ces hackers israéliens aux méthodes brutales, sous-traitants de CA en 2018 qui débarquaient « dans les locaux de l’entreprise avec des clés USB chargées de mails d’hommes politiques piratés » (Ibidem).

En clair, les agences de désinformation constituent « une industrie usant de toutes les armes à sa disposition pour manipuler les médias et l’opinion publique, aux dépens de l’information et de la démocratie » (Ibidem). Dans le cas précis de la cybercriminalité électorale, l’Afrique est mal partie. Deux facteurs conjoncturels clés qui confinent à l’inquiétude seront ici décryptés : d’une part, l’interaction irréductible entre cybersécurité et cybercriminalité, qui est pour l’instant défavorable aux institutions africaines de contrôle du cyberespace. D’autre part, les points d’impacts ou d’appui éventuels de la cybercriminalité électorale, dont l’inventaire et la cartographie dessinent un continent-passoire.

2. Cybersécurité et cybercriminalité en Afrique

Le cyberespace ne se confine plus au virtuel et s’ouvre à « une nouvelle forme de conflictualité qui va de l’espionnage à l’appui des opérations militaires conventionnelles en passant par les opérations d’influence » (Germain et Massart 2017, p. 45). Cette section montre la forte corrélation entre cybercriminalité et cybersécurité et en fait un facteur-clé de la pénétration africaine de ces évolutions malveillantes du cyberespace. 

2.1. Régime de cybersécurité en Afrique

En système d’information, la cybersécurité est le métier de ceux qui trouvent des solutions techniques pour contrer les cyberattaques lancées pour « obtenir un accès non autorisé à des systèmes informatiques, interrompre des opérations d’entreprise, modifier, manipuler ou voler des données, réaliser de l’espionnage industriel, extorquer de l’argent aux victimes » (Onelogin.com). À ce titre, la cybersécurité consiste en une série d’actions de protection et de sécurisation de la navigation dans le cyberespace, pensées et implémentées par les experts informatiques pour contrer la montée en puissance de la cybercriminalité. Selon L. Yang et al (2019, p. 1), la cybersécurité travaille contre les attaques cybercriminelles et vise « à protéger les infrastructures informatiques et de réseau, les systèmes d’exploitation, les programmes logiciels exécutés sur les infrastructures, et toutes les données stockées ou transmises par l’intermédiaire des infrastructures ». La problématique africaine de la cybersécurité se pose en termes de voies et moyens pour établir et relever le niveau de sécurité des systèmes informatiques existants et concevoir ceux à prévoir pour travailler derrière ces actions en réseaux que sont la prise de décision politique et entrepreneuriale ou les processus de connexion et de communication à distance. Ces actions impliquent la circulation des données sensibles qui peuvent, à chaque instant, intéresser les cybercriminels. La cybersécurité implique aussi la fabrique des moyens politiques et techniques offensifs, notamment pour authentifier l’information lorsque des cybercriminels inondent les réseaux sociaux et numériques de data d’origine douteuse, et sévir contre ces entrepreneurs criminels.

Sur ces différentes exigences aux enjeux à la fois techniques, stratégiques et politiques, l’Afrique est à la traine. À l’échelle du continent, la cybersécurité est précaire, au moment où ce segment devient une lame de fond de l’action politique africaine. Certes, un début de solutions panafricaines de la cybersécurité existe. Des cadres institutionnels favorisant le développement de la cybersécurité ont ainsi été créés au niveau de l’Union africaine (UA) suite à la Déclaration de Syrte du 9 septembre 1999 actée par les Chefs d’État et de gouvernements, alors réunis en Lybie pour créer l’UA. Pour concrétiser cette volonté de pourvoir le continent d’« un dispositif habile à gérer les défis politiques et socioéconomiques du nouveau millénaire », des sommets successifs des Chefs d’État (Lusaka 2001, Durban 2002) ont inscrit à l’objectif douzième de l’Acte constitutif de l’UA la coordination et l’harmonisation des politiques régionales en vue de l’Union. Les technologies de l’information (TI) font partie des nombreux secteurs concernés par cette décision. Allant encore plus loin, un Cadre de référence en matière de télécommunications et de TI pourvu des orientations d’harmonisation clairement formalisées a été adopté en 2008 par la Conférence des Ministres de l’UA en charge de ces domaines : « Promis comme une « plateforme catalytique, le document prescrit l’élaboration de « lignes directrices de politique et de réglementation » en tant que stratégie normative nécessaire à l’émergence d’un environnement ouvert à l’investissement et « au développement durable » des marchés africains des TI » (Kablan et al., 2016, p. 267).

La Déclaration Oliver Tambo de 2009 proclame le recours à l’instrument conventionnel et recommande au Secrétariat de l’UA de soumettre à l’attention des États membres de l’UA et au plus tard en 2012 « une convention sur la législation en ligne basée sur les besoins du continent et qui respecte les critères juridiques et mesures de règlementation requis pour les transactions électroniques, la sécurité numérique et la protection des données personnelles » (cité par Kablan et al, 2016, p. 267). Au début des années 2010, le « Projet de Convention de l’Union africaine sur la confiance et la sécurité dans le cyberespace » a été élaborée, conjointement par la Commission de l’UA et la Commission pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). La Conférence des Chefs d’État et de gouvernement des 26 et 27 juin 2014 décidait au cours de la 23ème session ordinaire de l’Assemblée de l’UA tenue à Malabo d’adopter ce projet et d’en faire une convention ouverte officiellement à la ratification, sous le nom de « Convention de l’UA du 27 juin 2014 » (Kablan et al., 2016, p. 267).

En dépit de cette volonté affichée de construire un dispositif panafricain de cybersécurité, des contraintes cumulées dans la réalité continuent de faire de ce domaine le parent pauvre des stratégies proactives du continent. La première des contraintes est cette Convention du 27 juin 2014 elle-même, qui n’est toujours pas entrée en vigueur, faute du « nombre requis de ratifications » (Hlomani et Ncube, 2023, p. 4). Cela est d’autant plus dommageable que

La Convention de Malabo est le seul instrument juridique continental actuel qui se concentre sur la protection des données personnelles et la cybersécurité. Elle est pertinente pour la gouvernance des données dans la mesure où elle se rapporte à ces deux aspects, qui font partie intégrante de la gouvernance des données (Hlomani, Ncube, 2023, p. 20-21).

En outre, les pays africains semblent se détourner de la cybersécurité au profit de la seule protection des données personnelles sur un modèle importé. En effet, environ 24 des 55 États africains sont sous réglementation, encouragés par la promulgation du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), « qui a été adopté en 2016 et qui est très influente en raison de sa réglementation des flux des données transfrontalières, et qui a eu un impact sur un certain nombre de modèles de protection de données à l’échelle mondiale » (Hlomani et Ncube, 2023, p. 2). Si des efforts sont en cours au sein des États et des organisations sous régionales et panafricaines pour améliorer la protection des données, on doit constater la précarité du régime cybersécuritaire africain, tant en matière d’infrastructures de surveillance que de la protection des données. La faiblesse de ces moyens technicoinstitutionnels de contrôle du cyberespace explique très largement la forte pénétration de la cybercriminalité sur le continent africain.

2.2. Typologie et explosion de la cybercriminalité en Afrique

Pour les experts, le phénomène mondial de la cybercriminalité est accentué en Afrique par la fracture numérique :

« L’hypo connexion » des régions du Sud et l’ignorance des usagers vont de pair avec l’absence d’un dispositif approprié de lutte contre la cybercriminalité et transforme les États en paradis pénal pour les cyber délinquants qui y trouvent des proies faciles et l’utilisent comme base de travail pour porter atteinte aux réseaux internationaux (Cissé, 2010, p. 4).

D’autres facteurs aggravants de nature beaucoup plus conjoncturelle et globale contribuent à l’essor de la cyberdélinquance en Afrique. Le premier de ces facteurs est le développement récent des relations à distance, avec des structures de contrôle qui n’ont pas toujours eu les moyens de suivre. Stephen Kavanagh, Directeur exécutif des services policiers de cette organisation à INTERPOL a noté que la cybercriminalité a été exacerbée « par la « carence » en cybercapacités des services chargés de l’application de la loi au sein des différentes régions et entre celles-ci. Cette carence est un facteur clé de facilitation des opportunités, des infrastructures et des réseaux criminels » (Interpol, 2021, p. 3). À sa suite, Tarek A. Sharif, le Directeur exécutif d’AFRIPOL, ajoute d’autres facteurs spécifiques, dont le premier est la jeunesse de la population africaine. En effet, en 2020, plus de 60% d’Africains avaient moins de 25 ans : « Ce facteur génère une forte croissance dans l’utilisation des nouvelles technologies (…) Sur ce continent jeune, chaque défi économique est relevé par une solution innovante qui, malheureusement, frôle parfois les limites de la légalité » (Interpol, 2021, p. 3). Le second groupe de facteurs est constitué des effets de la pandémie de la Covid19 : « Les destructions d’emplois dues à la pandémie et l’anémie de la croissance économique ont ouvert la voie à de nouvelles opportunités pour les organisations criminelles » (Interpol, 2021, p. 4). Le troisième facteur est le sous-développement du secteur bancaire : « le faible nombre d’installations bancaires à la disposition des populations africaines a favorisé l’émergence de nouveaux services financiers comme la banque mobile, mais aussi la résurgence de nouvelles formes d’escroquerie liées à ces nouvelles technologies » (Interpol, 2021, p. 4).

Sur la typologie de la cybercriminalité qui pèse sur l’Afrique, le rapport d’Interpol identifie cinq groupes de menaces prééminentes : les escroqueries en ligne, les extorsions en ligne, les escroqueries aux faux ordres de virement, les rançongiciels et les Botnets. Selon Interpol (2021), les escroqueries en ligne représentent la cybermenace la plus fréquemment signalée et la plus pressante dans la région. Cette menace cible et exploite les peurs, les insécurités et les vulnérabilités des victimes en recourant aux hameçonnages, aux campagnes d’envoi massif de messages électroniques et à l’ingénierie sociale. Les pays membres ont signalé « une hausse accentuée du nombre d’escroqueries bancaires en ligne, et notamment de cas de fraude bancaire et de fraude à la carte de crédit » (p. 7). Ce type de cybercriminalité « cible les particuliers, soit en alléguant de la détention d’images sexuellement compromettantes, soit par des campagnes de chantage direct » (Interpol, 2021, p. 7). Dans ce cas précis, « la transformation numérique de la société – en particulier au sein de la région africaine – a créé de nouveaux vecteurs d’attaque pour les malfaiteurs pour à la fois brouiller leur identité et cibler de nouvelles victimes » (Interpol 2021, p.7). Dans ce sillage, les escroqueries aux faux ordres de virement (FOVI) sont une menace forte à laquelle sont vulnérables « les entreprises et les organisations qui dépendent lourdement des transactions par virement (…) la pandémie de COVID-19 a favorisé cette forme de cybercriminalité » (Interpol, 2021, p. 7). Quant aux rançongiciels, il s’agit d’une cybermenace récente. Selon Interpol, en 2020, « plus de 61 % des entreprises de la région auraient subi des attaques par rançongiciel. Ces attaques ont ciblé les infrastructures essentielles de certains pays africains, notamment dans le secteur de la santé et le secteur maritime » (Interpol, 2021, p. 7). Enfin, « Les botnets sont des réseaux de machines infectées utilisées pour automatiser des campagnes à grande échelle comme des attaques par déni de service distribué (DDoS), des campagnes d’hameçonnage, etc. » (Interpol, 2021, p. 7).

Un expert africain cité par la journaliste digitale Christelle Houetto a récemment indiqué que toutes les formes de cyberattaques ont explosé sur le continent africain : l’année 2022 « a été mouvementée par différents types d’attaques cyber, des ransomwares, le botner en passant par le piratage des systèmes numériques, la compromission de messagerie professionnelle, l’extorsion numérique ». (C. Houetto, 2023, https://en.cybersecuritymag.africa.com, consulté le 30 octobre 2023). La nouveauté est que les grandes organisations sont de plus en plus les cibles de ces attaques criminelles, avec un bilan plutôt inquiétant : « Le nombre de cyber menaces ciblant les organisations en Afrique est plus élevé que dans le reste du monde. Environ 1848 attaques par semaine ciblant une organisation en Afrique, contre 1164 dans le monde » (Ibidem).

3. La question africaine de la cybercriminalité électorale

Ces figures d’assauts des cybercriminels sur les institutions, les organisations africaines et les citoyens ordinaires du continent sont un nouveau niveau de développement de l’économie numérique du crime. L’agenda économique et stratégique des agences de désinformation décuplera les sites de nuisance des cybercriminels contre les institutions africaines. Quels sont les enjeux et les vecteurs de la cybercriminalité électorale qui menace l’Afrique ?

3.1. Faible résistance et hypothèse du coup d’État électronique

L’hypothèse d’une faible capacité de résistance des systèmes informatiques et des réseaux sociaux africains aux assauts cybercriminels est réaliste.  Au vu des moyens sophistiqués des agences de désinformation et de la haute qualité de leurs ressources humaines, il est même quasi-certain qu’en l’état actuel de la sécurité informatique et des réseaux sociaux en Afrique, les organisations africaines feraient peu le poids en cas d’agression. Toute attaque cybercriminelle d’envergure sur les processus électoraux majeurs des pays du continent débouchera probablement sur une crise majeure de la sécurité informatique dans ces États. L’acteur cybercriminel est un passager clandestin qui perturbe gravement le système électoral et exige une analyse conjoncturelle et prospective des points d’impacts de ce facteur X sur la plupart des démocraties africaines. Les analystes ont en effet tort de se focaliser uniquement sur les coups d’État militaires, orchestrés ou non suite à des coups d’État électoraux, dont la sociogenèse reste à faire pour cerner les racines locales de certains régimes perpétuels en démocraties africaines de l’après-guerre froide. Mais l’irruption de l’acteur cybercriminel pose un tout autre problème aux sciences sociales africanistes : elle élargit le spectre et la liste des risques et menaces qui pèsent sur les régimes politiques africains. Dans les scrutins africains majeurs, l’accès illicite de ces agences de désinformation aux ressources techno-légales est un péril d’un nouveau genre. Désormais, il faut prendre au sérieux la possibilité d’un coup d’État électronique, orchestré et mené par une maîtrise fine de l’outil technologique, alors détourné et criminalisé via des plateformes numériques et des réseaux sociaux (fabrication des faux profils et diffusion des fake news). Des manœuvres illicites sur les termes et les outils de l’élection, avec quelques complicités internes, rendraient l’hypothèse d’un coup d’État électronique falsifiable.

L’un des facteurs à la fois de constitution et d’accélération d’un tel scénario criminel est interne et culturel. Il s’agit de la tentation tacticienne de certaines élites africaines, candidates ou non aux compétitions politiques, de recourir à la force et à la puissance technologique de ces outils de l’économie transnationale du crime numérique pour perturber sérieusement et à leur avantage des processus électoraux qui leur seraient autrement défavorables. Ce recours, qui amène à faire des usages détournés et illicites des réseaux sociaux, est d’autant plus dangereux que la cybercriminalité électorale n’impacte pas que les processus de sélection des gouvernants : elle sème le doute dans les esprits quant à la capacité des institutions publiques à tenir face aux agressions cybercriminelles. Pire, la cybercriminalité électorale menace lourdement la sécurité collective en contribuant directement aux émeutes et aux désordres postélectoraux. Les agences de désinformation sont des fauteurs de guerre sur tablette et claviers. Comme pour toutes les guerres de pouvoir, leurs victimes ne sont pas digitales : en fabriquant de faux leaders élus plébiscités par des faux sondages, en brassant de faux profils sur les réseaux sociaux, les agences de désinformation fournissent du combustible pour de nouvelles crises postélectorales meurtrières en Afrique. Ces stratagèmes cybercriminels pourraient parvenir au même bilan ensanglanté des mercenaires et autres seigneurs de guerre dictant la loi des kalachnikovs durant des décennies en Afrique (Testot, 2008).

On sait désormais que l’ampleur des domaines illicitement touchés par les cyberattaques est considérable et va des systèmes sécurisés et sensibles aux interactions sociales et techniques ordinaires (Sudres, 2017). Agissant par-delà le contexte global dominé, d’une part, par les rivalités entre les États et divers acteurs criminels du cyberespace (Boulanger, 2014) et, d’autre part, des enjeux de domination et de puissance à l’échelle locale et globale (Arpagian, 2018), la cybercriminalité électorale orchestre un trouble sociétal qui menace la survie des sociétés africaines.  L’absence de l’Afrique de ces tensions créatrices du monde de demain l’expose aux affres de cette « nation technologique » qu’est le cybercrime (Bochoidze, 2017). En s’emparant des processus électoraux africains, les agences de désinformation affectent au cœur la démocratisation, déjouant la solidité de cette institution démocratique que sont les élections.

3.2. Vecteurs de la cybercriminalité électorale en Afrique

La probabilité du risque d’une pénétration africaine de la cybercriminalité électorale repose sur deux groupes de vecteurs, internes et externes. Dans cette sous-section, les vecteurs externes seront analysés comme globaux, les vecteurs internes étant considérés comme locaux. Les vecteurs globaux sont issus de la nature et du fonctionnement du cyberespace lui-même. Au moins trois éléments étroitement imbriqués figurent au compte de ce groupe de vecteurs. En premier lieu, la formation et la disponibilité d’un groupe stratégique composé d’initiés et de plusieurs réseaux d’intervenants techniques du cyberespace ayant travaillé comme ingénieurs ou consultants dans des agences de la désinformation ou dans l’ingénierie de la cybersécurité. La naissance de « Team Jorge », dont des cadres ont été des sous-traitants chez Cambridge Analytica à la fin des années 1990, manifeste ce type d’évolutions observées dans ce groupe stratégique pour créer des agences de la désinformation.  Sans devenir la norme, la montée en grade des consultants pourrait conduire à la création de plus en plus de PME du cybercrime électoral, qui vont s’organiser pour agir en réseau de sous-traitance en cascade, conquérir de nouveaux marchés cybercriminels, ou tirer des coûts vers le bas afin d’inciter de nouvelles commandes. En second lieu, il est nécessaire pour ces agences de désinformation de reconvertir des agents de la sécurité du Web aux emplois de l’économie numérique criminelle, ainsi présentés comme plus stimulants ou plus lucratifs. Ce basculement dans l’économie de la cybercriminalité électorale concernerait une foule de professionnels du cyberespace : agents mis sur la touche, en fin de contrat ou retraités, militaires et policiers ou autres ingénieurs civils et juristes expérimentés ou en fin de carrière, et qui connaissent les rouages de la cybersécurité pour y avoir travaillé ou pour en être des spécialistes de divers domaines ou niveaux. La cybercriminalité électorale ne recruterait donc jamais loin des milieux de la cybersécurité. En troisième lieu, la cybercriminalité électorale apparaît au moment où l’Intelligence Artificielle (IA) augmente les chances opérationnelles de la cybercriminalité en même temps que l’inquiétude sur l’avenir de la cybersécurité institutionnelle en Afrique. Les deepfakes et le clonage vocal sont des méthodes assistées par l’IA qui révolutionnent l’ingénierie sociale et alertent « sur la diffusion à large échelle de solutions d’IA générative comme ChatGPT qui menacent de démocratiser le cybercrime et de saper toute confiance, voire d’exacerber l’instabilité politique » (SoSafe, 2023, https://sosafe-awareness.com, consulté le 19 novembre 2023).

Les vecteurs locaux émergent de l’économie politique et numérique africaine, soumise à des caractéristiques particulières. Le premier de ces vecteurs est la ruée des Africains vers Internet : avec 500 millions d’internautes (soit 38% de sa population), l’Afrique est la première région connectée du monde. Faute de bancarisation, la population est consommatrice des services financiers en ligne, via les applications sur téléphones connectés : « Cette situation induit une menace future non négligeable, avec la montée en puissance des applications malveillantes exploitant les vulnérabilités croissantes des appareils mobiles » (Interpol 2021, p. 8). Le second vecteur est l’absence d’infrastructures numériques fiables. Celles qui existent ne sont pas intégrées aux infrastructures publiques, bancaires et commerciales : « 90 % des entreprises africaines n’utilisent pas les protocoles de cybersécurité nécessaires. Sans ces derniers, les acteurs des menaces exploitent sans peine les vulnérabilités croissantes en inventant de nouveaux vecteurs de cyberattaques » (Interpol, 2021, p. 8). Les incidences locales de la pandémie de la COVID19 sont le troisième vecteur. Le système de santé sud-africain a été attaqué et le continent « a vu la croissance de l’écosystème de la cybercriminalité, avec une fracture numérique persistante et des vulnérabilités de cybersécurité croissantes dans toute la région » (Interpol, 2021, p. 9). Enfin, « la transformation numérique accrue » du continent « facilite l’émergence de nouveaux vecteurs d’attaque et de nouvelles opportunités pour les cybermalfaiteurs » (Interpol, 2021, p. 9).

3.3. Désorganisation des élections démocratiques africaines

La cybercriminalité électorale pourrait pénétrer l’Afrique en s’appuyant sur tous ces vecteurs. Ici, nous rappelons et discutons quelques solutions récemment présentées pour la cybersécurisation des élections majeures (présidentielles et législatives) (C. Houeto, 18 septembre 2023, in https://en.cybersecuritymag.africa, consulté le 10 novembre 2023). La clé de la cybersécurité du processus électoral serait « le respect du « Privacy by design », et le « Security by design » qui implique de suivre les bonnes pratiques et l’état de l’art tout au long du développement des solutions et des processus » (C. Houetto, 18 septembre 2023, op.cit, consulté le 10 novembre 2023). Cette journaliste digitale recense quatre enjeux du numérique électoral qui intéressent les cybercriminels et sur lesquelles concentrer la cybersécurité : disponibilité, intégrité, authentification, confidentialité.  Selon elle, ces quatre enjeux sont « combinés et indissociables ». Pris ensemble, « ils participent à établir et garantir la confiance dans les résultats » (C. Houetto, 18 septembre 2023, Op. cit., consulté le 10 novembre 2023).

Néanmoins, notons que pour de telles élections majeures, l’irruption des agences de désinformation fait changer de dimension aux enjeux du numérique électoral. Cette irruption booste ces « occasions d’altérer les résultats » et installe une industrie de la falsification électorale, avec des moyens à la fois violents et colossaux pour torpiller les règles établies et les résultats attendus.  À la différence des hackers qui agissent de manière sporadique et ciblée, les agences de désinformation déploient des paradigmes entiers pour s’emparer du processus électoral, cloner des informations et inventer des deep fakes qui stimulent ou font douter l’électorat sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. Au-delà de ce que décrit Christelle Houeto, la cybercriminalité électorale ratisse large et incorpore une série d’actions rationnelles et planifiées à des fins de déstabiliser voire de renverser l’ordre établi et les prédictions technico-institutionnelles.

Conclusion

Le projet de cet article était d’analyser la cybercriminalité électorale comme une forme d’usage criminel des réseaux sociaux, avec des risques majeurs pour l’Afrique en cours de démocratisation. La première partie de l’article a situé le contexte de l’étude en présentant l’émergence et l’agenda d’une agence de désinformation : la « Team Jorge », récemment approchée par les journalistes d’investigation du consortium « Stories killers » qui se sont présenté comme des clients demandeurs de fake news et de faux profils sur les réseaux sociaux au profit d’un prétendu candidat à une élection présidentielle dans un pays africain francophone. La deuxième partie a présenté l’état des lieux de la cybercriminalité et de la cybersécurité sur le continent africain. La troisième partie a montré les points de dégâts que les entreprises du profil de « Team Jorge » peuvent causer sur les processus électoraux et les élections africaines.  Les enjeux vitaux de la cybercriminalité électorale en Afrique nous amènent à formuler quelques recommandations en prévision des rudes batailles qui attendent les institutions nationales et panafricaines dans les années à venir. Six actions concrètes sont requises pour contrer ce nouveau terrorisme technologique qui menace la survie même des organisations et des institutions :

1) Sortir du mythe de la souveraineté numérique pour régionaliser, voire communautariser le traitement africain de la question du cyberespace. Pour cela même, il faut accélérer la ratification de la Convention de Malabo et mettre en place d’autres outils qui relaient les bonnes pratiques en matière de cybersécurité.

2) Faire un état des lieux global des faiblesses techniques des systèmes nationaux et régionaux de défense digitale pour se mettre aux standards internationaux.

3) Faire dialoguer les divers acteurs de la cybersécurité et de la lutte contre la cybercriminalité. Dans ce dialogue, les spécialistes du droit et de la sociologie numérique apprendront des ingénieurs et des experts de la cybercriminalité, et inversement. Au bout de ces échanges, une charte commune de défense et de protection du cyberespace africain contre les cybercriminels peut être élaborée en vue d’une application immédiate et de la mise en place des normes politiques communes pour la sécurité en réseau en Afrique.

4) Criminaliser plus sévèrement la cybercriminalité électorale dont les conséquences ultimes peuvent détruire la paix sociale et saborder les institutions africaines démocratiques. À ce titre, les candidats aux élections confondus de recourir aux agences de désinformation ou à leurs seules méthodes doivent être passibles de la peine maximale dans le cadre d’une nouvelle législation répressive applicable à l’échelle des communautés régionales (CR).

5) Éduquer le citoyen africain à la cybervigilance et à la détection des agissements de la cybercriminalité électorale. Ceci permettrait d’avoir des comportements adaptés devant les fausses informations en circulation, et des précautions pour dénoncer les partisans des méthodes cybercriminelles.

6) Mettre la cybercriminalité électorale à l’agenda de la diplomatie des pays membres de l’Union africaine pour exiger des États hébergeant les agences de désinformation de les fermer ou tout au moins de coopérer à toute initiative répressive de leurs victimes africaines.

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RÉSEAUX SOCIAUX ET CRISES DES SOCIÉTÉS AFRICAINES

Zlankouapieu Romuald Icanor SANKO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

sankoromuald@gmail.com

Résumé :

Le questionnement en direction des réseaux sociaux ne peut en aucun cas être mis à côté de l’intellection des crises qui paralysent l’Afrique. Cette exigence est due au fait que depuis plus d’une décennie l’utilisation des réseaux sociaux occupe une place de choix en Afrique. Force est de remarquer que l’utilisation de ces réseaux n’est pas de plus en plus faite de manière éclairée. De ce fait, les réseaux sociaux sont perçus comme des virus qui gangrènent les crises en Afrique. Cet effort réflexif s’interrogeant sur les impacts possibles des réseaux sociaux en Afrique et se focalisant sur les méthodes analytique et critique, s’exerce à faire entendre que les réseaux sociaux ne sont pas en soi mauvais. Tout dépend de ce que l’on en fait.

Mots clés : Afrique, Crise, Mauvaise utilisation, Réseaux sociaux, Responsabilité.

Abstract:

The questioning of social networks can in no way be placed alongside the intellection of the crises which are paralyzing Africa. This requirement is due to the fact that for more than a decade the uses of social networks has occupied a prominent place in Africa. It must be noted that the use of these networks is not increasingly being made in an informed manner. As a result, social networks are seen as viruses that plague crises in Africa. This reflective effort, questioning the possible impact of social networks in Africa and focusing on analytical and critical methods, strives to make it understood that social networks are not in themselves bad. It all depend on what you do with it.

Keywords : Africa, Crisis, Bad use, Social networks, Responsibility.

Introduction

Il y a quelques années en arrière, l’utilisation des réseaux sociaux en contexte africain était non seulement chose rare, mais aussi, elle était réservée à un cercle fermé, c’est-à-dire limité à une catégorie de personne. Cette restriction a volé en éclat. Qu’on le veuille ou pas, l’utilisation des réseaux sociaux durant cette dernière décennie traverse notre temps et l’Afrique n’est pas en marge de ce fait. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au fur et à mesure que ces réseaux gagnent en hospitalité, nous assistons à une amplification des crises des sociétés africaines comme nulle autre pareille. L’ampleur de la crise des familles (couple LGBT), la perte des valeurs, la dépendance numérique, le développement du dégoût de l’Afrique au bénéfice des autres continents, le déni de la dignité humaine, la tricherie, la vie facile (…) sont autant de phénomènes que suscite l’usage des réseaux sociaux. Antoine Bayet de dire : « Les réseaux sociaux dévorent tout sur leur passage, même… notre santé mentale » (2021, p. 10).

Dans ce contexte et dans une Afrique en quête de repères, il convient de convoquer les réseaux sociaux au tribunal de la raison afin de sonder leurs impacts sur les populations africaines et surtout rendre leur utilisation serviable. Comment l’utilisation des réseaux sociaux favorise-t-elle les crises en Afrique ? La réponse à cette question suscite trois autres questions subsidiaires. D’abord, quel est l’état des lieux des sociétés africaines ? Ensuite, en quoi les réseaux sociaux assombriraient-ils les sociétés africaines ? Et enfin, qu’est-ce que les réseaux sociaux ? Les réponses à ces questions seront le creuset de notre prochaine analyse.

1. État des lieux en Afrique : Un continent en crises

Du grec krisis « décision », la crise désigne selon le dictionnaire Petit Larousse, un « changement subit, souvent décisif, favorable ou défavorable, du cours d’une maladie » (1989, p. 278). Nous pouvons comprendre à partir de cette approche que donne Larousse, que le concept de « crise » est un concept médical. Il désigne l’évolution d’un état de santé d’une personne en bien ou en mal selon la circonstance.

Mais, force est de reconnaître que l’usage du concept de crise a connu une grande extension. La crise ne se limite plus au domaine médical. Elle est presqu’utilisée dans tous les domaines d’activité intellectuelle et même par tous. Cette amplification de la crise nous fait passer de son univocité à sa pluralité vocale. Dans cette pluralité, la crise renvoie à une période périlleuse de l’existence, une phase difficile traversée par un groupe social. C’est dans ce sens que Traoré Grégoire, dans son allocution pendant le colloque sur la crise des Universités organisé par le département de philosophie de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, les 9, 10 et 11 juin 2022, l’a appréhendée comme un « moment de rupture et de malaise ». C’est pour ainsi dire, que la crise dans sa manifestation, indique un moment dans lequel tout s’effondre et où rien ne marche à la convenance du normal.

À propos, nous voulons nous servir de ce que Jean Gobert Tanoh dit en ces termes : « Aucune société humaine ne peut s’accomplir dans l’histoire si elle n’apprend pas, dans un élan critique et objectif, à s’analyser » (2019). En d’autres termes, pour sortir de son mal être, chaque peuple a besoin d’un regard critique et objectif qui dénonce et met à découvert tout ce qui l’empêche de se tenir et maintenir comme un peuple enviable. En dehors de ce fait, le développement resterait un leurre. Si cette approche est digne d’attention et révélatrice, l’Afrique, dans sa lieutenance, mieux dans son être-là véritable, ne se donne-t-elle pas à apercevoir comme un continent en proie à une kyrielle de crises ?

En dépit de tout afro-pessimisme, depuis près d’un siècle, l’Afrique traverse un déséquilibre inégalé. Ce fait est d’autant plus affranchissant que lorsqu’on entend le nom Afrique d’une oreille, résonne dans l’autre crise politique, crise éducative, crise sanitaire et crise économique. Ces crises ne datent pas de maintenant.

Depuis plus de cent ans de souffrance, elle subit stoïquement et platement la sénescence et la sénilité de ses entités biologiques sans espoir de guérison. Les différentes crises économiques, politiques et sociales en sont les preuves. Autant de conjonctures malheureuses qui continuent d’engourdir son élan vers l’évolution (Yao, 2014, p. 17).

Le disfonctionnement alarmant de l’Afrique amène Louis-Marie Bambu à la saisir comme le « continent où la vie ici-bas se présente essentiellement comme une traversée de la vallée de larmes et de souffrances, où l’on fait quotidiennement l’expérience de la précarité de la vie, où la mort est devenue une réalité banale » (2020, p. 72). Les propos de Bambu sont révélateurs d’une clarté affranchissante. Deux réalités propres à l’Afrique siègent dans ses propos. Il s’agit de l’Afrique comme le lieu où l’existence est une traversée de souffrances indéterminées et de la banalisation de la mort. En d’autres termes, la vie en Afrique est la manifestation de la misère démesurée et de conflits incessants. Dans ce contexte, la mort pourrait devenir chose banale dans la mesure où elle est partout présente. Les guerres, les conflits armés et les génocides sont des lots quotidiens en Afrique. Or, il n’y a pas de guerre sans morts. Cela fait qu’en Afrique, l’on est toujours en contact direct avec les morts. Cette régularité banalise la mort car elle la démystifie. Autrefois, elle était perçue comme chose sacrée parce qu’elle est l’expression de la volonté divine.

La cause de cette triste réalité, réside dans cette belle analogie qu’a fait le clergé lors du synode de l’Église Catholique sur l’Afrique en 1994. Pour les synodaux, l’Afrique est comparable à l’homme de l’Évangile tombé dans les mains des brigands qui l’ont roué de coups et dépouillé de ses biens dans Luc 10, 25-37. Prêtons à nouveau frais la parole à Saïdou Pierre Ouattara :

L’Afrique, c’est l’histoire d’un continent qui a mal tourné parce que partagé entre des fils qui ont le culte d’un passé à jamais révolu, entre célébration d’un passé et le culte du progrès, d’un progrès sans âme parce qu’oublieux de notre être propre (2006, p. 27).

En partance de l’allégation de Pierre Ouattara, nous saisissons que l’Afrique éprouve une difficulté alléchante à se défaire de son passé nostalgique. L’Africain présente partout et à tout moment la colonisation comme un trophée d’honneur. La colonisation n’est en ce sens une source de déshonneur et de mépris. Par contre, elle est partout brandie pour tout justifier qu’elle passe pour ainsi dire comme l’argument d’excuse. Ainsi, nous pouvons dire, derrière « le culte de la colonisation », se hisse une justification honteuse des compétences manquées et des responsabilités mal-assumées.

En plus du culte d’un passé jamais révolu, s’ajoute l’éloge du progrès sans âme. En Afrique comme partout dans le monde dit moderne, le progrès matériel se donne à saisir comme l’unique versant de la sauvegarde humaine. Un tel progrès pour l’Afrique est un danger. Car, mettant uniquement l’accent sur la croissance économique, il vide l’homme de son fond intérieur. Un progrès sans âme ne peut aider l’homme à s’assumer et s’appartenir soi-même. En vérité, le développement est éducatif avant d’être économique. L’évangéliste Marc (8,38, 2004, p. 1451) de se questionner dans cette perspective : « Et quel avantage l’homme a-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? » Selon la logique du progrès sans âme, le développement est économique tout en se moquant de l’éducation. Il va sans dire que la santé du corps prend le pas sur celle de l’âme.

Sous l’hospice du progrès sans âme, l’Africain voit en Occident la terre promise. « Le tiers-monde ne peut voir les plaies de l’Europe, les siennes l’aveuglent ; il ne peut entendre son cri, le sien l’étourdit » (F. Diome, 2002, p.44). Cette affirmation laisse apparaître en toile de fond que l’Occident n’est pas exempt des problèmes liés à l’existence humaine. Penser que les occidentaux n’ont pas de soucis est une erreur. Ils ont des défis à la taille de leur mode de vie. Mais, dans une comparaison mal articulée, l’africain pense l’Occident comme la terre promise. Ainsi, s’en remettant à la persuasion des sens et au mépris de toute intégrité les ébénistes fuient l’Afrique vers l’Occident dans l’espoir de retrouver un environnement tant rêvé. Dans cette volonté, se réalise la négation de soi. Car, au détriment d’un ailleurs objectivé, les africains sacrifient leur être, c’est-à-dire ce qu’ils ont de propre. Si chez soi, on est soi-même, il va aller de soi que chez l’autre, on soit l’autre et non soi-même. Allant du concept de crise, nous sommes parvenus à saisir l’Afrique comme un continent en proie à une légion de crises. Catégorisées, elles sont d’ordre politique, éducatif, économique et sanitaire. En quoi les réseaux sociaux auraient-ils un impact d’amplificateur sur la quaternité crisogiques de l’Afrique ?

2. Réseaux sociaux comme présupposés amplificateurs des crises en Afrique

Les réseaux sociaux désocialisent et désolidarisent. L’un des grands dangers liés aux réseaux sociaux, c’est qu’ils éloignent les personnes les unes des autres. Aujourd’hui en général, personne avec son smartphone ou son ordinateur ne prête attention soutenue à ce qui se passe dans son entourage. Le monde numérique agrandi en individu la préoccupation d’un supposé ailleurs dans la mesure où il s’éloigne considérablement des vrais amis, des membres de la famille avec qui il vit dans le monde concret. Ainsi, avec les réseaux sociaux, il n’y a plus de société à proprement parler en tant que lieu d’échange d’attention et de préoccupation. Pour entamer notre enquête, optons pour l’idée que si les réseaux sociaux pouvaient avoir un impact amplificateur dans les crises en Afrique, c’est en effleurant en direction de son impact sur l’éducation que deviendra tout à fait intelligible leurs limites. Pour y parvenir, qu’appelle-t-on éduquer ?

Pour entendre le dire qui parle en substance dans le concept d’éduquer, veillons à le saisir dans son étymologie. Éduquer vient du latin educare ce qui veut dire « conduire, mener ». En tant que conduire ou mener, l’éducation est ce qui permet à celui qu’on éduque de parvenir à destination en tant que lieu fondamental. Elle guide sur le droit chemin. Éduquer, c’est, nourrir, élever au sens d’instruire, d’aider l’enfant à s’élever à la compréhension de la vie et de son monde tout en l’incitant à la responsabilité de soi et d’autrui (Ouattara, 2006, p. 8). Autrement dit, l’éducation présuppose l’aide d’un premier venu qui a fait l’expérience de la destination où il veut en humanité conduire celui qu’il éduque.

En plus de son dévoilement latin, éduquer parle grec. Et en tant qu’héritier de la romanisation du grec, il faut dans un élan assoiffé de savoir, écouter le concept d’éduquer de manière grecque. Parménide nous sert de témoin à travers ses fragments 22 et 25 : 

Et la déesse en toute bienveillance m’accueillit et prit, de sa main, ma main droite : elle prononça alors et m’adressa cette parole : homme, qu’accompagnent d’immortels auriges, grâce aux cavales qui t’emportent parvenant à notre demeure, réjouis-toi ! Car ce n’est pas un destin mauvais qui t’a envoyé parcourir ce chemin – lui qui est en vérité loin des hommes, hors de leur sentier (battu) (Parménide par Heidegger, 2002, p. 18-19).

Parménide en effet, dit simplement les cavales qui l’emportent. Il ne dit pas qui conduit les cavales. Dans cette non indication réside la vocation de la pensée. Si l’auteur des fragments a pris le soin de ne pas indiquer qui conduit les cavales, cela ne serait pas un manque de sa part. Mais au contraire, cela est une invitation à la pensée en ce sens qu’il revient au penseur de découvrir l’identité du conducteur des cavales. Pour notre part, en tant que tard-venus à la parole de Parménide, pour entendre quelque chose de révélateur dans cette parole, il nous revient de la méditer à partir de l’accointance entre l’étymologie latino-grecque d’éduquer. Elle dévoile qu’éduquer dans son essence désigne montrer, accompagner donc mener ou emporter.

Au vu et au su de la destination et l’hospitalité de la déesse (Aléthéia), cette image pour nous être serviable renverrait à un enfant qui à son bas âge est accompagné par ses parents à l’école dans la mesure où l’école dans son concept se donne au tribunal de la raison comme le lieu d’initiation à la contemplation et à l’acheminement vers la vérité. Autrement dit, l’apport et l’implication des familles dans l’éducation de leurs enfants y vont de l’avenir de ceux-ci car il revient aux familles de prendre la difficile décision d’accompagner et de suivre leurs enfants dans le cheminement sur la route qui s’écarte du commun des mortels. Mais qu’est-ce que la famille ?

« La famille est le lieu par excellence de la socialisation de tout individu. C’est le lieu où tous nous avons appris à vivre en humain sous le regard bienveillant de nos pères et de nos mères » (A. P. Yao, 2023, p.4). Cette allégation du Chargé des Vocations du Diocèse de Bouaké montre que la famille est le lieu où l’être humain apprend à séjourner dans le monde sous la protection de Papa et Maman. Cette précision est évocatrice. Elle veut enseigner que la famille authentique est celle où les enfants grandissent sous le regard du père (homme) et de la mère (femme). Cette précision se veut une mise en garde dans un contexte où les modèles de famille proposés par les sociétés modernes préconisent les familles homosexuelles. « La cellule familiale se trouve aujourd’hui touchée par « les transformations, larges, profondes et rapides, de la société et de la culture » (Kassi, 2023, p. 5).

La famille a une très grande responsabilité dans la réussite des enfants. Elle montre la voie à suivre. Les pères et les mères accomplissant leur devoir, ils font de leurs enfants les héritiers du lendemain. « Demain sera fait par des hommes dont les parents auront montré les voies à suivre pendant leur enfance ; c’est pour cela qu’il faut préparer nos enfants à Affronter l’Avenir, qu’il faut leur montrer la voie, afin qu’ils tracent leur propre voie et fassent entendre leurs voix » (S. Diakité, 2016, résumé).

Si telle est l’essence de la famille, que donne le constat de l’actualité de nos jours ? Nous constatons une démission notoire des parents dans le processus de l’éducation des enfants. Devant cette démission, les enfants sont sans repères et sans guide. Devenus autodidactes, l’internet à travers les réseaux sociaux devient un moyen de ressource. Dans ce sens, l’internet a pris la place des parents dans l’éducation de leurs enfants. L’internet peut réellement et convenablement assumer consciemment et moralement le rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants ? Quand l’humanité en arrive là, il est clair qu’au lieu des enfants éclairés, ce sera des objets qu’on aura programmé et déposé en société. Ces enfants ignorent tout ce qui émane du devoir. Ils n’ont que des droits. Pierre Ouattara reprenant Ortega Y. Gasset affirme : « La société moderne tend, en Afrique comme ailleurs, à faire de l’individu « un enfant gâté » un être par définition étranger au sens de l’obligation » (2006, p. 5).

Un enfant gâté certes vit en société, cependant n’existe que pour soi. Au cœur de cet individualisme, la culture de la super consommation s’adossant à la facilité reste une vertu cardinale. Si selon l’écriture sainte, celui qui ne travaille pas ne doit pas manger, avec l’enfant gâté, celui qui ne travaille pas doit manger plus que celui qui travaille. Mieux, si la santé de l’âme vaut mieux que la santé du corps, pour l’enfant gâté, l’inverse est la vérité infaillible. Ce renversement des valeurs est dangereux pour nos sociétés africaines en quête de repère pour la réalisation de leur effectivité. Elle finira par abrutir tous les Africains à la recherche du gain facile dépourvu de l’avenir et d’une politique pérenne. « L’on a fini par courir le risque de faire des membres de la société (africaine) des scientifiques sans consciences, des matérialistes, irrespectueux des valeurs qui fondent une société » (Conférence des Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, cité par Kassi, 2023, p. 22). Tel est l’impact que suscitent les influenceurs des réseaux sur la société. Qui sont-ils ?

« Les influenceurs sont des personnes qui disposent des comptes sur les réseaux sociaux et qui drainent des audiences » (Idem, p. 23). Sur ces pages boostées donc vues et suivies par plusieurs personnes, plusieurs sujets sont abordés. On y trouve, le sexe, la politique, le développement personnel (…). Cependant, il est rare de trouver des influenceurs de ressources avérées capables de traiter adéquatement les thématiques qu’ils se proposent. Plus clairement, selon l’Abbé Laurent Kassi, ils racontent de façon régulière leur mode de vie, à telle enseigne que ceux qui les suivent les prennent pour leurs « idoles », repères et finissent par vouloir faire comme eux. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer Makosso, Lolo Beauté. Malgré leur niveau d’étude, les influenceurs sont, de nos jours, les nouveaux éducateurs de la société tandis que ceux qui ont reçu des formations adaptées et appropriées à cet effet, sont méprisés. Dans ce sens, convient-il de soutenir que ses personnes influencent vraiment ?

L’influence est à la convenance de son concept lorsqu’il aide l’influencé à se rendre à l’évidence de ses obligations et devoirs. C’est quand il apporte un supplément d’âme à celui qui est en quête du repère qu’il mérite le titre d’influenceurs. Dans ce sens, il faut avoir le courage de le dire, les soi-disant influenceurs ne sont pas, à proprement parler les influenceurs. L’authentique influence élève et conduit celui ou celle qu’on influence à un plus et à un mieux-être. Ils sont des mauvais accompagnateurs. « Si les influenceurs semblent être des nouveaux « éducateurs » au sein de la société (africaine), il faut le dire, c’est parce que, la famille a démissionné à être le lieu de la première socialisation » (Ibidem). C’est à la lumière de ce fait qu’Umberto Eco dit ce qui suit : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le droit de parole qu’un prix Nobel ».

Dans ce même canevas, Bénédicte Flye Sainte Marie (2020) parle des sept péchés capitaux des réseaux sociaux. Pour elle en effet, les réseaux sociaux provoquent en l’être humain, l’overdose à l’information, la fabrique de la haine et de l’instinct grégaire, la sociabilité mise en danger, la paresse au bout du clavier, la mort de l’intimité, l’avènement de l’hyper-narcissisme, la culture de la dépendance et on finit par devenir esclaves de ces réseaux. Devenir esclave, c’est être arraché à soi, en ce sens qu’on ne s’appartient plus. On vit pour l’autre. En d’autres mots, c’est une manière de vider un être humain de son être profond. Augustin Dibi est plus éloquent lorsqu’il questionne en ces termes : « La meilleure manière de vider un être humain de toute substantialité, n’est-ce pas de le tirer indéfiniment vers l’avant, dans un mouvement dont la logique lui demeure incompréhensible, sans lui laisser le temps de se retirer en soi ? » (2018, p. 27).

Le manque de culture scientifique que favorisent les réseaux sociaux crée ce que Luc Ferry a nommé « les citoyens de seconde zone ». Les citoyens de seconde zone renvoient aux citoyens dépourvus de la culture scientifique, et incapables de comprendre l’origine et le sens des principales évolutions de notre temps. Un tel être humain n’est pas à différer des animaux. Peut-on soutenir à bon droit l’équation réseaux sociaux égale déroute de la société ? Les réseaux sociaux, dans leur nom même qui leur donne étance, ne célèbrent-ils pas la vie communalement sociale ? Qu’est-ce que les réseaux sociaux ?

3. Acheminement vers le sens des réseaux sociaux au service de l’Afrique

L’expression réseaux sociaux résonne régulièrement dans la quotidienneté de notre être-là qu’on est tenté de souscrire à l’idée que nous la connaissons suffisamment. Les réseaux sociaux sont pour la doxa compréhensible. Ils vont de soi. Mais, quand nous passons en revue ce qui précède, il va sans dire que nous ne les connaissons pas. Hegel dit à propos que ce qui est bien-connu en général, justement parce qu’il est bien connu, n’est pas du tout connu.

Dans l’expression « réseaux sociaux », il apparaît clairement deux mots à savoir : réseau et social. Le réseau, dans son concept, fait signe vers une interconnexion entre les membres d’un corps, d’un système ou d’une organisation. Il expose dans sa splendeur explose même la liaison de deux ou plusieurs personnes. Le social est ce qui émane de l’intérêt commun, donc de la société. Il est le lieu qui accueille et abrite l’individu. La société est le lieu qui donne forme, corps et délimitation spéciale à un individu dans la mesure où, c’est en société qu’un individu devient manifestement intelligible à la conscience. En d’autres termes, elle permet de saisir l’homme dans son appartenance ethnique, régionale, nationale, continentale et enfin mondiale.

S’inscrivant dans cette perspective relationnelle, les réseaux sociaux numériques sont la forme libéralisée des relations humaines. Ils rendent aisé la rencontre, la découverte et l’ouverture au monde. Dans un dossier monté le 1er février 2012 en pour l’obtention des bourses en vue de privatiser Facebook, Mark Zuckerberg y a joint une lettre dans laquelle il a expliqué les visions de Facebook le top un des réseaux sociaux mondiaux.

Zuckerberg affirme que l’objectif général de Facebook est de « rendre le monde plus ouvert et plus connecté ». Continuant, il ajoute que chez Facebook, ils utilisent les nouvelles technologies. « En rendant la communication plus efficace, elles ont conduit à de profondes transformations de la société. Elles ont donné aux gens une voix. Elles ont encouragé le progrès. Elles ont changé la manière dont la société est organisée. Elles nous ont rapprochés » (Zuckerberg par Bayet, 2021, p. 61). Dans l’économie de ce qui précède, on pourrait réaliser qu’à travers les nouvelles technologies, les réseaux sociaux ont donné à la société un nouveau visage. En plus de rendre les uns proches des autres, ils permettent aux utilisateurs de communiquer facilement.

L’homme aime à découvrir de nouvelles personnes et de nouveaux horizons. C’est en cela qu’il témoigne vivement de son humanité. À propos, Pierre Ouattara affirme : « Le lieu d’une rencontre véritable ne peut se situer ailleurs que dans une vulnérabilité risquée (…). Grandir en humanité exige d’oser la rencontre. Le salut ne se produit qu’au prix d’une vulnérabilité risquée dans la rencontre » (2015, p. 19). L’authentique rencontre réside dans le cheminement vers l’inconnu. Cet inconnu implique la rencontre de l’autre. Les réseaux sociaux à travers leur éternelle ouverture rendent aisé cette disposition humaine. Car par le biais des réseaux sociaux, on peut rester dans son pays et faire la connaissance de nouvelles personnes qui vivent à l’autre bout du monde.

Les réseaux sociaux sont des ferments d’une nouvelle forme de citoyenneté. Il s’agit non de se replier « sur les frontières nationales resserrées mais ouverte sur les nouveaux horizons qui se profilent » (Haigneré, 2003, p. 172). Les réseaux sociaux ne sont pas des monades fermées sur soi. Les réseaux sociaux ne sont pas programmés à ordonner à qui que ce soit, ce qu’il doit faire. En ces termes, l’utilisateur de ces réseaux l’utilise librement. Quand on vient à commettre les sept péchés capitaux qu’énumère Bénédicte Flye Sainte Marie dans son ouvrage Les sept péchés capitaux des réseaux sociaux, il faudrait que l’on ait le courage de reconnaître et d’assumer sa responsabilité. Sur les réseaux sociaux en vérité, rien n’est apostériori donné. Tout est construit. Autrement dit, c’est l’usage que l’on fait des réseaux sociaux qui pervertit ces réseaux et non ces réseaux en eux-mêmes qui sont pervers. « L’on peut avoir du Facebook, l’usage que l’on veut » (Sainte Marie, 2020, p. 116). Si cette allégation est révélatrice d’une cohérence indiscutable, comment rendre l’utilisation des réseaux serviable et utile en contexte africain ?

La réponse à ce questionner nécessite que l’on se remémore le sens de l’utilisation. L’utilisation se dévoile comme emploi, application et usage. Intuitionnant utilisation à partir du verbe utiliser, elle désigne le fait de « recourir (à quelque chose » pour un usage précis » (Larousse, 1989, p. 1003). En clair, dans la véritable utilisation l’on fait ce pourquoi la chose est faite. Une telle utilisation se méfie de toute subjectivité car elle est la commémoration manifeste de l’être de cette chose. Selon Heidegger, « l’essence de l’agir est l’accomplir » (1983, p. 27). Accomplir signifie, « déployer une chose dans la plénitude de son essence » (Idem). Ainsi, utiliser les réseaux sociaux revient à les maintenir dans leur contexte originel, lequel contexte se veut la facilitation de la rencontre.

Pour que l’Afrique devienne ce qu’elle veut être, elle doit à travers les réseaux sociaux oser la rencontre. L’ouverture au monde et aux autres est un moyen fondamental pour l’Afrique dans la réhabilitation de son système éducatif. Un peuple ne peut jamais s’affranchir des maux qui le gangrènent sans une base d’échange avec l’autre. L’ouverture favorise le brassage du savoir être et du savoir vivre. L’Afrique en proie à une kyrielle de crises, gagnerait à privilégier la coopération avec les autres peuples dans l’espoir heureux d’endiguer les erreurs du passé afin de sereinement se projeter dans l’avenir. « Pour être à la hauteur de son histoire tout en demeurant contemporaine du monde dont elle est partie intégrante, l’Afrique se doit d’instruire au moins un double champ théorique : celui de l’occident et le sien propre » (Y. Konaté, 2010, p. 8).

Dans ce sens, l’utilisation des réseaux sociaux en Afrique doit connaître une adaptation. L’adaptation doit prendre en compte l’écoute responsable. Certes, tout le monde a droit à la parole sur les réseaux sociaux. Mais, tout n’est pas bon à écouter et tout n’est aussi pas bon à dire. Sur ce chemin, l’origine de « la philosophie du dos » de Boa-Thiémélé Ramsès (2021, p. 14) s’impose avec une force scientifique. Mais que dit-il à propos ?

La richesse de l’occurrence du dos a conduit à la rédaction de ces chroniques. Du samedi 14 septembre 2019 au vendredi 16 octobre 2020, librement, sans autre contrainte que le plaisir de partager des réflexions sur mon mur du réseau social Facebook, ces chroniques relatives au dos ont été publiées.

Comme le souligne l’auteur, « la philosophie du dos » prend sa source à partir d’une publication sur Facebook. Et pour ceux qui ont vu l’ouvrage, il est une organisation logique des quelques cinquantaines de commentaire d’internautes de l’auteur sur sa page Facebook. Force est d’admettre qu’à partir de cet exemple, l’on peut philosopher à partir de Facebook.

C’est comme pour ainsi dire, qu’« il faut oser la science » (Haigneré, 2003, p.170). L’internet à bien des égards, a cette vocation de fédérer science et éducation. L’éducation scientifique s’adonnant comme le levain qui élève et fonde la consistance profonde d’un État, il serait plus avantageux pour les États africains de ne point se priver ou priver leurs citoyens de l’usage des réseaux sociaux dans le cadre éducatif. « L’internet représente une possibilité extraordinaire d’accès au savoir » (L.-M. Bambu, 2022, p. 58). L’Afrique, dans son élan vers l’affirmation et la conservation d’elle-même en tant que peuple du monde, a besoin d’un savoir fondamental qui la maintient ouvert-au-monde. Car, c’est au prix de ce savoir qu’elle pourra briller au flamboyant.

Conclusion

Le monde actuel est à l’ère du numérique et personne ne peut ignorer cette réalité. L’utilisation des réseaux sociaux est plus que jamais d’actualité. Leur actualité ne va pas sans ambivalence. D’une part, les réseaux sociaux se dévoilent comme le point focal du dévalement, de la désocialisation et de l’émiettement des familles. D’autre part, les réseaux sociaux tendent à s’avérer comme un authentique moyen de socialisation, de rencontre et d’éducation. Mais à regarder de plus près l’ambivalence des réseaux sociaux, force est de reconnaître qu’en réalité, les réseaux sociaux dans leur concept même ne sont pas déplorables. La dangerosité de ceux-ci réside dans leur mauvaise utilisation. Ainsi, loin d’interdire l’utilisation des réseaux sociaux, il serait convenable d’adapter leur utilisation aux contextes africains, afin de jouir pleinement des avantages que renferment ces réseaux car « là où il y a danger, là aussi croît ce qui sauve » (Hölderlin par Heidegger, 1958, p. 38).

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RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES ET ÉTHIQUE                              DE L’ESPACE PUBLIC À PARTIR D’HANNAH ARENDT

1. Bi Zaouli Sylvain ZAMBLÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

bizaoulisylvain@gmail.com

2. Amidou KONÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

koneyhamid@yahoo.fr

Résumé :

Les réseaux sociaux numériques sont des espaces publics virtuels accessibles à tous. À ce titre, ils constituent des canaux de publicité et de vulgarisation des informations publiques et privées. C’est malheureusement dans ces espaces d’interactions sociales et publiques que se trouvent souvent exposés certains contenus de la vie intime, tels que la sexualité, la nudité, les querelles familiales et amicales. La publication de ces données fondamentalement secrètes accentue la confusion de l’espace public et de l’espace privé dans la modernité que dénonçait Hannah Arendt. Face à une telle confusion, il est nécessaire d’examiner les conditions d’un usage adéquat et décent des réseaux sociaux numériques. Cet usage peut relever de l’éthique de l’espace public qui pose, à la suite d’Arendt, la nécessité de séparer l’espace public de l’espace privé de sorte que les réseaux sociaux ne rendent visibles que les informations publiables. Cette éthique de l’espace public suppose également une éthique de la communication et de la publicité car, comme le dit la philosophe, certaines choses sont destinées à demeurer dans le monde du caché tandis que d’autres peuvent être publiées. Ainsi, cette étude vise à utiliser, à l’aide de la méthode analytique, la pensée politique d’Arendt pour déterminer les conditions de publicité des informations dans l’espace public ainsi que celles de la préservation de la vie privée des individus.

Mots clés : Éthique, Espace public, Espace privé, Publicité, Réseaux sociaux.

Abstract:

Digital social networks are virtual public spaces accessible to everyone. As such, they are channels for advertising and popularizing public and private information. Unfortunately, it is in these spaces of social and public interaction that certain contents of intimate life are often exposed, such as sexuality, nudity, family and friendly quarrels. The publication of these fundamentally secret data accentuates the confusion of public space and private space in modernity that Hannah Arendt denounced. Faced with such confusion, it is necessary to examine the conditions for an adequate and decent use of digital social networks. This use can come under the ethics of public space which poses, following Arendt, the need to separate public space from private space so that social networks only make publishable information visible. This ethics of public space also presupposes an ethics of communication and advertising because, as the philosopher says, some things are destined to remain in the world of the hidden while others can be published. Thus, this study aims to use, with the help of the analytical method, the political thought of Arendt to determine the conditions of publicity of information in the public space as well as those of the preservation of the private life of individuals.

Keywords : Ethics, Public space, Publicity, Private space, Social networks.

Introduction

Le développement des réseaux sociaux numériques a accentué la confusion de l’espace public et de l’espace privé que dénonçait déjà Hannah Arendt. Pour la philosophe, la distinction entre le privé et le public « correspond au domaine familial et politique, entités distinctes, séparées au moins depuis l’avènement de la Cité antique » (H. Arendt, 1983, p. 65). C’est la disparition de cette distinction qui se serait manifestée dans la modernité par l’apparition du domaine social, lequel a « trouvé dans l’État-nation sa forme politique » (H. Arendt, 1983, p. 66). Bien qu’Arendt soit souvent évoquée dans les réflexions sur les réseaux sociaux numériques (ADES, 2018 ; P. Dahlgren et M. Relieu Marc, 2000 ; D. Cardon, 2010), l’implication de ces réseaux sociaux sur la séparation entre l’espace public et l’espace privé n’est pas encore suffisamment explorée. Néanmoins, Charlotte Groulx voit dans les Réseaux Sociaux Numériques (RSN) le triomphe du domaine social. Elle révèle que l’intrusion des réseaux sociaux dans l’intimité des individus « serait problématique, selon Arendt » (C. Groulx, 2022, p. 5). Si cette chercheure a bien vu le rapport entre la pensée d’Arendt et les réseaux sociaux numériques, elle n’est pas parvenue à montrer les implications éthiques du triomphe du domaine social. C’est pourquoi, la présente étude se propose de soumettre les réseaux sociaux numériques à l’épreuve critique de la conception arendtienne de l’espace public afin d’en dégager les implications éthiques.

Au fond, les réseaux sociaux numériques sont des espaces publics virtuels accessibles à tous. À ce titre, ils constituent des canaux de publicité et de vulgarisation des informations publiques et privées. C’est malheureusement dans ces espaces d’interactions sociales et publiques que se trouvent souvent exposés certains contenus de la vie intime, tels que la sexualité, la nudité, les querelles familiales et amicales. Cette émergence de l’intime dans le public tout comme l’extension du public au privé rend quasi-impossible la préservation de la vie privée et dénature l’espace public. Dès lors, une question fondamentale se pose : Quels rapports doivent entretenir l’espace public et l’espace privé dans les réseaux sociaux numériques ? Cette question fondamentale en appelle aux questions secondaires suivantes : comment peut-on concevoir le statut philosophique des réseaux sociaux numériques à partir d’Hannah Arendt ? Le développement des réseaux sociaux numériques ne renforce-t-il pas la confusion entre le privé et le public ? L’éthique de l’espace public ne peut-elle pas garantir la préservation de l’espace privé ?

Face à ces interrogations, il est possible de supposer que le développement des réseaux sociaux numériques renforce la crainte d’Arendt selon laquelle l’émergence du social dans le public peut entrainer la confusion entre l’espace privé et l’espace public de sorte à rendre impossible une vie authentiquement humaine sur terre. La formulation d’une telle hypothèse implique un objectif général : montrer que les réseaux sociaux numériques ont confirmé les craintes d’Arendt sur les difficultés de séparation de l’espace public et de l’espace privé dans la modernité. Cela signifie, d’une part, que le social engloutit désormais l’espace public et l’espace privé et, d’autre part, qu’une éthique de l’espace public est nécessaire afin de garantir l’authenticité de la vie humaine sur terre. Pour atteindre ces objectifs, la méthode analytique s’avère nécessaire. Elle consiste à utiliser la pensée politique d’Arendt pour faire ressortir le sens du développement des réseaux sociaux sur la séparation des domaines d’existence. Il s’agit d’une étude documentaire dont la collecte des données s’est effectuée tant dans les œuvres d’Arendt et de ses commentateurs que dans celles relatives aux réseaux sociaux numériques et à l’espace public. Ainsi, à partir d’une analyse critique du statut philosophique des réseaux sociaux numériques à la lumière de la pensée d’Arendt, nous examinons le rôle des réseaux sociaux dans la séparation des domaines d’existence. Un tel examen aboutit à dégager les exigences éthiques pour un meilleur usage de l’espace public numérique ainsi qu’une préservation de la vie privée.

1. Hannah Arendt et le statut philosophique des réseaux sociaux numériques

Les réseaux sociaux numériques sont-ils des espaces publics ou des espaces privés ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir à l’aide de la pensée d’Arendt ce que sont un espace public et un espace privé. C’est à la lumière de cette définition qu’il sera aisé de dire si les réseaux sociaux numériques sont des espaces privés ou des espaces publics.

1.1. Les concepts d’espace public et d’espace privé chez Arendt

Si l’espace public a émergé politiquement avec les cités gréco-romaines de l’antiquité, il a fait son apparition sociale avec l’avènement de la société bourgeoise sur la scène politique. Kant se présente comme le premier penseur moderne à tenter une conceptualisation de cette dimension sociale de l’espace public. Et c’est dans son concept d’« usage public de la raison » que J. Habermas (2008, p. 28) trouve cette source théorique de l’espace public moderne. À ce titre, E. Kant (1947, p. 48) affirme : « J’entends par usage public de notre propre raison celui que l’on en fait comme savant devant l’ensemble du public qui lit ». Il s’agit au fond du rassemblement des personnes privées, c’est-à-dire des individus, qui n’occupent aucune fonction officielle de l’État, réunis dans un lieu public tant pour discuter des questions relatives à la vie de la cité que pour critiquer la gestion du pouvoir politique. Ainsi, à la suite de Kant, Habermas conçoit l’espace public comme un idéal de discussion d’intérêt général fondé sur l’usage public de la raison en vue de la production des opinions. Un tel espace se matérialise par « l’opinion publique qui s’oppose directement au pouvoir » (J. Habermas, 1993, p. 14). Cela signifie que l’espace public chez Habermas se distingue de l’espace de la gestion des affaires publiques.

Il s’agit, au fond, d’une conception sociale de l’espace public qui n’est pas celle d’Arendt. Cette dernière voit plutôt dans l’espace public un domaine de maniement des affaires politiques.  Chez la philosophe, l’espace public est un entre-deux qui sépare et relie « les hommes entre eux » (V. Lefebve, 2010, p. 31). C’est un élément constitutif et fondamental de la politique, étant le lieu de réalisation et d’expression effective de la liberté humaine. Celle-ci s’expérimente à travers la parole et les actions dans le monde de l’apparence. C’est en réalité, selon E. Tassin (1992, p. 28), « un espace de distanciation, de dispersion, de diffusion et de nivellement. Espace d’impropriété où se dévoile et s’épanche l’inauthenticité de l’être ». Cet espace arendtien est à l’image de la polis grecque dans laquelle le domaine privé et le domaine public étaient séparés. Il y avait, d’un côté, le domaine privé, l’idion, ledomainedela vie individuelle et familiale. C’est le domaine de la maisonnée, l’oikos (F. Moreault, 1999, p. 176), caractérisé par une absence de droit et d’égalité. Il s’agissait d’un domaine de domination et d’inégalité à l’intérieur duquel le chef de famille assujettissait les autres membres de la famille à sa volonté. Sa femme, ses enfants et ses esclaves étaient tous à son service. Dans cet ordre hiérarchique où dominait le père de famille, la femme commandait à ses enfants et à ses esclaves. Ceux-ci étaient au service de toute la famille.

De l’autre côté, il existait l’espace public, le domaine de la vie politique, le koinon. C’est le domaine de l’action – la praxis (l’agir), et de la parole – la lexis. C’est en ce sens que la polis grecque qui, selon H. Arendt (1983, p. 259), ne se réduit pas à une simple cité en localisation physique est « la localisation du peuple qui vient de ce qu’on agit et parle ensemble ». Elle est un espace qui « s’étend entre les hommes qui vivent ensemble dans ce but, en quelque lieu qu’ils se trouvent » (H. Arendt, 1983, p. 259). Cela signifie que la politique, qui n’a rien de permanent, naissait par la réunion des hommes libres et prêts à agir ensemble pour disparaitre lorsqu’ils se dispersent et retournent chez eux. C’est uniquement par et lors de cette rencontre des hommes qu’existait l’espace public, la raison d’être de la politique. C’est dans cet espace que se réalise la citoyenneté qui, selon P. Türk (2022, p. 2), « renvoie au statut de celui qui est admis à participer à la vie de la cité, à la gestion des affaires publiques ». En un mot, l’espace public est le lieu d’exercice de la politique et de la liberté humaine, et l’espace privé est celui de la maisonnée, l’espace qui est privé de la visibilité. C’est au regard de cette distinction conceptuelle entre l’espace public et l’espace privé que nous sommes appelés à déterminer le statut philosophique des réseaux sociaux numériques.

1.2. Le statut philosophique des réseaux sociaux numériques à la lumière du concept d’espace public d’Arendt

Interroger le statut philosophique des réseaux sociaux numériques revient à déterminer si ces réseaux sont des espaces privés ou des espaces publics. Cela requiert un exercice préalable de définition. Au fond, techniquement, le réseau social désigne, à en croire Y. Salmandjee-Lecomte et P. D. Degranges (2017, p. 11), « un site Web ou une application mobile offrant à ses membres des outils pour créer, gérer et fédérer leur réseau, c’est-à-dire interagir, communiquer, partager du contenu ». Cette définition qui met en évidence les échanges et la communication réciproque sans autre spécification nous amène à dire que les réseaux sociaux numériques sont des espaces hybrides, à la fois publics et privés. Ils constituent des espaces publics lorsqu’ils sont accessibles à tous. Ils sont vus et disponibles pour tous. C’est le cas de Facebook, TikTok, Twitter, Instagram, etc. Sur ces espaces, il existe des profils, des pages des personnalités et des groupes d’amis et d’associés. C’est en ce sens que « le net peut élargir, au moins chez ses utilisateurs, les marges politiques de l’espace public » (P. Dahlgren et M. Relieu, 2000, p. 175). Cet élargissement de l’espace public se traduit en ces termes : 

Non seulement l’internet offre à ses utilisateurs de vastes espaces de communication dans lesquels on peut voyager, visiter et participer, mais ils leur permettent aussi de produire collectivement de nouveaux espaces, en créant des sites web, des newsgroups, des salles de dialogue interactif, des réseaux, des groupes militants etc. (P. Dahlgren et M. Relieu, 2000, p. 175).

En agrandissant ainsi l’espace public, l’internet contribue à la promotion de la démocratie, étant donné qu’il offre à tous une possibilité d’accéder aux informations publiques, mais aussi de donner son point de vue sur la gestion de la cité. Mais, ils sont des espaces privés lorsqu’ils sont destinés à des discussions privées. C’est en ce sens qu’ils sont souvent appelés « in box » qui traduit littéralement « à l’intérieur de la boite » pour dire « en privé », « entre nous ». Ce sont Messenger, WhatsApp, Telegram, etc. Toutefois, les concepteurs des réseaux sociaux numériques pourraient bien avoir accès à ces contenus dits privés. L’actualité récente dans certains pays occidentaux marquée par la nécessité de protéger les “données personnelles” notamment en France et les protestations réciproques des États-Unis et de la Chine qui s’accusent d’espionnage mutuel via des marques célèbres de téléphone que sont respectivement « Apple » et « Huawei » ne font que confirmer ces soupçons. Il est alors clair que les réseaux sociaux numériques sont à la fois des espaces privés et des espaces publics. Ils ne sont ni l’un ni l’autre, ils sont les deux à la fois. Ce qui ne fait que complexifier la séparation entre l’espace privé et l’espace public, tant revendiquée par Arendt. Une telle séparation est-elle encore possible ?

2. Les réseaux sociaux et la confusion des domaines d’existence humaine

L’avènement des réseaux sociaux numériques intervient après celui du domaine social dans l’espace public. Pour comprendre leur impact sur la séparation des domaines d’existence, il faut rappeler l’histoire de l’émergence du social dans la modernité, le triomphe du social dans le monde contemporain et la misère morale que cette confusion des domaines nous impose.

2.1. L’émergence du social dans la modernité

Il importe de rappeler ici que ce qu’Habermas nomme espace public revient chez Arendt à une sorte d’espace social. Ainsi, ce social serait apparu dans la modernité avec l’avènement des bourgeois sur la scène politique. Si Arendt est d’accord avec Habermas qu’il s’agit là d’un véritable bouleversement, la philosophe y voit une involution, une dépravation de la politique. D’abord, la philosophe indique que l’émergence du social dans le domaine public est un phénomène moderne. C’est dans la période moderne, notamment avec la Révolution française, inspirée de la philosophie sociale de Rousseau, que les questions sociales se sont mêlées aux questions politiques. Au fait, affirme-t-elle,

Quand les malheureux firent leur apparition dans les rues de Paris, il dut sembler que l’« Homme Naturel » de Rousseau, avec ses « besoins réels » dans son « état originel » s’était soudain matérialisé, et que la Révolution n’avait en fait été rien d’autre que cette expérience nécessaire pour parvenir à (le) connaître. (H. Arendt, 1967, p. 161).

Elle entend traduire que la Révolution française a changé l’histoire de la politique, de sorte que les pauvres – y compris les bourgeois, les habitants des bourgs très intéressés par l’amélioration de leur condition sociale – ont émergé dans le domaine politique. Ainsi, au lieu de venir discuter, comme dans l’espace public de la Grèce antique, de la vie de la Cité et des affaires de la République, ils ont voulu résoudre les questions sociales par des moyens politiques. Ces questions sont notamment celles relatives aux logements, à l’alimentation, au travail et toutes les questions relatives aux droits sociaux, économiques et culturels. C’est à partir de ce moment que la résolution des questions sociales se pose comme la fin ultime de tout gouvernement.

Or, ajoute H. Arendt (1967, p. 161) « toute tentative pour résoudre la question sociale par des voies politiques mène à la terreur, et que c’est la terreur qui conduit les révolutions à leur perte ». Ce serait les idées de Rousseau qui auraient entraîné la Révolution française à sa perte. C’est la conséquence d’un écrasant pouvoir de la majorité, c’est-à-dire d’une démocratie de masse, d’une masse misérable, telle que conçue par Rousseau. On comprend pourquoi la Révolution française a fini par dévorer ses propres enfants en instaurant la terreur et la barbarie. Elle a été un évènement calamiteux. En effet, elle s’est malheureusement retournée contre ces initiateurs en chassant du pouvoir les principaux artisans de la Déclaration. Mounier, Mirabeau, La Fayette, Sieyès, et bien d’autres ont fini par passer aux ennemis (G. Libreton, 2003, p. 79). C’est la conséquence, selon Arendt, lorsque la politique ne parvient pas à s’émanciper de la nature et des questions sociales. Cette émergence du social dans l’espace public, initialement réservé au politique et au maniement des affaires publiques, marque la fin de la séparation entre le privé et le public. Cela entraine la confusion des deux domaines ainsi que le triomphe du social, accentué par l’avènement des réseaux sociaux numériques.

2.2. Le triomphe du social à travers les réseaux sociaux numériques

L’émergence du social dans le domaine public s’est aujourd’hui accentuée. C’est bien ce que C. Groulx (2022, p. 5) affirme en ces termes :

En effet, la vocation de ces réseaux justement dits « sociaux » illustre le triomphe du domaine social, qui englobe désormais les deux autres espaces confondus. D’une part, les possibilités de diffusion et la visibilité qu’offrent les réseaux sociaux en font l’un des lieux modernes de prédilection pour la prise de parole et l’action politique. D’autre part, les informations divulguées sur ces réseaux sont en partie personnelles : photos de soi, de la famille, des proches, partages de goûts et d’histoires personnelles. C’est ainsi que la notion d’intimité s’immisce dans la réalité de ce phénomène virtuel. Or, c’est cette intrusion dans l’intimité, propre à l’espace privé et désormais diffusée dans la sphère sociale dominant l’espace public, qui serait problématique, selon Arendt.

Cela signifie que le combat entre le politique et le social dénoncé par Arendt est finalement remporté par le social qui avale aujourd’hui aussi bien le domaine public que le domaine privé. Ces deux domaines n’existent plus que de nom, étant envahis par le social. Il ne s’agit pas pour autant de dire qu’Arendt a eu tort de vouloir séparer le social du politique. Bien au contraire, elle avait clairement vu que le mélange de ces deux domaines allait rendre difficile une existence humaine authentique. C’est effectivement ce qui se passe actuellement avec les réseaux sociaux numériques, devenus le lieu d’exhibition de l’intimité.

Les réseaux sociaux numériques favorisent l’intrusion de la vie privée dans l’espace public. Cela se traduit par le fait que les internautes exposent leur vie privée sur les réseaux sociaux. Pis, certains vont jusqu’à y exposer leur nudité. En tout cas, ce n’est pas sans raison que C. Groulx (2022, p. 1) soutient que « la sphère sociale avale l’intimité ». C’est également ce que Y. Marry (2020, p. 95) rappelle comme reproches adressés à Facebook et à son chef, Mark Zuckerberg, en ces termes : « Remise en cause de l’intimité et quasi-disparition de la « vie privée », isolement social, hystérisation des débats publics, avec hausse du complotisme et de la haine en ligne, enfermement dans des bulles algorithmiques ». Non seulement l’intimité se trouve exposée sur les réseaux sociaux, mais aussi les réseaux sociaux pénètrent dans le domaine privé et intime des individus, au point qu’il ne leur reste plus rien de secret ni de sacré.

L’exposition de la vie privée peut entrainer plusieurs dégâts. Ainsi, en Chine,

Yang Dacai, un cadre local surnommé « l’oncle montre », a été limogé après que des internautes ont affiché sur Sina Weibo des photos de lui portant des montres de luxe qui ne correspondaient pas à son revenu ; Cai Bin, un fonctionnaire de la gestion urbaine à Guangdong, a été démis de ses fonctions après qu’il fut révélé en ligne qu’il possédait 22 maisons ; Lei Zhengfu, un chef de district de Chongqing, a été limogé seulement 63 heures après qu’une vidéo le mettant en vedette ayant des rapports sexuels avec une femme fut divulguée sur le réseau (T. Tao, 2018, p. 45).

Si ces exemples révèlent que les réseaux sociaux sont un moyen de lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite et le désordre sexuel, ils traduisent également une absence de sécurité pour la vie privée. Cette dernière n’est plus sacrée de sorte à être protégée contre le regard et les ingérences de la société. Outre ces expositions qui peuvent se faire en toute conscience, il existe des cas de vol de données personnelles. Celles-ci sont soutirées par des moyens frauduleux pour faire du chantage aux personnes concernées. Aussi, existe-t-il la possibilité de publier par erreur les données ou les images de la vie intime. C’est le cas d’une femme qui s’épile avec la lampe de son portable, et qui constate des réactions de ses abonnés (ses followers). Une telle situation invite à une prudence particulière dans l’usage des réseaux sociaux. De toutes les façons, le monde entier est aujourd’hui sous les projecteurs au point que le caractère caché de la vie privée a perdu son sens. Face à ces désastres liés à la confusion de l’espace public et de l’espace privé, la séparation de ces deux domaines devient obligatoire et requiert une éthique de l’espace public.

3. L’éthique de l’espace public et la préservation de la vie privée

L’éthique de l’espace public est nécessaire pour une réorganisation des réseaux sociaux numériques ainsi qu’une garantie des domaines d’existence humaine. Sa meilleure compréhension requiert l’éclairage de son contenu conceptuel et de sa portée dans la préservation de la vie privée.

3.1. Le concept d’éthique de l’espace public

Pour définir l’éthique de l’espace public, il faut d’abord éclairer le concept d’éthique. Depuis l’antiquité jusqu’aujourd’hui, ce concept continue d’être confondu à la morale. Cette confusion s’explique par l’étymologie commune de ces deux mots. En effet, si le mot « morale » vient du latin « mores » et que le mot « éthique » vient du grec « ethos », ils se « réfèrent tous les deux aux mœurs, à la conduite de la vie, aux règles de comportement » (P. Gaudette, 1989, p. 23). Ils expriment la quête de la vertu de l’individu pour une vie meilleure dans la société. Toutefois, à la différence de la morale, qui est caractérisée par une somme de règles sociales coutumières guidant le comportement des individus d’une communauté particulière, l’éthique intervient lorsqu’il n’existe aucune règle ou lorsque les règles existantes sont défaillantes au point de ne pas être en mesure de garantir la justice. Elle est au-delà de toutes les règles sociales et se présente chez Arendt comme une exigence humaine de penser nos actes, de les évaluer, indépendamment de toutes les normes en vigueur, et d’évaluer leurs conséquences avant de les poser. En ce sens, l’éthique est donc la voie de la conscience, l’exigence de la justice qui existe dans la profondeur de la conscience humaine. Elle est donc une réflexion sur la morale et les autres normes sociales. C’est pourquoi H. Kelsen (1962, p. 79) soutient que l’éthique est la discipline qui entreprend de connaître et d’analyser les normes morales.

Cette définition de l’éthique se manifeste dans le cadre de l’espace public comme une obligation pour chaque citoyen de penser ses actes publics de sorte à prendre en compte les intérêts des autres, les conséquences de ses actions ainsi que les exigences de la justice. Autrement dit, l’éthique de l’espace public exige de chacun de respecter d’une part, le principe de séparation du privé et du public. Il s’agit de respecter les bornes de chaque domaine de sorte que les choses privées, restent privées de la visibilité et des menaces externes, et que les affaires publiques soient accessibles à tous sans aucune discrimination. L’éthique de l’espace public exige d’autre part, le respect des règles et principes de justice. En réalité, l’éthique n’est pas contre les règles morales ou juridiques. Bien au contraire, elle est une invitation à respecter ces règles tant qu’elles conduisent à la justice et à l’ordre social. Mieux, c’est l’application consciente, réfléchie et équitable des règles lorsqu’elles existent, ou le recours à sa propre conscience et aux principes de justice lorsque les règles sont défaillantes.

3.2. L’éthique de l’espace public et la préservation de la vie privée

L’éthique de l’espace public suppose plusieurs exigences. D’une part, elle exige de mettre chaque chose à sa place, l’expression de la justice selon Platon. Ce qui signifie à la suite d’Arendt que certaines choses, tout simplement pour exister, ont besoin d’être cachées tandis que d’autres ont besoin d’être étalées en public. C’est le cas des actes sexuels et de toute la vie intime, et même privée. C’est pourquoi, il n’est pas éthique d’exhiber son intimité sur la place publique.

D’autres choses, pour exister, ont besoin d’être exposées à la place publique. C’est le cas des opinions politiques. Une opinion politique non exprimée n’en est pas une. Les réseaux sociaux numériques, les réseaux publics tels Facebook, twitter et Instagram, sont des lieux privilégiés d’expression des opinions politiques. C’est un droit à la liberté d’expression qui doit, bien sûr, s’exercer dans le respect des normes en vigueur. C’est cela qui donne sens à la citoyenneté numérique, définie par P. Türk (2022, p. 2), comme « la situation d’un individu connecté et prétendant exercer des droits et bénéficier de libertés dans un espace numérique ». En ce sens, les réseaux sociaux numériques présentent un espoir pour la démocratie, dans la mesure où ils offrent, même dans des périodes difficiles, un cadre d’expression des citoyens numériques. Par exemple,

à l’annonce de la candidature du Président Alassane Ouattara à un troisième mandat à l’élection présidentielle du 30 octobre 2020, des partis de l’opposition et une partie de la société civile, ayant jugé cette candidature d’anticonstitutionnelle, se sont saisis de ces espaces numériques pour s’opposer à cet énième mandat (A. F. Agney et B. P. S.  Akregbou, 2023, p. 721).

Toutefois, l’effet sur le terrain politique est encore négligeable en Afrique, car « les médias numériques sont des outils nécessaires, mais ne sont pas encore arrivés, à eux seuls, à faire changer un pouvoir » (A. F. Agney et B. P. S.  Akregbou, 2023, p. 730). D’autre part, l’éthique de l’espace public requiert de protéger les données personnelles. À ce niveau, il faut noter ceci :

L’effacement de la frontière entre espace privé et espace public est encore plus visible lorsque surgissent des scandales concernant la vente de données à des tiers. Cela n’est pas sans rappeler la fuite de données Facebook-Cambridge Analytica de 2018 qui a dévoilé qu’au-delà de l’utilisation commerciale de ces données, celles-ci pouvaient être utilisées à des fins politiques afin de manipuler l’opinion publique, avec succès (C. Groulx, 2022, p. 6).

Ces problèmes dénotent une faillite morale qu’Arendt craignait dans la confusion des différents domaines d’existence. Il est interdit de les partager, quel qu’en soit l’auteur de la publication. Qu’il s’agisse du propriétaire des données, d’une entité morale ou d’une autre personne physique, nul n’a le droit de les partager. Le public n’en a pas besoin, vu qu’il s’agit de données propres à une ou des personne(s) donnée(s). Il est néanmoins possible de partager les données personnelles dans les discussions privées. Ces données doivent y demeurer cachées. Cette éthique exige également de protéger le public de l’intimité de nos familles ; il n’en a pas besoin à moins de vouloir faire la promotion d’une forme de voyeurisme social qui ne peut qu’être indécent et contrevenir à l’éthique. Il s’agit tout simplement de ne pas montrer aux autres ce qu’ils ne doivent pas voir. À ceux qui seraient tentés, E. Kant (1994, p. 50) à la clairvoyance de les ramener à ceci : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ». Cet impératif catégorique dont la connotation éthique apparait manifeste devrait habiter chaque utilisateur des réseaux sociaux. C’est en ce sens qu’une vie authentiquement humaine est possible sur cette terre.

Conclusion

Il ressort de cette étude que les réseaux sociaux numériques traduisent le triomphe du social sur la politique et la vie privée, au point qu’il n’existe plus rien qui ne dépendent de son apparition sur ces réseaux sociaux. Plus que jamais, pour être, il faut publier sur les réseaux sociaux. Il en résulte une sorte de culte de l’apparence au détriment et en violation de l’être qui veut que pour être, il faille publier en ramenant tout au bout des doigts et à un clic. Loin d’une simple confusion des domaines dénoncés par Arendt, c’est la disparition de ces domaines et de la vie authentique de l’homme qui s’annonce. C’est pourquoi il faut une éthique de l’espace public pour garantir la séparation entre la vie privée et la vie publique, et surtout pour garantir la possibilité d’une vie paisible et soustraite des regards incommodants des tiers. Tout cela dépend de l’intérêt qu’il est possible d’accorder à l’authenticité de la condition humaine.

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NOUVELLES FORMES DE MILITANTISME SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX : UNE PRISE DE PAROLE POLITIQUE ENTRE PATRIOTISME ET INCIVISME VERBAL

Mamadou Diouma DIALLO

Université Gaston Berger Saint Louis (Sénégal)

mddiallo@ugb.edu.sn

Résumé :

L’article analyse la place singulière de l’incivisme verbal dans le discours militant de certains activistes présents sur les réseaux sociaux. La focale est mise sur les lives Facebook et les prises de parole politiques en liens avec le Sénégal. L’étude révèle que l’engagement sur les réseaux sociaux s’adosse sur un fort attachement patriotique, associé à des valeurs morales. Cependant, ce militantisme est parfois exprimé de manière peu raffinée voire agressive. La violence verbale étant justifiée, par les personnes interrogées, comme un moyen de se démarquer et donc d’asseoir davantage une « identité numérique rebelle ». L’article souligne l’impact de l’incivisme verbal sur la qualité du débat public en ligne. La recherche met également en lumière la complexité de l’engagement militant, considéré à la fois comme une valeur mais pouvant aussi constituer un risque pour la sécurité des personnes exprimant leurs opinions avec un verbe caractérisé par l’incivisme. L’usage d’insultes et de discours peu courtois soulèvent des questions sur le nécessaire équilibre à trouver entre la liberté d’expression et le respect des normes sociales en ligne pour garantir un espace public ouvert et constructif. Au-delà du discours des acteurs, l’article souligne effectivement la dynamique changeante des motivations qui sous-tendent l’engagement politique en ligne. L’étude qualitative s’appuie sur des entretiens avec cinq acteurs politiques influents, représentant différentes perspectives.

Mots clés : Cyberactivisme, E-militantisme, Incivisme numérique, Réseaux sociaux, Violence verbale.

Abstract:

The article deals with online activist engagement in Senegal with a focus on “Facebook lives” and online political speeches. The study reveals that activist speeches on social networks are based on a strong patriotic attachment, associated with moral values. However, this political activism is sometimes expressed aggressively, with activists recurrently using vulgar language to mark their presence in the public sphere. Verbal violence is justified, by the activists interviewed, as a way to stand out and therefore further establish a rebellious digital identity. The article highlights the impact of this verbal incivility on the quality of public debate online, weakening the free expression of ideas and civic spirit. The use of insults and discourteous speech raises questions about the necessary balance to be found between freedom of expression and respect for social norms online to guarantee an open and constructive digital public space.

Keywords : Cyberactivism, Digital incivility , Online activism, Social networks, Verbal violence.

Introduction

Dire que l’avènement de l’internet a entraîné une reconfiguration de l’espace public est devenu un lieu commun. En donnant la possibilité à chaque citoyen de participer au débat démocratique, les réseaux sociaux numériques ont contribué à l’élargissement des horizons de l’agir communicationnel (Habermas, 1962). En effet, nous assistons depuis quelques années à une revitalisation de la parole citoyenne qui, en s’appuyant sur les médias sociaux, bouleverse les modalités d’accès au débat public. Alors que les médias traditionnels conservent leur statut d’espaces réservés à une élite, l’Internet demeure, comme une évidence, une alternative voire un contre-pouvoir (Rosnay, 2006; Poulet, 2009; Perrier, 2018).

À l’heure du délitement de l’engagement politique classique, l’Internet s’impose comme un espace d’expression propice à l’émergence et à l’épanouissement d’un discours de contestation offrant l’espoir d’une nouvelle forme de communication faite par et pour le citoyen. Ce faisant, nous assistons à une recomposition des modes d’engagement où les plateformes sociales servent de tremplin à l’action militante. Á en croire le sociologue allemand, Ulrich Beek (1994), la diminution progressive, dans le champ politique, des normes de participation traditionnelle doit être comprise comme une variation de ses modalités en dehors des cadres conventionnels de l’action politique ou des structures institutionnelles classiques que sont les partis politiques. Les concepts d’engagement distanciés, par opposition à l’engagement total, pourraient être convoqués, selon certains auteurs (Ion, 1997; Sommier, 2003; Granjon, 2005) pour expliquer cette nouvelle donne qui pourrait potentiellement contribuer à affaiblir les partis politiques traditionnels.

L’érosion de la confiance des électeurs envers ces derniers a été mis en lumière par diverses études (Manin, 1995; Lipovetsky, 1998) et amène Rosanvalon (2006, p.12) à parler : «  d’enchevêtrement de pratiques, de mise à l’épreuve, de contre-pouvoir sociaux informels, mais également d’institutions, destinés à compenser l’érosion de la confiance par une organisation de la défiance »

 La première conséquence directe de cette situation est la difficulté pour les partis à mobiliser leurs électeurs dans des dynamiques politiques. Dans ce contexte, l’Internet s’est révélé un bon levier pour lutter contre la démobilisation, promouvoir les idées politiques, mobiliser les militants, lever des fonds et renforcer la participation civique. Les réseaux sociaux se présentent ainsi comme une opportunité nouvelle pour les partis politiques de moderniser leur communication mais aussi de renouveler les formes de la participation citoyenne.

Dans l’absolu, l’Internet reste un outil pour promouvoir une forme de démocratie participative voire délibérative. En instaurant une relation de proximité plus soutenue entre citoyens, les réseaux sociaux impulsent des formes de participation politique en ligne que certains appellent « connectives actions » par opposition au « collective action ». En effet, dans ces espaces du dire, prendre la parole revient le plus souvent à s’engager immédiatement et activement sur les problématiques actuelles, agir efficacement dans un cadre qui s’affranchit des contraintes d’un parti politique classique pour inscrire l’action dans le temps de l’immédiateté et du registre pragmatique. Il est possible d’y voir une nouvelle forme de militance qui s’affranchit des pesanteurs des cadres conventionnels de l’action politique.

En s’exprimant ainsi, l’engagement citoyen devient un acte hautement politique ; une façon de participer à faire l’histoire (De Certau, 1975). À l’évidence, les nouvelles formes d’engagements citoyens sur les réseaux sociaux modifient notre relation à la politique et, par extension, aux acteurs du champ politique. En tant que produit d’une réalité sociale, les métamorphoses de l’action citoyenne ne peuvent être comprises en dehors du cadre et du contexte qui les ont vus naître. En d’autres termes, l’engagement militant doit être situé dans son contexte sociopolitique. Dire cela, c’est réaffirmer la dépendance des formes d’engagement citoyen vis-à-vis de l’environnement, soulignant ainsi l’influence des contextes spécifiques sur les pratiques et les formes d’action des citoyens.

L’Afrique a connu une croissance significative de l’accès à Internet au cours des dernières années, favorisée, en grande partie, par la démocratisation de l’accès aux smartphones. L’essor rapide de la connectivité à Internet a créé de nouvelles opportunités pour l’expression et la mobilisation politiques. L’Afrique, en tant que continent dynamique sur le plan numérique, a donc connu une montée significative de l’activisme en ligne au cours des dernières années. Les militants ont trouvé dans le cyberespace un moyen puissant de partager des idées, de coordonner des actions et de susciter des changements sociaux et politiques.

Sur la toile sénégalaise, se développe actuellement un discours de contestation très dynamique et mobilisateur en raison du contexte lourd d’enjeux politiques. C’est un espace où les prises de parole publiques, particulièrement celles sur les réseaux sociaux lors des lives, sont marquées par la dualité entre l’engagement civique et la violence verbale. Comprendre comment cette dernière affecte la qualité du débat public est essentiel pour promouvoir des échanges sains et constructifs et favoriser l’avènement d’une démocratie numérique inclusive et informée.

Nous proposons dans cet article d’examiner les différentes facettes de l’engagement politique en ligne au Sénégal, en mettant en lumière les facteurs clés qui alimentent ce phénomène et les dérives singulières de la violence verbale qui contribuent à fragiliser le débat démocratique. Nous avançons l’hypothèse que les mises en scène de soi (Goffman, 1959) durant les lives Facebook participent au marketing de soi où l’incivilité verbale est de plus en plus considérée comme un marqueur d’identité et un levier de l’engagement militant.

1. Les réseaux sociaux : une arène politique de la verve et du verbe militant

L’internet, plus singulièrement les réseaux sociaux sont des espaces de socialisation où se jouent des enjeux hautement politiques. En effet, les réseaux sociaux se présentent de plus en plus comme des arènes où s’affirment des dynamiques politiques majeures, influençant la participation, la mobilisation et le débat public.

Pour Michel De Certeau (1994), « prendre la parole, c’est prendre le pouvoir ». Outre le fait d’être un acte d’affirmation de soi, une façon de prendre pied dans la sphère d’existence, toute prise de parole correspondrait selon l’auteur à une prise de pouvoir aussi modeste soit-elle. Dans cette perspective, on peut convoquer les travaux de Castels (2013) dans « Communication Power » qui soulignent la capacité des individus à utiliser les réseaux sociaux comme des espaces d’expression et d’action, influençant ainsi la dynamique sociale et politique.

De même, l’étude de Papacharissi (2010) explore les interactions en ligne et le potentiel des médias sociaux en tant qu’outils d’expression individuelle, mettant en lumière la manière dont ces plateformes permettent aux individus de s’approprier l’espace public numérique pour partager des idées et des opinions. Dans la même perspective, une étude de Tufekci (2017) a mis en évidence le rôle des réseaux sociaux dans la construction d’une forme d’activisme en ligne, soulignant leur impact sur la sensibilisation, la collecte de fonds et la mobilisation des masses. Ces plateformes ont également été étudiées par Tarrow (2021), entre autres, pour leur capacité à assurer la diffusion d’information et la coordination des mouvements sociaux, modifiant ainsi la dynamique de l’engagement politique.

Tous ces travaux reflètent un processus d’autonomisation des individus dans l’espace public en ligne ayant permis, à chaque personne qui le souhaite, de pouvoir prendre la parole pour s’exprimer ou s’engager dans des causes (Greffet, Wojcick, 2008). Cette conscience politique en ligne a influencé la sphère politique traditionnelle en poussant les politiciens à interagir avec les électeurs via les réseaux sociaux, à s’adapter aux préoccupations du public en ligne et à réagir aux pressions citoyennes.

L’évolution rapide des réseaux sociaux a donc engendré un changement significatif dans la manière dont les individus s’engagent politiquement et militent pour des causes sociales. Les formes d’engagement citoyen ont beaucoup changé ces dernières années avec l’avènement du web social. Ce dernier a entrainé une reconfiguration de l’espace public se manifestant par la multiplication des lieux de production du discours et du sens politique par des citoyens, jadis marginalisés dans le débat public.

Traditionnellement, l’engagement militant était caractérisé par des discours politiques directs et des formes de participation collective telles que les manifestations. Les réseaux sociaux ont introduit une dimension nouvelle en permettant une mobilisation rapide et une diffusion étendue des messages militants. Les campagnes en ligne, les pétitions numériques et les discussions politiques ont ainsi pris une ampleur sans précédent. Les travaux de Manuel Castels (2013) soulignent comment ces plateformes numériques ont transformé la nature de la communication politique à l’ère du web 2.0. En effet, l’avènement du web social a indéniablement remodelé les schémas d’engagement politique et d’activisme pour des causes diverses. Bennett et Sergerberg (2014) ont démontré, dans leur étude relative à la mobilisation politique, que les médias sociaux offrent des opportunités pour l’organisation, la diffusion d’information et la coordination des actions collectives. Castels (2013) a mis en lumière l’appropriation des plateformes sociales par les activistes, lors du printemps arabe pour organiser et amplifier leurs revendications.

Aujourd’hui, les militants africains utilisent Internet pour sensibiliser aux questions locales et nationales. Des plateformes telles que Twitter, Facebook et WhatsApp sont devenues des espaces clés pour le partage d’opinions, la coordination des actions et la mobilisation. Des cas d’activisme numérique en Afrique ont conduit à des changements tangibles, notamment des réformes politiques et sociales. Ils illustrent la capacité des plateformes numériques à influencer et à jouer le rôle de catalyseur des changements sociaux et politiques. Ils témoignent également de la faculté des mouvements en ligne à engendrer des changements substantiels et des réformes dans la société. Par exemple, au Zimbabwe, le mouvement #ThisFlag, mené par le pasteur Evan Mawarire, a utilisé les médias sociaux pour mobiliser la population contre la corruption et les difficultés économiques, incitant ainsi des milliers de personnes à manifester. Cette mobilisation a exercé une pression considérable sur le gouvernement, conduisant à des discussions sur les réformes économiques et politiques.

Au Sénégal, le mouvement « Y’en a marre » lancé par un groupe de rappeurs et de journalistes, principalement sur les réseaux sociaux, rassemble des milliers de jeunes ; il a contribué à la mobilisation contre le président Abdoulaye Wade, participant ainsi à un changement politique significatif lors des élections de 2012. Les réseaux sociaux, en particulier Facebook et, dans une moindre mesure, Twitter ont été des espaces majeurs de l’activisme en ligne et ont joué un rôle déterminant dans la mobilisation citoyenne.

L’évolution des formes d’engagement en ligne témoigne d’une diversification des modes d’expression et d’action des individus sur Internet, comme le souligne les nombreuses études relatives à l’impact des médias sociaux sur la politique. L’utilisation de divers outils en ligne, tels que les pétitions électroniques, les publications (posts) sur les réseaux sociaux et les diffusions en direct (lives) contribue à élargir le répertoire des modalités d’action en ligne facilité par la nature participative et interactive du média Internet. Ce panorama renforce la panoplie des actions et outils mobilisables dans le cadre d’une action militante Greffet F., et al. 2014) dont les lives Facebook qui nous servent de format d’étude sur la thématique du militantisme en ligne. En effet, les diffusions en direct sur la plateforme Facebook, très prisés par certains militants ayant une forte audience en ligne, se distinguent en tant qu’outils d’action politique, mais restent souvent une modalité propice aux dérives verbales. La verve et le verbe deviennent des modalités du « dire militant ».

Ainsi nous avons cherché à comprendre dans quelle mesure l’incivisme verbal pourrait relever de l’agir politique pour ces militants actifs sur le web. Quelles stratégies d’égo branding, du marketing de soi, sont développées par ces activistes, à partir de leurs interventions sur les réseaux sociaux, et quelles sont leurs perceptions de leurs propres pratiques ? C’est à ces questions, entre autres, que nous avons essayé de répondre à travers une démarche heuristique.

2. Méthodologie

Dans le cadre de cette étude, la méthode qualitative a été adoptée pour mieux cerner les dynamiques de l’engagement politique en ligne. La collecte des données s’est appuyée sur des entretiens semi-directifs auprès de cinq acteurs influents dans le domaine de l’activisme politique sur les réseaux sociaux.

Pour constituer un panel représentatif et équilibré des diverses perspectives politiques, une sélection minutieuse des interviewés a été réalisée. Nous avons choisi de consulter deux activistes qui se positionnent fortement dans l’opposition et disposent d’une forte communauté en ligne. En parallèle, deux autres activistes engagés politiquement, et plutôt perçus comme proches du pouvoir en place, ont été intégrés à l’échantillon. Cette diversité d’opinions devrait permettre d’appréhender une variété de visions et d’expériences. Afin d’obtenir une vision élargie des dynamiques politiques et des interactions sur les réseaux sociaux, un cinquième acteur, connu comme journaliste avec une présence médiatique affirmée et des prises de position politiques assumées, a été sollicité pour partager son expérience et ses perspectives sur l’engagement citoyen en ligne. Ces entretiens semi-directifs, menés individuellement, ont permis d’explorer en profondeur les expériences, les motivations, les pratiques et les perceptions de ces acteurs clés en matière d’engagement politique sur les plateformes numériques. Les questions posées lors de ces entrevues visaient à comprendre les mobiles de l’engagement politique, les enjeux et dérives associés à l’engagement politique sur Internet.

Les données recueillies lors de ces entretiens ont été soumises à une analyse thématique, visant à dégager les points saillants et les considérations propres à l’action militante des acteurs interrogés. Cette analyse a permis de dégager des thématiques pertinentes pour la compréhension des formes actuelles d’engagement politique en ligne. Il est important de noter que les participants ont été sélectionnés en raison de leur notoriété et de leur influence dans le domaine de l’activisme politique en ligne, et que leurs commentaires ont été collectés de manière confidentielle et anonyme, préservant ainsi leur identité et la confidentialité des échanges. Ce protocole méthodologique a permis de rassembler des informations riches et variées pour éclairer les mécanismes de l’engagement citoyen dans le contexte des réseaux sociaux.

3. Le patriotisme au cœur du discours sur l’agir politique en ligne

La focalisation du discours, par les personnes interrogées, autour du référentiel patriotique se présente comme un aspect clé dans la compréhension des logiques militantes sur les plateformes numériques. Elle met en évidence une convergence entre les valeurs morales individuelles et l’attachement patriotique à des idéaux nationaux, ayant un impact direct sur la nature et l’orientation de l’engagement en ligne. En effet, l’analyse des transcriptions des entretiens met en lumière l’importance des valeurs personnelles, révélant la fréquence des termes associés à la justice et la responsabilité individuelle comme fondements de l’engagement politique en ligne.

Parallèlement, la dimension patriotique évoque un attachement fort aux principes qui fondent une république et favorise un commun désir du vivre ensemble pour faire nation. Ces valeurs patriotiques peuvent s’étendre à l’amour de son pays, à la solidarité ou encore à la justice sociale. Ce constat met en évidence une forme d’alignement entre les motivations personnelles et l’engagement militant, permettant ainsi de dresser une passerelle entre les valeurs individuelles et l’intérêt général. L’utilisation du discours moral et patriotique pourrait ainsi servir de catalyseur pour mobiliser les individus autour de causes communes, renforçant ainsi le militantisme en ligne. Ainsi, cet ancrage du discours dans le référentiel moral et patriotique souligne, entre autres, la complexité des motivations individuelles dans les interactions numériques. Il permet également de révéler l’importance de ces valeurs comme moteurs potentiels de l’engagement citoyen sur les plateformes numériques.

Je n’ai besoin de rien. Dieu merci! Si je prends autant de risques en m’attaquant au pouvoir et à des intouchables de la République, c’est parce que j’aime mon pays. Je veux que les choses changent. J’ai choisi de faire partie de ceux qui agissent au péril de leur vie pour un Sénégal meilleur (entretien 05).

L’exploitation du verbatim issu de nos entretiens permet de mettre en avant la notion de risque et le courage nécessaire pour s’opposer au pouvoir en place et à des acteurs influents au sein de l’État. L’action est justifiée par la mise en avant de l’amour pour le pays, exprimant le désir d’un changement positif et manifestant une volonté d’être parmi ceux qui agissent pour changer les choses même au péril de leur vie.

En définitive, les résultats montrent une forme soutenue de militantisme politique basée sur des prises de parole (lives) fréquentes. C’est une conscience militante qui s’adosse sur des valeurs patriotiques et un fort sentiment de responsabilité envers la nation. L’analyse de contenu nous permet de relever un haut degré d’implication exprimant un dévouement profond à la cause, nonobstant les risque encourus, sur le plan personnel, pour lutter contre les injustices et les abus au sein de la société.

Cependant, cette perception des mobiles du militantisme en ligne soulève des questions sur les limites et les conséquences de cette forme d’engagement. Alors que cet acte est perçu comme une contribution pour un Sénégal meilleur, il peut également être contesté en raison des risques encourus par l’individu et de l’impact potentiel sur sa vie et sa sécurité personnelle.

Cette perspective met en évidence la complexité de l’engagement politique, où les individus, motivés par un fort sentiment patriotique, prennent des risques personnels pour défendre des valeurs et idéaux au sein de la société. Elle suscite également des questions sur les stratégies alternatives pour influencer positivement le changement sans compromettre la sécurité personnelle des acteurs politiques.

Contrairement à beaucoup d’activistes qui sont dans la Diaspora, je n’ai qu’une seule nationalité. Je n’ai pas un autre pays autre que le Sénégal. Si je suis souvent très dur avec le régime, c’est juste parce que j’aime mon pays et je pense que nous méritons mieux que ces fils de p*te (entretien 2).

Nous constatons que le fait de mettre l’accent sur son attachement exclusif au Sénégal est une manière de se distinguer des activistes de la Diaspora possédant, potentiellement, une double nationalité. La critique véhémente du régime serait justifiée par l’amour porté au pays d’origine et d’un sentiment de déception face aux dirigeants actuels qui sont considères comme incompétents pour régler les problèmes du pays.

Il est possible de lire, à travers les données collectées, l’impact profond des enjeux de nationalité sur l’engagement politique. La perception de la citoyenneté et de l’identité nationale peut influencer la manière dont un individu s’engage et critique les dirigeants politiques de son pays. Le fort attachement à une seule nationalité est présenté comme un moteur de l’implication et de la passion pour le changement, motivant ainsi la critique sévère du régime en place.

Toutefois, l’utilisation de termes peu élégants pour désigner les dirigeants en place soulève des questions sur la forme de l’expression de l’engagement politique. Bien que l’amour pour le pays puisse être le moteur de la critique, l’emploi de termes vulgaires et le manque de civilité dans le verbe et dans le ton pour caractériser les dirigeants interpellent sur l’impact de la rhétorique incendiaire dans le discours politique.

4. L’incivisme verbal : un marqueur de l’identité numérique

La prolifération de l’incivisme verbal en ligne s’est graduellement transformée en une composante inhérente à l’identité numérique contemporaine. Notre recherche permet de mettre en lumière la manière dont les lives de militants politiques sur les réseaux sociaux restent de plus en plus façonnés par un verbe agressif, violent, peu respectueux définissant ainsi, en partie, l’identité et le comportement des individus sur Internet. Elle souligne la transition de l’incivisme verbal vers une caractéristique prédominante et même parfois valorisée dans certaines communautés politiques en ligne. L’usage récurrent de discours irrespectueux, insolents, voire de menaces, s’est banalisé au point de contribuer à forger l’image et la réputation des individus dans ces espaces numériques.

L’insulte pour moi est une manière de marquer mon territoire […] Elle me permet de me démarquer des autres acteurs de la société civile qui ont un langage policé. Moi je suis un roots, je dis les choses telles que je les sens et beaucoup de ceux qui me suivent sur ma page m’aime aussi pour ça (entretien 3).

Cette affirmation d’un des activistes en ligne soulève une perspective intéressante sur l’utilisation de l’insulte comme une forme de distinction et d’affirmation de soi au sein de la sphère publique. L’insulte est perçue comme un moyen de marquer son territoire, de se différencier des autres acteurs de la société civile et ainsi de se singulariser dans cet espace social. Cette approche reflète une perception de l’incivisme verbal non seulement comme un moyen de communication ou d’expression, mais également comme un levier stratégique pour se démarquer dans un contexte de web social concurrentiel caractérisé par la rareté de l’attention. Elle souligne la dimension symbolique de l’insulte en tant que marqueur d’identité, destinée à établir une certaine position ou image dans un contexte politiquement marqué aussi par des dérives autoritaires du pouvoir et d’appels à la résistance de l’opposition politique. Cette situation révèle une dynamique où l’incivisme verbal devient un attribut clé de l’identité numérique, influençant non seulement les comportements individuels, mais également les normes sociales en ligne.

Les insultes, les insanités, le langage ordurier font partie de ce qui me définissent sur les RSN. Je me considère comme un exutoire pour ces millions de Sénégalais qui souffrent de l’injustice de ce régime et qui ne peuvent vider leurs biles publiquement. J’insulte, par procuration, pour tous ceux qui, par peur ou par pudeur s’interdisent de verser dans les insanités verbales (entretien 1).

Cette affirmation soulève la question complexe de l’utilisation de l’incivisme verbal comme moyen de protestation ou d’expression sur les réseaux sociaux. L’individu exprime son identification à un rôle d’exutoire pour la frustration et le mécontentement d’une partie de la population qui se sent injustement traitée par le régime en place. Il justifie ainsi l’usage d’insultes et de langage grossier en tant que moyen de donner une voix à ceux qui se sentent étouffés ou incapables de s’exprimer publiquement. Ici, l’incivisme verbal est utilisé comme une forme de catharsis pour exprimer la colère et le désarroi d’une frange importante de la population face à des injustices ou des restrictions. Cependant, elle soulève également des questions sur les limites du verbe. Bien que l’on puisse considérer ces propos comme une forme d’expression de la voix des opprimés, cela peut également contribuer à normaliser des comportements irrespectueux et nuire à un débat civilisé et constructif.

Dans la même perspective, elle pose un dilemme éthique complexe : d’un côté, la nécessité de donner une voix à ceux qui se sentent réprimés, et de l’autre, le risque de promouvoir des formes d’expression irrespectueuses et contre-productives. En définitive, c’est une approche de l’engagement politique en ligne qui soulève des questions sur la manière de canaliser ces frustrations légitimes de manière plus constructive c’est à dire en maintenant des normes de respect et de civilité dans les discussions en ligne.

L’acceptation ou la promotion de l’incivisme verbal comme partie intégrante de l’identité numérique risque d’avoir des répercussions négatives, favorisant des environnements toxiques et impactant la qualité des échanges sur les réseaux sociaux. Elle soulève des questions fondamentales sur les conséquences et l’impact de l’utilisation de l’insulte dans le discours public. Alors que cela peut être perçu comme une stratégie pour se distinguer, cela peut aussi être perçu comme une approche risquée, car l’utilisation d’un langage irrespectueux peut compromettre la crédibilité et l’acceptation sociale, outre le fait qu’elle peut brouiller le message ou les revendications exprimées au sein de la société civile.

Sur un autre plan, la violence verbale, observée dans le champ politique, surtout lors des diffusions en direct (lives), se présente comme un sujet d’inquiétude majeur. Les réseaux sociaux, ont contribué à accentuer la polarisation et l’agressivité dans les discours politiques, créant un environnement où les échanges sont souvent teintés de propos injurieux, de menaces et de discours empreints de haine. Cette violence verbale affecte la qualité du débat public en ligne, fragilise la libre expression des idées et met à mal l’esprit d’engagement civique et la discussion constructive (Cardon, 2010). La récurrence de cette forme de violence verbale peut restreindre la variété des opinions et des angles de vue, parfois dissuadant des individus, en particulier des minorités ou des voix moins représentées, de s’impliquer dans les discussions politiques de peur d’être insulté ou intimidés en ligne (Whitson, Greene, 2015).

Cette prolifération de l’incivisme verbal a des conséquences sur la confiance des utilisateurs à l’égard des plateformes en ligne, car peut limiter l’efficacité des espaces de dialogue politique. De plus, la polarisation excessive peut entraver la recherche de consensus et la résolution des problèmes, éloignant ainsi les chances de parvenir à des compromis et à des solutions partagées.

Cette perspective interpelle sur le nécessaire équilibre à trouver entre l’expression individuelle et le respect des normes sociales de civilité et de respect, ainsi que sur les diverses interprétations de l’incivisme verbal dans le discours public. Elle met en évidence la complexité des motivations individuelles qui sous-tendent l’utilisation de l’insulte dans un contexte social et politique, ainsi que ses implications pour l’identité et la reconnaissance dans la sphère publique.

5. Dynamiques changeantes de l’engagement politique en ligne

L’idée selon laquelle les motivations liées à l’engagement politique ne sont pas statiques, mais peuvent évoluer au fil du temps, offre un aperçu significatif sur la dynamique de l’engagement politique en ligne. Elle souligne la nature changeante des mobiles qui sous-tendent l’engagement, et comment ceux-ci peuvent influencer la position de l’individu sur l’échelle de l’engagement politique. Ces motivations peuvent évoluer et montrent que la perception, la compréhension et les raisons pour lesquelles les individus s’engagent politiquement ne sont pas immuables. Les motivations peuvent changer en cours de route et s’adapter, conduisant ainsi à des ajustements dans le niveau d’implication et les modalités de l’engagement politique.

Une telle grille de lecture du militantisme en ligne nous interpelle sur la nécessité de prendre en considération la diversité des facteurs de motivations des personnes impliqués dans l’engagement politique en ligne. Il est difficile de lire la problématique du militantisme en ligne sans intégrer la perspective individualiste des incitations sélectives qui contribuent à renforcer l’engagement ou à l’inscrire sur la durée.

Les gains matériels ou symboliques tirés de l’engagement politique ou les coûts supportés en termes de pertes découlant d’une absence d’engagement seraient déterminants dans le choix des acteurs (Olson, 1978). La multiplication des lieux de prise de parole, sur les réseaux sociaux, ne peut être déconnectée du contexte politique et pré-électorale au Sénégal. Cette situation rend donc pertinent la lecture de la dynamique de l’engagement militant en ligne à partir de la théorie de la structure des opportunités politiques.

Conclusion

L’avènement de l’Internet a considérablement remodelé l’espace public, ouvrant des perspectives nouvelles pour l’expression citoyenne et l’engagement militant. La prise de parole, à travers les lives sur les réseaux sociaux, est considéré comme un acte politique favorisant le changement. Cette forme de militantisme marquée par des prises de paroles fréquentes, matérialisées davantage par les lives facebook, s’appuie sur des valeurs patriotiques et un profond sentiment de responsabilité envers la nation. La notion traditionnelle d’un engagement politique désintéressé sous-entend une participation purement basée sur des motivations altruistes ou idéalistes, déconnectées de tout bénéfice personnel ou intérêt direct. Aujourd’hui, le constat est que les valeurs sous-jacentes à cet engagement peuvent varier en fonction des postures politiques des acteurs impliqués ou être considérablement affectés par des considérations bassement économiques. L’analyse met donc en évidence le fait que les déterminants de l’engagement ne sont pas statiques mais peuvent évoluer au fil du temps.

Notre étude montre également que l’incivisme verbal, parfois valorisé dans certaines communautés politiques, est devenu un marqueur d’identité numérique de certains activistes, généralement hors de l’appareil des partis politiques. Dans un espace numérique saturé et aux prises des logiques d’acteurs qui s’inscrivent dans l’économie de l’attention, l’incivisme verbal qui banalise l’insulte public devient un levier stratégique pour se démarquer.

Lutter contre cette violence verbale en ligne demeure un défi complexe, car les plateformes doivent trouver l’équilibre entre le nécessaire exercice de la liberté d’expression et l’impératif d’un discours respectueux des règles de civilité et de bienséance dans la prise de parole politique.

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IDÉOLOGIE DE LA TRANSPARENCE, RÉSEAUX SOCIAUX                      ET DÉMOCRATIE CONTEMPORAINE

Ouandé Armand REGNIMA

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

regnima@yahoo.fr

Résumé :

La démocratie contemporaine s’est cristallisée autour de la notion de transparence avec l’émergence de l’espace public au XVIIIe siècle. Fille de la pensée du philosophe Rousseau qui rêvait d’une société sans opacité et sans conflit, l’idéologie de la transparence a le propre de traquer les apparences et de placer sous le coup de la présomption de faute tout ce qui s’écarte de la norme, parce que soupçonné a priori de chercher à échapper au regard de la société. Aussi, les politiques de transparence et de lutte anti-corruption, souvent associées aux notions de bonne gouvernance, sont-elles devenues des conditions indispensables à la gestion du bien public. Cette évolution résulte également des demandes de transparence publique d’une société civile qui a, elle aussi, évolué quant à ses attentes par rapport à l’État. La révolution numérique et la liberté d’expression qu’elle postule au travers des réseaux sociaux a fini par faire du citoyen « un chien de garde » de l’action gouvernementale en renouvelant les inquiétudes intellectuelles à ce sujet. Quel impact le besoin de transparence à outrance à l’ère des réseaux sociaux a-t-il sur la démocratie contemporaine ? Ce texte se propose d’analyser l’utilité de la transparence dans l’exercice de la démocratie en attirant l’attention sur les revendications non éclairées de la transparence qui constituent un malaise dans la démocratie contemporaine.

Mots clés : Démocratie, Liberté, Réseau, Social, Transparence.

Abstract:

Contemporary democracy has crystallized around the notion of transparency with the emergence of public space in the 18th century. Daughter of the thought of the philosopher Rousseau who dreamed of a society without opacity and without conflict, the ideology of transparency has the characteristic of tracking down appearances and placing under the presumption of fault all that deviates from the norm, because suspected a priori of trying to escape the gaze of society. Also, the policies of transparency and the fight against corruption, often associated with the notions of good governance, have become essential conditions for the management of the public good. This development is also the result of demands for public transparency from civil society, which has also evolved in terms of its expectations of the state. The digital revolution and the freedom of expression that it postulates through social networks has ended up making the citizen “a watchdog” of government action by renewing intellectual concerns on this subject. What impact does the need for excessive transparency in the era of social networks have on contemporary democracy? This text proposes to analyze the usefulness of transparency in the exercise of democracy by drawing attention to the unenlightened claims of transparency which constitute a malaise in contemporary democracy.

Keywords : Democracy, Freedom, Network, Social, Transparency.

Introduction

« Qu’il serait doux de vivre parmi nous, si la contenance extérieure était toujours l’image du cœur ! » s’exclamait J. J. Rousseau (2011, p. 9). Ce désir de transparence lié, chez Rousseau, à l’hypothèse de l’état de nature, renvoie à la vision nostalgique d’une époque d’innocence imaginaire, où l’être intime de chaque être s’exprimerait sans détour dans son apparaître et où, les actes ne seraient pas différents des intentions.

Cette fiction littéraire de Rousseau a malencontreusement engendré chez les révolutionnaires français du XVIIIe siècle et chez les maîtres marxistes du soupçon, dans un même mouvement, l’utopie d’une société sans opacité et sans conflits. C’est ainsi que naquit l’idéologie de la transparence. Celle-ci a le propre de traquer les apparences et de placer sous le coup de la présomption de faute tout ce qui s’écarte de la norme, parce que soupçonné, a priori, de chercher à échapper au regard de la société.

Depuis lors, les politiques de transparence et de lutte anti-corruption, souvent associées aux notions de bonne gouvernance, sont devenues des conditions indispensables à la gestion du bien public. Cette évolution résulte également des demandes de transparence publique d’une société civile qui a, elle aussi, évolué quant à ses attentes par rapport à l’État. La révolution numérique et la participation accrue des citoyens à la vie publique qui la caractérise au travers des réseaux sociaux a rendu encore plus exigeant cette participation. Depuis le début du XXIe siècle, en effet, les réseaux sociaux et la liberté d’expression qu’ils postulent ont fini par faire du citoyen « un chien de garde » (J. P. Villeneuve, 2018, p. 10) de l’action gouvernementale en renouvelant les inquiétudes intellectuelles au sujet de l’utopie de la transparence. Dès lors, quelle place occupe la pratique de la transparence dans la démocratie ? Comment les réseaux sociaux renforcent-ils l’exigence de la transparence ? Cette idéologie de la transparence poussée à son extrême, ne constitue-t-elle pas un malaise dans la culture démocratique ?

Adossé à une démarche analytique et critique, ce texte, en tentant de répondre à ces interrogations, se propose d’examiner l’impact du besoin accru de transparence sur la démocratie contemporaine en attirant l’attention sur les revendications non éclairées qui pourraient constituer un malaise dans la démocratie.

1. Idéologie de la transparence : point d’ancrage de la démocratie contemporaine

Héritée des Grecs, la démocratie se définit à la fois comme un régime politique et un idéal normatif. Du grec demos « peuple » et kratos « pouvoir » ou « souveraineté », c’est le gouvernement du peuple par le peuple. En tant que régime politique, « en démocratie, la souveraineté appartient au peuple qui est la source légitime du pouvoir » (C. Doganis, p. 73). En tant qu’idéal normatif, la démocratie promeut un ensemble de valeurs dans la conquête du pouvoir et la gestion des affaires publiques.

À sa naissance, la démocratie athénienne repose sur trois principes fondamentaux : le droit de tous les citoyens à la parole, que ce soit à l’assemblée du peuple ou devant les tribunaux ; l’accès de tous les citoyens aux fonctions publiques (par élection ou tirage au sort) ; l’égalité de tous devant la loi (P. Lévêque, 1969). Si les sociétés modernes issues des Lumières, des indépendances des États-Unis et de la France révolutionnaire ont gardé le principe de l’égalité de tous devant la loi, elles y ont ajouté les principes de la séparation des pouvoirs ; du respect des libertés ; du pluralisme politique ; etc. Les enjeux actuels du débat démocratique portent sur divers sujets tels que le cumul des mandats électifs ; la corruption dans la gestion des affaires publiques ; le trucage des élections ; l’indépendance des juges face au pouvoir politique ; la représentation des femmes et des jeunes dans la vie politique des nations, etc.

Si l’équation primaire à résoudre dans le choix de l’adoption d’un régime politique réside dans la justification du devoir d’obéissance au commandement, la démocratie semble avoir résolu le problème en visant fondamentalement l’émancipation du genre humain et la transparence dans la gestion des affaires publiques. Aussi depuis sa naissance dans la cité grecque d’Athènes, la transparence se veut-elle le point d’ancrage de la démocratie en faisant du débat publique un terreau favorable au partage de la parole – donc du pouvoir – entre l’élite et le peuple (demos).

Dans son ouvrage intitulé Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, J. Starobinski (1971) montre que la transparence fut un rêve de Rousseau. En effet, dans le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau (2011) exprime son regret de la perte d’une époque d’innocence où, le paraître et l’être coïncidaient. Nos malheurs ont commencé quand le vide a commencé à se creuser derrière les surfaces mensongères. « Car cette fêlure, qui empêche la « contenance extérieure » de correspondre aux « dispositions du cœur, écrit Starobinski, fait entrer le mal dans le monde » (Starobinski, 1971, p. 13). De fait, la dialectique de la vie sociale et la mondanité ayant rendu les hommes mauvais, dangereux et coupables, le pouvoir, par l’organisation et le contrôle social, les forcera à devenir prévisible et donc inoffensifs en contraignant les dirigeants à être surveillés par le peuple. Il s’agit de les mettre en permanence dans l’obligation de prouver en toute circonstance leur vertu et leur innocence grâce à la multiplication des codes et à l’encadrement des conduites. C’est ainsi qu’à travers l’histoire, s’est dessiné autour de la préoccupation de transparence, le réseau qui relie entre elles les notions de contrôle, de prévention et de sanction. Mais que poursuit-on à travers la transparence politique ?

Dans sa thèse de doctorat intitulé « Transparence et démocratie : analyse d’un principe de gouvernement », J. Pitseys (2010) explique qu’en fonction des objectifs qui lui sont assignés, la transparence revêt deux dimensions : une négative et une positive. Pour Pitseys, dans sa dimension négative, la transparence agit comme une lampe fixée sur les excès du gouvernement. Les lois n’exigent pas le consentement des gouvernés sur leur contenu pour être légitimes. Elles demandent, par contre, un accord social sur la procédure menant à leur formation, ainsi que l’assurance qu’elles seront appliquées correctement. Dans ce cadre, la transparence permet de contrôler les abus et manquements de la sphère exécutive. Elle exerce ainsi une fonction de sécurité et de prévisibilité juridique. Elle limite par ailleurs, et plus fondamentalement, la latitude des autorités publiques à juger indépendamment du peuple ce qui constitue son meilleur intérêt.

Dans sa dimension positive, la transparence est chargée de promouvoir activement un certain nombre de vertus. Il s’agit notamment de contribuer à la rationalité du processus politique ; permettre de tenir compte des préférences des citoyens dans la formation de ce processus ; contribuer à l’efficacité de la décision, c’est-à-dire sa capacité à produire l’effet normatif souhaité. La transparence peut tout d’abord veiller à ce que les autorités publiques agissent de manière rationnelle. « Une décision n’est justifiable que si elle passe le cap d’un auditoire universel » écrit Pitseys (2010, p. 110).

En outre, la transparence s’affirme comme un outil de management contribuant à améliorer l’action de l’administration. Elle permet l’apport d’idées nouvelles en provenance de l’espace social. Elle suscite davantage de coopération et d’émulation au sein des différentes entités de l’autorité publique. Il faut ajouter qu’elle remplit certaines fonctions instrumentales. En effet, en rassurant les entreprises sur le contexte politique de leurs engagements financiers, elle favorise les investissements privés dans l’économie; elle assiste par ailleurs les citoyens dans leurs choix en matière de santé, d’environnement, de consommation, etc.

Finalement, pour Pitseys, la « transparence » apparaît non seulement comme la condition du fonctionnement responsable des institutions de la démocratie, mais aussi, comme le garant du respect de la conduite éthique et comme l’outil le plus efficace pour lutter contre la corruption et pour assurer le strict respect des règles déontologiques. « Transparence internationale » est le nom donné à l’organisation non gouvernementale qui se consacre à la lutte contre la corruption au niveau mondial. En France, la « Commission pour la transparence financière de la vie politique », créée en 1988, procède au contrôle des déclarations de patrimoine de six mille personnalités. En Côte d’Ivoire la Haute autorité pour la bonne gouvernance, fait partie des instruments mis en place dans le cadre de son plan national de lutte contre la corruption et la transparence dans la gestion des finances publiques.

Au regard des nombreuses fonctions qui lui sont assignées, l’on comprend pourquoi, ces dernières années sont caractérisées par l’obsession de la transparence comme leitmotiv du politiquement correct. La révolution numérique a vite fait d’accentuer cette obsession grâce aux possibilités qu’elle offre aux citoyens de participer directement aux débats publics. Comme l’ont si bien remarqué S. Gallot et L. Verla (2016, p. 50) : « Force est de constater que le terme « transparence » a le vent en poupe, à l’instar des médias, en témoignent ses évolutions sémantiques qui ont pris des tournures intéressantes en particulier depuis l’avènement d’Internet et du cyberespace ». Quel impact réel l’avènement des réseaux sociaux a-t-il sur cette idéologie de la transparence ?

2. Révolution des réseaux sociaux et éclatement de la notion de transparence

Depuis les années 1990, l’évolution des techniques informatiques et de la télécommunication a vu naître un espace cybernétique qui, avec les travaux de Berners-Lee, a pris la forme d’une toile qui rassemble toute la planète. Désigné par Internet, ce cyberespace peut être défini comme l’ensemble de réseaux mondiaux interconnectés qui permet à des ordinateurs ou smartphones et à des serveurs de communiquer efficacement au moyen d’un protocole de communication commun (IP). Internet Protocol Address, abrégée en « adresse IP » ou tout simplement « IP », est basée sur le protocole Internet qui constitue également la base du réseau Internet. Il s’agit de l’adresse clairement identifiable d’un équipement (par ex. d’un ordinateur, d’un serveur Web, d’une imprimante) au sein d’un réseau interne ou externe. Initialement issu du réseau militaire américain Arpanet (conçu en 1969), Internet permet le partage de messagerie, d’images, de sons, de vidéos, etc.

De la révolution d’Internet et des objets connectés sont nés les réseaux sociaux : un ensemble d’applications permettant de développer des interactions sociales, de se constituer un réseau de connaissances, d’amis ou de relations professionnelles, avec lequel on interagit en temps réel. Les plus importantes de ces applications, selon les données du Statista research department sont Facebook (2,910 milliards d’utilisateurs), YouTube (2,600 milliards d’utilisateurs), WhatsApp (2 milliards d’utilisateurs), TikTok (1 milliard d’utilisateurs), etc. Les réseaux sociaux sont devenus un modèle de savoir universel, sans frontières et sans obstacles à la communication et aux relations. Lieux de divertissement, de commerce, de publicité, d’informations, de dénonciation et de contrôle populaire, les réseaux sociaux rassemblent la somme de tous les désirs individuels et collectifs en portant en son paroxysme l’idéal de transparence. Selon S. Gallot et L. Verla (2016, p. 206) :

Le concept de transparence s’est institutionnalisé dans les usages et pratiques pour s’établir comme une norme de l’information et de la communication érigée en utopie, voire en symbole du Web et de la transparence de la Toile dont l’idéal de vérité, la culture ouverte de l’information, la responsabilité citoyenne, la participation et l’information démocratique ou encore la gouvernance ouverte constitue désormais les concepts-clés.

Ce qui se joue ici, pour Gallot et Verla, c’est l’érection du réseau social en symbole d’un idéal démocratique, une sorte d’« imaginaire Internet » nourrit d’idéaux politiques, démocratiques et culturels.

Très stimulante de ce point de vue est aussi la réflexion de Aïm (2006) pour qui, dans nos sociétés, l’utopie de la transparence doit être appréhendée comme « double » : premièrement via la transparence supposée du support numérique, qui fait référence à une dimension strictement technique ; deuxièmement via une « transparence active » des acteurs, «  qui s’inscrivent dans une volonté politique affichée, celle de l’engagement et de la publicité » faisant de leur communication, une action, une « maxime de la transparence » qui ne serait autre qu’une forme renouvelée et contemporaine d’une « maxime de la vérité ».

Ce que la révolution des réseaux sociaux opère comme changement, c’est fondamentalement la redéfinition de l’espace public. La notion d’espace public naît avec la démocratie grecque et établit la démarcation d’avec l’espace privé qui est relative à la maison, l’oikos. Considérées comme le laboratoire de l’espace public, les Lumières en feront un Öffentlichkeit c’est-à-dire « un cadre social dans lequel s’effectue sans les entraves de la censure une communication libre, qui prend pour sujet tout ce qui concerne la culture et la collectivité et le met ouvertement en débat » (N. Birkner et Mix, 2014, p. 285).

Dans De la révolution, H. Arendt (1963) pousse la réflexion plus loin en associant espace public et politique. Elle mettra ainsi en avant la dimension de la sphère publique d’être aussi « ce qui est montré », donc « au vu et au su de tout le monde ». Or, chez la philosophe, cette notion « d’apparition » publique est essentielle car apparaître a, pour elle, toujours à voir avec l’expression, le surgissement, le jugement par les pairs, les raisons données, la gloire aussi, et l’excellence. Elle fait ainsi une abstraction de la notion substantivée d’« un public » spectateur comme le public d’une pièce connoté de manière passive (celui qui reçoit le spectacle). Le public chez Arendt se pose et s’affirme, il n’est pas déposé là, dans la morne tristesse des choses inertes : le terme « public » rencontre chez Hannah Arendt un sens inverse et dynamique, car il caractérise l’action, le lieu où les choses et les êtres adviennent, en même temps que la liberté elle-même. L’espace public, chez Arendt, rejoint ainsi celle d’Habermas (1986) au sens d’un lieu accessible à tous au sein duquel l’échange discursif permet de formuler une opinion publique.

Pour Gallot et Verla, en rendant accessible le politique et la société aux internautes, en offrant des lieux de paroles, des informations et des analyses publiques, en permettant l’échange et les débats directs, l’espace virtuel peut en effet répondre à cette définition de l’espace public. Car, plus que tout autre média, les réseaux sociaux « alimentent la culture civique et participent à l’espace public » (Dahlgren, Relieu, 2000, p. 16) comme support démocratique à la « société de l’opinion ». Gallo et Verla (2016, p. 208) écrivent :

Cet espace virtuel porte ainsi les « promesses de transparence, de démocratie, générateurs de connexions qui brisent l’atomisation de la société de masse » (Neveu 2006), il redéfinit les frontières entre l’individu, la société et les organisations : il devient le symbole d’un idéal démocratique, d’un idéal de transparence.

Mais au-delà d’une cité politique plus transparente, les réseaux sociaux, conduisent à un éclatement des champs de la transparence. Aussi, tendons-nous vers une cité marchande qui se veut de plus en plus transparente. Il y a désormais, un bouleversement du mode de communication entre les entreprises et les clients. Les entreprises investissent les réseaux sociaux et sont dorénavant contraintes de rentrer dans des logiques de « services directs » relationnels, en inscrivant leur stratégie globale dans une perspective durable établie sur une relation qui se veut de confiance. L’avis du consommateur prend du poids face à des stratégies mercantiles de plus en plus défiées.

La vie publique, professionnelle et privée ne sont pas épargnées par ce désir de transparence. Les individus possèdent aujourd’hui une identité sociale stable et une identité numérique construite qui sont en permanente tension. L’identité numérique conçue comme l’extension de l‘identité sociale est constituée par l’ensemble des données qu’un individu publie en ligne au travers desquels celui-ci façonne la perception que les autres ont de lui. Sur les réseaux sociaux, chaque individu possède un compte lié à son profil. Il affiche au travers de ce profil une forme de transparence stratégique. Il sait qu’en exposant sa vie sur Internet, il la soumet au regard des autres, de ses proches, de ses collègues, de son patron, de l’administration, l’information et sa transparence bien que voulues maîtrisées lui font prendre un risque pour sa vie privée. Il se donnera donc une image façonnée, taillée sur mesure pour occuper « son espace virtuel » et participer au réseau, se différencier, se faire « entendre », voir, séduire, plaire, manipuler, etc. (Wolton, 1997, page).

Il est indéniable qu’avec la révolution des réseaux sociaux, la notion de transparence connaît un éclatement spectaculaire. De la politique à la vie privée en passant par la vie professionnelle et publique, la transparence, en s’infiltrant dans les interstices de l’existence, devient pour nos sociétés en quête de valeurs démocratiques, une idéologie qui s’emploie à occuper insidieusement les grands systèmes idéologiques du XXe siècle. Cette obsession de la transparence, loin des idéaux d’une société sans opacités et sans ombres dans laquelle l’individu se trouve en adéquation avec lui-même, n’engage-t-elle pas la société contemporaine dans un processus de dissociation et de divorce entre les valeurs républicaines et les valeurs démocratiques inaugurées par la modernité ? Autrement dit, l’idéologie de la transparence ne constitue-t-elle pas un malaise dans la démocratie ?

3. Mythe de la transparence et crise de la démocratie contemporaine

« La lumière du soleil est le meilleur désinfectant », disait Louis D. Brandéis, juge à la cour suprême des États-Unis d’Amérique de 1916 à 1939. Qui voudrait moins de transparence ? Personne en effet ! Tout semble tellement aller de soi. Il s’agit de tout mettre sur la table ; en finir avec les secrets, les ruses, les fourberies, les cachotteries, les manipulations, les dissimulations, les coups bas et les coups fourrés. Car comme le note S. Dieguez (2021, p. 1) : « La transparence est quasiment devenue synonyme de – démocratie : un peuple libre est, un peuple éclairé et correctement informé, donc plus, il aura d’informations brutes à sa disposition, mieux, il sera en – mesure de se déterminer ». L’absence de transparence signifie ipso facto opacité, conflits d’intérêts, jeux d’influences, propagande et corruption. Mais cette attirance de la transparence ne prépare-t-elle pas le lit de la mort de la démocratie ?

Dans un des récits les plus étranges et les plus beaux que le romantisme allemand ait engendrés (L’homme qui a perdu son ombre), A. V. Chamisso (1984) raconte l’histoire de Peter Schlemihl, l’homme qui a vendu son ombre au diable contre la bourse de Fortunatus – bourse magique qui reste pleine en toutes occasions.  S’étant réveillé un matin avec le sentiment désagréable que quelque chose lui manque, Peter s’avise alors de l’importance que son ombre revêt à ses yeux et aux yeux des hommes, lesquels prennent maintenant grand soin de l’éviter. Il y a chez P. M. Defarges (2013, p. 1), dans ce récit, sans nul doute, une similitude avec la condition de l’homme contemporain avide d’anéantir toute part d’ombre.

H. Arendt a le mérite d’avoir été l’une des premières intellectuelles à avoir porté contre la transparence une critique acerbe.  Sa critique, dirigée contre le totalitarisme, fustige l’usage de la transparence comme l’alibi des dérives totalitaires. En effet, à la dérive de la pensée rousseauenne, l’utopie totalitaire, à défaut de retrouver l’homme à l’état de nature, veut fabriquer un homme nouveau. Pour y parvenir, elle érige la règle, la surveillance et l’aveu comme moyen de réinvention du « communisme primitif », c’est-à-dire l’idéal des relations sociales sans malentendus, sans conflits et sans nuisances. Ce constructivisme en quête d’une vision panoptique de l’ordre social (Betham, 2002), loin d’apparaître comme la mise en place d’un système de contraintes destiné à peser sur les libertés, se donne au contraire comme un mode d’organisation fonctionnelle de la société visant préventivement, à rendre le mal impossible, à éviter la sanction et à garantir les droits de ceux qui n’ont rien à se reprocher.

Comme hier, aujourd’hui, la part prépondérante que l’on confère à l’objectif de transparence dans le processus de démocratisation des sociétés appelle de la part de la réflexion intellectuelle une vigilance accrue. Il est urgent que l’on comprenne que le refus de l’opacité et du secret n’autorise pas à demeurer sourd et aveugle au danger que représente l’idéologie de la transparence pour les principes républicains qui garantissent les libertés.

Pour K. Niamkey (1988, pp. 290-292) dans le contexte actuel marqué par la crise de la souveraineté et de l’autorité de l’État, la logique de l’idéologie de la transparence épouse en apparence, le mouvement de remise en cause de la raison d’État. En réalité, reposant sur la prévention qui lui donne des allures non répressives d’un régulateur social permanent, l’idéologie de la transparence privilégie la non-conflictualité, récuse les modalités contraignantes de l’exercice de la tutelle de l’État sur la société civile. Aussi K. Niamkey croit-il que la logique du refus du conflit caractéristique de l’idéologie de la transparence induit, pour l’État, la nécessité de faire sa mue en abandonnant sa figure d’État providence pour devenir un État préventif.

Défini littéralement comme un État qui a pour fonction d’empêcher que se produise le mal, l’exigence d’un État préventif dérive d’une idéologie de l’absence de conflit qui suppose, d’une part, qu’aux rapports de civilité empreints d’intérêts, de choix contradictoires, et d’affrontement inévitables, il faut substituer ou préférer la transparence de l’organisation, la transparence du cadre réglementaire ou législatif ; d’autre part, que la tutelle de l’État sur la société civile ne s’exerce plus par la contrainte parce que, l’État est désormais dans l’obligation de se substituer comme un partenaire de droit commun, de s’astreindre à respecter les mêmes lois que le citoyen et de donner lui-même de la transparence et de la vertu. La conséquence inévitable est que cette dilution du pouvoir, dans la société civile, conduit à penser le pouvoir comme une activité privée parmi d’autres, au lieu de le percevoir comme étant au service de la société. « Désormais on ne voit plus nulle part des hommes d’État, mais des hommes de pouvoir. Le soupçon devient le lot indissociable de leur action qu’on ne juge que pour dévoiler les arrières-mondes et les arrière-pensées » écrit K. Niamkey (1998, p. 295).

Inversement, dans une sorte d’ironie du sort, l’idéologie de la transparence est devenue une stratégie du pouvoir entre les mains des responsables politiques au même titre que l’opacité d’hier avec en prime l’alibi de la satisfaction morale après l’acte. L’on assiste, pour ainsi dire, de manière planifiée, chez les acteurs politiques, l’indiscrétion, la fuite calculée, la déclassification et la divulgation des archives interdites, la divulgation des délibérations des conseils de ministres, etc. Le fait est que, l’idéologie de la transparence, en supprimant la différence entre le paraître et l’être, fait croire que le paraître dit l’être qu’il livre à bout portant du voir.

On comprend donc l’importance qu’elle confère aux médias et tout particulièrement les médias sociaux en ligne, ces dernières années, comme hier, la radio, le cinéma et la télévision furent ses cibles. Tribune mondiale d’échanges, les réseaux sociaux s’apparentent faussement à l’agora des Grecs et provoquent la confusion entre l’exigence moderne de transparence et la vertu démocratique antique du franc-parler « parrhésia » exigée de ceux qui gouvernent ou qui sont destinés à le faire.

P. Flichy (2008, p. 10) a vite fait de dénoncer le simulacre des débats que semble rendre possible ces réseaux sociaux. Pour lui, les débats sur Internet en général et sur les réseaux sociaux en particulier, concourent à une multiplication des points de vue sans partage ni débats d’idées profond. Il s’agit ni plus ni moins simplement d’échanges d’informations de manières sectorisées en communautés et produisant, de ce fait, des structures sociales « clôturées » qui au fond balkanisent le discours politique. La proximité que les réseaux sociaux créent entre les politiques, les organisations, les acteurs sociaux et les citoyens, loin d’être un rapport du franc-parler constitutif de la démocratie, n’est enfin de compte qu’un rapport superficiel sans enjeux notables. Comme l’ont si bien vu Gallo et Verla (2016, p. 214) :

L’exposition des opinions domine, mais les débats et discussions sont peu poussés, les formats de rédactions sont peu propices aux longues argumentations (ex. nombre de caractères imposés dans les Tweets). Les débats en ligne ne sont qu’un simulacre (guerres d’injures) et ne correspondent en rien à la définition de l’espace public : les arguments sont souvent irrationnels, une importante inégalité biaise les débats et la recherche de consensus quasi-inexistante.

Dans une analyse consacrée à la « parrhésia », la pratique grecque du franc-parler à laquelle veut aujourd’hui s’assimiler les débats sur les réseaux sociaux, Foucault (2009) montre que, dans la Grèce antique, la vertu démocratique du franc-parler s’inscrit dans la constellation des rapports de la subjectivité à la vérité. La vérité elle-même requiert, pour sa production, un parcours initiatique fondé sur le gouvernement de soi et le courage (courage de dire la vérité). Car, le souci de véridiction qu’implique la « parrhésia » suppose l’accord du vivre et du dire qui culmine dans la constance pour fonder la crédibilité. (F. Gros, 2012). La dimension morale de cette exigence est aux antipodes de l’idéologie de la transparence. Celle-ci tue la vérité en banalisant l’état d’esprit d’inquisition. Ainsi, tout devient matière à enquête et à procès d’intention car pour mener à bien sa tâche de démystification, elle a besoin de voir partout de l’ombre.

Conclusion

Il y a, sans nul doute, que la mission de transparence s’impose aujourd’hui comme le centre d’intérêt le plus préoccupant pour garantir la démocratie. À l’heure où la corruption, les mensonges, les manipulations et la tricherie sont devenues des gangrènes pour les sociétés, le besoin de transparence apparaît comme une urgence pour faire la lumière sur les zones d’ombre qui polluent la vie politique, économique et sociale, qu’il s’agisse de corruption, de chantages ou d’abus de pourvoir. Il s’agit d’éliminer, avant qu’ils ne se produisent, les petits arrangements et les grands scandales. Les réseaux sociaux ont inauguré une ère nouvelle en faisant du citoyen un acteur incontournable à la fois demandeur et juge de cette transparence.

Mais, le besoin de plus en plus accru de transparence a fini par opérer une révolution : la transparence, pensée comme un moyen d’exercice du pouvoir et de son contrôle, s’est muée en une fin en soi. G. Carsonne (2001, p. 23) qualifie ce chantage à la transparence et à la vertu du paraître de « névrose de la transparence » qui au lieu d’être « la quintessence de la démocratie » devient plutôt son « antipode ». Comme il écrit :

Or, à ne pas la ramener à ce qu’elle doit être – un moyen, dont l’utilité comme la légitimité se mesurent à l’aune des objectifs qu’elle sert -, la transparence est une menace. Devenue une fin en soi, elle s’imposera d’elle-même, n’aura nul motif à s’arrêter ici ou là, s’insinuera partout, irrésistiblement, sous le masque fallacieux d’une exigence démocratique. Au terme de l’évolution se révélera son paradoxe : la démocratie aura réalisé le rêve du totalitarisme.

Dès lors, l’heure d’une transparence rationnelle n’a-t-elle pas sonné ?

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AXE 2 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ÉDUCATION

DE LA RESPONSABILITÉ DES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES DANS L’INCONDUITE DES ADOLESCENTS EN CÔTE D’IVOIRE

Koffi Jacques Anderson BOUADOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

bouadou80@yahoo.fr

Résumé :

Les réseaux sociaux numériques sont apparus dans notre quotidien comme des moyens d’informations, de formation, de communication et d’apprentissage. Ils ont conquis les cœurs de toutes les catégories d’âge, plus particulièrement les adolescents. Ceux-ci s’en servent pour diverses tâches. La chercheuse britannique Sonia Livingstone (2010) les qualifie, à cet effet, de « Digital Natives » ou « natif digital ». Mais aujourd’hui l’usage des réseaux sociaux suscite de nombreux commentaires. En Côte d’Ivoire l’usage de ces outils constitue une préoccupation pour les autorités et les ménages car ils modifient profondément le comportement des adolescents.

Notre recherche évalue le problème suivant : quel est l’impact de l’usage des réseaux sociaux numériques sur la conduite des adolescents ivoiriens ? L’hypothèse de l’étude révèle que les réseaux sociaux numériques ont entrainé les adolescents dans des dérives comportementales. Nos enquêtes ont ciblé 175 personnes au moyen de l’échantillonnage de commodité et également de la méthode boule de neige. L’étude s’inscrivant dans une approche mixte, a le mérite d’examiner les usages que les adolescents ivoiriens réservent aux réseaux sociaux en vue de comprendre leurs implications dans la mauvaise conduite de ces adolescents ; lesquelles implications apparaissent sous diverses formes : cyberharcèlement, cybercriminalité, pornographie, partages de nudes, vol d’identité d’autrui.

Mots clés : Adolescents, Dérives, Éducation, Inconduite, Réseaux Sociaux Numériques.

Abstract:

Digital social networks have appeared in our daily lives as means of information, training, communication and learning. They have won the hearts of all age groups, especially teenagers. They use it for various tasks. British researcher Sonia Livingstone (2010) describes them, for this purpose, as “Digital Natives”. But today the use of social networks gives rise to many comments. In Ivory Coast, the use of these tools constitutes a concern for the authorities and households because they profoundly modify the behavior of adolescents.

Our research evaluates the following problem: what is the impact of the use of digital social networks on the behavior of Ivorian adolescents? The study’s hypothesis reveals that digital social networks have led adolescents into behavioral excesses. Our surveys targeted 175 people using convenience sampling and also the snowball method.  The study, which is part of a mixed approach, has the merit of examining the uses that Ivorian adolescents reserve for social networks with a view to understanding their implications in the misbehavior of these adolescents; which implications appear in various forms: cyberharassment, cybercrime, pornography, sharing of nudes, identity theft of others.

Keywords : Adolescents, Excesses, Education, Misconduct, Digital Social Networks.

Introduction

Depuis le début du XXIe siècle, selon St-Pierre Marjolaine (2022) les réseaux sociaux électroniques (e-RS) et les médias sociaux électroniques (e-MS) constituent des moyens de communication incontournables. Cette réalité virtuelle a incontestablement transformé nos États et modifié les rapports entre les individus. Les réseaux sociaux ont conquis les cœurs de toutes les catégories d’âge, plus particulièrement les adolescents. Ceux-ci s’en servent pour diverses tâches. La chercheuse britannique Sonia Livingstone (2010) les qualifie, à cet effet, de « Digital Natives » ou « natif digital.

Les usages juvéniles des médias sociaux s’inscrivent dans une dynamique éminemment relationnelle (Susannah Stern, 2008). Mais cet outil révolutionnaire peut avoir un impact néfaste sur le développement de l’adolescent. Conçus initialement pour faciliter les rapports entre les individus, décomplexifier la communication, ils sont aujourd’hui sujets à critique. Les réseaux sociaux se sont développés à un rythme effréné et sont apparus dans notre quotidien comme des moyens d’information, de formation, de communication. Les relations y sont davantage fondées sur les possibilités d’échange et d’apprentissage (Olivier Le Deuff, 2011). Mais il est important de relever que leurs usages ont été dévoyés par certains utilisateurs notamment par des adolescents qui s’en servent pour des activités peu catholiques, les entrainant ainsi sur le chemin de la dérive ; ignorant que certains actes sont constitutifs d’infraction et donc entrainent des sanctions. La problématique de l’usage des réseaux sociaux est au cœur des préoccupations du gouvernement et des ménages au regard de leurs impacts négatifs sur la conduite des adolescents. Bien que certains les utilisent dans un cadre purement scientifique et commercial, d’autres par contre les utilisent pour des activités délictueuses, détournant ainsi les finalités originelles de la création des réseaux sociaux numériques. Ils apparaissent dans leurs nouveaux rôles comme des vecteurs de criminalité moderne. Notre recherche évalue donc le problème suivant : quel est l’impact de l’usage des réseaux sociaux numériques sur la conduite des adolescents ivoiriens ? De ce problème découle une question principale : Comment les réseaux sociaux impactent-ils au plan moral le comportement des adolescents ?

Cette question principale fait naître des interrogations : quels sont les différents impacts des réseaux sociaux numériques dans le comportement des adolescents ivoiriens ? Quels usages ces adolescents réservent-ils aux réseaux sociaux numériques ? Quels sont les réseaux sociaux numériques qui influencent les comportements de ces adolescents ?

L’hypothèse principale de l’étude révèle que les réseaux sociaux numériques ont entrainé les adolescents dans des dérives comportementales. Quant aux hypothèses subsidiaires, la première relève que les adolescents ivoiriens ont personnalisé l’emploi des réseaux sociaux numériques. La deuxième hypothèse relève qu’ils utilisent les réseaux numériques à des fins de prostitution, de cybercriminalité, de vol d’identité, de dénonciations calomnieuses, de diffamation d’autrui. La troisième hypothèse quant à elle fait savoir que Facebook, Whatsapp, Tik Tok, Instagram influencent leurs comportements.

Notre étude s’inscrivant dans une approche mixte, a le mérite de montrer les différents impacts des réseaux numériques dans le comportement des adolescents ivoiriens ; relever les différents usages que ces adolescents réservent aux réseaux sociaux ; identifier les réseaux sociaux numériques impactant leurs conduites en société et proposer des solutions en vue d’un usage responsable de l’internet par les adolescents ivoiriens.

1. Méthode et matériels

Notre étude s’inscrit dans une approche mixte (quantitative et qualitative). Elle s’est déroulée durant un mois à Abidjan plus précisément à l’Institut Universitaire d’Abidjan (IUA) et à Bouaké au campus 2 de l’Université Alassane Ouattara (UAO). Les données de l’étude recueillies auprès de 175 personnes au moyen de l’échantillonnage de commodité, de la méthode boule de neige sont réparties comme suit : 60 étudiants adolescents au campus 2 de l’UAO, 40 à l’IUA, 50 profils d’utilisateurs Facebook et 25 parents qui ont répondu à notre questionnaire alors que nous en avons ciblé 100, correspondant au nombre d’adolescents rencontrés sur les deux espaces. Aux adolescents interrogés, nous leur avons remis un questionnaire pour leurs parents. Seulement 25 parents ont réagi au questionnaire à eux transmis. Concernant les internautes, nous avons pu recueilli 50 réactions par rapport aux questions posées sur deux fora de discussion Facebook : « Gbairai Ivoirien » (166809 followers) et « J’aime ma Côte d’Ivoire » (493000 followers). Ces deux fora sont beaucoup visités par de nombreux profils d’adolescents. Nous avons recueillis 28 réactions sur « Gbairai Ivoirien » et 22 sur « J’aime ma Côte d’ivoire ». Les réactions correspondent au nombre de personnes ayant commenté notre publication sur les deux espaces virtuels d’échanges. Il faut reconnaitre que notre publication n’a pas suscité d’engouement sur les deux fora. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la majorité des sujets débattus sur ces espaces d’échanges revêt rarement un caractère scientifique.

Le choix des deux établissements d’enseignement supérieur comme terrain de recherche est motivé par le fait que ces établissements abritent un grand nombre d’adolescents utilisateur et friand de réseaux sociaux numériques. Ces adolescents ont un usage très varié des réseaux sociaux et sont inscrits dans des communautés ou groupes de discussions en ligne. Ils sont régulièrement présents sur Facebook, Whatsapp, Instagram, Tiktok et ont pour la plupart développé des activités de vente de produits cosmétiques ou de vêtements en ligne.

Notre enquête a été réalisée aux moyes du questionnaire, d’entretiens semi directifs et de documentation. Le questionnaire adressé aux adolescents a tourné essentiellement autour des types d’usages qu’ils font des réseaux sociaux numériques et des probables influences que ces outils exercent sur eux. Les parents ont été invités à se prononcer sur l’usage des réseaux sociaux par leurs enfants et l’impact de ces outils sur le comportement de ceux-ci. Au niveau des fora virtuels de discussion, les questions ont eu les mêmes centres d’intérêts que celles posées aux adolescents.

Nous avons convoqué deux théories pour atteindre les objectifs de la recherche. Il s’agit de la théorie de l’appropriation des TIC et celle de l’impact des TIC. La théorie de l’appropriation stipule que l’usager s’approprie l’objet technique en le personnalisant à des buts autres que le fabricant destinait son objet (Guillaume Latzko-Toth et Serge Proulx, 2015). Quant à la théorie de l’impact des TIC elle se présente comme une évaluation des effets d’une cause ou d’une série de causes (évènements, processus) qui provoquent un changement. Cette notion est d’un usage courant en Sciences de Gestion, pour souligner notamment les aspects négatifs d’un effet (Daniel Bonnet, 2012). Ces deux théories nous ont permis de cerner d’une part les différentes finalités que les adolescents donnent aux réseaux sociaux et d’autre part, les influences que ces outils exercent sur leurs conduites en société.

2. Résultats

2.1. Statistiques concernant l’utilisation d’internet en Côte d’Ivoire en janvier 2023

Selon le site Digital Mag-Côte d’Ivoire, la Côte d’Ivoire jusqu’en janvier 2023 comptait 12.940.000 internautes, soit un taux de pénétration de 45,4 %. Par ailleurs à la même date (Janvier 2023), elle comptait également 5.100.000 d’utilisateurs de médias sociaux soit 17,9 % de la population totale. Le réseau social Facebook comprend 4.650.000 utilisateurs. Instagram 708700 d’utilisateurs. Facebook Messenger 1.500.000 utilisateurs LinkedIn 1.100.000 membres et Twitter 244.900 utilisateurs.

2.2. Types de réseaux sociaux numériques influençant le comportement des internautes adolescents et leurs usages

Tableau 1 : des réseaux sociaux numériques influençant les comportements des internautes adolescents interrogés et leurs usages

Nombre d’internautes adolescents interrogésRéseaux sociaux numériquesDifférents usages des réseaux sociaux chez les enquêtésPourcentage
      30      Facebook-Échanger avec des proches -Partager et commenter des informations -Publier des stories    30%
    26     WhatsappÉchanger avec des correspondants -Publier des photos et vidéos en statut  26%
      22      Tick tok-Publier des photos et vidéos visibles par le public -Répondre aux challenges Tick tok en imitant des artistes  22%
  14  InstagramPublier des photos et vidéos visibles par tous14%
8LinkedinMettre mon CV en ligne -M’informer sur le monde professionnel8%
Total : 100   Total : 100%

Source : Données de l’enquête.

Le tableau ci-dessus met en relief les différents réseaux sociaux numériques impactant les conduites des adolescents interrogés et leurs usages. Les adolescents interrogés au nombre de 30, soit 30% utilisent Facebook pour échanger avec des correspondants, commenter des publications et poster des stories. Pour 26% des enquêtés, Whatsapp apparait comme leur hobby. Ils y sont régulièrement connectés pour des discussions de groupe, des publications de statuts.

Le réseau social Tick tok est utilisé par 22% des adolescents. Ils s’y connectent pour des partages publics de vidéos, répondre aux challenges tick tok, réaliser des vidéos les mettant en scène et destinés à leurs followers. Concernant Instagram, 14 utilisateurs soit 14%, affirment qu’ils se connectent pour créer des contenus et diffuser leurs photos et vidéos. Linkedin est le réseau social le moins utilisé par les adolescents Seulement 8% s’y intéressent. La majorité des enquêtés soutiennent que LinkedIn étant un réseau social de professionnels, il leur est impossible de se divertir sur cet espace. Mais à l’opposé, ceux des adolescents qui s’y abonnent, assurent vouloir nouer des contacts avec des responsables d’entreprises et des travailleurs du secteur public et privé. De ce qui précède, nous retenons que l’intérêt des enquêtés pour les réseaux sociaux réside dans le divertissement. Peu, sont portés sur leurs usages scientifiques.

2.3. Différents usages dévoyés des réseaux sociaux numériques par les adolescents

Tableau 2 : des différents usages dévoyés des RSN par les adolescents

  Implications des réseaux sociaux numériques dans les dérives comportementales des adolescents en Côte d’Ivoire-Favoriser la recherche du gain facile  -Permettre la tricherie à l’école -Rendre les adolescents irrespectueux envers leurs parents -Favoriser la cybercriminalité -Créer des cyberharceleurs -Engendrer la Prostitution et le proxénétisme en ligne -Créer des déviants sexuels -Occasionner l’exhibitionnisme -Favoriser le vol d’identité d’autrui   -Contribuer aux dénonciations calomnieuses et à la diffamation d’autrui      

Source : Données de l’enquête.

Les données portées dans le tableau sont issues des différents entretiens semi directifs réalisés dans le cadre de la recherche. De ces entretiens, il ressort que les réseaux sociaux numériques sont fortement impliqués dans les dérives comportementales observées chez les adolescents. Les étudiants rencontrés assurent ne pas poser d’actes délictueux sur les réseaux sociaux, mais par contre, ils connaissent des personnes qui s’adonnent à des actions répréhensibles sur l’internet. Ainsi l’usage personnalisé des réseaux sociaux déteint sur le quotidien des adolescents. Ils s’approprient tout ce qu’ils voient sur Internet, les intègrent à leurs comportements et les reproduisent. Leurs agissements sont donc influencés par ce qu’ils ont vu ou lu sur l’internet. Les enquêtés nous ont confié que bon nombre de leurs amis s’adonnent à l’arnaque, au vol d’identité d’autrui et à la prostitution sur Facebook. « L’un de mes condisciples a une correspondante européenne sur Facebook, il lui demande constamment de l’argent à travers des supercheries » (D.F, 19 ans, étudiant en licence 2 Lettres modernes, UAO). Aussi les réseaux sociaux numériques renferment-ils des fonctionnalités qui poussent les utilisateurs à la dérive. Par conséquent, certains usagers adolescents ivoiriens apparaissent comme des individus ayant perdu toute valeur morale.

2.4. Différents impacts des réseaux sociaux numériques sur les adolescents interrogés

À la question de savoir si les réseaux sociaux impactent leurs comportements en société, 77 adolescents sur les 100 enquêtés dans les deux établissements de l’enseignement supérieur (UAO, IUA) ont répondu oui. En revanche 23 adolescents ont répondu par la négation. Ces impacts sont positifs d’une part et négatifs d’autre part. A ce sujet, 15 étudiants ont reconnu que leurs attachements aux réseaux sociaux numériques ont occasionné des conflits familiaux. « Mes parents m’ont arraché mon téléphone parce que je passais assez de temps sur facebook » (M. K., 19 ans, Licence 1 SLC, Université Alassane Ouattara, Bouaké).

Selon 10 adolescents interrogés, les réseaux sociaux numériques ont tué en eux l’engouement pour la révision des cours.. « Parfois j’oublie que je dois bosser tellement captivée par Tick-tok » (A. E., 18 ans, étudiante en licence1 Communication, Institut Universitaire d’Abidjan). Par ailleurs, 75 étudiants soutiennent que certains de leurs amis s’adonnent à des pratiques délictueuses sur les réseaux sociaux : arnaque, prostitution, exhibition, publication de fausses informations. « Ma camarade se prostitue en ligne » (K.F, 20 ans, étudiante en Licence 2 Sociologie, Université Alassane Ouattara, Bouaké.)

Les 25 parents interrogés ont unanimement reconnu que les réseaux sociaux, hormis leurs avantages, ont des effets dévastateurs sur la conduite des adolescents. « Les réseaux sociaux présentent des impacts plus négatifs chez les jeunes, car beaucoup d’entre eux passent la plupart de leur temps à publier des photos, des vidéos obscènes ». (A. T., 53 ans, électricien, Bouaké). « Les adolescents s’inscrivent dans des groupes qui ne parlent que de la sexualité ». (B. Y., 49 ans, Enseignant, Cocody, Abidjan).

Parmi les 50 internautes qui ont réagi à nos publications, 35 ont démontré l’ascendance des réseaux sociaux sur les adolescents. De tous les commentaires reçus suite à la question : « Les réseaux sociaux impactent-ils négativement votre comportement en société ? », les 35 profils adolescents ont proféré des injures plutôt que de répondre à la question posée. Par contre 15 ont répondu qu’ils se connectent pour échanger et s’informer.

2.5. Contributions en vue d’un usage responsable des réseaux sociaux numériques par les adolescents ivoiriens

Que faire face aux nombreuses dérives comportementales chez les adolescents, consécutives à l’usage dévoyé des réseaux sociaux ? Avant toute ébauche de solutions, il faut reconnaitre la responsabilité des parents dans l’usage abusif et détourné des réseaux sociaux numériques chez les adolescents. En effet pendant nos enquêtes certains parents ont reconnu avoir offert des smartphones à leurs enfants. Ils se chargent également de leur payer des datas. Pis, ils n’exercent aucun contrôle sur la manière dont ces datas sont utilisés. Cela donne l’impression que ces parents veulent occuper leurs enfants afin qu’eux-mêmes s’occupent librement à d’autres choses. Il faudrait donc sensibiliser les ménages sur les dangers d’une mauvaise utilisation des réseaux sociaux par les enfants. Au niveau familial, les parents devront exercer un contrôle sur ‘’ce que leurs enfants font sur les réseaux sociaux’’. Au plan académique, le Ministère de l’Éducation Nationale se doit d’élargir les cours d’éducation aux médias à tous les apprenants en milieu scolaire. Pendant les cours, les enseignants devront sensibiliser les adolescents sur les dérives des réseaux sociaux numériques. Une synergie d’action entre l’’État et les ONG protectrices de l’enfant s’impose afin de sensibiliser les usagers adolescents à un emploi rationnel et responsable de l’internet. Les médias publics et privés doivent diffuser des émissions et téléfilms sur le bon usage des réseaux sociaux numériques. Par ailleurs une vulgarisation du cadre normatif régissant ces outils virtuels, s’avère nécessaire, afin de persuader pour leur bon usage. L’État devrait permettre aux ingénieurs en réseau et télécommunication de trouver un mécanisme favorisant l’utilisation raisonnée des réseaux sociaux.

3. Discussion

Initialement conçu pour rapprocher les individus et favoriser des rapports fraternels et professionnels, les réseaux sociaux ont subi une profonde mutation, et certains usagers pervertissent leurs finalités originelles. De nos travaux, il ressort que l’usager adolescent a personnalisé l’emploi de ces outils à des finalités qui paraissent avantageuses indépendamment du destin primordial de l’objet. Mais force est de constater que les réseaux sociaux numériques ont un impact véritable sur les adolescents ivoiriens. Ce qui amène Monique Dagnaud (2013) à considérer les adolescents comme des acteurs sociaux dont le rapport au monde est impacté par les mutations des modes d’expression identitaire, par la médiation des outils numériques et par la mise en réseau des savoirs.

La puissance des réseaux sociaux multiplie les risques et les dérives constatées dans la conduite des adolescents en société. Leurs mauvaises utilisations brisent les barrières entre vie publique et vie privée. Les adolescents publient tout, partant des vidéos à des photos obscènes sans tenir compte du fait que ce n’est pas tout qu’on expose sur les réseaux sociaux. Des étudiantes adolescentes interrogées pendant nos enquêtes, nous ont confié qu’elles publient parfois des photos un peu obscènes sur Tiktok et Instagram dans le but d’accroître leurs followers. Ainsi donc, ce sont des images d’adolescentes qui devraient relever de l’intimité qui pullulent sur l’internet. En outre, faut-il signifier que ces images et vidéos publiées sont majoritairement des données sensibles au sens de l’article 1 de la loi ivoirienne n°2013-450 du 19 juin 2013 relative à la protection des données à caractère personnel. Elle vise à protéger la vie privée des personnes physiques (et même les intérêts des personnes morales) à l’égard du traitement de leurs don- nées personnelles par des tiers. Ces données sont strictement encadrées par l’article 10 du Règlement Général de Protection des Données RGPD. Les réseaux sociaux, bien utilisés constituent des moyens d’apprentissage et d’intégration à un groupe. Ils constituent une forme spécifique de coordination entre acteurs et une forme de sociabilité c’est-à-dire réseaux internet, associations d’anciens élèves, etc. (Pierre Merckle, 2011). Depuis plusieurs années, les médias sociaux numériques ont bouleversé les pratiques communicationnelles des organisations (Florence Millerand et al, 2010), lesquelles font désormais face à des publics à la fois éclatés, actifs et exigeants. Ils renferment des atouts en matière de formation si l’on sait les utiliser. Facebook prolonge les relations entre les individus en dehors des lieux physiques. Twitter par exemple, permet de nouveau types d’échanges. A contrario, leur mauvais usage précipite les adolescents dans des comportements délictueux, tels que la cybercriminalité, la prostitution, le vol d’identité (procédé par lequel certains adolescents créent des profils à la place de certaines personnes et se font passer pour elle sur internet), les injures, les diffamations publiques ou privées, les troubles sexuels dus à l’accès facile à la pornographie sans filtre et sans contextualisation. Pendant les entretiens, certains adolescents nous ont confié être délaissés par leurs parents. Sans repères fiables, ils se sont donc tournés vers les réseaux sociaux numériques pour expérimenter certaines pratiques. L’usage du numérique prend donc place dans un contexte de distanciation des jeunes vis-à-vis de la référence parentale (Claire Balleys, 2017).

Les résultats de l’étude ont montré que les réseaux sociaux numériques extrêmement chronophages, ont rendu l’adolescent ivoirien oisif et ont contribué à son mauvais résultat scolaire. En effet, l’enfant y consacre plus de temps qu’à la révision de ses leçons. De ce qui précède, nous nous interrogeons avec Robert Larose (2010) qui se demande si aller sur Internet, peut conduire l’usager à une dépendance ou à une addiction au sens pathologique du terme ? À ce sujet Émilie Potin et al (2020, p. 9) assurent : « Incontournable, l’internet offre de multiples potentialités mais bouleverse l’organisation de la famille, de l’école… Il oblige les adultes à s’interroger sur la manière d’accompagner les adolescents dans l’usage qu’ils en font. » Pour Monique Dagnaud (2016), les réseaux sociaux reposent sur un paradigme à trois points : « free, free speech, free of charge ». Ce paradigme postule qu’un individu autonome possède de multiples capacités d’agir grâce à la puissance de la connectivité. Cela expliquerait donc l’usage libertin que certains adolescents font des réseaux sociaux numériques. Ils reproduisent le plus souvent dans leur quotidien, tout ce qu’ils découvrent sur internet. Aussi faut-il reconnaitre que les réseaux sociaux sont les terreaux fertiles des dérives de tout genre car ils renferment des fonctionnalités qui favorisent leur manifestation.

Conclusion

En guise de conclusion, nous retiendrons que les réseaux sociaux numériques initialement créés pour rapprocher les individus et décomplexifier la communication, sont aujourd’hui soumis à d’autres types d’usages par certains adolescents ivoiriens. Le mauvais usage de ces outils a fait perdre aux adolescents l’essentiel des valeurs morales ; a modifié considérablement leurs comportements en société et les a transformés en des cybercriminels, cyberharceleurs, prostituées, proxénètes, diffamateurs, voleurs d’identité en ligne, etc.

Les réseaux sociaux numériques ont donc leur part de responsabilité dans les dérives comportementales observées chez les adolescents en Côte d’Ivoire. Pour pallier ces différentes dérives, Il faudrait donc sensibiliser les ménages sur les dangers d’une mauvaise utilisation des réseaux sociaux par les enfants ; les parents devront exercer un contrôle sur ‘’ce que leurs enfants font sur les réseaux sociaux’’ ; les médias publics et privés doivent diffuser des émissions et téléfilms sur le bon usage des réseaux sociaux numériques.

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USAGE JUVENILE DES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES            ET EXPÉRIENCE DES DILEMMES MORAUX CHEZ LES MÈRES D’ADOLESCENTS À BOUAKÉ (CÔTE D’IVOIRE)

Yogblo Armand GROGUHÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

groguhearmand@gmail.com

Résumé :

Une recension des écrits révèle qu’il existe peu de connaissances sur les dilemmes moraux vécus par les mères et leurs solutions entourant l’usage des réseaux sociaux numériques par les adolescents. Le but de cette étude est de décrire ces dilemmes rencontrés par les mères et les façons dont celles-ci procèdent pour les résoudre. Une recherche exploratoire a été utilisée pour répondre à cet objectif. Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées auprès de 12 mères d’adolescents sélectionnées à partir de la technique d’échantillonnage du choix raisonné à Bouaké. L’analyse qualitative à visée phénoménologique des principaux résultats montre que toutes les mères mentionnent avoir rencontré des dilemmes moraux, et ce, en moyenne quatre fois par année et, ceux-ci leur ont fait vivre une certaine détresse. Ces dilemmes ont deux causes principales : les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents et les divergences d’opinions avec des membres de la famille. Pour résoudre ces dilemmes, les participantes affirment consacrer du temps à des discussions en famille et à de l’aide de partenaires externes comme les travailleurs sociaux. Les résultats de la recherche rejoignent en général ceux documentés dans les écrits sur les dilemmes moraux. Plus d’attention devrait être portée à ces dilemmes moraux en vue de développer des ressources éducatives et psychologiques susceptibles d’aider les mères d’adolescents à surmonter ces situations avec aisance et efficacité.

Mots clés : Adolescent, Dilemme moral, Parents, Réseaux sociaux numériques, Usage.

Abstract:

A literature review reveals that there is little knowledge about the moral dilemmas experienced by mothers and their solutions surrounding adolescents’ use of digital social networks. The purpose of this study is to describe these dilemmas faced by mothers and the ways in which they resolve them. Exploratory research was used to address this objective. Semi-structured interviews were conducted with 12 mothers of adolescents selected using the reasoned choice sampling technique in Bouaké. The qualitative phenomenological analysis of the main results shows that all mothers report having encountered moral dilemmas, on average four times a year, and these have caused them to experience some distress. These dilemmas have two main causes, partial follow-up to parental recommendations by adolescents and differences of opinion with family members. To address these dilemmas, participants report spending time in family discussions and seeking help from external partners such as social workers. The results of the research are generally consistent with those documented in the literature on moral dilemmas. More attention should be paid to these moral dilemmas with a view to developing educational and psychological resources that can help mothers of adolescents to overcome these situations with ease and effectiveness.

Keywords : Adolescent, Moral dilemma, Parents, Digital social networks, Usage.

Introduction

En Côte d’Ivoire, selon le rapport du CAIDP et de l’UNESCO (2017), 61% des 11-18 ans ont un appareil numérique en permanence avec eux, 31% se réveillent la nuit pour consulter leur appareil numérique. Les adolescents évoluent au rythme de ces réseaux sociaux et s’engouffrent rapidement dans ces outils qui leur permettent d’exprimer leurs désirs,

celui de pouvoir se cacher aux yeux des autres, qui définit la création d’une intimité, à la fois territoriale et psychique ; celui de pouvoir montrer certaines parties de soi aux autres; celui de n’être jamais oublié, autrement dit qu’un autre humain pense toujours à moi ; celui de contrôler la distance relationnelle qui m’unit aux autres tout en me séparant d’eux ; et enfin le désir de valoriser l’expérience réflexive qui fonde la perception de soi comme humain (S. Tisseron, 2011, p. 120).

Or, le numérique n’est qu’un outil, avec ses limites et ses travers. En effet, s’ils constituent de fabuleux moyens de rester en contact à travers le monde et de déployer la créativité, les réseaux sociaux numériques sont cependant vecteurs de nombreuses questions aiguisées par la réalité de la période de l’adolescence. Comme le soulignent d’abord plusieurs auteurs (S. Jehel, 2011 ; C. Balleys, 2022) sur la thématique du harcèlement scolaire et surtout de son dérivé, le « cyber-harcèlement » constituent aujourd’hui des marronniers médiatiques. Ensuite, la question de l’exposition à la pornographie notamment sur les sollicitations sexuelles non souhaitées expérimentées par les adolescents sur Internet (J. Lachance, 2019). Enfin, en ce qui concerne les usages du numérique, la thématique récurrente au sein des discours médiatiques, institutionnels et scientifiques est celle de l’addiction (S. Martin, 2010).

C’est pourquoi, dès l’acquisition du premier téléphone portable pour leur enfant ou à l’occasion d’un premier évènement, les parents choisissent de mettre en place des règles.  De nombreux adultes se sentent en responsabilité et en droit de l’encadrer, de le « recadrer », c’est-à-dire de le délimiter, et parfois de l’accompagner (F. Singly De, E. Ramos, 2010). Cependant, la complexité de la régulation parentale des pratiques numériques et médiatiques des adolescents peut engendrer des problèmes moraux au sein des familles (S. Démanceaux, F. Boudokhane-Lima, 2023 ; N. Dupin, 2018). Cette situation interroge les représentations que les adultes ont de l’adolescence, et participe d’une certaine manière à la dualisation dans les représentations entre ceux qui en soulignent les opportunités et ceux qui se focalisent sur les risques, voire les dangers qu’elle fait encourir aux processus habituels de transmission et d’éducation (J. Lachance, 2019 ; F. Barbara, G.-L. Agnès, M. Mickael Le, 2018). La période de l’adolescence est une période de développement moral « accéléré » et met en évidence la problématique de la crise identitaire. Elle se caractérise par le passage d’une logique de filiation à une logique de l’affiliation, qui marque la culture numérique des adolescents (A. Barrère, 2015). Plusieurs auteurs n’hésitent pas à qualifier les représentations des adultes face aux usages juvéniles du numérique comme une forme de panique morale (S. Coyne et al., 2014). Dans ces différentes recherches, les dilemmes recensés sont analysés comme des situations ambivalentes qui se manifestent chez les parents sous forme d’un conflit de devoir ou d’obligations et difficiles à gérer (S. Jehel, 2011 ; A. Barrère, 2015).

Qui dit « dilemme » dit choix entre des propositions contradictoires (S. Berthoz, J. Grèzes, 2011). Or, la morale agit comme un ensemble de repères pour un individu lorsqu’il se questionne sur les décisions à prendre (P. Fortin, 1995b). Ce dernier (1995a, p. 28) définit la morale comme « un ensemble de règles qui guident les êtres humains dans leur appréhension du bien et du mal et qui régissent leurs conduites individuelles et collectives » Selon notre définition, un dilemme devient moral lorsque des personnes sont impliquées dans une situation réelle et qu’il faut tenir compte des conséquences qu’une mise en œuvre d’actions amènerait dans leur vie. Le dilemme moral propose deux issues sans que l’une ou l’autre ne soit bonne ou juste a priori, où l’on essaie de prendre une décision qui fasse le plus de bien ou le moins de mal. Dans un dilemme moral, on ne vous demande pas ce que vous feriez mais ce que devriez faire (C. Piller, 2010).

Dans le contexte de cette recherche, nous nous intéressons à la relation dyadique mère-enfant, dans la mesure où selon des travaux de recherche, la gestion familiale des écrans connectés reste une « affaire de femme » répondant à l’injonction sociétale d’être une good mother sachant regarder les pratiques des écrans de ses enfants (C. Balleys, O. Martin S. Jochems, 2018 ; B. Havard-duclos, D. Pasquier, 2018). Cependant, des recherches menées auprès de parents ont montré à quel point les jugements moraux pesaient dans la relation aux usagers adolescents des réseaux sociaux numériques (A. Barrère, 2015 ; Démanceaux & F. Boudokhane-Lima, 2023). Les acteurs institutionnels transmettent aux familles une « injonction contradictoire » : « Ayez de l’autorité mais ne soyez pas autoritaire » (Frauenfelder, Delay, 2013, p. 186). Ces recommandations en matière de régulation de l’usage des réseaux sociaux numériques ne sont pas sans paradoxes et sans dilemmes pour les individus, en particulier pour les familles dans un contexte de transformation profonde des normes de la parentalité, des valeurs familiales et de la gestion des ménages (C. Balleys, 2022). Toutefois, à l’état actuel de nos connaissances, les dilemmes moraux vécus précisément par les mères entourant l’usage des réseaux sociaux numériques par les adolescents ne sont pas documentés et il en est de même des solutions pouvant être mises en avant afin de les résoudre.

À Bouaké, des mères ont fait remarquer auprès des intervenants sociaux dans des organismes communautaires, les maisons de famille et les services de l’assistance sociale, leur difficulté à décider de ce qui était bien ou juste dans la pratique numérique de leur adolescent. Nous intervenons en tant que personne-ressource dans les services de l’assistance sociale et dans les organismes communautaires à Bouaké sur les problématiques éducatives familiales. C’est à l’occasion de ces interventions que nous avons fait ce constat. Notre recherche s’inscrit donc dans la perspective d’une étude de cas. Elles étaient ainsi partagées entre le devoir de protection contre les dangers du numérique et la possibilité d’épanouissement offerte à l’enfant par ce canal dans l’écologie relationnelle au sein du foyer. Advenant une telle situation, les mères doivent-elles permettre à leur adolescent de s’ouvrir au monde et de déployer leur créativité, mais en risquant de le voir s’exposer à la pornographie, à l’harcèlement, à l’addiction et à la cybercriminalité ? Comment perçoivent-elles le dilemme moral ? Dans quelles situations éprouvent-elles de la difficulté à prendre des décisions concernant l’usage du numérique par leurs adolescents ? Comment font-elles face à ces moments de doutes décisionnels ?  Les hypothèses qui découlent de cette recherche sont les suivantes :

(1) Les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents conduisent à l’émergence des dilemmes moraux chez les mères. (2) Les divergences d’opinions avec des membres de la famille favorisent l’expression des dilemmes chez les mères. (3) Les discussions en famille et le recours aux travailleurs sociaux contribuent à résoudre les dilemmes vécus par les mères.

L’objectif de cette recherche est d’explorer, voire de décrire, les perceptions des mères des dilemmes moraux qu’elles rencontrent lors de la régulation de l’usage des réseaux sociaux numériques chez leurs adolescents, de même que des manières dont elles les solutionnent, le cas échéant.

1. Matériels et méthodes

1.1 Procédures de recrutement et d’analyse des données

Des critères d’inclusion et d’exclusion ont été préalablement définis avant de débuter le recrutement des participantes. Ceux-ci impliquaient que les participantes devaient : être volontaires à participer à cette de recherche, vivre présentement ou avoir vécu des dilemmes moraux en lien avec les réseaux sociaux numériques par leurs adolescents, avoir au moins un enfant dont l’âge est compris entre 12 et 16 ans, possédant un smartphone, une tablette, ou un ordinateur, parler et comprendre le français, elles devaient fréquenter au moins un organisme communautaire, les maisons de famille ou un service de l’assistance sociale à Bouaké. La notion de dilemme moral avait été définie dans la lettre de recrutement des participantes qui a été remise aux travailleurs sociaux dans les organismes communautaires et des services sociaux à Bouaké. Le seul critère d’exclusion était que les mères ne devraient pas présenter des difficultés d’élocution. Ceci se justifie par le fait que ce handicap pouvait perturber la communication et rendre inintelligible les propos de la participante. De là, l’idée qu’il était important qu’elles expriment clairement leurs expériences des dilemmes moraux. Au total 23 mères répondaient à nos critères d’inclusion. Cependant, seules 12 mères ont accepté de participer à l’enquête.

Ce travail emprunte ainsi une démarche qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs individuels auprès de ces 12 mères d’adolescents, ayant lieu en face à face, en Visio et par téléphone d’une durée variant entre 25 et 35 minutes selon les participantes. L’analyse du corpus a été assistée par le logiciel Nvivo 12. Ce dernier a permis de créer des nœuds thématiques contenant les extraits de verbatim en lien avec le sujet abordé. Le schéma de l’entrevue comprenait trois sections : une première recueillant des données descriptives sur les participants et leur perception du dilemme moral, une seconde abordant les dilemmes moraux et une dernière dédiée aux solutions mises de l’avant par les participantes pour les résoudre. Les entrevues étaient essentiellement constituées de questions larges permettant ainsi aux enquêtées de s’exprimer librement.

Un formulaire de consentement écrit a été signé par toutes les participantes à la recherche qui étaient libres d’y prendre part ou non. La confidentialité des participants a été assurée en leur assignant un numéro et en évitant de donner des informations précises à leur sujet lors de la diffusion des résultats.

1.2. Description des participantes

Douze mères ont participé à la recherche, toutes des femmes ayant des adolescents à leur charge éducative. Au moment de la collecte des données, celles-ci étaient âgées entre 28 et 49. Parmi les participantes, trois étaient des agents de santé, trois enseignantes, deux cadres de banque, deux commerçantes, deux femmes au foyer. Entre celles-ci, quatre participantes habitent seules avec leurs adolescents (deux enseignantes, une femme au foyer et un agent de santé), cinq participantes habitent avec leurs adolescents et leur conjoint (une enseignante, une commerçante, une femme au foyer et une cadre de banque) et enfin trois participantes habitent avec leurs enfants et certains membres de la famille (mère et tante) dont deux agents de santé et une commerçante. Nos interlocutrices vivent dans différents quartiers dans le district de Bouaké.

1.3. Approches théoriques mobilisées

Dans le cadre de cette étude, deux approches théoriques ont été mobilisées. La première concerne la phénoménologie et la seconde s’appuie sur la théorie des usages de Serge Proulx.

1.3.1. Approche phénoménologique

L’approche phénoménologique se définit comme étant « une élucidation de la signification qui se trouve de manière implicite dans l’expérience sans que soit posé le dilemme entre les conditions de légitimité ou de possibilité de l’expérience et les conditions de réalité. » (C. Deschamps, 1993, p. 13). Plus précisément, elle a pour but de saisir l’expérience liée à un phénomène telle que rapportée et vécue par les personnes qui en ont fait ou en font l’expérience (M-F. Fortin et J. Gagnon, 2010). Autrement dit, elle permet de laisser paraître le phénomène et l’auto-explication de ce qu’il signifie pour les participants. Afin de saisir le phénomène tel qu’il se présente dans la démarche d’exploration, le chercheur doit mettre de côté ses jugements et ses connaissances théoriques et refuser de tenir pour acquis les connaissances qu’il possède concernant le phénomène étudié. À ce jour, il y a très peu d’études scientifiques portant sur les dilemmes moraux exprimées par des mères ou qui s’intéressent à leur expérience en lien avec l’usage des réseaux sociaux numériques par leurs adolescents. Dans le but de compléter les connaissances scientifiques sur ce sujet, l’on a choisi de réaliser une étude exploratoire ayant pour objectif de décrire leur expérience des dilemmes et leur stratégie de gestion.

1.3.2. La théorie des usages

Dans le contexte des études sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’usage renvoie à l’utilisation d’un objet à des fins particulières. On pense ici aux usages sociaux d’un bien, d’un instrument, d’un objet pour mettre en relief les significations culturelles complexes de ces conduites de la vie quotidienne (S. Proulx, 2004). Par ailleurs, certaines controverses se font jour sur la fonction des TIC. Des chercheurs postulent que les membres des audiences utilisent « activement » les médias pour en retirer des satisfactions spécifiques répondant à des besoins psychologiques ou psychosociologiques (« ce que font les gens avec les médias »). D’autres en revanche, décrivent l’action des médias exclusivement en termes d’effets (« ce que les médias font aux gens ») (B Philippe et S Proulx, 2006). Les deux perspectives sont envisageables dans le cadre de cette recherche, car il s’agit de mettre en évidence les interactions entre « ce que font les adolescents avec les TIC » et « ce que cet usage fait à leurs mères ».  L’étude porte ainsi sur les dilemmes moraux exprimées par des mères en lien avec l’usage des réseaux sociaux numériques par leurs adolescents.

2. Résultats

2.1. Perception des dilemmes moraux chez les participantes

Pour amorcer chacun des douze entretiens, l’on a demandé aux mères d’adolescents de définir les concepts de « dilemme » puis de « moral ».  Il apparaissait essentiel que les participantes définissent le dilemme qui est une notion centrale à cette recherche. En demandant aux participantes de décrire le dilemme dès le début de l’entretien, l’on a pu certifier que les réponses aux questions subséquentes, notamment celles portant sur la description des dilemmes moraux et leurs façons de les résoudre étaient conformes à la définition initiale fournie par chacune des participantes, lors de la phase de recrutement effectués par les travailleurs sociaux dans les organismes communautaires et les services des centres sociaux.

2.1.1. Concept de « dilemme »

Les douze interviewées partagent des définitions quasi semblables du concept de dilemme. Le dilemme s’entendait comme une situation où l’individu est confronté à des choix contradictoires. Ainsi, pour cinq participantes, ce concept renvoie aux symptômes de « malaise », « inconfort », « désaccord », « tension », « pression », « mal à l’aise », « manque de confiance », « impuissance », insatisfait », « résistance », « démotivé ». L’analyse du contenu des discours révèle chez sept participantes, une série de mots évoquant directement ou indirectement des « problèmes », des « oppositions » ou des « conflits » et à de nombreux dérivés se référant aux incertitudes mettant en jeu des devoirs, des obligations et des valeurs.

Nous avons également pu relever quelques contradictions et demander davantage d’explications aux participantes lorsque cela était nécessaire. Ainsi, la synthèse des informations recueillies révèlent que les mères d’adolescents perçoivent le dilemme comme une situation dans laquelle elles doivent faire un choix difficile entre deux ou plusieurs options qui apparaissent toutes comme étant également regrettables. Les options peuvent être regrettables en soi ou elles peuvent être regrettables parce que si l’on essaie l’une des options et que l’on échoue, cela élimine la possibilité d’essayer l’autre option. C’est donc pour elles, un temps de réflexion individuelle durant lequel, elles peuvent réfléchir seule à la situation mise en jeu.

2.1.2. Concept de « moral »

Dans le même ordre d’idées, il fallait trouver une liste de mots-clés permettant de définir le concept de « moral » lors des entrevues avec les douze mères d’adolescents sans que celui-ci ne soit nécessairement explicite dans leurs propos (à cause de la relativité du concept). Le matériau d’informations recueillies montre que ce concept se rapporte chez neuf répondantes à des notions fondatrices comme « bien », « juste », « vertu » « mal » et à leurs corollaires comme « injuste » « devoir » Ce sont des mots qui font référence aux manifestations des problématiques morales.

Une analyse thématique de l’ensemble du corpus montre que le concept de « moral » désigne chez trois participantes, un ensemble de principes qui façonnent notre comportement et nous permettent de distinguer le bien du mal, ou ce qu’il faut faire ou pas. Pour elles, faire la bonne chose, c’est faire preuve d’esprit critique, d’honnêteté par rapport à nos intentions et nos motivations envers les autres, de prévenance et d’empathie. Cela signifie selon les interviewées aussi faire la bonne chose pour la bonne raison : non pas pour une récompense ou pour attirer l’attention, mais parce que c’est la bonne chose à faire.

En somme, dans le cadre de cette recherche, toutes les répondantes s’accordent à dire que le dilemme moral, c’est le fait de ne pas savoir à un moment donné ce qui est bien ou mal lorsqu’on est confronté aux comportements des autres, c’est un moment de doute concernant l’action à réaliser. Le dilemme moral s’inscrit dans la perspective d’un ensemble variés d’interactions (de soi à soi, de soi aux autres), c’est-à-dire qu’il peut être personnel ou impersonnel. Toutes les participantes rencontrées en entrevue affirment vivre des situations de doutes entourant l’usage du numérique par leurs adolescents. La fréquence moyenne estimée par les interviewées est d’au moins quatre dilemmes moraux par année. Bien que ces situations soient peu fréquentes, lorsque vécues, les répondantes mentionnent vivre une certaine détresse.

2.2. Description des dilemmes moraux vécus par les mères d’adolescents

Selon les répondantes, ces situations de grands doutes quant à la décision et à l’action à réaliser ont deux sources principales : 1) les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents, 2) les divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’usage du numérique par les adolescents.

2.2.1. Les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents

Des situations quotidiennes sont rapportées par plusieurs mères d’adolescents comme des sources de conflits de devoir ou d’obligation. Il s’agit des situations où les adolescents suivent seulement en partie les recommandations de leurs mères en ce qui concerne l’usage du numérique pour diverses raisons. Les mères estiment que ces suivis partiels des recommandations de l’adolescent sont susceptibles de l’exposer aux dangers liés à internet. En s’appuyant sur leurs propos, elles ont du mal à prendre des décisions suite à un conflit entre leurs raisonnements et leurs émotions. Bien qu’elles valorisent quelque peu l’autonomie décisionnelle de leurs adolescents, elles ont parfois de la difficulté à comprendre les motivations de ceux-ci qui semblent s’exposer à des risques par le refus de s’accommoder aux injonctions des mères. Les paragraphes qui suivent donnent quatre exemples de situations familiales ayant engendré ce genre de dilemmes moraux.

Une participante rapporte une situation vécue avec son fils de 14 ans qui semblait être addictif à internet. Par exemple, cet extrait de celle-ci ayant pour objet le temps passé sur internet : « Mon fils est tout le temps sur son smartphone. Il consulte plusieurs sites de téléchargement des jeux vidéo. Je voudrais intervenir pour qu’il marque des pauses. Mais, je ne sais pas trop » (Marie, 42 ans, mère d’un adolescent). Le fils de cette participante passait plus de temps sur son smartphone alors qu’elle lui avait fait l’injonction de passer moins d’une heure sur son cellulaire. Face à cette situation, elle était partagée entre lui retirer son smartphone ou le lui laisser en espérant lui donner quelques moments d’épanouissement. Cette mère craignait de marginaliser son enfant par ses interdits. C’est une réelle nécessité, d’autant plus que la société d’aujourd’hui laisse peu d’espaces de vraie liberté aux adolescents, la participante étant également partagée entre la crainte de laisser traîner son enfant en rue et le souci de programmer pour lui des sorties extra ou parascolaires visant à limiter la zone d’inconfort adulte.

Une participante fait état du cas de sa fille âgée de 14 ans et demi à qui, il était formellement déconseillé de consulter les pages érotiques sur internet. Elle s’exprime ainsi : « Elle écrit des messages érotiques à des personnes inconnues sur le net. Ça m’exacerbe, je me questionne » (Florence, 31 ans, mère d’une adolescente). En consultant le téléphone de sa fille, elle a fait le constat que celle-ci fréquentait ces sites.  Dans ses propos, elle était partagée entre le bon usage de ces sites et les risques de dérapages. Cette participante soutenait l’idée que les services en ligne sont aussi, à leur manière, éducatifs. Ils apprennent aux adolescents à découvrir les codes, les manières de communiquer ensemble, à réguler les relations interpersonnelles et de groupe. Plus encore, ils permettent selon elle, aux jeunes d’entamer des recherches documentaires, de se questionner sur ce qui peut les concerner de manière personnelle, par exemple sur les relations sexuelles et affectives, et bien d’autres questions qu’ils peuvent juger trop intimidantes à poser au monde des adultes. À cet égard, il y avait opposition entre deux obligations de protection et d’épanouissement de l’adolescent.

Une mère rapporte une situation qui concerne sa fille âgée de 16 ans ayant reçu la consigne de ne disposer de son portable qu’après avoir fait ses devoirs de classe. Mais l’adolescente ne respectaient pas les recommandations de sa mère et utilisait son smartphone après quelques dizaines de minutes de révision : « Je lui demande sans cesse de finir ses devoirs scolaires. Mais, elle ruse juste pour reprendre son téléphone portable. Je ne sais trop comment faire » (Kady, 32 ans, mère d’une adolescente). Dans cette situation, cette mère estimait que la protection de sa fille, en phase de crise d’adolescence était en tension avec le respect de l’autorité parentale. Cette mère se situait dans une situation d’inconfort dans la mesure où elle appuyait son raisonnement suivant l’idée selon laquelle, l’entourage a le plus souvent la tâche ingrate de chercher la bonne distance et d’essayer de rendre acceptable aux adolescents ce dont ils ont besoin pour pouvoir réellement se passer de ces adultes qui leur prennent la tête et se désagripper d’eux. C’est toute la question de la bonne distance relationnelle qui se posait avec sa fille : ni trop près, ni trop loin.

Une participante mentionne le cas de ses enfants, un fils de 13 ans et une fille de 16 ans. Ces deux enfants possédaient des smartphones, mais ils ne respectaient pas les recommandations de leur mère d’une part quant aux contenus des informations et sites visités, et d’autre part quant au temps passé sur leur smartphone.  Elle s’exprime ainsi : « Je ne sais pas quoi leur dire, ils m’écoutent peu et s’investissent autant sur les réseaux sociaux. Je m’inquiète pour eux. Je suis très embarrassée » (Françoise, 28 ans, mère de deux adolescents). Cette mère estimait protéger ses enfants en diminuant le temps passé sur leur cellulaire, ce qui favoriserait, pensait-elle l’amélioration de la qualité de vie familiale et l’inclusion sociale de ses adolescents. Dans cette situation, la participante considérait que la santé mentale de ses enfants était en conflit avec l’inclusion sociale, voire la notion de normalité des pratiques numériques chez les adolescents. Bien que cette mère utilise Internet pour obtenir des informations et des réponses à certaines questions, il semble être des sources d’informations peu crédibles à ses yeux. Elle ne se fie pas beaucoup aux informations qu’elle y trouve et se questionne parfois sur la véracité de celles-ci. Elle est donc embarrassée à propos de l’usage du numérique par ses adolescents en phase de développement moral.

Somme toute, ces cas où des adolescents suivent partiellement les recommandations entourant l’usage du numérique sont source de dilemmes moraux chez les répondantes, car elles estiment que leurs enfants semblent prendre des décisions qui mettent en péril leur vie. Leur degré de tolérance au risque est en général inférieur à celui de leurs mères. L’enquête de terrain montre que les participantes appréhendent ces dilemmes moraux différemment en fonction de la situation. Les sentiments qu’elles ressentent varient entre 1 anxiété, la peine, la colère, la culpabilité, le stress, le sentiment d’être inadéquate, le chagrin, la honte et la frustration. Elles ont aussi tendance à se sentir responsables des situations et à prendre les choses sur leurs épaules, qu’il s’agisse de veiller au contenu des informations des sites numériques et au bien-être de leurs enfants. Lorsqu’elles ne peuvent pas agir sur la situation, elles ressentent de la frustration et de l’impuissance. Elles acceptent difficilement d ‘être impuissantes dans les situations de doute décisionnel.

2.2.2. Divergences d’opinions avec des membres de la famille

Trois participantes discutent des dilemmes moraux liés à des divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’utilisation du numérique par leurs adolescents. Les paragraphes suivants donnent quatre exemples de ce genre de conflits de devoir ou d’obligation.

Une participante à l’enquête rapporte des divergences de points de vue avec sa propre mère. Elle donne l’exemple de sa fille de 17 ans pour laquelle un usage raisonnable du smartphone avait été recommandé en raison du haut risque d’addiction et de son impact sur son rendement scolaire. Cet extrait est expressif de son état de doute : « Ma mère prenait toujours parti pour ma fille en dépit de mes injonctions concernant internet. Elle était plus présente que moi dans l’univers de ma fille. C’était difficile pour moi de décider de ce qu’il fallait faire » (Catherine, 33 ans, mère d’une adolescente) Cette participante mentionne que sa mère était favorable pour que sa petite fille dispose de son smartphone en tout temps parce que cela contribuait à son équilibre mental en tant qu’adolescente.  Alors que l’opinion de la participante s’appuyait sur le risque pour sa fille d’être exposée à des contenus choquants sur internet et ne désirait pas trop de temps passé sur son smartphone, la mère de la participante approuvait l’usage illimité du smartphone de sa petite fille.  Advenant cette situation, l’interviewée avait du mal à prendre une décision parce qu’elle considérait sa mère comme une éducatrice expérimentée.

De même, un couple discute d’une situation qui concerne leur garçon de 15 ans à qui on a acheté un smartphone. En dépit des recommandations de sa mère, le déconseillant les jeux d’argent sur internet, son père l’a tout de même autorisé à pratiquer ces jeux d’argent en ligne sans échanges préalables avec son épouse. Pour le conjoint, ces jeux d’argent permettraient à son fils d’acquérir la culture de l’autonomie financière. La participante exprime son désarroi et sa crainte pour son fils : « Comment mon époux peut-il encourager notre fils aux jeux d’argent ? J’ai peur pour mon fils. Je ne veux pas qu’il s’endette auprès d’une tierce personne. Ces jeux-là sont très addictifs. Je ne comprends pas l’attitude de son père » (Fanta, 45 ans, mère d’un adolescent) Dans cette situation, la participante estimait que les divergences d’opinions pouvaient affecter les repères identitaires de l’adolescent. Il était en effet difficile pour la mère de comprendre les motivations de son conjoint qui semblaient prendre des décisions risquées pour son fils : exposition au racket, endettement et addiction aux jeux d’argent. La mère était partagée entre l’obligation de fidélité à son époux et le maintien de sa position.

Une participante donne l’exemple vécu lors de l’utilisation du numérique par sa fille de 15 ans et demi qui partageait ses images avec ses amies sur internet :

Ma fille diffuse un peu trop ses images sur Instagram. En revanche, ma tante qui partage quotidiennement notre vie de famille la suit dans cette entreprise. Je n’apprécie pas sa position, mais je suis partagée. Ma tante a peut-être raison ! j’ai du mal à me décider. Il faut que je protège ma fille des risques liés à internet  (Mariam, 27 ans, mère d’une adolescente)

Pour cette participante, il y avait des différences d’opinions avec sa tante qui approuvait de telles attitudes de sa fille. Or, quelques mois plus tard, sa fille a été victime de moquerie sur le net à cause d’une tenue jugée rétrograde par ses amies. Malgré ces faits, la tante continuait d’encourager sa fille à poster ses photos et invitait également la mère à beaucoup plus de tolérance à l’égard de sa fille. Cette différence de points de vue entre la mère et sa tante suscitait des dilemmes moraux. Selon cette participante, elle était partagée entre être fidèle à sa position, interdire à sa fille de poster ses images sur internet ou s’inscrire dans l’optique des recommandations de sa tante. Autrement dit, la mère était déchirée entre l’allégeance envers sa tante et l’attachement à sa position.

Une participante discute de son garçon âgé de 14 ans l’allure efféminée et qui postait ses photos sur Instagram et Facebook :

Mon fils a des traits féminins, mais je l’aime et je ne voudrais pas qu’il soit la proie de certains pervers sur internet. Il est constamment sur des plateformes recherchant des opportunités amicales. Son père ne fait rien pour l’en dissuader. Au contraire, il encourage à s’y étaler. Malheureusement, il est très souvent harcelé sur internet par des utilisateurs et cela le déprime. Cela me préoccupe mais je ne sais quoi faire à cause de la position de son père. (Cécile, 35 ans, mère d’un adolescent)

Le contact de son enfant avec des inconnus était un des motifs prioritaires d’inquiétude de sa mère. Elle lui a déconseillé en conséquence la publication de ses photos sur les réseaux sociaux. Son époux, cependant encourageait son fils à le faire au motif que ceci l’aiderait à accepter son physique. Malheureusement, le garçon s’est fait harceler et invectiver sur internet par des jeunes de son âge qui le considérait comme un homosexuel. On se rend compte ici que les deux prescriptions parentales étant en conflit, la mère de l’adolescent était partagée entre l’attachement à ses idées ou le ralliement à la vision de son époux.

En somme, les divergences d’opinions avec des membres de la famille sont également source de dilemmes moraux chez les répondantes. L’enquête de terrain révèle que plusieurs participantes vivent de petits tiraillements quotidiens qui se traduisent, la plupart du temps, par des discussions au sujet de l’exposition à des risques chez leurs adolescents. Étant donné que les participantes vivent des dilemmes moraux, leurs réactions ne sont pas très émotives. Elles vivent de légers malaises, mais pas de grandes frustrations par rapport au traitement de la situation, principalement parce qu’’il y a place à la discussion. Par cette discussion, les mères prennent conscience que le juste et la justice, s’il est facile de s’en réclamer, ne sont pas toujours aisés à déterminer dans une situation concrète. Elles considèrent néanmoins que le dilemme moral entourant l’usage du numérique par leurs adolescents se passe davantage à un niveau intellectuel.

2.3. Stratégies de résolution des dilemmes moraux par les participantes

Comme mentionné plus haut bien que rares, les dilemmes moraux sont vécus difficilement au point où les mères d’adolescents rapportent vivre une certaine détresse. Devant ce constat, plusieurs participantes identifient des outils qui pourraient faciliter, à leur avis, la prise de décisions dans ces genres de situations et réduire, ce faisant, la détresse associée à ces situations.

2.3.1. Discussions en en famille

Toutes les participantes mentionnent la pertinence et même la nécessité des discussions avec tous les membres de la famille pour résoudre les dilemmes moraux rencontrés. Ces discussions sont utiles pour partager leurs émotions, réduire leur stress ainsi que pour valider ou invalider leurs perceptions des situations et leurs solutions. De fait, l’appui, la vision et les conseils des membres de la famille s’avèrent une aide précieuse dans ces situations de détresse morale. La clarification des valeurs familiales visait à faire des choix intellectuellement éclairés, émotionnellement satisfaisants et activement engageants. Les participantes affirment ne pas soutenir leurs échanges par un modèle de délibération éthique (comme l’instauration d’un comité familiale d’éthique qui déciderait de ce qu’il faut faire ou ne pas faire). Certaines parmi elles mentionnent parler régulièrement avec leur enfant de ce qu’il aime et de ce qui le dérange en ligne quand d’autres échangent sur les conséquences des choix opérés par le conjoint, la tante, la sœur etc. sur l’usage du numérique chez les adolescents de la famille.

2.3.2. Recourir à de l’aide externe

Plusieurs participantes mentionnent avoir eu recours à de l’aide externe à la famille pour résoudre les dilemmes moraux que soulève l’usage du numérique par des adolescents. Par exemple, cinq participantes indiquent avoir occasionnellement impliqué des personnes spécialisées dans le domaine de l’aide à l’enfance et à la famille pour faire état de leur expérience, ce qui est souvent pertinent, estiment-elles, car les parents d’adolescents se sentent ainsi compris par des personnes qui vivent ou connaissent des situations similaires à la leur. Celles-ci affirment qu’elles trouveraient pertinent de discuter des dilemmes moraux qu’elles rencontrent avec des experts de différentes disciplines. Par exemple, trois participantes mentionnent aussi que la présence de travailleurs sociaux tels que les assistantes sociales et éducateurs spécialisés pourrait être pertinente à la résolution des dilemmes moraux, car elles s’estiment parfois démunies et peu outillées sur le plan de la gestion de certaines problématiques éducatives. Des participantes sont d’avis que l’accès à une personne spécialisée en psychologie, en sociologie et en criminologie, serait utile.

3. Discussion des résultats

L’objectif de cette étude était d’explorer les dilemmes moraux rencontrés par les mères en lien avec l’utilisation du numérique par leurs adolescents et les façons dont celles-ci procèdent pour les résoudre, le cas échéant. À la suite de la présentation des résultats, il est important de les discuter afin de les faire signifier.

3.1. Usages des réseaux sociaux numériques par les adolescents et fracture de la cellule familiale : Quelle responsabilité des parents ?

Bien que la fréquence des dilemmes moraux soit peu élevée selon les participantes, soit en moyenne au moins quatre dilemmes par année, les résultats de la recherche révèlent que ceux-ci sont inhérents aux suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents, et les divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’usage du numérique par les adolescents. S Jehel (2011) fait le même constat sur les dilemmes moraux, en général, rencontrés par les personnes occupant une responsabilité dans diverses sphères de la vie quotidienne. S. Démanceaux, F. Boudokhane-Lima (2023) font un constat similaire lorsqu’ils mentionnent que les enjeux moraux inhérents au statut et au rôle sont source de tensions importantes, notamment l’anxiété, la peine, la colère, la culpabilité et de détresse chez les personnes tenant des responsabilités sociales ou professionnelles. Relativement à la faible fréquence des dilemmes moraux, les résultats de la recherche sont semblables à ceux de C. Balleys, O. Martin, S. Jochems (2018) qui affirment aussi que ces situations de conflit de devoir ou d’obligation relatifs à l’usage du numérique par les adolescents sont vécues difficilement par les parents. Certaines familles expriment leur difficulté à gérer les temporalités. Les résultats montrent que les parents se sentent démunis mais néanmoins conscients de leur rôle éducatif. Entre contrôle et négociation, le dialogue entre parent-enfant et entre certains membres de la me famille autour des questions numériques fait émerger de nouveaux enjeux relationnels (N. Dupin, 2018).

3.2. Résolution des dilemmes moraux

Toutes les intervenantes mentionnent avoir fait appel aux discussions en famille et à de l’aide externe pour analyser et résoudre les dilemmes moraux qu’elles rencontrent dans l’écologie relationnelle au sein du foyer. La description de ces stratégies utilisées par des mères pour surmonter précisément les dilemmes moraux entourant l’usage du numérique par les adolescents constituent un élément nouveau, en ceci que celles-ci n’ont pas été documentées dans les écrits antérieurs, à l’exception des discussions en famille (F. Singly de & E. Ramos, 2010 ; J. Lachance, 2019). Les résultats de ce travail reflètent chez les mères d’adolescents un état d’esprit généralisé. Les répondantes trouvent que leurs adolescents passent trop de temps sur leurs écrans particulièrement. Ce qui semble réellement les agacer, c’est le fait que le numérique prenne le pas sur d’autres pratiques qu’elles estiment notamment, la lecture et le sport. De même, des participantes interviewées s’entendent sur le besoin de moyens supplémentaires pour les aider à résoudre les dilemmes moraux que pose l’usage juvénile du numérique. Les moyens supplémentaires suggérés varient toutefois selon les participantes bien que certaines s’entendent sur certains de ceux-ci (éducateurs spécialisés et les assistants sociaux). La résolution de ces dilemmes permettra éventuellement aux individus d’agir de manière éthique, ce qui signifie, de situer leurs décisions par rapport aux valeurs qu’ils désirent actualiser pour ensuite les mettre en action. (S. Berthoz, J. Grèzes, 2011).

3.3. Limites et perspectives de la recherche

Avec ces résultats, il est possible de mieux comprendre les dilemmes moraux et les besoins de certaines mères dont les adolescents s’emploient à passer du temps sur les réseaux sociaux numériques. Mais, il faut faire observer que l’échantillon n’est pas représentatif de la population à l’étude. En effet, la majorité des participants sont des femmes. Il aurait donc été intéressant de pouvoir mener une étude sur les dilemmes moraux rencontrés par les hommes dont les adolescents font usage du numérique. Par ailleurs, vu le nombre limité de participantes, d’autres participantes ne fréquentant pas des organismes communautaires pourraient apporter des visions différentes. Il serait donc intéressant que les futures recherches impliquent un échantillon plus large des mères d’adolescents afin d’approfondir ou de nuancer les résultats obtenus dans notre recherche et de mieux comprendre l’effet de l’usage des réseaux sociaux par leurs adolescents sur l’exercice de leur rôle parental. Par ailleurs, recruter des participantes provenant de milieux urbains et ruraux de la région de Bouaké permettrait de tenir compte des différences sociodémographiques pouvant avoir une influence sur les résultats. De ce fait, les résultats pourraient être différents de ceux obtenus dans cette recherche puisque le thème d’étude de celui-ci s’inscrit dans un domaine qui évolue rapidement : l’usage des réseaux sociaux numériques.

De même, des limites de ce travail sont liées à la méthodologie : la complexité associée à la réalisation d’entretiens semi-dirigés basés sur l’approche phénoménologique. En effet, des thèmes imprévus sont ressortis en entrevue et auraient pu être davantage approfondis, puisqu’il s’agit d’une étude exploratoire, il est tout à fait normal qu’une multitude de thèmes soient ressortis lors des entrevues et qu’il n’ait pas été possible de tous les approfondir. Plusieurs entretiens avec la même personne, auraient été pertinents ou même faire des entretiens avec leurs adolescents ou des membres de la famille au sein du foyer.

En somme, bien que ce travail présente des limites, les résultats obtenus permettent d’apporter une contribution importante au sein de la littérature scientifique à propos des dilemmes moraux vécues par les mères entourant l’usage du numérique par des adolescents. Notre contribution empirique tente de compléter les connaissances actuelles dans ce champ de recherche. Il s’agit de saisir des situations concrètes rapportées par des mères d’adolescents afin d’appréhender leur état d’esprit en rapport au dilemme vécue et de voir de quelles façons elles gèrent ces situations problématiques.

Conclusion

Cette étude exploratoire a décrit les dilemmes moraux que soulève l’usage du numérique par les adolescents ainsi que les stratégies pouvant être mises en avant afin de résoudre ces dilemmes, et ce, à partir des perceptions des mères d’adolescents habitant à Bouaké. Les situations susceptibles d’occasionner des dilemmes moraux sont les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents et les divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’usage du numérique par les adolescents. Bien que la fréquence des dilemmes moraux rapportés par les participantes soit somme toute assez faible, toutes les interviewées sans exception estiment que ces dilemmes leur occasionnent de la détresse. Pour résoudre ces dilemmes moraux, celles-ci utilisent principalement les discussions en famille et le recours à l’aide de travailleurs sociaux et d’experts. Cette recherche convie d’autres chercheurs à réaliser des recherches supplémentaires dans ce domaine encore peu exploré à ce jour. Plus d’attention devrait être portée à ces conflits de devoir en vue de développer des ressources psycho-éducatives susceptibles d’aider les mères d’adolescents à surmonter ces situations avec aisance et efficacité.

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SHORT MESSAGE SERVICE (SMS) :                                        NAISSANCE D’UNE NOUVELLE FORME D’ÉCRITURE

Kouassi KPANGUI

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kouassikpangui@gmail.com

Résumé :

Le Short Message Service appelé texto est une nouvelle forme de communication écrite faite à l’aide du clavier d’un ordinateur ou à partir d’un téléphone portable. Cette option est disponible sur tous les téléphones portables ou sur tout autre appareil de communication muni d’un clavier ou des touches alphanumériques. L’écriture SMS permet de rendre d’énormes services à la population. Elle suscite également une nouvelle forme d’écriture qui dénote de l’ingéniosité de ses usagers. Le constat général qui se dégage est que les SMS concourent à l’essor de la communication. Désormais, on peut transmettre des messages en quelques mots pour ne pas dire en quelques lettres, et en une fraction de seconde. Outrepassant la plupart du temps les règles de l’écriture traditionnelle, cette nouvelle forme d’écriture surprend par sa créativité. Elle laisse place à une nouvelle forme de communication qui en observant pas les règles de la grammaire traditionnelle a, tout de même, un brin de créativité et d’ingéniosité. Elle suscite la curiosité. Elle mérite même qu’on y jette un coup d’œil.

Mots clés : Créativité, Écriture texto, Ingéniosité, Naissance, Service, Short Message.

Abstract:

The Short Message Service called texting is a new form of written communication made using a computer keyboard or from a mobile phone. This option is available on all mobile phones or any other communication device equipped with a keyboard or alphanumeric keys. SMS writing makes it possible to provide enormous services to the population. It also gives rise to a new form of writing which demonstrates the ingenuity of its users. The general observation that emerges is that SMS contributes to the growth of communication. From now on, we can transmit messages in a few words, if not a few letters, and in a fraction of a second. Most of the time going beyond the rules of traditional writing, this new form of writing surprises with its creativity. It leaves room for a new form of communication which, while not observing the rules of traditional grammar, still has a touch of creativity and ingenuity. It arouses curiosity. It’s even worth taking a look at.

Keywords : Creativity, Text writing, Ingenuity, Birth, Service, Short Message.

Introduction

Le Short Message Service ou SMS, option disponible sur tous les téléphones portables, est une méthode de communication qui permet aux détenteurs d’un téléphone portable ou de tout autre appareil de communication muni d’un clavier ou des touches alphanumériques d’envoyer rapidement desmessages courts à leurs interlocuteurs.C’est cestyle de communication qui est en vogue de nos jours. On parle même de syndrome SMS. Ce nouveau moyen de communication a un vocabulaire propre à ses utilisateurs qui relève du génie et de l’ingéniosité de ceux-ci. La remarque ; nombre de personnes reprouvent et condamnent l’écriture texto parce qu’elles estiment que celle-ci est nuisible à la maîtrise des édits grammaticaux de la langue française. Tout cela nous amène aux interrogations suivantes : Quel est le mode de fonctionnement de cette nouvelle forme d’écriture ? D’où vient le caractère ingénieux de cette nouvelle forme d’écriture et de ce nouveau mode de communication ? La méthodologie s’appuie sur la recherche documentaire et l’enquête de terrain. Nos sources se présentent sous deux formes : écrite et orale. Nous nous fonderons sur la méthode descriptive analytique en nous inspirant surtout de la théorie structurale.

1. Quelques types de claviers alphanumériques

    de portables et d’ordinateurs

Les touches de téléphones portables et les claviers d’ordinateurs varient d’un pays à l’autre. Ils sont également fonction des langues parlées dans les différents pays du monde entier. Ainsi, on a des claviers dont les chiffres et les lettres sont en arabe, en grec, en chinois, en japonais, en hébreu et, désormais, dans certaines de nos langues endogènes, en l’occurrence le baoulé et le dioula. Aussi avons-nous les portables munis de touches alphanumériques ci-après.

1.1. Portables munis de touches alphanumériques

Parus en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire à partir des années 90, les premiers portables étaient munis d’un écran et d’une surface où figurent des touches sur lesquelles sont écrits des lettres et des chiffres. D’autres signes et symboles propres au monde de la communication y figuraient également. On pouvait donc y voir « #, *, %, @ » pour ne citer que ceux-là. Les téléphones portables, à l’instar des fixes, sont des appareils de communication initialement conçus pour transmettre la voix humaine et pouvoir communiquer à distance. A cette première option va s’ajouter une seconde, celle de pouvoir échanger des messages écrits entre interlocuteurs. Et c’est qui a engendré la naissance des SMS.  Les téléphones mobiles, téléphones portables ou téléphones cellulaires sont des appareils électroniques de télécommunication portatifs offrant une fonction de téléphonie mobile et pouvant être utilisés sur de grandes distances sous réserve d’une couverture réseau. Certains de ces appareils se présentent comme suit :

A: Portable à touches visibles                   B : Portable à touches cachées

C : Portable à clapet              D : Portable avec écran tactile dit de nouvelle génération

1.2. Claviers alphanumériques d’ordinateurs

Les claviers des ordinateurs diffèrent les uns des autres selon les types d’alphabet dont ils sont dotés. Cette configuration se laisse aisément apercevoir sur un clavier où les écritures sont de l’alphabet russe, par exemple.

Un exemple de clavier avec l’alphabet russe

On distingue deux grandes familles de claviers avec l’alphabet que nous connaissons : les claviers « QWERTY », à l’exemple des claviers anglo-saxons et néerlandais, et les claviers « AZERTY » au nombre desquels on compte les claviers francophones.

 

Un exemple de clavier « QWERTY »

Un exemple de clavier « AZERTY » dit Azerty belge

Les claviers Azerty varient de certains pays à d’autres. Le clavier belge francophone n’est pas l’identique du clavier français : Il y a quelques nuances au niveau de certains caractères spéciaux et de signes. L’Azerty représenté ci-dessus est un Azerty belge. Celui qui est ci-dessous est dit français.

Un exemple de clavier « AZERTY » dit Azerty français

 

 

2. Une nouvelle écriture est née 

Nous assistons de plus en plus à l’émergence d’une nouvelle variété du français écrit, dont les objectifs évoluent vers une écriture immédiate, plus libre, et affranchie des normes orthographiques traditionnelles. Cette nouvelle écriture appelée aussi « texto » paraît « plus accessible, car liée à un moindre contrôle ; plus affective par l’expression des sentiments, des émotions, de la corporéité du langage, plus inventive (par l’invention de néographies, de jeu de mots et de signes) et plus socialisante (par la dominance de la fonction phatique liée à la multiplication des messages et au partage de codes communs) » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 46).

Des millions d’internautes ivoiriens échangent quotidiennement des messages. On voit donc transiter des milliers de courriels chaque jour entre les adeptes ivoiriens de ce nouveau mode de communication. Les écritures textos connaissent désormais un succès considérable en terre éburnéenne. Les SMS occupent désormais une part essentielle de la communication numérique. De milliers de minimessages échangés par texto à longueur de journée montrent que l’engouement va croissant. En quelques années, ces courts messages électroniques ont conquis la majorité des propriétaires de téléphones mobiles. La presque totalité des Ivoiriens en possèdent et se trouvent donc potentiellement émetteur ou récepteur de SMS.

Comme toute écriture, le SMS possède ses propres codes. Il existe aujourd’hui des dictionnaires de SMS. Aussi trouve-t-on quelques-uns aux adresses électroniques infra :

https://www.google.com/search?sca_esv=585061002&sxsrf=AM9HkKlJS8ycIBX1YcZ04KvOMcGQPL408g%3A1700831787510&q=Dictionnaires+SMS&oq=Dictionnaires+SMS&aqs=heirloom-srp..0l5 (mis en ligne le 22.11.2014, consulté le 10.02.2023).

https://www.dictionnaire-sms.com/ (mis en ligne le 22.11.2014, consulté le 10.02.2023).

https://www.internetmatters.org/fr/resources/text-dictionary/ (mis en ligne le 22.11.2014, consulté le 10.02.2023).

Zone de Texte: équivaut à







Le premier terme (https://www.dictionnaire-sms.com, consulté le 10.02.2023) (car, ici, on ne peut parler de mot en tant que tel) qu’on trouve est « Ab1to », le deuxième terme est « @2m1 », le troisième « @l’1di ». Voici la signification de ces termes propres aux SMS :

Zone de Texte: équivaut à







Ab1to                                               à bientôt

Zone de Texte: équivaut à







@2m1                                                à demain

@l’1di                                               à lundi

Comme l’on peut le constater, la particularité de ce dictionnaire des SMS réside dans le fait que les mots ne sont pas isolés les uns des autres comme dans les dictionnaires que l’on a l’habitude de consulter. On a plutôt affaire à des locutions toutes faites, à des séquences de phrases, dans lesquelles les phonèmes sont représentés par des lettres ou des chiffres. Aussi avons-nous les grands classiques suivants :

A plus tard@+C’estC
A demaina2m1C’est-à-direCad
As soon as possibleAsapSee youCU
BonjourBjrD’accordDak
J’aiGJe t’aimeJTM
CadeauKdoQu’est-ce que tu crois ?Kestu X
Quoi de neufKoi 2 9CatastropheKta
Mort de rireMDR / lolMercimr6
ÉnervéNRVOccupéOQP
Excuse-moiSQZTu esT

Tableau sommaire de l’écriture SMS

Tout ceci nous amène à l’interrogation suivante : Comment écrit-on les SMS ?

2.1. Mode de fonctionnement des SMS : Le fonctionnement global des graphies dans l’écriture texto

Le texte des SMS est très particulier. L’orthographe est variable ; la frontière des mots adaptable (liaisons, segmentation absente ou abusive). A l’inverse donc de la communication écrite habituelle, qui recouvre tout ce qui se transmet sur papier, l’écriture utilisée pour envoyer des SMS présente les attributs d’un codage aux propriétés et formes multiples. Cette nouvelle forme d’écriture puise dans des domaines divers. Elle combine l’utile et le ludique. Ces messages courts reposent sur

des créations spécifiquement graphico-scripturales tout aussi variées (phonétisation de graphies, valeur épellative ou phonosyllabique de certaines lettres et chiffres, inscription de pictogrammes ou de signes de ponctuation plus ou moins détournés), sans oublier les inépuisables smileys (ou émoticons) hérités des courriels, « chats », blogs… et autres écrits diffusés sur Internet. L’objectif majeur est dans cette perspective de tenter de pallier l’absence d’information gestuelle et prosodique, que la ponctuation du français ne parvient guère à restituer. Ce code hybride   associant des signes tantôt alphabétiques tantôt numériques s’applique indistinctement à des mots tantôt alphabétiques tantôt numériques s’applique indistinctement à des mots français ou anglais et constitue ce que Jacques Anis (2001) a identifié comme un « melting-script » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 41).

À la question de savoir si les SMS constituent un danger pour l’orthographe, Les chercheurs répondent « par la négative et affirment même que les textos sont une nouvelle occasion de pratiquer l’écrit » (S. Assoun, 2014, p. 1). L’objectif ultime de la démonstration infra est de passer en revue les principaux procédés utilisés pour cette forme d’écriture. Cette section de notre article permettra donc de décrire les différents phénomènes graphiques constatés dans l’écriture des SMS. Le langage texto est un langage qui s’apprend. L’écriture électronique possède donc son propre « codage (ortho) graphique » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 44) selon les termes de Jacques David et Harmony Goncalves. Et comme le souligne Laurent Cohen, « le nombre de textismes mesurés augmente au cours de l’année, ce qui signifie qu’il y a une acquisition progressive qui se fait, ce n’est pas juste une solution de facilité » (S. Assoun, 2014, p. 2). La chercheuse Josie Bernicot renchérit en affirmant que « le langage contracté des SMS est [même] devenu « une convention d’écriture » » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 44). La première compétence qu’il faut acquérir dans l’apprentissage de « l’orthographe » du cyberlangage est de savoir écrire sinon transcrire les petits sons que l’on entend, explique Laurent Cohen, neurologue et chercheur à l’ICM (Institut du cerveau et de la moelle épinière). « Quand on écrit un texto, on pratique justement de l’écriture phonétique et on cherche à retranscrire les sons de la façon la plus simple possible » (S. Assoun, 2014, p. 2), poursuit-il.

Sur les touches d’un téléphone portable, sont écrits des lettres et des chiffres. Pour un ordinateur, les lettres et les chiffres sont séparées, sauf sur certaines touches situées sur la partie supérieure du clavier comme le montrent d’ailleurs les illustrations des pages 3, 4, 5 et 6. Les lettres se trouvent donc à la partie centrale de l’ordinateur. Quant aux chiffres, ils sont souvent situés à droite et/ou en haut, selon les types d’ordinateurs. Écrire un texto, c’est retranscrire les sons de la façon la plus simple possible. L’écriture des SMS se résume en l’utilisation d’un langage phonétique des plus courts.

L’écriture SMS est constituée de procédés, d’inventions, de principes de codage. Un nouveau lexique écrit se constitue par la combinaison de plusieurs procédés extrêmement variables et parfois instables. On a d’une part les réductions graphiques. Elles concernent soit un abrègement, une simplification du nombre de caractères, soit une sélection de graphies supposées plus proches de la phonologie. Le langage SMS modifie les caractéristiques orthographiques ou grammaticales de la langue afin de réduire le nombre de caractères saisis, la longueur du message, et accélérer la saisie sur le clavier numérique d’un téléphone portable. Pour gagner du temps et dépenser moins, les jeunes ont, petit à petit, pris l’initiative de raccourcir les mots français pour ainsi économiser des caractères et ainsi écrire le maximum de SMS. Aussi distingue-t-on les occurrences suivantes : 

2.1.1.Réduction du phonogramme

La réduction du phonogramme se réalise dans les cas suivants :

« qu » dans « ki, ke, koi, kan, kel » (pour « qui, que, quoi, quand, quel [le] »)…

2.1.2.  Substitution

Dans les SMS, on substitue « k » à « c », et « z » à « s ». Cela qui provoque un effet de phonétisme. Aussi aura-t-on ce qui suit :

   (1) comme    pour      « kom ».

   (2) bise(s)     pour      « biz ».

2.1.3.  Chute des « e » instables

Dans l’écriture texto les « e » atones appelés aussi « e » instables situés à la fin d’un certain nombre de mots disparaissent. Cela s’aperçoit à travers les occurrences infra :

dir (dire), grav (grave), vit (vite).

2.1.4. Omission des morphogrammes et mutogrammes en finale de mot

À l’instar des « e » instables, les consonnes qui terminent la plupart des mots français disparaissent dans les écritures SMS. Les cas récurrents et représentatifs sont les suivants :

Flèche : pentagone: donne (1) pas                                    « pa ».

Flèche : pentagone: donne

 (2) salut                                 « salu ».

2.1.5. Simplification des digrammes et trigrammes

Le langage SMS procède aussi par simplification d’un certain nombre de syllabes que nous rangeons sous l’appellation de digrammes et trigrammes. Avec les digrammes la simplification porte sur deux items ; dans le cas des trigrammes, il y en a trois. Les digrammes sont donc perceptibles à travers « vrè » (vrai). Quant aux trigrammes, on les rencontre.dans « bo » (beau), «fo » (faux), « jamè » (jamais), « forfè » (forfait).

2.1.6. Suppression ou simplification de la morphographie verbale

L’écriture SMS se fait également par la suppression de certains éléments caractéristiques des verbes que la grammaire française a coutume d’appeler morphèmes grammaticaux ; le morphème grammatical se définissant comme « l’unité grammaticale de première articulation qui se combine aux lexèmes suivant les règles de la morphologie » (Dictionnaire universel, 2002, p. 798). Cette réalité grammaticale s’aperçoit dans les occurrences ci-après :

   (1) « pe » pour « peux » dans « je, tu peux », voire « il peut ».

   (2) « ve » pour « veux » dans « je, tu veux », voire « il veut ».

   (3) « è » pour « es » dans « tu es », voire « il est ».

2.1.7. Transformation et déconstruction de phonogrammes

Le textisme SMS est aussi réalisé à partir d’un certain nombre de transformations et de déconstructions des phonogrammes, c’est-à-dire les caractères écrits qui, contrairement aux morphogrammes, idéogrammes et logogrammes, sont les transcriptions arbitraires des sons. Cela est perceptible à travers les constructions suivantes :

(1) «moa » ou « mwa » est utilisé au lieu et place du pronom personnel 

tonique de la premier personne du singulier « moi ».

(2) « twa » est mis pour le pronom personnel tonique de la deuxième

personne du singulier « toi ».

2.1.8. Réduction phonographique

Le cyberlangage se caractérise, en outre, par l’effacement phonique avec compactage d’éléments dans des séquences : mots ou phrases. Ce procédé dissout les segments de mots et évoque le mot ou le segment phonique. C’est ce qui justifie les constructions suivantes dans les SMS :

    (1) « keske »      pour     « qu’est-ce que »

    (2) « mapelé »    pour     « m’appeler » dans « il m’a appelé »

En un mot, nous disons que les rédacteurs des SMS recourent à des combinaisons successives de procédés pour des mots plus longs, voire des « phrases ».  L’exemple ci-après est loin de trahir nos propos. 

    (3) « Ok pr 14 h 30 2 tte manièr on se voi 2m1 mat1 ta fai le devoir moa

   jsui à la pis biz a++. »

La phrase n° 1 peut se traduire en français normatif de la façon suivante : « Ok pour 14 h 30. De toute manière, on se voit demain matin. Tu as fait le devoir ?  Moi, je suis à la maison. Bisou. A plus (tard).

La concaténation d’éléments et de divers procédés permet ainsi de générer des constructions comme celles qui suivent :

   (4) Salut, comment ça va.                      =   Slt komensava

   (5) Veux-tu aller au cinéma demain.      =    Vtu alé o 6néma 2m1

   (6) Qu’est-ce que le professeur a dit ?    =    Keske le prof a di ?

   (7) A lundi, je suis pressé.                      =   Al1di, j suis preC

   (8) Il y a du travail pour demain.            =   Ia du taf pr dm1

   (9) Bonjour, comment ça va ?                 =    Bjr komen ca va 

   (10) Tu es où ? Je t’attends en bas

        de chez toi ! Descends rapidement !   =   Tou jtatan  en ba, D100 vite         

   (11) Tu es énervé ?                                  =   T nrv 


        (12) J’étais au cinéma.                             =  GT o ciné 

   (13) J’espère que tu seras d’accord avec moi.  =  GspR ke tu sra dak

                                                                        avc moi 

La dernière phrase nous laisse pantois :

   (14) Le langage SMS nè vrémen pa bo, il gache notre bel langue, le francè.   

      Il sécri grace  à la fonétic dé mo san fèr atention à leur ortografe réel !!!

     Équivaut à

Le langage SMS n’est vraiment pas beau. Il gâche notre belle langue, le français. Il s’écrit grâce à la phonétique des mots sans faire attention à leur orthographe réelle !

Avouons ! Ces trouvailles ne sont-elles pas géniales ?

3. Les métaplasmes par suppression présents dans les SMS

Puisque nous examinons des unités lexicales, il convient de préciser, ici, que la suppression ne peut être que partielle. Nous nous focaliserons sur trois cas : l’aphérèse, l’apocope, la syncope.

3.1. L’aphérèse

L’aphérèse se compte au nombre des métaplasmes par suppression. Ici, la suppression est localisée au début du mot. Dans les SMS, l’aphérèse s’applique aussi bien aux morphèmes qu’à un certain nombre d’expressions et de locutions. On a ainsi ce qui suit dans les SMS :

   (1) coco              pour          noix de coco

   (2) compteur      pour          taxi à compteur

   (3) le primaire     pour          l’école primaire

3.2. L’apocope

L’apocope se classe aussi parmi les métaplasmes par suppression. Elle se définit comme la chute d’un ou de plusieurs sons, d’une ou de plusieurs syllabes à la fin d’un mot. La suppression a lieu donc à la fin du mot. Nombre d’internautes écrivent donc :

   « beau »  au lieu et place de  « beau-père » ou « beau-frère », et

   « belle » pour désigner la « belle-mère » ou la « belle-sœur ».

Les exemples infra indiquent davantage l’ampleur de ce phénomène linguistique chez les internautes ivoiriens. Les morphèmes en SMS sont à gauche, leurs formes en français normatif, à droite.

   (1) « bri »        pour     « brigand »

   (2) « compo »  pour     « composition »

   (3) « Ferké »    pour     « Ferkessédougou »

   (4) « lacry »     pour     « lacrymogène »

   (5) « tchêp »    pour     « tchêp djên »

   (6) « tchap »    pour     « tchapalo »

   (7) « palu »      pour     « paludisme »

A l’instar de l’aphérèse, l’apocope s’applique aussi bien aux morphèmes qu’à certaines expressions et locutions de la langue française usitées en Côte d’Ivoire. Les exemples qui suivent sont loin d’infirmer nos propos :

   (1) à plus tard     →      à plus

   (2) coca-cola        →      coca

   (3) charbon de bois     →     charbon

   (4) la première Chaîne de la Télévision ivoirienne  →   la première

   (5) prêt-à-porter          →    prêt-à            

   (6) terminus de bus     →    terminus  

3.3. La syncope

La syncope est l’une des formes de métaplasme par suppression. Avec elle, la suppression a lieu à l’intérieur du mot. Les adeptes des SMS ne s’en privent pas. Ils écrivent donc ce qui suit :

    Yakro [jakro]    pour   désigner « Yamoussoukro » [jamusokro]

4. Les réductions et transformations avec variantes phonétiques

Elles correspondent à des déformations de la langue standard, dans sa forme orale mais aussi écrite. Aussi constate-t-on les occurrences suivantes :

4.1. Écrasements phonétiques et squelettes consonantiques

L’écrasement phonétique se réalise dans la séquence suivante :

   (1) gsè (je sais).

Les squelettes consonantiques sont beaucoup prisés par les adeptes des SMS, car les consonnes écrites possèdent une valeur informative plus forte que celle des voyelles. Les exemples les plus pertinents sont :

  (2) tt (tout), ds (dans), tjs (toujours), lgtps (longtemps)

4.2. Syllabogrammes et rébus à transfert

Dans ces deux types de procédés, les lettres et les chiffres sont utilisés pour leur valeur épellative ou phonosyllabique. Les cas les plus pertinents sont :

l (elle), c (c’est, sait (s), ou encore s’est), d (des), g (j’ai), 1 (un), 2 (de),8 (ui), k(ka ), k7 (cassette), kko(cacao), oqp (occupé ),Ces procédés ne tiennent pas souvent compte des frontières de mots, Les exemples infra le démontrent de façon éloquente :

   (1) « 2m1 » (demain),

   (2) « koi 2 9 » (quoi de neuf),

   (3) « C bi1 » (c’est bien)

L’ampleur de ce phénomène linguistique est telle que les chaînes de télévision, et non les moindres, s’en servent. Ainsi, CANAL+ SPORTS3 (dimanche, 12 novembre 2017) pouvait-il écrire ce qui suit :

    (4)« Le k Benzema »

4.3. Logogrammes et paralogogrammes

Les Logogrammes et paralogogrammes sont généralement des signes-mots ou des séquences de signes-mots. Ainsi avons-nous comme exemples :

les logogrammes stricto sensu comme 1 (un), 2 (deux), + (plus),

et les mots réduits à l’initial, j (je), p (peux).

4.4. Les acronymes

On appelle acronyme un terme technique qui désigne un mot constitué à l’origine des initiales d’autres mots. Dans les SMS, on utilise les acronymes pour remplacer un syntagme ou une expression figée, une énumération standardisée, ou même un énoncé complet. Ces cas-ci se présentent :

lol (laughing out loud), asv (âge, sexe, ville), avs (à votre service),

ras (rien à signaler) ou encore mdr (mort de rire).

4.5. Étirements graphiques

Le procédé consiste à prolonger ou à répéter, sans aucune limite théorique un segment du mot ou de la phrase : Soit ce qui suit :

    (1) Ameeeeennnnnnnn,

   (2) lolllllllll

   (3) g taiiiiiiiiiime

4.6. Redoublement segmental

Le prolongement ou la répétition peut être uniquement focalisé sur la voyelle finale d’un morphème. Cette opération aboutit à une insistance. Nous en trouvons une illustration dans les exemples ci-dessous :

  (1) jusqu’ààà    se dit       [ʒyskaaa] : Pendant très longtemps.

  (2) depuiiis       se dit        [dəpɥiii] : Depuis fort longtemps.

  (3) voilààà !       se dit       [vwalaaa] : Justement !

4.7. Abréviation et verlan

L’abréviation est un procédé morphologique qui permet de raccourcir un mot pour gagner du temps et de la place. Dans les SMS des Ivoiriens, on voit ce procédé s’amalgamer avec le verlan, autre procédé linguistique d’origine française consistant en l’inversion des syllabes d’un mot. On note ce phénomène linguistique dans « Poy » qui dérive de « Yopougon ». Aussi aura-t-on l’exemple c- dessous :

« Ramsus, l’enfant de Poy » 

L’écriture SMS se combine souvent avec les smileys.« Unsmiley(de l’anglais smiley, « sourire »), une frimousse, utilisé en français correct et admis à l’Académie française ou une binette, est un dessin extrêmement stylisé de visage souriant coloré en jaune, exprimant l’amitié. Le terme est couramment employé pour désigner d’autres visages » → Cette flèche signifie « donne ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Smiley)

On parle aussi d’émoticône. « Une émoticône est une courte figuration symbolique d’une émotion, d’un état d’esprit » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Smiley).

Voici, en guise d’illustration, quelques smileys et leurs acceptions :

Les exemples avec insertion de smileys à travers des SMS sont pléthoriques sur les réseaux sociaux dont l’un des plus en vue est Facebook. En voici quelques-uns :

   (1) « Feu https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fab/1/16/2620.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fab/1/16/2620.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f53/1/16/1f605.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f53/1/16/1f605.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f34/1/16/1f914.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f34/1/16/1f914.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb7/1/16/1f917.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb7/1/16/1f917.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f38/1/16/1f918.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f38/1/16/1f918.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb9/1/16/1f919.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb9/1/16/1f919.png»

Plusieurs sentiments s’embrassent à travers ces représentations. La puissance et la force sont exprimées à travers les signes « https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.png ». Le danger et l’étonnement par «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.png https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fab/1/16/2620.png ».

Les smileys «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f53/1/16/1f605.png » «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f34/1/16/1f914.png » «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb7/1/16/1f917.png » « https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f38/1/16/1f918.png» «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb9/1/16/1f919.png » renvoient successivement à « la joie »,  à « la surprise »,  à « mort de rire (lol) » et  à « la sympathie ».

(2) « Drame https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png ». Ici, la situation est tellement catastrophique (drame) que seules des images peuvent l’exprimer. L’auteur amplifie cela en triplant l’émoticône incarnant l’effarement total, notamment «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png ».

Conclusion

L’écriture texto est en train de nous envahir. Le langage dit « des jeunes » est devenu un dialecte commun. Le fameux langage des textos est devenu une écriture à part entière. Elle possède ses procédés spécifiques. De façon générale, l’écriture SMS ne répond pas aux normes d’orthographe française classique. Le langage SMS modifie les caractéristiques orthographiques ou grammaticales de la langue. Avec les SMS, le lexique écrit s’élabore selon une orthographe certes détournée de ses normes habituelles, mais selon une orthographe toujours respectueuse de normes et possède indubitablement les mêmes fonctions de conventionalité et de lisibilité inhérentes à toute communication écrite. Il y a donc lieu de ne plus condamner systématiquement les mots SMS. De par son contenu et sa rapidité, l’écriture électronique surclasse presque tous les autres moyens de communications. Elle permet non seulement de sauvegarder la confidence, l’intimité et les secrets, mais elle coûte moins cher. Les populations et particulièrement les jeunes ne s’en privent pas.

En somme, « la communication électronique engage ses usagers dans un équilibre souvent relatif entre désir d’invention individuelle et respect de normes de communication partagées au sein d’une collectivité à géométrie variable » (J. David et H. Goncalves, 2007, p.42). Elle laisse libre court au génie créateur à ceux qui s’y adonnent. Le dialecte SMS se présente d’abord et avant tout comme une recréation mais aussi et surtout comme une invention de la part des texteurs. Mais, avant de terminer, posons-nous la question suivante : L’écriture texto ne peut-elle pas être utilisée pour une facilité de prise de notes ?

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RÉSEAUX SOCIAUX ET APPRENTISSAGE DU JOURNALISME 2.0

Antonin Idriss BOSSOTO

Université Marien NGOUABI (République du Congo)

wbossoto@gmail.com

Résumé :

Cette recherche vise à cerner l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux dans l’apprentissage du journalisme 2.0 dans le cadre du projet 242.News initié au parcours des Sciences et Techniques de la Communication de l’Université Marien Ngouabi (République du Congo), le seul assurant une formation universitaire aux métiers du journalisme, de la communication et de la documentation. L’enquête a été mené au 1er semestre de l’année académique 2022-2023, à partir d’un échantillonnage par choix raisonné des enquêtés. Les données ont été recueillies a) par le biais d’entretiens sémi-directifs avec 05 enseignants de journalisme et b) par un focus groupe avec 23 étudiants retenus pour le dit projet. Les résultats montrent que le projet 242.News à travers l’usage des réseaux sociaux tels que WhatsApp et Facebook donne la possibilité aux étudiants d’acquérir des compétences journalistiques.

Mots clés : Apprentissage, Formation, Journalisme 2.0., Projet, Réseaux sociaux.

Abstract:

This research aims to identify the impact of the pedagogical use of social networks in learning journalism 2.0 as part of the 242.News project initiated at the Communication Sciences and Techniques course of the Marien Ngouabi University (Republic of Congo), the only one providing university training in journalism, communication and documentation professions. The survey was conducted in the 1st semester of the 2022-2023 academic year, using purposive sampling. Data were collected a) through semi-directive interviews with 05 journalism teachers and b) through a focus group with 23 students selected for the said project. The results show that the 242.News project, through the use of social networks such as WhatsApp and Facebook, enables students to acquire journalistic skills.

Keywords : Learning, Training, Journalism 2.0., Project, Social networks.

Introduction

Les réseaux sociaux numériques (RSN) nous offrent aujourd’hui de multiples possibilités d’enseignement et d’apprentissage. Ils permettent l’expansion des pratiques pédagogiques, des échanges entre étudiants et enseignants au-delà de la salle de classe (Charnet, 2018). Ils font partie intégrante du quotidien des étudiants actuels qui correspondent à la génération des natifs du numérique (Prensky, 2001). Dans le cadre de leur formation, ceux-ci n’attendent pas que l’université leur propose des services ou des activités en ligne, ils les créent eux-mêmes en constituant, par exemple, des groupes numériques de travail, plus communément appelés « groupes Facebook » (Michaut et Roche, 2017).

Constituant une plateforme ancrée dans le quotidien des étudiants (Holo et Koné, 2022) et un outil essentiel aux études en contexte universitaire (Melot et al. 2014), le réseau social Facebook a été utilisé courant mars 2020 pour un projet de media distribué (242.News). Animé par un groupe de 23 étudiants en journalisme, inscrits au parcours des Sciences et Techniques de la Communication (STC) de l’Université Marien Ngouabi, le projet 242.news avait pour objectif de développer les compétences éditoriales et rédactionnelles des étudiants à partir des techno-compétences acquises de l’appropriation de Facebook. La mission des étudiants consistait à collecter et traiter de façon collaborative les faits de société les plus marquants et quelques faits d’actualité en version texte, image ou vidéo, à partir d’un groupe WhatsApp utilisé comme salle de rédaction virtuelle et de les publier sur la page Facebook après correction et validation par les pairs.

1. Problématique

Dans l’optique de faciliter l’apprentissage du journalisme 2.0, nous avons initié le projet de média distribué « 242.News » (https://m.facebook.com/242.news.online) avec un groupe composé d’étudiants de Master et de 3e année de licence en journalisme, sur les médias sociaux Facebook et WhatsApp en mars 2020. En effet, le journalisme 2.0 est une forme de journalisme utilisant les services et applications du web 2.0, telles que les blogs, les flux RSS et les réseaux sociaux numériques pour produire de l’information en ligne aux formats vidéo, audio, image, texte ou data (Ali et Kaur, 2015).

Le choix de ses catégories d’étudiants se justifie à deux niveaux. En premier lieu, les étudiants inscrits en Master ont été les premiers à participer au projet (deux ans plutôt), pendant qu’ils étaient en Licence 3. Ils constituent alors une importante source d’information sur le projet.  Par contre, le choix des étudiants de Licence 3 se justifie par le fait que ce niveau constitue la période de professionnalisation des apprenants aux métiers du journalisme et que certains d’entre eux ont été sélectionné pour prendre part au projet. Ce projet réalisé à partir d’un guide d’élaboration de projet pédagogique présenté par Sene et al (2009, p.145) vise à apporter aux étudiants la maîtrise et les compétences nécessaires à l’exercice du journalisme plurimédia. Il met l’accent sur les spécificités du journalisme sur Internet et plus particulièrement sur les réseaux sociaux, notamment en matière d’écriture, du choix des illustrations et de publication de contenus informationnel sous divers formats. Premièrement, cette démarche s’inscrit dans un contexte marqué par l’inexistence d’infrastructures adéquates à l’apprentissage pratique du journalisme, faute d’équipements et d’environnement numérique dédiés à l’apprentissage de ce métier au parcours type des Sciences et Techniques de la Communication. En second lieu, ce projet vient en complément à la formation en journalisme qui a pour objectif, excepté les compétences rédactionnelles et éditoriales de « préparer les étudiants en journalisme à s’adapter aux évolutions technologiques et aux autres changements qui ne cessent de modifier continuellement l’exercice de la profession (Unesco, 2009, p. 12).

Notre travail de recherche est dès lors guidé par les questions suivantes : Comment la création d’une page Facebook d’actualité, par le biais d’une pédagogie par projets, peut-elle contribuer à l’apprentissage du journalisme 2.0 chez les étudiants ? Dans quelle mesure les réseaux sociaux peuvent-ils être considérés comme des outils essentiels à l’apprentissage du journalisme 2.0 ? Quel est l’apport de l’approche par projet dans l’apprentissage du journalisme 2.0 ? Quels sont les obstacles à l’apprentissage du journalisme 2.0 par l’intermédiaire des réseaux sociaux dans le cadre du projet 242.News ?

L’objectif de ce travail est d’une part de cerner l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux sur l’apprentissage du journalisme 2.0, de comprendre l’apport de l’approche par projet dans ce type d’apprentissage et d’autre part, de circonscrire les obstacles et les contraintes à l’apprentissage pratique de ce métier dans le cadre du projet 242.news.

2. Cadre théorique

2.1. L’approche par projet

L’approche par projets constitue le fondement théorique de notre travail. Selon El Mouthi et al. (2012), elle consiste à regrouper par équipes des élèves pour réaliser un projet dont l’exécution nécessite l’utilisation des TIC comme ressources. Le projet vise l’apprentissage de nouveaux contenus disciplinaires du programme officiel et le développement de compétences technologiques, méthodologiques, sociales. Elle prépare ainsi les apprenants au monde professionnel actuel d’autant plus qu’elle repose sur le travail en équipe. En effet, il repose sur l’entraide, l’enrichissement mutuel par la confrontation et la validation des idées.

Cette approche privilégie la méthode active, participative. Celle-ci prend en compte la motivation, les besoins et les attentes des apprenants. Elle nécessite la définition de stratégies par lesquelles les apprenants sont amenés à produire, créer, chercher, s’informer et à communiquer à l’aide des TIC. Elle favorise donc la construction de connaissances par les élèves. L’accent est davantage mis sur l’apprentissage que sur l’enseignement. L’enseignant n’est plus le magister, l’unique détenteur de savoirs mais un facilitateur qui aide les élèves à construire leurs connaissances (Tardif, 1998). Il les accompagne afin de leur permettre de s’approprier le projet. Le projet doit être assez significatif et doit présenter des défis que les élèves devront relever. Il peut s’appliquer à un ou plusieurs domaines disciplinaires.

2.2. Réseaux sociaux : outils d’apprentissage

Le web 2.0 marque le passage de la communication « one to many » propre aux médias traditionnels, à la communication « many to many », de l’interactivité à l’interaction et du partage de l’information au partage des savoirs. L’internet et le web 2.0 ont permis l’émergence de ces réseaux socio-numériques définis par Boyd et Ellison (2007). Les réseaux et médias sociaux nous offrent aujourd’hui de multiples possibilités d’enseignement et d’apprentissage. D’après Charnet (2018), ils permettent l’expansion des pratiques pédagogiques, des échanges entre étudiants et enseignants au-delà de la salle de classe. Les travaux de Mélot et al. (2014) réalisés auprès de 168 étudiants inscrits au master en Sciences de l’Éducation à l’Université de Mons en Belgique, ont révélé que 96,8% de ces étudiants utilisent le réseau social Facebook dans le cadre de leurs études universitaires.

Dans une étude s’intéressant aux différentes utilisations de Facebook, comme support d’aide à l’apprentissage, par des étudiantsans le cadre de leur formation, Thivierge (2011) parvient à la conclusion que Facebook dépasse le simple cadre de réseau social personnel, de par la multiplicité de ses usages dans le domaine pédagogique. Kucuk et Sahin (2013) soutiennent que grâce à Facebook et aux nombreux outils de communication qu’il renferme, les étudiants développent leurs compétences à communiquer et peuvent donc s’ouvrir aux savoirs et partager l’information.

2.3. Les RSN : un impératif pour la formation en journalisme

Selon Carpenter (2009), de nombreux chercheurs ont tenté de justifier l’intégration du curriculum numérique dans les programmes de journalisme en analysant les tendances dans l’industrie de l’information. En raison de la croissance et de l’évolution rapides des médias, les chercheurs ont conclu que les compétences évoluent constamment, laissant par conséquent aux journalistes des « voies mal définies vers l’emploi par rapport à la plupart des professions » (Cooper et Tang, 2010).

D’après Diaf (2005, p. 17), le journalisme 2.0 est une pratique journalistique qui s’est développée en 2004 aux États-Unis, par la production et la diffusion d’informations en utilisant les réseaux sociaux comme medium (Tumblr, Over Blog, WordPress…). Vu les enjeux actuels en termes de mutation des métiers du journalisme, doter les étudiants de compétences liées à cette forme de journalisme s’avère un impératif. En effet, les travaux de Cochrane et al. (2012) démontrent que l’utilisation des outils du web 2.0 dans des cours de journalisme a un impact significatif sur la motivation et la compréhension des étudiants.

Une enquête menée par Hirst et Treadwell (2011) à l’Université des Technologies de Oakland sur les usages et attitudes des étudiants en journalisme vis-à-vis des médias sociaux dans l’actualité a révélé que les étudiants considèrent les médias sociaux comme de puissants outils de travail pour les journalistes.

Laru et al. (2012) précisent que l’intégration des médias sociaux dans la salle de classe en utilisant « des activités pédagogiques et des outils web 2.0 soigneusement élaborées » (Laru et al, 2012, p. 36) peut améliorer l’expérience d’apprentissage et être des outils précieux pour faciliter l’acquisition de connaissances par les étudiants. Cependant, il convient de préciser que la plupart des recherches sur l’intégration des médias sociaux dans un programme de journalisme préconisent de combiner les méthodes d’apprentissage traditionnelles avec les outils et plateformes de réseaux sociaux numériques (Schwalbe, 2009).

2.4. Le Modèle d’adoption du m-apprentissage

Le modèle théorique de cette étude s’est basé sur le modèle de recherche proposé par Kouakou (2019) sur l’intention d’adoption du M-apprentissage. S’inspirant de l’UTAUT de Venkatesh et al. (2003) et du TAM de Davis (1989), le modèle de Kouakou s’adapte au contexte de cette recherche dans le sens où « l’utilité perçue » du téléphone mobile n’est plus a démontré dans le contexte de l’enseignement et l’apprentissage. Le degré de facilité associé à l’utilisation du mobile, « la facilité d’utilisation perçue » et « l’influence sociale » due au succès des réseaux sociaux numériques jouent sur la motivation des étudiants à s’impliquer dans le projet du fait que l’usage du téléphone mobile est ancré dans les mœurs des adolescents (Fize, 1997). En effet, l’adoption du m-apprentissage repose sur le fait que l’utilisation des terminaux mobiles et des applications se fera sans effort cognitif (Kouakou, 2019, p. 7). De plus, les « conditions de facilitation » influencent significativement l’intention d’adoption de cette forme d’apprentissage. C’est-à-dire que les étudiants impliqués dans le projet 242.News seraient plus enclins à adopter le m-apprentissage que s’ils estiment l’environnement institutionnel, infrastructurel et financier favorable. Enfin, « l’enjouement perçue » apparait comme un facteur intéressant pour les apprenants dans la mesure où le plaisir résultant de l’utilisation du téléphone mobile et des réseaux sociaux exerce une influence sur l’intention d’adopter une technologie.

3. Méthodologie

Cette recherche de type qualitatif a été mené au 1er semestre de l’année académique 2022-2023, notamment entre le 10 novembre 2022 et le 05 février 2023. Nous avons fait recours à un échantillonnage non probabiliste (par choix raisonné), de commodité pour mener cette étude. La population d’enquête comprend le personnel enseignant assurant les enseignements de journalisme et une partie des étudiants responsables du projet 242.News. Le choix de ce type d’échantillonnage se justifie par le fait que les acteurs impliqués dans le projet (étudiants) constituent des personnes ressources dans le cadre de cette recherche. L’échantillon est composé de 28 personnes : 16 étudiants de licence 3 journalisme, 07 étudiants de Master journalisme et de 05 enseignants de journalisme en licence. Parmi les étudiants, il y a 13 garçons et 10 filles. Chez les étudiants, les critères d’inclusion retenus sont : le niveau, la spécialité, le sexe et le statut de participant au projet. Chez les enseignants le critère d’inclusion sont les niveaux dans lesquels l’enseignant intervient, la spécialité enseignée et le statut de participant au projet. 

Les données ont été collectées au moyen de 2 types techniques. Il s’agit des entretiens semi-directifs destinés aux enseignants et le focus groupe avec les étudiants impliqués dans le projet. Les entretiens avaient pour objectif de questionner les enseignants sur le rôle des réseaux sociaux numériques comme alternative au manque d’équipements pour la pratique journalistique, l’importance de la pédagogie par projet dans l’apprentissage du journalisme 2.0 au parcours STC et de déterminer les freins à ce type d’apprentissage. Ces entretiens ont été réalisés sur les lieux de la recherche et ont pris en compte l’environnement social personnel et professionnel de la personne enquêtée (Beaud, Weber, 2010, p. 155).

Pour sa part, le focus groupe a été structuré autour d’un item de quatre questions avec pour objectif d’identifier, de décrire et d’interpréter l’influence des réseaux sociaux numériques sur l’apprentissage du journalisme 2.0 par les étudiants. Le choix d’interroger les étudiants impliqués dans le projet est inévitable. En effet, seuls ces acteurs de terrain peuvent nous renseigner sur l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux numériques sur l’apprentissage du journalisme 2.0 dans un contexte de pédagogie par projet.

Le traitement des données a été réalisé à partir du logiciel de traitement des données qualitatives : QSR NVIVO 11. Cette démarche nous a aidé à cerner les représentations concernant la complémentarité du projet 242.News avec les notions et principes du journalisme abordées en classe. Une fois le processus de thématisation complété, nous avons poursuivi l’analyse en procédant à un examen discursif des thèmes et des extraits correspondants » (Paillé, Muchielli, 2003, p. 145).

4. Résultats

Nous nous intéressons dans cette partie à présenter et à analyser les propos des interviewés sur l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux numériques dans l’apprentissage du journalisme 2.0 et de circonscrire les freins à l’apprentissage pratique de ce métier dans le cadre du projet pédagogique 242.News.

4.1. Des enseignants convaincus de la valeur ajoutée des réseaux sociaux numériques

4.1.1. Réseaux sociaux numériques outils apprentissage du journalisme 2.0

D’après les déclarations des enseignants interrogés, il se dégage que l’utilisation des réseaux sociaux numériques dans l’apprentissage du journalisme 2.0 apporte un soutien très important à la formation des étudiants :

Les étudiants en journalisme de troisième année de licence et de Master sélectionnent les sujets de proximité et apprennent à les traiter sur le groupe WhatsApp qui s’apparente à une salle de rédaction virtuelle où les projets d’articles sont amendés par le collectif avant leur publication sur la page Facebook du journal (EE1 (Nomenclature des enquêtés – par exemple : EE4 (Entretien Enseignant numéro 4), EA12 (Entretien Apprenant numéro 12).

Les réseaux sociaux numériques comme WhatsApp permettent aux étudiants impliqués dans le projet d’améliorer la rédaction de contenus journalistiques en bénéficiant des remarques des enseignants ou d’autres étudiants impliqués dans le projet (voire illustrations n°1 et n°2). Un enseignant insiste sur le fait que « les étudiants gagnent d’un point de vue pratique car ils ont la possibilité de sélectionner une information en se référant aux règles éthique et déontologique de la pratique du journalisme enseigné en classe. L’apport est multiforme » (EE3).

L’analyse des propos des enseignants montre que les réseaux sociaux numériques contribuent largement à l’acquisition de compétences numériques et à une production de l’information de type collaborative. Cela s’explique par le fait que les récentes innovations éditoriales, en termes de contenu et de plateformisation se sont imposées de façon évolutive. D’après les enseignants,

Ces pratiques permettent aux apprenants d’intérioriser les exigences de la modernité à l’ère du numérique. En effet, le numérique a modifié la pratique journalistique dans le monde dans la mesure où la production de l’information doit tenir compte des impératifs de rapidité, l’interactivité, le caractère multimédia de l’information (EE4).

D‘autre part, il y a lieu de préciser que les réseaux sociaux numériques font partie intégrante du quotidien de la génération des étudiants enquêtés qui correspond aux Digitals natives et qui disposent des techno-compétences nécessaires à l’usage du web 2.0. De ce fait, le recours aux réseaux sociaux numériques pour l’apprentissage du journalisme 2.0 apparait comme une opportunité pour les apprenants.  C’est ce qu’un des enseignants de journalisme précise en ces termes :

C’est un apport qui est un plus par rapport à ce que les étudiants apprennent théoriquement car un journaliste ne peut pas se passer des réseaux sociaux numériques, notamment avec la pratique journalistique sur Twitter. Twitter est un réseau social d’une importance capitale car l’actualité se fait sur ce réseau social (EE5).



Illustration 1 : Enseignant recommandant de vérifier une information avant son traitement.               Source : Bossoto. AIllustration 2 :  Correction d’une proposition d’information à publier entre 2 étudiants. Source : Bossoto. A  

L’apprentissage du journalisme 2.0 s’avère plus dynamique pour les apprenants. Cela s’explique par le fait que les réseaux sociaux numériques sont des outils faisant partie de leur quotidien et que les fonctionnalités d’interaction et de publication sont ancrées dans leurs modes de vie.

L’illustrations n°1 montre un échange entre une étudiante et un enseignant sur la vérification d’une information avant son traitement et sa publication. On constate que l’enseignant recommande à l’étudiante de vérifier les faits, bien que l’information proposée paraisse être un scoop. Par contre, le cas suivant (Illustration n°2) met en exergue un travail collaboratif d’étudiants apportant au sein du groupe WhatsApp. On y constate la réaction d’un étudiant qui propose les corrections d’une proposition d’information à un de ses pairs.

4.1.2. La pédagogie par projet : une maïeutique au service de l’apprentissage du journalisme 2.0

D’après les enseignants interrogés, la pédagogie par projet offre plusieurs avantages dans la formation des étudiants en journalisme. Il se dégage que la mise en place de projets impliquant et responsabilisant les étudiants permet d’éclore le génie créatif de ceux-ci.

Ceux-ci ne sont plus considérés comme de simples récepteurs de connaissances transmises par les enseignants de manière unilatérale, mais ils deviennent des co-producteurs de projets. Cette démarche a pour but d’éveiller en eux l’esprit de collaboration, de créativité et d’innovation (EE3).

En effet, le projet 242.News constitue une forme d’apprentissage pratique du journalisme qui s’inscrit dans la continuité des notions théoriques du journalisme abordées en classe. En tant qu’outil complémentaire au cours magistral, la pédagogie par projet offre un avantage aux apprenants en journalisme, notamment à travers leur professionnalisation par l’intermédiaire des réseaux sociaux numériques utilisés pour le travail collaboratif (salle de rédaction virtuelle sur WhatsApp et plateforme de publication d’actualité sur Facebook).

À partir de ce type de projet, l’étudiant ou l’étudiante est à même d’avoir des bases sur le plan pratique de ce qu’ils ne font pas ici à l’école. Je crois qu’avec ce projet, c’est bien parti pour que les étudiants apprennent le métier de journaliste. Cette démarche est une opportunité pour leur employabilité. Ainsi, arrivés sur le terrain de l’emploi, ils ont déjà exercé à partir d’un projet (EE1).

On constate que l’approche par projet joue un rôle important dans la médiation entre la situation de formation et la situation professionnelle dans laquelle évolue les apprenants. Ceux-ci ont pu ainsi acquérir des connaissances pratiques débouchant sur une meilleure maîtrise de l’environnement de traitement et de production de l’information par le biais d’un apprentissage contextualisé et de nouvelles découvertes qui surviennent dans le processus du projet. Cette posture montre que la professionnalité ne se réduit pas aux enseignements formels, et encore moins au diplôme terminal. Elle rend compte de tous les épisodes professionnalisants, ou supposés tels, qui s’enchaînent ou se superposent dans des combinaisons variées au fil du parcours des étudiants.



Illustration 3 :  Rédaction par un étudiant d’une information relative à une évasion dans un commissariat. Source : Bossoto. AIllustration 4 :  Information sur l’évasion publiée sur la page Facebook par un étudiant. Source : Bossoto. A  

4.1.3. Des étudiants confrontés à des difficultés en termes de connectivité

L’utilisation des réseaux sociaux numériques pour l’apprentissage du journalisme 2.0 constitue est une opportunité en tant qu’outil pédagogique. Mais, ce type d’apprentissage est confronté à des obstacles qui peuvent être considérés comme des facteurs d’exclusion pour les étudiants. Sur cet aspect, un élève déclare :

C’est difficile pour nous de participer de façon quotidienne aux activités du groupe, car la connexion coûte chère. Pour être à l’affut des informations et intervenir dans le groupe, il faut avoir une connexion illimitée.  Les forfaits sont accessibles, mais les activer tous les jours, ce n’est pas évident pour nous, Ce sont de grosse dépenses… (EA5).

De même un autre poursuit :

Faute de crédits, je suis obligé de me connecter deux à trois fois par semaines. Ce qui fait qu’il m’arrive de manquer certaines activités réalisées dans le groupe. Il est impossible de participer aux activités du groupe sans connexion, c’est encore plus dur si tu perds ton téléphone, car il faut du temps pour trouver l’argent pour acheter un nouveau téléphone, ça coute cher, ce n’est pas évident (EA11).

Les entretiens réalisés avec les enseignants révèlent le même type d’obstacles à cette forme d’apprentissage. C’est le cas de cet enseignant qui explique ceci : « Le fait que les étudiants ne disposent pas de smartphones, avoir une batterie déchargée, le manque d’électricité peuvent être des obstacles. De plus, le coût de connexion aux forfaits Internet mobile peut être un obstacle à l’apprentissage » (EE4).

Au regard, des propos des étudiants et des enseignants, il convient de préciser que la fréquence de connexion à l‘internet mobile nécessaire pour participer quotidiennement aux activités de production d’actualité en ligne est un problème. Il ressort que les coûts d’accès à l’Internet mobile constituent un obstacle majeur à ce type de projet pédagogique. À cela s’ajoute l’acquisition d’un téléphone portable de type Androîd, dont le prix n’est pas accessible pour tous les étudiants.

4.2. Une opportunité pour l’apprentissage et la professionnalisation des étudiants

4.2.1. Des étudiants en journalisme formés au-delà de la salle de classe

Le focus groupe avec les étudiants a révélé que la mise en place du projet pédagogique 242.news offre de multiples avantages aux étudiants impliqués dans le projet de s’exercer, de se former et de collaborer. L’analyse des propos des apprenants nous a permis de dégager quatre catégories d’avantages au profit de leur apprentissage, à savoir : le complément des notions abordées en classe, le renforcement de la pratique journalistique, le développement des compétences rédactionnelles (tableau 1).

Tableau 1 : Avantages perçus du projet 242.News

ItemsEffectifs%
Complément des notions abordées en classe2191 %
Renforcement de la pratique journalistique1878%
Renforcement de l’apprentissage des bases du journalisme1669%
Développement des compétences rédactionnelles1460%

Source : Bossoto A.

Les résultats présentés dans le tableau N°1 montrent que pour une grande partie des étudiants (91%) le projet 242.News s’inscrit dans la continuité des notions théoriques de la pratique journalistique abordées en classe. À cet effet, un étudiant précise que :

C’est une bonne initiative pour les étudiants car à l’école, on fait la théorie et on a du mal à faire la pratique. À travers 242news, nous faisons de la pratique. C’est donc une initiative qu’on doit encourager et financer pour donner la possibilité à d’autres étudiants qui veulent bien se former en attendant la période de stage. C’est donc une bonne opportunité pour les étudiants (EA08).

Ainsi, ce projet confère aux apprenants des compétences et de l’expérience rédactionnelle par anticipation à la période de stage professionnel qui se déroule généralement à la fin du semestre 6 de niveau Licence.

Les étudiants reconnaissent que les réseaux sociaux numériques ont une grande incidence dans le cadre de l’apprentissage du journalisme 2.0 et de leur formation. Ces réseaux peuvent être utilisés à moindre coût pour une période indéterminée, comme l’affirme un étudiant :

Ça permet aux étudiants d’avoir une ouverture d’esprit en matière de journalisme c’est-à-dire savoir comment mettre en œuvre une ligne éditoriale car aujourd’hui, un journaliste 2.0 doit avoir des bases sur la conception de la ligne éditoriale qui permettra de définir une grille de programmes ou de publications. Donc les réseaux sociaux numériques jouent de beaucoup dans l’apprentissage (EA13).

4.2.2. Acquisition de compétences techno-rédactionnelles par les étudiants

Selon les propos des apprenants, le projet pédagogique 242.News a eu une incidence positive sur le volet pratique de l’apprentissage du journalisme 2.0 chez les étudiants. D’après l’analyse des déclarations des apprenants, on constate que ceux-ci ont pu bénéficier de savoir-faire et de compétences diverses. En fait, comme le montre le tableau n°2, la majorité des étudiants admettent avoir acquis des compétences journalistiques (95%) permettant de collecter des informations, de rédiger un article de presse pour les médias sociaux, de les diffuser et d’interagir avec ses abonnés.

Plus de 08 étudiants sur 10 (soit 86%) affirment avoir pu améliorer leurs compétences en termes de rédaction de contenus d’actualité pour les réseaux sociaux numériques. Les compétences acquises sont diverses, se situant à cheval entre la rédaction web, le community management et la veille informationnelle.

ItemsEffectifs%
Acquisition de compétences journalistiques2295%
Rédaction pour les réseaux sociaux2086%
Publication et gestion de la page Facebook1565%
Collecte d’information0939%

Tableau 2 : panorama des compétences acquises par les apprenants

Source : Bossoto A.

De plus, ils affirment également avoir pu développer des compétences techniques liées à la gestion des différentes pages de réseaux sociaux numériques utilisées pour publier l’actualité (65%). Sur ce sujet, un étudiant explique :

J’arrive maintenant à gérer une page Facebook, à rédiger un texte et l’annexer à une image ou une vidéo, ce sont entre autres compétences que j’ai acquises dans le projet, En plus, j‘ai découvert le travail en équipe et surtout à distance. Pour le projet 242.news, je travaille en virtuel sur notre groupe WhatsApp, depuis chez moi à la maison (EA02).

En revanche, le tableau N°2 révèle quelques difficultés au niveau de la collecte des informations. À peine 39% d’entre eux admettent avoir pu acquérir des compétences dans le choix de l’actualité à proposer au groupe. Cela peut s’expliquer par le fait que l’actualité locale est généralement marquée par des faits à caractère politique ou institutionnel. Ce qui impose aux apprenants à affiner leurs sources d’information afin de proposer une actualité pouvant générer du trafic (buzz : accidents, scandale…) et susciter d’importante