Actes du colloque international pluridisciplinaire LA CRISE DE L’UNIVERSITÉ EN AFRIQUE : DIAGNOSTIC ET ÉLÉMENTS DE STRATÉGIES TRANSVERSALES |
PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES |
Volume XII – Numéro 22 – Bouaké, les 09, 10 et 11 Juin 2022 Côte d’Ivoire ISSN : 2313-7908 N° DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016 |
PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES
Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines
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ISSN : 2313-7908
N° DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016
ADMINISTRATION DE LA REVUE PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES
Directeur de publication : Prof. Grégoire TRAORÉ, Professeur des Universités
Rédacteur en chef : Prof. N’dri Marcel KOUASSI, Professeur des Universités
Rédacteur en chef Adjoint : Dr Éric Inespéré KOFFI, Maître de Conférences
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Prof. Aka Landry KOMÉNAN, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA
Prof. Antoine KOUAKOU, Professeur des Universités, Métaphysique et Éthique, Université Alassane OUATTARA
Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA.
Prof. Azoumana OUATTARA, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA
Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa
Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa
Prof. David Musa SORO, Professeur des Universités, Philosophie ancienne, Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY
Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA
Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA
Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal
Prof. Jean Gobert TANOH, Professeur des Universités, Métaphysique et Théologie, Université Alassane OUATTARA
Prof. Kouassi Edmond YAO, Professeur des Universités, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA
Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA
Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des Universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou
Prof. N’Dri Marcel KOUASSI, Professeur des Universités, Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA
Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA
Prof. Donissongui SORO, Professeur des Universités, Philosophie antique, Philosophie de l’éducation Université Alassane OUATTARA
COMITÉ DE LECTURE
Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA
Prof. Azoumana OUATTARA, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA
Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa
Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa
Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA
Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA
Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal
Prof. Kouassi Edmond YAO, Professeur des Universités, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA
Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA
Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des Universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou
Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA
Prof. Nicolas Kolotioloma YEO, Professeur des Universités, Philosophie antique, Université Alassane OUATTARA
COMITÉ DE RÉDACTION
Secrétaire de rédaction : Dr Kouassi Honoré ELLA, Maître de Conférences
Trésorier : Dr Kouadio Victorien EKPO, Maître de Conférences
Responsable de la diffusion : Dr Faloukou DOSSO, Maître de Conférences
Dr. Kouassi Marcelin AGBRA, Maître de Conférences
Dr Alexis Koffi KOFFI, Maître de Conférences
Dr Chantal PALÉ-KOUTOUAN, Maître-assistant
Dr Amed Karamoko SANOGO,Maître de Conférences
PREMIÈRE PARTIE : ALLOCUTIONS ET COMMUNICATIONS EN PLÉNIÈRE………………………….…………………………………………………1
I. ALLOCUTIONS…………………………………………….…………….…………….…1
Allocution du Président du comité d’organisation………………………….……….2
Allocution du Directeur du Département de Philosophie………………………….6
Allocution du Directeur de l’UFR-CMS…………………………………..…………….9
Allocution du Président de l’Université Alassane OUATTARA………..………….12
Allocution du Maire de Bouaké………………………………………………………….15
Allocution du Ministre de la Promotion de la bonne Gouvernance et de la lutte contre la Corruption, Parrain du Colloque………………………………..………….17
Allocution du Président du Conseil Économique Social Environnemental et Culturel, Patron du colloque……………………………………………..….………….19
Allocution de clôture du Président émérite de l’Université Alassane Ouattara, Président de la Chaire UNESCO de Bioéthique de l’UAO………………..……….21
Rapport de synthèse……………………………………………………………..…….….24
Recommandations……………………………………………………………..…………..31
II. COMMUNICATIONS EN PLÉNIÈRE………………..…………………………….33
« Vrai et faux pluralisme ». Les universités dans l’ordre mondial contemporain,
Ernst Wolff………………………………………………………………………….……….35
Notre devoir et notre foi au caractère universel de l’Université,
Thiémélé L. Ramsès BOA………………………………….………………………….….51
DEUXIÈME PARTIE : AXES DE RÉFLEXION ET ATELIERS……..….63
PREMIER AXE : GOUVERNANCE ET FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS…65
Mauvaise gouvernance endémique des États africains : approche synoptique des universités en déconstruction,
Kobenan Maxime KOUMAN……………………………………………………….…….67
L’essence de l’université chez Heidegger : la Lehrerschaft face aux défis de la Führerschaft, cas de l’Afrique,
Pascal Dieudonné ROY-EMA……………………………………..…………………….85
La gouvernance universitaire à l’épreuve de la discipline sur le campus au Cameroun,
Saidou ABOUBAKAR…………………………………………………………………….101
Gouvernance et financement des universités de la zone UEMOA,
Kadiatou SANOGO N’DOURE ………………………………………………………….119
Fondements et typologie caractéristique de la crise de l’université en Afrique : cas de l’université gabonaise,
Georges MOUSSAVOU………………………………………………………….……….135
Projets d’école et l’autonomie des universités au Togo,
Ati-Mola TCHASSAMA…………………………………………….…………………….149
La communication interne de l’UFR/LAC de l’université Joseph KI-ZERBO au Burkina Faso,
1. Marcel BAGARE 2. Dognon Lucien BATCHO 3. Salif ZONGO………………165
DEUXIÈME AXE : UNIVERSITÉ ET QUESTION DU GENRE…….…………..185
Femmes et carrières à l’épreuve de la disparité fondée sur le sexe au sein de l’université de N’Djamena,
1. Dieudonné VAÏDJIKÉ 2. Alexis NGARMBATEDJIMAL 3. François NDILBÉ MBAÏNGUEM………………………………………………………………….…….…….187
Genre et harcèlement sexuel en milieu universitaire : le cas des étudiantes des universités de Côte d’Ivoire,
Lou Gobou Bien-aimée GOHI………………………………………………..…….….203
TROISIÈME AXE : FORMATION ET EMPLOYABILITÉ DES ÉTUDIANTS……………………………………………………………………………….217
La dialectique de la formation et de l’emploi : l’université à l’épreuve du devenir,
Akpolê Koffi Daniel YAO…………………………………………………..…………….219
Penser la crise des universités africaines comme une crise de la langue de la formation scientifique,
Tohotanga COULIBALY………………………………………………………………….233
La philosophie de l’entrepreneuriat : une implication socio-économique de l’allégorie de la caverne chez Platon,
Bi Zaouli Sylvain ZAMBLÉ………………………………………………….………….247
Formation et employabilité des étudiants africains, quelle approche philosophique ?,
Aikpa Benjamin DIOMAND…………………………………………………………….263
La question de la réforme et la révolution dans l’université en Afrique à la lumiėre de la pensée de Paul RICŒUR,
Oi Kacou Vincent Davy KACOU……………………………………..……………….283
L’employabilité des diplômés en SHS au Mali : des dynamiques contradictoires aux origines de la crise de l’université,
Sambou DIABY……………………………………………………………….………….299
Les universités africaines : entre professionnalisation manquée des enseignements et prolifération des instituts privés d’enseignement supérieur douteux,
Théodore TEMWA……………………………………………………………….……….315
Crise de l’université camerounaise comme crise des sciences sociales : entre théorisation et professionnalisation des enseignements,
Lydie Christiane AZAB à BOTO……………………………………………………….333
De la mission nouvelle des universités africaines : pour une politique d’employabilité des jeunes,
Miesso ABALO…………………………………………………………………………….351
Formations et risques de chômage des étudiants au Gabon : quelle représentation sociale ?,
Parfait MIHINDOUBOUSSOUGOU…………………………..……………………….365
QUATRIÈME AXE : UNIVERSITÉ ET CULTURE DE L’EXCELLENCE…….383
De la promotion de l’éducation positive pour une université plus créative,
Hyacinthe Aboa ACHI…………………………………………………………..……….385
La refondation de l’université africaine comme institution méritocratique : un impératif catégorique dans la quête de l’excellence,
Franck KOUADIO……………………………………………………………..………….399
Culture organisationnelle et excellence à l’Institut Supérieur du Génie Électrique du Burkina Faso (ISGE-BF)
Marcel ZERBO……………………………………………………..……………………..419
Le finalisme aristotélicien : une invitation à l’excellence pour nos universités africaines,
Arnaud-Olivier GNAHOUA………………………………………….………………….435
De la culture de l’excellence dans l’espace universitaire africain : réflexion à partir de la pensée de Njoh-Mouelle Ébénézer,
Zolou Goman Jackie Élise DIOMANDÉ…………………………………………..…447
Une auratisation de l’environnement académique peut-elle sauver l’université de la grisaille ?,
Masséké OPONOU………………………………………………..……………….…..…463
Conditions pour un excellent enseignement à l’université,
Niali Armand-Privat PILLAH……………………………………….………………..…477
CINQUIÈME AXE : SYNDICALISME, POLITIQUE ET VIOLENCE À L’UNIVERSITÉ……………………………………………………………………………497
La fin et les moyens : conséquences de l’auto-justification de la violence politique et syndicale dans les universités ivoiriennes,
Youldé Stéphane DAHÉ…………………………………………………………………499
La démocratisation des libertés chez Marx : une propédeutique à la pacification de l’espace universitaire ivoirien,
Jean-Joel BAHI……………………………………………………………………………515
Les universités ivoiriennes à l’épreuve de la violence des syndicats estudiantins,
1. Koffi Décaird KOUADIO 2. Alice KOUAKOU…………………………………….531
Le paradigme esthético-éducatif aristotélicien et schillérien face à la problématique de la violence dans l’espace universitaire ivoirien,
Koudou François OZOUKOU…………………………………………………….……545
La FESCI, ce boulet que porte l’université ivoirienne dans un élan de servitude volontaire,
Bledé SAKALOU……………………………………………………….…………………557
Violences en milieux universitaires : déterminisme et normativité d’un phénomène pernicieux en Côte d’Ivoire,
Tiasvi Yao Raoul AGBAVON………………………………………….……………….575
Les enjeux de l’art technologique dans les crises universitaires ivoiriennes à partir de la pensée de Walter BENJAMIN,
Barthelemy Brou KOFFI……………………………………………………………….589
Violences estudiantines syndicales en Côte d’Ivoire : entre revendications légitimes et délinquance,
Kouassi Marcelin AGBRA………………………………………..…………………….605
Les relations conflictuelles entre les syndicats et l’administration gabonaise. Cas du SNEC de 1991 à 2020,
1. Lucien MANOKOU 2. Nathalie EBANETH…………………………..……………621
SIXIÈME AXE : RESPONSABILITÉS ÉTHIQUES, PÉDAGOGIQUES ET ACADÉMIQUES DES UNIVERSITAIRES………………………………………….637
Décolonisation de la pensée : exigence de qualité académique,
Mafa Georges ASSEU…………………………………………………………………….639
Du modèle anthropologique canguilheméen : une thérapie à la crise de l’université en Afrique
Florence BOTTI………………………………………………………………..………….655
Le savoir ou la politique : la mission des universitaires africains en question,
Dotsè Charles-Grégoire ALOSSE………………………………..…………………….667
L’enseignement philosophique : un modèle d’étude exégétique pour une université en crise,
Chantal PALÉ-KOUTOUAN…………………………………………………………….683
L’enseignement dialectique platonicien : un guide d’éducation pour l’excellence universitaire,
Ange Allassane KONÉ…………………………………………………..……………….699
Autodétermination des peuples et censure : la fonction de l’université selon Kant,
Amidou KONÉ…………………………………………………………………………….715
Éthique de la discussion et crise de l’université en Afrique,
Cyrille SEMDE…………………………………………………………………………….731
SEPTIÈME AXE : INFRASTRUCTURES, TICE ET INNOVATION PÉDAGOGIQUE……………………………………………………………………………..745
TICE, déconstruction ou reconstruction technoscientifique de la crise des universités en Afrique subsaharienne ?,
Kouadio Victorien EKPO………………………………….…………………………….747
Le rôle de l’insuffisance des infrastructures dans la crise universitaire au Niger,
Abdou KAILOU DJIBO…………………………………………………….…………….761
Problèmes de logements d’étudiants et crises académiques à l’université Peleforo GON COULIBALY, Korhogo,
1. Djibril KONATÉ 2. Foussata DAGNOGO…………………………………………783
HUITIÈME AXE : LIBERTÉS ET FRANCHISES UNIVERSITAIRES…797
Ontologie augustinienne et résolution des crises universitaires,
N’gouan Yah Pauline ANGORA épse ASSAMOI……………………………………799
NEUVIÈME AXE : UNIVERSITÉ ET DYNAMIQUE DES SOCIÉTÉS…811
La vocation de l’université en Afrique à la lumière du Conflit des facultés d’Emmanuel Kant,
Éric Inespéré KOFFI…………………………………………………………….……….813
De la décadence éthico-religieuse à la déconfiture institutionnelle des universités en Afrique : une analyse prospective,
Kouassi Honoré ELLA……………………………………………..…………………….829
Communication de crise et crises de fonctionnement dans les universités subsahariennes,
Faloukou DOSSO………………………………………………..……………………….847
Sociétés en crise et crise de l’université en Afrique : la culture comme recours dans la perspective de Paulin HOUNTONDJI,
Kouamé Hyacinthe KOUAKOU………………….…………………………………….863
La crise des universités africaines : le péril de l’éducation parentale,
Aya Anne-Marie KOUAKOU…………………………………………………………….879
Fondements et enjeux de la crise de l’université publique en Afrique noire : quels repères pour en sortir ?,
Bilakani TONYEME……………………………………………………………..……….895
Université et culture des valeurs morales chez les étudiants au Burkina Faso,
Bawala Léopold BADOLO………………………………………..…………………….911
Universités, enseignants-chercheurs : objectifs et implications socio-politiques en Afrique,
Cyrille MICKALA……………………………………………………..……………………927
Les universités dans le développement des sociétés africaines,
Adjoua Marie Jeanne KONAN……………………..……………………………………949
Le conservatisme platonicien, un possible remède à la crise de l’université,
Amed Karamoko SANOGO………………………………………………………………963
Crise des universités africaines comme crise de la rationalité,
Roland TECHOU………………………………………………………..…………………979
L’engagement des universitaires face aux réalités sociales chez Marcuse,
Amara SALIFOU………………………………………..……………………………..….995
Crise universitaire et défis éducationnels à partir de la pensée de Hobbes,
Amenan Madeleine Épouse Ekra KOUASSI…………..……………………………1011
Crise universitaire : impératif éthique bergsonien de libération de l’intellect,
Amani Albert NIANGUI………………………………………………….………….….1025
LIGNE ÉDITORIALE
L’univers de la recherche ne trouve sa sève nourricière que par l’existence de revues universitaires et scientifiques animées ou alimentées, en général, par les Enseignants-Chercheurs. Le Département de Philosophie de l’Université de Bouaké, conscient de l’exigence de productions scientifiques par lesquelles tout universitaire correspond et répond à l’appel de la pensée, vient corroborer cette évidence avec l’avènement de Perspectives Philosophiques. En ce sens, Perspectives Philosophiques n’est ni une revue de plus ni une revue en plus dans l’univers des revues universitaires.
Dans le vaste champ des revues en effet, il n’est pas besoin de faire remarquer que chacune d’elles, à partir de son orientation, « cultive » des aspects précis du divers phénoménal conçu comme ensemble de problèmes dont ladite revue a pour tâche essentielle de débattre. Ce faire particulier proposé en constitue la spécificité. Aussi, Perspectives Philosophiques, en son lieu de surgissement comme « autre », envisagée dans le monde en sa totalité, ne se justifie-t-elle pas par le souci d’axer la recherche sur la philosophie pour l’élargir aux sciences humaines ?
Comme le suggère son logo, perspectives philosophiques met en relief la posture du penseur ayant les mains croisées, et devant faire face à une préoccupation d’ordre géographique, historique, linguistique, littéraire, philosophique, psychologique, sociologique, etc.
Ces préoccupations si nombreuses, symbolisées par une kyrielle de ramifications s’enchevêtrant les unes les autres, montrent ostensiblement l’effectivité d’une interdisciplinarité, d’un décloisonnement des espaces du savoir, gage d’un progrès certain. Ce décloisonnement qui s’inscrit dans une dynamique infinitiste, est marqué par l’ouverture vers un horizon dégagé, clairsemé, vers une perspective comprise non seulement comme capacité du penseur à aborder, sous plusieurs angles, la complexité des questions, des préoccupations à analyser objectivement, mais aussi comme probables horizons dans la quête effrénée de la vérité qui se dit faussement au singulier parce que réellement plurielle.
Perspectives Philosophiques est une revue du Département de philosophie de l’Université de Bouaké. Revue numérique en français et en anglais, Perspectives Philosophiques est conçue comme un outil de diffusion de la production scientifique en philosophie et en sciences humaines. Cette revue universitaire à comité scientifique international, proposant études et débats philosophiques, se veut par ailleurs, lieu de recherche pour une approche transdisciplinaire, de croisements d’idées afin de favoriser le franchissement des frontières. Autrement dit, elle veut œuvrer à l’ouverture des espaces gnoséologiques et cognitifs en posant des passerelles entre différentes régionalités du savoir. C’est ainsi qu’elle met en dialogue les sciences humaines et la réflexion philosophique et entend garantir un pluralisme de points de vues. La revue publie différents articles, essais, comptes rendus de lecture, textes de référence originaux et inédits.
Le comité de rédaction
PREMIÈRE PARTIE : ALLOCUTIONS ET COMMUNICATIONS EN PLÉNIÈRE
I. ALLOCUTIONS
Allocution d’ouverture prononcée par Professeur Nicolas YÉO, Président du Comité d’organisation,
Monsieur le Président du Conseil Économique Social Environnemental et Culturel, Dr Eugène Aka Aouélé, Patron du colloque, représenté par Madame Kanaté ;
Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Prof. Adama Diawara, Président du colloque ;
Monsieur le Ministre de la Promotion de la bonne Gouvernance et de la lutte contre la Corruption, Monsieur Épiphane Zoro Bi Ballo, Parrain du colloque ;
Monsieur le Maire de la Commune de Bouaké, M. Nicolas Djibo ;
Monsieur le Président de l’Université Alassane Ouattara, Prof. Kouakou Koffi ;
Madame la Directrice du Centre Régional des Œuvres Universitaires (CROU-Bouaké), Madame Brou N’goran ;
Madame et Monsieur les Vice-Présidents de l’Université Alassane Ouattara, Prof. Kodo Michel et Prof. Théoua Pelagie Epouse N’dri ;
Monsieur le Secrétaire général, Dr Berté Siaka, Maître de Conférences ;
Monsieur le Directeur de la Scolarité de l’Université Alassane Ouattara, Prof. Soro Donissongui ;
Messieurs le Doyen de l’UFR Communication, Milieu et Société, Prof. Bamba Assouman, représenté par Monsieur le Vice-Doyen, Prof. Troh Deho Roger ;
Mesdames et Messieurs les Chefs de service ;
Messieurs les Chefs de département ;
Madame et Messieurs les experts nationaux et internationaux ;
Mesdames et Messieurs les Enseignants-Chercheurs ;
Chers collaborateurs du Personnel Administratif et Technique de l’Université Alassane Ouattara ;
Mesdames et messieurs de la presse ;
Chers étudiants ;
Mesdames et Messieurs,
Le Colloque international pluridisciplinaire qui nous réunira pendant ces trois jours est particulier. En effet, c’est l’une des rares fois où, à l’image du serpent qui se mord la queue, non pas pour s’autodétruire, mais dans le sens d’une interprétation égyptienne, pour renaître et pour se régénérer, le Département de Philosophie de l’Université Alassane Ouattara a jugé nécessaire de rompre le silence. Dans cette perspective, il nous invite à réfléchir sur la thématique : « La crise de l’Université en Afrique : diagnostic et éléments de stratégies transversales ». C’est Professeur Boa Thiémélé qui, dans la revue Lettres d’Ivoire, invitait les Africains à apprendre à jeter un regard objectif sur eux-mêmes, dans le sens de la maxime socratique du « Connais-toi, toi-même ». Il écrivait : « En refusant de jeter un regard objectif sur nous-mêmes, nous courons le risque de maintenir des pratiques avilissantes ». En organisant ce colloque, le Comité d’Organisation espère des experts et participants, des analyses objectives et des propositions précises qui permettront de rehausser l’image de l’Université en Afrique. Les résultats et recommandations seront consignés, d’abord dans un bréviaire que nous remettrons aux autorités compétentes, puis dans un ouvrage collectif qui sera publié par la Revue du Département Perspectives philosophiques.
Mesdames et messieurs, le titre de ce Colloque est évocateur. En effet, en l’écoutant attentivement, plusieurs questions légitimes peuvent tarauder les esprits : Pourquoi les universités africaines n’occupent pas de rangs honorables dans le classement des universités ? Quelle solution doit-on mettre en œuvre pour faire face à la massification galopante des étudiants dans nos structures de formations académiques ? À quoi former les étudiants : formation académique ou formation professionnelle ? Formation courte pour le Master ou formation longue pour le Doctorat ? Comment résorber le problème de la violence dans nos espaces universitaires ? En tout état de cause, le faible niveau des étudiants (eux-mêmes éprouvés par les conditions d’études difficiles), la ruine de la mysticité et de l’autorité du maître, la violence dans l’espace académique, le caractère inhomogène des politiques publiques d’une université à une autre (parfois dans le même pays), l’insuffisance des ressources allouées à la recherche, sont autant de problème auxquelles le Comité d’Organisation attend des propositions de solution.
De toute évidence, ce colloque nous permettra d’éviter l’attitude peu planificatrice d’Épiméthée, ce titan non-prévoyant, qui, comme le souligne Arnaud Sorosina, ne réfléchit qu’après coup. Epiméthée, nous rapporte la mythologie, a accepté de Zeus la main de la belle Pandore, sans réfléchir, quoique son frère Prométhée lui ait conseillé de faire attention à la supposée générosité du roi des dieux. La fin de l’histoire est peu joyeuse. Du reste, à l’aube des temps mythiques, sans aucune analyse approfondie, Epiméthée dépensa, de manière inconsidérée, toutes les qualités, aux dépens de la race humaine. Aujourd’hui, participant à ce colloque, nous voulons nous garder de reproduire ces erreurs d’Epiméthée. Nous n’avons le droit d’être coupables de manque d’anticipation et, par ricochet, de misanthropie, en faisant l’impasse sur les insuffisances de nos systèmes académiques.
Cela dit, il ne s’agit pas, pour nous, d’ouvrir ici la boîte de Pandore. L’on sait, en effet, d’Hésiode que, Pandore, la première femme humaine façonnée par Zeus, ne fut qu’un moyen de vengeance contre l’humanité. Pour atteindre cette fin, Zeus conçut la belle Pandore et lui offrit une boîte chargée de tous les maux, et lui donna l’instruction de ne jamais l’ouvrir. Cédant à la curiosité, Pandore ouvrit malheureusement la boîte, laissant les maux se répandre dans le monde, à l’exception de l’espérance. Le Colloque n’est pas le moment espéré du déclenchement des foudres de la colère envers et contre tous. Il n’est pas l’occasion toute trouvée de fustiger et de se venger contre maîtres, responsables académiques et autorités politiques. Loin s’en faut.
Au contraire, celui qui doit nous inspirer, c’est bien Prométhée, le clairvoyant. Ceux qui ont lu le Protagoras de Platon se souviennent que, par humanisme, Prométhée subtilisa le feu de la forge d’Héphaïstos qu’il mit à la disposition de l’homme. Ce seul élément dérobé aux dieux changea, du tout au tout, la place de l’homme dans la nature. Il s’agit, concrètement, pour nous, au moyen de la métis grecque, de faire un diagnostic clair et objectif de la crise de notre institution commune et de proposer des solutions de sortie de crise, afin de changer qualitativement la place de l’Université africaine et de ses animateurs.
Je ne ferai pas le colloque avant le colloque. Qu’il me soit alors permis, à ce stade de mon propos, d’adresser mon infinie reconnaissance au chef du Département, le professeur Traoré Grégoire. En effet, désigné à ce poste par l’ancien chef de Département, Professeur Fié Doh Ludovic, à qui je rends un vibrant hommage, Professeur Traoré a accepté de m’offrir l’opportunité de conduire les travaux de l’organisation de cette activité scientifique jusqu’à son terme. Je lui dois plus qu’une simple reconnaissance. Merci Professeur.
Je manquerai à un devoir si je ne salue pas l’immense travail abattu par toute l’équipe d’organisation. Que chacun des membres de ce dynamique et fraternel groupe, trouve ici l’expression de ma profonde gratitude. Aux autorités, tout protocole respecté, à nos maîtres et experts d’ici et d’ailleurs, à tous les collègues, à tous les contributeurs, aux syndicats d’enseignants et d’étudiants, à nos étudiants, en un mot, à tous les participants, je dis merci d’avoir accepté, aujourd’hui, de prendre part aux assises de cette activité scientifique. L’œuvre humaine est frappée du sceau de l’imperfection, nous en sommes bien conscients. Aussi, le comité d’organisation voudrait-il humblement s’excuser auprès de tous pour les insuffisances constatées et subies. Nous nous engageons, avec détermination, à corriger ce qui peut l’être pour une meilleure tenue de ce colloque.
Mesdames et Messieurs, nous devons la tenue effective de cet évènement scientifique aux appuis multiformes du Fonds pour la Science, la Technologie et l’Innovation (FONSTI), à la facilitation des autorités de notre institution dont le premier responsable est le Prof. Kouakou Koffi, au soutien de notre ministère de tutelle dirigé par le Professeur Adama Diawara, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, à l’accompagnement de notre Parrain, Monsieur le Ministre Epiphane Zoro Bi Ballo et, par-dessus tout, à l’appui institutionnel du Président du Conseil Economique, social, Environnemental et culturel. En attendant que des voix plus autorisées que la mienne ne viennent leur exprimer notre reconnaissance, permettez-moi de leur merci du fond du cœur.
Tel est mon dernier propos.
Je vous remercie !
Allocution d’ouverture prononcée
par le chef du Département de Philosophie, Professeur TRAORÉ Grégoire
Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ;
Monsieur le Président du Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel ;
Monsieur le Ministre de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption ;
Monsieur le Maire de la commune de Bouaké ;
Monsieur le Président de l’Université Alassane Ouattara ;
Monsieur le Doyen de l’UFR – Communication, Milieu et Société ;
Mesdames et Messieurs les Enseignants-Chercheurs ;
Mesdames et Messieurs les Directeurs et Chefs de services ;
Chers étudiants ;
Chers amis de la presse ;
Mesdames et Messieurs, Honorables invités en vos rangs, grades et qualités,
Au nom du Département de philosophie, je voudrais vous dire, au-delà de ce que je saurai exprimer, mes sincères remerciements pour votre présence effective, massive et distinguée qui montre tout l’intérêt que vous avez bien voulu accorder à ces assises qui s’ouvrent, aujourd’hui, à l’Université Alassane Ouattara. La « crise de l’Université » fait partie des problématiques des temps modernes qui exigent des solutions immédiates tant elle touche au fondement même des Institutions qui donnent sens à la dynamique sociale.
C’est peu dire que l’air du temps est à l’inquiétude. Les crises sont légion et ont la particularité d’être la plupart du temps mondiales en raison de l’interdépendance des États, mais plus encore de l’interconnexion des espaces et des écosystèmes vivants. Edward Lorenz, pouvait éloquemment dire à propos qu’un battement d’ailes d’un papillon au Brésil provoque une tornade au Texas ou que le conflit en Ukraine peut avoir des conséquences en Côte d’Ivoire. Si ce constat est révélateur d’une logique implacable qui gouverne les choses, il est surtout représentationnel de la remise en cause du fond déterministe sur lequel repose la connaissance rationnelle. Le fait est que, les crises ne sont plus extérieures au processus de socialisation si bien que l’on ne peut plus les imputer uniquement aux phénomènes naturels. Elles font même corps avec ce processus de sorte que toute action peut bien déboucher sur une crise inattendue. Nous vivons ainsi dans une époque où les crises ne viennent pas de l’extérieur troubler la quiétude de la société. De nature endogène, en général, elles sont fabriquées par la société elle-même. Nos sociétés, en effet, sont de véritables fabriques crisogènes.
Si la crise est, cependant, ce moment de rupture, de malaise, parfois un tournant périlleux qui peut aussi introduire un changement de vision, une orientation nouvelle avant que d’aboutir tout de même à une issue heureuse, une réelle démarche votive à la recherche de solutions idoines doit s’imposer. C’est donc à juste titre que l’alma mater, que dis-je, l’Université, en tant qu’Institution qui contribue à l’autoréflexion de la société, mobilise, en ce jour, ses acteurs afin qu’ils fassent l’anamnèse des maux ainsi que leurs métastases qui sapent ses propres fondements et valeurs. Mesdames et Messieurs, ces acteurs rompus à la bonne réflexion, ces philosophes de qualité et bon goût ne sont-ils pas comme pouvait le dire Émile Zola « ces actifs ouvriers qui sondent l’édifice sociale, en indique les poutres pourries, les crevasses intérieures, les pierres descellées, tous ces dégâts que l’homme lambda ne voit pas du dehors et qui pourtant peuvent entraîner la ruine du monument social entier ?
L’Université, depuis quelques décennies, est appelée à répondre à de nouveaux et grands défis en termes d’éducation, de recherche et de gouvernance liés souvent à la massification du nombre d’apprenants et à leur dissémination à travers le monde, à la mutation rapide des sociétés, à l’évolution de l’état d’esprit de la jeunesse et à l’inadaptation du système d’enseignement aux exigences modernes. Caractéristique des temps modernes, la crise de l’Université, peu importe l’espace où elle prend forme, doit nécessairement faire l’objet d’une analyse critique de la part des universitaires et particulièrement des universitaires africains, car en Afrique, elle semble prendre l’aspect d’une nébuleuse. Ce colloque vient donc à propos pour faire un état des lieux des crises répétées qui secouent nos sociétés, qui ralentissent leur développement. Ce colloque a pour ambition de mettre en évidence les défis et trouver les solutions susceptibles de conduire les États sur la voie d’une gestion durable, dynamique et responsable des Universités africaines. Il proposera, je l’espère pour ma part, une réflexion constructive sur de nouvelles perspectives heuristiques de qualité universitaire ; sur l’implication de nos Universités africaines dans la construction à court, moyen et long terme de nos Institutions gouvernantes et dirigeantes.
Mesdames et Messieurs, la centralité thématique de ce colloque qui nous réunit, porte au total sur « La crise de l’Université en Afrique ». Nous sommes tous, panélistes et partenaires extérieurs, appelés à trouver à partir de ce colloque des solutions pour sauver la situation de léthargie inquiétante de l’Université source de crises qu’elle traverse dans les pays africains. Poser un diagnostic sur la situation de l’Université en Afrique impose de pouvoir déceler les maux qui la rongent, mais surtout de situer les responsabilités. Un tel acte est d’une grande portée puisque l’Université, en tant que cadre d’élaboration et de partage des connaissances, est également le lieu de préparation de la société de demain. En envisageant la recherche de solutions sous l’angle de la transversalité ou du moins de l’interdisciplinarité, nous pensons que cet acte est solidaire d’une vision globale caractérisée par l’implication mutuelle des œuvres que l’on peut qualifier de l’esprit d’avec celles de la société. Une telle globalité est déjà à l’œuvre dans le réinvestissement social des recherches et réflexions issues des Universités, de sorte que l’on arrive à la logique suivante : l’évolution des sociétés impacte la marche de l’Université et la marche de l’Université impacte la société. En d’autres termes, la crise de l’Université a des impacts sur la société et les crises sociales ont des répercussions sur l’Université. Par conséquent, penser la crise de l’Université revient à panser la société. Je suis donc convaincu que nous aurons des résultats satisfaisants au regard de la qualité des différents contributeurs qui ont bien voulu apporter leurs idées pour panser la crise de l’Université en Afrique.
Je voudrais très chaleureusement, en ma qualité de Directeur de Département, d’une part, en tant que coordonnateur général des activités de ce colloque, d’autre part, exprimer ma gratitude à nos invités de marque ainsi qu’à toutes les personnes qui ont effectué le déplacement. Je voudrais aussi remercier avec encore beaucoup d’enthousiasme et de chaleur le Président du Comité d’Organisation (PCO) de ce rassemblement scientifique pour avoir œuvré généreusement et efficacement au bénéfice de cet évènement, ô combien utile à nos Institutions, à toutes les Universités africaines ainsi qu’à nos décideurs socio-politiques africains. Nos remerciements vont aussi à tous nos partenaires, à tous nos collègues, nos maîtres, venus ici pour échanger sur un sujet aussi important.
Je vous remercie et souhaite, à tous, un très bon séjour scientifique.
Allocution d’ouverture prononcée par
le représentant du Professeur BAMBA Assouman,
Directeur de l’UFR – CMS
Madame la représentante de Monsieur le Président du Conseil Economique, Social, Environnement et culturel, Haut patron de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Ministre de la Promotion de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, parrain de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Préfet de la région de Gbêkê ;
Madame la représentante de Madame le Député ;
Madame la représentante de Monsieur le Maire de la Commune de Bouaké ;
Mesdames, Messieurs les Présidents d’Université ;
Mesdames, Messieurs les Directeurs et chefs de service ;
Monsieur le Chef du Département de Philosophie ;
Mesdames, Messieurs les communicants et panélistes ;
Mesdames Messieurs Enseignants-Chercheurs et Chercheurs ;
Mesdames, Messieurs les membres du Personnel Administratif et Technique ;
Mesdames, Messieurs, étudiantes et étudiants ;
Mesdames, Messieurs, amis de la presse ;
Honorables invités ;
En vos rangs, grades et qualités tout protocole respecté ;
Mesdames, Messieurs,
Le Doyen de l’UFR Communication, Milieu et Société, Professeur BAMBA Assouman, lui-même enseignant-chercheur au département de philosophie, aurait voulu être des nôtres, à l’entame de ce colloque. Mais en mission à Abidjan, il nous rejoindra avant la fin des travaux. Etant donné qu’il m’a chargé de m’adresser à vous, en son nom, il se fait présent, autrement, car, en réalité, « celui qui parle est sans absence ». En sa qualité de premier responsable de l’UFR dont les locaux abritent le présent colloque, il voudrait, avant toute chose, féliciter le Département de Philosophie avec, à sa tête, Professeur TRAORE Grégoire, pour avoir pris l’initiative d’organiser un colloque sur l’Université et dire sa joie d’accueillir l’évènement.
Vous l’aurez sans doute compris, il n’y a pas d’Université, d’UFR, de Département et, partant, d’enseignants-chercheurs dignes de ces noms sans activités de recherche de l’envergure des colloques et autres rencontres de ce type. Les autorités de l’Université Alassane Ouattara, en général, et celles de l’UFR, en particulier, se réjouissent donc de la tenue du présent Colloque international et pluridisciplinaire qui interroge la « crise de l’Université en Afrique ». L’UFR Communication, Milieu et Société est d’autant plus heureuse qu’organiser un colloque sur « la crise de l’université » qui se nourrit souvent de « crises à l’université », relève du courage.
L’Université est, selon une périphrase bien connue, « le temple du savoir ». Elle est donc destinée à penser le monde, non pas de façon hédonique, mais aux fins d’en panser les lésions et autres meurtrissures. C’est au nom de cette mission de l’Université que les différents spécialistes qui l’animent, chacun suivant sa science, tentent d’apporter leur part de solution aux nombreux défis qui assaillent notre monde d’aujourd’hui et qui, entre autres, ont pour noms : réchauffement climatique, terrorisme, crise économique, immigration clandestine, développement durable, pression foncière, conflits intercommunautaires, chômage, etc.
Ce faisant, l’Université, en général, et les universités africaines, en particulier, sont dans leur rôle dans le sens où les nombreux colloques que nous avons vu passer ici, à l’Université Alassane Ouattara et ailleurs nous semblaient relever de l’évidence, à tout le moins, des préoccupations habituelles des universitaires. Le courage des organisateurs du présent colloque est d’autant plus réel qu’il s’agit, cette fois-ci, pour les penseurs du monde, de se faire objet de leurs propres discours, de diagnostiquer leurs propres maux et d’en proposer les remèdes. J’ai lu ceci dans l’argumentaire du colloque : « Malgré les réformes institutionnelles entreprises par le politique, malgré les études d’institutions techniques et autres experts, la crise de l’Université africaine persiste. D’où la nécessité de repenser, à nouveaux frais, cette crise. Tel est l’objet de ce colloque sur la crise de l’Université africaine. »
S’il est conseillé au chercheur de se tenir à distance de son objet d’étude pour le cerner, avec plus d’objectivité, un Colloque sur l’Université par des universitaires peut être objet de suspicion légitime. À l’image d’un blessé qui soigne ses propres blessures, les contributeurs pourraient s’appliquer les remèdes avec une telle délicatesse que leur guérison en pourrait être différée. Mais conscients de ce que pareille attitude pourrait mettre en péril la survie du penseur et celle de la pensée elle-même, les universitaires venus d’horizon divers, c’est-à-dire aussi bien des universités ivoiriennes que des universités du Niger, du Burkina Faso, du Congo Brazzaville, du Mali, du Bénin, du Cameroun, du Tchad, de la Belgique vont, nous en sommes convaincu, dire la science, poser le vrai diagnostic et proposer des « éléments de stratégies transversales » pour que les universités africaines puissent pleinement impulser le développement.
Les enjeux de ce Colloque sont aussi les nôtres en tant qu’UFR, mais aussi et surtout en tant qu’université. En effet, notre Université, l’Université Alassane Ouattara, qui entend porter et habiter son nom, met progressivement en place les outils nécessaires pour son positionnement dans le concert des universités. Le Plan d’Orientation Stratégique, la Cellule qualité, le Manuel de procédure sont, entre autres, des marches de l’échelle qui nous conduira, assurément, au sommet.
Avant de me réduire au silence, je voudrais dire aux organisateurs du présent colloque que leur belle initiative sonne, pour eux, comme un défi. On entend souvent dire, plus à tort qu’à raison, que nos recherches ne servent à rien, qu’elles tournent en circuit fermé entre nous, sans réel impact sur la société qui pensait pourtant que l’Université était son laboratoire à solution. Mais ce Colloque à ceci de particulier, comme je l’ai mentionné plus haut, que l’Université se pense elle-même, par elle-même et pour elle-même. Autrement dit, on ne comprendrait pas que les « stratégies transversales » proposées par les contributeurs ne soient pas appliquées par nous et pour nous, les universitaires. Le rapport dit « de synthèse » du présent Colloque et les Actes qui suivront seront, c’est notre souhait, aussi bien pour les acteurs que pour les décideurs, des documents précieux à consulter et à exploiter.
Je vous remercie !
Allocution d’ouverture prononcée par Madame TEHOUA Pélagie, Vice-présidente de l’Université Alassane OUATTARA, Représentant Monsieur Kouakou KOFFI, Professeur des Universités, Président de l’Université Alassane OUATTARA
Madame la représentante de Monsieur le Président du Conseil Economique, Social, Environnemental et culturel, Haut patron de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Ministre de la promotion de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, parrain de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Préfet de la région de Gbèkè ;
Madame la représentante de madame le Député ;
Madame la représentante de Monsieur le Maire de la Commune de Bouaké ;
Mesdames et Messieurs les Directeurs et chefs de service ;
Monsieur le Chef du département de philosophie ;
Madame, Monsieur les communicants et panélistes ;
Mesdames et Messieurs les Enseignants-chercheurs et Chercheurs ;
Mesdames et Messieurs les membres du Personnel administratif et technique ;
Mesdames et Messieurs étudiantes et étudiants ;
Mesdames et Messieurs de la presse ;
Honorables invités ;
En vos rangs, grades et qualités tout protocole respecté ;
Mesdames et messieurs,
J’ai l’insigne honneur de prendre la parole au nom du Président de l’UAO, le professeur Koffi KOUAKOU, pour vous souhaiter la cordiale bienvenue dans notre université, dans le cadre de ce rendez-vous intellectuel organisé par le département de philosophie de l’UFR/CMS de l’UAO.
Madame la représentante de Monsieur le Président du Conseil Economique, Social, Environnemental et culturel, haut patron de cette cérémonie, toujours au nom du président de l’UAO, j’exprime toute la reconnaissance de notre communauté universitaire pour l’honneur que nous fait, à travers vous, Monsieur le Président du Conseil Economique, Social, Environnemental et culturel, de rehausser l’image de ce rendez-vous scientifique. Votre présence remarquable et remarquée témoigne de l’accompagnement sans faille de nos autorités à la communauté universitaire.
C’est le lieu pour moi de vous exprimer, Madame, Madame et Monsieur les représentants du Préfet de région, du maire de la commune de Bouaké, honorables invités, les profonds regrets du Président de l’UAO qui n’a pas pu être présent, étant en déplacement.
Je puis néanmoins vous assurer de sa déférence à votre égard et de l’intérêt qu’il porte à cette importante rencontre scientifique.
Honorables invités, mettre en place un enseignement supérieur de qualité a toujours été, depuis les indépendances, au cœur des préoccupations du Gouvernement ivoirien.
La Côte d’Ivoire bénéficie en cela d’un système d’enseignement supérieur en perpétuelle mutation et croissance. Grâce aux efforts constants du Gouvernement, l’écosystème de l’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire s’est enrichi de plusieurs plans interministériels de développement ayant conduit, entre autres, à l’élaboration d’une Politique nationale de l’enseignement supérieur, à la création de plusieurs universités, à la rénovation et l’équipement des universités existantes, nonobstant la décennie de crise ayant fragilisé les universités et le système d’enseignement supérieur. L’institutionnalisation des contrats d’objectifs pour améliorer le fonctionnement de nos universités prend de plus en plus forme. Notre pays fait également partie de ceux qui, dans la sous-région, investissent le plus dans le secteur Éducation/Formation.
C’est donc le lieu de saluer tous les efforts du gouvernement avec à sa tête SEM le Président de la République, pour rendre nos universités compétitives et innovantes.
Cet élan de satisfaction n’empêche pas, cependant, la réalité des difficultés, des pressions, des tensions de toutes sortes, des grèves, constituant à la fois les manifestations de dysfonctionnements et des menaces permanentes à l’instauration d’un système d’enseignement supérieur de qualité.
Remobiliser les forces vives de l’enseignement supérieur, maintenir dans la pérennité le dialogue social en recentrant, avec réalisme, tous les acteurs sur les enjeux collectifs, avec un objectif d’efficacité collective, faire des espaces universitaires des espaces pacifiés offrant des formations en adéquation avec les offres d’emploi, tels demeurent quelques défis à relever.
Un regard vers les universités sœurs dans d’autres États africains, notamment ceux du système CAMES, permet de se rendre compte que nous partageons presque les mêmes difficultés et défis.
Point donc besoin de souligner l’intérêt du présent colloque initié par le département de philosophie avec pour thème : « La crise de l’Université en Afrique : diagnostic et éléments de stratégies transversales ».
Certainement oui, il y a des thématiques qui sont importantes à plus d’un titre parce qu’elles touchent l’essence de notre vécu, et la manière dont nous les traitons conditionnent notre présent et notre devenir. Je pense que celle autour de laquelle nous réunit le département de philosophie en fait partie. Elle nous invite, en effet, dans une démarche participative, à faire sans complexe un état des lieux de la situation dans nos universités, ayant vocation à former les élites de demain, et de proposer des pistes de solutions.
C’est pourquoi, votre présence, Madame la Vice-présidente du Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel, Président de cette illustre institution assurant la représentation des principales activités économiques et sociales et contribuant à l’élaboration de la politique économique et sociale de notre pays. Votre présence nous honore autant qu’elle nous rassure que les conclusions de ce colloque seront portées au plus haut niveau de l’État. Nous vous en remercions.
Monsieur le représentant de Monsieur le Ministre de la promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, l’UAO vous remercier d’avoir associé votre image à ce rendez-vous scientifique. Votre présence est une confirmation de l’engagement du Gouvernement, portée de manière spécifique par monsieur le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique qui préside cette cérémonie, de hisser notre système d’enseignement supérieure aux hauteurs de l’excellence.
Nous nous réjouissons également d’avoir, avec nous, nos autorités politiques et administratives locales, Monsieur le préfet région, Monsieur le maire, nous ne vous remercierons jamais assez pour votre appui constant aux activités scientifiques de l’UAO.
À vous, chers Professeurs, Enseignants-chercheurs et Chercheurs, chers communicants et participants, venus de l’extérieur du pays ou des autres contrées ivoiriennes, l’UAO vous remercie de vos inestimables contributions tant attendues.
Tous, le Président de l’UAO me charge de vous dire que vous êtes chez vous à l’UAO. Il est d’autant plus réjoui de votre présence que vos communications et travaux viendront non seulement enrichir le grenier de connaissance de notre communauté universitaire, mais plus encore ils permettront aussi de présenter à nos gouvernements respectifs des réflexions qui pourront servir de référence à la prise de décisions.
À présent, qu’il me soit permis de féliciter les organisateurs (le département de philosophie) pour cette belle initiative, de saluer la mobilisation de nos étudiantes et étudiants venus marquer leur intérêt à la présente rencontre.
Sur ces mots, au nom du Président de l’UAO, je souhaite à toutes et à tous un très bon colloque.
Je vous remercie !
Allocution d’ouverture de Madame la représentante de Monsieur DJIBO Youssouf Nicolas, Maire de Bouaké
Madame la représentante de Monsieur le Président du Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel, Haut patron de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Ministre de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, Parrain de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Préfet de la région de Gbèkè ;
Madame la représentante de Madame la Députée de Bouaké ;
Messieurs les Présidents Honoraires d’universités ;
Madame et Messieurs les Présidents d’universités ;
Messieurs les Directeurs et Chefs de service ;
Monsieur le Chef du Département de philosophie ;
Mesdames, Messieurs les communicants et panélistes ;
Mesdames, Messieurs les Enseignants-Chercheurs et Chercheurs ;
Mesdames, Messieurs les membres du Personnel administratif et technique ;
Mesdames, Messieurs les Étudiantes et Étudiants ;
Mesdames, Messieurs les amis de la presse ;
Honorables invités ;
En vos rangs, grades et qualités, tout protocole respecté ;
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais, à cette entame de mon propos, vous traduire ma joie d’être encore aujourd’hui à l’université Alassane Ouattara, lieu d’où l’on ressort toujours enrichi.
À tout un chacun, je voudrais transmettre les chaleureuses salutations du Maire DJIBO Youssouf Nicolas et, par ricochet, souhaiter la cordiale bienvenue à tous les éminents Enseignants-Chercheurs et Chercheurs des pays amis et frères qui ont effectué le déplacement à Bouaké à l’occasion de ce colloque international pluridisciplinaire. Quoi de plus normal que la ville du brassage ethnique et culturel par excellence dont la devise est : « De nombreux peuples, une cité », abrite un colloque international pluridisciplinaire ? Nous sommes très heureux de vous recevoir chers frères et sœurs. AKWABA, Bienvenue à tous !
N’hésitez surtout pas de profiter de notre gastronomie à la fois délicieuse et variée ainsi que de nos sites de loisirs paradisiaques naissants, en marge de ce banquet scientifique.
« Quand l’on ramasse les fruits du grand arbre par terre, il faut remercier le vent qui en est la cause », dit une sagesse de chez nous. Je voudrais donc, au nom du Maire DJIBO Youssouf Nicolas, saluer les organisateurs de ce colloque international pluridisciplinaire, notamment, le Département de philosophie de l’Université Alassane Ouattara, ainsi que toutes les personnes de bonnes volontés qui y ont contribué.
Nous sommes convaincus que la mise en pièces du thème de ce colloque, « La crise de l’université en Afrique : diagnostic et éléments de stratégies transversales », fournira des résultats probants afin de contribuer au mieux-être des Universités africaines, en général, et de celle de Bouaké, en particulier.
C’est sur cette note d’espérance que je voudrais clore mon propos, tout en souhaitant un excellent colloque à l’ensemble des participants.
Je vous remercie de votre aimable écoute !
Allocution d’ouverture prononcée par Monsieur BOTI Bi Zoua, représentant Monsieur ZORO Bi Ballo Épiphane, Ministre de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, Parrain de la cérémonie
Madame la représentante de Monsieur le Président du Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel, Haut patron de la cérémonie ;
Monsieur le représentant de Monsieur le Préfet de la région de Gbèkè ;
Madame la représentante du Maire de Bouaké ;
Madame la représentante de Madame la Député de Bouaké ;
Messieurs les Présidents Honoraires d’universités ;
Madame et Messieurs les Présidents d’universités ;
Messieurs les Directeurs et Chefs de service ;
Monsieur le Chef du Département de philosophie ;
Mesdames, Messieurs les communicants et panélistes ;
Mesdames, Messieurs les Enseignants-Chercheurs et Chercheurs ;
Mesdames, Messieurs les membres du Personnel administratif et technique ;
Mesdames, Messieurs les Étudiantes et Étudiants ;
Mesdames, Messieurs les amis de la presse ;
Honorables invités ;
En vos rangs, grades et qualités, tout protocole respecté ;
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais, avant toute chose, vous demander de bien vouloir excuser Monsieur le Parrain, le Ministre ZORO Bi Ballo Épiphane qui n’a pu effectuer le déplacement jusqu’à Bouaké pour des contraintes majeures. Il m’a chargé de le représenter à ce forum scientifique.
Je voudrais vous exprimer ma joie de parrainer cette activité hautement scientifique qui réunit aussi bien des hommes du monde scientifique africain que ceux de l’international. Cela démontre qu’il y a, et qu’il y aura toujours des personnes dignes qui œuvrent pour le développement des sciences de façon générale et en particulier par celles dites sociales ou humaines pour le développement de notre continent.
Ce colloque, qui a pour thème « La crise de l’université en Afrique : diagnostic et éléments de stratégies transversales », interpelle le monde entier à plus d’un titre. Cette thématique est l’une des préoccupations les plus mouvantes à l’échelle mondiale. Nous en attentons, à l’issue de ce colloque, les Actes et, soyez rassurés qu’il en sera fait bon usage.
Je tiens à féliciter les organisateurs de ce colloque qui arrive à point nommé dans une ère où l’on constate de nombreux dérapages dans nos structures universitaires. Encore une fois, félicitations à nos hommes qui croient en la science ! Félicitations pour votre courage à dénoncer ces insuffisances ! Félicitations à l’ensemble des étudiants ici présents !
Si vous êtes là, nous pensons que c’est pour une bonne cause, car l’ambition première de l’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire, c’est de contribuer au développement de notre chère patrie. C’est pour cela que j’invite tous les étudiants de l’Université qui porte le nom de notre Président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, à être des « modèles » afin que leur formation intellectuelle puisse véritablement leur offrir de grandes portes de sortie, et que l’excellence, à l’image de notre Président de la République, se retrouve, ici, à l’UAO.
Suivant la dénomination du département ministériel de Monsieur le Parrain, à savoir le Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, je vous rassure, au nom de Monsieur le Ministre, que les jeunes étudiants ivoiriens ont de l’avenir et cela ne peut se concrétiser qu’en apprenant dans un esprit harmonieux et solidaire les uns des autres. Sachez, ici et maintenant, chers étudiants que le gouvernement de Côte d’Ivoire travaille pour qu’à partir de vos acquis, le rêve de l’émergence soit une réalité.
Avant de terminer, j’adresse les remerciements du Ministre à toutes les bonnes volontés qui ont apporté leurs aides pour l’organisation de ce colloque, notamment ;
- Le Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel, représenté par la première Vice-présidente Mme KANATÉ
- Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
- La Présidence de l’Université Alassane Ouattara
- Le FONSTI et tous les autres partenaires.
Tout en vous remerciant pour votre présence et votre implication dans les différentes activités académiques, je tiens à vous encourager pour que règne un véritable climat de paix et d’entente sur nos campus universitaires.
Vive l’Enseignement supérieur ivoirien pour que vive le savoir en Côte d’Ivoire.
Je vous remercie !
Allocution d’ouverture prononcée par Madame KANATÉ, représentant Dr Eugène AKA AOUÉLÉ, Président du Conseil économique, social, environnemental et culturel (CESEC)
Avant tout propos, je voudrais souligner que le Président du Conseil économique, social, environnemental et culturel, aurait bien voulu marquer de sa présence, la cérémonie d’ouverture de ce Colloque international, auquel il accorde un grand intérêt. Pour des contraintes majeures, il m’a chargé d’un message, que je m’en vais, maintenant, vous délivrer.
Mesdames et messieurs, c’est un agréable plaisir, pour moi, de prendre part à la cérémonie d’ouverture de ce Colloque international organisé, ici, à Bouaké, par le Département de Philosophie de l’Université Alassane Ouattara. Je me réjouis d’être dans cette coquette cité : Bouaké, ville chargée de symboles dont l’un des plus remarquables est le stade de la paix, qui vient d’être majestueusement réhabilité.
Un autre symbole, et non des moindres, est cette illustre institution qui m’accueille et dont le nom à lui tout seul, est assez évocateur : je veux parler de l’Université Alassane Ouattara, ce haut lieu académique dont le dynamisme, à l’instar de l’auguste personnalité dont il porte le nom, n’est plus à démontrer.
C’est au compte de ce dynamisme qu’il y a lieu de mettre l’organisation du présent colloque qui rassemble, ce jour, de hautes expertises venues de partout. Je voudrais saluer toutes les éminentes et distinguées personnalités politiques, administratives et universitaires qui ont bien voulu prendre part à cette rencontre.
Je salue les responsables du Département de Philosophie, pour la part qu’ils ont décidé de prendre dans la réflexion sur les crises qui secouent le monde universitaire et les solutions qui sont susceptibles d’être apportées, à l’effet de les juguler.
Cela dit, peut-on dire que ce colloque est de trop ? Cette question nous semble mal à propos, car considérée d’un point de vue formel et in abstracto, il n’y a jamais un colloque de trop pour les universitaires, pour qui, les colloques devraient être ce que le sang est à l’organisme.
Par ailleurs, en considérant la question d’un point de vue matériel, in concreto, ce colloque dont le thème est : « La crise de l’Université en Afrique : Diagnostic et éléments de stratégies transversales », nous semble de la plus haute importance et de la plus haute pertinence. Mais en quel sens ?
Cette rencontre nous semble de la plus haute importance, dans la mesure où l’enseignement supérieur, à travers l’institution universitaire qui l’incarne, est conçu pour être au service du développement des États et des sociétés. En effet, l’université, tel un miroir, place les États en interface direct avec leurs avenirs, par leurs capacités à assurer à leurs jeunesses, une formation adéquate, leur permettant de se hisser à la pointe de l’innovation techno-scientifique et, ainsi faire face aux défis d’un environnement globalisé et rudement concurrentiel.
Mesdames et messieurs, ainsi que vous pouvez le constater, la bonne santé de l’enseignement supérieur et, partant, de l’Université, apparait comme un indicateur de performance, comme le baromètre qui permet de suivre, en temps réel, les aspirations légitimes au développement, de nos États.
De toute évidence, les persistants soubresauts et les dysfonctionnements, enregistrés durant ces dernières décennies au sein de nos différentes universités du continent africain, semblent véhiculer un message sans ambages, à savoir que l’Université ne va pas bien.
Prendre conscience de cet état de fait et mener des réflexions sur la crise de l’Université en Afrique, nous paraît indiqué. Le thème, donc, qui nous réunit ce matin, par le rôle capital que l’institution universitaire est appelé à jouer dans les États africains, parait de la plus haute importance.
Aussi, est-ce volontiers, que j’ai accepté d’accorder mon patronage à ces assises, qui, comme on pourrait s’en douter, ont tout d’une catharsis impliquant un processus salutaire de remontée de la pente et de la restauration de l’Université.
Mesdames et messieurs, face à ce qui passe pour être un véritable problème de société, c’est ensemble, dans une synergie d’actions impliquant toutes les parties prenantes, allant des pouvoirs publics aux différentes composantes de nos sociétés civiles sur le continent, que nous parviendrons à relever ce défi.
C’est pourquoi, je voudrais saluer la clairvoyance et la justesse de vue des organisateurs de ces assises. L’adage ne dit-il pas qu’un mal diagnostiqué est à moitié soulagé ? Je ne doute pas, un seul instant, que les différentes contributions visant à cerner et à circonscrire le Colloque, fruits de réflexions affutées à la hauteur des enjeux, produiront les résultats escomptés. Les résultats de vos travaux sont donc attendus pour une meilleure performance de l’Université en Afrique. C’est sur ces mots que je voudrais clore mon propos et déclarer, ouvert, le Colloque international sur la crise de l’Université en Afrique.
Tel est le message que m’a demandé de vous transmettre, monsieur le Président du Conseil économique, social, environnemental et culturel, Dr Eugène AKA AOUÉLÉ.
Je vous remercie !
Allocution de clôture prononcée par
Monsieur Lazare POAMÉ, Professeur des Universités,
Président honoraire de l’Université Alassane Ouattara
Honorables invités,
Chers collègues Enseignants-chercheurs,
Mesdames et Messieurs,
Ce colloque a été l’occasion de faire entendre de façon polyphonique et symphonique les voix des universitaires, préoccupés à la fois par le devenir des universités, par les transformations du savoir lui-même et le poids de la parole universitaire, alliage du scientifique et du déontologique, du logos et de l’éthos.
L’évocation de la parole universitaire, au terme de ce colloque initié par des philosophes, est l’occasion de rappeler la spécificité du dire philosophant, caractérisé par l’esprit critique qu’il faut s’empresser de distinguer de l’esprit de critique, réputé pour son étroitesse déconcertante. L’esprit critique, en portant la marque de l’autocritique, de l’autoréflexion et de la co-construction quasi-socratique, est l’un des phares secourables nécessaires pour diagnostiquer et surmonter rationnellement la crise de l’université. C’est cet esprit qui a fécondé, entre autres, la crisologie d’Edgar Morin dont on retiendra, pour le sujet qui nous réunit, la méthode d’observation critique et quasi clinique doublée d’une déontologie.
Cette rencontre scientifique a le mérite d’avoir amené les uns et les autres à échapper aux condamnations de leur conscience en adoptant une posture humaniste en direction de notre maison commune, l’université dans laquelle nous sommes appelés à passer la majeure partie de notre existence.
Penser à l’université en pensant l’université, c’est lui appliquer le pansement ontique et ontologique produit par les catégories héritées de la pensée pensante à l’effet d’assurer sa survie dans un monde enclin à la condamner à la simple survivance.
En effet, l’université doit vivre et non s’accommoder d’une morne survivance. Elle doit vivre conformément à son essence et à ses nécessaires transformations existentielles qu’impose la mondialisation et que l’humanité, plus spécifiquement l’Afrique, ne parvient pas à colliger adéquatement.
La crise des universités africaines, selon notre perception, est la manifestation d’une colligation ratée de l’essence de l’université et des besoins existentiels qui trouvent leur apothéose dans le socio-économiquement désiré et le scientifiquement performant.
L’essence de l’université peut être cherchée dans le principe de raison auquel nul ne peut se soustraire, dans le savoir qui récuse sans excuse ni accusation, dans le savoir savant et l’ignorance savante de Socrate. L’université comme lieu de production de ce type de savoir n’est donc pas à confondre avec un établissement postsecondaire.
La pensée de la crise de l’université doit donc, avant tout, s’enraciner dans l’essence de celle-ci sans donner dans un essentialisme obtus.
Mais cette crise ne peut être surmontée sans une conscience généralisée de l’excellence tridimensionnelle qu’il faut considérer comme une totalité insécable :
- L’excellence académique qui repose sur la qualité de la formation et de la recherche ainsi que la qualité des infrastructures universitaires à caractère scientifique et social ;
- L’excellence irénologique qui doit permettre de congédier scientifiquement, au sens large de Wissenschaft, le pathos activiste au profit de la recherche coopérative de l’idéal pacifiste et pacificateur de l’espace universitaire ;
- L’excellence managériale qui implique :
- une gestion rationnelle des ressources financières et des ressources humaines de l’université ;
- une maximisation graduelle des ressources propres par la valorisation des expertises des Enseignants-chercheurs et chercheurs, gage d’une véritable autonomisation de l’université ;
- une collaboration exemplaire entre l’administration et les groupes légalement constitués ;
- une anticipation rationnelle sur le devenir des futurs diplômés.
En s’engageant résolument dans la voie de cette triple excellence, les universités en Afrique gagneront le double pari des meilleurs classements dans les rankings internationaux et de la meilleure visibilité dans les stratégies d’implémentation du développement durable.
Chers collègues, par vos voix, cette voie de l’excellence tridimensionnelle a été magistralement explorée et c’est pourquoi, le Pr Abou KARAMOKO ici présent et moi-même, qui avons tenu pendant plusieurs années les rênes d’une université, nous vous en félicitons.
C’est le lieu pour nous d’adresser des remerciements très sincères à tous les collègues qui ont effectué le déplacement à Bouaké, depuis les grandes régions du continent africain et les grandes villes de la Côte d’Ivoire pour prendre part à ce colloque. Nous pensons aux Professeurs Stève Gaston BOBONGAUD, Célestin Kalombo MBUYU, Ignace BIAKA, Ramsès Thiémélé BOA et à la Présidente de l’université de Daloa, Madame le Professeur Abiba TIDOU SANOGO Épse KONÉ, représentée ici par le Professeur Issiaka KONÉ, Doyen de l’UFR des Sciences sociales et humaines.
Nous remercions tout particulièrement le Ministre Nicoué BROOHM, Professeur titulaire de Philosophie à l’université de Lomé, le Professeur Mahamadé SAVADOGO, anciennement Président du CTS LSH du CAMES, qui ont toujours su se libérer pour notre Institution à l’occasion des séminaires doctoraux, des soutenances de Thèse et cela, depuis plus d’une dizaine d’années.
Comment ne pas remercier également les autorités administratives et académiques de l’Université Alassane Ouattara qui se sont véritablement impliquées dans l’organisation de ce colloque ? Nous pensons au Président Koffi KOUAKOU, au Doyen de l’UFR CMS, le Pr Assouma BAMBA, au Vice-Doyen chargé de la pédagogie, le Pr Tro DEHO, au Chef du Département de Philosophie, le Professeur Grégoire TRAORÉ qui tient entre ses mains le flambeau hérité du Professeur Ludovic Fié DOH, un flambeau dont la flamme originelle est liée à un nom : Ignace Ayénon YAPI, Premier chef du département de Philosophie de l’université de Bouaké.
Nous n’oublions pas le Comité d’organisation, avec à sa tête, le Professeur Kolotioloma Nicolas YÉO que nous tenons à féliciter très chaleureusement pour son expertise organisationnelle.
Somme toute, ma conviction, aujourd’hui, est que le plus grand défi que doivent relever les universités en Afrique pourrait se traduire par l’appropriation mentale de la culture de l’universellement souhaitable que nous inspire la maxime d’Emmanuel Kant : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ».
Je vous remercie
RAPPORT DE SYNTHÈSE
Les 9, 10 et 11 juin 2022 s’est déroulé, à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, un Colloque International Pluridisciplinaire portant sur la thématique: La crise de l’Université en Afrique : diagnostic et éléments de stratégies transversales. Ce forum scientifique a réuni les universitaires, venus de tous les horizons, autour de 09 axes de réflexion animés par 126 panélistes.
Au titre de la Gouvernance et du financement des universités, les communications ont toutes révélé que l’enseignement supérieur est et demeure le moteur de la recherche scientifique, voire du développement des États. Cependant, ce secteur du système éducatif est confronté à un véritable problème de gouvernance dû non seulement au manque d’infrastructures, mais aussi au faible financement des structures de recherche par l’État dont le rôle régalien n’est pas toujours exercé comme il faut. L’analyse-diagnostic de cette contre-performance des universités africaines en déconstruction nécessite, de la part des gouvernants, des reformes institutionnelles et académiques en matière de « gouvernance managériale et d’assurance qualité ». Ce mode de gouvernance, gage d’une véritable autonomisation des universités, tient à l’environnement économique mondial qui recommande une gestion rationnelle, plus transparente, efficace et collégiale des universités. À ce niveau, les panélistes ont défendu l’idée que les responsables administratifs des universités soient issus des élections étant entendu que les nominations posent trop souvent le problème de l’efficacité dans la gouvernance de ces structures.
Aussi, a-t-il été proposé que le financement des universités s’opère par la possibilité donnée à ces institutions académiques, de faire valoir leur leadership, en concluant des accords de partenariat avec des entreprises privées dont les expertises et les compétences sont avérées dans le domaine de la recherche technologique, informatique. Dans cette optique, la valorisation des expertises ou résultats de la recherche (création de brevets, inventions) des Enseignants-chercheurs pourraient permettre une maximisation graduelle des ressources financières allouées aux universités. Faire de la recherche une source d’économie, un moteur de création d’entreprises pour l’émergence des champions nationaux, est cette nouvelle vision qui devrait désormais animée les gouvernants en vue de rendre nos universités plus compétitives à l’échelle mondiale.
Au titre de l’université et des questions du genre, les communications se sont cristallisées autour de la nécessité d’une déconstruction des stéréotypes féminins dans l’espace universitaire où les étudiantes, en état de vulnérabilité, sont, la plupart du temps, victimes de toute sorte d’abus, de violences (harcèlement, intimidations). Au sujet des stéréotypes, les communications ont montré que l’idée de la masculinité du métier d’enseignant-chercheur ou chercheur, l’incapacité ressentie par les femmes à s’imposer dans le troisième cycle ainsi que les inégalités homme/femme en termes de carrière universitaire, persistent, et ce, malgré tous les efforts engagés par les décideurs politiques et les organisations non gouvernementales qui militent en faveur des droits de l’homme et de la femme. Les conséquences de cette vision réductrice de la condition féminine se traduisent en termes de manque de confiance, de sous-estimation de soi, autant d’écueils qui entravent non seulement la progression des étudiantes au grand dam des familles enclines au désespoir, mais aussi enlaidissent l’image de l’institution universitaire.
Pour ce faire, les universitaires encouragent les États à faire de l’égalité des chances, l’un des Objectifs de Développement Durable à atteindre en 2030, une arme contre les discriminations basées sur le genre et lutter contre la précarité féminine.
Au titre de la formation et de l’employabilité des étudiants, les communicateurs ont cherché à savoir si nos universités sont à même d’offrir de nouvelles opportunités, des perspectives heureuses aux étudiants ou si celles-ci, calquées sur les modèles d’héritages coloniaux, pouvaient encore répondre aux besoins et aux défis de développement de notre temps au moment où l’émergence des technosciences tend à remettre en cause la pertinence de certaines filières considérées à tort ou à raison comme des usines de fabrique de chômeurs. Il a été convenu que les universités africaines, outre leur mission de transmission du savoir, de formation des ressources humaines, doivent y adjoindre une nouvelle mission : celle qui consiste à assurer la qualité du contenu des programmes des enseignements dispensés et leur adéquation au marché de l’emploi, au monde socioprofessionnel. Ce qui est en jeu, dans la problématique de l’employabilité, c’est la crédibilité des universitaires auprès des décideurs politiques.
Au titre de l’université et de la culture de l’excellence, les communications ont insisté sur la promotion de la culture de l’excellence au sein de l’université dont la vocation est de contribuer au développement de la société par la production des connaissances et des compétences. Toutefois, la promotion de la culture de l’excellence a été nécessitée par un diagnostic peu reluisant de la situation de nos universités en perte de valeurs. La marchandisation du savoir avec la vente de fascicules par les enseignants-chercheurs, les frais exorbitants de scolarité, la transformation des campus universitaires en des espaces commerciaux contribuent à la baisse de la qualité des enseignements, au faible rendement des apprenants et à l’exclusion massive de ceux-ci du système éducatif.
L’image que nous donne à voir nos universités semble être, pour le moins, aux antipodes du concept fort mobilisé de la Démarche Qualité qui est l’autre nom de l’excellence. L’excellence académique repose sur la qualité de la formation et de la recherche ainsi que sur la qualité des infrastructures universitaires à caractère scientifique et social. De ce fait, la création d’un prix d’excellence pour célébrer les étudiants et étudiantes qui se seraient distingués dans leur domaine respectif est à encourager.
Au titre du Syndicalisme, de la politique et de la violence à l’université, les communications ont porté sur les rapports entre les organisations syndicales qui défendent les intérêts de leurs membres et la persistance des actes de violences qui, malheureusement, rythment la vie des universités africaines. Si, généralement, les violences sont orchestrées par la non prise en compte de certaines revendications estudiantines et des enseignants-chercheurs, il est à observer, cependant, que l’affiliation de certains mouvements syndicaux aux partis politiques et les problèmes de leadership au sein de ceux-ci sont, pour une bonne part, à l’origine des crises à répétition. Les violences physiques et verbales qu’exercent les mouvements syndicaux ne vont pas sans la destruction de biens publics et privés, l’atteinte à la liberté d’expression et mettent à mal le bon fonctionnement des activités académiques. En outre, les récurrentes interventions des forces de l’ordre au sein des universités posent, avec acuité, la question des franchises universitaires. Il y a lieu, pour sortir de cette impasse, que les autorités universitaires et les décideurs politiques entreprennent des actions innovantes en vue de pacifier ces espaces-sanctuaires. Dans cette optique, l’institution d’une gouvernance participative et inclusive constitue une piste prometteuse à explorer. Cette gouvernance induit la promotion d’une éthique de la discussion ou de la communication.
Au titre des Responsabilités éthiques, pédagogiques et académiques des universitaires
Il est de notoriété que les universités africaines ont toujours occupé un rang peu honorable au classement mondial depuis des années. Ce positionnement, qui tire sa source de plusieurs facteurs, est l’expression d’un malaise profond qui mérite une auto-évaluation objective de la communauté savante. Ainsi, la responsabilité pédagogique, académique et éthique des universitaires a été passée, par les panélistes, au scanner en vue d’offrir une meilleure visibilité aux universités. Dans le contexte africain actuel, les maquettes pédagogiques ou contenus de connaissance mobilisés dans les projets universitaires, les principaux modèles d’enseignement et de formation convoqués dans la constitution des programmes académiques ne s’accommodent pas toujours avec les réalités sociologiques, voire le potentiel endogène des peuples. Les universitaires versent dans l’extraversion scientifique, parce qu’ils sont consommateurs des savoirs et pensées en rupture d’avec les critères de vérité de leurs espaces socioculturels.
L’implémentation du système LMD, depuis quelques années, semble ne pas donner les résultats escomptés au sens où elle ne s’est pas opérée de manière effective. L’impasse dans laquelle se trouve ce système a suscité l’idée d’une décolonisation des universités africaines qui ont besoin d’avoir une identité propre à elles. La crise des docteurs, en quête d’emploi en Côte d’Ivoire, interpelle les universitaires sur l’urgence qu’il y a à contraindre non seulement les gouvernants à créer des écoles doctorales, mais aussi à se projeter sur l’avenir, voire à anticiper rationnellement sur le devenir des futurs diplômés.
Les universitaires sont ceux qui portent tous les espoirs du développement et du monde comme l’exprime si bien le logo de l’université Alassane Ouattara. Leur responsabilité pédagogique et académique induit celle éthique qui exige d’eux qu’ils soient non seulement des modèles pour les apprenants, ceux qui forment et forgent leur esprit, mais aussi ceux qui véhiculent des valeurs telles que la rigueur, le respect de la chose publique, l’altérité et le mérite. La responsabilité intellectuelle ou morale des universitaires, quant à leur fonction première d’éveilleurs et d’éclaireurs des consciences, n’est pas toujours assumée. De plus en plus, les enseignants-chercheurs se gardent d’oser et les activités extra-universitaires qu’ils exercent, par moments, tendent à supplanter celle enseignante, et ce, au désavantage des apprenants dans leur cheminement académique.
Au titre des Infrastructures, TICE et innovation pédagogique
La crise traditionnelle des universités qui s’exprime, entre autres, par la massification des effectifs due à une insuffisance d’infrastructures, a connu une accentuation avec la pandémie du Covid-19. Si certaines universités ont totalement fermé leurs portes, d’autres, en revanche, ont tenté de maintenir des cours à distance grâce aux applications numériques WhatsApp, Zoom ou encore Teams, en réunissant des conditions stratégiques favorisant les usages de ces plateformes. Ces innovations pédagogiques, s’accommodant d’une série de ruptures relatives au temps et à l’espace de l’organisation de l’enseignement, déconstruisent et reconstruisent les cadres et les modes d’appropriation traditionnels du savoir. C’est aussi dans ce cadre qu’il faut saisir la pertinence de la création d’un service de pédagogie universitaire à l’UAO dont la vocation est d’instruire les enseignants-chercheurs sur la nouvelle façon de transmettre le savoir aux apprenants, voire d’encourager les recherches et d’améliorer la qualité de l’enseignement. Il urge, pour nos institutions universitaires, d’amorcer le processus de renouvellement de l’enseignement conforme à la révolution technoscientifique. Les communications ont donc, pour une bonne part, montré la nécessité d’une implémentation, mieux d’une appropriation du modèle de la gouvernance numérique centré sur les usages des acteurs comme nouvelle architecture de la relation au savoir.
Au titre des Libertés et franchises universitaires, les communications ont mis l’accent sur les menaces et pressions que subissent les enseignants-chercheurs, toutes choses qui ébranlent l’un des principes de base de la fonction de l’universitaire, en l’occurrence la liberté académique ou l’autonomie professionnelle. Ce droit professionnel, acquis par le degré d’engagement de l’enseignant au sein de la communauté universitaire, est menacé à l’ère de la mondialisation qui promeut les valeurs de transparence et de liberté. Cette menace demeure indissociable des décisions académiques, politiques et religieuses qui contraignent bon nombre d’universitaires à se résigner ou à s’exiler aux fins d’échapper aux persécutions. L’ingérence du politique ou du religieux dans l’espace universitaire remet en cause les franchises universitaires au nom desquelles l’enseignant-chercheur ne doit être défavorisé ni soumis à un traitement moins favorable de la part de l’université ou de l’autorité publique. C’est pourquoi, il a été suggéré aux décideurs politiques, à l’effet de prévenir certaines crises et pacifier durablement l’espace universitaire, l’élaboration de textes juridiques portant sur la liberté et les franchises universitaires.
Au titre de l’université et de la dynamique des sociétés, les communications ont mis en exergue la nécessité d’une forte contribution des enseignants-chercheurs au développement de la société. Si l’université est vue comme le moteur de la dynamique sociale enclenchée par la recherche scientifique, c’est dire qu’elle est, en principe, censée répondre, dans la mesure du possible, aux préoccupations sociétales. Son utilité et son importance devraient susciter un profond intérêt de la part des gouvernants et de tous les acteurs du monde académique. Or, tel n’est malheureusement pas le cas sous nos tropiques.
L’insuffisance de moyens financiers et matériels alloués aux universités, dans le cadre de la recherche scientifique, ne permet pas de répondre aux nombreuses sollicitations des populations dans quasiment tous les secteurs d’activités. L’impression qui se dégage, aujourd’hui, c’est que l’université semble fonctionner en vase clos, voire si éloignée des besoins exprimés par les populations. Celles-ci, dans leur grande majorité, ne perçoivent pas très bien l’impact que les études et recherches universitaires pourraient avoir sur leurs conditions socio-économiques. C’est donc cette approche du rapport entre nos universités et la société qu’il faudra travailler à inverser. Ne pas le faire, ce serait s’auto-mutiler.
En s’engageant résolument dans toutes ces voies de solutions suggérées, portant la marque de l’autocritique et de la co-construction, les universités en Afrique gagneront le double pari des meilleurs classements dans les rankings internationaux et la meilleure visibilité dans les stratégies d’implémentation du développement durable.
Fait à Bouaké, le 11 juin 2022
Le Comité Scientifique
RECOMMANDATIONS
Au Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel
Le Colloque recommande au Conseil de bien vouloir associer les universitaires aux réflexions sur les questions d’ordre Economique (Les sciences économiques), Environnemental (Chaire l’Unesco de Bioéthique) et Social (Les sciences socio-anthropologiques, la philosophie)
Au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
Le Colloque recommande la prise en compte des conclusions des travaux.
Au Ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption
Le Colloque recommande au Ministère d’associer les universitaires à l’exécution de sa stratégie de lutte contre la corruption.
À l’Université Alassane Ouattara
Le Colloque recommande l’accompagnement soutenu des activités telles que les colloques, les séminaires, les ateliers etc.
II recommande aussi la diffusion des accords de partenariats entre l’Université Alassane Ouattara et les structures de recherche en vue d’optimiser le financement des projets de recherche.
Au FONSTI
Le Colloque recommande aux responsables d’accentuer la promotion de cet outil indispensable de Financement des programmes et projets de recherche scientifique et d’innovation technologique.
À la Mairie de Bouaké
Le Colloque recommande d’associer les universitaires aux activités sociales et culturelles qu’elle organise dans sa mission de satisfaire aux besoins de la population locale.
Fait à Bouaké, le 11 juin 2022
II. COMMUNICATIONS EN PLÉNIÈRE
« VRAI ET FAUX PLURALISME ». LES UNIVERSITÉS DANS L’ORDRE MONDIAL CONTEMPORAIN
Ernst WOLFF
Institut supérieur de philosophie, KU Leuven (Belgique)
1. Sur les « universités » et les « crises » : une vision de contre-bas
L’intitulé du colloque utilise le mot « université » au singulier, se référant à l’institution sociale dans sa généralité. Néanmoins, il est primordial de rappeler que le terme « université » désigne une pluralité d’entités, présentant des traits communs, mais aussi une remarquable variété, chaque université ayant sa propre forme institutionnelle, mais aussi les personnes qui y travaillent : administrateurs, comptables, informaticiens, étudiants, direction, bibliothécaires, enseignants-chercheurs, agents d’entretien, etc. Chacun a sa propre série d’intérêts et d’objectifs, qui s’imbriquent parfois parfaitement pour soutenir le fonctionnement de l’université, mais qui sont parfois si opposés qu’ils paralysent des parties plus ou moins importantes de l’université. Les relations entre l’université et son personnel peuvent être complémentaires ou exploitantes dans les deux sens. En outre, chaque université interagit également avec les institutions du même État et d’autres États dans des réseaux globaux d’interaction institutionnelle en bénéfice mutuel parfaitement accordées ou d’antagonisme agressif. Appelons cela la perspective descriptive des universités. Cette perspective est la spécialité des historiens, des sociologues, des économistes.
Cependant, qui parle de différence peut aussi vouloir s’engager sur le plan normatif : certains traits sont nécessaires pour qualifier un établissement de vraiment universitaire, tandis que d’autres sont accidentels. Pour avancer dans cette voie, il faut se faire une idée de ce que sont idéalement les universités. On peut être réticent à s’engager de manière normative avec les universités. Qu’est-ce qui doit être considéré comme un modèle dans ce domaine ? Les plus anciennes, les américaines, les plus riches, sont-elles des modèles pour les autres ? C’est à cela que se résument en pratique les systèmes de classement des universités. Ou, si l’on veut toujours aborder les universités de manière normative, mais que l’on rejette l’approche par les modèles, à partir de quelle hauteur théorique pourrait-on évaluer les universités ? L’idéal allemand humboldien de l’université comme institution d’éducation intégrale ou le modèle plus américain d’une institution qui fournit des individus qualifiés pour le marché du travail, ou encore un autre modèle (mais comment le trouver) ? Mais dès lors que l’on pressent que quelque chose est en jeu dans les universités, la question d’une vision normative devient incontournable.
Ajoutons un dernier élément de complexité. Lorsque l’on parle des crises des universités, on a le plus souvent en tête le type de difficultés dans lesquelles ces institutions se retrouvent et au milieu desquelles elles doivent maintenir le bateau à flot. Je voudrais simplement rappeler que les crises ne sont pas seulement subies, elles sont aussi créées de l’intérieur du monde universitaire. En réfléchissant au « cœur de métier » (core business) idéal de l’université, nous ne devrions pas seulement considérer la science comme un moyen de résoudre des problèmes, mais aussi comme la source ou le révélateur de crises[1].
Il était important d’esquisser une vue d’ensemble qui rende compte de la complexité du sujet. Tout en gardant à l’esprit les trois points abordés, je procéderai d’une manière beaucoup plus conforme à mon implication dans la vie, à savoir dans le feu de l’action. Cela m’oblige à reconnaître immédiatement la perspective très contingente et limitée que j’adopte, clairement marquée par les expériences de vie que j’ai vécues et par les tâches que j’ai dû accomplir quotidiennement en tant que professeur de philosophie, dans différents endroits du monde[2].
2. Partager des notes : revisiter Hountondji
Le fait d’être situé et d’avoir une perspective personnelle permet toutefois d’élargir le champ de vision, notamment en échangeant des notes avec d’autres personnes qui ont vécu des expériences similaires. C’est l’objectif que je me suis fixé en revisitant l’essai « Vrai et faux pluralisme »[3] du philosophe béninois Paulin Hountondji, qui doit vous être familier.
Cet essai a été prononcé au colloque de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française à Louvain-la-Neuve en Belgique du 21 au 25 mai 1973, sous le thème « L’Université et la pluralité des cultures ». Je crois qu’en revisitant quelques points de cette communication à presque 50 ans de distance et en y comparant ma propre expérience, le petit ver que je suis pourra lever la tête juste assez pour avoir un peu plus de visibilité sur la question qui nous occupe. Pour échanger des notes, je dois l’écouter sous l’angle du thème de notre conférence, « La crise de l’université en Afrique ». Certes, la communication de Hountondji ne porte pas directement sur la crise de l’université, mais elle comporte assez de matière pour nourrir notre réflexion sur ce thème. En retour, j’introduirai son souci du pluralisme dans le thème de notre conférence, comme j’ai déjà commencé à le faire ci-dessus, en pensant aux universités au pluriel, aux crises au pluriel, et en ajoutant à l’avance les Afrique et les Europe au pluriel[4].
L’idée maîtresse de l’article de Hountondji consiste à explorer le potentiel et les pièges du discours sur le pluralisme culturel. Ainsi, son article commence comme suit :
Par pluralisme culturel, on entend généralement trois choses : (1) le fait de la pluralité culturelle, entendue comme coexistence de cultures appartenant, au moins en principe, à des aires géographiques différentes ; (2) la reconnaissance du fait de cette pluralité ; (3) l’affirmation que cette pluralité est une bonne chose et le volonté d’en tirer parti d’une manière ou d’une autre […] (219)
Si les crises ne sont pas le thème majeur de Hountondji, sa réflexion sur le pluralisme n’a vraiment de sens que si l’on considère qu’elle est pensée à partir d’une situation perçue comme critique. Ainsi, on ne peut apprécier la portée de l’analyse terminologique liminaire de l’article que si l’on se rend compte que le problème lui-même est rendu chaque fois où il évoque le contexte sociopolitique à partir duquel il pense.
a. Ce contexte est celui de la politique des premières années de l’après indépendance. Hountondji évoque les difficultés (a) de trouver une articulation appropriée pour le destin des citoyens (comme l’ont tenté les nationalismes et les socialismes de l’époque) et (b) de situer les nouveaux États africains dans le monde géopolitique, les uns par rapport aux autres et par rapport aux plus grandes puissances internationales. Ce complexe de questions sociopolitiques implique également (c) les difficultés de trouver des politiques appropriées pour les institutions, y compris les universités.
b. La mise en évidence de ce contexte de crises sociopolitiques aide à apprécier le fait que Hountondji est peu concerné par une métaphysique de la pluralité et de l’unité, mais principalement par des difficultés de nature pratique. L’aspect compréhensif et véridique de son argumentation est au service de la question : que faut-il faire ? Pour savoir ce qu’il faut faire – pour trouver des stratégies appropriées pour répondre à cette donne sociopolitique – il faut surmonter l’obstacle d’une saisie débilitante du complexe problématique. Ce dépassement ne consiste pas seulement à revenir au terme « pluralisme », mais à remplacer la mauvaise compréhension du pluralisme par une bonne. Dès lors, que faut-il entendre correctement par pluralisme ?
c. Bien sûr, les questions sociopolitiques ci-dessus ont tout à voir avec des points de vue différents, des histoires différentes, des modèles différents, des valeurs différentes, etc. Mais la reconnaissance et la valorisation de ce pluralisme local et international deviennent un problème lorsqu’elles se font au moyen d’un particularisme « culturaliste ». Pour nos besoins, le résumé de cette dernière approche par Hountondji à la page 74 suffit :
Étrange paradoxe : dans les conditions qui prévalent actuellement, le dialogue avec l’Occident ne peut qu’encourager le folklorisme, sorte d’exhibitionnisme culturel collectif, parce qu’il oblige l’intellectuel du ‘tiers monde’ à ‘défendre et illustrer’, à l’intention du public occidental, les particularités de sa civilisation d’origine. Ce dialogue apparemment universel revient donc en fait à développer la pire espèce de particularisme culturel – la pire espèce, parce que ces particularités prétendues sont dans la plupart des cas purement imaginaires et parce que l’intellectuel qui les défend prétend parler au nom de son peuple tout entier, lequel non seulement ne le lui a jamais demandé, mais ignore le plus souvent jusqu’à l’existence d’un tel dialogue.[5]
d. Cette attitude sur la spécificité et la pluralité culturelles – le « faux pluralisme » -, Hountondji l’identifiait à l’époque surtout à deux partisans : l’« Européen nostalgique » et le « nationaliste révolté ». Tous deux font de la culture le principal point de discorde dans les échanges entre groupes (au détriment de l’économie et/ou la politique[6]). Par conséquent, ce qui est repris de l’Occident dans la culture africaine relève de l’« acculturation » ou de l’« occidentalisation » – toutes deux comprises comme une « aliénation culturelle », à laquelle seul le « nationalisme culturel » peut remédier (234). En bref, Hountondji s’oppose à ces deux partis pour leur essentialisme et leur pensée anhistorique qui se résument à une doctrine de l’unanimisme.[7]
e. Quel est donc le « vrai pluralisme » que Hountondji leur oppose ? C’est le pluralisme qui oppose terme à terme les trois défauts précédents : c’est le pluralisme de la nature (de chaque culture intérieurement), le pluralisme de l’histoire et le pluralisme de l’opinion. Ce pluralisme est fondé sur la « compénétration progressive des cultures ». (231-2). Anticipant en quelque sorte Olufemi Taiwo[8] ou Mahmood Mamdani[9], Hountondji met plutôt sur le compte de la colonisation qu’elle a appauvri les cultures africaines en freinant les « mutations », en niant le « pluralisme interne » (233) et en imposant des polarisations artificielles (234). Ainsi, son propre point de vue n’est en aucun cas une apologie de la violence colonisatrice ou néocolonisatrice. En outre, si Hountondji rétorque en soulignant la pluralité interne à l’œuvre dans les cultures africaines, cette pluralité est aussi interne à l’humanité à l’échelle du monde entier (235). Ce qui fait de la différence quelque chose de beaucoup plus flou et incertain que ne le voudraient les culturalistes. En fait, le point de vue de Hountondji sur la pluralité implique trois éléments significatifs : la capacité d’agir[10], les discordances (234) et l’ouverture aux autres et au monde (234).
f. Ces trois éléments sont des biens ambigus, leur résultat exact ne peut être prévu de manière simple. Mais ils ne relèvent pas pour autant d’un défaitisme ou d’une indifférence. Au contraire, pour Hountondji ce sont les composantes essentielles d’une nouvelle résistance à l’injustice. Une fois l’essentialisme et l’unanimisme déconstruits, le pluralisme permet aussi la formation « des solidarités nouvelles entre des hommes ou des groupes d’hommes » (236). On peut appeler cela la condition de possibilité de nouvelles « stratégies transversales ».
g. Enfin, les crises sociopolitiques provoquées par une revendication excessivement simplifiée de l’identité culturelle ont selon Hountondji des répercussions sur l’université. D’abord, parce que dans leur effort pour se démarquer de l’héritage colonial, les universités s’emparent d’une des possibilités de l’Europe, à savoir la fascination pour l’identité simplifiée – et promeut celle-ci, comme en politique, avec des noms comme « négritude », « authenticité », « repersonnalisation de l’homme africain »[11] (229). Hountondji ne récuse pas ces termes, qui constituent une réponse partiellement correcte à la situation, dans la mesure où ils placent la question de l’africanisation des universités au centre des préoccupations (236) et, ce faisant, reconnaissent la nécessité de contrer l’imitation ou l’assimilation du présumé universalisme occidental (236). Pourtant, en acceptant un culturalisme essentialisé, cette réponse succombe encore à l’extraversion que Hountondji ne cesse de critiquer. Cette ambiguïté, en tant que figure majeure de la crise de l’université, se révèle quand Hountondji la situe dans son contexte sociopolitique.
J’arrête ici ma lecture de « Vrai et faux pluralisme ». Écouter attentivement Hountondji ne signifie pas approuver sans critique tous ses points de vue. Une acceptation inconditionnelle de ses vues serait plutôt étrange, étant donné la perspective très différente à partir de laquelle nous regardons un monde en mutation aujourd’hui. Mais surtout, cette absence de dissensus reviendrait à saper sa leçon même, à laquelle je veux m’accrocher. Je souscris à sa vision du pluralisme, d’abord en pratiquant ce pluralisme des points de vue dans le débat avec lui. Permettez-moi donc de commencer par exprimer nos points de divergence :
– Si je suis d’accord pour dire qu’il y a une « compénétration progressive des cultures », j’insisterais davantage sur les rapports de force impliqués dans ce processus et sur la dissymétrie des flux.
– Hountondji reproche aux deux camps culturalistes de négliger les enjeux politiques et économiques de la pluralité (notamment l’effet de la (néo-) colonisation) (226, 230). Cependant, je ne pense pas que des positions culturalistes fortes d’aujourd’hui commettent nécessairement cette négligence – mon expérience sud-africaine révèle plutôt la tendance à amalgamer politique, économie et culture.
– Et pour cette raison, je ne crois pas du tout que l’insistance sur la pluralité culturelle, en ce qui concerne l’Afrique, soit toujours au service d’un programme politique conservateur (231). Bien que, en toute équité, cette affirmation de Hountondji s’applique à la vision culturaliste de la pluralité culturel.
– Enfin, je ne pense pas que la réduction des oppositions politiques à celle de la domination de classe que défendait Hountondji tienne encore, ni à l’échelle nationale, ni à l’échelle internationale (235-6). Cependant, mon propos doit être atténué, sur la base de l’analogie qu’il établit entre les luttes culturelles et politiques.
Jusqu’ici le dissensus. Mais je trouve en Hountondji un partenaire important et je souhaite élaborer dans mes propres termes les points d’accord :
– On ne peut espérer comprendre la crise de toute institution, et en particulier des universités, en faisant abstraction du contexte sociopolitique local, national et mondial. Et je maintiens ce point, même si je reconnais les limites de ma propre capacité à m’y engager.
– Étant donné le fait de la pluralité, et en la considérant dans toute sa complexité, on n’a pas d’autre choix que d’historiciser et de désessentialiser les phénomènes culturels[12]. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut restaurer la capacité d’agir (agency). Ce n’est qu’ainsi que l’on peut se l’approprier pleinement, de manière « responsable ».
– Mais le pluralisme a pour prix la discorde et l’incertitude. Ce n’est pas une vision réconfortante face aux crises. Néanmoins, il convient de noter que les mêmes facteurs génèrent également la créativité. De même, si le dissensus peut être vécu comme paralysant parce que relativisant, l’interaction recadre partiellement le sens de notre coexistence. En d’autres termes, le dissensus entraîne une sorte de relativisme, mais qui se situe entre l’invention et la coordination.
– On pourrait donc dire que le pluralisme est en soi un problème, mais aussi une ressource – une étape possible dans la direction d’une réflexion commune et séparée sur la manière d’avancer. Le propos de Hountondji sur les nouvelles alliances me convainc.
En soulignant toujours le même point sous un autre angle, je conclurai que l’interaction des peuples, colonisation et décolonisation comprises, sont à considérer comme des phénomènes de pluralité humaine. Selon la reconstruction de Ricœur, la mondialisation a conduit à la découverte d’une pluralité humaine encore insoupçonnée – une première crise, involontairement créée – à laquelle la colonisation a été appliquée comme une panacée. De même, tout en assumant pleinement la nécessité de la décolonisation, Ricœur signale la crise de la pluralité sans arbitrage qu’elle a ouverte[13]. Ils témoignent du fait que les crises sont parfois subies par les hommes, mais parfois aussi créées par eux. En réfléchissant aux implications de ces événements – mais aussi à nos crises actuelles – les sciences humaines et sociales apportent un éclairage sur ces crises, et ce faisant, ne les atténuent pas immédiatement, mais tendent plutôt à les intensifier d’abord.
3. De Hountondji à nous
Le pluralisme en tant que complexe problématique est un sujet dans lequel je suis impliqué depuis bien avant de lire Hountondji. Comme le montrent deux textes, dont la première version date de 1999 : Ernst Wolff, « Anatomie van ‘n teologiese ideologie : die Hervormde Kerk se steun aan die apartheid ideologie », in Historia: the Journal of the Historical Association of South Africa, 51 (1), (2006, pp. 141-162) et Ernst Wolff, « Sanctus Marthinus laudator philosophicus. Or, sitting at the guru’s feet », in Martin Versfeld, 2021, « A South African philosopher » in dark times, Leuven: Leuven University Press, pp. 175-190)[14].
Mes années de formation et le début de ma carrière se sont déroulés en Afrique du Sud pendant les années de la transition démocratique post-apartheid et ses suites, lorsque le débat sur la nature et les conséquences du pluralisme était notre pain quotidien national. Depuis lors, j’ai été confronté à des formes de faux pluralisme dans mon milieu professionnel de la philosophie, tant en Afrique du Sud qu’en Europe. Dans des études que j’ai consacrées à chaque cas, j’ai démontré comment les courants de pensée essentialiste et anhistorique sont impossibles à soutenir. Ainsi, alors que l’opposition du programme puriste – Hountondji dirait « culturaliste » – à l’eurocentrisme dans les universités sud-africaines est parfaitement justifiée, sa tentative de poursuivre ce programme par une opération de balayage, sans qualification, court le risque d’infliger plus de mal que de bien[15]. De même une poursuite rigoureuse de l’étude de la philosophie européenne elle-même confirmerait sa pluralité, derrière laquelle la reconnaissance institutionnalisée est encore en retard[16]. Bien que je reconnaisse des exceptions, la philosophie européenne, à grande échelle, se trouve toujours dans une situation de crise refoulée – la crise d’une négligence auto-imposée par rapport au pluralisme[17]. C’est la crise de la discordance avec sa propre pluralité et avec la pluralité du monde à partir duquel et pour lequel elle essaie de philosopher. Comment continuer à travailler quotidiennement à la poursuite d’un véritable pluralisme ?
3.1. Ethos d’engagement envers une véritable pluralité
Le type d’éthos académique que notre époque réclame correspond à la poursuite des vertus intellectuelles identifiées par Hountondji : opposition à l’essentialisme, sensibilité à la construction historique des phénomènes et des problèmes, et refus de l’unanimisme. Dans le même ordre d’idées, j’ai préconisé ailleurs la pratique philosophique « intercontinentale », entendue comme une éthique visant à « philosopher en pleine conscience de la mondialisation contemporaine et de la pluralité sans arbitre impartial des désaccords »[18]. Le point de synthèse est la prise en charge de la responsabilité d’un véritable pluralisme interne et externe, un point qui vaut pour la pratique académique et universitaire en général. De manière générale, une telle poursuite se réalisera par :
– Un travail de comparaison[19] – comme je tente de le faire ici en réfléchissant avec Hountondji ; mais aussi en vous parlant, à Bouaké, de Pretoria et de Louvain.
– Un travail de traduction – littéral (parce que c’est un moyen clef de s’opposer à la quasi-disparition de contributions importantes à la république des lettres[20]), mais aussi dans le sens métaphorique plus large d’une explication réciproque incessante. Dans les deux cas, nous avons besoin de personnes « polyglottes ».
Un travail de désessentialisation de la philosophie. Je ne vois aucune raison pour laquelle on ne devrait pas continuer à étudier les traditions philosophiques nationales de l’Allemagne, de la France ou de tout autre pays. Au contraire, chaque fois que je parle à des collègues africains, je les implore de faire progresser l’historiographie de la pensée de leur propre pays, ce que j’ai également fait pour le mien.[21] Mais il y a également un grand besoin de raconter à nouveau l’histoire de la philosophie. Mais nous avons tout autant besoin d’explorations systématiques de domaines problématiques où les contributions de différents angles sont valorisées.
Une véritable pluralité appelle une quête correspondante de nouvelles alliances intellectuelles. Ailleurs, j’ai caractérisé cela comme une quête de communalité, basée sur un universalisme latéral (un principe, d’ailleurs, auquel souscrivent des auteurs africains comme européens)[22]. Bien sûr, la communalité n’émerge que de la pluralité ; lorsque la pluralité n’est pas suffisamment reconnue, elle étouffe l’émergence de la communalité.
3.2. L’enchevêtrement des crises et des solutions
De peur de donner l’impression d’un bon pluralisme qui dissiperait les crises, je voudrais insister sur le fait que les solutions et les crises restent à jamais enchevêtrées.
1. Un exposé plus complet de la question actuelle devrait intégrer plus complètement les dimensions socio-économiques et politiques de la pluralité – avec une complexification supplémentaire de la question.
2. Il est évident que le type de plaidoyer en faveur du pluralisme que je fais ici souscrit à quelque chose comme un esprit démocratique, largement conçu. Pourtant, les gens ne sont pas simplement démocratiques et tout le monde ne veut pas poursuivre le travail des universités de manière démocratique. Si l’existence de ces autres points de vue concerne la pensée pluraliste, elle fixe également une sorte de limite : on ne peut s’accommoder de ceux qui se rebellent contre la « parité de participation »[23] que jusqu’à un certain point. En outre, ceux qui sont d’accord avec la pratique démocratique se tromperaient sérieusement en pensant qu’en dernière analyse, c’est eux qui mènent le jeu.
3. La pratique de nombreuses disciplines en vue d’un véritable pluralisme exige de travailler avec un héritage ambigu. Malgré toute leur magnificence constructive et critique, les savoirs européens sont issus de traditions qui ont été complices du racisme et de la violence impériale[24]. En même temps, non seulement il n’est pas souhaitable de se débarrasser de ces traditions européennes en Afrique, mais ce n’est même pas possible. Le seul moyen d’aller de l’avant semble donc être de reconnaître l’ambiguïté de l’héritage et de le visiter avec une attention acharnée. Si l’ambiguïté signifie à la fois problème et potentiel, alors le test pour nous consiste à séparer l’un de l’autre, à faire fructifier le potentiel positif et à le retourner contre le bagage négatif. On peut s’attendre à ce que cela ouvre tout un domaine de nouvelles disputes, d’incertitudes et potentiellement de crises.
4. J’ai insisté plus haut sur le fait que la question du pluralisme véritable est motivée par la question : que faut-il faire ? Elle témoigne de l’ambition des sciences d’être pertinentes pour les questions ambiantes. Mais comment comprendre la pertinence ? Compte tenu de l’ambiguïté que nous venons d’évoquer, il convient d’hésiter avant de considérer le patrimoine de telle ou telle tradition a priori comme pertinent pour la société. Seule l’adhésion totale au pluralisme interne et externe peut nous aider à résister à la domination de la tradition, tout en nous offrant la possibilité d’apprendre d’elle. Et, comme nous l’avons vu avec Hountondji, cette acceptation est pratiquée par la reconnaissance de la capacité d’agir, des discordances et de l’ouverture. Pourtant, mon point de vue sur la pertinence ne couvre jusqu’à présent que la recherche de l’excellence dans l’écriture et l’enseignement. Mais ce n’est là que la moitié du problème, car il est tout à fait concevable que des travaux remarquablement pertinents sur le plan social soient réalisés par des universitaires, sans bénéficier d’aucune réception et restant ainsi sans impact réel sur les crises sociales auxquelles ils se proposent de répondre. Cela se produit régulièrement en Afrique et en Europe. Ce n’est pas le lieu de déballer ce problème particulièrement difficile. Il suffit de rappeler que dans mon introduction, j’ai insisté sur une perspective descriptive des universités, qui nous aide à les considérer comme faisant partie de la fibre complexe des relations sociales locales, nationales et internationales, informelles et institutionnelles. La crise de la philosophie et de beaucoup d’autres sciences humaines et sociales est qu’elles se battent tellement pour l’indépendance et la liberté de pensée, qu’elles n’accordent pas l’attention nécessaire pour resituer leurs résultats dans cette fibre sociale. Ce n’est qu’en s’engageant dans les réseaux sociaux et les technologies de diffusion des idées, et en s’engageant dans un travail interdisciplinaire et des alliances entre l’université et d’autres acteurs sociaux, que l’on peut espérer traduire une recherche pertinente en réception et en impact social. Cependant, il ne s’agit pas non plus d’une fin heureuse, car qui parle des relations qui tissent la fibre sociale, parle d’influence, de pouvoir et d’intérêts et cela ouvre le problème tout à fait difficile des compromis au nom de l’efficacité. À défaut, les universitaires pourraient rechercher la pureté, mais au prix de l’insignifiance sociale. Je répète qu’il s’agit d’une crise du monde universitaire en Afrique, mais pas moins en Europe.
5. Situer le monde universitaire dans le contexte des acteurs sociaux accentue la question du droit à la parole et de la capacité à être entendu. Cette question s’inscrit dans la crise actuelle de deux manières.
5.a. L’intégration/exclusion horizontale. Les arguments concernant la participation légitime au débat public peuvent se disqualifier en mobilisant des arguments similaires à ceux de leurs adversaires les plus évidents à l’autre bout du monde et du champ politique. Le point pourrait également être abordé sous un autre angle. La prétention répandue d’accéder à l’universalisme dans la pensée européenne reflète un principe de non-discrimination, que je soutiens de tout cœur. Cependant, le manque d’attention à l’écart entre la prétention à l’universalité et son instanciation particulière de facto, continue de marquer la pratique intellectuelle en Occident[25]. Comment prendre en compte la diversité, sans perdre l’idéal d’universalisme qui s’oppose à la discrimination ?
5.b. Intégration/exclusion verticale. Dans toutes les universités, les universitaires jouissent d’une position de privilège relatif quant à la manière dont leurs propos sont pris au sérieux. Cela ouvre le risque d’abus sous forme de paternalisme et d’élitisme. L’enjeu est de savoir dans quelle mesure nous pouvons intégrer ou faire valoir les points de vue des plus démunis dans notre pensée. C’est toute une boîte de Pandore, abordée en Europe dans la théorie critique ou le pragmatisme sociologique, et en Afrique depuis des décennies dans les débats sur le statut de l’« ethnophilosophie ». S’il semble donc souhaitable d’intégrer nos recherches non seulement à la vie de nos étudiants et aux acteurs puissants de la société, mais aussi aux précaires de chaque société – voire de la société mondiale dans son ensemble – il n’existe pas de recette claire pour y parvenir[26].
Ces cinq points nous ramènent à la pratique du pluralisme, dont la forme mondialisée que j’appelle la philosophie intercontinentale, mais avec un regard incertain sur l’avenir.
Références bibliographiques
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WOLFF Ernst, 2012, « Sanctus Marthinus laudator philosophicus. Or, sitting at the guru’s feet », in Martin Versfeld. A South African philosopher in dark times, Leuven: Leuven University Press, 2021, pp. 175-190 (accès libre: https://lup.be/collections/category-philosophy/products/172317).
NOTRE DEVOIR ET NOTRE FOI AU CARACTERE UNIVERSEL DE L’UNIVERSITÉ
Thiémélé L. Ramsès BOA
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
Résumé :
La démocratie cognitive, la démocratie participative, la laïcité et l’éducation à l’altérité sont nécessaires à l’accomplissement de la mission universelle de l’université. Notre rêve d’assumer ces valeurs fait de nous les acteurs principaux de la crise de l’université.
Mots clés : Averroès, pluralisme.
Abstract:
Cognitive democracy, participatory democracy, secularism and education in otherness are necessary for the fulfillment of the universal mission of the university. Our dream of assuming these values makes us the main actors in the crisis of the university.
Keywords : Averroès, pluralism.
Introduction
Madame et Monsieur,
En vos grades et qualités,
L’espace cognitif de mon intervention partira de l’expérience vécue en tant qu’enseignant-chercheur et aussi en tant que chef du département de philosophie de l’UFHB. Je vais partir de l’expérience vécue à ces deux niveaux de responsabilité pour bâtir l’architecture de ma réflexion.
Mais, je pars d’un principe que ma vocation d’enseignant-chercheur a traduit dans la rédaction d’un livre[27]. Le principe analytique se fonde sur l’inexistence de la sorcellerie. La conséquence de ce principe, c’est que si la sorcellerie n’existe pas, l’attribution de la causalité revient au sujet agissant. Autrement dit, parce que la sorcellerie n’existe pas, le sujet est responsable de ce qui lui arrive comme négativité car, justement, la croyance en la sorcellerie fonctionne sur le principe du rejet de la cause du mal sur une entité extérieure au sujet agissant. Ramené au thème de ce colloque et au sens de mon intervention, je veux dire ceci : nous sommes, enseignants-chercheurs, personnels administratifs, étudiants, en somme membres du système de l’enseignement supérieur, les premiers responsables de ce qu’on peut considérer comme crise de l’université en Afrique. Le principe de la sorcellerie aurait fonctionné si nous avions accusé en priorité et de façon unique, l’autre, en sa nature multiple en tant que parents d’élèves, l’État, la Société globale, les politiciens, etc. le lieu premier d’expression de notre responsabilité se situe dans le refus d’une dimension de l’université : l’ouverture à la critique, au pluralisme des idées.
1. Valeur du désaccord, valeur du pluralisme
Je pars d’une question issue d’une inquiétude : avons-nous suffisamment intégré l’idée de l’université comme lieu d’échanges de pensées contradictoires, expressions du pluralisme, confrontation des doctrines ou pour le dire autrement le lieu où la liberté transcendantale devient pratique ? Là où existe la liberté, des sujets se retrouvent pour lui donner forme. Si des sujets se retrouvent dans des lieux dédiés à la pensée c’est parce que la liberté a été conquise sur les pouvoirs. Il faut le rappeler, l’université dont nous héritons, s’est émancipée en instituant sa liberté intérieure à l’égard de la religion et des pouvoirs politiques. A partir de la Renaissance, elle décide d’interroger le monde, la nature, Dieu. Elle le fait dans la diversité de pensée contre le dogmatisme clérical de l’époque, contre la pensée unique instituée en dogme et tradition irréfragable.
Cet héritage n’a pas été suffisamment recueilli ici, en Afrique. J’en ai fait l’amère expérience en 2007, à Abidjan à la réunion du département de Philosophie. Permettez-moi de lire le témoignage que j’en fait dans mon livre, aux pages 58 et 59.
Je me souviens comme si c’était hier. En effet, le mardi 12 juin 2007, en tant que chef du département de philosophie, j’avais convoqué le Conseil du département pour une réunion ordinaire. Avant l’adoption de l’ordre du jour par le Conseil, prof Dibi demande la parole pour un préalable, motivé, d’après lui pour des raisons d’éthique. Très en colère, et avec des propos inamicaux et peu fraternels, il s’est demandé si je méritais de diriger notre institution de base, le département de philosophie. Il a estimé, avoir été injurié dans mon ouvrage, Recherches philosophiques, Tome 1 : quelle philosophie pour l’Afrique, Abidjan, Educi, 2007, ouvrage qu’il a lui-même préfacé. En des termes très durs, il a rappelé avoir été mon professeur, avoir dirigé ma thèse d’État et que, à ce titre, je lui devais respect. Après cela, il m’a jeté à la figure le livre en question. Il a refusé d’assister à la réunion puis a quitté la salle non sans avoir promis de ne plus jamais assister aux réunions tant que je serai à la tête du département. Du reste, il a tenu parole durant les trois années de mon mandat de chef de département. (Thiémélé L. R. Boa, 2020, p. 58-59.)
Pour moi, l’université est le lieu de la liberté de pensée et de la pluralité. Nous devons vivre la confrontation des idées comme l’essence de notre présence en ce lieu. La polémique doit être essentielle en ce régime universitaire. La conflictualité théorique y est centrale. Une université compétitive fabrique une société démocratique qui est à la fois une société qui assume ses divisions mais cherche à étendre le champ de désaccord. C’est à ce prix qu’elle produit doctrines et écoles de pensées, anime les instituts de recherche et irrigue la société de l’intelligence.
Nous y voyons, hélas, les ainés brimer les cadets, les enseignants interdire aux étudiants la critique de leurs idées. Comment créer une émulation intellectuelle dans un univers de brimade, d’uniformité intellectuelle, de monolithisme gnoséologique ? J’ai appris à mes dépens que le monde de l’université et de la recherche est bien un champ de bataille où s’affrontent tout autant, les sentiments, les affects les idées et la raison. Mais bien souvent, nous prenons le parti des sentiments et des affects contre la raison. Certes, la relation avec le maître, dans tous les milieux, est une relation d’affection, de confiance mutuelle et d’échange, mais elle ne peut se faire dans une perpétuelle soumission de l’élève. Était-ce une façon pour le maître Dibi Kouadio de maintenir l’esprit du mandarinat qui fait que, quel que soit le degré de profondeur de ses idées, le maître est toujours, en comparaison avec son disciple, dans une position supérieure ? Comme le reconnaît F. Waquet, le champ universitaire contient l’une des configurations élémentaires d’exercice du pouvoir : la relation maître-disciple, relation hiérarchique entre un supérieur et un inférieur, un dominant et un dominé, un patron et un client (F. Waquet, 2008, p. 90). Le mandarinat, fondé sur les jeux de pouvoir sous le signe de la domination, de la sujétion et de la rivalité côtoie dans le milieu universitaire l’enthousiasme intellectuel, l’affection partagée et le plaisir de travailler à la construction des idées. La place dévolue aux relations interpersonnelles devrait être minime à une période où le savoir est largement institutionnalisé. La relation magistrale, parce qu’elle est une relation interpersonnelle, combine à la fois la subjectivité des émotions et l’objectivité des cadres théoriques. Elle devient du reste de plus en plus problématique à notre époque d’interdisciplinarité où la parcellisation du savoir pose la question de l’unicité du maître. Le disciple recompose une figure magistrale divisée dans une pluralité intellectuelle de formation.
Ainsi, la crise de l’université pourrait avoir pour cause la perpétuation d’une vision unitaire du savoir, une approche monolithique de la vérité détenue par une classe de savants. La notion contemporaine d’interdisciplinarité rend caduque la figure du maître censé tout savoir. Elle offre à notre regard un horizon global de la connaissance universelle. Son programme est, selon Georges Gusdorf, « le rassemblement des approches de l’intelligibilité selon la multiplicité des vocations individuelles et la diversité des perspectives de la culture mondiale » (G. Gusdorf, 1977, p. 647). Pour que ce programme de multiplicité et de diversité puisse aboutir, G. Gusdorf recommande « une sorte de polythéisme épistémologique, respectueux des discordances et discontinuité, des intervalles » (Idem). L’université serait ainsi en crise à cause de son attachement viscérale à la formulation de l’unicité des savoirs détenue par une catégorie de sachants. La crise est d’autant plus fréquente que cette catégorie refuse la discussion théorique, la confrontation des doctrines. Or, c’est la pluralité des perspectives, la pluralité des points de vue et des positions qui fait émerger le monde commun de la connaissance.
2. L’université comme espace de sublimation de la conflictualité dangereuse
Ce même schéma de refus de la confrontation avait été vécu deux années auparavant, en 2005. A l’époque chef de département, j’avais chargé mon adjoint, de superviser l’élection du président de la promotion des étudiants de niveau Licence, aujourd’hui, on dirait de la L3. La période de campagne avait été lancée ; 6 candidats, avaient déposé leurs dossiers. La veille du scrutin, à ma grande surprise, le responsable me trouve au bureau et tente de me convaincre de l’idée d’un consensus entre les 6 candidats. Il voulait éviter les élections qui pourraient, selon lui, déboucher sur des conflits et la violence en milieu universitaire. Je n’étais pas d’accord avec ce procédé ; il a insisté. Finalement, l’élection au suffrage universel n’a pas eu lieu ; un des candidats, a été présenté comme celui que les 5 autres avaient désigné. Quand le résultat fut proclamé, un des candidats malheureux est venu contester à la fois la décision du choix consensuel et le mode de désignation qu’il a jugé antidémocratique et autoritaire. J’ai estimé qu’il avait raison. Mais compte tenu de la période (période d’examen, fin d’année proche, etc.), j’ai dû convaincre ce candidat de laisser tomber sa requête.
Au fond de moi-même, je savais, en réalité que cet étudiant avait raison car justement l’université est le lieu d’apprentissage de l’attitude citoyenne. Elle est le lieu de l’engagement des étudiants qui, sortant de leur particularisme religieux et communautaire, abandonnent la tendance à utiliser la force, apprennent à parler, à argumenter, à convaincre par la puissance du verbe et à vaincre la timidité. S’ils ne peuvent le faire en ce lieu dédié à la pluralité, où et quand vont-ils en faire l’expérience ? On le sait tous aujourd’hui : c’est parce que des individus sont privés du droit à la parole que l’usage de la force brute, de la violence devient le recours premier et principal dans la vie ordinaire. Pour moi, les élections du délégué de Licence était un champ d’expérimentation de l’action politique et de la liberté démocratique. L’espace universitaire doit être pensé comme lieu de sublimation de la conflictualité. En permettant le débat électoral, on encourageait ainsi la réflexion sur l’intérêt général. Ce faisant, on parvient à purifier cet espace de la conflictualité dangereuse.
Là où règne la parole, les hommes ont la possibilité de discuter et de s’accorder sur le bien commun. Mais là où la parole fait défaut, les hommes deviennent des ennemis et leur monde devient un monde de violence. L’incapacité à argumenter, la peur de prendre la parole en public, l’impossibilité de pouvoir agir ensemble, de façon concertée, poussent les individus à la ruse, la manipulation et la violence. Lorsque l’université n’offre pas aux étudiants la possibilité d’exprimer leur capacité de dialogue, d’écoute et de respect de l’autre à travers des élections libres, transparentes et inclusives, ils grandissent avec l’idée que les adversaires politiques sont des ennemis à abattre. Ils font ainsi du jeu politique une conception étroitement liée à l’usage de la violence. Ils peinent à abandonner la violence au profit du dialogue.
Dans ce deuxième exemple, il nous faut, ici aussi, reconnaître notre responsabilité dans le refus de former des citoyens capables de privilégier la confrontation verbale ou la juridiction de la palabre. Ce faisant, nous accélérons le dépérissement démocratique.
3. L’interdisciplinarité et la pluralité des formes de savoirs
Le troisième et dernier groupe de fait est intervenu, d’abord quand j’étais le chef de département ensuite quand j’ai été nommé responsable du Comité scientifique de notre département. Des étudiants sont venus me voir. Ils estimaient que des enseignants transformaient leurs cours en moment de recrutement des militants de leurs partis politiques. Le cours se transformait à la fois en campagne électorale et en institut de formation idéologique. Le second groupe était venu pour des raisons religieuses. Ils estimaient que l’islam était souvent vilipendé et le christianisme présenté comme essence de la religion. Le professeur transformait les cours en campagne d’évangélisation et de délivrance des âmes. Dans le deuxième cas, la nature laïque de notre institution et de l’Etat était foulée aux pieds ; dans le premier cas, la politique partisane faisait son nid au cœur d’une institution qui par essence, doit se mettre au-dessus de la mêlée.
Aujourd’hui, ces deux dangers continuent d’exister. Ils sont même aidés par l’enfermement communautaire ou, pour le dire trivialement, le tribalisme. Dans les trois cas, l’université souffre de deux genres de pensées closes : d’abord, la pensée parcellaire de l’idéologie partisane qui prend la partie pour le tout de l’Etat, l’autre, la pensée de la propagande religieuse et la dernière, la pensée fermée, repliée sur l’ethnie ou la communauté. Ces trois cas trahissent le caractère universel de l’université car, il faut le rappeler, l’université vise l’universel, elle se pose sur fonds de l’universalité. Or la politique partisane, l’endoctrinement religieux et le repli communautaire concilient difficilement l’ouverture à l’altérité et l’universalité. Ils piétinent le principe de la laïcité que je défends de toute ma force. Ils la foulent aux pieds en voulant, de manière exclusive s’accaparer l’Etat et ses institutions. Seule cette laïcité de mise à distance peut permettre de réaliser une des missions de l’enseignement que Edgar Morin exprime ainsi :
Enseigner la citoyenneté terrestre, en enseignant l’humanité dans son unité anthropologique et ses diversités individuelles et culturelles, ainsi que dans sa communauté de destin propre à l’ère planétaire, où tous les humains sont confrontés aux mêmes problèmes vitaux et mortels (E. Morin, 1999, p. 114).
Pour résoudre les risques de stigmatisation de l’islam, il m’a semblé important d’étudier la philosophe d’Averroès (1126-1198), penseur de l’ère almohade. L’étude de ce philosophe du reste tombait à pic. Elle permettait de donner solution à deux problèmes : d’abord ouvrir nos offres de formation à la pensée arabo-musulmane, ensuite, elle intervenait comme solution aux risques d’obscurantisme véhiculés par le fondamentalisme musulman.
En effet, j’ai ramené la justification du cours sur la philosophie d’Averroès (Ibn Rushd) à 5 principales raisons
Raison 1. Sortir de la philosophie classique des auteurs dits célèbres en portant notre attention sur la philosophie du Moyen Age.
Raison 2. Recenser dans la construction de cette philosophie classique, ce qu’elle doit aux auteurs oubliés, peu étudiés dans le cursus universitaire de notre université.
Raison 3. Montrer comment la philosophie dite classique a été influencée par des auteurs et des problématiques à la fois lointaines mais proches, non-occidentales.
Raison 4. Montrer l’influence de la civilisation et de la culture arabo-musulmane sur la philosophie occidentale dite classique en espérant combattre les préjugés ethnocentriques dont nous héritons et qui veulent effacer les sources non grecques de la civilisation européenne. Cet espoir s’appuie sur les dires d’Alain de Libera : « Que les « Arabes » aient joué un rôle déterminant dans la formation de l’identité culturelle de l’Europe [est une chose] qu’il n’est pas possible de « discuter », à moins de nier l’évidence » (A. de Libera, 1991, p. 104). L’Occident avait presque oublié l’héritage antique. Aux XIe et XIIe siècle seront traduites de l’arabe au latin, en Espagne et en Sicile, les œuvres d’Avicenne, Averroès, Idrisi. Elles portent sur la médecine, la philosophie, le Droit, la géographie, etc. Cette influence sera culturelle au double sens d’influence à la fois intellectuelle qu’agricole puisque par la même voie seront cultivés en Occident l’abricot, la courgette, la pastèque, le riz, l’orange, le blé dur, le coton et la fauconnerie. L’existence d’articles d’usage courant sera révélée aux Occidentaux par les Arabes : sucre, limonade, divan, le jeu d’échec (qui vient du mot shah), la mousseline, le mohair, etc. (S. Hunke, 1984, p. 14).
Raison 5. Au moment où, à travers l’actualité politique de certaines régions la cohabitation difficile entre religion/politique/science est en arrière-plan des conflits sanglants, il s’agit de voir comment leur voisinage a été pensé par les ancêtres intellectuels ou humains de ceux qui se battent aujourd’hui. Ils oublient, ces combattants actuels que pour Averroès la foi et la raison sont les deux méthodes pour arriver à une seule vérité. La science et la foi ne s’excluent pas l’une l’autre. Elles aident à rechercher une seule vérité.
Raison 6. Voir comment la religion musulmane a rayonné sur la pensée mondiale alors qu’aujourd’hui une tendance obscurantiste interne à l’islam même privilégie la mise en sommeil de la raison en refusant les débats contradictoires. Averroès nous montre au contraire que la philosophie a toujours fait partie de l’identité musulmane. La philosophie n’est pas une activité étrangère ; elle est aussi bien occidentale qu’orientale. En tant que faisant partie de l’histoire humaine, elle appartient aussi à l’histoire musulmane. Dès lors, tout penseur peut puiser dans ce patrimoine universel d’avant l’islam :
Mais si d’autres que nous ont déjà procédé à quelque recherche en cette matière, il est évident que nous avons l’obligation, pour ce vers quoi nous nous acheminons, de recourir à ce qu’en ont dit ceux qui nous ont précédés. Il importe que ceux-ci soient ou non de notre religion… Par ceux qui ne sont pas de nos coreligionnaires, j’entends les Anciens qui ont étudié ces questions avant l’apparition de l’islam (Averroès, 1996, p. 109-111).
En quoi ce penseur pouvait constituer un rempart contre l’étouffement de la raison ? Averroès répond à sa manière à la question du statut et de la place de la philosophie dans une société musulmane. Son expérience du rapport islam et philosophie aboutit à l’affirmation de rapports nécessaires et licites. Il est licite pour un individu de faire de la philosophie s’il est un musulman. Pour celui qui en a le talent, c’est vivement recommandé et même obligatoire. Etant donné que nos talents, d’une certaine manière, nous sont gracieusement octroyés par Dieu, ne pas y répondre, c’est en quelque sorte ne pas répondre à la volonté divine. Un musulman qui ne se sert pas de la raison donnée par Dieu commet un sacrilège.
Les philosophes ne sont ni meilleurs ni pires que la masse. Ils doivent respecter leur propre nature et répondre à un appel qui est dans le Coran et qui les encourage de manière explicite à l’examen rationnel de tous les étants. Dieu, ayant voulu s’adresser à l’ensemble de l’Humanité s’est ainsi adressé à chacun de ses membres. Il appartient aux philosophes de s’engager dans l’effort personnel d’interprétation des versets dont certains sont obscurs, avec un sens littéral et un sens caché. Cet effort personnel est la condition d’un progrès intérieur, spirituel et scientifique. En approfondissant le sens de l’écrit, le philosophe fait progresser la raison ; et tout progrès de la raison se reflète dans un enrichissement du sens de l’écriture. Comme le dit Alain de Libera commentant ce double mouvement :
Le philosophe est au fond engagé dans un double mouvement : un travail philosophique tout court et une multiplication du sens de l’écriture qui fait que celle-ci apparaît pour ce qu’elle est : d’une richesse infinie. Donc le philosophe n’est pas l’ennemi du sens. La métaphore pour lui n’est pas stérile ou vaine (A. de Libera, 1998-1999, p. 19).
Témoin d’une époque qui voit la prolifération d’un nombre de sectes philosophiques et théologique en luttes les unes contre les autres, Averroès va y percevoir un grand danger. Elles donnent, selon lui, le spectacle d’une victoire de l’irrationalité où sont absentes l’intelligence et le questionnement critique. Il lutte contre les théologiens, les Mu’tazilites (ou figure du sophiste dans l’islam). Fustigeant l’attitude des Ash’arites, un groupe de théologiens il les accuse d’avoir substitué des interprétations imaginaires à son examen rationnel :
Leurs penseurs spéculatifs sont devenus des oppresseurs pour les Musulmans, en ce sens qu’une fraction des Ash’arites a déclaré que quiconque ne reconnaitrait pas l’existence du Créateur – louangé soit-il- d’après les méthodes qu’eux-mêmes ont instituées dans leurs livres pour Le connaître était infidèle alors que les infidèles, les égarés, ce sont eux en vérité ! (Averroès, 1996, p. 165).
La philosophie et la théologie étant menacées, il fallait les sauvegarder afin de préserver les droits et la liberté de la spéculation philosophique. Les théologiens également s’en inquiétaient car la discussion des textes du Coran se répandaient dans tous les milieux. Il attribue le mal à ce qu’on autorise l’accès de la philosophie à des esprits incapables de la comprendre. Quel est le remède qu’il propose ? Pour lui, ce remède est dans une exacte définition des divers degrés possibles de l’intelligence des textes coraniques et dans l’interdiction signifiée à chaque esprit de dépasser le degré qui lui convient.
Les hommes se répartissent donc du point de vue de la Loi révélée en trois classes :
Ceux qui ne sont absolument pas hommes à connaître l’interprétation, […] c’est la grande masse des humains, … Ceux qui sont hommes à connaître l’interprétation dialecticienne, [.] Ceux qui sont hommes à connaître l’interprétation certaine, et qui sont [aussi] les hommes assentant par démonstration, […] Exposer quelqu’une de ces interprétations à quelqu’un qui n’est pas homme à les appréhender [- …] conduit tant celui à qui elle est exposée que celui qui les expose à l’infidélité (Ibidem, p. 157).
Averroès défend la philosophie. Non seulement il la défend par nécessité rationnelle, mais par nécessité divine. La loi divine elle-même invite à une étude rationnelle de l’univers pour qui sait lire clairement les recommandations du Coran :
Que la Révélation nous appelle à réfléchir sur les étants en faisant usage de la raison, et exige de nous que nous les connaissions par ce moyen, voilà qui appert à l’évidence de maints versets du Livre de Dieu – béni et exalté soit-IL. En témoigne, par exemple, l’énoncé divin : « Réfléchissez donc, Ô vous qui êtes doués de clairvoyance », qui est une énonciation univoque du caractère obligatoire de l’usage du syllogisme rationnel… (Ibidem, p. 105).
Averroès, veut concilier philosophie et religion. Ou encore, il montre la nécessité d’un rapprochement et la nécessité d’une distinction entre sagesse (raison) et religion (foi). Sans définir une primauté de la philosophie sur la religion ou de la religion sur la philosophie, il estime que la vérité du Coran peut être démontrée grâce à la raison. Si l’usage de la raison est rendu obligatoire par le Coran, c’est parce que celui-ci est un texte de nature rationnelle, constitué de propositions démontrables. Le Coran est un discours sur Dieu. Il y démontre son existence.
Averroès ne combat pas la religion ; son objectif est de raffermir la foi. Il demeure, malgré tout, un philosophe croyant, un musulman qui s’interroge sur la forme d’intelligibilité à introduire dans le monde à partir de sa croyance :
Son but n’est pas de délivrer du croire ou de la croyance, c’est de délivrer des faux croyants, nous délivrer de ceux qui donnent toujours le choix entre savoir et croire. Et qui prétendent tout régler et disposer de ce choix en disant : nous, nous savons ce que croire et nous savons tout… Et c’est cette figure du théologien sectaire qui noie la masse des croyants dans de fausses interprétations, les entraine sur les chemins de l’infidélité, du fanatisme et de l’intolérance et ce sont ces mêmes théologiens qui prétendent rivaliser avec les hommes de science et imposer leurs interprétations allégoriques là où le philosophe essaie de donner une exégèse rationnelle (A. de Libera, 1998-1999, p. 19-20).
Pour lui, la connaissance intellectuelle forme l’essentiel de la sagesse humaine. Elle est l’unique fin de la vie humaine et la source de la suprême félicité. Des théologiens sectaires l’accusèrent injustement de se consacrer au culte de la philosophie aux dépens de son devoir religieux. On peut dire qu’il professa un islam des Lumières dont l’université et notre époque peuvent s’inspirer.
Conclusion
Je voudrais m’arrêter ici, dans la relation de ces faits d’expérience. Mon fin mot, est un encouragement à tous : j’ai foi en l’université. Elle traverse certes des moments difficiles, mais elle saura les résoudre parce qu’elle en a les ressources. Nous sommes tous habités par cette « condition indispensable à tout enseignement : l’éros, qui est à la fois désir, plaisir et amour, désir et plaisir de transmettre, amour pour la connaissance et amour pour les enseignés » (E. Morin, 1999, p. 113). En somme, nous avons tous foi dans les possibilités de l’esprit humain. Et c’est pourquoi nous sommes venus nombreux ici aujourd’hui en ce lieu. Nous y sommes parce que conscients de cette mission : l’université doit établir l’homme dans sa dignité et sa responsabilité en en faisant un citoyen du monde qui recueille dans tout le passé culturel de l’humanité ce qu’elle a donné de meilleur et de noble. Chacun est invité, malgré les turbulences propres à une œuvre grandiose, à croire cela possible. Merci de votre aimable attention.
Références bibliographiques
AVERROES, 1996, Discours décisif, traduction inédite de Marc Geoffroy. Introduction d’Alain de Libera, G-F Flammarion.
BOA Thiémélé Ramsès, 2010, La sorcellerie n’existe pas, Abidjan, Les Editions du Cerap.
BOA Thiémélé L. Ramsès, 2020, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris. Abidjan, Les Editions Kamit, p. 58-59.
GUSDORF Georges, 1997, « Passé, présent, avenir de la recherche interdisciplinaire », in Revue internationale des sciences sociales, Vol. XXIX (1977), N°4, p. 627-648.
HUNKE Sigrid, 1984, Le soleil d’Allah brille sur l’Occident : notre héritage arabe, traduit de l’allemand par Solange et Georges de Lalène, Albin Michel.
LIBERA Alain de, « Extraordinaire et douloureuse modernité d’Averroès » Entretien avec Alain de Libéra, in Confluences Méditerranée, N°28, Hiver 1998-1999.
LIBERA Alain de, 1991, Penser au Moyen Âge, Paris, Seuil.
MORIN Edgar La tête bien faite. Repenser la réforme. Réformer la pensée. COLLECTION « L’HISTOIRE IMMÉDIATE » Éditions du Seuil, 1999.
WAQUET Françoise, Les enfants de Socrate. Filiation intellectuelle et transmission du savoir XVIIe-XXIe siècle. Paris, Albin Michel, 2008, p. 90.
DEUXIÈME PARTIE : AXES DE RÉFLEXION ET ATELIERS
PREMIER AXE : GOUVERNANCE ET FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS
Kobenan Maxime KOUMAN
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
Résumé :
Cet article met en exergue les moments de prestige des universités africaines et leur déconstruction progressive due à la mal gouvernance de nos États. Si au moment des indépendances, l’université faisait rêver et les universitaires étaient enviés, force est de constater qu’aujourd’hui, c’est une désillusion généralisée. L’université est devenue l’ombre d’elle-même. Le sujet cherche donc à diagnostiquer les causes de cette déconfiture et partant proposer des solutions pour une revalorisation de nos temples du savoir. Le désintérêt dont elles font l’objet de la part des gouvernants est à l’aune des crises répétitives que sont les grèves interminables, les effectifs pléthoriques dans les amphithéâtres et dans les cités dortoirs, la fuite des cerveaux…C’est le début d’une liste de problèmes qui peut s’étaler à l’infini. Il est donc temps d’entreprendre des reformes structurelles et institutionnelles en repositionnant les universités au centre des projets de développement des États. Il s’agit de façon concrète de procéder à une décentralisation des universités et d’œuvrer à l’amélioration de la qualité de vie et de travail de ses principaux acteurs.
Mots clés : Crisologie, Décentralisation, Déconstruction, Mauvaise gouvernance, Réformes.
Abstract:
This article highlights the moments of prestige of African universities and their progressive deconstruction due to the poor governance of our States. If at the time of independence, the university was a dream and academics were envied, it is clear that today there is widespread disillusionment. The university has become a shadow of itself. The subject therefore seeks to diagnose the causes of this discomfiture and therefore propose solutions for a revaluation of our temples of knowledge. The disinterest they are the object of on the part of the rulers is in the light of the repetitive crises that are the interminable strikes, the overstaffing in the amphitheatres and in the dormitory towns, the brain drain… This is the beginning of a list of problems that can go on forever. It is therefore time to undertake structural and institutional reforms by repositioning universities at the center of state development projects. This is a concrete way of decentralizing universities and working to improve the quality of life and work of its main actors.
Keywords : Crisology, Decentralization, Deconstruction, Bad Governance, Reforms.
Introduction
Est-il nécessaire d’être un expert en crisologie pour constater que les universités d’Afrique subsaharienne présentent un visage hideux, sinistre et pâle en comparaison à celles d’ailleurs ? Cette question aux accents pessimistes peut paraître hâtive, brutale et même choquante. Malheureusement, l’analyse factuelle du fonctionnement de nos institutions universitaires montre que celles-ci, depuis les années 1980, ont connu des fortunes diverses épousant les convulsions et la météo politico-économique des États en devenir. Au-delà des discours populistes et démagogiques, des déclarations cosmétiques et chatoyantes des décideurs politiques, la plupart des gouvernants d’Afrique subsaharienne semblent porter très peu d’intérêt à la recherche universitaire. Les universités font figure de parent pauvre dans le flot des programmes de développement des États. Ces lieux, qui jadis étaient appelés « Temple de savoir » sont devenus des sortes de dépotoirs où les États déversent le flux de leur jeunesse devenue trop embarrassante et encombrante. Ce constat est au fondement de ce sujet de réflexion intitulé « Mauvaise gouvernance endémique des États africains : Approche synoptique des universités en déconstruction ». Pourquoi les universités africaines sont-elles en proie à des crises interminables qui les défigurent et les déstructurent ? Quelles stratégies faut-il adopter afin de réformer et réhabiliter ces institutions de savoir ? Le sujet se propose de comprendre les causes profondes de cette crise. L’article part de l’hypothèse selon laquelle nos universités sont en déconfiture parce que nos États ont démissionné et accorde très peu d’intérêt à la recherche. Il s’ensuit qu’une telle étude ne saurait se passer d’une plaidoirie en faveur d’une réappropriation ou d’une renaissance du système universitaire africain. Ainsi, cette étude, à travers une méthode analytico-critique, s’articule autour de trois axes majeurs : le premier axe permet de montrer la mission historique qu’ont accomplie les universités dans le développement du continent africain. Le deuxième axe fait une analyse crisologique des universités africaines. La dernière partie met en exergue les défis et des esquisses de solutions qui sont, entre autres, des pistes pour une redynamisation des universités africaines.
1. Approche historique des universités africaines : un défi pour le développement du continent
1.1. La mission historique des universités africaines
Au lendemain de la vague des indépendances, chaque État africain se devait d’emprunter le chemin du développement qu’avait tracé le colonisateur. La construction des universités était l’un des éléments catalyseurs de ce chantier. Cette institution était considérée, à juste titre d’ailleurs, comme le laboratoire qui donnerait à la société africaine les intelligences capables de booster ou d’orienter le développement d’un continent qui a commencé à panser ses plaies issues d’une longue période coloniale et impériale. L’université qui est ce lieu de « démocratisation de la connaissance universelle » (D. Bailly, 2001, p. 6), est au cœur de ce projet herculéen qui n’est autre que celui de suivre le modèle de développement administratif, social et économique du colonisateur. Ainsi, grâce à l’enseignement universitaire, chaque citoyen, selon D. Bailly (2001, p. 7) pouvait « voler, à l’instar de Prométhée, le feu de la connaissance », qui est le gage d’un succès social. L’université est pour ainsi dire une institution où l’égalité de chance était une réalité. Tout le monde y avait accès et « constituait pour les oubliés du destin et de l’histoire, l’unique espoir de se faire une place au soleil » (D. Bailly, 2001, p. 7). Cette égalité de chance pour tous, dans l’acquisition du savoir, était une aubaine pour ceux qui, par leurs origines (pauvres) étaient astreints à la pauvreté et la misère. À travers donc la possession de ce feu prométhéen, n’importe quel jeune africain pouvait devenir un « Titan » dans la société. L’une des premières missions, et non des moindres, assignées à l’université après les indépendances, était de former des leaders éthiques susceptibles d’animer une administration compétente, exemplaire, dans un environnement favorable pour tous. Pour P. Gueye (2003, p. 21) « la mission principale de l’université était de fournir des cadres aux autres ordres d’enseignement et à l’État. »
L’Afrique post-coloniale était appelée à s’assumer et à s’affirmer afin de rentrer dans le concert des continents respectés. La construction des universités participait à cette indépendance politico-administrative. “La fierté” de tout État nouvellement indépendant, c’est d’affirmer sa souveraineté, c’est-à-dire la capacité qu’a un État de s’auto-déterminer. En effet, « la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une république » (J. Bodin, 1951, p. 122). L’auteur montre que la souveraineté possède ce caractère à elle propre de ne se déterminer que par elle-même. Elle est un attribut essentiel de l’État. La souveraineté marque l’absoluité du pouvoir d’État. (J. Bodin, 1951, p. 135). Pour s’affranchir d’une longue période d’emprise coloniale, l’enseignement supérieur avait donc pour rôle de créer les conditions nécessaires d’une souveraineté effective des États africains, en formant d’une part des cadres compétents et compétitifs et d’autre part, en développant une main d’œuvre productive pour les industries naissantes. Ainsi des universités d’enseignement général et des universités de formation technique et professionnelle ont vu le jour dans presque toutes les capitales d’Afrique. Le rôle éminemment important que jouaient les universités dans cette vision ambitieuse conférait à cette structure toutes ses lettres de noblesses.
1.2. Réputation et prestige des universités / universitaires
Les premières universités des années 60, période d’indépendance de la plupart des États africains subsahariens, ont acquis une réputation, un prestige sans précédent. Ces institutions d’enseignement supérieur étaient considérées comme des pôles d’excellence. Du coup, les rares jeunes qui ont la chance d’être appelés étudiants recevaient les honneurs familiaux et de toute la société. C’était une fierté et un honneur pour les familles et l’étudiant lui-même d’être appelé universitaire. L’étudiant faisait l’objet d’admiration de tous. Selon le rapport de la BAD (Banque Africaine de Développement), Département du développement humain (OSHD) de juillet 2007, « Au cours des années 50 et 60 (…) la qualité des installations répondait aux besoins des étudiants et des enseignants, tout en reflétant le prestige dont jouissaient les intéressés dans les différents pays ». (Rapport de la BAD, 2007, p. 1). Pour atteindre ces objectifs de façon efficace et efficiente, l’enseignement supérieur bénéficiait de ressources adéquates de qualité qui lui permettaient de maintenir des normes académiques élevées.
Les orientations à l’université se faisaient en fonction des principaux postes de responsabilité au sein de l’administration et des entreprises. Le prestige de l’étudiant venait, d’une part, du fait qu’il était vu comme un substitut du « Blanc », homme intellectuel au savoir immense et parlant parfaitement la langue du colon, et d’autre part, l’étudiant ignorait le concept de chômage, car le nombre de postes disponibles dans les administrations était largement supérieur au nombre d’étudiants diplômés. Les offres d’emplois étaient supérieures aux demandes. C’était la chasse aux fonctionnaires, aux enseignants des lycées et collèges, aux universitaires, aux ingénieurs, aux médecins … Les propos d’E. Dernintseva (2014, p. 21) sur le sujet sont très édifiants : « Après les indépendances, les nouveaux États africains furent confrontés à la pénurie de cadres en mesure de travailler dans les organes du pouvoir et d’occuper les postes administratifs autrefois réservés aux Européens ». Les universitaires étaient considérés comme des “messies” terrestres qui, une fois sortis des Temples du savoir, devaient apporter le salut d’un développement holistique aux sociétés africaines encore très jeunes et très fragiles. Ce salut se matérialisait par une diffusion des connaissances reçues du colonisateur qui ne sont autres que la formation et le perfectionnement de la main d’œuvre, le progrès social et la modernisation de l’économie par sa formation et sa codification, conformément aux normes internationales.
Malheureusement, ce prestige dont jouissaient ces structures dispensatrices de connaissance, a commencé à péricliter à partir des années 1980. La machine productrice de savoir a commencé à se gripper. Les causes de cette décadence sont à rechercher non seulement dans la gouvernance endogène des États par les décideurs africains, mais aussi dans le diktat des services financiers internationaux. C’est le début de la crise des universités, définie comme crise politique, économique et sociale.
2. Analyse crisologique des universités africaines
Aujourd’hui, force est de constater que le prestige et l’honneur dont jouissaient nos institutions universitaires et le personnel enseignant ainsi que leurs étudiants sont en perpétuel déclin. Une approche crisologique de cette situation peut permettre de saisir ses tenants et ses aboutissants. Cependant, avant toute analyse, il convient d’éclaircir le concept de « crise ». Du grec « krisis », le terme crise désigne une période d’incertitude, un changement brutal qui désorganise l’ordre initial. C’est un « moment où (…) surgissent des incertitudes ». (E. Morin, 2016, p. 75). Toute crise est par essence désorganisatrice, désagrégation d’une organisation ou d’une structure de référence. Provoquée par un évènement majeur, selon E. Morin (2016, p. 36), la crise constitue une rupture soudaine d’un équilibre, c’est la remise en cause de la survie ou le bon fonctionnement d’un système.
C’est donc conformément à l’acception du concept de crise qu’il faut projeter une analyse profonde de la crise universitaire dans les États d’Afrique. Cette crisologie permet de penser afin de panser les plaies béantes qui gangrènent ces Temples du savoir. En effet, toute crise donne à penser, elle stimule l’intelligence et nourrit l’esprit critique. L’objectif téléologique de cette re-flexion est de trouver des solutions pour relancer la machine puisque dans la pratique « toute crise crée des conditions nouvelles pour l’action » (E. Morin, 2016, p. 41).
2.1. L’impact économique et structurel de la crise
La crise actuelle des universités africaines est le fruit de plusieurs années d’errance et de tâtonnement économique des ressources financières de la part des pouvoirs publics qui avaient le destin des jeunes États en mains. L’histoire récente du continent montre que de 1960 à 1970, l’on a constaté une acceptable croissance économique pour les États africains. L’espoir était grand et permis quant à l’avenir du continent. Toutefois, à partir de 1970, les économies africaines ont commencé à s’essouffler. Ce qui aura pour conséquence l’imposition d’un programme d’ajustement structurel (PAS) qui remettait en cause le modèle de développement qui prévalait jusque-là. Les multinationales tels que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International obligent leurs débiteurs à mettre leurs économies sous contrôle et donc sous « perfusion ». Cela implique également que les États concernés ne soient plus maîtres des décisions de leur programme de développement.
Ainsi les programmes d’ajustement structurel se présentent comme une « aide ou le financement d’un programme accompagné de conditions portant sur l’économie dans sa totalité » (B. N’Gom, 1984, p. 81). Ces programmes ont ceci de particulier qu’ils pétrifient l’activité social (R. Vaneigem, 2004, p. 45). C’est dire que le pouvoir politique n’est plus ce messie dont la mission était de conduire son peuple vers la terre promise. Les économies étant désormais sous tutelle et surtout soumises aux exigences de la rationalité et de l’efficacité, les États ne choisissent plus leur modèle de développement, « l’ère des choix est close » selon les mots de G. Burdeau (1974, p. 224). Cette nouvelle donne signifie que le centre du pouvoir de décision n’est plus endogène, mais plutôt exogène. Il est tenu par des forces centrifuges et abstraites, très peu soucieuses du volet social de la vie des populations. Comme le fait remarquer l’ancien Directeur du FMI, M. Candessus (1999, p. 3) « le programme d’ajustement structurel instaure une nouvelle forme de domination qu’on peut appeler colonialisme du marché au profit des clubs de Paris et de Londres et du G7. » Il est donc clair qu’avec l’avènement brutal de la crise économique et de la recherche des solutions avec les PAS, Les États africains ne tiennent plus la clef de répartition de l’assiette budgétaire de leurs ressources financières. Cela aura nécessairement un impact considérable sur les secteurs prioritaires comme la santé et surtout l’enseignement supérieur.
Dans presque tous les États d’Afrique, en effet, les lignes budgétaires allouées à l’enseignement supérieur ont drastiquement diminué à cause du désengagement des bailleurs de fonds entraînant ainsi une détérioration de la performance des institutions universitaires. Ainsi la crise économique est devenue, en grande partie, la source de la crise universitaire. La mise sous contrôle de la gestion économique des États impacte inexorablement le fonctionnement et la structuration originelle des universités. A. Abdelkader (2002, p. 20) constatait qu’« obnubilés par les instructions de « bonne gouvernance» données par les institutions financières internationales, les nouveaux dirigeants ont ignoré l’enseignement supérieur, considéré comme improductif. »
L’enseignement supérieur, à partir des années 1980, est donc tombé en disgrâce à cause de la mauvaise gouvernance des ressources publiques entrainant ainsi une crise économique aiguë sans compter la faible aide des bailleurs de fonds et des pays bénéficiaires de l’aide qui, confrontés aux effets drastiques de la crise, ont considéré que l’enseignement supérieur est un service public coûteux et inefficace. L’université ne s’inscrit pas dans une production immédiate de gain financier comme les entreprises de biens de consommations. L’université forme les ressources humaines susceptibles de servir les entreprises et les administrations publiques. Or les services financiers internationaux, devant l’ampleur de la crise économique, ont tout de suite opté pour l’investissement dans les secteurs producteurs de revenus immédiats au détriment des secteurs de formation. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur le bon fonctionnement de ces structures d’accueil.
2.2. Des grèves répétitives et de la violence estudiantine
La crise économique survenue dans les années 1980 a affecté considérablement le fonctionnement et la stabilité des universités dont le point culminant fut l’année 1990 avec l’avènement du multipartisme, élément inspirateur de la création de plusieurs « syndicats avec toutes les tendances : radicales, inconditionnelles et modérées » (S. Klotioma, 2001, p. 8). En effet, l’une des caractéristiques de toute crise est qu’elle génère le doute, la suspicion quant à la réalité du devenir du danger. Toute crise est d’abord une rupture avec l’ordre ancien et est révélatrice d’un avenir incertain. C’est donc cette incertitude du lendemain, cette situation économique chaotique, avec une jeunesse déboussolée et désemparée, qui va déterminer leur comportement et orienter la lutte syndicale. Quand « l’horizon est bouché » (S. Klotioma, p. 8) et que l’étudiant est « voué à un perpétuel questionnement » (S. Klotioma, p. 8) sans une réponse concrète de la part des décideurs, il ne reste que la violence comme mode d’expression pour ces syndicats estudiantins naissant et qui rêvent d’un changement de vie et d’étude ici et maintenant. Les nombreuses crises sociales telles que les grèves des étudiants et des enseignants témoignent du malaise profond que les acteurs des institutions universitaires ressentent. Cette situation s’empire d’année en année avec des effectifs qui ne cessent d’être pléthoriques et encastrés dans des infrastructures devenues trop exiguës. P. Gueye (2004, p. 42.) résume ici le visage sombre et sinistre des universités africaines : « les images récurrentes, dans nos universités et institutions de formation, d’amphithéâtres et de salles bondées, avec des apprenants assis à même le sol ou accrochés aux fenêtres sont saisissantes pour tout enseignant ou visiteur. » C’est le cas par exemple de l’université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire) qui, construite dans les années 1963 pour 6000 étudiants, accueille aujourd’hui environ 70 000 étudiants avec des infrastructures presqu’à l’identique. Cette insuffisante des infrastructures d’accueil impacte considérablement la qualité de la formation et donc des diplômes. En effet, l’on assiste à une élasticité des années académiques qui s’étalent sur presque toute une année, voire deux années. Les maquettes pédagogiques sont souvent exécutées à moitié ou survolées en raison de l’insuffisance criarde des salles de TD (Travaux Dirigés) ou d’amphithéâtres pour les CM (Cours Magistraux).
Il faut relever également une insuffisance remarquable des cités dortoirs des étudiants. À Abidjan, on compte par exemple 12 000 lits pour presque 100 000 étudiants que comptent les deux universités de ladite ville (Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY et l’université Nangui Abrogoua). La conséquence de cet état de fait est que certains étudiants qui, n’ayant pas de tuteur dans la capitale ivoirienne, sont obligés d’élire domicile, une fois la nuit tombée, dans les amphithéâtres où étudiantes/étudiants passent la nuit, couchés sur des nattes ou des matelas de fortunes (cartons ou des morceaux de pagnes). Quant à la bourse d’étude, elle ne couvre que 5% des étudiants. Cela s’avère très insignifiant pour des étudiants issus en grande majorité des couches sociales très défavorisées. Nombreux sont les étudiants qui, ne possédant pas d’outils informatiques (ordinateurs) se voient dans l’impossibilité d’accéder à internet, et donc ignorent toute idée de « bibliothèque virtuelle » ou encore toute idée de « prise des cours à distance ».
Ces conditions de vie et d’étude archaïques amènent les étudiants et leurs mouvements syndicaux à trouver comme moyen d’expression des grèves à répétition avec leur corollaire de violences. La violence est devenue une forme de refuge pour des apprenants dont le seul espoir repose sur la magnanimité de la providence. Le cas de la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire) crée en 1990, est édifiant à ce sujet. Pour cette mythique organisation qui a eu comme leaders charismatiques Soro Guillaume (1992-1994) et Blé Goudé (1994-1996), entre autres, la violence est devenue une méthode d’action et de revendication, avec son cortège de démesures, de dérapages et de défiance de l’autorité compétente. S. Klotioma synthétise cette violence caractéristique de la FESCI en ces lignes :
Cette barbarie s’opère par l’annexion des territoires dont l’ex-cité de Yopougon nommée le « Kwa Zulu Natal » où les étudiants régnaient en maître absolu et semaient la teneur. Quand ils voulaient, ils délogeaient, ils pillaient, ils brûlaient (…) À cette époque c’était l’usage du pétiole, des boîtes d’allumettes et des bâtons comme moyen d’affrontement. Le cas de la mort de Thierry Zébié est encore frais dans les mémoires.
Avec le temps, on a pu constater que les machettes et les gourdins se sont substitués aux stylos. Ces actes barbares sont nourris par l’accumulation des sentiments de frustrations, d’aigreur, de colère (E. Neveu, 2002, p. 26). L’abandon brutal et précipité de la politique sociale qui préexistait au bénéfice des étudiants, est, en grande partie à l’origine de ce comportement anti-social qui frise l’état de nature hobbesien. L’accumulation d’une bonne somme de frustrations a ceci de particulier qu’elle produit, selon E. Neveu (2002, p. 26) « le potentiel nécessaire à l’engagement dans des actes violents. » Le cas de la Côte d’ivoire n’est qu’une représentation générale de ce qui se passe dans la plupart des universités africaines. J. F. Kobiané et M. Filon (2017, p. 351) ont donné le cas du Burkina Faso où les universités font face à d’énormes défis en termes de capacités d’accueil et de qualité d’enseignement. C’est le même constat au Cameroun, au Congo-Brazza, au Niger, etc. Le 20 janvier 2020, les enseignants-chercheurs du Niger, par exemple, ont entamé leur deuxième mois de grève pour revendiquer une augmentation de salaire et une amélioration substantielle de leur condition de travail. Lors de ces arrêts de travail, Nabala Adaré, le Secrétaire Général du Syndicat des Enseignants-chercheurs du Supérieur (SNECS) a déclaré devant la presse nationale et internationale qu’il n’y a rien qui avance en termes de solutions entre la corporation et les autorités étatiques. Ces exemples peuvent se multiplier à l’infini dans tous les États d’Afrique subsaharienne. En somme, il convient de souligner que c’est l’incapacité des États à donner aux institutions universitaires, les conditions nécessaires d’étude qui est au fondement de la cristallisation de la crise dans ces temples du savoir.
2.3. De la démotivation des « maîtres à penser »
La gestion laxiste des ressources financières, greffée au poids de la dette caractéristique de la mauvaise gouvernance entachent fortement la qualité de l’enseignement supérieur. La dégradation de cette performance se constate à l’aune de la condition peu envieuse du corps enseignant. Il est à noter que le « doctorat » en tant que diplôme suprême dans le cursus universitaire, ne fait plus rêver tant est que les mesures pécuniaires qui devraient subséquemment le soutenir font défauts. Comparés à d’autres agents similaires ou inférieurs en grade, on note que les enseignants du supérieur sont constamment animés par un sentiment de frustration (P. Gueye, 2004, p. 24). Prolétarisés par des salaires de misère, les titulaires de la chaire ou des travaux dirigés sont devenus peu enthousiastes et sont tentés d’aller vendre leur expertise ou leur « cerveau » ailleurs. L’eldorado pour les enseignants d’Afrique, c’est « là-bas », le lointain devenu proche grâce à une mondialisation qui, en effaçant les frontières, transforme les intellectuels des États du Sud en proies trop faciles pour les puissants, c’est-à-dire les États du Nord. La fuite des cerveaux est une réalité en Afrique. Les pays pauvres, qui peinent à rémunérer les intellectuels à la hauteur de leur diplôme, deviennent impuissants au départ de ceux-ci vers les pays riches qui les reçoivent gratuitement puisque n’ayant pas participé à leur formation. Ce sont donc des cerveaux bien pleins, « une expertise de pointe et souvent expérimentée » (I. Diène, 2003, p. 8), que l’Afrique donne gratuitement sans contrepartie, aux États déjà développés.
On a pu constater également que la recherche de revenues complémentaires amène les gardiens du peuple à se muer en homme d’affaires, à être les suppôts des hommes politiques (Directeur de cabinet, chef de cabinet, attaché de mission, conseiller …). Ces emplois secondaires ou emplois de fortune appelés “gombos” en Côte d’ivoire, permettent d’avoir des revenus additionnels afin de compenser les trous financiers laissés par le salaire de base trop insuffisant pour combler les dépenses du mois. L’enseignant-chercheur se voit donc partout en train de « prostituer » son savoir moyennant quelques revenus complémentaires.
À ces facteurs démotivants, s’ajoutent le cloisonnement et l’immobilisme des enseignants qui deviennent peu compétitifs et très peu efficaces scientifiquement car étant coupés des schèmes de connaissances de leurs collègues des autres universités. Ce manque d’enthousiasme s’approfondit avec un accès très limité à internet qui est cette forme virtuelle de mobilité. Internet est devenu un outil sine qua non dans l’acquisition et la dispensation de la connaissance. Comment consulter les bibliothèques numériques si les universités continuent d’œuvrer avec des méthodes moyenâgeuses ? Comment dispenser des cours à distance si les institutions universitaires n’ont pas accès aux NTIC ? Ce fut le cas de l’université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody qui s’est trouvée dans l’incapacité d’organiser des cours à distance durant la période décisive de la pandémie de la COVID-19, faute d’infrastructures adaptées pour les besoins de la cause. Le risque était trop grand d’entasser enseignants et enseignés dans des amphithéâtres devenus trop petits à cause des effectifs pléthoriques. Au Gabon, pour les mêmes motifs, les portes des universités sont restées fermées durant deux années avant de s’ouvrir timidement pour cause de COVID-19. Ces facteurs caractéristiques des universités qui s’étiolent à mesure que le temps passe, ne favorisent pas la passion et l’ardeur au travail des dispensateurs du savoir. Cela suppose qu’il faut les repenser pour panser les maux qui minent les universités africaines.
3. Défis et stratégies pour une re-construction des universités en Afrique
Le diagnostic de la crise ayant montré que la mauvaise gouvernance des biens publics par l’autorité compétente étant à l’origine de la décadence précipitée des universités africaines, et les conséquences supra mentionnées étant évoquées, il faut maintenant s’orienter vers de nouvelles perspectives en proposant des pistes pour une (re)-forme ou une (re)-construction de la société du savoir en Afrique. La (re)-construction doit être pensée comme ce qui prend en compte les infrastructures, les acteurs, l’économie et le leadership avec une gouvernance démocratique institutionnelle des universités.
3.1. Décentralisation géo-infrastructurelle des universités
L’une des clefs, et non des moindres, de la résolution des crises universitaires, passe nécessairement par la mise en œuvre d’une bonne politique sociale qui prenne en compte le développement des structures d’accueil afin de désengorger celles déjà existantes. Autrement dit, il faut une réorientation de la politique de construction des universités, à travers une politique de décentralisation des espaces d’accueil. L’erreur commise au lendemain des indépendances, c’est d’avoir concentré la construction des édifices universitaires dans les capitales politico-économiques, sans avoir une vision de projection et d’anticipation sur le futur. Il est donc temps de décentraliser les espaces géographiques d’enseignement en prenant en compte la cartographie des États.
Pour y arriver, les États d’Afrique noire doivent investir massivement dans le social et l’éducation. Il faut sortir du diktat des institutions financières internationales qui nourrissent l’idée selon laquelle l’enseignement universitaire est improductif. J. Y. Moisson (1999, p. 15) incrimine, à sa juste valeur, la stratégie d’endettement pratiquée par la haute finance internationale en la rendant responsable du retard de développement de l’Afrique. Si donc « l’échec social des stratégies d’ajustement structurel » (K. Mustapha, 1999, p. 7) étant constaté, il faut revenir sur les investissements des structures de formation de l’élite de demain qui est la clé de voûte de tout développement. Tout processus de développement n’est réussi que lorsque les décideurs nationaux ciblent, en toute indépendance, les secteurs vitaux capables de booster la croissance et le progrès de manière durable. Et l’un des secteurs vitaux et dynamiques qui soutient le développement et qui nécessite un investissement sérieux, c’est l’enseignement supérieur. C’est dire que l’échec des PAS doit amener les décideurs africains à ne plus suivre aveuglement ceux que K. Mbaya (2000, p. 2) appelle « les marabouts et les marchands du développement » qui sont ces soi-disant experts et qui proposent des stratégies et méthodes de développement extraverties et donc inadaptées aux réalités endogènes.
Investir donc en décentralisant les structures d’accueil, c’est rapprocher l’université des populations des provinces, c’est créer des pôles de formation de proximité afin de maintenir, d’une part, les étudiants dans leurs régions d’origine et donc non loin de leurs familles, et d’autre part, éviter leur entassement dans une seule université susceptible de créer des crises. Aussi faut-il noter que la décongestion des facultés ne peut se faire aujourd’hui de manière efficace sans prendre en compte la révolution numérique. Il s’agit d’équiper les universités d’Afrique en exploitant les opportunités qu’offrent les nouvelles technologies. Avec l’enseignement digitalisé ou enseignement numérique, on peut décentraliser virtuellement les espaces de formations en permettant d’une part aux enseignants de donner des cours à distance, et d’autre part en permettant aux étudiants de se former en étant chez eux. L’université de demain est celle de la mobilité virtuelle qui supprime les cloisonnements. Désormais, il est possible de démystifier l’apprentissage dans les amphithéâtres en se formant chez soi ou à partir de son lieu de travail. Cette nouvelle forme d’enseignement basée sur une culture technologique doit être un défi prioritaire des États africains, s’ils veulent être au rendez-vous du donner et du recevoir du savoir au cours du 21e siècle naissant.
La plupart des universités africaines avaient du mal à trouver des solutions à l’engorgement des amphithéâtres durant la crise de la COVID-19. Les cours à distance n’ont pu être assurés faute d’une connexion efficace à internet ou d’un accès ouvert à tous. C’est donc sous un stress et une peur permanents que les différents acteurs du système universitaires ont pu sauver ces institutions de formation. Un grand effort d’investissement est donc à faire dans ce domaine. Outre cette nouvelle forme d’enseignement, le digital permettra à ces nombreux étudiants démunis financièrement d’avoir accès aux bibliothèques numériques et une ouverture vers de nouvelles formations et de nouvelles compétences, donc un accès au savoir universel.
3.2. Valorisation des maîtres et gouvernance institutionnelle : De la prise de conscience à l’urgence
L’université africaine de demain doit résorber la crise actuelle en faisant de la condition enseignante une priorité. Le mal étant diagnostiqué, il faut penser maintenant à le guérir. Il urge d’aller au chevet de ces malades que sont les sociétés du savoir en Afrique. Au-delà de la construction des infrastructures supra-mentionnées, il faut que les dispensateurs de la connaissance soient revalorisés à la hauteur de leur qualification. Cela sous-entend que les États africains doivent donner un traitement salarial spécial aux universitaires afin que ceux-ci ne soient pas tentés d’aller monnayer leur savoir-faire vers d’autres secteurs ou hors du continent. L’exode des cerveaux africains est dû en grande partie au traitement insuffisant et aux conditions archaïques de travail. L’amélioration de leurs conditions de vie et de travail est l’une des conditions pour les rendre peu envieux des autres fonctionnaires. Cela permettra de mieux les stimuler et les motiver. En faisant le diagnostic de la crise actuelle de l’enseignement supérieur, P. Gueye (2004, p. 24) relevait que « la différence de traitement avec d’autres agents similaires ou inférieurs en grade est à l’origine de la fuite interne de compétences, c’est-à-dire du départ des universitaires vers d’autres secteurs ». La frustration due à une prolétarisation de l’enseignant-chercheur le rend vulnérable et l’expose à toute sorte d’offre jugée plus alléchante et attrayante. Ainsi à défaut d’aller monnayer son savoir en Occident, l’enseignant africain est plus séduit et happé par la politique où des voitures de service, des primes colossales et des voyages de mission lui sont réservés.
Aussi faut-il résoudre l’épineux problème du cloisonnement des acteurs en Afrique afin d’éviter la routine, la démotivation et l’inefficacité du chercheur. « Le confinement intellectuel » a pour conséquence le retard scientifique. L’enseignant universitaire est un citoyen du monde à travers ses voyages d’études, sa participation aux différents colloques internationaux qui sont des cadres d’échanges, de contacts et d’ouverture d’esprit. Le savoir scientifique doit être dynamique et universel. La mobilité fait partie des conditions de compétence et d’efficacité des maîtres du Temple. Il est donc du devoir des institutions universitaires de rechercher, pour les acteurs, des ressources matérielles et financières nécessaires au bon fonctionnement des universités. Cela pourrait être sous la forme d’un partenariat public / privé ou par une budgétisation spéciale de la part des États.
Il faut donc revoir le mode de gouvernance universitaire par une démocratisation de cet espace. Cela implique qu’il faut y associer tous les acteurs tels que le corps enseignant et les mouvements estudiantins. Cette méthode pourrait permettre d’obtenir un cadre de paix et de stabilité, condition d’une formation et d’apprentissage optimal en milieu universitaire. L’absence de cogestion des instances universitaires est souvent l’une des causes des crises qui plombent le bon fonctionnement de ce secteur. L’implication de tous les acteurs dans les prises de décision est une manière de responsabiliser tout le monde afin de prévenir ou de résoudre les conflits. Imposer des décisions de façon unilatérale à partir du sommet ne peut que créer les germes d’une future crise. A contrario la concertation et le dialogue sont des armes efficaces contre les mécontentements et les grèves.
Conclusion
Au terme de notre réflexion sur les récurrentes crises universitaires d’Afrique subsaharienne, il ressort qu’il est temps de tirer la sonnette d’alarme afin de réveiller les consciences sur les causes et les conséquences qui les sous-tendent. L’approche diagnostic de cette déconstruction/déclinaison, nous conduit à l’idée selon laquelle les crises universitaires sont avant tout une crise de gouvernance et une mauvaise appréciation ou une sous-estimation du rôle éminemment important que les universités jouent dans le développement holistique des États. Sans toutefois prétendre écrire pour prouver un quelconque génie, nous pensons tout de même qu’il faut (ré) habiliter l’Enseignement supérieur à travers un investissement conséquent et une (ré) vision du fonctionnement administratif en privilégiant une gestion démocratique, participative de tous les acteurs de ce secteur. Ce sont là, des propositions parmi tant d’autres, propositions pouvant permettre de stabiliser et redorer l’image de ces Temples du savoir de l’Afrique.
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Pascal Dieudonné ROY-EMA
Université Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire)
roypascal2007@yahoo.fr / royema@me.com
Résumé :
Durant sa riche carrière professorale, Heidegger va à la quête d’une forme d’idéal universitaire classique. C’est que, pour lui, l’Université n’était pas ou n’était plus conforme à son essence. Elle avait failli à ses missions fondamentales ; ce qui, du même coup, l’avait amputée de sa Selbstbehauptung, sa capacité à affirmer elle-même son autonomie. Dans sa vision, la concordance de l’université avec son essence exige une détermination du corps enseignant à « l’auto-affirmation auto-définissante [qui] autorise l’auto-méditation résolue en vue d’une autonomie authentique ». Si « nous » voulons demeurer dans l’essence de l’Université, explique Heidegger, il faut que la Lehrerschaft – c’est-à-dire le corps enseignant – fasse de « l’autonomie authentique » son principe fondamental. Précisément, il faut qu’elle « devienne forte pour la Führerschaft », la disposition à être chef. C’est alors la capacité de la Lehrerschaft à s’élever à la Selbständigkeit authentiqueaux fins d’être disposée à la Führerschaft qui permettra à l’Université africaine de retrouver son essence.
Mots clés : Auto-affirmation, Auto-définissante, Autonomie authentique, Dasein, Essence,Führerschaft, Lehrerschaft, Université, Wissenschaft.
Abstract:
During her rich teaching career, Heidegger sought a form of classical academic ideal. For him, the university was not or was no longer consistent with its essence. It had failed in its fundamental missions, which, at the same time, had deprived it of its Selbstbehauptung, its ability to assert its autonomy itself. In his vision, the university’s concordance with its essence requires a determination on the part of the teaching body to “self-definition [which] allows resolute self-meditation for authentic autonomy.” If “we” want to remain in the essence of the University, Heidegger says, the Lehrerschaft – the teaching body – must make “authentic autonomy” its fundamental principle. Precisely, it must become «strong for the Führerschaft», the willingness to be leader. It is then the ability of the Lehrerschaft to rise to the authentic Selbständigkeit for the purpose of being disposed to the Führerschaft that will allow the African University to regain its essence.
Keywords : Self-definition, Authentic autonomy, Dasein, Essence, Führerschaft, Lehrerschaft, University, Wissenschaft.
Introduction
Les contributions aux travaux de Heidegger tentent, diversement, d’éclairer la nature et les limites de sa pensée que S.-J. Arrien et C. Sommer (2021, p. 317) qualifient de « legs philosophique majeur du XXe siècle », tout en envisageant la question de sa postérité et surtout de son actualité, pour nous, aujourd’hui, en jetant, ici, un regard synoptique sur le fonctionnement de nos universités africaines.
« Le terme d’université, qui provient du poussiéreux Moyen-Âge, laisserait accroire que l’enseignement prend en vue l’universel dans le savoir » (B. Rappin, 2015, p. 353). Dans le monde, les premières universités se seraient formées dans les douzième et treizième siècles. Celles de Paris en France et de Bologne en Italie, prétendent être les premières qui aient été établies en Europe. L’université serait alors fille de l’Occident ; elle serait fondamentalement une création occidentale avant de se répandre dans les autres parties du monde. Toutefois, il faut préciser que, « si les historiens s’accordent à dire que les premiers embryons de notre université moderne virent le jour au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, leur processus d’apparition est encore l’objet d’âpres débats » (R. Müller, 2003, p. 43).Une filiation continue relierait les institutions d’enseignement arabo-orientales, byzantines et monastiques d’une part, et les universités des XIIe et XIIIe siècles, d’autre part.
En Afrique post-coloniale de façon générale et principalement dans les anciennes colonies françaises, l’université est née au lendemain des indépendances. La première université ivoirienne a vu le jour le 1er octobre 1963, suite à la transformation du Centre d’Enseignement Supérieur d’Abidjan (créé le 3 juillet 1959 par l’arrêté du 11 septembre 1959) en Université d’Abidjan, officialisée par le décret n°64-42 du 9 janvier 1964.
Du latin universitas (« corps, compagnie, corporation, collège, association ») comme abréviation de l’expression médiévale universitas magistrorum et scolarum (association/corps des professeurs et des élèves), l’université est passée, historiquement, comme le disent C. Charle et J. Verger (2012, p. 112-115), d’une institution ecclésiastique jouissant de privilèges royaux et pontificaux, qui était chargée de l’enseignement secondaire et supérieur, à une institution d’enseignement supérieur et de recherche constituée par divers établissements (collèges, facultés, etc.) et formant un ensemble administratif dont le fonctionnement et la gouvernance posent problème aujourd’hui encore, dans plusieurs pays africains.
Actuellement, cela n’échappe à aucun esprit averti que l’Éducation nationale, l’Université et le Savoir sont en crise en Afrique et notamment en Côte d’Ivoire. Dès qu’on débat de l’université aujourd’hui, « les mêmes idées reçues et mots dépréciatifs reviennent : “échec” en premier cycle, “fac parking”, “usine à chômeurs”, etc. » (S. Beaud et M. Millet, 2021, p. 98). Pourtant, les universités jouent un rôle décisif en cette période de consolidation de la construction de nos États en voie de développement.
Pour alimenter le débat de la recherche de solutions aux crises des universités africaines, une lecture serrée du mythique Discours que Martin Heidegger a prononcé le 27 mai 1933 pour sa nomination à la tête de l’Université de Fribourg-en-Brisgau peut s’avérer précieuse. Ce que Martin Heidegger avait dénoncé hier, est encore valable aujourd’hui. Pour lui, l’université comme ensemble administratif n’était pas ou n’était plus conforme à son essence. Elle avait failli à ses missions fondamentales ; d’où son incapacité à affirmer son autonomie. Sous sa plume, le savoir ne doit pas être un simple objet inféodé « au dressage extérieur en vue d’un métier » (O. Jouanjan, 2010, p. 211), à l’espace économique, pour employer des mots d’aujourd’hui. Heidegger opte assez clairement pour une autonomie absolue du champ de la pensée par rapport à ce qui menace de l’absorber, la mise en marchandise et la dérive mondiale des biens de consommation courante, dirait-on aujourd’hui. Ce qui implique que la Lehrerschaft – c’est-à-dire le corps enseignant – se détermine pour faire de la quête de son autonomie authentique, un principe fondamental de sorte qu’elle « devienne forte pour la Führerschaft », la disposition à être chef.
Comment acquérir une forme d’idéal universitaire classique en Afrique ? Comment conformer l’université à son essence et à ses missions fondamentales ? Comment les universités africaines peuvent-elles retrouver leur capacité à affirmer leur autonomie dans une gouvernance authentique ? Pour répondre à ces questions, nous irons, d’une part, à la découverte du contexte historique et du sens du Discours de Rectorat (1) ; et d’autre part, nous exposerons le faisceau de l’idéal universitaire heideggérien, à partir du décryptage des notions de Lehrerschaft et de Führerschaft, qui présente « l’auto-affirmation auto-définissante » du corps enseignant comme postulat (2).
1. Le discours du rectorat
1.1. Contexte historique
Héritière critique de la phénoménologie husserlienne, l’œuvre de Martin Heidegger la plus connue, Être et temps (1927), est fondatrice aussi bien pour l’existentialisme que pour la pensée de la déconstruction. Son projet d’analytique du Dasein propose d’interroger l’existence humaine comprise comme être-au-monde ouvert à la question de l’être. Le Dasein (l’être-là) est cet étant (existant concret) pour lequel il y va en son être de cet être même. La philosophie est comprise ainsi comme ontologie. Heidegger en appelle à la reprise de la question de l’être, en référence à la philosophie grecque antique, celle d’Aristote, de « l’être en tant qu’être », et celle des présocratiques. L’histoire de la métaphysique, parvenue à sa fin, est celle de l’oubli de cette question. « Heidegger en propose la reprise et la déconstruction, au sens où il faut au penseur défaire les scories au cours de l’histoire de la philosophie pour en retrouver le sens originel, le sens existentiel » (C. Sommer, 2010, p. 157).
C’est au moment de la consolidation de l’influence de cette pensée que Heidegger est élu Recteur de l’Université de Fribourg-en-Brisgau le 21 avril 1933. À cet effet, il prononce son discours rectoral, le discours d’intronisation, intitulé « L’auto-affirmation de l’Université allemande » (Die Selbstbehauptung der deutschen Universität), le 27 mai 1933. « Le 1er mai 1933, le philosophe avait adhéré au parti nazi (NSDAP), arrivé au pouvoir le 30 janvier de la même année ; adhésion le 3 mai, antidatée au 1er mai 1933. Heidegger vote pour le NSDAP dès avant 1932 » (C. Sommer, 2010, p. 159). La question de l’engagement national-socialiste de Heidegger a suscité de très vives controverses dans l’histoire de la philosophie.
Malgré la liaison « compromettante » que le Discours peut nous contraindre à faire entre la « philosophie » de Heidegger et son engagement politique, nous souhaitons afficher sur ce point une sorte de neutralité afin de nous soustraire à ce débat toujours vif sur la portée et les conséquences à tirer de l’engagement de Heidegger dans le national-socialisme en renvoyant dos à dos ceux qui « réduisent l’œuvre à une forme sublimée d’un national-socialisme vulgaire » et ceux qui « la détachent de l’engagement politique ». Car comme l’indique C. Sommer (2013, note 7, p. 9), les deux approches « contournent la complexité réelle des liens entre philosophie et politique tels qu’ils se nouent chez Heidegger à partir de 1933 ». L’éclairage platonicien pourrait, peut-être, nous aider à mieux comprendre le lien qui est censé unir gouvernement politique et philosophie dans l’Université du IIIème Reich, et à introduire ainsi dans cette complexité une certaine clarté ; « mais sans pouvoir pour autant permettre d’estimer le degré réel de compromission avec l’idéologie nazie qui ne cesse de faire débat depuis qu’il existe « une affaire » Heidegger » (C. Sommer, 2013, p. 32). Finalement, comme le note le préfacier et traducteur Jean Kessler, « même la parenté platonicienne et tous ces commentaires sur ce point, nous laissent livrés à nous-mêmes, à nos doutes et à nos questions sur l’insondable énigme de cet engagement » (C. Sommer, 2013, p. 2).
Le contexte du Discours de Rectorat fait qu’on peut y reconnaître l’air du temps idéologique national-socialiste, mais nous choisissons ici volontairement de ne pas en chercher les traces. Heidegger démissionnera de son poste de Recteur le 23 avril 1934. Pendant cette période, il exerce diverses activités liées à sa fonction officielle, tout en continuant de dispenser son enseignement universitaire.
La réflexion que nous développons en ces pages entend s’inspirer de celle tracée par un Nicolas Tertulian (« Histoire de l’être et révolution politique. Réflexions sur un ouvrage posthume de Heidegger », in Les temps modernes, vol. 45, N°523, 1990) ou un Jean-Michel Palmier (Les écrits politiques de Heidegger, Paris, L’Herne, 1968) qui cherchent à rendre compte de la dimension sémantique de l’œuvre de Heidegger en la restituant dans le champ qui l’a vue naître. C’est la filiation philosophique de la dimension politique de la pensée heideggerienne qui nous intéresse. Précisons, par ailleurs, que la filiation philosophique du rapport du philosophe au politique chez Heidegger est double, remontant d’une part à Jünger et d’autre part à Nietzsche. Dans son texte de 1945 sur le Rectorat, il souligne l’importance qu’a eue sa lecture de Jünger, avec qui il entretient une relation épistolaire dès les années 1930, pour le développement de sa pensée.
Une telle analyse ne signe pas le rejet de la pensée de Heidegger : elle souhaite plutôt situer les limites à l’intérieur desquelles cette philosophie peut aider à penser la modernité politique et à panser les crises répétitives qui paralysent la gouvernance authentique des universités africaines, point d’intérêt éminent de notre étude.
1.2. Le sens du Discours
Remplaçant à la tête de l’université de Fribourg le social-démocrate von Möllendorf, qui n’exerça sa charge que quelques jours, Heidegger entend rénover l’Université allemande, et par là l’Allemagne tout entière ainsi que la civilisation européenne. Il s’inscrit dans le mouvement de mise au pas (Gleichschaltung) de la société allemande qui vise, au-delà, à poursuivre la « révolution » nationale-socialiste. Le Discours de Rectorat a aussi bien un aspect philosophique qu’un aspect politique.
Le philosophe nouvellement Recteur livre une exhortation aux étudiants et aux professeurs afin de les mobiliser en temps de crise politique. Si l’université a un rôle capital à jouer dans cette crise, « c’est que les événements politiques témoignent selon Heidegger d’un profond oubli quant à ce en quoi consistent essentiellement la connaissance et toute pensée comme telle » (M. Béland, 2006, p. 99).
Heidegger affirme que la connaissance ne serait maintenant comprise que de façon purement instrumentale, technique ; voilà pourquoi selon lui, l’essence de la science est « « vidée et usée ». La pensée et la connaissance, malmenées par la théologie chrétienne aussi bien qu’après (par) la pensée mathématiquement technique des Temps modernes, errent loin de leur origine et de leur grandeur destinale » (M. Béland, 2006, p. 99). Heidegger croit fermement qu’une mission salvatrice pour la pensée occidentale est inscrite dans le destin du peuple allemand et c’est pour cette raison qu’il affirme « avoir accepté le Rectorat de l’Université de Fribourg, afin de prendre part au renouveau spirituel de l’Allemagne et de l’Occident au moyen d’une rénovation interne de l’Université allemande » (M. Béland, 2006, p. 99).
Le Discours en appelle à l’extension du « Führerprinzip » au savoir. Le « Führerprinzip » implique l’idée d’obéissance au chef, de soumission à ses instructions en tant que guide. C’est un principe essentiel du fonctionnement de tout Système, de toute Administration et de toute Gouvernance en tant qu’organisation hiérarchique. Ce principe directeur qu’est le « Führerprinzip », qui se reflète également dans le principe de l’expression comme principe de l’autorité de leadership inconditionnel, était un concept politique et une formule de propagande dans le socialisme national allemand.
Heidegger propose de réorganiser le travail des étudiants en trois « services », du travail, de la défense et du savoir.
La première obligation est celle qui les conduit à la communauté populaire. Elle leur fait un devoir de prendre part à la peine, aux aspirations, aux capacités de tous les membres du peuple, quel que soit leur état, en partageant le fardeau et en mettant la main à la pâte. Cette obligation est désormais fixée et enracinée dans l’existence étudiante par le service du travail. La troisième obligation de la communauté étudiante est celle qui la lie à la mission spirituelle du peuple allemand. Ce peuple travaille à son destin dans la mesure où il place son histoire dans une certaine possibilité : celle de manifester la surpuissance de toutes les puissances formatrices de monde de l’existence humaine, et où il conquiert toujours à nouveau son monde spirituel. (…) Une jeunesse étudiante qui se risque tôt dans l’âge adulte et qui étend son vouloir jusqu’au destin à venir de la nation, s’oblige de fond en comble au service de ce savoir. (…) Mais ce savoir n’est pas pour nous la tranquille prise de connaissance d’essentialités et de valeurs-en-soi, il est la plus tranchante mise en péril de l’existence au milieu de la surpuissance de l’étant. (…) Les trois liens – lien par le peuple au destin de l’Etat dans une mission spirituelle – sont pour l’essence allemande également originels. Les trois services qui sortent de là – le service du travail, le service militaire, le service du savoir – sont également nécessaires et de rang égal. (V. Farias, 1992, p. 126-141).
Le Discours de Rectorat affirme que l’essence de la science est l’unité de trois savoirs : la connaissance du peuple, la connaissance du destin de l’État et la connaissance de la mission spirituelle du peuple. « Heidegger assure que l’unité de ces trois savoirs forme « l’essence originale et pleine de la science dont la mise en œuvre est (la) tâche » des professeurs et des étudiants » (M. Béland, 2006, p. 100).
Mais abstraction faite du contexte, ce qui caractérise la philosophie, on pourrait considérer qu’il s’agit seulement d’une exaltation de la science. La particularité de Heidegger étant une focalisation sur l’origine, « le commencement est encore, il ne gît pas derrière nous […] mais il se dresse devant nous » (M. Heidegger, 2003, p. 19). Et on pourrait y voir une incitation à suivre l’exemple grec : « si nous nous conformons à la lointaine injonction du commencement, alors la science doit devenir l’événement fondamental de notre existence spirituelle-populaire » (M. Heidegger, 2003, p. 21). C’est une forme d’idéal universitaire classique qui ambitionne de réorganiser le savoir et la science, c’est-à-dire tresser un nouveau lien entre l’action et la pensée au sein de l’Université et sous le leadership (Führerschaft) du corps des enseignants (Lehrerschaft).
2. L’idéal universitaire heideggérien
2.1. L’essence de l’Université
Les efforts principaux de Heidegger, considéré comme l’un des philosophes les plus influents du XXe siècle, portent sur la métaphysique traditionnelle, qu’il interprète et critique d’un point de vue phénoménologique, herméneutique et ontologique. Cette posture scientifique et intellectuelle, Heidegger la transporte dans ses ouvrages et dans sa carrière enseignante durant laquelle il va à la quête d’une forme d’idéal universitaire classique.
Mais la conception heideggérienne de l’université est particulière puisque le philosophe argumente que « la tant chantée « liberté académique » se voit chassée de l’université allemande, car cette liberté était inauthentique parce que seulement négatrice » (M. Heidegger, 2003, p. 29). Elle signifiait principalement l’insouciance, l’arbitraire des projets et des inclinations, la licence dans tout ce qu’on faisait ou ne faisait pas.
C’est pourquoi, lors de sa prise en charge solennelle du Rectorat de l’Université de Fribourg-en-Brisgau le 27 mai 1933, Heidegger prône l’auto-affirmation de l’Université allemande et, partant, celle de l’Université tout court. On peut simplement voir dans ce petit texte une apologie un peu particulière de la science (Wissenschaft), renvoyée à son origine plutôt qu’à ses développements.
« Notre réalité humaine (Dasein) – dans notre communauté de chercheurs, de professeurs et d’étudiants – est déterminée par la connaissance (Wissenschaft) » (M. Heidegger, 1995, p. 2). C’est donc la Wissenschaft (science) qui est le principe unificateur de cette « communauté de chercheurs, de professeurs et d’étudiants » que constitue l’université. « La Wissenschaft (…) c’est la condition pour que l’idée d’universitas, d’où l’université tire son nom, accède à la plénitude de sa portée, en tant que communauté de savoir, qui tire de l’idée même du savoir la condition de sa cohésion » (P. Macherey, 2012, p. 19).
Dans son état actuel, l’université africaine est amputée de sa Selbstbehauptung, sa capacité à affirmer elle-même son autonomie, pour reprendre la formule dont Heidegger s’est servi, en 1933 pour intituler son Discours de Rectorat, « die Selbstbehauptung der deutschen Universität » (M. Heidegger, 2003, p. 21).
L’idée même de Selbstbehauptung comporte une référence primordiale au principe du vouloir : « si l’université est en déréliction, en décomposition, comme un organisme dont l’unité se défait, c’est parce qu’elle s’est coupée de ce principe vital » (M. Heidegger, 2003, p. 13) ; en l’absence d’une volonté de savoir authentique, c’est-à-dire une volonté tournée vers l’essence de la science et non vers tel ou tel but particulier, la connaissance n’est plus qu’une tâche technique, dont les résultats se mesurent en termes de réussite ou d’échec matériels. Or la volonté de laquelle le savoir tire sa substance doit être avant tout une volonté spirituelle, faute de quoi elle trahit sa mission, et sombre dans l’inessentiel. Il faut donc opérer « un retour radical à l’origine, reprendre les choses à leur source » (M. Heidegger, 2003, p. 8).
Dans ce discours de prise de la charge de Recteur, Heidegger indique se situer au niveau des essences, qu’il interprète de manière nationaliste : « maîtres et élève ne doivent leur existence et leur force qu’à un enracinement véritable et communautaire dans l’espace de l’université allemande » (M. Heidegger, 2003, p. 7). Cette option volontariste lui fait dire que « l’auto-affirmation de l’université allemande, c’est la volonté originelle, commune, de son essence » (M. Heidegger, 2003, p. 11). On peut voir là se mêler l’essence de l’université et celle de l’Allemagne. Comme quoi, pour Heidegger, l’université doit être « tout entière au service de l’État » (M. Heidegger, 2003, p. 33).
Dans sa vision de l’essence de l’Université, Heidegger invite le corps enseignant à « l’auto-affirmation auto-définissante [qui] autorise l’auto-méditation résolue en vue d’une autonomie authentique » (M. Heidegger, 2003, p. 43). Dans le discours de Rectorat de Heidegger, cet objectif grandiloquent, nous le limitons au cadre universitaire, pour les besoins de notre article.
Si « nous » voulons l’essence de l’Université, explique Heidegger, il faut que la Lehrerschaft – c’est-à-dire le corps enseignant – « devienne forte pour la Führerschaft », la disposition à être chef. Pour ce faire, il faut que le corps enseignant de l’université puisse s’exposer jusqu’aux « postes extrêmes du danger de la constante incertitude du monde », du moins si « nous voulons l’essence de la science ». Il faut que ce corps tienne les positions et que, de là, lui vienne « le questionner commun et le dire communautairement accordé (gemeinschaftlich gestimmte Sagen) ». À cette condition, il sera assez « fort pour la Führerschaft ». C’est donc la capacité de la Lehrerschaft à s’élever ou à correspondre à la Selbständigkeit authentique aux fins d’être disposée à la Führerschaft qui permettra aux universités africaines de retrouver leur essence.
Être chef, c’est moins marcher en tête, qu’avoir « la force de pouvoir aller seul ». Une telle force « relie à l’essentiel », permet la « sélection des meilleurs » et « éveille la Gefolgschaft authentique de ceux qui sont d’un courage nouveau » (François Fédier traduit par « disposition à suivre » (mais : « décision d’accepter de suivre » à la deuxième phrase du Discours), Gérard Granel par « allégeance »). Cette Gefolgschaft n’a nul besoin d’être « éveillée » chez les étudiants, puisque la Studentenschaft – le corps étudiant – « ist auf dem Marsch », est « en marche ». Elle est manifestement mieux préparée, au printemps 1933, à la Gefolgschaft, que le corps enseignant ne l’est à la Führerschaft. Allons scruter davantage les contenus des concepts de La Lehrerschaft et la Führerschaft.
2.2. La Lehrerschaft et la Führerschaft
Dans les travaux de Heidegger, la réflexion sur la Führerschaft est mise en relation avec la Gefolgschaft. Le mot Gefolgschaf se rencontre à deux reprises dans le Discours de rectorat. Dès la deuxième phrase, on lit : « La Gefolgschaft des enseignants et des élèves ne s’éveille et ne se renforce qu’à partir de l’enracinement véritable et commun dans l’essence de l’Université allemande. » (GA 16, p. 107). Puis il est articulé à son partenaire sémantique, la Führerschaft (GA 16, pp. 112-113).
La Führerschaft désigne la direction et la « conduction » (commandement) de l’ensemble des dirigeants (Führer), la Gefolgschaft (comitatus) l’ensemble de ceux qui suivent les dirigeants, « un couple de notions transposé à partir de Tacite, Germania, chap. 13 et 14. En 1933, ces termes, on le sait, sont des termes courants de la LTI (Lingua Tertii Imperii), la langue du troisième Reich » (O. Jouanjan, 2017, p. 317). Or, en voulant imposer la Führerschaft et son principe complémentaire qu’est la Gefolgschaft dans l’institution universitaire, Heidegger semble en effet transposer le Führerprinzip (le principe général de l’organisation sociale) national-socialiste comme principe de commandement et principe de la Gemeinschaft référé en dernière instance à un Auftrag destiné par un Schicksal. Mais, en 1933/1934, il en propose une version hyperbolique si fortement conceptualisée, selon un geste fondamentalement métapolitique, que cette version ne peut que paraître irréaliste ou inintelligible aux yeux des instances précisément dirigeantes du régime. Notons que Heidegger sera officiellement élu Führer-Rektor le 1er octobre 1933, en vertu de la nouvelle constitution badoise des Universités à laquelle il a contribué.
La Gefolgschaft ne peut se diriger elle-même, mais a besoin du Führer (chef, leader) qui marche en tête. Dans le Discours de Rectorat, Heidegger dit qu’être Führer, c’est moins « marcher en tête » que « pouvoir aller seul ». L’idéologue ordinaire n’imagine pas un Führer qui pourrait aller « seul » puisque la Gefolgschaft est toujours vue comme collant à ses basques.
Chez Heidegger, la Lehrerschaft– c’est-à-dire le corps enseignant – se détermine pour faire de la quête de son autonomie authentique, un principe fondamental de sorte qu’elle « devienne forte pour la Führerschaft ». La Lehrerschaft, c’est l’ensemble de ceux qui enseignent et savent enseigner ; c’est la communauté des enseignants. « Le véritable enseignant ne se distingue de l’élève qu’en ce qu’il peut mieux apprendre et a plus authentiquement la volonté d’apprendre. Dans tout enseigner, c’est l’enseignant qui apprend le plus », notait M. Heidegger (1988, p. 85).
Conclusion
La pensée de Heidegger est très opérante pour réfléchir au monde d’aujourd’hui. Heidegger lui-même semblait l’annoncer de façon prémonitoire en écrivant ceci : « Penser, c’est se limiter à une unique idée, qui un jour demeurera comme une étoile au ciel du monde » (M. Heidegger, 1990, p. 21 ». Et c’est à cette tâche que ce texte s’est attelé, modestement, en cherchant dans les regards, les voix et les styles de Heidegger, des mots pour nos universités africaines aujourd’hui.
Le retard et les crises ne résident pas dans l’inadaptation de l’Université à son époque ; ils se logent essentiellement dans le peu d’engagement authentique des universitaires dans sa gouvernance. Mieux, c’est parce que les universités africaines ont des difficultés à correspondre à l’essence de l’Université, parce qu’elles fonctionnent dans l’oubli presque total de l’essence de l’Université, qu’elles connaissent des crises et du retard.
Pour que les universités africaines retrouvent leur essence de paix et de terre fertile à la semence intellectuelle, il faut que les enseignants, en bonne intelligence avec les étudiants et les personnels administratif et technique, se déterminent pour piloter authentiquement le fonctionnement et la gouvernance des universités. Ce qui implique de savoir susciter un leadership avéré, la Führerschaft (disposition à être chef), du corps enseignant (Lehrerschaft) qui permet la sélection des meilleurs et éveille l’adhésion naturelle, c’est-à-dire la Gefolgschaft (disposition à suivre) authentique de ce grand ensemble administratif qu’est l’institution universitaire ; un ensemble de maîtres (le corps des enseignants) et d’élèves (le corps des étudiants), de ceux qui savent et de ceux qui apprennent à savoir, sans oublier les personnels qui assurent la continuité administrative et technique.
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LA GOUVERNANCE UNIVERSITAIRE À L’ÉPREUVE DE LA DISCIPLINE SUR LE CAMPUS AU CAMEROUN
Saidou ABOUBAKAR
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
Au Cameroun, depuis la création des premières institutions universitaires en 1961, le paysage de l’enseignement supérieur s’est progressivement enrichi de près de 360 nouvelles institutions universitaires dont 11 universités d’État. Fruits de plusieurs réformes à l’instar de celle de 1993, ces nouvelles institutions ; au-delà du rapprochement de l’université des populations par une meilleure répartition géographique, visent principalement à régler l’épineux problème de la surpopulation estudiantine sur les campus. Des campus où la coexistence obligatoire de trois types d’acteurs à savoir, les étudiants, les enseignants-chercheurs et les personnels d’appui pose un véritable problème de gouvernance universitaire. L’on s’interroge dès lors sur la place de cette dernière dans la disciplinarisation du campus au Cameroun. La réponse à cette interrogation permet de se rendre compte qu’il est clairement prévu des règles qui guident et limitent la conduite des acteurs suscités. Cet encadrement normatif des comportements sur les campus est un important instrument de prévention et de résolution des crises à l’université. Il s’agit donc dans cette étude, de montrer que la discipline est un élément fondamental de la gouvernance universitaire. Nous allons utiliser la méthode analytique, traditionnelle pour le juriste car, s’appuyant sur la technique documentaire, qui va nous permettre de confronter les textes juridiques, la jurisprudence et la doctrine. C’est donc par cette approche que nous nous proposons de faire la présentation de la gouvernance universitaire comme étant le socle tant de la discipline des étudiants que des personnels enseignants et d’appui.
Mots clés : Discipline, Enseignants-chercheurs, Étudiants, Gouvernance universitaire et Personnel d’appui.
Abstract:
Keywords : Discipline, Teacher-Researchers, Students, University Governance and Support Staff.
Introduction
La carte universitaire camerounaise répond aux besoins précis de développement du pays (J. F. Ndongo, 2018, p. 7) et une vue d’ensemble de son architecture se résume à : onze universités d’État[28], sept institutions transnationales d’enseignement supérieur dont deux universités virtuelles de l’Union Africaine, une université panafricaine, une zone franche universitaire, quatre Institutions à Statut Particulier et 349 Instituts Privés de l’Enseignement Supérieur (IPES) dont le statut fut défini par la loi d’orientation de l’Enseignement Supérieur du 16 avril 2001 (A. E. Bella, 2010, p. 332). Ces IPES sont, conformément à l’article 22 alinéa 1 de la loi d’orientation de 2001, créées « à l’initiative des personnes physiques ou morales privées ou par les organisations internationales dans les conditions fixées par des textes particuliers » et « fonctionnent sous le régime de l’autorisation, de l’agrément ou de l’homologation selon les modalités fixées par des textes réglementaires spécifiques »[29].
L’autonomie de l’ensemble de ces institutions est la manifestation tangible d’une gouvernance universitaire réussie au Cameroun. Selon M. Carrier (2010, p. 9), la gouvernance est généralement définie comme « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions, pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains ». Dans l’enseignement supérieur, on parle de gouvernance universitaire. Structurée autour de trois types d’acteurs à savoir, les étudiants, les enseignants- chercheurs et le personnel d’appui, elle se concrétise grâce à ses organes de délibération et d’exécution. L’ensemble de ces organes se déploie sur un campus couvert par les franchises universitaires, socles de l’autonomie des universités[30]. Elles garantissent d’une part, l’exercice des libertés indispensables au développement de l’enseignement et de la recherche et d’autre part, le bénéfice par les enseignants, d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leur fonction. Mais, les franchises universitaires ne mettent pas l’université à l’abri des crises ou mouvements des membres de la communauté comme en 1972, 1973, 1975, 1978, 1980, 1981, 1991 à l’université de Yaoundé ; 2002 à l’Université de Ngaoundéré ; 2005 et 2013 à l’université de Buea avec mort d’homme en 2005 ; 2010 à l’université de Yaoundé 2. Certaines de ces crises se sont soldées par des actions répressives de l’armée déployée sur les campus afin d’enrayer les manifestations concernant des revendications corporatistes[31]. D’autres ont nécessité l’intervention du Président de la République (A. E. Bella, 2015, p. 301) alors que d’autres encore ont alors que d’autres encore ont été à l’origine des réformes universitaires. On se souvient que la grève de 1975 a été à l’origine du décret n°75/805 du 26 décembre 1975 portant modification de certaines dispositions du décret n°67/DF/ du 28/12/1967 portant statut de l’université de Yaoundé complété par le décret n°81-536 du 23 décembre 1981. Celles de 1980 et 1981 ont conduit le Président de la République à prendre le décret n° 82/083 du 19 février 1982 fixant les règles d’organisation, de fonctionnement et de contrôle des associations d’étudiants des Facultés et des Grandes Écoles des Institutions Universitaires. Celle de 1991 a été à l’origine, de la grande réforme de 1993 avec l’éclatement de l’Université de Yaoundé en 6 nouvelles universités d’État par une série de décret du 19 janvier 1993.
La présente réflexion interroge la place de la gouvernance universitaire dans la disciplinarisation du campus au Cameroun. En utilisant la méthode analytique, traditionnelle pour le juriste car, s’appuyant sur la technique documentaire, qui va nous permettre de confronter les textes juridiques, la jurisprudence et la doctrine, nous nous proposons de présenter la gouvernance universitaire comme étant le socle de la discipline des étudiants d’une part, et du personnel universitaire, d’autre part.
1. Gouvernance universitaire, socle de la discipline des étudiants sur le campus
La discipline des étudiants sur le campus universitaire au Cameroun est garantie grâce à une série de règles prévues par divers textes législatifs et règlementaires. Avant de lever un pan de voile sur la sanction disciplinaire en cas de violation desdites règles, il est important de revisiter la procédure y relative.
1.1. La procédure disciplinaire mettant en cause un étudiant
L’analyse des manquements à la discipline estudiantine et la composition du conseil chargé de statuer sur ces manquements permettra de bien comprendre la procédure disciplinaire proprement dite.
1.1.1. Les manquements à la discipline estudiantine
Pour avoir une idée précise de la liste des cas d’infractions disciplinaires dans les institutions universitaires camerounaises, l’on se réfère de prime abord au décret n° 93/027 du 19 janvier 1993 portant dispositions communes aux Universités. Ledit décret dispose en effet que
Tout manquement par un étudiant à la discipline, aux règlements régissant le régime des études, aux règles de la bienséance universitaire, toute participation directe ou indirecte aux actes susceptibles de compromettre le bon fonctionnement de l’Institution Universitaire, tout comportement contraire à la dignité universitaire, constituent une infraction disciplinaire[32].
À l’Université de Ngaoundéré par exemple, le cas de la fraude aux examens qui est la principale infraction disciplinaire se décline exactement en : « a. la substitution de personne lors d’un examen ou d’un travail faisant l’objet d’une évaluation ; b. l’utilisation totale ou partielle du texte d’autrui en le faisant passer pour sien ou sans indication de référence ; c. l’obtention par vol, manœuvre ou corruption, de questions ou de réponses d’examen ou de tout autre document matériel non autorisé, ou encore d’une évaluation non méritée ; d. la possession ou l’utilisation avant ou pendant un examen de tout document ou matériel non autorisé ; e. l’utilisation pendant un examen de la copie d’un autre candidat ; f. l’obtention de toute aide non autorisée, qu’elle soit collective ou individuelle et g. la falsification d’un document à l’occasion d’une évaluation »[33]. En outre, le fait de signer la copie ou de la marquer d’un signe distinctif peuvent également faire l’objet de sanctions disciplinaires.
1.1.2. La composition du conseil disciplinaire
Les manquements disciplinaires estudiantins sont portés devant le conseil de discipline composé outre du Chef de l’établissement qui en est le Président, du Directeur-Adjoint ou le Vice-Doyen, Vice-président ; d’un Enseignant de l’Établissement désigné par le Chef d’Établissement ; d’un Enseignant de l’Institution-Universitaire désigné par le Chef de ladite Institution ; d’un Représentant de l’Association des étudiants de l’Établissement, tous membres[34].
1.1.3. La procédure disciplinaire proprement dite
La procédure disciplinaire commence au niveau de l’établissement concerné puisque l’exercice de l’action disciplinaire revient, en cas de fraude aux examens par exemple, aux Chefs d’établissements qui saisissent à cet effet le jury d’examen qui n’est autre que le conseil de discipline[35].
Dans le cas de fraude aux examens, l’étudiant suspect est immédiatement exclu de la salle d’examen, puis, en application de l’article 65 du décret n°93/027 du 19 janvier 1993 portant dispositions communes aux Universités, un rapport circonstancié signé de deux surveillants est soumis au Chef de l’Établissement. Pour autant ses notes ne sont pas publiées jusqu’à l’aboutissement de la procédure disciplinaire. Par ailleurs, il ne saurait être invité à comparaître aux heures où une matière dans laquelle il compose est programmée. Dès réception du rapport des surveillants donc, le Chef d’établissement réunit sans délai le jury de fraude où l’étudiant mis en cause est convoqué et où les griefs qui lui sont reprochés lui sont lus de même que la sanction encourue, puis il est invité à décliner sa défense. La procédure disciplinaire étant contradictoire, ledit étudiant peut se faire défendre lui-même ou par un avocat de son choix. Si convoqué, il ne se présente pas, une nouvelle convocation lui est adressée par toute voie laissant trace écrite. En cas d’absence à la seconde session du jury de fraude, le conseil statue par défaut et émet un avis sur l’une des sanctions visées à l’article 62 du décret portant dispositions communes aux universités repris par les autres textes réglementaires à l’instar du statut commun des étudiants des Institutions Universitaires Publiques du Cameroun.
1.2. Les sanctions disciplinaires contre les étudiants
Les textes régissant l’enseignement supérieur au Cameroun prévoient clairement des sanctions disciplinaires estudiantines de même que les autorités habilitées à les prononcer.
1.2.1. La typologie des sanctions disciplinaires estudiantines
Intégralement reprises par les autres textes règlementaires, notamment le Statut des étudiants et les décrets portant organisation administrative et académique de chacune des 11 universités d’Etat, les différentes sanctions disciplinaires contre un étudiant sont prévues à l’article 62 du décret portant dispositions communes aux Universités qui précise que « suivant la gravité de la faute commise, les étudiants peuvent être l’objet des sanctions disciplinaires suivantes : l’avertissement ; le blâme qui peut être assorti d’une suspension partielle ou totale de toute forme d’aide ou d’assistance universitaire ; l’interdiction de se présenter aux examens sanctionnant l’année académique en cours avec suppression de toute aide universitaire ; l’exclusion temporaire d’une à deux années académiques et l’exclusion définitive des Établissements des Institutions Universitaires Nationales ».
Ces sanctions ne sont pas des innovations des décrets issus de la grande réforme de 1993. Elles sont une adaptation (par le retrait de « la suppression de la bourse ») des dispositions du décret n°75/805 du 26 décembre 1975 portant modification de certaines dispositions du décret n°67/DF/ du 28/12/1967 portant statut de l’université de Yaoundé[36]. De toute manière, une fois constituées et au bout de la procédure disciplinaire, elles sont prononcées par des autorités bien précises.
1.2.2. Les autorités compétentes pour sanctionner les étudiants
Conformément aux dispositions applicables, seul le Chef de l’institution universitaire est compétent pour prononcer la majorité des sanctions contre les étudiants. Il s’agit des sanctions d’avertissement ; de blâme qui peut être assorti d’une suspension partielle ou totale de toute forme d’aide ou d’assistance universitaire et d’interdiction de se présenter aux examens sanctionnant l’année académique en cours avec suppression de toute aide universitaire. Cependant, aux termes de l’article 64 du décret portant dispositions Communes aux Universités, le Chef de l’Institution Universitaire peut déléguer à l’autorité académique et aux Chefs d’Établissements une partie du pouvoir disciplinaire relevant de sa compétence. Une délégation qui ne peut porter que sur l’application des sanctions d’avertissement et de blâme qui peut être assortie d’une suspension partielle ou totale de toute forme d’aide ou d’assistance universitaire.
Les sanctions d’exclusion temporaire d’une à deux années académiques et d’exclusion définitive des établissements des institutions universitaires nationales relèvent de la compétence exclusive du Ministre en charge de l’Enseignement Supérieur après avis du Chef de l’Institution Universitaire. On se souvient de l’affaire des étudiants de l’université de Ngaoundéré qui ont été exclus définitivement des institutions universitaires nationales pour faux baccalauréat tchadien. Dame MAMA BILOA Sandrine a même par la suite saisi le juge administratif en contestation de ladite décision (J.-C. Aba’a Oyono, 2002, p. 23). Aucune sanction ne saurait être prise à l’encontre d’un étudiant à titre conservatoire. Par ailleurs, et en dehors de toute action disciplinaire, les Chefs des Institutions Universitaires et les Chefs d’établissement disposent du pouvoir d’admonestation contre tout étudiant. Ce pouvoir peut emporter incapacité d’être délégué des étudiants pendant une année académique, ou la suppression de toute forme d’aide accordée à l’étudiant pour une durée n’excédant pas trois mois[37].
De tout ce qui précède, l’on comprend parfaitement que c’est grâce à la gouvernance universitaire que les étudiants observent une discipline permettant au campus de jouer pleinement le rôle que lui assigne le gouvernement de la République. Le même constat peut être fait relativement aux personnels universitaires.
2. Gouvernance universitaire socle de la discipline du personnel
La gouvernance universitaire sur le plan managérial ne se limite pas à prévoir la procédure disciplinaire impliquant un personnel. Elle s’assure également que les manquements disciplinaires sont effectivement sanctionnés.
2.1. La procédure disciplinaire impliquant un personnel universitaire
L’enseignement supérieur distingue clairement le personnel enseignant du personnel d’appui. Il est évident que la procédure disciplinaire impliquant le premier soit présentée avant celle du second.
2.1.1. La procédure disciplinaire impliquant un personnel enseignant
Relativement aux infractions disciplinaires, l’article 49 du décret portant dispositions communes aux Universités cite : « tout manquement aux obligations professionnelles que sont notamment l’assiduité aux enseignements, la présence effective dans le lieu de recherche, l’encadrement des enseignants et des chercheurs, l’encadrement des étudiants, la préparation et la surveillance des examens, la correction des copies, les évaluations diverses, la participation aux jurys, la participation aux jurys d’examen, le secret des sujets d’examen et des délibérations des jurys, la participation aux activités d’appui ;
– tout acte portant atteinte ou susceptible de porter atteinte à la dignité ou à la déontologie universitaires ; ou de
– tout acte partisan, isolé ou concerté de nature à empêcher le fonctionnement normal et régulier de l’Institution Universitaire ou des Établissements ». Des éléments intégralement repris par les différents décrets portant organisation administrative et académique des universités d’État au-delà de l’article 51 alinéa 3 du décret n° 93/035 du 19 janvier 1993 portant Statut Spécial des Personnels de l’Enseignement Supérieur qui parle aussi de « la participation à la fraude aux examens ou à la complicité ou tentative de complicité à la fraude aux examens ».
S’agissant de la composition[38] du conseil de discipline impliquant un enseignant, il s’agit de :
– le Chef de l’institution Universitaire, Président ;
– le Représentant du Ministre chargé de l’Enseignement Supérieur, Membre ;
– le Représentant du Ministre de la Fonction Publique, Membre ;
– le Chef d’Établissement auquel appartient l’Enseignant concerné, Membre ;
– deux enseignants de rang magistral, ou à défaut, deux Chargés de Cours désignés par le Chef de l’Institution Universitaire, Membres ;
– le Représentant au Conseil d’Administration du grade de l’Enseignant concerné, Membre et
– Le Secrétaire Général de l’Université, Greffier.
La présence des 2/3 des membres est nécessaire pour la validité de l’avis émis et le président du conseil a le droit de convoquer toute personne dont le témoignage est susceptible de concourir à la manifestation de la vérité.
Quant à la procédure proprement dite, le Conseil de discipline est directement saisi soit par le Chef de l’Institution Universitaire, soit par le Ministre chargé de l’Enseignement Supérieur[39] et instruit les affaires par tous les moyens légaux propres à éclairer la situation sur la base d’un rapport circonstancié. Cependant, il revient préalablement au greffier d’instruire l’affaire. À cet effet, il entend obligatoirement le mis en cause sur procès-verbal, peut convoquer tout témoin en vue de son audition et a accès à tout document ou dossier lui permettant de mener à bien sa mission. À l’issue de l’instruction, un rapport circonstancié est transmis au Président du Conseil de Discipline, à l’effet de provoquer la tenue du Conseil de Discipline, à travers une convocation adressée aux membres dudit Conseil précisant le jour, l’heure et le lieu de la séance.
Le mis en cause est informé par les mêmes voies que les pièces du dossier sont tenues à sa disposition auprès du Greffier, pour consultation sur place et à titre confidentiel, soit par lui- même soit par son défendeur.
La procédure disciplinaire d’un enseignant étant essentiellement contradictoire, le mis en cause doit être convoqué par écrit, au moins cinq (05) jours avant la tenue du conseil. S’il ne se présente pas, l’affaire est renvoyée et il est à nouveau convoqué par voie d’huissier. S’il ne répond pas à la seconde convocation, le conseil de discipline statue par défaut. Le rapport et les pièces du dossier d’instruction sont confidentiels.
L’enseignant traduit devant un conseil de discipline a le droit de se défendre, soit de vive voix, soit par mémoire écrit. Il peut également se faire assister par un de ses pairs ou par tout autre défenseur de son choix par devant le Conseil de Discipline où, selon l’article 58 du décret portant dispositions communes aux Universités, la présence des 2/3 des membres est nécessaire à la validité des avis émis. Des avis rendus à la majorité simple des membres présents régulièrement convoqués, cinq jours au moins avant la séance, mais en cas de partage de voix, l’opinion favorable à l’Enseignant mis en cause prévaut.
2.1.2. La procédure disciplinaire impliquant un personnel d’appui
Le décret portant dispositions communes aux Universités et les différents décrets portant organisation administrative et académique des Universités d’État n’avait pas prévu des dispositions relatives à la discipline de cette catégorie de personnel. Il a fallu attendre l’année 2011 pour qu’un texte règlementaire, notamment le décret n° 2011/119 du 18 mai 2011, soit pris pour fixer les dispositions communes applicables aux personnels d’appui des institutions universitaires du Cameroun. Conformément à l’article 41 du texte susvisé, un Conseil de Discipline des Personnels d’Appui des Institutions Universitaires Publiques du Cameroun est créé au sein de chaque institution universitaire dont le fonctionnement est régi par l’arrêté n°13/0645 /MINESUP du 30 décembre 2013. Ledit conseil se compose du Directeur des Affaires administratives de l’institution universitaire concernée, Président ; d’un représentant du Ministère en charge de l’Enseignement Supérieur ; d’un représentant du Ministère en charge du travail ; d’un représentant du chef de la structure ou de l’établissement dont relève le personnel mis en cause et d’un délégué du personnel.
En outre, la décision du Chef de l’institution Universitaire concernée portant traduction du personnel d’appui devant le conseil de discipline, désigne également le Rapporteur et le Secrétaire de séance. Ceux-ci assistent aux travaux du Conseil sans voix délibérative et aucune autre personne n’est habilitée à prendre part aux travaux. La procédure disciplinaire étant contradictoire, tout personnel d’appui doit assister au Conseil et peut se faire défendre par l’intermédiaire d’un avocat désigné par ses soins.
Mais, selon l’article 37 du décret n°2011/119 du 18 mai 2011 portant dispositions communes applicables aux personnels d’appui des institutions universitaires du Cameroun, la procédure disciplinaire commence par une demande d’explications écrite adressée au mis en cause dès la constatation de la faute. Sur son initiative, ou à la demande d’une des autorités investies du pouvoir disciplinaire, le Chef de l’institution Universitaire saisit le Conseil par une décision de traduction du mis en cause, avec copie au Ministre de l’Enseignement Supérieur. Ladite décision indique clairement les faits qui lui sont reprochés, les circonstances dans lesquelles ces faits ont été commis, ainsi que les sanctions envisagées à son encontre.
Dès réception de ladite décision, le Président la transmet au Rapporteur, contre décharge, ainsi que l’ensemble du dossier disciplinaire qui doit comprendre tous les documents relatifs aux faits reprochés au mis en cause, notamment ses explications écrites sur ces faits ; toutes les décisions de sanctions antérieures et autres mesures conservatoires, ainsi que les avis et recommandations des différents Conseils de Discipline et toutes pièces relatives à son évaluation.
Il revient au Rapporteur d’instruire le dossier du personnel d’appui mis en cause qui est invité à en prendre connaissance. La communication du dossier disciplinaire au mis en cause doit être intégrale et la lecture est faite sur place.
Le Rapporteur doit faire preuve d’impartialité absolue dans l’instruction du dossier. À cet effet, il procède aux investigations, enquêtes et recherches utiles à la manifestation de la vérité. Après l’enquête au cours de laquelle est entendu sur procès-verbal le mis en cause, un rapport est produit et transmis au Président avec l’ensemble du dossier disciplinaire contre décharge.
Dès réception du dossier de l’instruction, le Président convoque individuellement les membres du Conseil. Ce dernier donne ses avis préalables sur toute proposition de sanction de retard à l’avancement, d’abaissement d’échelon et de licenciement. Les avis qui ne lient pas le chef de l’institution universitaire concernée sont pris à la majorité simple des membres présents, et en cas d’égalité, la voix du Président est prépondérante. Dès que la procédure disciplinaire est conduite à son terme dans tous les cas susvisés, les sanctions appropriées peuvent dès lors être prises par les autorités compétentes.
2.2. Les sanctions disciplinaires du personnel universitaire
La présentation des sanctions à l’égard du personnel enseignant précèdera celle du personnel d’appui.
2.2.1. Les sanctions du personnel enseignant
L’article 50 du décret portant dispositions communes aux Universités repris par l’article 51 du décret n° 93/035 du 19 janvier 1993 portant Statut Spécial des Personnels de l’Enseignement Supérieur prévoit les sanctions disciplinaires ci-après classées par ordre de gravité croissante :
1) l’avertissement écrit,
2) le blâme avec inscription au dossier,
3) la réprimande qui emporte incapacité d’être membre du Conseil d’Administration pendant une année,
4) la censure qui emporte incapacité d’être membre du conseil d’Administration pendant deux années et qui est incompatible avec toute fonction de responsabilité au sein des Institutions Universitaires,
5) le déplacement d’office pour un emploi équivalent des cadres de l’Enseignement Supérieur,
6) l’ajournement à un an de l’avancement d’échelon à l’ancienneté,
7) la radiation de la liste d’aptitude au grade supérieur pour une période à préciser sur l’acte de sanction,
8) l’abaissement d’échelon,
9) la suspension temporaire de fonctions,
10) la rétrogradation,
11) l’interdiction d’enseigner,
12) la révocation sans suspension des droits à pension, avec suspension des droits à pension, ou avec déchéance des droits à pension.
Quant à l’autorité compétente pour prononcer une sanction disciplinaire contre un enseignant après avis du conseil de discipline, elle varie en fonction de la gravité. Ainsi donc, le Chef de l’Institution Universitaire est compétent pour infliger l’une des sanctions relatives à l’avertissement écrit ; au blâme avec inscription au dossier; à la réprimande qui emporte incapacité d’être membre du Conseil d’Administration pendant une année, à la censure qui emporte incapacité d’être membre du Conseil d’Administration pendant deux années et qui est incompatible avec toute fonction de responsabilité au sein des Institutions universitaires et au déplacement d’office pour un emploi équivalent des cadres de l’Enseignement Supérieur.
Le Ministre de l’Enseignement Supérieur de son côté est compétent pour infliger l’une des sanctions portant sur l’ajournement à un an de l’avancement d’échelon à l’ancienneté, la radiation de la liste d’aptitude au grade supérieur pour une période à préciser sur l’acte de sanction, l’abaissement d’échelon et la suspension temporaire des fonctions.
Le Président de la République est compétent pour infliger l’une des sanctions relatives à la rétrogradation, l’interdiction d’enseigner et la révocation sans suspension des droits à pension, avec suspension des droits à pension, ou avec déchéance des droits à pension.
En cas d’urgence et conformément à l’article 62 du décret n°93/035 suscité portant Statut Spécial des Personnels de l’Enseignement Supérieur, l’enseignant mis en cause peut être immédiatement suspendu de ses fonctions par le chef de l’Institution Universitaire, en attendant la mise en mouvement de la procédure disciplinaire. La durée de la mesure de suspension ne peut excéder trois (03) mois. L’acte portant suspension dudit enseignant doit en préciser la durée et indiquer si l’intéressé conserve le bénéfice de la totalité de son traitement, et dans le cas contraire, déterminer le montant de la retenue, qui ne peut être ni supérieure à la moitié du traitement, ni porter sur les prestations familiales. À l’issue de la période de suspension, le Chef de l’institution universitaire réintègre d’office l’enseignant concerné dans ses fonctions si aucune sanction n’a été prononcée contre lui pendant la période de suspension.
2.2.2. Les sanctions à l’égard du personnel d’appui
Pour le personnel d’appui indiscipliné, l’une des sanctions disciplinaires suivantes selon la gravité de la faute peut lui être infligée. Il s’agit, selon l’article 36 dudécret n°2011/119 du 18 mai 2011 Portant dispositions communes applicables aux personnels d’appui des institutions universitaires du Cameroun, de l’avertissement ; du blâme ; de la mise à pied d’un (01) à huit (08) jours ; du retard à l’avancement pour une durée d’un (01) à deux (02) ans ; de l’abaissement d’échelon et du licenciement.
L’autorité compétente pour prononcer la sanction à l’endroit d’un personnel d’appui est d’une part le Chef d’établissement, lorsqu’il est question d’infliger l’une des sanctions relatives à l’avertissement ; au blâme et à la mise à pied d’un (01) à huit (08) jours. D’autre part, il s’agit du Chef de l’institution Universitaire, pour infliger l’une des sanctions portant sur le retard à l’avancement pour une durée d’un (01) à deux (02) ans ; l’abaissement d’échelon et le licenciement.
Conclusion
Au terme de notre analyse, il y a lieu d’admettre que l’influence de la gouvernance universitaire sur la discipline sur le campus camerounais est une réalité indubitable. Ce défi national a ainsi suscité des réactions d’une telle envergure. Les textes accordant des pouvoirs au Ministre de l’Enseignement supérieur et au Président de la République, en leur reconnaissant explicitement la compétence de sanctionner certains membres de la communauté universitaire, relève de ce type de réaction au niveau national. C’est ainsi que l’anthropologie du corps social camerounais dans sa globalité et plus spécifiquement universitaire laisse entrevoir la manifestation du pouvoir dans sa capacité à contrôler et à enrégimenter la corporation universitaire, entendu au sens classique du terme, c’est-à-dire l’ensemble constitué des maîtres et de leurs disciples. Ses modes de figuration et ses représentations, ainsi que note A. E. Bella (2015, p. 325), rendent manifestes sa réalité dans le campus Le défi de la discipline universitaire est aussi perçu ou relevé par les responsables des institutions universitaires pris sur un plan individuel. Les dispositions reconnaissant et instituant le principe des franchises universitaires leur accordant d’importants pouvoirs disciplinaires en sont une illustration. Toute chose qui met en relief le souci du gouvernement d’assurer la paix dans le milieu universitaire afin de lui permettre d’assurer pleinement ses missions. Cependant, force est d’admettre que les normes encadrant la discipline dans la communauté universitaire se révèlent utiles mais insuffisantes. Il faudrait, une audace révolutionnaire pour aller vers une gouvernance universitaire dans laquelle chaque maillon de la chaîne concernée pourrait voir son dossier disciplinaire traité dans un délai bien précis. Dans le cas contraire, pour le cas des étudiants par exemple, de préjudices énormes sont inévitables à l’instar de ceux dont les sanctions d’exclusion des universités nationales interviennent après l’obtention de leur diplôme. Et, à ce propos, les tergiversations ne sont plus permises : le temps est venu de franchir le Rubicon en renforçant le dispositif actuel pour un campus calme et discipliné.
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GOUVERNANCE ET FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS DE LA ZONE UEMOA
École Normale d’Enseignement Technique et Professionnel (Mali)
Résumé :
La massification de l’enseignement, la multiplication des classements, la transformation des modes de financement et plus généralement, l’internalisation constituent quelques-uns des bouleversements profonds auxquels est confronté l’enseignement supérieur dans la plupart des pays de l’UEMOA. Ces bouleversements se sont traduits par des reformes importantes des universités dans les années récentes, notamment au Mali. Dans ce contexte, la gouvernance universitaire et, plus généralement les liens entre les Etats et les institutions d’enseignement supérieur ont généré de nombreux débats. En la matière plusieurs rapports ont été publiés au niveau mondial tel que (Fieldenn, 2008). Cependant, la plupart d’entre eux se limite à caractériser la gouvernance à un niveau institutionnel, sans interroger les acteurs sur leurs perceptions et leurs pratiques.
La présente étude vise à donner un panorama des pratiques de gouvernance des universités de l’Union Economique Monétaire Ouest Africain (UEMOA) et particulièrement celles du Mali. Nos résultats sont issus d’un premier traitement des données obtenues par la passation d’un questionnaire en ligne et par courrier auprès des universités de l’UEMOA et particulièrement les universités et les grandes écoles du Mali. Tout en validant un diagnostic maintes fois formulé par les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, ce processus doit conduire à la formulation d’un vaste programme de réformes institutionnelles et académiques. On se pose la question centrale de recherche suivante : quel est le mode de gouvernance et de financement adapté aux universités de l’UEMOA et particulièrement aux Universités maliennes ?
Mots clés : BAD, Financement, Gouvernance, UEMOA-Mali, Université.
Abstract:
The massification of education, the proliferation of rankings, the transformation of funding methods and more generally, internalization are some of the profound upheavals facing higher education in most WAEMU countries. These upheavals have resulted in major reforms of universities in recent years, particularly in Mali. In this context, university governance and, more generally, the links between States and higher education institutions have generated many debates. In this regard, several reports have been published worldwide, such as (Fieldenn, 2008). However, most of them limit themselves to characterizing governance at an institutional level, without questioning the actors about their perceptions and practices.
This study aims to provide an overview of the governance practices of the universities of the West African Economic Monetary Union (UEMOA) and particularly those of Mali. Our results come from a first processing of the data obtained by the passing of an online questionnaire and by mail with the universities of the UEMOA and particularly the universities and the grandes écoles of Mali. While validating a diagnosis repeatedly formulated by the actors of higher education and scientific research, this process must lead to the formulation of a vast program of institutional and academic reforms. We ask ourselves the following central research question: what is the mode of governance and financing adapted to UEMOA universities and particularly to Malian universities?
Keywords : BAD, Financing, Governance, UEMOA-Mali, University.
Introduction
À l’époque de l’indépendance, les dirigeants africains ont reconnu clairement le rôle important que l’enseignement supérieur allait jouer dans la construction des nouvelles nations. En effet, l’une des premières conférences sous régionales organisées après l’indépendance a traité du développement de l’enseignement supérieur (Tananarive, 1962). Par ailleurs, comme l’a noté le premier document de politiques publié par la Banque mondiale sur l’Enseignement en Afrique subsaharienne (1988), « …les universités africaines ont relevé le défi de façon impressionnante » (p. 5). Cependant, cette étude a aussi recommandé la prudence, étant donné que dans la seconde moitié des années 80, les pays de l’ASS (Afrique Subsaharienne) avaient déjà pourvu à leurs besoins en personnel dans les administrations nouvelles, et que les économies étaient en stagnation. Elle a en effet constaté que « La contribution au développement faite par l’enseignement supérieur est menacée… par quatre points faibles étroitement liés. D’abord, l’enseignement supérieur produit relativement trop de diplômés issus de programmes de qualité et de pertinence douteuses, et trop peu de savoir et de soutien direct pour le développement. Ensuite, on constate des signes indubitables de détérioration de la qualité des résultats dans de nombreux pays, au point où l’efficacité de base des établissements est aussi en doute. Enfin, le coût de l’enseignement supérieur est trop élevé. Pour terminer, le mode de financement de l’enseignement supérieur est socialement inéquitable et économiquement inefficace » (p. 5). Pour faire face à ces problèmes, l’étude recommandait des politiques destinées à (a) améliorer la qualité, (b) accroître l’efficacité, (c) augmenter la diversité à la sortie, et (d) augmenter la participation financière des bénéficiaires et de leurs familles. Pour finir, l’étude prévenait que l’amélioration de la qualité coûte cher, et que la mise en œuvre des politiques pour atteindre les objectifs (b), (c) et (d) « sera, pratiquement partout en Afrique (en particulier dans l’espace UEMOA), une condition préalable en vue de libérer les ressources nécessaires pour atteindre l’amélioration de la qualité » (p. 6).
Dans le contexte des économies en stagnation et le besoin de réformes structurelles indispensables, l’économie politique pour introduire le genre de réformes de l’enseignement supérieur recommandées dans l’étude de la Banque s’est révélée très difficile dans la plupart des pays de l’ASS pendant les années 90. En conséquence, l’augmentation des inscriptions, ajoutée à des contraintes sévères sur les budgets publics, a davantage accentué la crise dans l’enseignement supérieur africain. En même temps, cependant, on constatait en Afrique une conscience accrue du besoin de réformes de l’enseignement supérieur et de la connaissance de ce qu’il fallait faire (selon la conférence sur l’enseignement supérieur en Afrique à Accra). De nombreux changements courageux de politiques de l’enseignement supérieur et des structures de gestion et de gouvernance ont pris naissance partout en ASS (en particulier dans l’espace UEMOA) pendant les années 90.
Ces efforts de réforme se sont accélérés au cours des dernières années, et méritent d’être vigoureusement soutenus par les partenaires au développement. Comme indiqué ci-dessous, la Banque mondiale a soutenu un bon nombre de ces efforts de réforme de différentes façons. Plutôt que de s’opposer à l’enseignement supérieur, les politiques d’intervention de la Banque, en règle générale, étaient plutôt guidées par les principes suivants : le soutien de l’enseignement à tout niveau doit être intégré dans une démarche holistique qui englobe l’ensemble du secteur éducatif; dans cette démarche holistique, compte tenu de la stagnation de l’enseignement primaire entre 1980 et le milieu des années 90 au point où seulement la moitié des enfants en ASS ont commencé et terminé l’enseignement primaire, et où, par ailleurs, près de la moitié des femmes adultes étaient analphabètes, il fallait donner la priorité à l’enseignement primaire dans le soutien que la Banque apporte à la plupart des pays, en vue de promouvoir la réduction de la pauvreté, une plus grande équité et des sociétés plus démocratiques. Ceci était particulièrement le cas dans les pays où de faibles inscriptions au primaire coexistaient avec le chômage notoire des diplômés de l’enseignement supérieur (un pays sur trois en ASS avait moins de 60% d’inscriptions à l’école primaire vers 1995) ; et le développement de l’enseignement supérieur est important mais, pour le faire de façon efficace, les investissements publics dans ce secteur doivent être faits dans un cadre de politiques qui encouragent une meilleure qualité de la formation et de la recherche, adaptent les programmes de formation aux besoins de développement du pays, et encouragent une plus grande équité dans les bénéfices que les différentes tranches de revenus de la population tirent des dépenses publiques pour l’éducation. Partant de ce contexte nous nous posons la question centrale de recherche suivante : quel est le mode de gouvernance et de financement adapté aux universités de l’UEMOA ?
1. Cadre conceptuel de l’étude
Le cadre conceptuel de la présente étude repose sur une analyse systémique. L’enseignement supérieur est défini comme le système qui doit répondre à tous les besoins de formation postsecondaire du pays et s’adresser aux étudiants dont les études secondaires ont été sanctionnées par un diplôme formellement reconnu. Il s’agit d’un sous-système de l’éducation nationale. Dans l’espace UEMOA, la mission très largement reconnue du système d’enseignement supérieur est de former des ressources humaines compétentes et capables de contribuer efficacement à la lutte contre la pauvreté et au développement intégral du pays sur les plans culturel, économique et social. Ainsi conçu, l’enseignement supérieur s’impose comme un levier du développement socioéconomique. Il contribue à améliorer la qualité de vie des citoyens en luttant contre la pauvreté et ses causes (analphabétisme, sous scolarisation, etc.). Il permet le développement adéquat des ressources humaines. Le but de l’enseignement supérieur se définit par son triple rapport au savoir, c’est-à-dire de : (i) contribuer à la production du savoir (recherche) ; (ii) optimiser l’appropriation critique du savoir (enseignement) (iii) valoriser la maîtrise du savoir (capitalisation et mise en valeur). Au cours des deux dernières décennies, le travail de l’enseignant chercheur universitaire s’est considérablement modifié. Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la généralisation des échanges de toutes natures ont transformé le savoir en un bien public planétaire. Par conséquent, l’enseignant chercheur doit apprendre à enseigner en tenant compte de l’accès qu’ont ses étudiants audit savoir par l’intermédiaire des banques de données mondiales, générales et spécialisées. Il doit aussi contribuer à l’évolution de ce savoir à partir de la recherche de solutions aux problèmes prioritaires de sa collectivité et des initiatives particulières.
Les institutions d’enseignement supérieur qui marquent l’histoire sont celles qui réussissent à s’intégrer au milieu qui les porte. Le transfert des résultats de la recherche dans le milieu socio-économique doit devenir une préoccupation constante du système d’enseignement supérieur de chaque pays. La société civile et ses principaux acteurs doivent être associés de façon permanente à la définition des programmes de formation et des priorités de la recherche. Pour une nouvelle vision de l’enseignement supérieur : Rapport intermédiaire de la phase intégration, Pertinence et qualité synthèse et options d’appui Étude sur l’enseignement supérieur (p. 7) dans les pays de l’UEMOA Novembre 2004. La participation structurée de tous les partenaires à la gouvernance est nécessaire pour s’assurer que les orientations du système permettent de répondre aux besoins prioritaires de la société et que les ressources investies sont utilisées efficacement. Elle a besoin pour s’exercer d’un système d’information permettant de fournir les informations nécessaires à la définition des problèmes et au suivi des solutions proposées. Elle suppose des mécanismes et des outils d’évaluation et de sanction de la performance des professeurs et des chercheurs, des programmes et des divers organes des institutions.
La démarche de réflexion sur l’enseignement supérieur dans l’Espace UEMOA ne saurait faire abstraction des grands défis et des transformations au plan mondial, régional, national et individuel qui se répercutent sur les composantes et l’environnement des systèmes éducatifs. Ces éléments déterminent les choix prioritaires que doit faire l’enseignement supérieur pour engager son avenir. Trois grands défis ont été retenus en raison de leur influence particulière sur l’efficacité de l’enseignement supérieur : la mondialisation et l’intégration sous régionale ; les progrès de la démocratie sociale et politique ; la pauvreté et le marché du travail. La mondialisation. Au cours des dix ou quinze prochaines années, sous l’effet de la mondialisation, la plupart des sociétés ouest africaines devront relever le défi de l’accession à la société du savoir et de l’intégration à la nouvelle économie planétaire grâce à la maîtrise des technologies de l’information et de la communication. Dans le contexte d’une économie politique mondiale, un pays isolé aura peu de chance de se développer durablement, d’où l’intérêt d’une intégration sous régionale des institutions de l’enseignement supérieur.
Quatre principes, déjà consacrés dans l’Espace UEMOA, peuvent guider cette intégration de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et technique. Le premier principe, celui de la subsidiarité, veut qu’on ne traite au niveau régional que ce que les pays, pris individuellement, ne sauraient traiter avec autant d’efficience. Ce principe supporte la nécessité pour les pays de répondre aux besoins nationaux de formation. Le principe de différentiation permet à chaque État de définir ses priorités et son rythme. Le principe de coopération permet à l’instance régionale d’appuyer l’action des pays dans des domaines où il existe des convergences d’intérêt et des interdépendances. Enfin, le principe de cohérence consiste à articuler les appuis bilatéraux et multilatéraux en fonction des initiatives nationales et régionales. La démocratie sociale et politique, la capacité d’autonomie d’un système d’enseignement supérieur est nécessaire au maintien de sa cohérence et de son dynamisme. Elle repose largement sur la participation structurée de tous les partenaires de l’enseignement supérieur à la gouvernance, sur un système d’information crédible et sur des mécanismes d’évaluation fiables.
Dans l’Espace UEMOA, la démocratie Pour une nouvelle vision de l’enseignement supérieur : Rapport intermédiaire de la phase Intégration, Pertinence et Qualité Synthèse et options d’appui Étude sur l’enseignement supérieur (p. 8), dans les pays de l’UEMOA Novembre 2004 universitaire est en pleine évolution; c’est donc l’occasion pour les acteurs de l’enseignement supérieur de rester attentifs et de mettre en avant certains principes démocratiques tels que la participation, la concertation et la transparence pour considérer les nouvelles formes de transactions et d’interactions avec les étudiants, les enseignants et les personnels techniques, d’une part, et entre enseignants et étudiants dans le cadre des enseignements, d’autre part. La pauvreté et le marché du travail. La pauvreté s’exprime à tous les niveaux dans les pays de l’UEMOA, principalement dans le manque de moyens et de bien-être. Dans le contexte économique des pays de l’UEMOA, les leviers du développement économique manquent dramatiquement, comme en fait foi l’état du marché du travail qui se caractérise par un manque d’opportunités du fait de l’incapacité des économies nationales à absorber les diplômés de l’enseignement supérieur et, en même temps, de créer de nouveaux emplois dans les secteurs publics et privés.
L’enseignant-chercheur est à la fois le premier acteur et le pivot central du système d’enseignement supérieur. De transmetteur des connaissances dont il était auparavant le seul détenteur, il est appelé à devenir l’intellectuel chercheur qui, par son lien privilégié avec le système global du savoir, peut optimiser la démarche d’appropriation critique du savoir par l’étudiant. La valorisation du savoir passe par une revalorisation du rôle de l’enseignant chercheur. Un corps professoral revalorisé devra être invité à renouveler sa pédagogie et à considérer que l’étudiant est en relation de partenariat avec ses enseignants. C’est ce partenariat dans la formation qui permettra à l’étudiant d’apprendre un savoir utile et de pouvoir, par la suite, s’insérer sur le marché du travail. La performance de l’enseignement supérieur sera fonction de la qualité et de la pérennité de la coopération qui se développera entre les enseignants et les étudiants. Les étudiantes et les étudiants sont les principaux responsables de leur formation et de leur éducation. À ce titre, ils doivent être invités à participer aux décisions qui les concernent directement. Leur participation apparaît comme la seule stratégie susceptible de stimuler en leur sein, et dans l’ensemble de la société, une réflexion sur l’avenir des universités et des établissements d’enseignement supérieur. Les étudiants doivent accepter de mieux jouer leur rôle dans le développement social de leur pays respectif.
2. Méthodologie de recherche
La Banque Africaine de Développement (BAD) faisait de la lutte contre la pauvreté l’objectif central de ses opérations de développement et retenait comme l’un de ses thèmes majeurs la valorisation des ressources humaines. En 2000, elle informait les États membres qu’elle définissait l’éducation, surtout au niveau professionnel et universitaire, comme un instrument clé de la lutte contre la pauvreté. À l’issue d’une mission exploratoire effectuée en juin et juillet 2001 visant à opérationnaliser cette orientation, deux grands objectifs généraux ont été retenus : (1) entreprendre une vaste étude sur l’enseignement supérieur et (2) envisager la création d’un fonds régional d’appui à cet ordre d’enseignement afin de contribuer au développement des ressources humaines. L’étude marque une volonté politique de renouveau de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans les pays de l’Espace UEMOA. Dans l’exercice de ses fonctions économiques et monétaires, l’UEMOA a retenu au rang de ses priorités le développement des ressources humaines.
La Commission de l’UEMOA (Département du développement social/Direction de l’enseignement supérieur) a été retenue par la BAD pour agir comme agence d’exécution de l’étude. Celle-ci est supervisée par un comité de pilotage, structure regroupant les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique des pays membres ou leurs représentants, les trois principaux bailleurs de fonds actuels dans le secteur de l’enseignement supérieur (Groupe de la Banque, Banque Mondiale, Coopération française), l’ADEA (Groupe de travail sur l’enseignement supérieur) /Association des universités africaines (AUA) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Les ministres ont désigné huit correspondants nationaux pour assurer la liaison entre les systèmes d’enseignement supérieur de leur pays respectif et l’UEMOA. Comme suite à un appel d’offres international, la firme SOFEG, en partenariat avec l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC), a été retenue comme Consultant responsable de l’étude. La première étape a été consacrée à la définition du cadre conceptuel et méthodologique de l’étude, élaboré essentiellement à partir d’une recherche documentaire. En juillet 2004, le rapport de premier établissement, qui définit ce cadre conceptuel et méthodologique a été approuvé par l’UEMOA. La méthodologie de l’étude privilégie trois instruments : la recherche documentaire, le questionnaire et l’entretien semi-dirigé ainsi que la consultation du milieu par le biais d’un atelier national à caractère participatif. 1 Protocole additionnel No II relatif aux politiques sectorielles de l’UEMOA, janvier 1994. Pour une nouvelle vision de l’enseignement supérieur : Rapport intermédiaire de la phase 1 Intégration, Pertinence et Qualité Synthèse et options d’appui Étude sur l’enseignement supérieur (Page 2) dans les pays de l’UEMOA Novembre 2004.
La seconde étape a été consacrée à la réalisation des diagnostics participatifs dans les 8 pays. À cet effet, l’équipe du Consultant, composée d’experts burkinabè, canadiens, français, ivoiriens, nigériens et sénégalais, a visité chacun des pays et pris part aux ateliers nationaux portant, dans chaque pays, sur les mêmes quatre thèmes relatifs à l’enseignement supérieur : l’efficacité interne (qualité), l’efficacité externe (pertinence), le financement et l’intégration régionale. D’une durée de trois jours, ces ateliers regroupaient quelque 70 participants, issus principalement du milieu de l’enseignement supérieur. À l’occasion des ateliers, les experts ont procédé à la collecte des données et informations spécialisées et ils ont réalisé plus de trois cents entretiens avec des acteurs ou groupes d’acteurs de premier plan. Les missions de diagnostic se sont tenues entre les mois de mars et juin 2004. Comme suite à ces missions, huit rapports diagnostiques, un par pays, ont été rédigés à l’intention de l’UEMOA, entre août et septembre 2004. La troisième étape, réalisée parallèlement avec la seconde, a consisté à effectuer une analyse de l’économie de l’enseignement supérieur des pays de l’UEMOA dans le contexte de la lutte contre la pauvreté.
L’étude prend en compte les informations recueillies par les experts et les données disponibles dans les rapports et documents de la Banque Mondiale, du PNUD, de l’UNESCO et de plusieurs autres agences internationales. L’étude a été déposée à l’UEMOA en septembre 2004. La quatrième étape conclut la phase 1 de l’étude. Elle a consisté en la rédaction d’une synthèse des travaux de la première phase et en la formulation des propositions d’options d’appui à l’amélioration de l’enseignement supérieur dans l’Espace UEMOA. C’est l’objet de la présente étude. Tout au long de cette première phase, l’équipe du Consultant a été confrontée à la difficulté de recueillir une information récente, valide, complète et comparable d’un pays à l’autre. Le problème généralisé de la déficience des systèmes d’information de gestion dans l’ensemble des systèmes d’enseignement supérieur des pays concernés fragilise la validité des données quantitatives recueillies. L’information financière adéquate fut très difficile à obtenir, parfois impossible, si bien qu’on n’a pas pu aller aussi loin que voulu dans les analyses des capacités et des modes financement de l’enseignement supérieur. Le Consultant a compensé ce défaut en recourant aux bases de données internationales, mais celles-ci ne permettent pas d’atteindre un degré élevé de finesse. La complémentarité des données quantitatives disponibles et des propos recueillis auprès des décideurs et des acteurs rencontrés permet néanmoins de brosser un portrait valide de la situation de l’enseignement supérieur.
3. Analyse de la gouvernance et du financement des universités de l’espace UEMOA
Le soutien que la Banque mondiale a apporté à la réforme et à la revitalisation de l’enseignement supérieur en ASS pendant les dix dernières années a pris la forme de travail analytique, de partage des connaissances et de prêts. En ce qui concerne le travail analytique, la politique de la Banque est influencée par une appréciation accrue des contributions au développement que les établissements d’enseignement supérieur peuvent apporter à leur pays au XXIème siècle, une époque reconnue comme étant celle de la « société du savoir », de l’ère de « l’information », et de « l’économie concurrentielle globale. » Le rôle-clé joué par le savoir et l’information a été étudié dans le rapport de la Banque sur le développement mondial, Savoir pour le développement, publié en1998/99, qui soulignait les contributions que l’information et le savoir apportent à la croissance économique. Ce rapport a mis l’accent sur la nécessité d’un « système national d’innovation » dans lequel les universités jouent un rôle-clé. Par la suite, un Travail Indépendant sur l’Enseignement Supérieur et la Société, financé conjointement par la Banque et l’UNESCO, a étoffé ce rôle dans son rapport de l’an 2000 intitulé L’Enseignement Supérieur dans les Pays en Voie de Développement : Péril et Promesse. La justification complète des nouvelles politiques de la Banque se trouve dans la publication, datée de 2002, Construire les Sociétés du Savoir : Nouveaux Défis pour l’Enseignement Supérieur.
En ce qui concerne le partage des connaissances, les programmes d’aide aux pays ont permis à la Banque de soutenir un certain nombre d’efforts visant à aider les pays à développer des stratégies pour l’enseignement supérieur, stratégies enracinées dans leur contexte national mais enrichies par le savoir international. D’une manière plus générale, la Banque a dirigé pendant une douzaine d’années les activités du Groupe de Travail sur l’Enseignement Supérieur, organisé dans le cadre de l’Association pour le Développement de l’Éducation en Afrique (ADEA). C’était le seul des dix Groupes de Travail de l’ADEA qui était dirigé et financé par la Banque ; en 1992, la direction de ce Groupe de Travail passa à l’Association des Universités africaines, sans perdre le soutien financier de la Banque. Sous la direction de William Saint, Spécialiste Principal de l’Éducation, ce Groupe de Travail a mis sur pied un nombre de manifestations et d’études pour le partage des connaissances y compris « Revitaliser les Universités en Afrique : Stratégies et Directives », publié en 1997. Elle cherche à stimuler le développement de l’enseignement supérieur en Afrique en assurant la large dissémination des leçons tirées de certaines des innovations les plus réussies dans l’enseignement supérieur en Afrique pendant les dernières années. Enfin, les prêts à l’éducation constituent le troisième instrument utilisé par la Banque mondiale pour soutenir l’enseignement supérieur en Afrique.
Dans la période de cinq ans, de 1985-89, environ 17% de tous les prêts à l’éducation en ASS étaient consacrés à l’enseignement supérieur, comparés à 29% à l’enseignement primaire. De 1995-99, les chiffres correspondants étaient de 7% pour l’enseignement supérieur et 46% pour l’enseignement primaire. Ainsi, conformément au programme de la Conférence sur l’Éducation dans le Monde de 1990 à Jomtien, qui réclamait l’enseignement primaire universel pour l’an 2000, le programme de prêts de la Banque a reflété ce renouvellement de la priorité à l’enseignement primaire. Néanmoins, bien que le volume des prêts à l’enseignement supérieur ait diminué, à la fin des années 90 la Banque continuait de financer certains éléments relatifs à l’enseignement supérieur dans les programmes éducatifs d’environ 20 pays, c’est-à-dire dans plus de la moitié des pays dans lesquels la Banque apportait un soutien financier direct à l’enseignement. Comme indiqué ci-dessus, une bonne partie de ces fonds a soutenu l’élaboration de stratégies pour le développement de l’enseignement supérieur. Pour conclure, la Banque mondiale est encouragée par la présence actuelle de nombreuses tendances positives dans l’enseignement supérieur africain et est prête à augmenter son aide aux pays africains en vue de la consolidation de leurs systèmes d’enseignement supérieur.
Ce faisant, la Banque cherche à promouvoir des stratégies de planification institutionnelle, une plus grande autonomie des institutions vis-à-vis des gouvernements, des chances égales pour l’enseignement supérieur privé, et le partage des connaissances liées aux innovations réussies entre les institutions africaines. La Banque soutient également l’assurance qualité et la responsabilité institutionnelle dans l’utilisation efficace des fonds publics, et les efforts pour garantir que l’enseignement supérieur puisse répondre de façon plus efficace et plus souple aux demandes du marché de travail d’une main-d’œuvre qualifiée. Essentielle à cette approche a été l’aide financière que la Banque apporte à des “fonds d’innovation” sensibles à la demande et qui cherchent à favoriser des changements positifs dans la culture institutionnelle entourant les approches traditionnelles d’enseignement et d’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Cette approche nouvelle se manifeste déjà dans des projets de la Banque au bénéfice de l’enseignement au Mali, au Sénégal en Côte d’Ivoire, et au Bénin.
Parler d’une nouvelle vision de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique pointe la nécessité d’un changement en profondeur dans les systèmes d’enseignement supérieur des huit pays membres de l’UEMOA qui sont interpellés par leur grave dysfonctionnement. Ces systèmes fonctionnent dans un cadre organisationnel inadapté et dans une pénurie de ressources telle qu’ils sont devenus incapables d’accomplir leur mission de formation des ressources humaines nécessaires pour pouvoir s’inscrire adéquatement dans la nouvelle société du savoir. Il s’ensuit qu’ils ne peuvent plus contribuer au développement global de leur société ni de leur sous-région. C’est avec ce sentiment d’urgence que la Banque Africaine de Développement (BAD), principal partenaire financier de cette étude, et l’UEMOA, l’agence d’exécution, ont convenu d’un processus qui doit permettre de mesurer l’ampleur du défi posé aux différents pays membres de l’Union. Tout en validant un diagnostic maintes fois formulé par les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, ce processus doit conduire à la formulation d’un vaste programme de réformes institutionnelles et académiques.
Ce sentiment d’urgence est partagé par les acteurs de l’enseignement supérieur eux-mêmes qui, depuis près de deux décennies, ont produit de nombreux rapports circonstanciés et sont intervenus dans différents forums, sur le continent africain et à l’extérieur, pour sonner l’alarme et souligner avec force que le système global d’enseignement supérieur africain francophone se détériore depuis le début des années 80. Les acteurs s’entendent pour dire que la détérioration du système s’est accélérée à partir de 1986, suite à l’application des premiers plans d’ajustement structurel (PAS) mis en avant par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM). En janvier 1994, la dévaluation de 50 % du franc CFA est venue aggraver une situation déjà précaire. L’équipe SOFEG considère que le temps et les circonstances sont moins propices à constater l’état des lieux qu’à actualiser et rendre utile un diagnostic déjà largement connu de la plupart des parties prenantes du système. Il semble exister un consensus qu’il est temps de passer à l’action en proposant des options d’appui permettant de mettre un terme à la détérioration du système.
4. Recommandations
– On doit bien choisir les responsables des Institutions d’Enseignement Supérieur (IES) de la zone UEMOA pour éviter des problèmes de mauvaise gouvernance.
– On doit mener des réflexions sur la question d’autonomisation des universités de la zone UEMOA pour avoir des universités d’excellences.
– On doit chercher à instaurer d’autres visions concernant les universités de la zone UEMOA tel que le modèle d’université entrepreneuriale ; on doit enfin reconfigurer l’offre de formation.
Conclusion
Cet article porte sur la crise la gouvernance et le financement des universités de la zone UEMOA et en particulier les universités maliennes. Cette étude est réalisée comme un guide qui permettrait de comprendre les enjeux de la gouvernance et du financement des universités de la zone UEMOA afin de partager les leçons tirées de certaines des innovations les plus réussies lancées au niveau de l’enseignement supérieur au cours des dernières années. Le but de cette étude est d’améliorer la gouvernance et le financement des universités africaines et particulièrement celles de la zone UEMOA. Cette étude est axée sur les problèmes auxquels nos universités sont confrontées, et cherche à munir les établissements d’enseignement supérieur des outils dont ils ont besoin pour accroître leurs résultats.
Cet article compte également montrer qu’alors que certains des systèmes africains de l’enseignement supérieur faisaient face à une crise sérieuse, d’autres développaient des solutions locales porteuses d’espoir pour un avenir meilleur. En se fondant sur ces orientations positives, les établissements africains d’enseignement supérieur pourront former un plus grand nombre d’étudiants ; ils les formeront à des niveaux plus élevés de qualité et de pertinence, leur permettant d’engendrer le savoir par une recherche améliorée ; ils pourront ainsi former des diplômés qui seront des dirigeants compétents, des gestionnaires capables, des professionnels qualifiés, et des citoyens productifs. Il est important que les partenaires au développement en Afrique soutiennent ce processus de renouveau de l’enseignement supérieur africain. L’enseignement supérieur joue un rôle-clé dans le développement économique et social de toute nation. Ceci est encore plus vrai dans l’économie globalisée actuelle, fondée sur l’information et le savoir. Aucun pays ne peut espérer s’intégrer avec succès dans cette économie du XXIème siècle, et en bénéficier, sans une main-d’œuvre éduquée et qualifiée. L’enjeu est considérable pour l’Afrique sub-saharienne (ASS) et particulièrement les pays de l’UEMOA, étant donné le faible niveau d’éducation de la main-d’œuvre dans la plupart des pays, et le besoin urgent de croissance soutenue à un haut niveau pour réduire la pauvreté. Par ailleurs, bien que les universités soient faibles dans de nombreux pays de l’UEMOA, il n’en reste pas moins qu’elles représentent les seuls établissements nationaux qui possèdent les compétences, l’équipement et le mandat pour créer un savoir nouveau et adapter au contexte local et le savoir créé ailleurs.
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Rapport de l’étude sur l’enseignement supérieur dans les pays de l’UEMOA PHASE 1 SYNTHÈSE ET OPTIONS D’APPUI Pour une nouvelle vision de l’enseignement supérieur.
FONDEMENTS ET TYPOLOGIE CARACTÉRISTIQUE DE LA CRISE DE L’UNIVERSITÉ EN AFRIQUE : CAS DE L’UNIVERSITÉ GABONAISE
Georges MOUSSAVOU
Institut de Recherche en Sciences Humaines / Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (Gabon)
Résumé :
L’objectif de cet article est d’appréhender la crise de l’université en Afrique en lien avec la construction de l’État et l’exercice du pouvoir politique. Notre hypothèse est que « la crise de l’université gabonaise est liée aux processus et mécanismes sociaux et politiques de construction et de fonctionnement de l’État ». À partir de la théorie de l’action organisée qui postule que le système, « produit social et culturel », est une construction des acteurs impliqués à travers leurs actions et stratégies, nous expliquons que la crise de l’université gabonaise, caractérisée par les violences politiques, policières, universitaires, symboliques et psychologiques, est une co-construction des acteurs internes que sont les étudiants et les enseignants-chercheurs, et des acteurs externes (les gouvernants).
Mots clés : Acteurs, Crise universitaire, Organisation, Pouvoir d’État, Système.
Abstract:
The objective of this article is to understand the crisis of the university in Africa in connection with the construction of the State and the exercise of political power. Our hypothesis is that « the crisis of the Gabonese university is linked to social and political processes and mechanisms of construction and functioning of the State ». From the theory of organized action which postulates that the system, « social and cultural product », is a construction of the actors involved through their actions and strategies, we explain that the crisis of the Gabonese university, characterized by the political, police, academic, symbolic and psychological violence, is a co-construction of internal actors that are the students and the teacher-researchers, and the external actors (the rulers).
Keywords : Actors, University crisis, Organization, State power, System.
Introduction
L’intérêt d’analyser et d’expliquer la crise de l’université gabonaise se fonde sur une observation : « la permanence et la récurrence des mouvements de revendications étudiantes et enseignantes corrélativement aux types de réponses du gouvernement, dès l’année académique (1971-1972) suivant la création de l’Université Nationale du Gabon (UNG) en 1970 » (G. Moussavou, 2022, p. 184-194). De façon générale, en sociologie, « le terme crise s’entend à plusieurs niveaux, économique, politique ou social, et il peut désigner des phénomènes d’intensité variée » (A. Akoun et P. Ansart, 1999). En ce sens, la crise désigne une tension, un désordre social ou une rupture imprévisible et spectaculaire. Pour M.-C. Smouts et al. (2003, p. 91), la crise désigne « le trouble et le déséquilibre ». Quant à la crise de l’université gabonaise, elle se traduit par des relations conflictuelles entre les acteurs internes (les étudiants et les enseignants-chercheurs) et les acteurs externes (les gouvernants), autour de la définition, de la conception et de l’organisation de l’université. Par ce biais, ces acteurs participent à la « co-construction » (M. Crozier et E. Friedberg, 1977) du système universitaire, dans un contexte « de violences politique, symbolique, policière et universitaire » (G. Moussavou, 2022, p. 175-194).
Nous formulons l’hypothèse selon laquelle, la crise de l’université gabonaise est liée aux processus et mécanismes sociaux et politiques de construction et de fonctionnement de l’État.
Elle en est l’indicateur principal de la crise même de l’État.
L’objectif ici est donc de dévoiler la réalité de ce qui se passe au niveau de la gouvernance universitaire et politique. Notre perspective d’analyse est celle de la théorie de l’action organisée des acteurs impliqués dans l’organisation et le fonctionnement de l’université.
1. Université Nationale du Gabon, une contingence sociopolitique : le facteur originel de la crise
La mise en place d’une institution de formation supérieure au Gabon commence dès 1959 avec l’implantation d’un embryon d’établissement polytechnique à Libreville, appartenant à la Fondation pour l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale (FESAC). La création de l’Université Nationale du Gabon (UNG) en août 1970 et son ouverture effective sur le site de la FESAC, dès le mois d’octobre de la même année, a été une surprise inattendue pour les nouveaux bacheliers. L’ordonnance n°30/71 du 19 avril 1971 portant création de l’UNG a été prise et promulguée huit mois après cette ouverture. Cet écart temporel montre que l’université ainsi créée, sans infrastructures à elle et sans vision stratégique claire, a fonctionné pendant plusieurs décennies dans une certaine « illégalité » (G. Moussavou, 2020, p. 26). Ce processus précipité et inattendu pour les étudiants nous est apparu être en lien avec l’arrivée du nouveau président de la République succédant à Léon Mba en 1967, qui avait hâte, d’une part, de rassembler les acteurs politiques et les populations dans le cadre d’un parti-unique d’État, le PDG (Parti Démocratique Gabonais), aux fins de taire les divergences politiques relatives au multipartisme existant ; et, d’autre part, de couper tout ravitaillement de la contestation politique des étudiants Gabonais en France, à travers l’Association Générale des Etudiants du Gabon (AGEG) membre de la FEANF[40]. Cette perspective dont le corollaire a été le contrôle social des acteurs sociaux notamment ceux affectés à l’accomplissement des tâches dans l’administration et autres institutions scolaires et universitaires, s’est appuyée sur des recrutements des personnels à partir des critères ethno-politiques désignés par le vocable de la « géopolitique » (G. Moussavou, 2022, p. 21-22) et « d’autres liens » (A. E. Augé, 2005), constitutifs de la clientèle politique du pouvoir d’État.
2. Facteurs secondaires de la crise de l’université gabonaise
2.1. Pouvoir d’État et université
L’université constitue une organisation sociale, institutionnelle, structurelle et rationnelle dont la mission fondamentale est la production des savoirs et des élites pour le développement économique et social. L’État, acteur majeur de l’action publique, pourvoit aux besoins de l’université dont il est le créateur et où se développent des activités spécifiques d’éducation et de recherche scientifique.
Au regard des enjeux de formation des élites que l’État souhaite avoir, la création d’une université devait alors s’inscrire dans un projet stratégique de construction sociale, politique et culturelle préalablement élaboré. C’est ainsi que la nature du pouvoir politique d’État et donc de la puissance publique influe sur la gouvernance universitaire et la qualité de la formation. Autrement dit, l’université, composante du système social et politique, ne peut connaître un réel épanouissement que si le pouvoir d’État qui l’institut veuille lui donner sens et vie ; en lui fournissant notamment dans un cadre démocratique et stratégique, des dispositifs nécessaires à la pleine éclosion des intelligences et des savoirs qui s’y construisent. Or, on observe qu’en dehors des énoncés contenus dans les textes organiques et réglementaires, l’État n’a pas encore présenté et mis en œuvre un quelconque plan de cadrage des établissements et de formation supérieure en rapport avec le développement économique et social recherché.
De fait, au Gabon comme ailleurs en Afrique, l’État est un produit importé de l’administration coloniale. C’est un outil de régulation sociale et politique exogène, qui a assimilé des logiques et mécanismes de gouvernance coloniale et qui s’est greffé à des organisations sociales autres que celle dont il s’origine. Sa construction dans un contexte de déficit généralisé de personnels formés et instruits, d’absence de stratégies sociopolitiques de développement autonome et efficace, a laissé naître une « pâle copie » d’un système politique exogène à l’Afrique. C’est à cette typologie supra institutionnelle, marquée par des pratiques sociales « patrimonialisées », qu’on a assigné des missions d’organisation et de développement. J-F. Médard (1990 : 25) affirme à ce propos : « On attendait de l’État qu’il ne fut pas uniquement l’État gendarme, ni même le walfare state, mais aussi le démiurge du développement ».
De plus, l’omniprésence symbolique, manifeste et personnifiée du pouvoir d’État dans la quasi-totalité des secteurs d’activités ; l’hyper centralisation de l’administration et la personnalisation des actions publiques, caractérisent la nature sociopolitique du pouvoir exécutif en œuvre au Gabon. Ce dernier revendique l’exclusivité et le monopole de la gestion des affaires publiques et de l’action étatique. En dépit de l’existence formelle de la séparation des pouvoirs, (exécutif, législatif, judiciaire), le pouvoir exécutif et, notamment, le président de la République, n’a en réalité pas de compte à rendre aux autres composantes de la société, et encore moins, aux autres pouvoirs dits constitutionnels. Ce verrouillage sociopolitique, culturel, économique et financier par le truchement d’un « parti hégémonique », a généré la pensée unique : celle au service du président de la République ; qu’elle soit rationnelle ou irrationnelle. Il a également induit la dépendance systémique des moyens publics et des autres institutions, y compris les institutions universitaires. C’est donc dans un contexte de consolidation du régime politique que le président Albert Bernard Bongo décida de la création « impromptue » (G. Moussavou, Idem, p. 25-26) de l’Université Nationale du Gabon, d’une part, et qu’évolue l’ensemble des institutions universitaires, d’autre part.
2.2. Système universitaire et entrecroisement du système des acteurs
L’observation du fonctionnement de l’université gabonaise montre une implication polarisée d’acteurs socio-institutionnels divers dans les processus de sa gouvernance. Ces processus mettent en œuvre les actions, les actes et non actes des acteurs internes que sont les étudiants et les enseignants-chercheurs, d’une part, et des acteurs externes, hormis le ministère de tutelle, d’autre part. Les acteurs externes ce sont notamment les principaux responsables des institutions et administrations suivantes :
– la présidence de la République ;
– le ministère chargé du budget et des finances publiques ;
– le ministère chargé de la planification, ordonnateur des investissements ;
– le ministère de la fonction publique, chargé de la gestion des carrières administratives ;
– l’Agence Nationale des Bourses du Gabon (ANBG), chargée d’attribuer et de gérer les allocations d’études des étudiants.
Les opérations et actions de ces institutions et administrations externes participent à l’articulation et à la complexification organique et systémique du système universitaire. Elles ont hissé le président et la présidence de la République au rang de pôle central de résolution directe des problèmes de tous ordres affectant le fonctionnement quotidien de l’université. Aussi, du fait de l’hyper centralisation administrative et au nom de l’unicité des caisses de l’État, les ministères en charge des finances publiques et de la planification des investissements occupent, avec le président de la République, une position dominante, voire hégémonique, dans la gouvernance universitaire. Cette position consiste, entres autres, en la détermination du nombre de postes budgétaires des personnels, des moyens financiers et matériels alloués à l’université. En plus de cette position, ces ministères et la présidence de la République ont leurs agendas et calendriers d’opérations qui ne sont pas nécessairement en cohérence avec l’agenda universitaire. Les besoins cruciaux et vitaux s’inscrivant dans le fonctionnement harmonieux et normal de l’université et ses centres de recherche ne sont pas non plus en adéquation avec les besoins inconnus, les vues et préoccupations des principaux dirigeants de ces institutions et administrations.
Les votes de budgets par le parlement n’induisent pas non plus la mise à disposition et l’exécution obligatoire et rigoureuse de ceux-ci pour faire face, en temps réel, aux besoins spécifiques de l’université, d’autant que toute administration qui ne bénéficie d’aucun « blanc-seing » du président de la République ou des ministres en charge des finances publiques et de la planification peut voir ses dotations diminuées progressivement ou carrément supprimées au cours d’une année budgétaire. De même, si les budgets alloués n’ont pas été entièrement consommés par les établissements destinataires du fait de leur déblocage tardif, les dotations restantes ne sont pas non plus reconduites en supplément au cours de l’année budgétaire suivante. Elles sont purement et simplement sucrées par les services des finances et du trésor public, étant entendu que tout budget ordonnancé est supposé être disponible. Or, du fait des procédures bureaucratiques laborieuses, de la gabegie et de la corruption qui caractérisent la chaîne de la dépense, toutes les dotations ne sont malheureusement pas utilisées entièrement par les administrations destinataires dont l’université.
L’autre cas le plus patent est celui du phénomène des queues de budgets dont les principaux bénéficiaires ne sont autres que les agents et responsables des ministères en charge des finances publiques. De l’autre côté, l’Agence Nationale des Bourses du Gabon (ANBG) dépendante politiquement de la présidence de la République et du ministère des finances, influe d’une certaine manière dans la gouvernance universitaire. En effet, bien que cette agence soit placée sous la tutelle technique du ministère de l’enseignement supérieur, son fonctionnement révèle une ambiguïté la plus totale. Le ministère de tutelle technique n’a en réalité aucune maîtrise de ce qui s’y fait. Cette agence, comme les autres institutions et administrations extérieures, participe à l’entrecroisement inefficient et inefficace des services étatiques dans le champ universitaire. La représentation de la diversité des ministères au sein de sa commission d’attribution, de renouvellement et/ou de suppression des allocations d’études n’est, en effet, en rien synonyme de travail collectif d’identification et de détermination préalables des secteurs de formations stratégiques. Lesquels devaient fonder, selon les textes qui régissent sa commission, les orientations des étudiants boursiers en vue du développement économique et social du pays.
Par ailleurs, en dehors des inscriptions en 3ème cycle, recherchées par les étudiants eux-mêmes dans les universités étrangères, c’est l’ANBG ou certains parents qui choisissent les établissements de formation à l’étranger, dans lesquels les étudiants boursiers sont envoyés pour une formation à l’extérieur du pays. Cependant, il se trouve que certains établissements à l’étranger ne soient pas agréés ou reconnus par l’État dans leurs pays, voire ne sont pas appropriés pour des formations de qualité. Surtout, les retards de paiement de bourses souvent accusés par cette agence sont également l’une des causes majeures de plusieurs mouvements de manifestations/protestations étudiantes parfois violentes, se traduisant par les fermetures de portail et autres perturbations.
Ainsi, le ministère de l’enseignement supérieur est quasi déconnecté de plusieurs pans du pilotage des universités placées sous sa tutelle officielle. Par conséquent, cette forme de tutelle ne peut être que notoirement approximative, relative et atrophiée : elle est sous subordination prononcée d’autres acteurs au sein du pouvoir exécutif. In fine, se pose la question du statut et de l’identité de ce ministère.
3. Typologie et caractérisation de la crise de l’université gabonaise
L’analyse chronologique et descriptive des manifestations/protestations étudiantes et enseignantes, expression visible de la crise universitaire, nous a permis de mettre en relief les problèmes fondamentaux expliquant la complexité de l’organisation universitaire et du système de décisions structurant sa gouvernance. Car, autant l’Université Nationale Gabon devenue Université Omar Bongo (UOB) en 1978 que les universités qu’elle a générées, suite à ses crises de croissance, connaissent une permanence des problèmes d’organisation et de fonctionnement les plus élémentaires dont quasiment tout le monde s’est accommodé. À la suite d’une première phase de recueil d’informations dans le quotidien progouvernemental l’Union et « l’hebdomadaire de l’USTM »[41] (2002 – 2005), nous avons observé que de 1970 (année de création de l’UNG) à 2005, soit 35 années de fonctionnement académique, l’Université Omar Bongo a officiellement connu 17 mouvements de revendications et de protestations étudiantes et enseignantes. De 1985 (année d’ouverture de l’USTM) à 2005, soit 20 années de fonctionnement académique, l’Université des Sciences et Techniques de Masuku a connu 10 mouvements de revendications et de protestations étudiantes et enseignantes. Soit une moyenne chacune d’une instabilité universitaire majeure tous les deux ans. Quant à l’Université des Sciences de la Santé (USS), résultat de la séparation de ses établissements d’avec l’UOB depuis janvier 2002, elle a connu son premier mouvement de revendications et de protestations au cours de l’année académique 2004 – 2005. Ces informations cumulées à celles tirées de la seconde phase de recueil d’informations menée en 2018 nous amènent au constat suivant : sur 48 années de fonctionnement académique (1970 – 2018), l’université gabonaise dans son ensemble a connu officiellement 32 années (au minimum) de perturbations majeures d’activités, soit 67%[42] de temps académique affecté par des manifestations/protestations des acteurs internes du système universitaire. Les tableaux qui suivent indiquent comment nous sommes parvenu à produire les statistiques relatives à ces manifestations/protestations des acteurs internes et celles relatives aux réponses des responsables gouvernementaux.
Dans le tableau n°1 ci-dessous, chaque citation est considérée de manière autonome. Elle est rapportée à 48 années de fonctionnement universitaire constituant la référence de base de calcul de la moyenne fonctionnelle. Ainsi, à l’observation des termes de citations qui y sont contenus, l’agrégation des doléances et manifestations contre l’administration universitaire (43,75%) et de celles contre les mesures et décisions du gouvernement (33,33%) est de l’ordre de 77,08%. Ces situations qui résultent des pratiques et formes de gouvernance des autorités universitaires et gouvernementales, sont caractérisées, d’une part, par l’unilatéralisme dans la gestion et les prises de décisions ; et, d’autre part, par l’ignorance ou la non-prise en compte de l’intérêt, pour les autres catégories d’acteurs internes de l’université, de participer activement à la vie de leur institution.
Tableau n°1 : Doléances à l’origine des revendications des étudiants et enseignants-chercheurs de 1970 à 2018
Termes de citations | Nbre de citations | % |
Manifestations et protestations contre l’inaction, les mesures et décisions de l’administration universitaire. | 21 | 43,75% |
Manifestations et protestations contre l’inaction, les mesures et décisions du gouvernement. | 16 | 33,33% |
Revendications de bourses et/ou allocations d’étude. | 15 | 31,25% |
Revendications de meilleures conditions de vie et d’études par les étudiants. | 10 | 20,83% |
Revendications liées au restaurant universitaire. | 9 | 18,75% |
Revendications liées à la bibliothèque. | 7 | 14,58% |
Revendications de la prime d’incitation à la recherche, du paiement des vacations et des heures supplémentaires par les enseignants-chercheur et chercheurs. | 7 | 14,58% |
Revendications de meilleures conditions de travail par les enseignants-chercheur et chercheurs. | 6 | 12,50% |
Revendication d’une meilleure qualité de la couverture des enseignements et de compléments des effectifs d’enseignants. | 5 | 10% |
Agressions d’enseignants, d’étudiants et assassinats. | 4 | 8,54% |
Revendications de bonnes structures d’accueil et des équipements des salles de cours. | 3 | 6,25% |
Demandes de régularisation des situations administratives. | 3 | 6,25% |
Insatisfaction des étudiants face aux activités pédagogiques des enseignants. | 2 | 4,16% |
Revendications de meilleures conditions de logement étudiant. | 2 | 4,16% |
Manifestations contre la situation salariale des chercheurs et enseignants-chercheurs. | 1 | 2% |
Revendications de budget et/ou de crédits suffisants pour les établissements | 1 | 2% |
Total | 112 | 233% |
Source : Georges Moussavou
À l’instar du tableau n°1 ci-dessus, chaque citation du tableau n°2 ci-après est également considérée de manière autonome.
Tableau n°2 : Réponses des autorités universitaires et gouvernementales aux revendications des étudiants et des enseignants-chercheurs, de 1970 à 2018
Termes de citations | Nbre de citations | % |
Interventions de forces de l’ordre. | 17 | 35,40% |
Décisions d’organisation et de réorganisation structurelles. | 13 | 27% |
Décisions d’arrêts d’activités, invalidation des années académiques et/ou fermeture des universités. | 7 | 14,58% |
Promesses. | 7 | 14,58% |
Solutions matérielles, travaux de voiries, réfection et construction. | 6 | 12,50% |
Réception des acteurs internes par le président de la République. | 6 | 12,50% |
Réception des acteurs internes par le ministre de tutelle ou le gouvernement. | 5 | 10% |
Menaces et intimidations. | 4 | 8,54% |
Emprisonnements et décisions d’autorité. | 3 | 6,25% |
Non-réponses du gouvernement et absence de solutions visant l’amélioration des conditions de vie, d’études et de travail. | 1 | 2% |
Total | 69 | 130,85% |
Source : Georges Moussavou
Il ressort du tableau n°2 ci-dessus que les réponses et actions gouvernementales se répartissent comme suit :
– force, actions de violences physiques et politiques (interventions des forces de l’ordre, emprisonnements et décisions d’autorité) : 41,65% ;
– décisions d’organisation et de réorganisation structurelles : 27% ;
– décisions d’arrêts d’activités, d’invalidations des années académiques et/ou de fermetures des universités, lesquelles s’inscrivent dans le cadre des actions de violences universitaire, politique et symbolique, sont à égalité de 14,58% avec les promesses formulées par le gouvernement et l’administration universitaire ;
– quant aux solutions matérielles, aux travaux de voiries, de réfection et de construction, elles sont à égalité de 12,50% avec le taux de réception des acteurs internes des universités par le président de la République, El Hadj Omar Bongo Ondimba. En effet, nombre de solutions aux revendications en milieu universitaire n’ont été trouvées directement que par le président de la République, alors que la réception des acteurs internes par le ministre et/ou le gouvernement visant l’amélioration des conditions de vie, d’études et de travail, sont de l’ordre de 12%. Autrement dit, solutions et non-solutions de l’État se neutralisent ;
– enfin, les menaces et intimidations, les actions de violences psychologiques, symboliques et politiques sont de l’ordre de 8,54%.
En agrégeant l’ensemble des violences caractéristiques des réponses gouvernementales face aux problèmes formulées par les acteurs internes, nous avons un taux d’actions gouvernementales violentes de l’ordre de 64,77%.
Conclusion
Dans le cadre de notre article, il s’agissait d’expliquer, sur la base de la théorie de l’action organisée des acteurs impliqués, que la crise de l’université gabonaise est liée aux processus et mécanismes sociaux et politiques de construction et de fonctionnement de l’État. En ce sens, cette crise est, avant tout, l’indicateur de la crise même de l’État. Des données d’investigation recueillies, il ressort que les processus de création de la première université, l’université nationale, la nature du pouvoir politique d’État et donc de la puissance publique et l’organisation du système universitaire sont au fondement de la crise de l’université gabonaise. Cette crise est exacerbée par l’hyper centralisation du pouvoir exécutif et les actions hégémoniques des acteurs institutionnels externes n’ayant aucun lien direct avec la tutelle officielle. Ce qui place le ministère de l’enseignement supérieur dans une tutelle approximative et relativement atrophiée ; et l’institution universitaire dans une mainmise des acteurs dont les agendas n’ont aucune relation objective avec ses missions. Des contradictions de définition et de conception de ce que doit être l’université, entre les acteurs internes (étudiants et enseignants) et les acteurs externes (les gouvernants), il découle des manifestations de mécontentements et des violences à la fois politiques, policières, universitaires, symboliques et psychologiques.
De là, nous pensons que pour résoudre cette forme relationnelle improductive, il est plus que nécessaire de rendre la gouvernance publique véritablement et sincèrement démocratique et, d’inscrire l’université dans un véritable projet de construction noble de la société, pour le développement économique et social du pays.
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PROJETS D’ÉCOLE ET L’AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS AU TOGO
Ati-Mola TCHASSAMA
École Normale Supérieure (Togo)
Résumé :
L’une des nouvelles visions des Institutions Universitaires est l’autonomie et le fonctionnement démocratique. Le projet d’école répond d’un cadre fédérateur qui résulte d’un processus de mobilisation des acteurs : enseignants, élèves, parents d’élèves, les spécialistes de l’éducation autour de l’école pour la bonification de la qualité de l’éducation (J. Ehrhard, R. Toraille, G. Villars, 1982). De ce cadre fédérateur, nous pensons que les projets d’école peuvent favoriser l’autonomie des Universités. Pour vérifier cette hypothèse, des enquêtes à partir d’un questionnaire et d’un guide d’entretien auprès des enseignants-chercheurs consentants desdites Institutions et une étude documentaire ont été faites. L’analyse, à la fois quantitative et qualitative, montre que les projets d’école sont dans leur étape embryonnaire. Par des formations et sensibilisations, une priorité doit être accordée à ceux-ci afin de contribuer à l’autonomie financière et à l’assurance qualité des Institutions universitaires.
Mots clés : Autonomie, Projet d’école, Université.
Abstract:
One of the new visions of University Institutions is autonomy and democratic functioning. The school project responds to a unifying framework which results from a process of mobilizing actors: teachers, students, parents of students, education specialists around the school for the improvement of the quality of the education (J. Ehrhard, R. Toraille, G. Villars, 1982). From this unifying framework, we believe that school projects can promote the autonomy of universities. To verify this hypothesis, surveys based on a questionnaire and an interview guide with consenting teacher-researchers from the said Institutions and a documentary study were carried out. The analysis, both quantitative and qualitative, shows that the school projects are in their embryonic stage. Through training and awareness, priority must be given to these in order to contribute to the financial autonomy and quality assurance of university institutions.
Keywords : Autonomy, School project, University.
Introduction
Les besoins des États Africains en matière de développement culturel et social ont conduit les pays l’Union Économique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA) à réfléchir sur le rôle et les caractéristiques de leur système éducatifs et en particulier les Universités. Cela va dans le même sens que E. Albert et I. Calin (1993) qui pensent que tout système éducatif doit s’ouvrir à son milieu, donc répondre au besoin de sa société en mutation. Pour ces auteurs, l’éducation est de plus en plus une perspective, c’est-à-dire, la recherche de formules nouvelles. La recherche du savoir est devenue l’enjeu du premier plan. Dans leur rôle de moteur du développement, les Universités africaines ont entrepris de vastes réformes en vue de transformer leur système d’enseignement pour qu’il contribue davantage au développement économique et social. Les Universités sont devenues des guides dans le but de faire avancer les sociétés. Par exemple, ces impératifs donnèrent naissance à l’Université, de la recherche moderne grâce à laquelle les « sociétés agricoles sont devenues des sociétés industrielles, ce qui a rendu possible un vaste commerce mondial » (E. P. Cubberley, 1948, p. 799). Cet état a transformé les « formations universitaires, à finalité non professionnelle, suivies par une petite élite homogène en un vaste système d’enseignement supérieur professionnalisé, proposant des filières diversifiées à des effectifs issus des classes moyennes » (H. K. Jarausch, 1983, p. 10). Avec la réforme de l’enseignement supérieur dans les pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA), l’une des nouvelles visions des Universités est l’autonomie et le fonctionnement démocratique. Au Togo, la nouvelle Loi d’Orientation de l’Enseignement Supérieur l’a réitéré en son article 53 : « les établissements publics d’enseignement supérieur jouissent d’une autonomie administrative et financière ». Pour une efficacité d’un système éducatif, il faut des établissements qui ont des moyens de leur autonomie et savent rendre compte de l’usage qu’ils en font ; ils ont des professionnels compétents, autonomes et réflexifs (Ph. Perrenoud, 2002). Cette étude prend en compte le lien entre les projets d’école et l’autonomie des Universités. Une analyse de situation et l’énoncé du problème seront faits à travers la suite.
1. Problématique
Les Universités deviennent le principal lieu où les biens symboliques sont, sinon produits, du moins conçus et élaborés » (B. Scott, 1998, p.127). Au moment où l’octroi de subventions publiques aux Universités est en recul dans de nombreux États, ces établissements risquent plus en plus de recourir aux stratégies du secteur privé afin d’augmenter leurs ressources financières, soit en tentant d’attirer un noyau d’étudiants payant leur scolarité, soit en donnant la priorité à des créneaux de production de savoirs financièrement rentables. Si l’Université s’assimile de plus en plus à une entreprise, et donc à l’équivalent d’une entité du secteur privé, il est à craindre qu’elle cherche essentiellement le profit, et ne devienne de ce fait une « enclave sans aucune responsabilité sociale » (E. Hazelkorn, 1999, p. 107). Sa gestion va s’apparenter à celle d’une entreprise qui cherche à attirer une clientèle dont les étudiants de toute nationalité, les entreprises, les Universités sœurs pour le transfert de connaissances. Elle obéit désormais aux lois de la concurrence par les produits de la recherche. Cela nécessiterait la transformation des découvertes scientifiques en produits brevetés, commercialisables et des échanges altruistes d’idées, de savoir-faire et de connaissances entre organisations axées sur la recherche et leurs utilisateurs respectifs (G. Harman, K. Harman, 2004).
La majorité des pays africains est focalisée sur l’enseignement de base délaissant l’enseignement supérieur et la recherche qui manque énormément de financement. Afin de disposer de ressources suffisantes pour l’enseignement supérieur et la recherche, les pays de l’UEMOA ont souhaité :
– trouver un équilibre dans l’allocation des ressources entre les différents niveaux d’enseignement ;
– renforcer la collaboration avec le secteur privé et encourager la sponsorisation de la formation universitaire et de la recherche par les entreprises ;
– responsabiliser et autonomiser davantage les Universités et les centres de recherche et
– prendre des mesures permettant aux Universités et centres de recherche d’avoir plus d’activités génératrices de revenus (PMC, 2009). Il s’agit d’une application idéologique des mécanismes issus de l’entreprise privée à l’éducation supérieure et qui fait intervenir la notion d’assurance qualité. Cela met en compétition les Universités qui sont évaluées à partir de critères dits rationnels mais en fonction d’un modèle marchand de l’éducation. Il ne s’agit pas de mesurer la qualité de ce qui est produit, à savoir l’enseignement et le savoir, mais plutôt de produire un système de notation permettant de mesurer la valeur réputationnelle des établissements (ASSE, 2012). Dans ce sens, la plupart des pays tendent à accorder aux établissements scolaires une certaine autonomie dans l’usage des ressources et l’organisation du travail, parfois dans les choix curriculaires. On demande aussi aux établissements de construire un projet, entendu comme une déclinaison locale de la politique régionale ou nationale, un ensemble d’objectifs et de priorités adaptés au contexte spécifique (M. Broch et F. Cros, 1990 ; G. Thurler, 2001 ; Ph. Perrenoud, 2001). Il s’agit de faire de chaque établissement une entité indépendante, un « Etat dans l’État ». L’autonomie est une stratégie de gestion décentralisée du système éducatif. Cette autonomie plus forte, peut rendre certains d’entre eux plus efficaces encore, en les libérant de certaines contraintes, en les laissant donner libre cours à leur créativité et à leur dynamisme. C’est un levier de changement, à condition d’apprendre à s’en servir dans ce sens (Ph. Perrenoud, 2002). J. Barroso et C. Menitra (2009) précisent qu’en ce qui concerne les écoles, l’autonomie se traduit non pas seulement par la possibilité qui leur est accordée de choisir leurs dirigeants, mais aussi par la possibilité de définir leur projet éducatif et leur règlement interne dans les limites fixées par la loi générale ; d’avoir l’existence d’une marge relative de choix au niveau de leur organisation interne en termes de composition de leurs organes de gestion supérieure et intermédiaire ; un assouplissement relatif du budget, notamment au niveau de la gestion des ressources humaines et financières ; la possibilité de disposer de recettes propres provenant du loyer de locaux, de la vente de services et du versement de certaines taxes, etc.
Le projet d’école est un processus de mobilisation des acteurs (enseignants, élèves, parents d’élèves, les spécialistes de l’éducation) autour de l’école pour l’améliorer la qualité de l’éducation ou contribuer au changement de comportement (J. Ehrhard, R. Toraille & G. Villars, 1982). Par exemple, le projet d’école « Education à l’environnement » ou autre consiste à initier les apprenants à la vie politique, économique et sociale de son pays. Ils font l’expérience de la vie pratique, de la connaissance de la vie collective afin qu’ils puissent intérioriser les règles de conduite orientée vers le respect de l’autre et la solidarité (R. Lafon, 1969). Il peut concerner un groupe d’élèves ou tout l’établissement. Il existe trois (3) sortes de projets d’école :
– ceux qui visent à améliorer les performances scolaires et compétences sociales des élèves et à diversifier les pratiques pédagogiques des enseignants (théâtre, poésie, formation pédagogique des enseignants, fabrication des outils pédagogiques et d’autres produits enseignés à l’école) ;
– ceux qui visent à ouvrir l’école sur son milieu (sorties pédagogiques, solliciter un spécialiste pour concrétiser un enseignement) et
– ceux qui visent à améliorer les conditions de vie de l’établissement (construction des bâtiments scolaires, laboratoires, cantines, toilettes, bibliothèque, etc.).
L’organisation des apprenants n’est plus fondée sur la discipline coercitive par laquelle l’enseignant détient les trois pouvoirs à savoir : le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif (Lapie cité par J. Ehrhard, R. Toraille & G. Villars, 1982). Il s’agit de la méthode active qui constitue, d’après R. Mucchielli (1974, p. 69) « un apprentissage de la vie sociale, de la participation coopération et d’un savoir-être, en même temps qu’un acquis ». Cette pédagogie active fait de chaque enfant, un homme et un citoyen en développant chez celui-ci le sens du devoir et de responsabilité. Ainsi, l’école, par les pratiques pédagogiques des enseignants, peut influencer le choix professionnel des élèves (A.-M. Tchassama, 2014). Dans le cas du choix professionnel, cela consiste à rendre autonome l’apprenant. Autrement dit, celui-ci, de par son expérience, sa responsabilité, jouit d’une autonomie dans son choix professionnel qui n’engage que sa vie. Par conséquent, l’acte qu’il pose est un acte d’un Homme responsable qui doit œuvrer pour son bien-être, celui de sa famille et de son Etat. Avec la mutation du monde professionnel qui a exigé la création de nouveaux emplois, l’individu, au cours de la vie, doit se confronter à des situations nouvelles et accomplir des tâches inhabituelles. Il apparaît que l’on peut nommer maturité, la capacité à affronter ces situations et accomplir ces tâches. Cette maturité s’acquiert au cours d’un processus de développement. Lorsque ces situations ont trait au choix d’une formation, d’un secteur d’activités, d’un métier ou à l’adaptation professionnelle, on parle de maturité vocationnelle (Y. Forner, 1991). Cette maturité désigne donc un état de préparation aux prises de décision en matière de formation et d’emploi.
Le Rapport de la conférence des Ministres à Abidjan 2014 sur la Formation, insertion et emploi des jeunes en Afrique, a montré que le taux de chômage a considérablement augmenté. Le chômage des jeunes est devenu ces dernières années l’enjeu principal de chaque société. J.-F. Marquet et F. Schmitt (2001) ont pensé aux modules de construction de projet personnel de l’étudiant. Cela favoriserait la réussite des étudiants et limiter les abandons sans réorientation. Le projet d’école prendrait en compte le projet personnel de l’étudiant et permet de construire son projet d’études en connaissant mieux le cursus dans lequel il est inscrit, de découvrir les métiers liés à ce cursus, de construire son projet professionnel. Dans l’autonomie et la gestion des établissements qui autorisent l’élaboration des projets d’école, J. Barroso (2006) met en évidence la qualification des chefs d’établissements, la professionnalisation des enseignants et des agents éducatifs, ainsi que le renforcement de la participation des parents et des élèves. L’une des principales caractéristiques de la gestion des établissements scolaires se fonde sur le principe d’éligibilité de ses dirigeants. Dans ce type de régulation, le chef d’établissement agit à la fois comme un représentant de l’État sur lequel il fondait son autorité et comme un représentant du corps enseignant sur lequel reposait sa légitimité. L’action du chef d’établissement reposait donc sur une double logique :
– une logique étatique de type bureaucratique et administratif, où l’école est perçue comme un service de l’État, assujettie à un réseau complexe de normes qui renforcent l’intervention directe de l’administration centrale (à travers son corps de fonctionnaires et d’inspecteurs) ou son intervention indirecte, relayée par le chef d’établissement, dont la fonction essentielle est de veiller au respect des normes et des règlements et
– une logique corporatiste de type professionnel et pédagogique, où l’école est perçue comme une organisation professionnelle dont la gestion de type collégial jouit d’une relative autonomie pédagogique et financière, et dans laquelle le chef d’établissement exerce ses fonctions plutôt comme un leader pédagogique que comme un administrateur-délégué du pouvoir central.
J. Barroso (2007) a identifié quatre conceptions différentes du chef d’établissement :
– une conception bureaucratique, étatique et administrative, où le chef d’établissementest considéré avant tout comme un représentant de l’État à l’école, exécutant et surveillant le respect des normes émanant du pouvoir central et faisant le lien / exerçant un contrôle entre le ministère, son administration centrale ou régionale d’une part, l’ensemble des enseignants et des élèves qui fréquentent l’école d’autre part ;
– une conception corporatiste, professionnelle et pédagogique, où le chef d’établissement est considéré comme un intermédiaire entre l’école (en particulier entre les enseignants) et les services centraux ou régionaux du ministère, en assurant la défense des intérêts pédagogiques et professionnels des professeurs face aux contraintes bureaucratiques et financières imposées par l’administration ;
– une conception managériale, où le chef d’établissement est considéré comme le gestionnaire d’une entreprise, qui se soucie surtout de l’administration des ressources, de la formation et des compétences techniques spécifiques, et dont l’objectif majeur est d’assurer l’efficience et l’efficacité et
– une conception politico-sociale, où le chef d’établissement est considéré comme un négociateur, un médiateur entre logiques et intérêts différents (parents, enseignants, élèves, groupes sociaux, intérêts économiques, etc.), en vue de parvenir à un accord ou à un engagement local par rapport à la nature et à l’organisation du bien commun éducatif que l’école doit garantir à ses élèves.
En conformité avec cette législation, la direction des établissements scolaires est assurée par un organe collégial (le conseil exécutif) ou par un organe unipersonnel (le directeur exécutif), selon le désir exprimé par l’assemblée qui est chargée d’élaborer le règlement interne de l’école. Dans les deux cas, la direction doit être assurée par des enseignants chevronnés ou par des enseignants ayant suivi une formation en gestion des établissements. Les membres du conseil exécutif ou le directeur sont élus par l’assemblée électorale mise en place à cet effet, qui comprend le personnel enseignant et non-enseignant dans l’exercice effectif de fonctions dans l’établissement scolaire, par des représentants des élèves (dans le cas de l’enseignement secondaire), ainsi que par des représentants des parents.
Ce conseil exerce des fonctions de direction stratégique et est responsable de la définition des lignes d’orientation des activités de l’école, en y assurant la participation et la représentation de la communauté éducative (corps enseignant et personnel non-enseignant, parents et tuteurs, élèves (au niveau de l’école secondaire), municipalité et communauté locale. Simultanément, sont élargis les dispositifs de reddition de comptes à travers l’évaluation interne et externe, en tant que condition indispensable à la réalisation du principe de la contractualisation. Pour Ph. Perrenoud (2002), un bon établissement autonome est celui qui est peuplé d’enseignants professionnels. Un projet d’établissement n’a guère de sens s’il n’émane pas d’une véritable communauté de professionnels. L’efficacité de l’école reste dans une large mesure dépendante de l’efficacité personnelle de chaque enseignant et les autres acteurs de l’établissement. Les élèves apprendront moins qu’ils ne le pourraient si leurs enseignants ne se montrent pas présents, disponibles, inventifs, rigoureux, observateurs, chaleureux, empathiques, justes, adéquats, mobilisateurs, cohérents et collaborateurs. Un bon professeur doit évidemment maîtriser sa discipline, pour planifier correctement ses cours, concevoir et animer toutes sortes d’activités d’apprentissage, notamment des recherches, des situations-problèmes, des projets. Dans le registre classique de la maîtrise des savoirs à enseigner, certains enseignants sont en défaut, parce que leur formation disciplinaire n’est pas assez poussée, ou parce qu’elle est trop dogmatique. Ils éprouvent des difficultés dans la gestion de l’hétérogénéité et de la diversité culturelle des étudiants, le contrôle des absences et des conduites, les relations avec les parents, la médiation des conflits, la pédagogie coopérative, la gestion de la classe, l’organisation du travail à l’échelle de plusieurs classes ou d’un cycle d’apprentissage pluriannuel, la collaboration avec des spécialistes des difficultés d’apprentissage, des troubles médico-pédagogiques, de la prévention, du travail social. De ce qui précède, nous pensons que seuls les projets d’école peuvent permettre aux Universités de jouir d’une autonomie et assurer l’assurance qualité de celles-ci. Cette étude vise à répertorier les projets d’école dans les Universités publiques au Togo. Elle permet de fournir aux Autorités Universitaires et aux enseignants-chercheurs des stratégies permettant aux Universités publiques de jouir d’une autonomie financière. La méthodologie suivante a permis de vérifier cette hypothèse.
2. Méthode
Pour nous rendre compte de l’organisation des deux Universités publiques du Togo, nous nous sommes intéressé aux universitaires parmi lesquels un échantillon constitué de 43 enseignants-chercheurs consentants ont été choisis. Le choix de ces institutions s’explique par le fait qu’il n’existe que, pour le moment, les deux universités publiques au Togo. Cette enquête permettrait de comprendre l’autonomie dans ces institutions, conformément à la loi d’orientation de l’enseignement supérieur dans notre pays.
Des enquêtes à partir de d’un questionnaire, un guide d’entretien et une étude documentaire ont été faites. Un questionnaire et un guide d’entretien ont été administrés aux enquêtés afin d’avoir leurs connaissances sur les projets d’école et leurs opinions par rapport au fonctionnement autonome des Universités au Togo. L’enquête a eu lieu en août 2021. L’analyse documentaire a permis d’avoir des informations sur les textes régissant le fonctionnement des Universités au Togo et dans le monde. Les données recueillies ont été traitées manuellement pour catégoriser les différentes réponses des enquêtés. Ainsi, L’analyse à la fois quantitative et qualitative, a été faite. Nous avons procédé au calcul de fréquences des réponses aux questions fermées et à l’analyse du contenu des réponses issues du guide d’entretien. Il s’agit d’une analyse logico-sémantique qui, d’après R. Mucchielli (1984), s’intéresse directement au contenu manifeste.
3. Résultats
Cette étude vise à étudier le lien entre le projet d’école et l’autonomie des Universités publique du Togo. Or, l’autonomie d’une Institution Universitaire se traduit par la possibilité des acteurs de choisir eux-mêmes leurs dirigeants, de disposer de recettes propres (J. Barroso et C. Menitra, 2009). Les résultats nous situent par rapport aux institutions de notre enquête.
3.1. Autonomie des Universités publiques du Togo, choix des dirigeants et l’existence de projets d’école
Les résultats montrent qu’au Togo, outres les doyens, certains Directeurs d’Institutions et Chefs de Département, les deux Dirigeants des deux Universités publiques ne sont pas élus. Ces Universités dépendent plus financièrement de l’État.
On peut répertorier les trois formes de projets d’école dans les Universités publiques au Togo.
Il s’agit des projets d’école qui visent à différencier les pratiques pédagogiques et à améliorer l’apprentissage des apprenants (la formation des enseignants universitaires), les projets qui servent à ouvrir l’école sur son milieu et ceux destinés à améliorer le cadre de vie de l’Institution (Jardin d’expérimental à l’École de l’Agronomie, élevage d’expérimental à l’École d’Agronomie, la préparation du gel hydroalcoolique à l’école de pharmacie de l’Université de Lomé). Les projets d’école qui visent à améliorer le cadre de vie de l’Institution (dans les deux Universités, il y a l’aménagement du restaurant, construction des amphithéâtres, des laboratoires, des routes). Les résultats des recherches ne sont pas valorisés et restent dans les tiroirs, d’après les propos des enquêtés. Aucune découverte n’est brevetée et commercialisée. Ces projets répertoriés ne sont développés dans le but de contribuer à l’autonomie financière des Universités. Les enquêtés ont de différentes opinions par rapport à cette autonomie des Universités.
3.2. Opinion des enquêtés par rapport à l’autonomie des Universités publiques
Lorsque nous avons cherché à savoir si les Universités Africaines peuvent jouir d’une autonomie, le tableau suivant nous situe par rapport aux réactions de nos enquêtés.
Tableau : Répartition des enquêtés selon que les Universités jouissent d’une autonomie ou non
Variables | Effectifs et pourcentages de réponses des enquêtés | ||
Oui | Non | Total | |
Autonomie administrative seulement | 18 41,9% | 25 58,1% | 43 100% |
Autonomie financière seulement | 0 0% | 43 100% | 43 100% |
Autonomie administrative et financière | 25 58,1% | 18 41,9% | 43 100% |
Si tous les enquêtés pensent que les Universités africaines ne doivent pas jouir de l’autonomie financière, le tableau ci-dessus montre que 41,9% d’entre eux pensent que cesUniversités ne doivent jouir que de l’autonomie administrative à cause de la pauvreté, la mauvaise gouvernance dans ces Universités et la paresse des acteurs. Par contre, ils sont plus nombreux (58,1%) à vouloir que celles-ci jouissent à la fois d’une autonomie administrative et financière pour éviter l’influence du politique. Dans ce sens, les propositions des stratégies suivantes ont été faites par les enquêtés permettant de contribuer à l’autonomie financière des Universités. Il s’agit de la recherche du partenariat, s’engager et respecter la bonne gouvernance, la majoration des frais d’inscription des étudiants, la professionnalisation des offres de formation, le montage des sociétés internes aux universités pour participer aux appels d’offre, la transformation des produits locaux, etc. La suite nous permet de mieux l’expliciter.
4. Discussion
Les données recueillies montrent que l’autonomie des Universités prévue par la loi est très limitée. Cette autonomie se situe au niveau du choix des dirigeants et dans la gestion de ces institutions.
4.1. Autonomie des Universités publiques du Togo, choix des dirigeants et l’existence de projets d’école
Si l’autonomie des Universités se traduit par la possibilité qui leur est accordée de choisir leurs dirigeants et de définir leur projet, ce qui n’est le cas dans les Universités publiques du Togo surtout par rapport au choix des dirigeants. L’analyse montre aussi que les projets qui existent sont à l’étape embryonnaire et ne permettent pas d’assurer l’autonomie financière des Universités. Ce qui est contraire à la Loi d’Orientation de l’Enseignement Supérieur au Togo et aux recommandations de l’UEMOA. Parmi les propositions de stratégies permettant aux Université de jouir à l’autonomie financière, figurent les projets d’école. Mais, il n’y a pas encore des stratégies permettant aux Universités d’avoir plus d’activités génératrices de revenus et de valoriser les résultats de recherche pour une autonomie financière. La proposition liée à l’augmentation des frais d’inscription limiterait l’optimum éducatif des apprenants qui consiste à créer les conditions pour que chaque apprenant puisse évoluer dans ses études jusqu’au plus haut sommet selon que ses compétences et aptitudes le lui permettent (J. Beauté, 2008). Les Institutions éducatives qui se veulent démocratiques ne peuvent évoluer que dans ce sens. Mais, la majorité des acteurs enquêtés ne pensent pas de la même manière l’autonomie de ces institutions, conformément à ce que prône la loi d’orientation des Universités du Togo.
4.2. Opinion des enquêtés par rapport à l’autonomie des Universités publiques
La majorité des enquêtés pensent que les Universités africaines ne peuvent jouir que de l’autonomie administrative à cause de la mauvaise gouvernance, la paresse des acteurs, etc. Cela s’explique par l’appréhension que ceux-ci ont de la réforme de l’enseignement supérieur. Ph. Perrenoud (2002) explique que les établissements du supérieur sont actuellement en train d’apprendre à assumer cette autonomie, avec des régressions et des dérapages, mais aussi des aventures collectives extraordinaires. Cela ne va pas sans ambivalences, résistances, difficultés et conflits. L’autonomie administrative suppose un dirigeant éligible et managérial, considéré comme le gestionnaire d’une entreprise, qui se soucie surtout de l’administration des ressources, de la formation et des compétences techniques spécifiques, et dont l’objectif majeur est d’assurer l’efficience et l’efficacité (J. Barroso, 2007). Cela peut induire l’autonomie financière. Cette appréhension de la réforme s’explique par le fait que ceux qui pense que les Universités africaines peuvent jouir à la fois de l’autonomie administrative et financière, trouvent que cela permettrait d’éviter l’influence du politique. Pourtant, l’autonomie est une stratégie de gestion décentralisée du système éducatif. Il s’agit de faire de chaque institution une entité indépendante, un « État dans l’État » Ph. (Perrenoud, 2002). Cette autonomie existe dans les textes, mais sur le terrain, on n’innove pas assez. L’équation la plus courante reste un professeur, une matière, un programme. La classe fonctionne à l’ancienne pédagogie, l’adulte délivre son cours, et les élèves notent. Il faut reconnaître que les dirigeants des Universités publiques ont, dans leur politique, entamé la construction des amphithéâtres, les laboratoires et arrangent les rues à l’intérieur des universités. Cela peut être considéré comme des projets d’école qui visent à améliorer le cadre de vie scolaire. Il n’existe pas d’autres formes de projets d’école dans ces Universités qui contribueraient à s’auto-prendre en charge et permettre aux étudiants d’être entrepreneurs et plus rentables. Les Universitaires ne sont pas formés par rapport aux projets d’école. Il s’agit d’un enseignement pratique interdisciplinaire qui devrait les outiller à élaborer, ensemble ces projets.
Conclusion
Dans le préambule de la Loi d’Orientation de l’Enseignement Supérieur (Loi No 2017-005) au Togo, l’enseignement supérieur constitue l’une des priorités du développement national. Il s’enracine dans les valeurs fondamentales de la culture nationale et universelle. De cette affirmation, nos Universités ne peuvent que s’orienter vers la recherche de l’innovation pédagogique qui prennent en compte les projets d’école. Ce qui assurerait leur autonomie. Mais, les données recueillies montrent que cette autonomie des Universités prévue par la loi est très limitée. Il existe encore des pratiques bureaucratiques et d’une culture de la dépendance de l’État au niveau des Universités publiques. Est-ce que la formation pédagogique et interdisciplinaire des enseignants-chercheurs ne serait pas un facteur de l’autonomie des Universités et de la valeur réputationnelle de celles-ci ?
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LA COMMUNICATION INTERNE DE L’UFR/LAC DE L’UNIVERSITÉ JOSEPH KI-ZERBO AU BURKINA FASO
1. Marcel BAGARE
École Normale Supérieure Koudougou (Burkina Faso)
2. Dognon Lucien BATCHO
Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)
3. Salif ZONGO
Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)
Résumé :
L’Unité de Formation et de Recherche en Lettres, Arts et Communication (UFR/LAC), la plus peuplée de l’Université Joseph KI-ZERBO, connait des crises régulières depuis des décennies. Ces crises sont souvent imputables à une absence de communication interne. Ce travail de recherche s’inscrit dans une perspective de compréhension des sources de ces conflits, à travers une dynamique d’analyse afin de jeter des bases d’une communication interne répondant aux besoins de l’ensemble des parties prenantes. Pour mener à bien cette étude, nous avons opté pour une méthode mixte (quantitative et qualitative). Cette étude invite les responsables de l’UFR/LAC à utiliser un mode de communication mieux adapté à leur personnel en ce sens qu’une bonne communication interne et de qualité est un instrument privilégié pour créer et entretenir un climat de travail apaisé.
Mots clés : Burkina Faso, Communication interne, Conflit, Gouvernance, Management, Université Joseph KI ZERBO.
Abstract:
The Unité de Formation et de Recherche en Lettres, Arts et Communication (UFR/LAC), the most populated of University Joseph KI-ZERBO has been facing since 2017, 2018 and 2019 recurring crises. These crises are often attributable to a lack of effective internal communication. This research work aims at evaluating the internal communications in UFR/LAC, through an analysis of the effectiveness of the internal communication regarding the strikes observed in recent years, in order to lay the foundations for an internal communication that meets the needs of the whole staff. To carry out this study, we adopted a mixed methodology, both quantitative and qualitative. This study invites UFR/LAC managers to use a mode of communication better suited to their staff inasmuch as a good internal and quality communication is a privileged instrument for creating and maintaining a good working atmosphere.
Keywords: Burkina Faso, intern communication, conflit, governance, management, Université Joseph KI ZERBO.
Introduction
La communication est au cœur de toutes les controverses, de tous les débats. Dans les organisations, elle est très souvent vue, à la fois, comme la cause de tous les maux, et le remède susceptible d’apporter une solution à tout problème. De nos jours, tout dysfonctionnement organisationnel est ramené à un « problème de communication ».Dans les Universités, au même titre que dans les entreprises, la communication joue un rôle primordial. Qu’elle soit externe ou interne, elle demeure la vitrine et la carte santé de toutes organisations. Les nouveaux modes de communication tels qu’Internet, les réseaux sociaux numériques et bien d’autres requièrent une place entière dans la gestion des organisations. Ainsi, N. d’Almeida et T. Libaert (2014, p. 10) soutiennent que « La communication d’une organisation (entreprise, administration, association) recouvre un ensemble de structures et de procédures… ».
À l’Université Joseph KI-ZERBO, la communication bénéficie d’une attention particulière depuis plusieurs années. L’élaboration et la validation d’une stratégie de communication en 2020 est un témoignage de la reconnaissance de l’importance de la communication par l’institution. Dans sa structuration, l’Université compte plusieurs unités de formation dont l’Unité de Formation en Lettres, Arts et Communication (UFR/LAC). Elle est l’une des plus importantes en matière d’effectif. À elle seule, l’UFR/LAC comptait au cours de l’année académique 2020-2021, 15 114étudiants répartis dans huit (08) départements d’enseignement avec 75 enseignants permanents. De ce fait, des mouvements de contestations (2017 et 2019) sont enregistrés. Ils opposent souvent les étudiants entre eux et parfois ces derniers à l’administration ou aux enseignants. Les origines de ces crises sont liées à une insuffisance de communication au sein de l’organisation. En effet, « les nombreuses difficultés liées à la gestion du personnel dans le monde des organisations sont souvent liées à l’absence d’une communication interne appropriée » (UNICEF, 2018, p. 56) La recrudescence de ces moments de crises suscite notre intérêt. Pour conduire cette recherche, nous avons voulu comprendre les modes de communication de l’UFR/LAC et évaluer les moyens d’adaptation de la gouvernance et du management au regard de ses spécificités.
1. Problématique
L’enseignement supérieur public au Burkina Faso comme dans de nombreux pays d’Afrique francophone est caractérisé par la surpopulation estudiantine, le manque de personnel adéquat, l’état de détérioration avancée des infrastructures physiques, le manque d’équipements, le retard académique et la baisse du soutien gouvernemental du point de vue budgétaire et politique. A l’Université Joseph KI-ZERBO (UJKZ), les effectifs des étudiants sont passés de 35 000 étudiants en 2007 à 50 836 en 2020 pour 619 enseignants permanents (UJKZ-DPS[43]-2020)
Déjà handicapée par le manque d’infrastructures et les retards académiques, l’UJKZ fait face à la montée des revendications due à la libéralisation d’internet. Cette situation a été favorisée par le climat social généré par l’insurrection populaire de 2014 où la liberté d’opinion par les usagers a connu une ascendance. Dès lors, les autorités sont, au quotidien, confrontées à la gestion des plaintes. En 2017, une sanction infligée à un étudiant du département des études anglophones par le conseil de discipline de l’UFR/LAC, s’était transformée en mouvement de grève généralisée des étudiants contre l’administration. Des incidents similaires vont se multiplier dans d’autres filières et se caractérisent par des grèves contre l’instauration d’un nouveau régime d’étude, le boycott des évaluations, la prise en otage des responsables académiques. Ces situations alimentent les tensions entre étudiants, enseignants et administration. Pourtant, une communication aurait pu éviter ces situations. Car, « les conflits qui naissent sur les campus portent en filigrane l’absence de communication et de dialogue entre les acteurs de la communauté universitaire. C’est pourquoi, la mise en place d’un cadre de dialogue social est perçue comme un moyen pour améliorer la gouvernance et instaurer un climat plus propice à l’acquisition du savoir » (Premier ministère, 2011, p. 20) ».
Pour B. Miège, (1996, p. 4), « la communication est devenue une préoccupation première des dirigeants des organisations. Elle prend place désormais au rang des orientations stratégiques ». Celle interne est la pierre angulaire du management des ressources humaines au sein d’une organisation. Grâce à elle, la cohésion des travailleurs et leurs motivations sont améliorées. On assiste alors à un renforcement de la culture d’entreprise, du sentiment d’appartenance et à l’amélioration de la circulation de l’information interne. C’est dans cette même dynamique, que nous nous posons la question selon laquelle : comment la communication influence-t-elle l’approche managériale des responsables de l’UFR/LAC en termes de gestion des ressources humaines ?
Cette principale question de recherche interroge l’efficacité de la communication interne de l’UFR/LAC. De cette préoccupation principale, découlent ces questions secondaires : quels sont les modes de circulation de l’information à l’UFR/LAC ? Quels sont les supports utilisés et la pertinence de leur choix ? Quelle appréciation peut-on faire de la gouvernance et du management de l’UFR/LAC ? En termesd’objectifs, général et secondaires, il s’agit en premier d’analyser l’efficacité de la communication interne de l’UFR /LAC dans la stratégie managériale des responsables en charge de l’UFR/LAC. Ensuite, connaitre l’organisation, le mode de fonctionnement et la pertinence de la communication interne de l’UFR/LAC, identifier ses supports de communication et apprécier la gouvernance voire le management au sein de l’UFR/LAC. Notre hypothèse principale est que la communication interne de l’UFR/LAC manque d’efficacité. Les secondaires sont l’UFR/LAC ne dispose pas d’un mode de communication répondant aux besoins de ses parties prenantes ; les supports de communication de l’UFR/LAC ne sont pas adaptés et manquent de pertinence ; la gouvernance et le management de l’UFR/LAC sont plus autoritaires que participatifs.
Dans la conduite de cette étude, nous avons convoqué deux théories. Celle des parties prenantes ou stakeholder et celle de Harold Dwight Lasswell. La première s’intéresse àl’ensemble des individus qui peuvent être affectés par la réalisation des objectifs organisationnels de l’entreprise. Elle considère que la responsabilité de l’organisation est de concilier les intérêts contradictoires des groupes qui sont en relation directe avec elle. C’est donc une approche participative dans la gestion des hommes au sein des organisations. Cette théorie prône l’intégration de l’ensemble des partenaires à la démarche, car l’organisation n’est pas une entité abstraite qui vit en vase clos. De ce fait, elle partage des intérêts avec un ensemble d’acteurs qui défendent aussi chacun leurs propres intérêts spécifiques.
La seconde théorie, celle de LASSWELL, nous amène à nous interroger sur les modes de communication de l’UFR/LAC. Elle cherche à comprendre les modes de production et de circulation de l’information au sein de l’UFR. L’UFR/LAC ne disposant pas de service de communication à proprement dit, c’est le secrétariat du directeur, celui principal, la scolarité et parfois les délégués de promotions qui en sont les provenances. Cette situation créé un flux d’information souvent mal interprété par les acteurs internes. Or pour Lasswell, n’importe quelle information peut atteindre son destinataire, à condition qu’il n’y ait pas d’interférence. Cette théorie repose sur les cinq (05) questions que sont Qui ? Dit quoi ? À qui ? Par quel moyen ? Avec quels effets ? Nous avons retenu cette théorie car les acteurs s’influencent mutuellement. Cette théorie est compatible à la troisième théorie retenue dans le cadre de cette réflexion notamment celle de la dissonance cognitive de Festinger (1957) et Bateson (1980). Cette théorie permet d’appréhender le comportement des acteurs impliqués dans une dynamique communicationnelle. Ainsi, pour ces auteurs, une personne qui se trouve confrontée simultanément à des informations, opinions, comportements ou croyances qui la concernent directement et qui sontincompatibles entre elles, ressent un état de tension désagréable. Le concept de dissonance cognitive est lié au fait qu’il est plus difficile pour un individu de corriger des idées acquises depuis longtemps que d’apprendre des idées nouvelles pour lesquelles il ne dispose pas encore d’un modèle ou d’un système de représentation.
2. Méthodologie et présentation de l’UFR/LAC
2.1. Méthodologie de travail
Une démarche à la fois quantitative et qualitative a été adoptée pour conduire cette étude. Outre la recherche documentaire et l’observation participante, nous avons collecté des informations auprès des acteurs à travers un questionnaire et un guide d’entretien. La recherche documentaire a porté sur des documents traitant de la communication interne, de la gouvernance universitaire et du management des ressources humaines. En ce qui concerne l’observation directe, elle permet, d’après Jean-Louis J-L Bayle, (2000, p. 67), l’accès à des sources d’informations qui seraient inaccessibles à un observateur étranger. Cette méthode a permis de connaître le phénomène étudié de l’intérieur, avec tous les avantages que cela comporte pour une meilleure compréhension des faits observés. Ce procédé nous a permis d’appréhender d’autres aspects de la communication interne et du management en étant en contact avec les faits. S. T. Balima et M. S. Frère (2003, p. 50) soulignent que « le but de la démarche est de voir, de sentir, d’éprouver soi-même ce que les autres voient, sentent, éprouvent. Il s’agit de vivre de l’intérieur la culture, le milieu que l’on cherche à connaître ». Ainsi, selon le statut des acteurs concernés ici, notamment les étudiants ou anciens étudiants-enseignants actuellement dans cette UFR, nous vivons au quotidien les réalités.
Pour les enquêtes, nous avons adopté l’entretien et le questionnaire. L’entretien semi-directif a été retenu. Il a permis de mieux cadrer les enquêtés afin de concentrer l’entretien sur les objectifs chaque fois que le sujet s’en écarte. Enfin, l’administration du questionnaire. C’estune série de questions relatives à une situation, à des opinions, à des attentes, à des niveaux de connaissance ou de conscience d’un phénomène. Cet outil nous a aidés à récolter les informations à caractère quantitatif auprès de 146 acteurs. Dans l’élaboration du questionnaire, les questions à réponses fermées et semi fermées ont été utilisés.
2.2. Présentation de l’UFR/LAC et échantillon
L’UFR/LAC est composé de huit (08) filières. Mais sept (07) sont opérationnelles actuellement. La huitième, celle des études arabophones et langues orientales est en création. Les sept fonctionnelles comportent quatre (04) formations classiques et trois (03) formations professionnalisantes. Dans le cadre de cette recherche, nous avons retenu les filières classiques car celles professionnelles ont été effectifs maitrisés et sont moins sujettes aux crises. Notre travail porte de ce fait sur les filières Lettres modernes (LM), Études germaniques et Études anglophones. Ce sont les filières où les crises sont récurrentes.
La détermination de la taille de l’échantillon dépend aussi en grande partie du plan d’étude[44]. Ainsi, les enquêtés sont composés de l’ensemble des étudiants des trois filières retenues, du personnel Administratif, Techniques, Ouvriers et de Service (ATOS), des enseignants des trois (03) filières et des syndicats d’étudiants et d’enseignants. Au niveau des enseignants, l’UFR compte au total 75 enseignants permanents de tout rang. Ceux des filières concernées par l’étude sont au nombre 51 dont 07 femmes.
Au niveau du personnel ATOS, les personnes ayant plus de deux (02) ans de service au sein de l’UFR/LAC sont les cibles retenues. Certains d’entre eux exerçaient déjà dans d’autres unités de formation avant d’être affectés à l’UFR/LAC. L’UFR/LAC compte au total 22 ATOS repartis donne 14 hommes et 08 femmes. Pour les besoins de l’étude, nous avons retenu 05 hommes et 03 femmes.
Quant aux étudiants, l’échantillon choisi est l’ensemble des étudiants ayant plus de deux (02) ans soit plus d’une année d’inscription sur le campus. Ce choix parce que deux (2) ans de présence sur le campus, sont suffisants pour mieux connaitre les difficultés auxquelles leur UFR est confrontée. Ainsi, pour l’étude, nous avons retenu les gros effectifs par ordre croissant. L’UFR/LAC compte 15 114 étudiants. Ils sont composés de 9 050 hommes et 6 064 femmes. Ces trois filières comptent à elles seules 14 142 dont 5 547 femmes. Nous avons retenu 142 étudiants en tenant compte des spécificités de chaque filière.
En somme, nous avons travaillé sur un échantillon composé de 173 individus. Dans l’échantillonnage, le genre a été pris en compte. Le pourcentage par catégorie de 173 individus donne 10% des enseignants de tous grades, 40% des ATOS, 1% des étudiants et 02 membres de syndicat composés d’enseignants et d’étudiants. Un manque d’information et l’absence d’une liste exhaustive des syndicats nous ont conduits à prendre les deux syndicats les plus actifs à l’issue de nos observations internes.
La méthode d’échantillonnage aléatoire simple a aidé à la sélection des enquêtés. Elle a permis de donner une chance égale à chaque unité de notre population. La procédure a permis de dresser la liste de toutes les unités de la population observée. Les filières qui ont un effectif compris entre 1000 et 6000 étudiants ont été préférées. Pour les étudiants, nous nous sommes intéressés aux délégués d’UFR, de promotion et 1% de l’effectif global des étudiants des trois filières avec possibilité d’extension. Car, la plupart des aspects communicationnels se déroulent entre les représentants d’étudiants (délégués d’UFR et de promotion), enseignant et administration. Les tableaux suivants précisent les échantillons par catégorie d’acteurs.
Tableau 1 : Échantillon de l’enquête par entretien
Chef de départements | Enseignants | Personnel administratif | Syndicats | |
Lettres modernes | PT :1, ; MC :2 ; MA :2 A :3 ; EPT :1 | |||
Allemand | MA :1 ; A :1 | |||
Anglais | Mc :1 ; MA :1 | |||
Total | 03 | 14 | 08 | 02 |
Total général | 27 |
Source : Enquête terrain, UFR/LAC (UJKZ), 2021
Tableau 2 : Échantillon de l’enquête par questionnaire
Délégués de promotion | Étudiants | Délégués d’UFR | |
Lettres modernes | 1 | 64 | 1 |
Allemand | 1 | 18 | |
Anglais | 1 | 60 | |
Total | 03 | 142 | 01 |
Total général | 146 |
Source : Enquête terrain, UFR/LAC (UJKZ), 2021
À partir des observations faites, des réponses obtenues des questionnaires et des entretiens avec les différents acteurs de l’UFR/LAC, nous avons dégagé les facteurs qui mettent à mal la communication interne de l’unité. Pour chaque composante de la population cible, les données collectées ont fait l’objet d’une analyse par thématique des discours. L’anonymat a été requis pour les personnes enquêtées. Pour les enseignants et le personnel ATOS, nous n’avons pas précisé le poste occupé au sein de l’UFR/LAC. Pour le traitement des données, nous avons utilisé une méthode manuelle et une méthode automatique notamment l’utilisation du logiciel Excel pour la construction des graphiques.
3. Présentation des résultats des entretiens et discussion
3.1. Présentation des résultats des observations et des entretiens
Les observations internes faites au sein de l’UFR/LAC ont porté sur les outils, les modes et la perception des acteurs sur la diffusion et la circulation de l’information à l’UFR/LAC. Il en ressort qu’il y a des réunions, des concertations au niveau des étudiants, des syndicats d’étudiants et entre les étudiants par promotion. Cependant, aucune mention des assemblées d’enseignants et de personnels. Néanmoins, il se tient parfois des instances comme le conseil de gestion, des rencontres d’enseignants et de la direction dont la régularité n’est pas fixe. Ce constat laisse penser qu’au sein de l’UFR, ces deux acteurs n’ont pas une organisation structurée. En revanche, ils appartiennent à des structures organisées au sein de l’université. Sur les informations concernant les étudiants, elles sont, pour la plupart, affichées sur les tableaux dédiés à cet effet ou livrées aux différents délégués ou responsables de promotion par divers canaux qui peuvent être des appels ou des notes circulaires. Ces derniers sont chargés de les relayer auprès de leurs camarades. Ces informations viennent souvent de l’administration, de la scolarité ou des enseignants. Elles concernent, pour la plupart du temps, la programmation des cours et devoirs. Quant aux enseignants, ils reçoivent leurs informations via des courriers, des notes de service à travers les boites à lettres dans les départements où lors de leur passage au secrétariat. Lorsqu’il y a une urgence, certains reçoivent des appels téléphoniques.
Sur les données de l’enquête qualitative, notre objectif était de comprendre ce que représente la communication interne pour nos enquêtés. Sur les outils, les appréciations du niveau de la communication interne par le personnel ATOS ne sont pas bonnes. Il la juge insuffisante et peu organisée. « La communication interne n’est pas suffisamment prise en compte au sein de l’UFR/LAC », estime une secrétaire. Cette impression est également partagée du côté des enseignants.Que ce soit d’administration à enseignants ou d’enseignants à enseignants ou encore d’enseignants à étudiants et vice-versa, plusieurs pensent que la communication interne n’est pas adaptée à leurs besoins. Outre l’accès à l’information, les retards dans leur diffusion, certains pointent du doigt la gouvernance et le management. « Ici, c’est la jungle, il y a des clans et des parrains vous savez », nous explique un. « Il y a de réels problèmes de communication. Il n’y pas de vie universitaire. Chacun vient faire ses cours et s’en va. En dehors de ça, tu te débrouilles et fais tes obligations. L’UFR est à l’image du pays », estime un autre.
Pour les syndicats, leurs opinions sur la communication interne globale de l’UFR/LAC ne sont pas différentes. « Il n’y a pas de communication » lâche d’emblée un. « On vous donne des informations quand ça les prend. Rarement les instances se tiennent » avoue-t-il. Des entretiens avec les chefs des départements, responsables des trois filières où nous avons mené nos enquêtes, ils reconnaissent de réels problèmes de communication mais s’en défendent. « Nous sommes à la tête des départements à gros effectifs. C’est un héritage. Les problèmes sont certes réels. Mais que pouvons-nous quand vous avez des acteurs pas faciles qui ont tout le temps raison et qui refusent de voir la réalité en face notamment les étudiants. Quant à nos collègues, il faut faire avec. Pour avancer, nous sommes obligés de nous concentrer sur l’essentiel en mettant la communication en second plan par l’absence de moyens ». Et un autre de renchérir. « La hiérarchie vous presse de rattraper les retards. À l’interne, les étudiants sont là, à vouloir vous voir faire comme ailleurs oubliant que les réalités sont différentes. Ce n’est pas facile. Mais on a accepté et on fera ce qu’on peut », lance -t-il.
3.2. Présentation des résultats des questionnaires
Ces résultats exposent la compréhension de la communication interne, les besoins, les canaux, les attentes et l’appréciation des étudiants par rapport à la communication et au management de l’UFR / LAC.
Graphique 1 : Compréhension de la communication interne par les étudiants
Source : Enquête terrain, UFR/LAC (UJKZ), 2021
La notion de communication interne revêt plusieurs compréhensions chez les étudiants. Aussi diverses que variées, elles témoignent de la richesse et de la complexité de la notion. Dans le graphique 1, il ressort que la communication interne, c’est se renseigner, échanger avec les autres, être informé et interagir avec les autres. Cela se justifie par les taux de 34% des enquêtés qui estiment qu’elle consiste à se renseigner alors que 33% soutiennent qu’elle vise à interagir tandis que pour 28%, elle consiste à informer. Ces divergences de points de vue autour de la notion de communication rassurent sur leurs attentes.
Graphique 2 : Attentes des étudiants concernant la communication interne de l’UFR/LAC
Source : Enquête AC (UJKZ), 2021
Le graphique 2 fait état de l’influence des étudiants dans la dynamique de la communication interne de l’UFR/LAC. Dans leur majorité, ils souhaitent que la communication interne facilite les interactions au sein de l’UFR/LAC. En somme, la communication interne doit permettre de fédérer tous les acteurs autour d’un objectif commun. Ainsi, elle deviendra un facteur de cohésion et d’harmonie. C’est l’attente de 76% de nos enquêtés. Cette attente se ressent à travers l’expression des besoins en information exprimés par les étudiants de l’UFR/LAC.
Graphique 3 : Besoins d’informations des étudiants de l’UFR/LAC
Source : Enquête terrain, UFR /LAC (UJKZ), 2021
Les besoins en informations des étudiants sont identifiés. Ils sont 40% à vouloir que l’UFR/LAC communique sur ses différents services. 36% veulent qu’elle diffuse davantage des informations sur les calendriers des devoirs et évaluations. En revanche, 34% attendent d’elle, qu’elle communique sur ses activités et 29% souhaitent avoir des informations sur les programmations des cours. Les données de ce graphique prouvent que les besoins en termes d’informations des étudiants sont énormes. Pour ce faire, ils ont proposé les canaux qu’ils préfèrent.
Graphique 4-a : Canaux par lesquels les étudiants reçoivent et souhaitent recevoir les informations
Source : Enquête terrain, UFR /LAC (UJKZ), 2021
Graphique 4-b : Les canaux de communication privilégiés par des étudiants
Source : Enquête terrain, UFR /LAC (UJKZ), 2021
À travers le graphique 4-a, l’affichage est le support privilégié actuellement pour diffuser les informations au sein de l’UFR/LAC. Ce canal d’information n’est pas priorisé par les étudiants. Les tableaux d’affichages sont, non seulement, en nombre insuffisants, mais aussi manquent de coordination et sont parfois surchargés et non actualisés. Au niveau du graphique 4-b, les réseaux sociaux viennent en tête des canaux privilégiés par les étudiants pour s’informer. Le fait qu’il n’existe pas de point focal d’information, en dehors des délégués des promotions et de la scolarité, les étudiants sont parfois obligés d’aller sur les réseaux sociaux numériques comme infos de l’UFR/LAC[45], UO I24[46] et Oreille du campus pour s’informer[47]. Ces plateformes d’information sont des stratégies développées par des étudiants eux-mêmes pour faciliter l’accès à l’information. Certains étudiants passent par les appels et d’autres, par des demandes d’audience pour obtenir des informations. Au regard des données des graphiques 4-a et b, nos enquêtés ont évoqué leurs canaux de préférence pour recevoir les informations.
Graphique 5 : Appréciation de la communication interne de l’UFR/LAC par les étudiants
Source : Enquête terrain, UFR/LAC (UJKZ), 2021
Le graphique 5 montre que 98 étudiants sur 158 estiment que la communication est mauvaise. Cependant, ils sont 50 à trouver qu’elle est bonne. Ces chiffres interpellent les autorités sur les besoins en information et communication des étudiants.
3.3. Discussions
3.3.1. Sources, besoins et modes de circulation de l’information entre les acteurs internes de l’UFR/LAC
Les sources des situations conflictuelles au sein de l’UFR/LAC proviennent du faible niveau de communication interne, notamment la non-adaptation des canaux de diffusion des informations, déplorent certains acteurs. En effet, la communication interne ne se résume pas à faire circuler des notes de service. Elle doit prendre en compte les aspects sociaux.
En plus de constituer un facteur d’échanges, la communication interne doit aussi être un facteur de cohésion dans une organisation. Car, au sein d’une organisation, le personnel a besoin de se tisser de nouveaux liens de fraternité pour se sentir en sécurité. Ainsi, J.-M. Decaudin et J. Egalens (2009, p. 14) affirment que « rares sont les personnes qui peuvent travailler ensemble sans tisser des liens par la communication interne ».
La difficulté première de la communication interne de l’UFR/LAC demeure la circulation de l’information. L’ensemble des acteurs trouvent que les canaux de communication utilisés ne sont pas adaptés. La communication interne est une composante essentielle des organisations. Sa réussite assure une cohésion et prévient les conflits. Elle découle, en principe, de la stratégie globale l’Université (institution). En plus de veiller à une bonne circulation de l’information, elle est aussi un outil de management. Or, l’UFR/LAC n’en dispose pas et ne possède non plus un service en charge de la communication. Pour D. Bougnoux (2001), donner l’information fait partie de la stratégie globale de communication d’une organisation. Cependant, la communication interne ne s’arrête pas uniquement à la diffusion de l’information. Selon l’auteur, l’information est un contenu chargé de signification, par contre la communication interne est chargée de tisser des relations afin d’apporter du sens. C’est l’ensemble des flux d’information et des échanges visant un équilibre informationnel et relationnel (N. D’Almeida et T. Libaert, 2014). La particularité de la communication interne est qu’elle est destinée à l’ensemble des acteurs de l’organisation sans exception. Nos enquêtes révèlent que les instances statutaires que sont les conseils d’établissement et scientifiques et les réunions se tiennent souvent, mais les comptes rendus ne sont pas envoyés à tous les participants. Ce qui fait que les informations et décisions ne sont pas connues de tous. Outre ces constats, il y a la lenteur et la rétention d’information à certains niveaux. La classification des outils de communication notamment les courriers montrent une importante communication hiérarchique, descendante, où le message émane de la direction via les secrétariats ou la scolarité. D’après les entretiens, la communication descendante est jugée plus importante qu’auparavant. Mais les informations diffusées sont parfois jugées insuffisantes ou arrivent souvent avec un retard du fait du manque de suivi. Ainsi, c’est la lourdeur des circuits d’information officielle qui est pointée du doigt par le personnel. Toujours selon D. Bougnoux (2001), la diffusion de l’information au sein d’une organisation permet au personnel d’être au courant des modalités de fonctionnement du service par contre celle-ci ignore souvent l’individu au sein de l’organisation. En revanche, la communication interne permet de cerner la dimension humaine grâce à l’obligation de ménagement au sein de l’organisation.
3.3.2. Management et gouvernance au sein de l’UFR/LAC
À ce niveau, certains acteurs perçoivent l’UFR/LAC comme un instrument de contrainte. Il en résulte un faible degré d’appartenance et un manque de confiance. La non tenue régulière des conseils d’établissement pour échanger sur la vie au sein de l’UFR/LAC montre que les responsables ne se soucient pas de la cohésion sociale et l’amélioration des rendements de l’institution. Ainsi, sans connaître les aspirations de son personnel, il est difficile d’anticiper et désamorcer les éventuels conflits ou tensions. Facteur de bon climat social, la communication interne est aussi un moyen d’améliorer les performances de l’organisation ; d’où son importance. À l’UFR/LAC, les avis sont multiples sur la communication ascendante. La déception d’une partie du personnel est liée aux limites du management. En dépit de l’évolution des outils et les dynamiques actuelles, les responsables continuent de vouloir diriger à l’ancienne. Ceci s’explique par le caractère dépassé des textes. Les effectifs ne sont plus adaptés à l’esprit qui a prévalu à l’élaboration des textes. « Pour des organisations à fortes tailles humaines, le mode de gestion participatif pourrait faciliter la consultation et la concertation. En lieu et place, les responsables prennent des décisions dont l’application se révèle inopérante » avoue un enseignant. Une telle situation a conduit des étudiants à refuser des compositions. De plus, il n’y a pas de pratique unifiée des outils de communication déjà existants (affichage). Cet état des lieux corrobore notre hypothèse initiale qui affirme que l’UFR/LAC manque d’une communication interne efficace. Intégrer donc la dimension ressources humaines dans la stratégie des organisations est une nécessité reconnue. Les organisations doivent avoir une stratégie de développement humain et social en harmonie avec leur stratégie économique et leur responsabilité´ sociale (J.-M. Peretti, 2013, p. 1). Mais pour y arriver, l’UFR/LAC peut mettre en place un point focal de communication au sein de l’UFR/LAC, adapter les canaux de communication aux besoins des cibles et réduire les délais de transmission des informations. En outre, elle peut prévoir une ligne budgétaire pour les actions de communication et impliquer davantage les acteurs clés (Etudiants, ATOS, syndicats et enseignants) dans les prises de décisions à travers un management participatif. Ainsi, il est nécessaire de communiquer sur les performances réalisées par l’UFR/LAC en termes d’amélioration des résultats et évaluer la portée des informations diffusées afin de savoir si les cibles sont touchées à travers les feedbacks. C’est pourquoi, en se référant aux six dimensions de la communication interne de C. Michon (1994) qui sont : information, convivialité, participation, fédération, implication, identification, les institutions, qu’elles soient publiques ou privées doivent intégrer la communication interne dans leur stratégie de management afin d’apporter des réponses adéquates aux problèmes de communication tout en minimisant les incompréhensions. Selon C. Michon, le responsable de communication interne est chargé de gérer les projets de communication interne liés à l’activité de l’organisation notamment l’adhésion aux valeurs, au changement stratégique et au projet d’amélioration de la qualité de service de l’organisation.
Conclusion
La communication interne semble être négligée, mais elle est l’un des éléments les plus importants dans une institution. Elle est plus liée à la gestion du personnel qu’à de simples diffusions d’informations et ne peut être soustraite de la stratégie globale de l’organisation. Elle est de ce fait, toute la communication mise en place au sein d’une institution et à destination de tout son personnel. Ses actions interviennent pour rassembler l’ensemble du personnel autour de l’image de l’organisation. C‘est un outil de management indispensable qui facilite, non seulement, le fonctionnement des services mais permet aussi à chacun de comprendre la vision de l’organisation. Sa conduite et son succès nécessitent des moyens humains et financiers, P. Detrie et C. M. Broyez, (1995, p. 47 ). La communication interne efficace repose plus sur des comportements que sur des supports, et donc plus sur le management que sur des techniques.
Notre étude avait pour objectif d’analyser la communication interne de l’UFR/LAC afin d’apporter des suggestions. L’enquête menée au sein de l’UFR/LAC a permis de confirmer le fait que l’institution ne dispose pas d’un mode de communication efficace. Aussi, les canaux et les modes de communication de l’UFR/LAC sont inappropriés. La place de la communication interne actuelle au sien de l’UFR/LAC doit être revisitée et rehaussée. Chaque responsable d’organisation doit comprendre le rôle déterminant que la communication joue dans toute gestion efficace.
Références bibliographiques
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DEUXIÈME AXE : UNIVERSITÉ ET QUESTION DU GENRE
FEMMES ET CARRIÈRES À L’ÉPREUVE DE LA DISPARITÉ FONDÉE SUR LE SEXE AU SEIN DE L’UNIVERSITÉ DE N’DJAMENA
1. Dieudonné VAÏDJIKÉ
Université de N’Djamena (Tchad)
2. Alexis NGARMBATEDJIMAL
Université de N’Djamena (Tchad)
3. François NDILBÉ MBAÏNGUEM
Université de N’Gaoundéré (Cameroun)
Résumé :
Les carrières des femmes à l’Université de N’Djamena (doctorat, post-doctorat, premier poste, postes à responsabilité…), comme dans d’autres universités du pays et d’ailleurs, restent largement en retrait par rapport à celles des hommes. Les femmes semblent s’intégrer difficilement et sont sous-représentées à tous les niveaux : pédagogique, administratif et décisionnel. Une démarche qualitative, intégrant la revue documentaire, l’observation directe et les entrevues individuelles menées auprès de quelques acteurs de l’enseignement supérieur, montre que la féminisation progresse dans l’espace universitaire n’djamenois. Cependant, les instances de recrutement de l’enseignement supérieur et le fonctionnement de l’Université de N’Djamena ne sont pas exonérés des risques de discrimination (indirecte) ou de marginalisation.
Mots-clés : carrière universitaire, discrimination, enseignante-chercheure, femme, genre, N’Djamena.
Abstract :
The careers of women at the University of N’Djamena (doctorate, post-doctorate, first position, positions of responsibility, etc.), as in other universities in the country and elsewhere, remain largely behind those of men. Women seem to have difficulty integrating and are under-represented at all levels: educational, administrative and decision-making. A qualitative approach, integrating the documentary review, direct observation and individual interviews conducted with a few higher education actors, shows that feminization is progressing in the N’Djamenian university space. However, the higher education recruitment bodies and the functioning of the University of N’Djamena are not exempt from the risks of (indirect) discrimination or marginalization.
Keywords : university career, discrimination, teacher-researcher, woman, gender, N’Djamena.
Introduction
Les recherches sur les femmes, dans le milieu universitaire, ne sont pas un fait nouveau. Plusieurs études se sont inscrites dans la suite logique des interprétations et explications consacrées à la place, à la responsabilisation, à la condition de la femme et/ou aux conditions de travail des femmes, dans les universités comme dans d’autres institutions, au regard de la société sur leur vie professionnelle. En dépit de nombreuses étapes franchies à l’échelle mondiale, qui tendent vers l’égalité entre l’homme et la femme, les femmes universitaires, dont celles du Tchad, subissent, dans leur carrière, des inégalités sexuelles liées au genre[48]. Elles sont, très souvent, discriminées, écartées de certaines responsabilités, mais aussi de certains avantages professionnels à cause de leur statut de femme. Cela ne signifie-t-il pas que les politiques du genre demeurent encore des nouvelles problématiques qui préoccupent, si nous voulons comprendre et expliquer les barrières auxquelles les femmes font face dans l’exercice de leur métier, dans la valorisation de leur surinvestissement ?
En effet, les femmes, en particulier les enseignantes-chercheures de l’Université de N’Djamena comme celles d’autres universités du Tchad et d’ailleurs, sont victimes des inégalités sexuelles qui se justifient par leur faible représentation dans les instances décisionnelles, administratives et pédagogiques. Considérées comme des individualités particulières du « sexe faible », puis supposées être insuffisamment représentées dans les activités de promotion et dans l’analyse de leurs évolutions contrairement aux hommes (S. Louvel et A. Valette, 2014), les enseignantes-chercheures de l’Université de N’Djamena, à l’instar d’autres femmes universitaires, sont quelquefois retardées ou exclues des activités scientifiques. De ce fait, les femmes ne construisent-elles pas difficilement leur projet de carriériste à l’Université de N’Djamena ? Les compétences professionnelles constatées chez les hommes et les femmes en milieu universitaire ne doivent-ils pas permettre aux femmes d’y exercer les mêmes fonctions que les hommes ? Comment rétablir l’égalité de sexes dans la promotion académique universitaire ?
Pour traiter ces questions, qui découlent de notre préoccupation sur la répartition inégale des tâches entre hommes et femmes au sein de l’Université de N’Djamena, nous proposons une approche méthodologique consistant à recourir à des données empiriques afin de confronter les éléments de réponse obtenus à partir de la méthode qualitative.
1. Approche méthodologique
Comme nous l’avons mentionné, cette étude s’inscrit exclusivement dans la démarche qualitative. Compte tenu de la qualité des informations recherchées, nous proposons cette méthode pour aborder les acteurs sur les situations qu’ils ont vécues ou expérimentées en matière de discriminations liées aux inégalités de sexe. Ainsi, certaines questions ont été animées par des entretiens pour éclairer les résultats par des motivations de personnes et la carrière dans l’enseignement supérieur. Sans doute, les femmes et les hommes universitaires ont constitué la population cible de cette étude lors de la collecte des données sur le terrain.
La taille de l’échantillon est constituée de 25 personnes, dont 10 hommes et 15 femmes de l’Université de N’Djamena. Si le nombre des femmes dépasse celui des hommes, c’est parce que nous leur avons donné l’opportunité d’exprimer ce qu’elles ressentent effectivement en tant qu’enseignantes-chercheures ou travailleuses dans l’enseignement supérieur. Cependant, il faut relever que certaines occasions de rencontre ont facilité la tâche dans la collecte des informations recherchées. D’abord, notre collaboration avec les collègues de l’Université de N’Djamena, qui se sont rendus disponibles à décrire ce qu’ils savent des conditions de travail de leurs collègues femmes. Enfin, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’Institution du 04 au 09 mai 2022, qui a mobilisé tout le personnel enseignant, administratif et partenaire, nous avons pu mettre à profit le temps pour échanger avec quelques autorités universitaires et enseignants-chercheurs (hommes et femmes) des quatre sites universitaires de N’Djamena (Ardepdjoumal, Farcha, Gardolé et Toukra).
Les critères de sélection de nos informateurs tiennent compte, entre autres, de la profession et du rôle des enseignants-chercheurs dans l’enseignement supérieur. Cela nous a permis de bien identifier nos interlocuteurs avec qui nous avons partagé de riches connaissances sur les conditions de travail des enseignantes-chercheures ou chercheures à l’Université de N’Djamena. Les résultats obtenus se présentent sous la formule de discussion avec la confrontation des éléments des réponses de différents types. Les axes d’information sont relatifs aux perceptions de la carrière des femmes dans l’enseignement supérieur, mais aussi aux difficultés qu’elles y rencontrent.
2. Résultats et discussion
La collecte des données sur le terrain a permis d’obtenir les résultats. Ces résultats sont présentés ici sous forme de discussion et d’analyse reposant sur la confrontation des idées ou de différents points de vue des acteurs interrogés.
2.1. Organes de gouvernance et politique du genre dans l’espace universitaire tchadien
Dans les institutions publiques et privées, en général, la politique de l’égalité entre hommes et femmes inspire une gestion inclusive des ressources humaines dans le processus de développement et les politiques publiques (A. Moukaddem et A.-F. Bender, 2021). Le droit de la femme séduit, par conséquent, un nombre important de textes sur le genre dans ces institutions, parce que l’émancipation et/ou l’épanouissement des femmes, voire leur participation aux décisions politiques au même titre que les hommes, sont à la base des objectifs mondiaux de développement (ONU, 2015). À partir de ces objectifs, les femmes figurent dans de nombreux programmes de développement, et doivent faire partie des instances importantes de décision pour le progrès sur tous les plans. Cela sous-tend que les femmes occupent une place prioritaire dans les programmes politiques qui promeuvent leur épanouissement et autonomie, dans les grandes institutions telles que les Universités. C’est ce que F. Fassa et al. (2019, p. 1) ont fait comprendre dans leur analyse lorsqu’ils affirmaient : « Depuis la fin du XXe siècle, les interventions des gouvernements en faveur de l’égalité se sont multipliées, tout au moins dans les discours, pour qu’une place de plus en plus grande soit faite à de telles politiques et contribue à la lutte contre les inégalités de carrière entre les femmes et les hommes ».
Au Tchad, notamment, l’intégration des femmes à l’enseignement supérieur s’accompagne de l’élaboration de textes légaux pour la reconnaissance de leurs droits. Des organes tels que le Conseil d’Administration (CA), la Présidence de l’Université (PU) et le Conseil d’Enseignement et de la Vie Universitaire (CEVU) sont chargés d’appliquer les textes et de promouvoir la politique du genre au sein de l’Université, dans le but d’aider les femmes à y exercer leur métier, sans discrimination, sans harcèlement, etc., dans l’égalité des chances. Mais, il s’avère que la politique du genre est banalisée, réduite à des jeux de l’impression laissant toujours les femmes dans les conditions accablantes de travail. Elle tient lieu du choix que ces dernières devraient opérer entre l’abandon et la survie pour échapper aux inégalités socioprofessionnelles. Cette politique est loin de prendre en compte les obstacles auxquels les femmes font face à différents niveaux de formation et de vie professionnelle. Par conséquent, l’exécution de la politique du genre se pose avec acuité ; et les règles d’égalité et de promotion des femmes dans l’espace universitaire s’engloutissent dans les politiques discriminatoires entravant leur progression dans la carrière universitaire. Il faut comprendre que, malgré l’existence des organes d’exécution de la politique du genre, les femmes rencontrent des difficultés dans la carrière de l’enseignante-chercheure, parfois à cause du poids des pesanteurs socioculturelles[49].
Il est vrai que les règles de promotion et d’égalité entre les sexes profitent généralement aux hommes qui se considèrent comme le sexe supérieur. Du coup, la gestion et le fonctionnement de l’espace universitaire reposent sur l’inégalité des droits, des responsabilités et des opportunités dont devraient jouir à la fois les hommes et les femmes. Les hommes sont davantage privilégiés dans leurs carrières. Or, le but de la politique du genre consiste à prendre en compte la répartition des rôles et des activités des femmes et des hommes dans la société ; cela pour tendre vers un équilibre des rapports des pouvoirs entre les sexes (Rapport de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes en Chine, 1996) et vers un partenariat effectif entre les deux sexes (S. de Beauvoir, 1949), dans le système valorisé des chercheurs. Un système qui consiste à promouvoir l’égalité entre hommes et femmes à tous les niveaux de l’enseignement et de la recherche scientifique.
2.2. Responsabilisation des femmes à l’Université de N’Djamena
Dans le monde du travail, en général, et en particulier, dans l’espace universitaire, la disparité entre les sexes reste profonde : les possibilités d’emploi et de responsabilité sont moindres pour les femmes. Aussi, pour réussir professionnellement, celles-ci doivent s’adapter au modèle masculin et en adopter les valeurs de compétitivité et d’agressivité. Les femmes carriéristes de l’Université de N’Djamena ne sont pas moins concernées, comme celles d’autres universités du Tchad et d’ailleurs, du fait de leur présence moins significative dans l’investissement pédagogique, mais surtout administratif. Elles sont peu associées aux postes de responsabilité. Les hommes sont visibles à des postes stratégiques et valorisés à plusieurs titres (Ministère de l’éducation nationale, 2000), tandis que les femmes, actives à l’intérieur de l’université, s’occupent rarement des postes stratégiques comme « présidente d’université ». Il en résulte que leur place est moins considérée dans les instances de prise des décisions qui marquent la vie politique et scientifique de l’université. Dès lors, la culture de différence devient une norme ou une règle normale de nomination dans les tâches administratives, comme l’avouent Lhenry (2005) et Fassa et al. (2019).
Nombre de penseurs, tels que Platon, reconnaissent aussi que la nature de la femme est différente de la nature de l’homme. Cependant, ils affirment que des natures distinctes doivent se consacrer aux mêmes occupations. Toutefois, il faut « confier aux femmes une part plus légère qu’aux hommes, compte tenu de la faiblesse de leur genre » (Platon, 2002, 457a). En clair, aux yeux de Platon, la femme et l’homme ont les mêmes aptitudes, cependant, il faut réserver à la femme les tâches plus légères, et par suite, choisir les femmes qui sont physiquement et intellectuellement aptes comme l’homme pour les mêmes fonctions.
En effet, à cause des inégalités sexuelles, l’on s’imagine que les femmes ne sont pas bien positionnées pour commander les hommes, ou instruire, dans un milieu où on retrouve les hommes majoritairement, et plus aisément à des postes plus stratégiques. La discrimination fondée sur le sexe est illégale. Mais même après l’égalité des sexes établie dans la loi ou la constitution, il reste souvent des us et coutumes conférant des droits ou des privilèges aux hommes. C’est ainsi que les hauts postes de commandement, ou les postes clés, sont fortement concentrés entre les mains des hommes qui se partagent les premiers rôles, les responsabilités et les opportunités scientifiques de grandes importances. Ces propos l’illustrent succinctement : « Les femmes ont accès seulement aux postes des secrétaires, mais aussi certains postes techniques ou de ressources financières. Rares, elles n’accèdent aux postes du haut sommet de l’Université »[50]. Cela montre bien évidemment que les femmes sont peu impliquées dans les instances de prise de décisions importantes pour la vie universitaire. Elles s’étaient nourries de l’espoir de renverser la donne avec la nomination d’une femme à la tête du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation pendant la période de transition. Malheureusement, cet espoir s’est effondré très rapidement parce que la ministre, peu ou mal comprise, n’avait pas eu le temps de faire aboutir toutes ses reformes, car elle a été relevée de ses fonctions au bout de six mois. Il semble que certains cadres de l’enseignement supérieur ont contesté sa nomination à cause, entre autres, de son statut de femme. Cela signifie que ce sont toujours les hommes qui veulent être à la tête des institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique dans ce pays, comme dans les organes décisionnels.
De toute évidence, la « gabarie » ou la « domination masculine » au sens de P. Bourdieu (1998) soumet les enseignantes-chercheures ou chercheures au travail peu valorisé qui ne leur permet pas d’imposer des décisions aux hommes. Il en résulte que celles-ci font l’objet de nombreuses inégalités dans l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles sont sous-représentées dans les tâches administratives qui se rapprochent de la position du commandement, puisqu’elles sont victimes des considérations discriminatoires négatives, entretenues par les hommes pour favoriser leur suprématie dans le monde scientifique. En fait, comme le souligne S. de Beauvoir (1949, p. 155) là où il se trouve des hommes et des femmes, « nous voyons que les hommes règnent et que les femmes sont régnées ». Cela, en dépit de la politique en matière d’égalité entre l’homme et la femme à travers de nombreuses conventions de droits de l’homme à l’échelle internationale.
2.3. Faible participation des enseignantes-chercheures qualifiées aux tâches universitaires
L’on pense généralement que les femmes ne sont pas en mesure de faire le travail universitaire, parce qu’elles ne sont pas douées comme les hommes ou n’ont pas les mêmes aptitudes intellectuelles que ces derniers. Les obstacles sont soit directs (nomination critiquée, faible participation aux compétitions scientifiques, etc.), soit liés à la division sexuelle du travail qui fait peser sur les femmes certaines tâches exogènes, entre autres ménagère, qui les poussent à privilégier le devoir conjugal (S. Lhenry, 2005). C’est dans cet ordre d’idées que A. Moukaddem et A.-F. Bender (2021) notifient que la responsabilité de la famille est à la charge de la femme. Celle-ci se trouve obligée de délaisser sa carrière pour un certain moment qui affecte sa trajectoire professionnelle au sein de l’université.
Il est à noter que les femmes semblent être celles qui font moins le travail de l’enseignant-chercheur à cause de leur situation conjugale, difficilement conciliable avec leur vie professionnelle. C’est pour cela qu’elles restent en retrait de l’ascension académique et à tous les niveaux de la formation universitaire. Du coup, elles sont sous-représentées et accusent un retard dans la promotion académique ou carriériste. Par exemple, sur 216 Maîtres-Assistants de l’Université de N’Djamena, il n’y a seulement que 5 femmes, sur 57 Maîtres de Conférences, on n’en compte qu’une seule (Maître de Conférences en 2022) et aucune femme parmi les 12 Professeurs Titulaires. Cela prouve effectivement que les femmes ne font pas, jusqu’aujourd’hui, parties des rangs des professeurs, parce que c’est un domaine qui demande des sacrifices constants pour parvenir à l’excellence[51], si l’on en croit Fassa et al. (2019). Les informations recueillies auprès d’un enseignant-chercheur renchérissent ces propos : « Nous pensons que c’est un travail difficile. Et les femmes ne travaillent pas assez comme les hommes. Pour certaines, nous pourrions dire qu’elles ne sont pas à la hauteur de leurs tâches universitaires »[52]. À travers ces affirmations, on verse les femmes dans la fainéantise, la médiocrité ou la paresse au regard de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ; bien qu’il y ait quelques-unes qui s’investissent activement dans leur carrière pour la reconnaissance de leurs efforts.
Par ailleurs, on soutient que les femmes publient rarement des articles, et sont parfois absentes des débats scientifiques qui réunissent les chercheurs à l’échelle internationale et nationale. Et pourtant, pour accéder aux grades, il faut prouver sa capacité scientifique par des encadrements de travaux de recherche et des publications de documents qui sont scientifiquement avérés. Mais ce n’est pas le cas chez la plupart des enseignantes-chercheures de l’Université de N’Djamena, comme celles d’autres Universités du Tchad. Dans cette posture, elles sont jugées incompétentes. En revanche, certains responsables, moins sévères dans leurs jugements, estiment que ces dernières ne sont pas véritablement encouragées dans leurs tâches. Elles ne sont pas prioritaires dans les bourses ou les financements de recherche qui devraient les motiver à exceller comme les hommes. C’est ce que fait voir cet informateur qui exprime sa désolation : « Les femmes n’évoluent pas au même titre que les hommes. Les conditions de travail et le manque de discrimination positive en leur faveur, dans l’accès aux fonds de recherche, les empêchent d’évoluer dans leur projet de promotion au même titre que les hommes »[53]. Autrement dit, les femmes ont un accès limité aux fonds de recherche et de formation par rapport aux hommes[54]. Cela, malgré de nombreux efforts fournis par le gouvernement pour le respect des droits égaux dans le milieu professionnel. À cela, s’ajoute, comme nous l’avons évoqué, leur statut d’épouse ou de mère qui rend l’exercice de leur carrière difficile au milieu des hommes.
Tout porte donc à croire que le manque d’accès égal aux opportunités et responsabilités académiques est l’un des corollaires des disparités fondées sur le sexe, empreintes souvent de harcèlements de toutes sortes, dans l’espace universitaire. Ces obstacles relèguent les femmes au second rang en matière de promotion dans leur carrière.
2.4. Harcèlement et discrimination de l’enseignante-chercheure dans l’espace universitaire
D’après les données collectées et analysées, les femmes sont bel et bien harcelées et discriminées dans le monde universitaire. Elles subissent parfois des comportements violents et agressifs et, par voie de conséquence, ne travaillent pas aisément comme les hommes.
En effet, la faible considération des enseignantes-chercheures ou chercheures dans leurs tâches administratives et pédagogiques émaille la vie universitaire dans certaines villes africaines, où l’on pense, à la manière de B. Spinoza (1966) que la femme n’est pas l’égal de l’homme. Le harcèlement et la discrimination sont des formes d’injustice infligées régulièrement aux femmes dans leur vocation et ambition de faire carrière dans l’enseignement supérieur. Les expressions suivantes traduisent les difficultés qu’elles rencontrent : « Les femmes sont au quotidien harcelées, dénigrées, calomniées, rabaissées ; elles ne sont pas considérées à la hauteur de leurs tâches. Les rares qui accèdent aux postes de responsabilité de bas étage doivent se donner dix fois plus pour récolter des miettes de reconnaissances »[55].
En tout état de cause, il convient de comprendre que les femmes sont harcelées sexuellement, physiquement et moralement au sein des facultés, des services et des départements ; ce qui les amène quelquefois à quitter l’enseignement supérieur contre leur gré pour intégrer d’autres départements ministériels. Ce sont des faits indubitables, mais qui ne sont pas punis par la hiérarchie ; puisque la hiérarchie, elle-même, se prête parfois à ce jeu pervers, relèvent certaines enseignantes-chercheures. Elles déclarent avoir été harcelées, violentées et/ou insultées dans leurs tâches administratives et pédagogiques. Leurs propos sont assez clairs là-dessus lorsqu’elles soulignent que ce n’est pas facile de travailler avec les hommes sans recevoir des coups de différence ; puisque les hommes montrent qu’ils sont toujours différents et supérieurs aux femmes. Cela donne à voir que les femmes sont moins valorisées dans les services qu’elles rendent pour le développement des activités scientifiques. Dans ce cas de figure, que faut-il entreprendre pour rétablir l’équilibre entre les sexes en milieu universitaire ?
Notons que les inégalités de sexe nécessitent de nouvelles approches pour réduire les différences de traitement entre les hommes et les femmes à l’Université de N’Djamena, dans la perspective d’amener les deux sexes à coopérer et collaborer ; surtout qu’il n’est pas contre-nature d’accorder aux femmes les mêmes privilèges dans l’administration des institutions, voire de la cité.
2.5. Plaidoyer pour rétablir l’égalité entre hommes et femmes à l’Université de N’Djamena
Face à la disparité fondée sur le sexe, à l’Université de N’Djamena, la mise en place d’un mécanisme de suivi et d’application de la politique du genre s’avère nécessaire pour garantir l’égalité entre hommes et femmes, ou mieux l’égalité des chances et de promotion à de hauts postes de responsabilité. Cela, dans la perspective de veiller au respect des droits de tous, particulièrement des femmes considérées comme des carriéristes incapables d’exercer les mêmes fonctions que les hommes.
Pour mieux appréhender la participation de tous, hommes et femmes, à toutes les tâches au sein de l’espace universitaire, il est judicieux de créer des conditions favorables de travail, susceptibles de rétablir l’égalité des sexes dans le travail et la promotion, en priorisant naturellement une compétitivité équitable. Cette politique peut permettre d’identifier les problèmes et besoins cruciaux afin de contribuer à l’épanouissement des universitaires, sans distinction de sexe, en prenant en compte les aspirations de promotion et de valorisation des femmes à toutes les instances de prises de décisions et d’accès à tous les postes de responsabilité.
Plus concrètement, les recommandations du terrain se conjuguent vers la mise en place d’un fonds de recherche pour motiver et encourager les femmes à progresser en grade comme les hommes ; ce qui veut dire qu’il faut booster les recherches des femmes pour qu’elles parviennent aux résultats innovants dans le monde scientifique. Cela doit passer par leur implication dans les activités académiques, une démarche qui peut constituer une source de motivation pour attirer un nombre important de femmes dans l’enseignement supérieur. Avec leur vision ou leur manière de diriger, elles veilleront à ce que l’égalité entre l’homme et la femme soit respectée dans ce domaine.
Aussi convient-il de souligner que l’absence d’un réseau professionnel entre les femmes de l’Université de N’Djamena ne leur permet pas de prévaloir leurs droits d’exercer les mêmes fonctions que les hommes. Les femmes n’occultent pas d’ailleurs le fait qu’elles n’aient pas d’association de solidarité entre elles au sein de l’université, rend difficiles leurs revendications. C’est ce qui apparaît dans les propos qui suivent : « Vous voyez que les femmes n’ont pas une association, donc c’est difficile pour elles de défendre leurs intérêts et de dénoncer les violences qui leur sont infligées ; un obstacle majeur pour les travailleuses de l’université »[56].
Pour tout dire, l’existence d’un mécanisme de suivi et d’application de la politique du genre ou d’une plateforme féminine dans les universités du Tchad en général, peut être un atout pour les enseignantes-chercheures qui s’évertuent à revendiquer leur place dans le but d’y jouer efficacement leur rôle. Aussi, à travers ce réseau féminin, celles-ci parviendront à dénoncer les harcèlements et les injustices dont elles font souvent l’objet dans les facultés, les services et les départements. Cela peut les aider à comprendre Platon (2002) qui souligne que les femmes et les hommes ont les mêmes aptitudes à participer à la gestion des affaires publiques et des biens communs. « La femme participe naturellement à toutes les occupations, l’homme de son côté participe à toutes également », affirme Platon (2002, 455e). Selon l’auteur, il n’y a pas d’occupations relatives à l’administration de la cité qui appartiennent à une femme parce qu’elle est une femme et à un homme parce qu’il est un homme. Cependant, il rappelle que, dans toutes ces activités, la femme est un être faible que l’homme.
Conclusion
Nous pouvons dire que le constat sur la considération et les conditions de travail des femmes dans l’enseignement supérieur tchadien est alarmant. À l’Université de N’Djamena, en particulier, les femmes sont quasiment absentes des postes clés de responsabilité, et leurs droits sont parfois peu reconnus malgré la sensibilisation constante sur l’égalité entre l’homme et la femme dans le monde professionnel. Elles ont non seulement un accès inégal aux instances de décision de l’Université et aux fonds alloués aux recherches, mais elles font également l’objet du harcèlement et de la discrimination à cause des inégalités de sexe dans leurs droits à la recherche.
Ces violences basées sur le genre (VBG) apparaissent régulièrement dans les rapports de pouvoir entre les acteurs de l’enseignement supérieur. Les harcèlements sexuels et moraux, par exemple, sont des scènes auxquelles les femmes sont sujettes au quotidien. C’est pourquoi la mise en place d’un mécanisme de suivi et d’application de la politique du genre, ou d’une plateforme féminine, serait un atout pour permettre à ces dernières de mettre en valeur leurs investissements, notamment pédagogique, scientifique et administratif, et de dénoncer les cas de violence auxquels elles font face en milieu universitaire. Ainsi, grâce aux entretiens réalisés et animés avec les acteurs de l’Université de N’Djamena, nous avons opté pour une approche de féminisation et de partenariat dans l’optique de rétablir l’égalité entre hommes et femmes dans l’enseignement supérieur ; puisque que c’est la même aptitude naturelle à l’administration des affaires publiques qui existe chez la femme autant que chez l’homme, sauf que, comme l’affirme Platon avec application, dans le premier cas, cette aptitude est plus faible, et dans le second, plus fort.
Références bibliographiques
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SPINOZA Baruch, 1966, Traité politique, Lettres, trad. Charles Appuhn, Paris, Flammarion.
GENRE ET HARCÈLEMENT SEXUEL EN MILIEU UNIVERSITAIRE : LE CAS DES ÉTUDIANTES DES UNIVERSITÉS DE CÔTE D’IVOIRE
Lou Gobou Bien-aimée GOHI
Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (Côte d’Ivoire)
Résumé :
La question du harcèlement sexuel en milieu universitaire, ces dernières années, fait débat à cause de son ampleur et ses conséquences sur les résultats des étudiantes qui en sont victimes. Dans le cadre de l’enseignement supérieur, les victimes sont en général les étudiantes qui subissent diverses pressions de la part de certains enseignants. Aussi est-il que cette situation influe tout à la fois sur les résultats ou rendements des étudiantes, que sur le fonctionnement de la structure universitaire. Il se pose ainsi, de toute nécessité, la question suivante : Que faire pour surmonter cette situation déplorable ? En d’autres termes, quelles stratégies engager pour offrir plus de chances aux étudiantes ? Cette communication a pour objectif d’analyser les relations enseignants/étudiantes à l’Université, de décrire le phénomène du harcèlement des étudiantes par les enseignants et de faire des recommandations pour limiter cette pratique dans les Universités de Côte d’Ivoire.
Mots clés : Côte d’Ivoire, Étudiante, Genre, Harcèlement, Université.
Abstract:
The question of sexual harassment in the university environment, in recent years, has been debated because of its extent and its consequences on the results of the students who are victims of it. In the context of higher education, the victims are generally female students who are subject to various pressures from certain teachers. Also, is it that this situation influences both the results or yields of the students, and the functioning of the university structure. The following question therefore arises, of all necessity: What can be done to overcome this deplorable situation? In other words, what strategies should be adopted to offer more opportunities to female students? This communication aims to analyze teacher/student relations at the University, to describe the phenomenon of teacher harassment of female students and to make recommendations to limit this practice in the Universities of Ivory Coast.
Keywords : Côte d’Ivoire, Student, Gender, Harassment, University.
Introduction
Les inégalités du genre constituent un problème majeur pour la majorité de nos pays Africains. Les violences basées sur le genre subies par les femmes sont considérées comme une conséquence des inégalités structurelles et comme un instrument permettant de les maintenir (Hammel 2011). Elles englobent le Harcèlement sexuel qui est le fait d’abuser de l’autorité que confère une fonction pour tenter d’obtenir une faveur sexuelle de quelqu’un (e) par contrainte. Le harcèlement sexuel en milieu universitaire est le fait d’user de façon répétée, d’ordres, de menaces, de contraintes, de paroles, de gestes, d’écrits, d’appels ou messages téléphoniques ou tout autre moyen dans le but d’obtenir d’un (e) apprenant (e) ou d’un (e) éducateur (trice), contre son gré, des relations de nature sexuelle pouvant porter atteinte à sa dignité. Le harcèlement sexuel peut prendre plusieurs formes. Nous avons d’abord la forme verbale qui se caractérise par des surnoms sexuels, des commentaires sur la taille et la forme de la personne harcelée ainsi que des demandes incessantes de la part de l’harceleur. Nous avons ensuite la forme auditive qui comprend les bruits et sifflements venant de la personne qui harcèle et enfin nous avons la forme physique et visuelle qui est le fait de mimer l’acte sexuel avec les mains ou avec la bouche, de s’agripper à la personne harcelée, de pincer ses parties sensibles et intimes et lui envoyer des entremetteurs ou des messages écrits, téléphoniques, de proférer des menaces, des promesses d’argent ou de services à rendre sans que l’autre ne les sollicite, etc. L’approche de genre aide à comprendre le phénomène du harcèlement sexuel. Cette approche qui peut se définir comme l’acquisition d’un droit à la reconnaissance sociale peut être considérée comme un processus vers l’égalité entre les hommes et les femmes et comme le renforcement du pouvoir de la femme. La prédominance des hommes dans le corps enseignant renforce le pouvoir masculin et le recours au harcèlement sexuel des enseignants en vue de contraindre les étudiantes. Le harcèlement sexuel est favorisé par le type de relations entre l’homme et la femme. L’adoption de l’approche de la sociologie interactionniste a permis aussi de comprendre le harcèlement sexuel. Selon Guy Rocher (1969): « une action sociale est une réalité totale, globale qui engage et influence la personnalité individuelle et qui forme en même temps un tissu social ». Brookfield (2004 : p 240), lui soutient que le pouvoir est présent dans les plus petites interactions humaines, Pour Bourdieu (1990), c’est une construction de relations dissymétriques entre individus et groupes comme domination des hommes sur les femmes. Pour revenir à notre sujet d’étude, le harcèlement sexuel dans les milieux universitaires se manifeste par des regards, des insinuations, des propos malsains, des propositions de rencontre, des familiarités indésirables, de plaisanteries déshonorantes, des blagues, voire des agressions sexuelles. Cet état de choses est souvent favorisé par la sphère géographique qui crée des contacts, qui a leur tour favorise des sentiments qui finissent par perturber la vie intime des étudiantes. Notre problématique s’articule autour des trois questions suivantes :
1) Comment se caractérise le harcèlement sexuel et quelle est son ampleur à l’Université ?
2) Quels sont les facteurs qui sont à la base du harcèlement sexuel ?
3) Quelles dispositions faut-il prendre pour y remédier ?
Cette étude s’inscrit dans une perspective de recherche-action entre les milieux communautaires et universitaires ; ses visées ultimes permettront d’approfondir la compréhension du phénomène des violences sexuelles en milieu universitaire, et de formuler des recommandations pour la mise en place d’interventions auprès de l’ensemble de la communauté universitaire. À la lumière des résultats, il s’agira de proposer des recommandations mobilisant les instances gouvernementales, institutionnelles et communautaires afin d’interpeller toute la communauté universitaire. Ces recommandations visent la communication en matière de prévention de la violence sexuelle en milieu universitaire en Côte d’Ivoire.
1. Matériels et méthodes
La Côte d’Ivoire dispose de plusieurs universités publiques, mais pour le besoin de notre étude, l’enquête s’est déroulée dans quatre universités publiques qui sont : l’Université Félix Houphouët Boigny (Abidjan), Nangui Abrogoua à Abidjan, Alassane Ouattara (Bouaké) et l’Université Jean-Lorougnon-Guédé (Daloa). Étant donné que la présente étude n’est pas exhaustive, nous avons travaillé sur un échantillon de 400 personnes. Notre cible concerne 400 étudiantes. Nous avons fait de la recherche documentaire et notre enquête s’est faite à travers des entretiens et des questionnaires auprès de notre cible pendant deux mois (début juin 2021 à fin août 2021). Nous avons mené des investigations sur le terrain dans la ville d’Abidjan. Pour les villes de l’intérieur citées, nous avons compte tenu de la distance, utilisé les réseaux sociaux et internet pour envoyer les questionnaires par mail. Les étudiantes ont été sollicitées par un message électronique les invitant à remplir le questionnaire et nous avons reçu les réponses par ce même canal. Notre démarche a été tant quantitative que qualitative et pour le traitement des données, nous avons fait des statistiques grâce au logiciel Excel pour rendre les résultats de notre travail.
2. Résultats
Figure 1
Victime ou Témoin d’harcèlement | Ni Victime ni Témoin d’harcèlement | |
Total | 400 | 0 |
% | 100 | 0 |
Source : notre enquête 2021
Les résultats donnent 100% de oui au niveau des 400 personnes. Elles avouent avoir été victime ou témoin de harcèlement dans leur établissement Universitaire.
Figure 2
Harcèlement verbal | Harcèlement moral ou psychologique | Harcèlement sexuel | Cyber harcèlement | Harcèlement physique | Dégradation de bien | Harcèlement de groupe | |
Total | 20 | 115 | 210 | 5 | 50 | 0 | 0 |
% | 5 | 28,75 | 52,5 | 1,25 | 12,5 | 0 | 0 |
Source : notre enquête 2021
Au niveau du type de harcèlement, nous remarquons un pourcentage élevé au niveau du harcèlement sexuel avec un taux de 52,5%, le harcèlement moral ou psychologique avec 28,75%. Le harcèlement verbal se fait moins sentir en milieu universitaire avec un pourcentage de 5% ainsi que le cyberharcèlement qui ne représente que 1,25%.
Auteur de cet harcèlement | |||
Un professeur | Un membre du personnel universitaire | Un étudiant | |
Total | 350 | 35 | 15 |
% | 87,5 | 8,75 | 3,75 |
Au niveau de l’auteur du harcèlement en milieu universitaire, selon les enquêtes, nous avons un pourcentage élevé de 87,5% provenant du corps enseignant, 8,75% en ce qui concerne les membres du personnel universitaire et 3,75% pour les étudiants.
Figure 3
Source : notre enquête 2021
Figure 4
Lieu du déroulé du harcèlement | |||
Établissement (salles de cours, resto u) | Résidences universitaire | Autres espaces universitaires | D’une sortie universitaire |
260 | 100 | 25 | 15 |
65 | 25 | 6,25 | 3,75 |
Source : notre enquête 2021
Au niveau de la demande d’aide des victimes, nous remarquons que 50% des étudiantes ne dénoncent pas le harcèlement dont elles sont victimes, car elles ne demandent pratiquement pas d’aide. 35% en parlent à leurs amis étudiants. 7,25 % en parlent à des membres de leur famille. 5% parfois à un enseignant de l’université et seulement 2,5% portent plainte.
Figure 5
Oui, une fois | Oui, plusieurs fois | Non, jamais | Non, je ne souhaite pas répondre | |
Total | 50 | 320 | 0 | 30 |
% | 12,5 | 80 | 7,5 |
Source : notre enquête 2021
Au niveau des fréquences, 80% des étudiantes avouent qu’elles ont été harcelées à plusieurs reprises. 12,5 répondent qu’elles en ont été victimes au moins une fois et 7,5% n’ont pas répondu à la question.
Figure 6
Oui, à unenseignant | Oui à un étudiant | Oui, à un membre de ma famille | Oui, à un professionnel de la santé | Oui, en portant plainte | Non, mais j’en avais besoin | Non j’en avais pas besoin | |
Total | 20 | 140 | 30 | 10 | 200 | 0 | |
% | 5 | 35 | 7,5 | 0 | 2,5 | 50 | 0 |
Source : Notre enquête 2021
Au niveau de la demande d’aide des victimes, nous remarquons que 50% des étudiantes ne dénoncent pas le harcèlement dont elles sont victimes car elles ne demandent pratiquement pas d’aide.35% en parlent à leurs amis étudiants, 7,25% en parlent à des membres de leur famille ,5% parfois à un enseignant de l’université et seulement 2,5% portent plainte.
3. Analyse des résultats et discussion
Les formes de harcèlement dans l’enseignement supérieur sont diverses. On peut citer les remarques sexistes ou discriminantes durant un examen avec un jury ou durant une entrevue dans le bureau d’un membre du personnel ; les situations de pouvoir sur les étudiants, par exemple, pendant l’encadrement d’un stage, d’un mémoire ou d’un doctorat ; les discriminations entre étudiants ; ou encore les abus liés à l’apparence et au physique, lorsque l’on commence à s’interroger sur le sujet, ce ne sont pas les témoignages qui manquent. Ces comportements peuvent viser le genre de la victime, son origine, son statut social, son orientation sexuelle, son apparence physique, sa religion, etc. Les déclarations de violences paraissent relativement élevées dans les Universités en Côte d’Ivoire, car environ un tiers des femmes ont déclaré avoir subi une violence sexuelle.
Deux grands types de violences sont dénoncés : les violences psychologiques d’une part et les violences à caractère sexuel d’autre part, qu’elles soient sans contact, sans pénétration ou avec pénétration. Qu’elles soient psychologiques ou sexuelles, les violences ont des effets néfastes sur les parcours universitaires. Certaines étudiantes que nous avons pu enquêter, ont notamment changé de filière ou d’établissement. Les étudiantes touchées par les violences en parlent peu à leurs amis ou proches. Elles refusent d’engager des procédures au sein des établissements quand bien même les faits déclarés sont jugés graves. Les faits le plus souvent, déclarés par les étudiantes touchent à la sexualité. Le fait le plus fréquemment relevé porte sur les propos et attitudes à caractère sexuel, déclarés par 52,5% des étudiantes selon les universités (Tableau 2). Puis viennent les moqueries et les insultes. Les propositions sexuelles insistantes malgré le refus sont fréquemment déclarées dans certaines universités et touchent 5 % des étudiantes. Toutefois, si ces formes de violences sont les plus fréquentes pour les étudiantes, elles le sont dans des proportions nettement moindres : les propos et attitudes à caractère sexuel sont déclarés par la plupart des étudiantes ainsi que le fait de faire l’objet de propositions sexuelles insistantes. Les violences psychologiques incluent les insultes, les moqueries, les intimidations ainsi que les atteintes au travail.
Pour une meilleure compréhension du phénomène des violences sexuelles, une typologie de violences prenant en compte l’ensemble des faits subis, leur fréquence et leur gravité doit être créée en recourant à une classification ascendante hiérarchique. Pour autant, le caractère particulier de certaines situations de violence, notamment celles d’étudiantes, peu nombreuses, ayant déclaré des violences très graves de types différents, ne permet pas de créer des groupes homogènes de taille suffisante… Ces personnes, en ayant déclaré un nombre important de faits de nature différente et des fréquences élevées se distinguent fortement des autres étudiantes au point de composer une classe propre. D’une manière générale, les classes dégagées sont proches d’une Université à l’autre et du volet Virage réalisé en population générale. Cette classification permet de distinguer trois situations de violences sexuelles (violences sexuelles sans contact, violences sexuelles avec contact sans pénétration, violences sexuelles avec pénétration) et trois situations différenciées de violences psychologiques et physiques (violences psychologiques déclarées pas ou peu graves par les étudiantes, violences physiques pas ou peu graves et enfin, violences physiques et/ou psychologiques très graves).
Les situations de violences ainsi déterminées présentent une forme de gradient, conforme à la notion de continuum des violences. Les étudiantes de la catégorie « violences psychologiques pas ou peu graves » n’ont pas déclaré de faits d’une autre nature (physique ou sexuelle). Par contre, des étudiantes ayant déclaré des violences psychologiques se retrouvent dans d’autres catégories, si elles ont déclaré également d’autres types de faits. Les étudiantes de la catégorie « violences sexuelles avec contact sans pénétration » ont déclaré des formes de violences psychologiques ou de violences sexuelles sans contact. De même, les étudiantes qui déclarent des violences sexuelles avec pénétration rapportent aussi des violences psychologiques et des formes d’agressions sexuelles sans ou avec contact. On remarque au sein des universités que les lieux des violences sont variés. L’enquête identifiait à la fois des lieux internes aux universités (salle de cours, bureaux, etc.) et des lieux publics extérieurs à l’université (espaces collectifs, terrains sportifs, etc.).
La difficulté du harcèlement en milieu universitaire, c’est qu’il peut se développer dans des lieux et des contextes très divers et parfois difficiles à contrôler : au moment d’un cours dans une classe ou un amphithéâtre, sur le forum en ligne de l’établissement, lors d’une fête estudiantine sur le campus, lors d’un rendez-vous entre un professeur et une étudiante, etc. À cela s’ajoutent le manque actuel de suivi des signalements et parfois l’inexistence de mesures pour y faire face. Le manque de données statistiques dont nous disposons en Côte d’Ivoire contribue à invisibiliser le problème. Pourtant, il semble qu’une grande majorité de personnes ayant fréquenté l’enseignement supérieur a au moins une fois été témoin, voire victime, d’une de ces catégories de harcèlement.
4. Recommandations en cas de harcèlement sexuel en milieu universitaire
Il est urgent de réformer le fonctionnement des sections disciplinaires pour que le harcèlement sexuel et d’autres formes de discriminations, quel qu’en soit le motif, fassent l’objet d’un traitement efficace dans l’enseignement supérieur et dans le milieu universitaire. Aujourd’hui, aucune de ces formes de violence sociale, génératrice d’inégalités, n’est correctement traitée. Pour ce faire, nous recommandons de :
– Créer une section disciplinaire en cas de harcèlement sexuel en milieu universitaire.
– Assurer l’information et la prévention en milieu universitaire en condamnant le harcèlement sexuel, et les autres formes de violences et de discriminations.
– Convoquer automatiquement la section disciplinaire en cas de harcèlement sexuel. Cette section disciplinaire doit pouvoir être directement saisie par les victimes et elle doit pouvoir décider des mesures conservatoires d’urgence, si nécessaire.
– Créer un comité indépendant chargé de l’instruction des plaintes. Ses membres ne doivent pas faire partie de la section disciplinaire. Ce comité doit comprendre des personnalités extérieures.
– Garantir l’indépendance de la section disciplinaire et la rendre paritaire quel que soit le statut de la personne jugée. Ses membres doivent être des personnes extérieures à l’établissement où les faits se sont produits pour éviter le favoritisme.
– Donner le droit aux plaignantes de faire appel des décisions auprès d’une cour de seconde instance, en cas de désaccord sur la décision.
– Créer un observatoire des discriminations et des violences sexuelles dans l’enseignement supérieur pour évaluer et faire un suivi du phénomène. Cet observatoire pourrait mesurer également les autres formes de discrimination.
Conclusion
En définitive, l’on peut affirmer que le milieu Universitaire n’est pas épargné par le harcèlement. Nous dégageons plusieurs pistes de solutions qui devront être mise en place pour prévenir et lutter contre le harcèlement des étudiantes. Il s’agit de :
– Faciliter le dépôt des signalements dans chaque établissement Universitaire et dans d’autres structures.
– Imposer à chaque établissement Universitaire de créer, quand ce n’est pas déjà fait, un dispositif de référence ;
– Offrir une voie de recours externe pour que les étudiantes victimes soient accueillies, conseillées et accompagnées ;
-Informer et sensibiliser les établissements Universitaires, le personnel et les étudiantes sur le sujet du harcèlement, afin d’identifier les comportements problématiques et réagir de manière efficace.
– Agir pour informer les victimes, sensibiliser les témoins et dissuader les auteurs.
– Adopter un cadre légal spécifique pour mieux protéger les étudiantes.
– Répertorier les initiatives existantes permettant de lutter contre le phénomène du harcèlement,
– Dresser la liste des profils des principales victimes et les circonstances qui favorisent les abus pour aboutir à des solutions probantes.
Il est urgent de réagir, tant pour le bien-être de nos étudiantes que pour la qualité de notre enseignement. Il est donc fondamental, malgré le caractère complexe du harcèlement de mettre tout en œuvre pour l’éradiquer dans le milieu universitaire.
Références bibliographiques
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TROISIÈME AXE : FORMATION ET EMPLOYABILITÉ DES ÉTUDIANTS
LA DIALECTIQUE DE LA FORMATION ET DE L’EMPLOI : L’UNIVERSITÉ À L’ÉPREUVE DU DEVENIR
Akpolê Koffi Daniel YAO
Université Peleforo GON COULIBALY (Côte d’Ivoire)
yaoakdaniel@yahoo.fr / yaoakdaniel@upgc.edu.ci
Résumé :
La crise de l’emploi désigne une des pathologies de la société qui met en cause la formation lorsque nous considérons son déphasage avec les exigences des emplois modernes. La compréhension de cette crise, préalable à toute entreprise de résolution, autorise l’entrée dans le système de l’emploi qui se déploie selon la dynamique de la dialectique, au sens de Hegel, et dont les moments sont l’employabilité, la formation et l’emploi. L’attention portée à la formation adossée à l’université est ce qui met au centre des débats cette institution appelée à être soumise à un repositionnement structurel et fondamental en s’inscrivant dans la dynamique du devenir qui constitue l’essence de la société comprise comme système des besoins. En réalité, c’est une université tournée vers la prospective et l’esprit d’entreprise qui constitue l’effectivité d’une dynamique du devenir adéquatement assumée.
Mots clés : Devenir, Dialectique, Emploi, Formation, Société.
Abstract:
The employment crisis designates one of the pathologies of society that calls the question of training when we consider its out of step with the demands of modern jobs. The understanding of this crisis, prior to any resolution enterprise, authorizes entry into the employment system which unfolds according to the dynamics of the dialectic, in the sense of Hegel, and whose moments are employability, training and employment. The attention paid to training backed by the university is what puts this institution at the center of the debate, which is called upon to undergo a structural and fundamental repositioning by becoming part of the dynamics of becoming which constitutes the essence of society understood as a system of needs, itself synonymous with employability. In reality, it is a university turned towards foresight and the spirit of enterprise which constitutes the effectiveness of a dynamic of becoming adequately assumed.
Keywords : Becoming, Dialectic, Employment, Society, Training.
Introduction
Hegel a défini l’homme dans la société comme « une totalité de besoin et un mélange de nécessité naturelle » (Hegel, 2013, p. 349). Cette approche réapparait chez Marx, certainement influencé par Hegel, avec l’idée selon laquelle la réalisation sociale de l’individu est intimement liée aux conditions matérielles de son existence. De cette façon, l’impossibilité même de cette satisfaction est la manifestation de l’état de minorité eu égard aux conditions matérielles : c’est la pauvreté. Et il y a dans les sociétés modernes, comme cause principale de la pauvreté, la difficile insertion professionnelle des individus qui conduit à une crise de l’emploi. Dès lors, comment ne pas prêter attention à la crise de l’emploi ? Cette attention est renforcée par la capacité qu’elle a à plonger le corps social dans un déchirement dont les conséquences sont à saisir en plusieurs points. En effet, ailleurs, la crise de l’emploi a favorisé le développement d’activités jugées, selon la conscience des peuples, immorales ; mais aussi, comme le pense Jakkie Cilliers (2004, p. 81-100), la constitution ou le renforcement de fractions terroristes. Ces orientations peuvent s’expliquer par le fait que dans les conditions précaires d’existence, l’homme défait des considérations morales semble être contraint d’emprunter les chemins qui s’offrent à lui.
L’exigence qu’il y a à sortir de cette situation donne à la question en direction de la crise de l’emploi tout son sens ici et maintenant. Ainsi, la question assez concrète, simple en son énonciation, mais non moins fondamentale, s’offre de la manière suivante : comment venir à bout de cette crise ? Mais cette question ne peut être envisageable que si la crise elle-même est adéquatement comprise. Sa compréhension exige qu’elle soit saisie dans le système de sa manifestation qui appelle nécessairement la formation ; car il ne peut avoir d’emploi sans formation. Dans la mesure où l’un s’incline pour laisser surgir l’autre, il existerait donc une relation entre emploi et formation qui doit être appréhendée à partir d’une approche conceptuelle ; c’est là le premier moment de cette réflexion. Sur cette base, le deuxième moment consistera à se saisir du normativisme de cette relation, en ce qui la caractérise fondamentalement, pour avoir une lecture plus adéquate de cette crise de l’emploi afin de proposer, dans un ultime moment, des réponses concrètes gravitant autour du fonctionnement de l’université sensée assumer la formation en vue de l’emploi.
1. L’endroit de la relation formation-emploi : enjeu d’une analyse conceptuelle
L’exigence qu’il y a à établir la relation vraie entre la formation et l’emploi participe, d’abord, de la constitution de l’idéal type de leur manifestation ; elle permet ensuite de décrypter la condition crisique de cette relation pour penser un rétablissement. Dans les faits, montrer l’insuffisance d’une certaine disposition, c’est avant tout, comme dans un préalable, avoir en idée la disposition qui peut constituer la base normative à partir de laquelle tout jugement peut être opéré. En effet, l’envers est en réalité « envers » d’un « endroit » su comme tel. En s’offrant dans une telle analyse, la relation qui peut exister entre la formation et l’emploi, avant de se prêter à tout jugement qualitatif, suggère une mise en avant de ce qu’elle est fondamentalement. Fondamentalement, il faut entrer dans la vie même des concepts de « formation » et d’« emploi ». Les élever au rang de concept revient à signifier qu’ils sont des expressions pensées de réalités vivantes et dynamiques.
L’appréhension des concepts de « formation » et d’« emploi » dans une simple perspective historique laisse immédiatement apparaître une antériorité de la formation et désigne ce par quoi il faut commencer. Former, comme le mot l’indique, c’est prendre forme ou donner une forme. Dans l’univers social en général, et relativement aux individus, la formation consiste dans la constitution d’un profil en vue d’une finalité. En cela, formation et éducation semble aller de pair. Si la formation fait référence à des individus dans un système universitaire, l’éducation, elle, fait plutôt appel à la condition de l’individu enfant. Mais, éduquer, du latin educare, c’est conduire ou guider vers une certaine destination qui n’est pas à retrouver dans l’espace mais dans la constitution d’un type d’homme. Formation et éducation constituent donc, au fond ou à des moments différents, des étapes d’un même processus qui doit être lu à partir du moment initial qu’est l’éducation elle-même.
L’éducation trouve tout son sens dans le mouvement qui consiste à intégrer les individus dans l’architecture sociale en les initiant aux modes, idéaux et pratiques. Et les choses ne peuvent être autrement quand on sait, comme l’affirme Kant, que
l’homme est la seule créature qui soit susceptible d’éducation. Par éducation l’on entend les soins (le traitement, l’entretien) que réclame son enfance, la discipline qui le fait homme, enfin l’instruction avec la culture. Sous ce triple rapport, il est enfant, – élève – et écolier (Kant, 2004, p. 7).
Il y a dans cette pensée une référence au devenir de l’homme comme homme à travers sa discipline qui faire dire de l’éducation qu’elle est un en-vue-de. Les choses se précisent lorsque Kant insiste, parlant de l’homme,
[qu’] il ne lui sert de rien d’être ménagé pendant sa jeunesse par une tendresse maternelle exagérée, car plus tard il n’en rencontrera que plus d’obstacles de toutes parts, et il recevra partout des échecs lorsqu’il s’engagera dans les affaires du monde (Kant, 2004, p. 13).
L’évocation « des échecs lorsqu’il s’engagera dans les affaires du monde » montre que la destination de l’homme est de se préoccuper des affaires du monde ; et c’est en vue de cette finalité qu’il est éduqué. Hegel s’inscrira dans cette perspective en percevant, devant le sérieux de la vie adulte contre l’éducation ludique, « la nécessité d’être éduqué (…) chez les enfants comme le sentiment propre consistant à être insatisfaits d’être au-dedans de soi tels qu’ils sont » (Hegel, 2013, p. 339). Ainsi, le sérieux que constitue les affaires du monde constitue le ce-en-vue-de-quoi de l’éducation, donc de la formation. Par ailleurs, le sens de la formation se trouve clarifié et la réalité à laquelle elle fait référence se trouve manifeste dans les milieux de type universitaire. Par-là, le sens de la formation universitaire s’accomplit dans le but de la formation qui est la consécration aux affaires du monde. Mais que signifie s’occuper des affaires du monde, n’est-ce pas là le sens de l’emploi ?
L’appréhension du concept d’« emploi » ne va pas, dans un souci de précision, sans celui de « travail » pour lequel Marx offre la considération qui suit :
Le travail est d’abord un procès qui se passe entre l’homme et la nature, un procès dans lequel l’homme règle et contrôle son métabolisme avec la nature par la médiation de sa propre action. Il se présente face à la matière naturelle comme une puissance naturelle. Il met en mouvement les forces naturelles de sa personne physique. Ses bras et ses jambes, sa tête et ses mains pour s’approprier la matière naturelle sous une forme utile à sa propre vie » (Marx, 1993, p. 199).
Il en ressort clairement que le travail, au sens strict, fait allusion à toutes activités humaines visant à produire des biens matériels ou des prestations de service utiles à l’existence humaine en général. La question de la rémunération n’apparait pas dans ce contexte. Et c’est ce qui marque la différence entre le travail et l’emploi. Relativement à cela, l’emploi doit être perçu comme l’exercice du travail qui est rémunéré par un salaire ou des émoluments. À cela, il faut nécessairement ajouter la question de la qualité ou de la décence de l’emploi dans une endurance quasi radicale ; car il n’y a, en effet, d’emploi que d’emploi décent. Cette affirmation semble aller à l’encontre de la définition classique de l’emploi qui intègre la rémunération sans condition. Mais, l’emploi qui ne peut se perpétuer par la pratique du travailleur, certainement parce qu’il ne peut, en s’y consacrant se maintenir socialement, ne saurait, au sens propre, être un emploi. Sur la qualité de l’emploi, l’Organisation Internationale du Travail apporte cette clarification :
La qualité de l’emploi est un concept multidimensionnel et l’une des dimensions les plus importantes d’un travail décent. La qualité générale ou globale d’un emploi est la somme des multiples aspects affectant la relation professionnelle et le travail lui-même. La nature dimensionnelle de la qualité de l’emploi rend pratiquement impossible l’élaboration d’un seul indicateur ou d’un système d’indicateurs. Dans cette section, nous présentons la qualité de l’emploi comme étant les aspects des relations de travail pouvant avoir un impact sur le bien-être des travailleurs : tous ces aspects sont liés au contrat de travail, à la rémunération aux heures de travail, à la protection sociale et au dialogue social (Organisation Internationale du Travail, 2019, p. 10).
À partir de ces considérations qui rappellent les critiques marxiennes du capitalisme, on peut se départir de l’appellation d’emploi décent pour celle d’emploi, et considérer les emplois en deçà de ces exigences comme des sous-emplois ou des pseudo-emplois. On retrouve, dans l’approche hégélienne du travail ce lien qu’il entretient avec la satisfaction sociale en général et qui donne du sens à l’élan, ici, privilégié. Le philosophe écrit à cet effet : « la société civile contient [parmi ces trois moments, d’abord,] la médiation du besoin et la satisfaction de l’individu-singulier par son travail et par le travail et la satisfaction des besoins de tous les autres » (Hegel, 2013, p. 356). L’ouverture du travail et par ricochet de l’emploi, dans sa pratique, sur les besoins des autres le place dans le système social comme la réponse à la satisfaction, certes des besoins du travailleur en particulier, mais des besoins du corps social en général.
La société en général, comprise comme système des besoins, a son équilibre dans la capacité qu’a ses acteurs à s’auto-suffire. En ce sens, les affaires générales des sociétés ou des communautés consistent dans le maintien d’un tel état d’autosuffisance. Or, c’est bien là que la question de la formation a trouvé, en tant que cela constitue son but, son sens vrai. En effet, la formation est en vue des affaires de la société. Et l’emploi consiste dans l’activité même assumant les affaires de la société. Formation et emploi se tiennent donc ; et la formation en vue des affaires du monde devient la formation en vue d’un emploi. Cette relation opère un renversement qui est manifeste en ceci : si immédiatement, selon un ordre historique, considérant les déterminations d’un individu, la formation précède l’emploi, il ne peut avoir de formation en-vue-de que si le ce-qui-est-visé est préalablement établi. Ainsi, l’emploi précède la formation. Mais, il y a là un paradoxe, car, non encore assumé, il n’est qu’un possible emploi, d’où l’employabilité. Le système qui s’établit semble coïncider avec le schéma dont les figures, s’effaçant progressivement, les unes après les autres, sont : employabilité, formation et emploi. Ce schéma qui ressemble à la dialectique de Hegel appelle le traitement des choses, notamment de la crise liée à l’emploi, sur ce terrain.
2. La crise de l’emploi ou crise de sa dynamique dialectique
La ressemblance entre le schéma de la manifestation de l’emploi avec celui de la détermination dialectique, au sens qui est celui de Hegel, a été vite faite quand on se contente d’apprécier le mouvement ternaire qui se profile ici ; c’est-à-dire sous la forme « employabilité », « formation » et « emploi ». Mais, la ressemblance n’est pas l’identification, et la lecture de la condition de l’emploi sur le terrain dialectique ne peut être possible que par identification et non par ressemblance. Ainsi, seule l’exposition du sens et des déterminations dialectiques peuvent, par analyses, faire émerger la considération vraie. Il s’agit en fait de montrer que la dialectique est à l’œuvre dans cette sphère. Passons outre l’approche de la Science de la logique (Hegel, 1994, p. 189) qui est sans conteste éloquente à ce sujet pour privilégier un exemple de récupération ou d’application. Le chemin à suivre est indirectement suggéré par Catherine Malabou. Dans L’avenir de Hegel, plasticité, temporalité, dialectique, la philosophe a fondé son entreprise sur une approche plastique de la dialectique. Elle a, dans ce sens, préciser comme préalable le principe de la dialectique comme suit :
Le mouvement de l’auto-détermination est en effet le principe du processus dialectique. Son énergie naît de la tension contradictoire entre le maintien de la déterminité particulière et sa dissolution dans l’universel. Dans la Science de la logique, Hegel montre que cette tension est celle par laquelle un « terme premier », « considéré en soi et pour soi’’ et qui a l’apparence du « subsister autonome », se montre comme « l’autre de soi-même » en dissolvant la fixité de sa position (C. Malabou, 1996, p. 26).
Elle pose à partir de là la plasticité de la dialectique quand elle écrit :
Le procès dialectique est plastique dans la mesure où il articule en son cours l’immobilité pleine (la fixité), la vacuité (la dissolution) et la vitalité du tout comme réconciliation de ces deux extrêmes, conjugaison de la résistance et de ta fluidité. Le procès de la plasticité est dialectique en ce que les opérations qui le constituent, prise de forme et anéantissement de toute forme, émergence et explosion, sont contradictoires (C. Malabou, 1996, p. 26).
Il ressort de son analyse deux dispositions essentielles à noter, comme pour entériner l’existence d’un procès dialectique : d’abord, le mouvement d’auto-détermination, en soi rationnel, qui commande, ensuite, le passage de termes s’appelant mutuellement afin de produire, dans un mouvement qui est celui du devenir nécessaire, la réconciliation et la vitalité du tout.
À la lumière de ces dispositions, le schéma de l’emploi présente bien, dans la dynamique ternaire, des termes qui s’appellent mutuellement. En effet, employabilité, formation et emploi constituent des moments nécessaires d’une trilogie qui trouvent tout son sens dans sa capacité à favoriser la survivance de la société. Ces moments ont cette relation d’effacement nécessaire qui se perçoit entre la possibilité de l’emploi ou l’employabilité (ce qui équivaut aux besoins en bien et services) et le processus de formation consistant à apprêter les individus pour les voir répondre aux besoins ; et aussi dans le passage plus fluide de la formation à l’emploi. Ce moment de l’emploi se donne comme celui de la réconciliation et exprime la vitalité du tout. Cela se prouve par le fait que l’emploi constitue la fin dernière des moments précédents. Depuis ce dernier point, le mouvement d’auto-détermination qui constitue le principe de la dialectique se perçoit en ce que la raison d’être de l’emploi ou le processus par lequel il advient à sa manifestation traverse la série des figures qui ne sont en réalité que les moments de sa vie interne, et avec lesquelles il forme un tout vivant. Ainsi, le schéma de l’emploi ou, pour dire adéquatement, le système de l’emploi se déploie sur un fond dialectique. La crise du système de l’emploi revient donc à une crise de la dynamique dialectique sur laquelle il repose. En appréhendant les choses dans ce sens, ce qu’on appelle crise de l’emploi ne peut nous révéler son point crisique qu’en examinant, comme dans le cas d’un système électrique devant sa panne au dysfonctionnement de l’une de ses composantes, la susceptibilité de la défaillance de ces moments.
Le premier des moments du système de l’emploi est l’employabilité (la possibilité de l’emploi) qui doit être saisi dans sa relation intime aux besoins sociaux. Le concept d’utilité qui apparaissait dans la définition du travail chez Marx et l’attention à la satisfaction des besoins chez Hegel font de l’employabilité le synonyme du fonctionnement de la société. L’essence de la société, pour dire ce qui la caractérise fondamentalement, c’est d’être le système des besoins. Cette condition ontologique ne saurait être travestie par une volonté particulière car les hommes qui composent la société sont, biologiquement et par habitudes sociales, des êtres de consommation. Sur un ton quasi ironique et de désespoir, pour montrer la nature insatiable de l’homme, Dostoïevski disait : « Donnez-lui une suffisance économique telle qu’il ne lui reste absolument plus rien à faire, sinon dormir, manger de la brioche et s’agiter, l’histoire du monde ne s’arrête pas » (Dostoïevski, 1992, p. 27). Le progrès de l’histoire expose le renouvellement des besoins, mais aussi la création de nouveaux. La marche de l’histoire est la démarche des sociétés de consommation.
Le mode d’être du moment de l’employabilité constitue une réponse directe à la question de la rareté de l’emploi. Fondamentalement, la question ne saurait se poser tant que les hommes et les sociétés manifestent principalement des besoins. Suivant, l’existence des désirs non-naturels et non-nécessaires, selon le mot d’Épicure, élargit la sphère des besoins. Ainsi, « l’exaltation de l’abondance et la grande lamentation sur les “besoins artificiels’’ ou “aliénés’’ alimentent ensemble la même culture de masse, et même l’idéologie savante sur la question » (J. Baudrillard, 1970, p. 97). Ces éléments soulignent donc la possibilité de l’emploi et, pour répondre à la question de la rareté, l’impossibilité même de la rareté de l’emploi. Dans cette perspective, eu égard au tandem employabilité et emploi, la question de la crise de l’emploi semble avoir sa source dans la condition de la formation ; ce moyen terme entre employabilité et emploi.
Mettre l’accent sur la formation, cela amène à approcher un phénomène qui a un spectre assez large par un point de prise inadéquat si l’on considère déterminations économiques dont les impacts sont manifestes sur la santé sociale. Dans son analyse sur la condition du chômage en France, analyse qui peut servir dans les études sur le cas africain qui est aussi traversé par cette même réalité, B. Martinot s’attarde sur les causes économiques du chômage en indexant les rigidités économiques.
Les rigidités dénoncées par la littérature économique sont de nature très diverses : assurance chômage trop généreuse, taxation du travail excessive, réglementations diverses décourageant l’embauche, insuffisante concurrence sur le marché des biens et services, mauvaises conditions de la négociation salariale. En outre, bien évidemment, la qualité des relations sociales et la plus ou moins grande efficacité des politiques de l’emploi jouent un rôle non négligeable. On le voit, ces facteurs sont nombreux et leurs poids relatifs sans doute très variables d’un pays à un autre (B. Martinot, 2013, p. 97).
Toutefois, il poursuit en ajoutant ceci : « le second apport des analyses économiques contemporaines consiste à ne pas séparer les considérations économiques et les aspects sociaux de la question du chômage » (B. Martinot, 2013, p. 97). Et c’est bien ce qui doit retentir dans les politiques africaines de l’emploi beaucoup adossées aux déterminations économiques. Dans ce sens, l’attention à la condition de la formation a tout son sens. Sa position médiane entre l’employabilité et l’emploi, eux-mêmes réfléchissant les déterminations sociales, lui rend ici de l’intérêt. Si le système de l’emploi, dialectique en son fond, flanche dans le moment de l’emploi, c’est certainement parce que la cristallisation qui constitue la crise de la dialectique y est manifeste. Mais sous quelle forme ? Face au devenir perpétuel des besoins et réalités sociales, une formation sclérosée ne peut constituer, en termes de productions de ressources humaines et de solutions, une réponse adaptée. De cette façon, la formation qui repose sur cette institution qu’est l’université constitue le défi à confronter.
3. L’institution universitaire à l’épreuve de la dynamique du devenir
L’évocation du devenir s’inscrit dans le sens où l’emploi ne désigne pas seulement une simple fonction, mais une sphère dont l’appréhension exige une coïncidence avec la vie des peuples qui l’accueillent. Or, ce qui caractérise la vie des peuples et constitue la trame de fond de leur histoire, c’est le devenir qui détermine par corolaire l’arrière fond de la sphère professionnelle. De cette manière, cette dernière ne saurait être en phase avec ce qui demeure dans une cristallisation radicale ; pourtant, telle semble être la condition de la formation assurée par l’institution universitaire. En effet, sous les apparences d’une mutation des systèmes pour épouser des formes dites internationales, le fond des choses semble dire la répétition de dynamiques traditionnelles. Elles produisent des individus avec les exigences d’un temps dépassé et qui se trouvent, en leur temps, comme face à une réalité inconnue. Et la réponse que les instances dirigeantes de l’institution de la formation donnent à la crise de l’emploi en est une preuve. Comme le relève Marc-Laurent Hazoumê,
c’est à l’appel à s’investir dans l’agriculture que doivent répondre tous les jeunes diplômés comme c’est la mode partout en Afrique en ce moment. La raison d’une telle vision est simple. Faute de débouchés nouveaux créés, les pouvoirs publics, dans la plupart des pays africains, ne découvrent d’autre solution que celle-là (Hazoumê, 2012, p. 20).
Cette solution, qui réduit à néant les politiques et le sens des parcours universitaires, apparait comme un aveu d’impuissance face à une réalité dont la compréhension et la gestion échappent aux politiques. Si dès l’entame, l’insuffisance de la formation a été relevée pour exiger une sorte de mise à jour, il ressort, chez Hazoumê, l’idée de création d’emploi. De l’actualisation de la formation à la création de l’emploi tout semble reposer sur l’idée d’une formation liée aux exigences du devenir. E. Quenson note
[qu’] actuellement, la formation parait ainsi occuper une place centrale dans la société. Qu’elle concerne l’accès des jeunes à l’emploi ou le maintien ou l’adaptation et le maintien des salariés dans l’entreprise, elle est systématiquement arrimée de manière normative à la problématique de l’emploi (Quenson, 2012, p. 12).
Abordant les choses dans son sens, la question du contenu même de la formation et de la redéfinition de l’université se pose. Si la formation entraine l’université dans son élan, c’est bien parce qu’elle en constitue le cœur. Et la place centrale que Quenson accorde à la formation, dans la société, devient celle de l’université. Comme la société est par essence, parce que perpétuellement en mouvement, dynamique, il ne saurait en être autrement de l’université. Pour elle, se livrer au dynamisme, c’est dans un premier sens coïncider avec le mouvement de la société en vue du dénouement de la problématique de l’emploi. L’effectivité de cette orientation et de sa vie demande un repositionnement de l’institution universitaire, du point de vue de sa forme, et une re-visitation des contenus et offres de formation ; ce qui passe pour une réforme fondamentale de l’université.
Le repositionnement de l’institution universitaire va avec son ouverture aux réalités et dynamiques sociales. Cette ouverture pourrait s’entendre dans le sens d’un intérêt des scientifiques et des chercheurs pour les besoins sociaux, mais une telle orientation, non institutionnalisée, est déjà en vigueur et influence peu les programmes de formation. Par contre, récupérer les choses sous l’angle institutionnel reviendra à assoir, dans l’architecture organisationnelle des universités, des pôles scientifiques académiques d’études sociales et d’analyse des offres de formation. Une telle entreprise constitue une dimension de la prospective des métiers et des qualifications. Par exemple, en France, « les autorités éducatives ne souhaitaient pas conduire leur politique sans une anticipation des grandes évolutions en termes d’emploi et de professions (…) ont, dès la moitié des années 1980, chargé la société BIPE conseil, de remettre en œuvre les] exercices de prévisions » (J.-J. Paul, J. Rose, 2008, p. 25).
De quoi s’agit-il concrètement ? « Il s’agit tout d’abord de partir d’hypothèses macroéconomiques relatives à la croissance et à l’évolution de la durée et de la productivité du travail pour déterminer les besoins totaux de main-d’œuvre et les créations nettes d’emploi » (J.-J. Paul et J. Rose, 2008, p. 26). Cette prospective est pratique pour l’orientation des formations existantes en fonction des emplois tout aussi existants, mais est limitée face à la nécessité de création des emplois. La grande préoccupation à ce niveau est : comment former ou apprêter les esprits à faire advenir à l’existence ce qui n’est pas encore ? Il ne suffit en effet pas de lever la carte entrepreneuriale pour résoudre la question ; car là encore, au-delà de celles relative aux moyens et conditions, la question par quoi commencer demeure. Mais, Heidegger offre une piste de réflexion lorsqu’il affirme que « du néant rien ne nait ». L’idée qui en ressort est que ce qui doit advenir a ici et maintenant ses germes. Dans le sens des analyses causales, on pourrait affirmer que ce qui devra se produire comme effet, ne pourra l’être qu’en vertu de l’existence préalable de sa cause. Or, tout ce qui advient comme étant posé par l’homme a, bien avant tout matériaux, sa cause première en l’homme même.
Se focaliser sur l’homme dans une entreprise de formation en vue de la création d’emploi, c’est mettre à sa disposition le matériel cognitif nécessaire à cet effet. Même si nous ne voulons pas nous attarder sur le phénomène (courant et parfois vulgaire) des motivations, notons que la réaffirmation des possibilités de l’individu n’est pas un pan négligeable quand elle s’attarde sur la considération de l’homme comme esprit. Suivant Albert Antonioli, c’est à l’esprit qu’il faut s’intéresser pour imprimer, en l’homme, la dynamique de la création d’emploi. Pour lui, et la chose se confirme par les réclamations d’emploi qui se sont transmuées en mouvement sociaux,
C’est l’ensemble de la population [académique] qu’il est nécessaire de « reformater », et procéder à une véritable révolution des mentalités. Concrètement au lieu de produire des « demandeurs d’emplois », [les institutions de formation doivent] se résoudre à produire massivement des « donneurs d’emplois » ; en un mot des entrepreneurs (A. Antonioli, 2017, p. 115-116).
Aussi, il importe d’assoir non la pensée, mais l’esprit de l’entreprise. « L’esprit d’entreprise est un état d’esprit. C’est une attitude, produit d’un système de valeurs, de normes » (A. Antonioli, 2017, p. 121). Tout le mécanisme à mettre en place pour décrisper la question de l’emploi reposerait donc, en fonction de la visée, sur un processus d’acculturation dont les normes doivent être adaptées aux réalités de nos espaces.
Conclusion
Il est évident qu’en abordant la question de la problématique de l’emploi dans le cadre du fonctionnement des universités, et relativement aux contenus des formations que l’idée de l’inutilité de certaines disciplines scientifiques ou même de leur orientation puisse ressortir. Cela est renforcé par l’accent mis sur l’esprit de l’entreprise. Toutefois, cette attention ne dit en rien l’abandon des sciences et des orientations classiques des recherches scientifiques. La recherche fondamentale et la recherche historique, en général et propre à chaque science, ont tous leurs sens pour la perpétuation des savoirs, et pour le potentiel intelligible qu’elles déploient.
Le sens dans lequel la culture de l’esprit de l’entreprise doit être prise, c’est celui qui consiste à rétablir un équilibre porté par la dialectique dont les termes sont : employabilité, formation et emploi. L’institution à laquelle ce système s’adosse, comme son moment total et médiateur, l’université, trouverait son sens dont un repositionnement structurel et fondamental pour remplir sa vocation d’instance centrale de la société. C’est là tout le sens de son inscription dans la dynamique du devenir originairement propre au système des besoins de la société. Concrètement, l’attention au devenir pourrait reposer sur la création, au sein des universités, d’un pôle de recherche et de réflexion travaillant à faire correspondre les programmes de formation aux besoins sociaux et aux défis des entreprises.
Références bibliographiques
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PENSER LA CRISE DES UNIVERSITÉS AFRICAINES COMME UNE CRISE DE LA LANGUE DE LA FORMATION SCIENTIFIQUE
Tohotanga COULIBALY
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
Résumé :
Depuis que les Africains ont hérité du système d’enseignement issu de la colonisation, ils y ont maintenu les langues européennes, encouragés en cela par certains penseurs qui ont admis que les langues africaines ne sont pas aptes aux discours scientifiques. La langue est le creuset de la vision du monde d’un peuple dans lequel se noue son pouvoir créatif. Or, il n’existe pas une langue spécifique pour véhiculer le savoir scientifique. C’est pourquoi nous pensons qu’une formation universitaire en Afrique qui intègre les langues locales peut résorber la crise de l’emploi qui peut être interprétée comme la résultante d’une inadéquation entre le contexte culturel de la formation marqué par les langues européennes et le milieu de vie des étudiants, en l’occurrence le continent africain. C’est cette disjonction entre le canal de la formation et le milieu de la formation qui limite le pouvoir innovant des étudiants africains en les rendant myopes aux opportunités qu’ils peuvent se créer en réinvestissant leur formation dans le tissu social.
Mots clés : Africain, Contexte culturel, Développement, Langue, Science, Université.
Abstract:
Since the Africans inherited the educational system resulting from colonization, they maintained there the European languages, encouraged in that by some thinkers who admitted that the African languages are not suited to the scientific speeches. The language is the crucible of the vision of the world of people in whom his creative capacity is tied. However, there is not a specific language to convey the scientific knowledge. This is why we think that a university formation in Africa which integrates the local languages can reabsorb the employment crisis which can be interpreted like the resultant of an inadequacy between the cultural context of the formation marked by the European languages and the medium of life of the students, in fact the African continent. It is this disjunction between the channel of the formation and the medium of the formation limits the innovating capacity of the African students while making them short-sighted to opportunities which they can create by reinvesting their formation in social fabric.
Keywords : African, cultural Context, Development, Language, Science, University.
Introduction
Depuis que les Africains ont hérité du système d’enseignement issu de la colonisation, ils y ont maintenu les langues européennes comme canal privilégié de transmission du savoir scientifique. Pourtant, dans cette première moitié du XXIe siècle, les universités africaines sont de plus en plus contestées. Le sujet de cette contestation qui déborde souvent le champ académique pour troubler l’ordre social n’est pourtant pas, une remise en cause des missions traditionnelles dévolues à ces universités. Au-delà de ce que l’on peut penser, les universités africaines continuent d’assurer à la jeunesse africaine, un savoir-faire pouvant permettre à cette dernière de rehausser qualitativement son niveau de formation et de développer sa personnalité civique ou citoyenne. On ne peut remettre cela en cause, si l’on consulte régulièrement les catalogues des universités Cheik Anta Diop de Dakar, de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké et celle d’Abdou Moumouni de Niamey, pour se rendre compte des nombreuses thèses de doctorat régulièrement soutenues dans plusieurs disciplines scientifiques. Ce fait, à lui seul, témoigne de la vivacité de l’esprit scientifique qui règne dans ces lieux de production du savoir.
Et pourtant, lorsqu’on aborde le dernier maillon des missions de ces universités, c’est -à -dire, l’insertion socio professionnelle des étudiants formés en leur sein, on sent une gêne, un malaise qui souvent, tourne à la déception. Les observateurs sont unanimes : l’université africaine a presque échoué, ou du moins, ne remplit plus convenablement sa mission qui devait lui permettre d’assurer au jeune qui franchit ses portes, une insertion adéquate dans la vie et le tissu social. Les jeunes se sentent floués par l’ère postcoloniale africaine qui proclame à tout vent, qu’elle s’est départie de la féodalité en coupant tout lien avec l’économie agraire, pour se bâtir essentiellement à partir de l’économie du savoir.
On peut dès lors, légitimement s’interroger : pourquoi les jeunes qui sortent des universités africaines avec parfois les plus hautes distinctions de ces institutions ont de plus en plus du mal à s’insérer dans le tissu social dans lequel ces universités sont implantées ? Ne faudrait-on pas enrichir la maquette pédagogique de ces institutions en introduisant les langues locales dans la formation de ces étudiants pour favoriser l’élargissement de l’assiette d’emploi qu’ils peuvent se créer dans leur milieu culturel et social ? Puisqu’il est admis, comme le pense A. Mbembe (2017, p. 393), « que la langue en tant que telle permet des perspectives nouvelles », nous montrons, à partir d’une analyse critique, que l’introduction des langues locales dans l’enseignement universitaire permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives en adaptant l’enseignement aux réalités socio-économiques afin d’élargir l’espace d’employabilité des étudiants africains.
Notre analyse s’inscrit dans le champ épistémologique, même si elle a un pendant sociolinguistique. C’est pour cela qu’elle déconstruit, dans un premier point, l’idée que les langues africaines sont inaptes à l’expression du discours scientifique. Ensuite dans un second point, nous montrons que les langues européennes, elles-mêmes, éprouvent des difficultés dans l’élaboration du savoir scientifique. Et enfin dans le dernier point, nous recommandons l’introduction des langues africaines dans la formation universitaire afin de promouvoir l’intégration sociale et économique des étudiants.
1. Les langues européennes, canal de formation dans les universités africaines, une nécessité de la science ?
Cette question ne devrait même pas se poser pour des penseurs eurocentristes et leurs partisans africains. Pour eux, il est normal que les disciplines scientifiques qui sont enseignées jusqu’à présent dans les universités africaines, le soient en langue occidentale. La raison fondamentale est qu’elles sont pour la plupart, d’origine occidentale. Aussi, pour les enseigner, aux jeunes africains, afin d’éviter que leurs essences, l’intelligence des concepts qui les caractérisent, ne soient édulcorées et que leurs sens ne se perdent dans des traductions mal adaptées, il est bienséant de conserver, pour leur transmission, la langue maternelle à partir de laquelle elles se sont rendues accessibles à l’homme.
Cet argument peut être évoqué, en un sens, en ce qui concerne les sciences dites « dures » telles que la mathématique et la physique qui ont, toutes deux, acquis leurs lettres de noblesse avant la période coloniale. Et même – il faut le rappeler -, la physique moderne, telle qu’elle nous est enseignée dans les états francophones, en langue française, n’a pas été inventée pour ce qui concerne ces théories essentielles de la physique classique et la physique contemporaine, dans cette langue. D’origine, les propositions de la physique étaient formulées en italien, en anglais ou en allemand. Pourtant, on nous objectera que ceci n’est pas essentiel puisque toutes les langues européennes, que ce soit l’anglais, l’italien, l’espagnol ou le français, ont des racines communes, latines ou grecques. C’est cela qui fait que ces langues ont la même manière d’appréhender le monde. De ce fait, au moyen de l’une ou de l’autre, on peut conceptualiser, à travers elles, indifféremment le réel. Ils objecteront, pourtant, qu’une telle possibilité est exclue en ce qui concerne les langues africaines. Les sciences ont une racine propre qui tire sa substance dans la culture d’une race bien déterminée, la race européenne. Même si, la culture européenne peut avoir en partage certains éléments qui ont leurs corollaires dans d’autres civilisations, la science quant à elle, est une réalité typiquement européenne. Lévy Brühl (1951, p. 11) explique en disant qu’« à défaut de littérature et de sciences, les primitifs ont des mythes des contes, des proverbes (…) qui parfois forcent notre admiration ». Ceux que Brühl appelle primitifs, sont la classe des peuples autres que les Européens parmi lesquels ils comptent les Africains. Ces peuples émotifs, guidés par la passion ne peuvent exercer leur raison pour saisir des principes intangibles qui gouvernent les phénomènes naturels.
La science ne fait pas partie du monde des Africains. Néanmoins, la condition nécessaire que doit remplir un Africain pour capter son intelligence réside, dans sa capacité à comprendre les langues européennes. Gobineau (1967, p. 182) insiste sur le fait en ces termes : « le fait du langage se trouve intimement reliée à la forme de l’intelligence de la race ». Dans cette perspective, l’enseignement de la science dans les langues européennes aux jeunes africains, aurait un double bénéfice. En un sens, elle permettrait d’élever la conscience de ces jeunes, à un degré de rationalité qui manque à leurs langues maternelles, incapables qu’elles sont, de formuler des lois générales capables d’embrasser la réalité concrète. Et, en un autre sens, cet enseignement aurait l’avantage de les extraire de leurs univers irrationnels, dépourvus de principe explicatif du réel et marqués par le miracle, le lyrisme et l’émerveillement.
Pourtant, des travaux de certains intellectuels africains ont prouvé que ce discours qui tend à mettre les langues africaines à l’index quant à la production scientifique pour ensuite les présenter, pour ainsi dire comme des obstacles épistémologiques à toute création scientifique, relève plutôt d’une condescendance, d’un mythe au service d’intérêts éloignés de la pratique scientifique réelle. En réalité, les langues africaines ne sont pas contre-productives d’un point de vue épistémologique pour ainsi dire au regard du savoir scientifique. Surtout, qu’en 1975, Cheikh Anta DIOP a pu traduire la théorie des ensembles de Georg Cantor en langue wolof, et montrer par là qu’à partir d’une langue africaine, on peut transcrire avec cohérence, les raisonnements mathématiques et les équations de la physique. Ce travail a été, en 2002, poursuivi par Dafon Aimé SEGLA lorsqu’il a traduit en langue yoruba des extraits des Éléments d’Euclide.
Ces tentatives des Africains pour montrer la fécondité scientifique des langues africaines sont encore classées parmi les recherches épistolaires qu’on dit menées par certains penseurs pour distraire leur temps et surtout, satisfaire leur curiosité scientifique. La science a-t-elle vocation à se greffer seulement sur les langues européennes au point que ces langues soient les seules langues capables d’exprimer l’objectivité scientifique ?
2. Les langues européennes et la difficulté d’expression du savoir scientifique
Pour les adeptes des anthropologues comme Lévy Brühl ou même Gobineau, les langues africaines, si riches pour flatter l’esprit lorsqu’il s’exerce au divertissement, sont très pauvres lorsqu’on les emploie pour découvrir les lois générales et les principes de la nature. Mais, lorsqu’on investit l’histoire des idées, les langues européennes utilisées dans les universités africaines, comme des canaux idoines pour transmettre la connaissance scientifique a connu elle-même des fortunes diverses. Il y a eu une mutation dans ces langues au point où certaines d’entre elles qui avaient l’exclusivité de l’expression du savoir scientifique, ont été abandonnées au profit d’autres langues qui, à l’époque étaient objet des mêmes reproches faites actuellement aux langues africaines.
En effet, au XVIIe siècle, Francis Bacon le promoteur de la science occidentale soutenait que la langue peut être un frein au savoir. Il distingue ainsi, quatre espèces d’idoles qui sont autant de sources d’erreur lorsque l’homme est en quête de vérité sur la nature. Ainsi dans la recherche scientifique, l’esprit humain peut être victime des idoles de la tribu. Ce sont des erreurs communes à tous les hommes. Il en est ainsi des idoles de la Caverne qui sont des erreurs particulières à chaque individu, des idoles du théâtre, qui sont inculquées à l’homme par les faux systèmes philosophiques, et les idoles du forum, qui proviennent spécifiquement de l’emploi du langage. Le langage est, pour Bacon, la source d’erreurs les plus pernicieuses et les plus répandues qui mènent l’esprit humain dans l’obscurité en dépit des précautions qu’il prend pour cultiver et transmettre la science. Francis Bacon (1857, p. 19) affirme que,
les plus dangereuses de toutes les idoles sont celles du forum, qui viennent à l’esprit de son alliance avec le langage. (…) Lorsqu’un esprit plus pénétrant ou une observation plus attentive veut transporter ces lignes pour les mettre mieux en harmonie avec la réalité, le langage y fait obstacle.
En d’autres termes, le langage étant une création des communautés humaines, les hommes de science l’emploient communément avec confiance en oubliant que le sens des mots n’a pas été fixé par les esprits les plus avertis afin qu’il serve à informer le réel. À l’époque de Bacon, le philosophe français René Descartes fait le même constat lorsqu’il soutient que le langage n’est jamais totalement transparent pour servir de médiation entre l’homme et la nature. Descartes (1906, p. 79) justifie cet état de fait en ces termes :
Les paroles toutefois m’arrêtent, et je suis presque déçu par les termes du langage ordinaire (…) Un homme qui tâche d’élever sa connaissance au-delà du commun doit avoir honte de tirer des occasions de douter des formes de parler que le vulgaire a inventées.
En d’autres termes, pour Descartes, le langage est l’élément principal qui annihile les efforts de l’homme dans son entreprise de rendre intelligible la nature. En réalité, les critiques du langage de Francis Bacon et René Descartes ne s’adressent pas a priori aux langues africaines. On peut le deviner lorsqu’on considère la période historique qui a vu éclore leurs écrits. Le langage qu’ils mettent en cause est soit le latin, soit le grec qui occupaient et détenaient, jusqu’au XVII siècle, en Europe, le monopole de l’expression du savoir scientifique. Ces langues, dans ces contrées européennes, avaient la même hégémonie de canal de transmission de la science comme le sont aujourd’hui les langues dans les États et institutions universitaires africaines. D’ailleurs, à cette époque, en Europe, tout écrit savant devait être obligatoirement rédigé en latin ou en grec. Ces deux langues constituaient, à elles seules, le circuit officiel et institutionnel de diffusion de la science.
Pourtant, les langues européennes, langue de prédilection de la formation universitaire en Afrique aujourd’hui, étaient qualifiées de « vulgaires », c’est-à-dire, de langues réservées à l’expression des besoins du bas peuple, des hommes du Tiers-État qui sont eux-mêmes incapables d’élever leur intellect pour avoir accès au latin et épouser son intelligence pour prétendre le lire et l’écrire. La langue française qui, aujourd’hui, se trouve dans une situation de monopole en ce qui concerne l’élaboration et la transmission du savoir dans les ex-colonies françaises a été, à un moment donné de l’histoire, contestée quant à sa capacité à pouvoir être un canal pour la transmission du savoir scientifique. Et même, l’ordonnance du Roi de France, François 1er de 1539, n’y fit rien puisqu’il instituait seulement le français comme langue de l’administration et de la justice. Il a fallu des penseurs audacieux comme Descartes, pour faire la promotion de cette langue dans le domaine de la science et de la culture. Descartes (1987, p. 77) se justifie dans son ouvrage Discours de la méthode :
Si j’écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en latin, qui est celle de mes précepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu’aux livres anciens. Et pour ceux qui joignent le bon sens avec l’étude, ils ne seront point, je m’assure, si partiaux pour le latin, qu’ils refusent d’entendre mes raisons, parce que je les explique en langue vulgaire.
Depuis Descartes, il est admis que la science demeure l’apanage de toutes les langues naturelles. Car la « langue vulgaire » pour ne pas dire, la langue vernaculaire, comme on qualifie aujourd’hui la plupart des langues africaines, utilisées seulement par la basse classe de l’État français, qui n’avaient pas les facultés nécessaires de se cultiver et d’accéder au monde de la science qui circulait à travers le latin, n’est pas rétif à la transmission du savoir. Cette considération peut être mise en parallèle avec le choix de Descartes. En effet, avant que celui-ci n’opère cette révolution linguistique, en France et en Europe, l’on n’imaginait pas que le latin pouvait être relégué au rang des langues mortes utiles seulement aux archéologues, et le français, « la langue vulgaire ». Or, elle a traversé les frontières de la France et s’imposerait comme une langue internationale par laquelle l’on enseigne des générations d’individus. C’est par le français que des générations et des générations de sachants ont fait progresser la science dans les directions que leurs devanciers n’avaient pas entrevues.
Dès lors, il appert qu’il n’y a pas de langue plus apte que d’autres pour servir de canal de découverte ou de transmission du savoir scientifique. Il n’y a qu’un usage scientifique de la langue. Et, les langues africaines ne sont pas rétives au discours scientifique. C’est pourquoi, parlant des langues africaines, Adama Ouane (2010, p. 6) affirme qu’« il n’est pas vrai qu’apprendre ces langues ou apprendre dans ces langues retarde l’accès aux sciences, aux technologies ou aux autres savoirs mondiaux et universels, et leur maîtrise. »
En réalité, les premiers missionnaires venus d’Occident avaient bien compris que les langues locales africaines sont des puissants marqueurs sociaux. C’est pour cette raison que pour répandre l’Évangile et implanter leurs missions d’évangélisation dans le monde rural africain, ils ont utilisé des langues locales africaines comme langue de l’enseignement du catéchisme. Omasombo Tshonda et Paluku Sikuhimbire (1984, p. 105) rappellent que les missionnaires européens, sont les initiateurs de l’idée que pour être efficace et tenir ses promesses d’innovation sociale, l’enseignement doit se faire dans les langues locales.
L’enseignement scolaire a commencé à être assuré dans la langue africaine à l’époque des missions chrétiennes qui désiraient propager leur foi avec le maximum d’efficacité. Cette contribution missionnaire a doté un grand nombre de langues africaines de textes écrits et d’une orthographe.
En effet, d’une part, le message originaire de la foi chrétienne en Afrique a pu prendre racine dans les langues locales. Et d’autre part, on voit l’implication sociale aujourd’hui de la religion dans les sociétés africaines. De ce point de vue, on ne peut que souhaiter que la science se serve de ce même canal pour élargir son horizon dans les sociétés africaines. D’ailleurs, lorsqu’on passe d’une langue à une autre, la science se bonifie. À ce propos Jean-Marc Lévy-Leblond (2013, p. 23) fait observer en ces mots :
Il est tout à fait remarquable que la révolution scientifique du début du XVIIe siècle, la coupure galiléenne, ce moment où s’inaugure la science telle que nous la connaissons aujourd’hui, coïncide précisément avec l’affaiblissement du latin, et le début de sa disparition comme langue de culture commune. Les grands fondateurs de la science moderne, au début du XVIIe siècle, écrivent très largement dans leur langue nationale, et le revendiquent ! Ce fait est bien connu dans le cas de Galilée qui a écrit certes quelques textes en latin, mais dont les grandes œuvres sont écrites en italien.
Il est ainsi évident que le passage d’une langue à une autre favorise la révolution scientifique en étant même le moteur de la découverte scientifique. On peut le dire, la domination factuelle des langues occidentales dans l’enseignement des universités africaines, parait injustifiée. Ladite domination a des conséquences négatives quant à l’approfondissement, à la rénovation et au partage du savoir scientifique. Et d’ailleurs cette domination factuelle des langues européennes constitue un frein qui rétrécit l’employabilité des étudiants africains, comme nous allons le montrer dans la section suivante.
3. Promotion des langues africaines dans les universités africaines, un moyen d’intégration sociale et économique
Mamadou Ndoye (2005, p. 1) donne un diagnostic éclairant du mal qui mine les universités africaines : « les taux d’inscription des étudiants en Afrique restent relativement faibles par rapport à ceux du reste du monde en développement, la fuite des cerveaux et le chômage des diplômés restés sur place semblent au contraire témoigner d’un trop plein ». Pourtant, ce diagnostic si réaliste s’attarde seulement à décrire les effets de la crise des universités, car il omet de mettre en exergue sa racine. L’université qui, sous d’autres cieux, est le fleuron de la société, en tant que lieu intellectuel d’incubation des solutions innovantes impulsant le développement, est en Afrique, le talon d’Achille du développement.
En réalité, il n’y a pas que le nombre élevé de diplômés universitaires dans les pays africains qui expliquerait leur chômage. La formation de ces diplômés ayant été faite dans les langues européennes, la conceptualisation, l’élaboration et l’émission du savoir-faire, appris dans ces universités, se font par le biais de ces langues. Or, aucune langue n’est neutre. Elle véhicule toujours une conception du monde qui reflète la manière dont les hommes rendent compte de leur existence prenant en compte, leur milieu de vie ou environnement. De ce fait, des étudiants africains formés dans les langues européennes, adoptent des représentations du monde à travers lesquels ils perçoivent une réalité. Il s’agit de la réalité européenne que leur impose leur langue d’apprentissage, différente de leur réalité existentielle, de leur vécu, c’est-à-dire, celle qui les environne, la réalité africaine. La dissonance de ces deux réalités est vécue par les étudiants africains comme la juxtaposition de deux espaces de résonance linguistique distincts.
En fait, ces espaces linguistiques concurrentiels qui maintiennent les étudiants africains entre deux mondes dans lesquels ils sont en transition, ont un inconvénient certain sur leur insertion socioprofessionnelle. Selon Joseph KI-ZERBO (1990, p. 11) : « le système éducatif africain d’aujourd’hui alimente la crise en produisant des inadaptés économiques et sociaux ». En d’autres termes, il y a comme un hiatus entre leur lieu de formation et le milieu de vie quotidienne des étudiants africains. Ce qui fait qu’ils sont des « inadaptés économiques » pour ceux, d’entre eux, qui n’ont pas eu la chance de se retrouver dans un environnement où la valeur culturelle se mesure à l’aune de la langue et du savoir occidental. À défaut de se retrouver dans un tel milieu social, les étudiants africains sont exclus du tissu social et économique. En effet, de tels étudiants ne peuvent pas interpréter par eux-mêmes, le monde de leur existence, en fonction de leurs préoccupations. Ils ne peuvent alors, pour produire une substance intellectuelle qui puisse être élever au rang de valeur marchande dans les échanges culturels avec les autres.
Il n’est pas vrai que ces étudiants ne peuvent rien produire. Ce qui est vrai, c’est que ce qu’ils produisent ne peut prendre racine dans leur société au point de leur conférer un droit de propriété dans leur environnement culturel. Par conséquent, ils ont du mal à investir le milieu culturel local pour en faire un lieu de résonance scientifique dans lequel leur production pourra s’enraciner et prend son envol. Par exemple, un étudiant qui a étudié les sciences sociales dans les universités africaines, à défaut de trouver un emploi dans le cadre institutionnel hérité de la colonisation, à savoir l’administration, les institutions scolaires, et certaines entreprises qui fonctionnent sur le modèle européen, aura des difficultés à s’insérer dans le tissu social économique du pays africain dans lequel il a été formé. En réalité, cet étudiant ignore le patrimoine culturel de son peuple, le répertoire central de sa communauté linguistique. Il ne peut donc pas faire la publicité des sciences au sein de sa communauté au point de susciter en eux, un intérêt pour qu’ils puissent accorder à ces sciences du crédit pour ensuite les valoriser et en promouvoir socialement le porteur.
Le problème de la formation des jeunes africains dans les langues européennes est la source de l’indifférence et de la méconnaissance des sciences sociales par les populations africaines. En fait, « elles ne voient pas toujours à quoi elles ne servent ni ce à quoi elles peuvent correspondre » (Boubakar LY, 1990, p. 186). En réalité, les populations africaines ne comprennent pas l’utilité des sciences sociales parce qu’elles ne s’enseignent pas dans les langues africaines. Elle parle de la société, mais elles ont en vue la société et la culture occidentale, car comme le montre G. Sawadogo (2004, p. 252), « enseigner une langue, c’est enseigner la culture qu’elle véhicule. » Les jeunes africains formés dans les universités africaines sont, pour ainsi dire formatés dans la culture occidentale. Ce qui fait que, du point de vue de la culture, il n’y a pratiquement pas de différence entre un étudiant ivoirien formé à l’université de Korhogo et un étudiant français, formé à l’université de Montpellier, en France. Il apparait donc que les universités africaines, en maintenant les langues occidentales à partir desquelles elles ont été créées sur le sol africain, continuent d’être des universités annexes et même des universités européennes délocalisées. Et, cela a un inconvénient énorme pour les sociétés africaines, comme le rappelle Joseph Ki Zerbo (1990, p. 50) en ces propos-ci :
Le fait que l’école n’ait pas fondamentalement changé en Afrique depuis la fin de la période coloniale, est ainsi un indice que de vraies mutations sociales ne sont pas produites. La société globale coloniale s’est retirée en laissant derrière elle son école comme une bombe à retardement qui n’a pas été désamorcée.
Et c’est lorsque les étudiants africains finissent leur formation qu’ils se rendent compte que le parchemin qu’ils ont acquis peut devenir une arme de destruction pour eux-mêmes, s’ils n’arrivent pas à intégrer une structure occidentale. Pour maximiser leur chance, en effet, les diplômés des universités africaines émigrent, non pas parce qu’ils n’ont pas été bien formés, mais parce qu’ils ont du mal à intégrer le marché du travail local. Ils quittent l’Afrique pour l’Europe parce que leur formation s’étant faite en langue européenne, le contexte culturel de leur formation, la société et les langues européennes dans lesquelles ils ont été formés leur offre plus d’opportunités d’emplois que le contexte linguistique et culturel de leur formation.
On peut y voir un avantage considérable à l’ère de la mondialisation où le monde est, dit-on, devenu un village planétaire. Ainsi, que les étudiants en fin de cycle dans les universités africaines, qui n’arrivent pas à s’insérer dans le tissu social et économique africain, peuvent trouver des débouchés dans les pays occidentaux. Cependant, vu le nombre d’africains diplômés formés en langues européennes émigrer et s’adapter à la société européenne, on se rend compte de ceci : les États africains investissent de l’argent dans les universités pour les former et qui, finalement sont aptes à faire valoir leurs compétences sous d’autres cieux, autres qu’africains. D’après, le Professeur d’économie de l’université d’Ibadan au Nigéria, S. Ibi Ajayi(2001, p. 7) « on estime à plus de 30.000 le nombre d’africains titulaires de doctorats qui travaillent en Europe occidentale et en Amérique du Nord ». L’enseignement tous azimuts des langues européennes dans les universités africaines crée des diplômés sans interlocuteur social, car ces derniers ne s’épanouissent que dans les systèmes économiques des langues dans lesquelles ils ont été formés.
Conclusion
Si nous recommandons l’enseignement des langues locales dans les universités africaines, c’est parce que nous sommes parvenus à établir que toutes les langues humaines ont des tares qu’une observation attentive peut mettre en relief. Pourtant, sans elles, aucune connaissance du réel ne peut être possible au point de prétendre se communiquer. Pas plus que les langues d’autres peuples, les langues africaines sont aussi riches que complètes et peuvent servir de canal de formation à toutes les disciplines enseignées dans les universités. Cependant, en excluant les langues africaines dans la formation universitaire, on exclut de fait, la réalité africaine immanente aux langues locales et qui s’y manifeste substantiellement. Ladite réalité linguistique en question, ne parle plus aux étudiants. C’est qu’ils qui ne sont pas formés, mais transformés sur le sol africain, mais à partir des langues occidentales dans lesquelles ils sont formés et qui, malheureusement les coupent de leur énergie existentielle et leur âme culturelle créatrice. Toute création étant fille d’un contexte culturel et des attitudes y afférentes, un étudiant africain qui est formé dans une langue occidentale, est déconnecté de son environnement socio-culturel. Sa créativité intellectuelle et linguistique s’amenuise strictement en raison du fait qu’il a les pieds dans un monde et la tête dans un autre.
Toutefois, des étudiants africains formés à partir des langues locales sont immédiatement intégrés dans leur milieu culturel. Cela génère un bénéfice énorme en termes de développement endogène et de création d’emploi. Ils peuvent s’offrir en s’inspirant d’abord de leurs cultures sans être inaptes à conquérir d’autres types d’emplois plus compétitifs. Il s’agit, en réalité, pour ces étudiants, d’avoir les ressorts nécessaires pour se projeter dans un marché du travail plus élastique en ajustant aussi les diplômes à tous les éventails d’emplois disponibles dans la société. C’est un ajustement structurel de la formation en fonction de l’environnement socioculturel que nous recommandons. Cela, afin de sortir de l’éducation mimétique qui se base seulement sur l’extérieur.
Pourtant, en le disant ainsi, nous n’avons dans notre démarche nullement l’intention de promouvoir une proscription des langues européennes dans la formation du capital humain africain. Il ne s’agit non plus, pour nous de penser à les remplacer exclusivement par des langues locales africaines. Aujourd’hui, la mondialisation est une réalité. Et même, la marche du monde nous montre qu’elle s’inscrit dans un processus irréversible dans lequel le multilinguisme est une nécessité qu’il faut prendre en compte dans la formation des ressources humaines de qualité. C’est à ce prix que les universités africaines rempliront leur vocation première, de moteur de promotion sociale.
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Bi Zaouli Sylvain ZAMBLÉ
Université Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire)
Résumé :
Si la philosophie est en crise dans le monde contemporain, au point d’être taxée de filière inutile de laquelle les universités devraient se débarrasser, c’est parce qu’elle n’a pas encore été exploitée dans toutes ses dimensions. Au-delà de sa dimension théorique, largement exploitée, elle comporte une dimension active, qui reste quasiment inexplorée. Celle-ci prend sa source dans la pensée de Platon et consiste à mettre en action la connaissance philosophique au service de la communauté. Un tel service se rapporte à l’entrepreneuriat dont le lien avec l’allégorie de la caverne chez Platon constitue l’objet de la présente étude. Elle montre que la philosophie politique de Platon est une ressource utile à la création et à la gestion d’entreprise. C’est une exigence éthique pour le prisonnier, libéré de la caverne ombreuse et admis à contempler le Vrai en soi dans le monde Intelligible, de revenir parmi ses anciens compagnons pour les servir en appliquant sa connaissance à la création des valeurs et de la richesse. Il s’agit de partir d’une approche analytique du mythe de la caverne pour redéfinir la mission sociale et éducative du philosophe, désormais invité à former les étudiants à la gestion entrepreneuriale en vue d’aider les universités à mieux lutter contre le chômage.
Mots-clés : Caverne, Crise, Emploi, Entrepreneuriat, Philosophie, Universités, Vrai.
Abstract :
If philosophy is in crisis in the contemporary world, to the point of being taxed as a useless sector which universities should get rid of, it is because it has not yet been exploited in all its dimensions. Beyond its theoretical dimension, widely exploited, it includes an active dimension, which remains almost unexplored. This has its source in the thought of Plato and consists in putting philosophical knowledge into action in the service of the community. Such a service relates to entrepreneurship, whose link with the allegory of the cave in Plato constitutes the subject of the present study. It shows that Plato’s political philosophy is a useful resource for creating and managing a business. It is an ethical requirement for the prisoner, released from the shadowy cave and allowed to contemplate the True in itself in the intelligible world, to return among his former companions to serve them by applying his knowledge to the creation of values and wealth. It is a question of starting from an analytical approach of the myth of the cave to redefine the social and educational mission of the philosopher, now invited to train students in entrepreneurial management in order to help universities to better fight against unemployment.
Keywords : Cave, Crisis, Employment, Entrepreneurship, Philosophy, True, Universities.
Introduction
Les difficultés liées à l’employabilité des étudiants en général, et singulièrement ceux de la philosophie, est l’un des aspects notables de la crise des universités contemporaines. En effet, « une grande majorité de philosophes se retrouve encore contrainte, pour trouver un emploi, de se tourner vers une autre branche que la sienne. Autrement dit, pour ce qui est de leur propre discipline, il y a beaucoup de philosophes au chômage» (M. Mongin, 2007, p. 1). C’est comme si la philosophie était incompatible au marché de l’emploi. Pourtant, il est possible de trouver une âme philosophique au fondement de tous les emplois, étant donné qu’ils reposent sur des principes rationnels justifiant leur existence ainsi que leur finalité (c’est-à-dire le service qu’ils doivent rendre à la société). Cela signifie que tous les emplois ont une dimension philosophique au point qu’ils peuvent être adaptés à la philosophie. Une telle adaptation suppose une philosophie de l’entrepreneuriat qui, au-delà de la description du rapport entre l’entrepreneuriat et la philosophie envisagée par certaines études, interroge la place de l’entrepreneuriat dans la mission du philosophe. En témoigne la position de R. Borchgrave (2006, p. 191) qui considère que la philosophie procure au manager, c’est-à-dire au chef d’entreprise, une sérénité intérieure et une hauteur de vue, de sorte à l’aider « à communiquer, à motiver et à donner du sens au travail collectif ». Il en est de même des auteurs comme Gislain Deslandes et Salvatore Maugeri qui prônent l’importance de la philosophie et de l’éthique dans la mission du manager, en tant que chef d’entreprise.
Au fond, l’idée d’entrepreneuriat, en tant qu’activité d’initiation et de gestion d’unité économique chargée de la production des valeurs, réside dans la philosophie politique dont la mission fondamentale se traduit par l’exigence de service rendu à la communauté. Cette exigence peut se lire dans le mythe de la caverne qui révèle, selon les termes de J. Russ (1999, p. 96), que « le philosophe, qui a dompté les caprices du corps et s’est tourné vers le ciel des essences, va maintenant redescendre dans la caverne et gouverner en philosophe-roi ». Outre la dimension politique de cette gouvernance, il existe une dimension sociale dans la mesure où la cité peut contenir des pauvres dont la misère matérielle demande des réponses au philosophe-roi. Celui-ci est ainsi tenu de transformer sa connaissance en une ressource capable de créer des emplois et de la richesse afin de libérer son peuple de la misère. Dès lors, la question fondamentale qu’on est en droit de se poser s’énonce comme suit : le philosophe peut-il transformer la connaissance acquise dans le monde supérieur en une ressource entrepreneuriale ? En fait, en quoi l’entrepreneuriat est-il une mission du philosophe ? Comment peut-il transformer la connaissance théorique en une source de richesse matérielle ? Cette mission entrepreneuriale du philosophe peut-elle garantir l’employabilité des diplômés de philosophie ?
L’analyse du mythe de la caverne chez Platon permet de supposer que la tâche de gestion de la cité, confiée au philosophe, comporte une dimension sociale qui l’invite à créer et à gérer des entreprises afin de sauver les populations de la misère morale et matérielle. Une telle position philosophique vise à approfondir et à prolonger la pensée politique de Platon en mettant en exergue son implication socio-économique. Il s’agit, plus spécifiquement, de mettre en évidence la nécessité de l’entrepreneuriat dans la mission du philosophe et de montrer que la philosophie de l’entrepreneuriat peut contribuer à l’employabilité des étudiants. Pour atteindre cet objectif, la méthode analytique s’avère nécessaire, car il s’agit de partir de l’allégorie de la caverne dans la perspective platonicienne pour en dégager les implications sur l’entrepreneuriat. Ainsi, de l’analyse de la place de l’entrepreneuriat dans la mission du philosophe, il sera question d’examiner la possibilité de transformer la connaissance en une source de richesse. Cela permettra de discuter de la portée de la philosophie de l’entrepreneuriat sur l’employabilité des étudiants.
1. La place de l’entrepreneuriat dans la mission du philosophe politique
Une mission est une attribution reconnue à un individu ou à une entité pour accomplir une tâche précise afin d’atteindre un but défini. Pour le philosophe politique, voué à la quête de la vérité relative à l’homme et à son rapport avec la société, il est question de servir l’humanité en interrogeant les conditions de réalisation de son bonheur. Ce rôle est éclairé par Socrate, considéré comme le fondateur de la philosophie politique compte tenu de son injonction à centrer le regard du philosophe sur la connaissance de l’homme et de son rapport avec les autres. Dans le mythe de la caverne soumis au principe dialectique, mouvement ascendant et descendant, il décrit la condition humaine, « selon qu’elle est ou qu’elle n’est pas éclairée par l’éducation » (Platon, 2008, 514a). Cette condition est d’abord caractérisée par la misère humaine. À ce niveau, les hommes sont enchainés à l’intérieur d’une caverne et ne voient point la réalité des essences, mais l’ombre des images de la réalité. C’est la copie des copies qui constitue la réalité de ce monde physique. L’un d’eux est détaché et envoyé dans le monde supérieur. Il s’agit du second mouvement de la dialectique, où le prisonnier accède à la vérité, au beau en soi, et donc à la connaissance vraie. Ayant ainsi acquis la connaissance supérieure faisant de lui un philosophe, il doit redescendre sur la terre pour sauver ses anciens compagnons de fortune qui sont restés dans la prison. Cette descente du philosophe dans la foule renvoie à la troisième étape de la dialectique qui suppose une exigence de partage de connaissance. Étant éduqué par la communauté, il a, selon E. Gendron (1985, p. 332), « la responsabilité d’y retourner pour la gouverner ». Cette gouvernance n’est pas une domination, mais une expression de service à la communauté.
Un tel service se subdivise, pour le philosophe, en trois missions fondamentales. Elles sont d’ordre pédagogique, politique et social. La première est la mission éducative. Étant donné que les hommes qui sont dans le monde sensible, celui de la caverne, sont caractérisés par l’ignorance, le philosophe a le devoir de les éduquer, c’est-à-dire de leur annoncer la bonne nouvelle, la vérité. Ce n’est pas une mission facile, car les prisonniers sont bien accoutumés à leur condition de vie, ils y sont si attachés qu’ils la prennent pour la réalité absolue. Ainsi, Platon prévient que le philosophe pourra être objet d’incompréhension et même de raillerie, tant qu’il ne s’est pas encore familiarisé avec la réalité du monde sensible.
Cette mission risquée d’éducation de la foule est accompagnée d’une autre, la mission politique. En fait, la misère humaine est aussi caractérisée par la domination des plus forts sur les plus faibles. Pour sauver le peuple de cette injustice, le recours au philosophe, attaché à la quête du savoir et de la vérité, est nécessaire. Selon Platon (1987, 326b), « les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement ». Le disciple de Socrate pose ainsi le savoir comme la condition de la gouvernance. À ce titre, affirme M. Kakogianni (2010, p. 13), « seul doit gouverner celui qui sait ». Cette mission de gestion reposant sur le savoir, est accompagnée d’une troisième qui reste quasi-inexplorée : la satisfaction des besoins existentiels de la population.
La misère humaine, qui ne se limite ni à l’ignorance ni à la domination des forts sur les faibles, se traduit également par la pauvreté. Parmi les prisonniers de la caverne, c’est-à-dire les habitants du monde sensible, il existe des riches, mais aussi des pauvres. Ces derniers ont plus besoin de l’amélioration de leur condition sociale que de la contemplation philosophique. Cela requiert des actions concrètes et capables de les aider à travailler et à obtenir des moyens matériels. Au fond, Platon fonde la société sur le besoin, notamment la complémentarité des besoins qui pousse les uns vers les autres. Chacun a besoin des services de l’autre pour se réaliser. Une telle complémentarité renvoie à la justice sociale consistant à mettre chacun à sa place afin de n’accomplir que les tâches relatives à sa compétence. Ainsi, la société se forme par la satisfaction des besoins. Le philosophe doit alors répondre à ces besoins, en créant des entreprises. C’est en ce sens que la philosophie de l’entrepreneuriat devient indispensable à l’accomplissement de la mission du philosophe.
Elle peut se définir comme l’étude des principes et des fondements de la gestion commerciale en vue de transformer la connaissance philosophique en une source de valeur et de richesse. Une telle philosophie comporte une double dimension. Elle est d’abord théorique. En ce sens, elle interroge les fondements, les conditions de réalisation et la finalité de l’entrepreneuriat. Cela répond à une visée éthique consistant à encadrer l’action entrepreneuriale de sorte à maintenir son lien avec le service à la communauté, le fondement philosophique de l’entrepreneuriat. Celui-ci cohabite avec le fondement économique, la recherche du profit. Son caractère pratique et actif s’entrevoit, en outre, dans l’action entrepreneuriale. Le philosophe est tenu de fournir l’exemple de création et de gestion d’entreprise. La réalisation de cet acte répond à une exigence à la fois pédagogique et éthique. Sur le plan pédagogique, il est question de montrer la voie à la population, en leur indiquant comment une entreprise se crée et se gouverne. C’est la pédagogie par action et par exemplarité dont les leçons sont plus faciles à assimiler que toutes les grandes théories. Du point de vue éthique, sa gestion humaniste d’entreprise doit permettre aux autres entrepreneurs de comprendre que l’entrepreneuriat n’est pas seulement un instrument de recherche de profit, mais beaucoup plus une œuvre de don de soi et de service à l’humanité. Créer une entreprise répond à un besoin de la société. Cela requiert la transformation de la connaissance en une source de valeur dont les conditions de réalisation méritent une analyse détaillée.
2. La philosophie de l’entrepreneuriat et la transformation de la connaissance
L’entrepreneur, comme le dit J.-M. Say (1996, p. 348), « est l’intermédiaire entre le savant qui produit la connaissance et l’ouvrier qui l’applique à l’industrie ». Cela signifie que le rôle fondamental de l’entrepreneur est de transformer la connaissance en une source d’action qui s’applique dans les usines et dans les entreprises. Ainsi, selon J.-M. Besnier (2006, p. 82), « le nerf de la production et de la richesse consiste dans l’information, la science, les savoirs, l’imagination ». La philosophie qui préside à cette transformation de la connaissance est la philosophie de l’entrepreneuriat. Il s’agit d’une nouvelle manière de philosopher qui ne se borne plus à l’acquisition du savoir, mais cherche à transformer le savoir acquis. Cela signifie que le savoir n’est pas sa propre finalité, il est un moyen visant une fin. Il se pose comme une matière première dont la simple possession demeure insuffisante, sa finalité résidant dans la production des valeurs et de la richesse. À la suite de Marx qui voulait transformer le monde par la connaissance, cette forme de philosopher vise la transformation de la connaissance elle-même dans le but de libérer le monde de la misère.
Ce caractère transformateur de la connaissance, bien qu’ignoré, est présent dans toute l’histoire de la philosophie. Ses premières traces se trouvent chez Thalès, dont on dit qu’il devint riche grâce à sa connaissance astronomique. À ce titre, Aristote (2015, p. 40)écrit :
Alors que les gens le blâmaient, à cause de sa pauvreté, lui disant que la philosophie n’était d’aucune utilité, on raconte qu’il prévit une abondante récolte d’olives grâce à l’astronomie. Alors qu’on était encore en hiver, il fit bon usage du peu de richesses qu’il avait, en versant des arrhes pour louer tous les pressoirs à huile de Milet et de Chios. Il n’engagea que peu d’argent, dans la mesure où personne ne surenchérit. Le moment opportun arriva où, en même temps, et tout d’un coup, on cherchait de nombreux pressoirs, qu’il sous-loua selon ses propres conditions. En récoltant une grande fortune, il démontra qu’il serait facile aux philosophes de s’enrichir s’ils le voulaient, mais que ce n’est pas ce à quoi ils consacrent leurs efforts.
Thalès, considéré par Aristote comme le premier philosophe, montre ainsi qu’il est capable d’user de sa connaissance pour créer de la richesse. Il considère toutefois que ce n’est pas à ce but que la philosophie est destinée, son objet fondamental étant la connaissance des principes de l’univers. Préoccupé par l’observation des astres en vue de la connaissance de l’univers, Thalès ignore ce qui se passe sous ses pieds au point de tomber dans un puits. C’est pour éviter cette ignorance des choses du monde sensible que Socrate fonde la philosophie politique qui exige une descente du philosophe dans la foule de sorte à contribuer à la réalisation de bonheur de la société. Ce dernier parcourait les rues d’Athènes pour interroger ses concitoyens et leur demander de changer d’habitudes. Il était convaincu que son savoir pouvait aider à la transformation des hommes de la cité d’Athènes.
C’est aussi ce caractère transformateur de la connaissance qui convainc Platon de la possibilité d’une cité idéale dans le monde politique. Ainsi, il tenta à trois reprises de mettre en pratique la cité idéale en Sicile. Bien que ces tentatives se soient soldées par des échecs, le souci de transformer la société par le savoir y est affirmé par le disciple de Socrate. Il peut être considéré comme l’un des initiateurs de l’entrepreneuriat au sens où il fut le premier à formaliser un établissement scientifique nommée l’Académie. Ce fut un établissement autonome d’initiative privée qui traduisait la vision de son inventeur et qui était rigoureusement organisé avec un règlement intérieur et un budget. Il rendait un énorme service à la communauté dans la mesure où il offrait la formation à ses auditeurs autant qu’il produisait de la connaissance. Cet établissement forma de grands experts tels qu’Aristote et Xénocrate qui figurent parmi les bâtisseurs de la civilisation occidentale. C’est également grâce à lui que Platon arrivait à répondre aux sollicitations des gouvernants qui avaient besoin de son expertise pour la rédaction de leurs constitutions. Selon P.-M. Schuhl (1946, p. 50), il envoya « Pyrrha Ménédème, à Élis Phormion, qui y établit une constitution d’un conservatisme modéré » et Aristonymos chez les Arcadiens pour rédiger leur constitution. Ainsi, « de toutes parts on s’adressait à Platon lorsqu’on avait besoin de rédiger une constitution ». Grâce à l’entreprise académique, Platon répondait avec expertise et management aux besoins de la société. Cela traduit la dimension philosophique et sociale de l’entrepreneuriat qui s’exprime dans le service à la communauté.
Mais, sa dimension économique, la recherche du profit, n’était pas une préoccupation pour lui. À la différence de la version moderne de l’entrepreneuriat, l’entreprise académique de Platon ne se souciait pas de la richesse matérielle. Il semblait s’opposer à la marchandisation. À ce titre, Platon (2006, 743d) écrit : « Il ne doit y avoir dans la cité ni or ni argent, ni gains importants procurés par les métiers manuels, le prêt à intérêt ou le proxénétisme. On ne doit gagner d’argent que ce que rapporte l’agriculture ». Cela signifie qu’aucun métier manuel, hormis l’agriculture, ne doit procurer de gain matériel. Ce n’est, en réalité, pas l’idée de commerce qui dérange tant le disciple de Socrate, mais la possibilité de soumettre plusieurs hommes à la servitude d’un seul : l’entrepreneur. Il admet que l’économie, définie par J.-F. Pradeau (2000, p. 25) comme « l’ensemble des propositions relatives à la production, à l’échange et à la propriété des biens », peut être considérée comme une science royale, c’est-à-dire une science du commandement au même titre que la politique. Platon (1969, 81c) l’exprime en ces termes : « Il n’y a pour tout cela qu’une seule science ; maintenant, qu’on l’appelle royale, politique, économique, nous ne disputerons pas sur le mot ». Bien que considérée dans La République comme une activité de classe inférieure, l’économie se trouve dans Le Politique au rang de la science de la gouvernance. Elle rentre, selon les termes de A. Espinas (1914, p. 111), « dans la sphère de l’activité gouvernementale ». Sa dignité politique se voit rétablie, même si Platon reste opposé à toutes les activités axées essentiellement sur la recherche du profit, compte tenu des dangers moraux du commerce, c’est-à-dire du risque d’exploitation des artisans par « un seul propriétaire » (S. S. Meyer, 2002, p. 392).
Cette méfiance de Platon, à l’égard de la recherche du profit et de l’argent, est difficilement défendable de nos jours. En fait, l’argent est désormais nécessaire à tout entreprise humaine, car non seulement il possède la qualité de tout acheter, mais il est également l’objet dont la « possession est la plus éminente » de tous les biens selon K. Marx (1972, p. 107). Au fond, il n’est pas seulement un bien, il est une source de biens, vu sa capacité d’acquérir les autres biens et de transformer le mal en bien. Il peut rendre « blanc le noir, beau le laid, juste l’injuste, noble l’infâme, jeune le vieux, vaillant le lâche » (W. Shakespeare, 1941, p. 1035). A priori son possesseur est bon, ses défauts pouvant être transformées en des qualités. Ce prestige de l’argent s’explique par le fait que le monde est devenu pleinement marchand au point où seuls les produits soumis à l’échange ont de la valeur. Et cela n’épargne pas le savoir qui, selon les termes de M. Kakogianni (2010, p. 16), « doit être absolument marchandisé ». En réalité, il ne s’agit pas de vendre la connaissance, car vendre un objet, c’est le perdre. C’est, en terme lockéen, la force de travail qui est à vendre et non le savoir. Cette force du travail renvoie ici à l’énergie déployée pour mobiliser la connaissance. Ainsi, le savoir produit des objets matériels ou des prestations de service.
Il est question d’objectiver la connaissance à travers un produit destiné à répondre aux besoins de la société. Cette objectivation de la connaissance dans des produits matériels concerne a priori les spécialistes des sciences de la matière et de la technologie. Ce sont eux qui doivent produire ou trouver des formules permettant la production des matières. Mais, le philosophe y a une double tâche à accomplir. D’un côté, il peut encadrer cette production de la matière à l’aide de l’éthique en la conciliant avec les exigences humaines. Il peut être question d’une éthique de la technologie ou de l’environnement dont le respect est un impératif sociétal pour toutes les unités de production. De l’autre côté, il peut être l’organisateur de ces productions. La chose la plus délicate dans le fonctionnement d’une entreprise, ce n’est pas la connaissance des matières, mais celle des hommes, car ce sont eux qui font fonctionner l’appareil entrepreneurial. C’est pourquoi, A. Swaton et S. Lapied (2013, p. 191) estiment que les entrepreneurs « sont des chefs, susceptibles de mobiliser des hommes et des moyens autour d’un projet ». La réussite d’une telle tâche requiert une bonne connaissance de la nature humaine. Ainsi, le philosophe, voué à la connaissance de l’homme et des conditions de son bonheur, devrait être la personne indiquée pour l’accomplir. S’il est déjà aisé de savoir que le philosophe doit diriger des organisations politiques, cette tâche de gestion peut être mise en œuvre dans une entreprise destinée à la production de la richesse. Il peut utiliser sa connaissance des hommes pour créer des entreprises dans tous les domaines et conduire les hommes qui y travaillent. Cette réorientation de la philosophie vers la création des entreprises pourrait renforcer l’employabilité des diplômés.
3. La philosophie de l’entrepreneuriat et la question de l’employabilité
L’analyse de la capacité de la philosophie de l’entrepreneuriat à garantir l’employabilité des étudiants requiert de préciser que le philosophe est un roi, et non un valet. Platon (2008, 500c) parle du « philosophe-roi », qui mérite la notoriété et le prestige. Ce caractère royal du philosophe est liée à sa connaissance de l’homme et des principes de l’univers qui fait de lui une source de lumière de sorte à éclairer le sentier des autres et de les conduire vers la béatitude. Cette royauté du philosophe le prédispose à la gouvernance qui ne saurait se borner à des tâches techniques d’employé, mais à celles qui consistent à créer et à concevoir les conditions d’un monde meilleur. Une telle science ne saurait se limiter à former des étudiants en vue d’occuper des emplois salariaux et subalternes ; elle forme plus à la gouvernance, ce qui revient à la création et à la gestion d’entreprise. Il est vrai que l’étude philosophique peut conférer de multiples qualités recherchées par les employeurs. Ces qualités sont surtout l’esprit critique et analytique, le sens de la concision, la facilité de rédaction et la capacité d’adaptation aux situations nouvelles ou difficiles. C’est ce qui amène M. Mongin (2007, p. 2) à considérer que « le travail du philosophe correspond aujourd’hui à celui d’un expert consultant qui possède des compétences pointues sur des sujets précis et que les décideurs viennent recruter pour des missions requérant une expertise très technique ». Si cela traduit une certaine importance du rôle social du philosophe ainsi que la nécessité de son intervention dans la résolution des problèmes précis, il est plus indiqué pour lui de s’installer à son propre compte, au regard de son attachement à la liberté et à la gouvernance.
De là, il peut utiliser ses qualités pour créer sa propre entreprise ou pour secourir les autres entreprises qui ont besoin de son expertise. Il doit saisir des opportunités insoupçonnées ou non exploitées et mobiliser des expertises diverses autour de son projet. Cela va nécessiter des moyens matériels qu’il peut être difficile de disposer. Dans ce cas, le philosophe-entrepreneur peut recourir au crédit qui est un canal essentiel de mobilisation de ressources. Il peut, selon A. Swaton et S. Lapied (2013, p. 192), « faire appel aux capitalistes, que Schumpeter range en deux catégories : les propriétaires d’entreprises ayant des capitaux qui ne sont pas mobilisés pour la production courante et les banquiers spécialisés dans le financement ». Le soutien des banques ou des anciennes entreprises s’avère alors très important dans la création d’entreprise. Elles peuvent aider les étudiants de philosophie à s’installer à leur propre compte. Il peut être question de créer des cabinets de consultance, d’éthique, de pédagogie, de rédaction, de formation ou de toute autre forme de société commerciale ou de prestation de service. C’est bien en ce sens que la philosophie pourra atteindre, selon John Dewey, sa vraie nature en traitant les problèmes que rencontrent tous les hommes. Elle doit sortir des limites dogmatiques de la réflexion théorique pour penser les problèmes de la société et les résoudre.
Cela suggère enfin une réforme de l’enseignement de la philosophie dans les universités. C’est le lieu de redéfinir les objectifs de la formation philosophique. Est-ce pour pérenniser la pensée des auteurs passés ou pour servir la société ? Quelle est la responsabilité éthique et sociétale de l’enseignant à l’égard des étudiants qu’il forme ? S’agit-il de former des têtes pleines ou des citoyens-acteurs du développement de leur pays ? En un mot, écrit P. Hiligsmann (2014, p. 21), « devons-nous mettre l’étudiant au centre de nos formations ? ». Ce questionnement suppose la prise en compte de l’intérêt des étudiants. Cela requiert la cessation de l’enseignement des savoirs inopérants et moins utiles à la société. C’est en ce sens que S. Auroux (1993, p. 22) affirme qu’un « apprentissage de la philosophie centré sur l’histoire de cette discipline, enfermé d’abord dans des problèmes formulés avec tous les raffinements techniques produits par une maturation millénaire, n’est pas souhaitable ».
Bien que ce type d’enseignement permette d’instruire les étudiants, il ne s’agit « plus seulement de fabriquer des têtes bien pleines », encore faut-il « qu’elles puissent trouver leur place dans la société en complétant les stocks de ressources humaines des entreprises » (M. Mongin, 2007, p. 6). Il n’est pas non plus question d’une simple sensibilisation à l’entrepreneuriat telle qu’enseignée dans certains départements de philosophie, mais d’un apprentissage à la transformation de la connaissance. Le rôle de l’enseignant, en la matière, est d’aider l’étudiant à transformer sa connaissance philosophique en une ressource capable de créer de la valeur utile à la société. Cela pose l’exigence d’un savoir opérationnel ainsi que la prise en compte de nouvelles questions telles que celles liées à l’urbanisme, à la santé publique, aux fonciers, aux affaires et à bien d’autres questions qui se posent à la société contemporaine. Elle permettra aux diplômés de philosophie de participer pleinement au développement de leur pays et de contribuer à y « rendre la vie agréable » (M. D. Soro, 2010, p. 62). Ce qui revient à dire avec S. Auroux (1993, p. 22) que « la philosophie ne survivra qu’à condition qu’on refuse de séparer la pratique philosophique et l’acquisition du savoir, la réflexion et l’aventure de la vie ». Cette conciliation de la théorie et de la pratique, voire de l’action, permettra de mettre fin à la crise de la philosophie.
Conclusion
Cette étude révèle une dimension insoupçonnée de la philosophie, celle de l’entrepreneuriat, qui traduit la nécessité de transformer la connaissance en une source de valeur, entendue comme l’emploi, la richesse, le bien et la vertu. C’est une exigence éthique qui oblige le philosophe au partage de connaissance et au service de la communauté. Ce service vise à sauver les autres de la misère humaine. Celle-ci doit être affrontée dans tous ses aspects, y compris sa dimension matérielle traduite par la pauvreté. Cette dernière ne peut être combattue que par l’entrepreneuriat, un instrument de création de valeurs et de richesse destiné à répondre aux besoins de la communauté. Le partage de la connaissance relative à un tel instrument ne peut que faciliter la mission sociale du philosophe.
La philosophie de l’entrepreneuriat se pose alors comme un passage obligé pour le philosophe politique. Elle permet l’encadrement éthique des activités commerciales et surtout la réalisation de la vision du philosophe à travers l’entreprise. Celle-ci se pose comme un instrument d’expérimentation des idées philosophiques. Elle adapte ainsi la philosophie aux besoins du marché de l’emploi, en transformant la connaissance philosophique en une source de valeur et de richesse. Une telle adaptation n’est pas une rupture radicale avec la source, mais un retour « à son essence originelle » (K. Harries, 2010, p. 193) dans laquelle réside une exigence de l’action, comme mode de vie philosophique. Il est certain que la valorisation de l’action entrepreneuriale dans la pratique philosophique ne saurait prétendre répondre à toutes les questions théoriques qu’elle suscite, n’étant encore qu’une ébauche de construction d’une nouvelle branche de la philosophie politique et sociale. Mais, elle offre déjà l’espoir de sortir la philosophie de la crise de l’employabilité et de contribuer à la résolution des crises universitaires dans le monde contemporain.
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FORMATION ET EMPLOYABILITÉ DES ÉTUDIANTS AFRICAINS, QUELLE APPROCHE PHILOSOPHIQUE ?
Aikpa Benjamin DIOMAND
Université Peleforo GON COULIBALY (Côte d’Ivoire)
Résumé :
L’épaisse inquiétude que soulève l’avenir professionnel des étudiants contraint désormais, les universités africaines à déployer de multiples dispositifs pour les accompagner dans leur insertion professionnelle. Cette nécessaire mutation ne laisse pas indifférente la philosophie qui, en sa qualité de science des crises, peut contribuer à la réflexion sur la question par de nouvelles offres en termes de paradigmes de formation universitaire. L’objectif principal de cette communication est de faire contribuer la philosophie à améliorer le rapport des universités africaines à l’employabilité. À cela, s’ajoutent deux objectifs spécifiques. Le premier est de repenser le système de formation de l’université en Afrique. Le second est de faciliter l’intégration des étudiants au marché du travail et à la production de la richesse.
Mots clés : Crise universitaire, Employabilité, Étudiants, Formation, Philosophie.
Abstract:
The deep concern raised by the professional future of students now forces African universities to deploy multiple measures to support them in their professional integration. This necessary mutation does not leave philosophy indifferent which, in its capacity as a science of crises, can to contribute to reflection on the question through new offers in terms of university traning paradigms. The main objective of this communication is to make philosophy contribute to improving the relationship of African universities to employability. In addition, there are two specific objectives. The first is to rethink the university training system in Africa. The second is to facilitate the integration of students into the labor market and the production of wealth.
Keywords : Employability, Philosophy, Students, Training, University crisis.
Introduction
La recherche d’adéquation entre formation et employabilité est de nos jours, un des axes clés de la stratégie de lutte contre les crises répétitives des universités africaines. Selon le Centre africain pour la transformation économique, basé à Accra, près de 50% des diplômés universitaires ne trouvent pas d’emploi en raison de l’inadéquation entre leur formation et le monde du travail. (Raphaël Obonyo, 2019). Dès lors, repenser le contenu des enseignements et le rôle de la recherche universitaire dans le sens de l’employabilité des étudiants, est devenu un impératif catégorique opposable aux universités du continent qui, du reste, sont aussi à l’écoute des reformes universitaires dans le monde, notamment dans l’espace européen, telles qu’annoncées par le processus de Bologne. Ce processus qui se décline en trois déclarations principales (déclaration de Lisbonne, déclaration de la Sorbonne et enfin déclaration de Bologne), a inscrit le couple formation-employabilité au cœur de son dispositif de réforme de l’enseignement supérieur. Cette nécessaire mutation ne laisse pas indifférente la philosophie qui, en tant que science des crises, s’invite au débat sur la formation et l’employabilité des étudiants pour contribuer à réinventer les universités africaines. D’où le titre de notre communication : Formation et employabilité des étudiants, quelle approche philosophique ? L’objectif général de cette communication est de faire contribuer la philosophie à la résolution des crises universitaires récurrentes en Afrique, à cela s’ajoutent deux objectifs spécifiques : le premier est de repenser la formation en termes de nouvelles philosophies de la pédagogie universitaire et de l’orientation des étudiants ; le second est la facilitation des étudiants à l’intégration au marché du travail et à la production de richesses. Ces objectifs se tiennent dans cette interrogation : comment réinventer, d’un point de vue philosophique, l’université en Afrique pour, à la fois, faciliter l’insertion professionnelle des étudiants et rompre avec les crises répétitives ? Les méthodes analytique et critique nous aideront à répondre à cette problématique autour de trois axes essentiels.
Le premier est une analyse des concepts de formation et d’employabilité, et le deuxième se résume à questionnement de l’économie et du marché du travail africains comme préalable à une meilleure réflexion sur le rapport entre formation et employabilité des étudiants, et le troisième est l’occasion de dresser le rapport entre formation et employabilité en réinventant une la philosophie de la pédagogie et de l’orientation.
1. Analyse des concepts de formation et d’employabilité
Une analyse conceptuelle de la formation et de l’employabilité est nécessaire pour mener à bien la réflexion sur la formation et l’employabilité. C’est à cette tâche que nous nous consacrons dans la première partie de notre travail. Il s’agit alors, d’examiner les concepts de formation et d’employabilité.
1.1. Le concept de formation
Le concept de « formation » désigne, à la fois, « le processus naturel ou culturel par lequel les choses prennent formes, ainsi que les résultats de ce processus ». (M. Fabre, 1992, p. 120). Le concept de formation est une notion transversale. À cet égard, on peut la retrouver, en théologie, en biologie, en géologie, en science de l’éducation, notamment en pédagogie, etc. Le caractère transversal de la notion en fait une notion polysémique. Ainsi, en théologie, le mot « formation » désigne le processus entraînant l’apparition de quelque chose qui n’existait pas auparavant. Il renvoie alors à l’action de créer, de donner l’être et la forme à quelqu’un ou à quelque chose. Ce verset de la Bible : « L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre » (Genèse 2v7a) traduit bien cette définition. En biologie, le concept signifie développement et modification de l’organisme qui rend l’individu ou la chose capable d’exercer des fonctions reproductives. En géologie, le terme formation renvoie à un ensemble de couches ou portions de terrains ou de substances minérales présentant des caractères géologiques et paléontologiques semblables qui paraissent dater de la même époque. Enfin en pédagogie, le concept de formation désigne, entre autres, le cursus, la qualification et le processus. De ce point de vue, la formation est un ensemble d’actions, de méthodes et de techniques dont la finalité est de faciliter la transmission des connaissances, des compétences, l’apprentissage de savoir-faire, le développement personnel et l’évolution des comportements en lien avec le monde du travail. La formation, sous le registre pédagogique, présente aussi plusieurs visages : la formation professionnelle qui est un programme bien planifié visant à développer des compétences et des connaissances spécifiques à l’exercice d’un emploi, d’une carrière professionnelle bien déterminée ; la formation générale (culture générale, langue, discipline intellectuelle spécifique, notamment les mathématiques, la philosophie, la sociologie, le droit, l’économie, l’histoire, la géographie), et, enfin, la formation technique.
La formation, à première vue, se distingue de l’éducation qui est un système d’apprentissage visant à transmettre aux apprenants des connaissances sur les valeurs, les faits, les évènements, les croyances, les institutions, les principes et les concepts généraux. En ce sens, force est de savoir que l’éducation aide à développer les compétences fondamentales (acquisition de la lecture, l’écriture et du calcul), les facultés morales, le sens du raisonnement, du jugement et de la compréhension du monde. Cependant, cette distinction n’est pas étanche, en ce sens qu’il ne peut y avoir de formation sans éducation à la base. De ce fait, l’éducation, peut être considérée dans une certaine mesure, comme la matrice de la formation tandis que celle-ci peut être analysée comme le processus de transformation des compétences de l’éducation en compétences professionnelles. La formation, en effet, transforme les compétences acquises de l’éducation en savoir-faire et en compétences professionnelles. A l’image des systèmes industriels qui transforment les produits d’autres industries en produits finis pour le marché de consommation, la formation transforme les produits de l’éducation en produits finis pour le marché du travail.
Dans la perspective du développement de l’économie africaine et du marché de l’emploi en faveur des étudiants du continent, la formation reste un outil essentiel de création de richesse et d’insertion professionnelle, car elle a vocation non seulement de permettre aux personnes formées de faire face à l’évolution rapide de l’économie, du marché du travail, des pratiques professionnelles et des nouveaux besoins des entreprises mais aussi et surtout d’anticiper les changements dans le sens d’offrir des outils cognitifs et pratiques pour une meilleure réactivité des personnes formées. C’est pourquoi, de nos jours, la notion de formation est de plus en plus mise en lien avec la notion d’employabilité.
1.2. La notion d’employabilité
L’analyse de l’évolution du marché du travail et des politiques de formation a bénéficié du concept d’employabilité développé dans les années 90. Face à la montée du chômage, beaucoup de questions ont émergé concernant les capacités des individus à répondre aux sollicitations de l’entreprise et/ou du marché ; et ce compte tenu de ce que le système éducatif peut leur apporter en amont. En 2001, les Nation-Unis ont intégré la problématique de l’employabilité parmi les priorités en faveur de l’emploi des jeunes au même titre que l’entrepreneuriat, la question du genre et la création d’emploi (C. Ratsimbazafy, 2015, p. 2).
Mais que désigne ce concept d’employabilité ? L’employabilité peut s’analyser sous deux angles : le premier est celui de l’employeur et le second, celui du demandeur d’emploi. Du point de vue de l’employeur, l’employabilité désigne « la capacité à disposer de personnes capables d’assumer le travail dans les normes attendues » (C. Ratsimbazafy, 2015, p. 2). Dans la perspective du demandeur d’emploi, l’employabilité traduit le fait qu’une personne puisse se réaliser en transformant ses compétences en emploi. Pour le dire autrement, l’employabilité définit la capacité d’une personne à faire coïncider ses qualités et ses compétences acquises à l’issue de sa formation, avec les besoins évolutifs du marché du travail de sorte à se réaliser en transformant ses compétences en emploi. « L’employabilité caractérise, dès lors, la capacité d’un individu à occuper un emploi qui conjugue les circonstances personnelles avec les offres du marché. Cela signifie que l’individu peut gérer sa situation sur le marché du travail en exploitant son potentiel dans un emploi durable. » (C. Ratsimbazafy, 2015, p. 2).
L’employabilité a donc partie liée avec l’évolution structurelle du marché de l’emploi. De ce fait, la construction d’une meilleure employabilité exige qu’on observe la structure et l’évolution du système de production. Donc l’articulation de la formation et de l’employabilité impose, non seulement la connaissance de l’ordre économique en vigueur et son évolution, mais aussi et surtout l’évolution du marché du travail en tant qu’il constitue le miroir des besoins en travail de la société. D’où, il convient de faire du questionnement de l’économie et du marché du travail africains comme préalable à une meilleure réflexion sur le rapport entre formation et employabilité des étudiants en Afrique. C’est à cette tâche que nous nous employons à montrer dans la deuxième partie de de notre travail.
2. Questionnement de l’économie et du marché du travail africains comme préalable à une meilleure réflexion sur le rapport entre formation et employabilité des étudiants en Afrique
On ne peut penser le couple formation-employabilité notamment, en Afrique, sans interroger l’univers économique et le marché de l’emploi. Mais, questionner l’économie et le marché du travail africains pose avant tout, l’exigence d’une enquête sur le processus de leur naissance. Freud, dans ses travaux sur l’étude de la personnalité, nous a appris que « l’enfant est le père de l’adulte ». De même, les conditions de naissance des institutions influencent l’esprit, l’organisation et le fonctionnement desdites institutions. Ce parallèle, entre la personnalité et les institutions, nous conduit à faire de l’enquête sur l’extrait de naissance de l’économie et du marché du travail africains, une condition nécessaire à une meilleure réflexion sur le rapport entre formation et employabilité des étudiants en Afrique.
2.1. Enquête sur l’acte de naissance de l’économie moderne et du marché du travail africains
Les économies et le marché du travail africains sont des legs de la colonisation. Dès lors, penser l’extrait de naissance de ces économies et le marché du travail subséquent, passe nécessairement par la médiation de l’histoire économique et sociale de la colonisation. Dans ce cas, il nous paraît nécessaire, dans une perspective philosophique, d’interroger cette histoire, à l’instar du psychanalyste qui questionne le passé des individus pour mieux cerner leur personnalité. Interroger l’histoire, c’est questionner des chercheurs-auteurs spécialistes de l’histoire sociale africaine. Ainsi, chez A. Lux, nous découvrons l’inexistence d’un marché du travail avant l’implantation des colons européens.
En effet, Lux démontre que l’organisation sociale du travail en Afrique noire précoloniale, repose sur l’identité entre les producteurs et les moyens de production que sont les terres et les outils. De ce fait, les décisions d’emploi ne se font pas dans le cadre d’un marché, c’est-à-dire le marché du travail, parce que la nécessité d’aliéner sa force de travail est absente en raison des facteurs économiques et sociologiques. Il a fallu alors attendre l’arrivée des européens pour qu’on assiste au « développement du salariat » par des « procédés de détribalisation forcés ». (A. Lux, 1962, p. 365)
J.-N. Loukou (2007, p. 22) fait observer dans son livre Côte d’Ivoire : Les résistances à la conquête coloniale que les traits généraux de l’économie précoloniale sont marqués par « deux modes de production dominants : le mode de production lignager et le mode de production esclavagiste. ». Dans le cadre du mode de production lignager, l’unité économique élémentaire est le lignage, centre de production et de consommation ; et la production est essentiellement destinée à l’autosubsistance. La tenure du sol n’est point aliénable. Chaque lignage reçoit, en effet, de la communauté villageoise les terres de culture nécessaires à sa subsistance (J.-N. Loukou, 2007, p. 22-23).
Tout le système de production s’organise autour de la parenté. Les membres des lignages dans le cadre des réseaux de parenté, par principe de solidarité, s’entraident pour mettre en valeur les portions de terre des uns et des autres. Le mode de production lignager exclut ainsi toute idée de salariat et par voie de conséquence, de marché du travail. Dans un tel contexte, il est quasi-impossible d’assister à une asymétrie entre l’offre et la demande du travail. Tous les jeunes que la société forme trouvent aisément leur place dans le procès de production. Il en résulte que la notion de chômage est totalement absente dans cette forme d’organisation sociale.
Selon J.-N. Loukou (2007, p. 23), « dans le mode de production esclavagiste, l’esclave est le moyen essentiel de production ». En effet, contrairement au mode de production lignager où tous les bras valides de la société sont directement impliqués dans le procès de production, dans le mode de production esclavagiste, une classe de personnes privées de liberté, est chargée de la production économique. Elle forme ainsi le pivot de la structure économique de la société. Il est bien clair que dans un tel contexte, la référence au marché du travail n’existe pas. Sur ce point, le mode de production esclavagiste ne diffère pas du mode de production lignager. On peut certes supposer l’existence d’un marché d’esclaves dans ce mode de production esclavagiste, mais force est de reconnaitre que celui-ci diffère du marché du travail. Cela, en raison du fait que l’esclave qui est la marchandise mise en vente sur le marché d’esclaves, une fois acheté ne s’appartient plus et le produit de son travail ne lui appartient pas non plus. Il est corvéable à souhait sans aucune rémunération parce qu’il n’est pas lié à son maître par un contrat de travail. Il est plutôt lié par un rapport de maître et d’esclave. Il ne peut rompre ce rapport quand il veut. Sa personne et tout le produit de son travail appartiennent à son maître tandis que sur le marché du travail, le travailleur ne se vend pas, mais plutôt sa force de travail contre un salaire. Il peut quand il le veut, rompre le contrat de vente de sa force de travail.
Au regard de ce qui précède, nous retenons que le procès de production des sociétés de l’Afrique noire précoloniale ne fait pas appel au salariat. Cette relation économique et sociale entre un travailleur et un employeur où le travailleur vend sa force de travail dans le cadre d’un contrat formel ou informel, en échange d’un salaire qui garantit que les produits du travail réalisé par l’employé demeurent la propriété de l’employeur. Cela induit l’absence du marché du travail et des contradictions subséquentes, notamment, la surpopulation de la force de travail produite par l’asymétrie fréquente en économie capitaliste, entre l’offre et la demande du travail désignée par le concept de chômage.
C’est dans ce contexte économique et social que l’Afrique noire entre en contact avec le mode de production capitaliste par le biais des Européens. Ceux-ci, en quête de nouveaux marchés pour leurs industries en crise, ouvrent les chantiers de sa colonisation. L’absence systémique du salariat dans les différentes régions du continent africain y rend difficile la reproduction du mode de production capitaliste caractéristique des sociétés européennes. Andrée Lux (1962, p. 365), le souligne éloquemment en ces termes : « Le gros problème (avant la deuxième moitié du XXIe siècle) qui a dominé l’histoire économique de ces régions, a été de trouver de la main d’œuvre pour exploiter les richesses naturelles ; main d’œuvre caractérisée par sa rareté et le manque d’adaptation typique des sociétés traditionnelles. »
Nous observons dans ces propos et en filigrane, la théorie de Marx sur les conditions de naissance du salariat et du mode de production capitaliste sur un territoire donné. En fait, il développe l’idée selon laquelle« quand le travailleur peut accumuler pour lui-même, et il le peut tant qu’il reste propriétaire de ses moyens de production, l’accumulation et la production capitalistes sont impossibles »(K. Marx, 1963, p. 1227) L’accumulation et la production capitalistes, en fait, exigent que le travailleur, ce « propriétaire de la force de travail, non seulement doit être libre de la vendre mais doit être aussi dans la nécessité de le faire. Ce qui suppose qu’il ne soit pas possesseur des moyens de la mettre en œuvre pour son propre compte. » (H. Nadel, 1994, p. 129).
Les colons vont procéder à la mise en place des conditions de formation du salariat en Afrique. Ils inaugurent ainsi les « phases successives de la formation d’un marché du travail de quelques pays africains » (A. Lux, 1962, p. 364). Ces phases successives sont les corvées « travail forcé », les expropriations des terres en vue de créer un prolétariat et l’impôt de capitation et l’urbanisation progressive. Les emplois disponibles sont premièrement dans les exploitations agricoles, minières, les travaux publics (création de chemins de fer et de routes), la sécurité, ensuite dans les services sociaux de base (santé et éducation), dans l’administration coloniale et, un peu plus tard, dans les petites unités industrielles de substitution. Sous la pression et l’impulsion de l’Etat colonial, l’espace et l’organisation économique et sociale africains se modifient ainsi en profondeur. L’on assiste à l’émergence d’une nouvelle architecture économique et sociale en Afrique qui opère le « retrait de l’Africanité » entendu ici comme « l’abandon de la rationalité ethno-tribale » et la dépossession «de son pouvoir d’autoproduction et donc de sa nature initiale » (Z. Biaka, 2002, p. 109).
2.2. L’état des lieux de l’ordre économique et social en Afrique
Les États-nations africains héritent de l’architecture économique et sociale coloniale lors de l’accession des peuples africains à l’indépendance. Nés des entrailles des États coloniaux, les États-nations africains vont se construire à partir des structures économiques et sociales de ces derniers. On constate de ce fait, une décolonisation conservatrice qui reprend à son propre compte, mais dans une version approfondie, la philosophie économique et sociale du colonisateur avec l’expertise de celui-ci. Dans les sillages de l’État colonial, les États-nations africains font le choix du mode de production étatique. L’État postcolonial est de ce fait, un État à la fois entrepreneur et employeur. Il est de loin le plus gros employeur dans le cadre de l’emploi formel, faute de capitalistes nationaux.
En effet, né dans le contexte des Trente Glorieuses caractérisées dans le domaine financier, par un flux massif de capitaux prêtables à souhait et au niveau de la théorie politique par l’État providence soutenu par un essor économique dû à la forte demande liée à la reconstruction de l’Europe de l’après-guerre, l’État post-colonial procède à un recrutement massif de personnel administratif, enseignant, médical, militaire et para-militaire pour s’affirmer comme État dans le concert des Nations. Il s’ensuit que les diplômés des universités à « l’égard desquels les autorités publiques avaient une espèce de « devoir d’embauche »(B. Contamin, Y.-A. Faure, 1992, p. 310), n’éprouvaient aucune difficulté à trouver un emploi. Mais l’État post-colonial ne tardera pas à montrer des signes d’essoufflement. Pour le dire autrement, après avoir déployé des capacités d’absorption des diplômés, notamment ceux des universités, il marque un épuisement certain face à l’explosion de la population estudiantine. Quelques raisons expliquent cet essoufflement.
La première raison est que l’État-postcolonial est un État extraverti, extrêmement dépendant et inscrit fondamentalement dans un cadre de développement minima, en ce sens que toutes ses politiques économiques et sociales sont taillées sur mesure et sont sous influences permanentes des puissances colonisatrices par le biais des réseaux institutionnels internationaux. Cette approche de l’État post-colonial est décrite par B. Contamin et Y.-A. Faure (1992, p. 305) dans leurs travaux en ces termes : « Dans la perspective marxiste, l’État apparaît avant tout comme un vassal du capitalisme international et son action conduit à accentuer la dépendance extérieure et à renforcer les blocages d’un véritable développement. ». On découvre donc que l’État post-colonial s’enlise dans l’inefficacité face aux questions sociales, notamment celles liées la crise de l’emploi des diplômés des universités africaines.
La deuxième raison c’est le surendettement provoqué par une offre particulièrement abondante de capitaux sur le marché international pendant les Trente Glorieuses. Ainsi, « l’abondance des liquidités internationales en quête d’utilisation a donné naissance à un puissant effet d’offre. Les États considérés alors comme nécessairement solvables, ont fait l’objet de démarchages systématiques »(B. Contamin, Y.-A. Faure, 1992, p. 319). Il en résulte que les États africains se sont inscrits massivement dans une politique d’endettement peu ou mal contrôlée. Finalement, ce qui semblait être une opportunité pour amorcer leur développement, est devenu un piège sans fin pour eux. Cela se voit au travers un train de mesures de redressement initié par les bailleurs de fonds en vue du recouvrement de leurs créances. Tout cela porte à croire que l’endettement des États africains a été planifié pour recoloniser l’Afrique. Comme le note bien J. Ki-Zerbo (2013, p. 37), « la dette est structurellement comprise dans le pacte colonial où les uns ont toute la valeur ajoutée des produits et les autres n’en ont presque rien. La dette est le fils naturel de ce type de structure et, pire encore, de ce genre de système. ».
La troisième raison, concerne l’absence de capitalistes nationaux capables de partager valablement avec l’État, les charges de création d’emplois. Contrairement aux pays développés où le secteur privé joue un rôle économique de premier plan, et contribue de façon significative, à la dynamique du marché de l’emploi, on constate une grande faiblesse de ce secteur en Afrique à cause du manque de capitalistes nationaux. Cela est dû au déficit de la culture entrepreneuriale dans de nombreux pays africains notamment, dans les pays francophones où l’on a conféré à l’État un rôle très prépondérant dans les secteurs de la production. De ce fait, cette faiblesse a conduit à attribuer à la puissance publique, le quasi-monopole de la responsabilité de la création des emplois. Cela a eu pour conséquence, en raison de la massification croissante des diplômés des universités africaines, un étouffement inévitable des capacités d’absorption de l’État post-colonial. Ainsi a-t-il fini par sombrer dans les contradictions structurelles de son modèle de développement.
À tous ces facteurs, s’ajoutent, aujourd’hui, la volatilité de la finance et de l’économie mondiales produite par la mondialisation. Or ladite volatilité est une menace ouverte contre les économies des pays africains en construction, sans compter les crises sécuritaires liées au djihadisme qui sapent leur stabilité politique et sociale.
L’état des lieux de l’ordre économique et social en Afrique met à nu un État- employeur essoufflé et marqué par de graves contradictions sociales, notamment le chômage massif des diplômés. Ce qui vient d’être dit augure de la difficile tâche des universités à relever le défi de la symétrie entre formation et emploi. Cependant, une aventure peut être tentée à partir de la réinvention de la pédagogie et de la politique d’orientation.
3. Réussir le rapport entre formation et employabilité par la réinvention de la pédagogie et de la politique d’orientation
3.1. Réinvention de la pédagogie
Le propre des institutions universitaires est le progrès et la diffusion des connaissance. Le rôle classique dévolu aux universités est le développement de la recherche scientifique en vue du progrès et de l’expansion de la science. Mais ces traits ne suffisent plus à caractériser les universités, car ces dernières doivent fonctionner en convergence très affirmée avec l‘univers économique et le monde du travail, d’où la nécessité de faire le lien entre les cours dispensés et ce monde du travail ; d’où ce lien doit être mentionné dans les Syllabus, de manière à aider l’étudiant à transformer ses compétences acquises en emploi.
Le Syllabus, appelé aussi plan de cours, est un exercice d’écriture qui précède tout acte pédagogique. Il constitue un moyen de communication, un outil de planification et une carte cognitive servant de guide à la fois à l’enseignant lui-même et aux étudiants. De façon générale, le Syllabus comprend, structurellement, des rubriques de base que sont l’information de base, l’information concernant l’enseignant, la description du cours, les objectifs d’apprentissage, le programme et le calendrier du déroulé du cours ainsi que le matériel de cours. Pour le dire autrement, le syllabus comprend habituellement, le code du cours, le nom du module, le volume horaire, le nom du chargé du cours, le titre du cours, le résumé, les prérequis, les compétences à développer, le plan détaillé avec le nombre de séances, le matériel du cours, la bibliographie et la webographie.
Mais, dans un contexte où la professionnalisation articulée au concept d’employabilité, est un des thèmes majeurs de la rhétorique des réformes des universités, il nous semble qu’il y a un chainon manquant dans la structuration des syllabus observée chez la plupart des enseignants-chercheurs. Ce chainon manquant, c’est bien le nécessaire lien entre le cours proposé et l’univers économique et le marché du travail. Un tel lien présenterait un double avantage : le premier avantage est de susciter un intérêt chez les étudiants. Et le second, est de leur permettre de mieux s’orienter sur le marché du travail en transformant les compétences acquises en emploi. La nouvelle pédagogie dont la finalité est d’accroître le niveau d’employabilité des étudiants, juge donc nécessaire de préciser dans le Syllabus, la place du cours à dispenser dans l’économie et sur le marché du travail. De ce fait, l’étudiant pourra établir un lien entre le cours dispensé et son environnement social, économique et le monde du travail de manière à transformer ses compétences acquises en emploi.
Cette exigence va, nécessairement conduire les enseignants-chercheurs à prendre davantage conscience du fait que l’université n’est pas un empire. Cela les inclinera à travailler dans un empire et à travailler en tenant compte de l’univers socio-économique et du monde du travail dans la perspective de l’insertion socio-professionnelle des étudiants. À cet égard, les universités africaines doivent élargir leur vision de l’univers économique et du marché de l’emploi en prenant en compte, le procès de dénationalisation des marchés (marchés des capitaux, des biens et des services et des marchés du travail) ouvert par la mondialisation qui marque un tournant nouveau des relations internationales et de la perception que les individus ont du monde en général et du monde du travail en particulier. Favorisée par la multiplication des contacts, la libéralisation et l’accélération des échanges, la mondialisation tend à considérer la terre entière comme « un seul et même marché » (P. M. DÉFARGES, 1997, p. 124) et une maison commune. Il en résulte des « migrations multidirectionnelles »(P. M. DÉFARGES, 1997 ; p. 28) qui se lancent à la conquête « des emplois, des salaires offerts ailleurs. » (P. M. DÉFARGES, 1997, p. 29). La proximité et l’imbrication des espaces créées par la mondialisation entraînent un déracinent croissant des individus qui ne considèrent plus sacrés leurs liens avec leurs pays d’origine et pour qui « le premier des droits semble de plus en plus être celui-ci de pouvoir chercher à s’épanouir là où l’herbe est censée être la plus verte. » (P. M. DÉFARGES, 1997, p. 29).
Pour cette raison, les formations universitaires africaines doivent s’ouvrir aussi aux besoins du marché du travail des pays développés dont les populations sont vieillissantes et même des pays émergents. En effet, l’exportation de la force de travail est une des modalités caractéristiques de la mondialisation en tant que système de libre mobilité des capitaux, des biens et des personnes dans le monde. Comme telle, elle entraîne des exigences dans la formation des compétences qui ne doit plus s’enfermer dans la seule référence au marché national. En conséquence, les universités, en accord avec les ministères des affaires étrangères, doivent étudier l’évolution des populations actives des pays dits développés et les besoins en travail de leurs économies ainsi que l’évolution de leurs marchés de travail. Dès là, les universités et les ministères pourront dégager des stratégies de pénétration desdits marchés par les jeunes diplômés. Les universités africaines devront, à cet égard œuvrer à adapter leurs dispositifs pédagogiques à savoir les maquettes, dans le sens de favoriser l’acquisition de compétences (compétences scientifique, technologique, linguistique et culturelle). Une fois acquises, lesdites compétences faciliteront leur accès à ces marchés du travail où les ressources humaines nationales, en raison du vieillissement de leur population active, sont déficitaires. Ces adaptations pédagogiques devront se faire en étroite coopération avec les institutions universitaires desdits pays. Il leur appartient dans ce sens, de garantir la crédibilité des diplômés africains sur le sol de ces pays. Dans un monde mondialisé où les pays développés et émergents travaillent sans relâche à la consolidation de leurs stratégies d’extension des profits à tirer de la mondialisation, les universités africaines doivent être des institutions stratégiques. L’étant, elles doivent permettre à l’Afrique de tirer le meilleur profit de la dénationalisation des marchés du travail favorisée par la mondialisation. À ce niveau, on veillera à la maîtrise de la taille de la population estudiantine à former.
Par ailleurs, il est aussi nécessaire d’inscrire la formation universitaire dans la flexibilité avec la pratique du concept de double diplôme. Le double diplôme (double licence, double master) comme son nom l’indique, est un cursus double qui permet à un étudiant de suivre une formation dans un domaine qui n’est pas initialement le sien, de préparer deux diplômes et d’acquérir des compétences, par exemple, un au sein d’une école de commerce et un autre au sein d’une université partenaire, ou encore d’une école d’ingénieur. De la sorte, au cours d’une année, l’étudiant pourra prétendre à deux diplômes et à deux compétences. Ce paradigme de formation a ainsi l’avantage, en termes marxiens, de favoriser « le plus grand développement possible des diverses aptitudes »(K. Marx, 1963, p. 992) de l’étudiant. La révolution permanente qui sous-tend le développement de la techno-économie moderne l’exige en ce sens qu’elle nécessite « la fluidité des fonctions » (K. Marx, 1963, p. 992) du travailleur moderne.
Par ailleurs, l’enseignement universitaire doit s’orienter vers la pédagogie coopérative qui peut avoir un impact certain sur l’employabilité des étudiants. La pédagogie coopérative en effet, a partie liée avec la notion de coopération qui est tirée du terme latin cooperatio. « Formé du préfixe latin cum (avec), et du verbe operari (travailler), le mot coopération signifie littéralement « faire œuvre commune ». Le substantif opus, dont le pluriel donne opera, désigne diversement l’œuvre, l’ouvrage, l’acte. Au sens large, la coopération exprime donc la part prise à une œuvre faite en commun. » (N. Go, 2015, p. 2). De ce fait, elle « se caractérise par la double volonté de faire œuvre commune sans aucune sorte d’exclusion, et de faire ainsi du commun en œuvre ». (N. Go, 2015, p.) Cette œuvre commune résulte « d’une transformation des rapports de production des savoirs » (N. Go, 2015, p.) Dans cette perspective, la pédagogie coopérative « se caractérise par des liens horizontaux entre pairs, par une proximité dans la nature et l’ampleur des tâches à résoudre, par la prise en compte d’apprentissages transversaux et la co-construction. » (D. Morin, et al, p. 1). Elle favorise ainsi l’échange des idées, le partage du pouvoir et de la responsabilité dans la construction des savoirs. J. Rancière (2005, p. 106), le souligne bien quand il écrit : « La chose a de quoi susciter de la peur, donc de la haine, chez ceux qui sont habitués à exercer le magistère de la pensée. Mais chez ceux qui savent partager avec n’importe qui le pouvoir égal de l’intelligence, elle peut susciter à l’inverse du courage, donc de la joie. »
En outre, la pédagogie coopérative est un moyen de développer la créativité chez les étudiants. Dans la mesure où elle les met à grande contribution tous les apprenants dans la recherche et la construction des savoirs, elle développe leur imagination créatrice, leurs capacités à identifier les problèmes et à leur trouver des solutions innovantes. Cette démarche entraîne aussi l’amélioration de l’estime de soi, comme l’affirment ABRAMI et al (1996, p. 13) : « des recherches récentes ont démontré les effets positifs que l’apprentissage coopératif a sur le rendement scolaire, le développement des habilités sociales, l’attitude vis-à-vis de l’apprentissage et des pairs, l’état affectif et l’image de soi. »
Dans le champ professionnel, l’esprit de créativité et l’estime de soi que développe la pédagogie coopérative augmentent l’employabilité des étudiants. La créativité doublée de l’estime de soi, permet non seulement de trouver plus rapidement et efficacement des pistes de résolution aux problèmes qui surgissent dans les entreprises, mais aussi et surtout, d’ouvrir de nouveaux horizons à celles-ci en termes de grandes innovations capables d’élever leur niveau de compétitivité. Marx et Engels dans leur étude de la société bourgeoise ont révélé qu’elle se caractérise par la concurrence très féroce entre acteurs économiques et sociaux et l’exigence de « révolution » continue des « des instruments de production » pour le relever le défi de la compétitivité. (K. Marx et F. Engels, 1963, p. 164).
Pour rester compétitives, les entreprises tablent sur des ressources humaines plus créatives et inventives. Ainsi, les étudiants qui font preuve de créativité et d’inventivité ont le vent en poupe dans le recrutement des entreprises. La pédagogie coopérative, de ce point de vue, doit intégrer davantage nos pratiques pédagogiques universitaires. Mais à cela devra s’ajouter une réinvention de la philosophie d’orientation scolaire et professionnelle.
3.2. Réinvention de la philosophie d’orientation scolaire et professionnelle
L’orientation scolaire et professionnelle est un service qui consiste à orienter un élève ou un étudiant dans les différentes filières. Dans ces dernières ce dernier pourrait s’insérer en conformité avec ses parcours scolaire antérieur, de ses intérêts et de sa personnalité grâce aux tests psychométriques et projectifs ainsi que des questionnaires d’intérêts. L’orientation vise le mieux-être personnel et professionnel en mobilisant le potentiel des personnes en les aidant à prendre leur place dans l’organisation sociale et économique. Une bonne orientation est le premier facteur de réussite et d’insertion professionnelle des étudiants. L’orientation précède la formation et conditionne son succès et sa transformation en emploi. Le processus d’orientation des bacheliers doit alors faire l’objet de réflexions sans cesse renouvelées. Cela permet de peaufiner les outils d’orientation des étudiants et de favoriser leur insertion socio-professionnelle. Or à l’état actuel des processus d’orientation des bacheliers, l’on note l’opacité et les incohérences des plates-formes d’orientation scolaire et professionnelle.
Même s’il existe des logiciels d’aide à l’orientation qui aident les étudiants aux choix raisonnés et objectifs des filières, force est de constater que la politique de l’orientation post-secondaire en Afrique est encore à la traîne. Elle se déploie autour des mécanismes d’orientation quasi-autoritaires et closes des commissions nationales d’orientation qui n’ont pas la possibilité d’interagir convenablement avec les bacheliers. Ce qui constitue une grave menace pour l’employabilité des diplômés des universités africaines.
Du reste, la présente réflexion donne de repenser les politiques africaines d’orientation par une nouvelle philosophie d’orientation. Cette nouvelle philosophie d’orientation, loin de rejeter les avancées des recherches psychométriques en matière d’orientation, part du présupposé philosophique de Platon que chaque âme, avant de se réincarner, a choisi librement son destin. Dans le mythe d’Er tiré du livre X de la République, Platon évoque un homme, Er, fils d’Arménios, originaire de Pamphylie. Il meurt au combat mais revient à la vie et raconte ce qu’il a vu : les âmes, après la mort, connaissent souffrance ou récompense, mais après une période de mille ans, elles sont invitées par les dieux à choisir le type de vie qu’elles voudraient mener, avant leur réincarnation. A travers ce mythe, Platon questionne le libre choix de destin laissé à l’âme, tout en mettant en relief, la responsabilité originelle du choix de vie des âmes. Cependant ces choix deviennent un destin implacable pour elles. Il faut en déduire que la découverte de ce destin choisi permet la connaissance de soi et une meilleure orientation de son existence. La réminiscence est ainsi nécessaire à cette connaissance de soi.
Du latin « reminisci » qui signifie rappeler à son souvenir et du grec « anamnesis », signifiant ressouvenir, la réminiscence est un des thèmes centraux de la philosophie de Platon. Il désigne le souvenir d’un état antérieur où l’âme possédait une vue directe des Idées et d’elle-même. La théorie de la réminiscence implique ainsi celle de la transmigration et de l’immortalité des âmes et de la maïeutique. Platon développe celle-ci dans le Menon où un esclave ignorant redécouvre la solution d’un problème géométrique, parce que, selon Socrate, il l’a connue dans une vie antérieure.
Nous notons, à partir de là, la place indispensable de la maïeutique dans la politique d’orientation des étudiants qui ne doit plus s’inscrire dans l’orientation close. Cela suppose une relation très personnelle avec l’étudiant. D’où l’invitation à créer des cellules d’orientation permanentes. Dans ces cellules, on devra par la maïeutique, amener l’étudiant à se découvrir et à découvrir sa destinée professionnelle. Ce qui pourrait donner lieu à de nouvelles décisions d’orientation, s’il était établi que l’étudiant n’a pas été initialement orienté dans la filière de sa destinée.
Conclusion
Le chômage en Afrique est la résultante de plusieurs variables à savoir la colonisation, décolonisation manquée, l’absence de pouvoir effectif des Etats africains sur leurs politiques économiques et sociales, le poids démographique des jeunes, l’étroitesse des marchés nationaux, aussi bien en termes d’économique que d’emploi. La philosophie est sensible à tous ces facteurs rendant difficile l’équation formation-emploi dont la résolution ne doit pas être le seul fait de l’université. Cependant, celle-ci doit être le fer de lance de l’employabilité des étudiants. Les universités doivent être ainsi les pôles qui favorisent la résilience, l’inventivité continue et la libération de l’énergie créatrice de la jeunesse estudiantine afin de lui garantir les meilleures chances d’insertion socio-professionnelle. Après avoir libéré les énergies syndicales et politiques des étudiants dans les années quatre-vingt-dix, l’heure est venue de libérer leurs énergies économiques et créatrices d’emplois.
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Oi Kacou Vincent Davy KACOU
Université Catholique d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire)
Résumé :
L’intégration sociale et professionnelle des jeunes diplômés, issus des universités se pose aujourd’hui avec acuité. Une réflexion sur la question laisse poindre deux facteurs fondamentaux parmi tant d’autres qui seraient à la base des problèmes d’insertion socio-professionnelle des jeunes. Il s’agit de la démographie et l’inadéquation entre la formation et le marché de l’emploi. De toute évidence, l’Université est mise à l’épreuve par la forte démographie ainsi que la formation théorique qui y est dispensée. S’inscrivant dans l’axe formation et employabilité des étudiants, la présente communication entend inviter à un nouveau procédé paradigmatique dans la transmission de l’enseignement et propose de nouvelles formalités en vue de stages en entreprise.
Mots clés : Contrat social, réforme, révolution, Université.
Abstract:
The social and professional integration of young university graduates is a pressing issue today. A reflection on the question reveals two fundamental factors among many others that are at the root of the problems of socio-professional integration of young people. These are demography and the mismatch between training and the labour market. Clearly, the university is being challenged by the high demographics and the theoretical training provided. In the context of training and employability of students, this paper intends to invite a new paradigmatic process in the transmission of education and proposes new formalities for internships in enterprises.
Keywords : Social contract, reform, revolution, University.
Introduction
L’Université, est un cadre intellectuel et un tournant décisif pour toute personne suivant un cursus d’étude classique. Elle est une sorte de fabrique de futurs citoyens censés être les responsables du développement de la société. On peut aisément déduire que dans sa mission première, elle objecte une réalisation de la personne qu’est l’étudiant ou l’étudiante, mais aussi de l’enseignant. Toutefois, le système universitaire n’est pas toujours parfait. Il est en Afrique, le théâtre de faits peu reluisants et indignespour le temple du savoir. Face à cette situation, ses administrés demandent un renouvellement de ses structures et de son mode de fonctionnement qui doit nécessairement évoluer suivant deux tendances : la tendance des réformistes et celle des révolutionnaires. Fort de cela, la question est de savoir quelle est la meilleure perspective que l’Université doit adopter en vue de relever son niveau de fonctionnement ?
C’est en ce sens que nous avons recours au philosophe français, Paul Ricœur, en reprenant à nouveaux frais, son article intitulé «Réforme et révolution dans l’Université »[57], écrit en 1968. Il y traite le problème du système universitaire. Mais avant cet article, il a mené une enquête sur les Universités, leur viabilité, leur administration et leur obligation envers les groupes sociaux, qui fut publié en 1964 sous le titre « Faire l’université », dans lequel il montre que l’université est essentiellement confrontée à la fois au défi démographique et à l’obligation constante de faire coïncider rationalité et efficacité. Chaque année des effectifs pléthoriques sont déversés à l’université, destinés à constituer une bonne partie des élites. Cependant, l’université leur offre-t-elle les meilleurs enseignants et enseignements possibles ?
D’ores et déjà, il faut faire remarquer que les critiques faites à l’Université, aujourd’hui, laissent entrevoir la nécessité d’une profonde réforme de cette structure académique et pédagogique responsable de la formation des jeunes étudiants qui doivent constituer l’élite intellectuelle dans différents États. Pour une meilleure appréhension de cette question, l’article va s’appuyer sur l’œuvre « Réforme et révolution dans l’Université » de Paul Ricœur. Dans cette œuvre, l’auteur propose une conciliation de deux tendances, à savoir la tendance réformiste et la tendance révolutionnaire. Cette perspective, selon Paul Ricœur, donne à l’Université un caractère malléable qui s’adapte de toutes formes d’actualisations. Dès lors, les maquettes pédagogiques contribuent-elles à l’insertion des étudiants qui sont formés à l’université dans le monde du travail ? Quelle offre de formation faut-il proposer aux diplômés de l’Université pour qu’ils soient compétitifs sur le marché de l’emploi ?
À l’aide de la méthode analytique, nous tentons, dans un premier axe de notre cheminement, de rendre compte de la pensée de Paul Ricœur concernant la réforme et la révolution dans l’Université, ensuite, dans un second axe, nous procédons à un état des lieux du milieu universitaire en Afrique et, enfin, dans un troisième axe, nous envisageons des réponses aux préoccupations en vue d’une meilleure employabilité.
1. L’administration universitaire
Dès le début de son discours, Ricœur explique clairement la complexité du projet de la réforme universitaire. Il compare ce projet à une révolution qui poussera l’Occident à rompre avec ses perspectives capitalistes. Le lien du capitalisme à l’Occident paraît si solide malgré tous les maux que ce modèle financier crée aux Occidentaux. Le modèle capitaliste est inscrit dans les esprits humains occidentaux et régit leurs entreprises et leurs rapports humains, depuis les hautes sphères, jusqu’aux hameaux les plus reculés. C’est cette situation qui existe dans les universités, du monde entier (cf. P. Ricœur, 1991, p. 382). Dès lors, pour notre auteur, il faudrait procéder à une « dégaoutique» (R. L. Boa-Thiémélé, 2020, p. 131) du système universitaire. Cette dégaoutique, tant colossale soit-elle, doit commencer par la relation d’enseignement.
1.1. La relation d’enseignement
Parler de la relation d’enseignement, c’est évoquer la relation d’enseignant-enseigné. La relation enseignant-enseigné est contenue dans la relation d’enseignement, c’est le rapport qui existe entre le professeur et l’étudiant. Ce rapport est dans son application vicié. Il est devenu essentiellement un rapport de domination. Cette situation est due au mode même d’administration de l’université. Les enseignants, en effet, ne sont pas véritablement associés à la gestion de l’Université. Une telle situation rejaillit évidemment sur les étudiants qui la subissent de leurs enseignants. C’est une gouvernance qu’on pourrait qualifier de descendante. Ricœur préconise alors une reconstruction de cette relation en la rendant ascendante. Il affirme à cet effet (1991, p. 382-383) ceci :
Le premier acte de la présente révolution consiste en un renversement de méthode: dans l’Université napoléonienne ( et ajoutons-le, dans le régime gaulliste, lequel se dédouane aujourd’hui trop facilement en critiquant les structures sclérosées de l’Université, alors qu’il a exercé dans tous les pouvoirs sur le même modèle de l’autorité descendante), la décision appartenait d’abord à l’administration centrale, dont les pouvoirs étaient exercés sans véritable participation des unités d’enseignement ( universités, facultés et instituts divers) et sans consultation du corps enseignant place sous sa juridiction; à leur tour, les professeurs constituaient une oligarchie cooptée, qui gouvernait sans partage les départements en ce qui concerne le cours des études, la forme et le contenu de l’enseignement, la collation des grades; les assistants; les assistants étaient choisis par les professeurs seuls et ne partageaient qu’un petit nombre de précédentes prérogatives ; enfin, les étudiants, placés au bas de la hiérarchie descendante, ne participaient à la décision à aucun de ces niveaux. (…) Le renversement de méthode consiste aujourd’hui – dans l’Université et sans doute ailleurs – à substituer au gouvernement de haut en bas la reconstruction de bas en haut, par une sorte de méthode fédérative de proche en proche. Voilà pourquoi, il faut partir de la relation d’enseignement, c’est-à-dire du rapport de l’enseignant à l’enseigné : toute institution universitaire est, en dernière analyse la mise en forme de cette relation.
De cette observation de Paul Ricœur, il en découle que toute l’administration de l’Université a besoin d’être revisitée. Il convient alors de rendre le gouvernement universitaire participatif. Ainsi, cela devra passer par les rapports entre les étudiants et leurs enseignants. Ricœur (1991, p. 374) renchérit cette idée en montrant qu’« il est important de faire participer les étudiants à la vie de la faculté, à la fois sur le plan institutionnel et sur le plan intellectuel. » Malheureusement cette perception des choses s’avère une entreprise ardue, car l’étudiant n’a pas de voix au chapitre. Certes, cela serait acceptable si ce n’était qu’à propos des diplômes, mais, cette conception veut aller jusqu’à l’amenuisement de l’humanité de l’étudiant par rapport à son enseignant. Pourtant, ce n’est pas le cas. Même si l’étudiant vient apprendre et qu’il doit se soumettre au professeur, il vient avec une histoire, son petit baluchon de connaissances acquises et une éducation. Dès lors, il a quelque chose à apporter à l’enseignant, quel que soit son grade.
De ce fait, une relation dialogique doit être cultivée et entretenue entre les enseignants et les enseignés. En effet, la forme d’existence la plus authentique réside dans la relation. À l’évidence, la réalisation authentique de l’homme consiste en la relation, à être en relation. C’est par la relation que l’homme se réalise pleinement. L’homme doit vivre pleinement sa condition relationnelle et réaliser sa condition personnelle. Le désir par excellence pour l’homme est la vie pleine de sa condition relationnelle. (F. Jacques, 1982, p. 81). La relation est condition de possibilité de la personne. L’homme est ontologiquement un être de relation. Selon Ricœur, les espaces dialogiques d’interlocution entre enseignants et enseignés sont pléthores : « discussion des programmes, organisation des cours et des travaux pratiques, confection des polycopiés, insertion du travail des « groupes de travail universitaires » dans la trame du cours, organisation de séances-débats intercalées périodiquement dans le cours magistral, etc. » (1991, p. 374). C’est dans cette dynamique dialogique et participative que doit s’inscrire la relation éducative, sans toutefois, tomber dans les chimères de la « cogestion ». Nouer et promouvoir un dialogue avec les étudiants ne leur donne pas le droit de surplomber leurs maîtres.
La relation d’enseignants à enseignés doit être un rapport de réciprocité asymétrique et de responsabilité symétrique. Même s’il y a relation dialogique entre le maître et l’élève, le maître demeure toujours le maître, non pas dans un esprit de surestimation, mais de collaboration. Dans ce sillage Beatrice Afiavi Agbo (2019, p. 14) laisse entendre ceci: « Les jeunes, en l’occurrence les étudiants ont à leur actif la spontanéité et l’imagination créatrice. Le maître, ici, l’enseignant-chercheur, n’est pas le détenteur de quelque vérité absolue. Il innove et conduit à l’innovation, à la création d’un monde nouveau. » La connaissance étant à tous les stades de la vie, l’étudiant ne doit donc pas être exempté du privilège de communiquer un savoir si minime, soit-il.
Ricœur soutient son point de vue en ajoutant qu’en plus de ses acquis, l’étudiant a aussi son projet d’accomplissement personnel. En effet, ce projet ne se réalise pas entièrement dans l’enseignement. L’enseignement n’y joue qu’une part et est une sorte de préparation (Cf. P. Ricœur, 1991, p. 383). L’enseignement existe sur la base d’une réciprocité relationnelle entre apprenant et formateur, chacun ayant le désir de réaliser «sa légende personnelle » (P. Coelho, 1994, p. 35). En d’autres termes, ce serait donc un rapport réciproque profitant aux deux parties prenantes. Et la révolution culturelle universitaire tant attendue tire toute sa force de ce principe d’abolition de la domination professorale.
1.2. La possible dérive de la relation d’enseignement
La relation d’enseignement pourrait être détournée de son objectif en prenant la forme d’une domination de classes. Celle-ci, bien que subtile, est à mesure de polluer la relation d’enseignement. Elle est un tremplin pour la domination pédagogique (Cf. P. Ricœur, 1991, p. 384). Et la conséquence la plus grave est que cette dérive servirait même jusque dans le domaine politique.
On pourrait penser faussement que la révolution culturelle universitaire consisterait dans une utopie, comme l’appelle Ricœur. Cette utopie soutient que l’enseignement ne relèverait que de l’étudiant et de sa propre initiative. Celui-ci serait le point focal d’une soi-disant relation d’enseignement, où le professeur est réduit à un simple support didactique, comme on consulte un livre ou autre support de connaissance. Le système serait géré par les étudiants qui feraient appel aux enseignants, et en useraient à leur guise.
Ce système paraît salutaire pour les étudiants, car il défend, non seulement, une sorte de suprématie de l’étudiant, mais aussi, traite d’une vérité essentielle qui est que l’enseignement est fait pour les étudiants. Cependant, il n’est qu’une auto-justice. Autrement dit, un modèle inverse du modèle de domination pédagogique ou professorale que nous tentons de combattre. En effet, l’enseignant ne peut être réduit à une fonction de support didactique. Parler de la relation d’enseignement, c’est rappeler qu’elle exige un apport des deux protagonistes, un respect de chacun dans sa différence. Pour montrer l’insuffisance de cette utopie, il est nécessaire de rappeler que l’enseignant, à son tour, a son projet d’accomplissement personnel. Dès lors, la limite de l’auto-enseignement est aussi évidente que celle de la domination pédagogique.
2. L’université à l’épreuve des maux
2.1. Les distorsions dans le système universitaire
Les maux qui minent le système universitaire africain sont nombreux. En dresser une liste exhaustive reviendrait à effectuer de minutieuses casuistiques. Cependant, il existe des maux généraux qui n’épargnent personne, depuis les dirigeants éducatifsjusqu’aux plus jeunes apprenants en passant par leurs encadreurs.
En premier lieu, il y a la corruption qui est une gangrène pour toute la structure éducative. La période des examens du BAC est une période pour les enseignants corrompus de gonfler leurs avoirs. Ils proposent des corrigés d’épreuves aux candidats. Les surveillants, quant à eux, imposent à toute une classe d’examen une somme minimale à la bourse de l’ensemble des élèves. Très souvent, ces corrigés sont truffés d’erreurs. Et les élèves les plus paresseux ou les candidats libres dont l’avenir dépend souvent de l’issue de cet examen s’y adonnent. Ensuite, pourrions-nous évoquer dans le milieu universitaire les effectifs pléthoriques. Par exemple, pour l’année académique 2016-2017, dans une université publique de Côte d’Ivoire, les étudiants inscrits en première année étaient environ 2000 pour un seul amphithéâtre. Comment serait-il possible pour ces futurs juristes d’assurer l’avenir judiciaire du pays dans de telles conditions ?
En outre, les universités africaines sont des lieux de bafouement de la dignité et des droits de la personne humaine. En effet, à l’université, est-il courant de constater le marchandage des notes pour la validation des Unités d’Enseignement (U.E). Les filles sont les plus en proie à ce fléau. Elles sont très souvent harcelées par des enseignants qui veulent abuser d’elles. N’oublions pas cependant que celles-ci prêtent aussi le flanc à quelques occasions. Il s’agit des plus paresseuses. Cela sous-entend que l’espace de l’enseignement universitaire est « un terreau bien fertile pour la possession ou la repossession des jeunes filles » (S. Diakité, 2016, p. 44) Dans le jargon universitaire, parlerons-nous de Moyennes Sexuellement Transmissibles. Enfin, nous ne pourrions conclure cette diatribe sans évoquer les violences en milieu universitaire. Ce sont des grèves à répétition, des enseignants qui sont violentés, des élèves studieux, ne voulant se laisser aller à cette forme de violence subissent le même traitement. À cela, il faut ajouter le cas des élèves et étudiants qui réclament des congés à outrance. Avec Ricœur, nous nous accordons pour accuser en premier le système administratif universitaire, avec sa gouvernance descendante presque répressive.
2.2. La forme de l’enseignement
De profondes réformes affectent les systèmes d’enseignement supérieur sur le continent africain depuis plusieurs années. Les étudiants, les enseignants, les personnels administratifs, les ministères en charge du secteur, les Etats, les organisations régionales et internationales, les entrepreneurs privés et les collectivités locales constituent à la fois des acteurs et des témoins de toutes diverses mutations. Dans ce sillage, les enseignants participent à de nombreux ateliers chargés de transcrire leur maquette de formation au format LMD (Licence Master Doctorat).
On assiste à la création d’Universités virtuelles incluant des espaces numériques ouverts répartis sur les territoires nationaux. Ces politiques entendent répondre à l’augmentation de la demande d’enseignement qui passe par une meilleure efficacité du système qui exige la mise en place d’un maillage territorial plus resserré. Tout ceci doit conduire à un aménagement du territoire, à une intégration des zones périphériques, voire à un rapprochement des lieux de formation avec de potentiels bassins d’emplois. L’enseignement supérieur fait face à une forte pression. Il lui est demandé, au-delà de ses missions d’enseignement, de former des diplômés qui s’inséreront effectivement et efficacement dans le marché du travail. Les étudiants à la sortie de l’université intègrent généralement la fonction publique.
3. Perspectives pour une meilleure employabilité
L’enseignement supérieur est en difficulté et nécessite l’intervention de différentes parties prenantes des gouvernements nationaux et des partenaires de développement pour permettre aux étudiants de développer leurs acquis et apporter une contribution efficace sur le marché du travail. Pour ce faire, nous proposons quelques solutions pour la réforme du contenu de l’enseignement universitaire.
3.1. Le contenu de l’enseignement
Pour un meilleur contenu de l’enseignement supérieur, il faut un renforcement des capacités des personnels enseignants. Aussi, il faut penser à une augmentation qualitative des conditions et des structures de recherche (équipement informatique, abonnements à des revues scientifiques et techniques, etc.). Il faut également insister sur l’amélioration qualitative des personnels de gestion et d’administrations universitaires. Il en va de même pour
Aussi, il convient d’aider les gouvernements à une meilleure planification des bourses qu’ils octroient aux étudiants. Les bourses d’études à l’étranger doivent tenir compte des besoins des États. Il faudrait renforcer la capacité des universités en leur permettant de communiquer entre elles, que ce soit par la promotion d’activités conjointes, par des échanges de personnels enseignants ou d’étudiants, par la participation à des projets de recherche communs.
3.2. L’organisation fonctionnelle
La relation d’enseignement nous sert de paradigme pour trouver des solutions en vue d’une meilleure employabilité. D’emblée, il faudrait repenser les relations entre les étudiants et leurs enseignants. Ces derniers ne doivent pas s’ériger en maîtres absolus sur leurs apprenants. Il est nécessaire qu’il existe une relation de proximité entre les étudiants et leurs enseignants.
Par ailleurs, l’éducation ne doit pas être considérée comme un lieu d’enrichissement. L’enseignement est une vocation, un sacerdoce. Une personne qui voudrait s’engager dans ce secteur doit être mue par une perspective d’inter-humanité. En effet, par l’inter-humanité, l’homme apprend à forger son humanité par une écoute de soi et de l’autre que soi. L’Université doit être le lieu de réalisation de tout l’humain. Le milieu du savoir ne doit pas encourager la déshumanisation, mais au contraire le respect de l’autre dans sa différence. Une égalité entre les cultures et entre les sexes doit être de rigueur. Ce serait au moins un début pour assurer une égalité de chances de réussiteentre les différents étudiants.
La situation des étudiants en Afrique est très souvent précaire. Bon nombre d’étudiants africains proviennent de la masse paupérisée. Ils sont prompts à abandonner les études pour une activité lucrative. Les plus conscients s’adonnent à de nobles métiers. L’État devrait donc penser à une sorte de subventions pouvant les aider à subvenir à leurs besoins quotidiens. Ce qui leur permettra de suivre leurs études sans difficultés majeures. C’est dire avec Agbo (p. 15) qu’
en tant que structure de formation des cadres supérieurs de la nation, l’université, a besoin du soutien de l’État. Celui-ci garantit les moyens financiers et matériels, mais aussi les ressources humaines sans s’immiscer pour autant dans la vie des universités, leur administration et leur fonctionnement. Nous voulons surtout parler ici de l’autonomie des universités, leurs relations avec les autres structures de l’État. L’université, en tant qu’institution, est autonome.
C’est pourquoi, il faut repenser les conditions des étudiants et même celles de leurs enseignants pour une optimisation des capacités intellectuelles des universitaires. Un premier intérêt de la recherche scientifique sur les mutations de l’enseignement supérieur en Afrique consiste à discuter l’objet des réformes mises en œuvre dans le secteur. L’intérêt est, en effet, de porter une attention particulière aux transformations des politiques publiques qui organisent la régulation des systèmes universitaires en insistant d’une part, sur la trajectoire historique de ces réformes et, d’autre part, sur des études de cas comparatives afin de discuter tant les convergences que les divergences de réformes au sein même des pays. Cette approche des réformes de l’enseignement supérieur par comparaison permet de tester les hypothèses de mutations similaires sur le continent, notamment en matière de régulation économique et financière du secteur.
Aussi, les réformes de l’enseignement supérieur doivent répondre aux défis de la régulation des modalités de création des institutions universitaires publiques et privées, de la viabilité économique sur le long terme du secteur ou encore de la restructuration des cycles et des offres de formation. On observe des mécanismes d’uniformisation des systèmes universitaires africains au niveau des politiques publiques ayant structuré le secteur depuis les Indépendances. Il convient d’insister sur le rôle des acteurs qui ont participé au processus d’élaboration des politiques publiques ou qui ont été concernés par ces mutations de l’enseignement supérieur. Il nous apparaît désormais important de tester de nouvelles grilles de lecture pour appréhender ces réformes.
La diversification de l’offre d’enseignement supérieur constitue un des phénomènes les plus spectaculaires qui affecte ce secteur. Ses manifestations physiques se donnent à voir dans la plupart des métropoles africaines où se multiplient des établissements universitaires de toute taille et de toute nature. Ces établissements tout comme l’université doivent mettre en place un mécanisme de régulation entre la formation théorique et la pratique. Cela suppose la création d’un enseignement technique à l’Université, dans chaque filière de formation, pour que comme le souligne Ricœur des « passerelles puissent être aménagées, à divers niveaux et dans les deux sens, entre l’enseignement théorique et l’enseignement technique. » (1991, p. 370). Des stages périodiques, également, sont à insérer dans la maquette pédagogique pour aider les étudiants à s’imprégner des réalités professionnelles avant la fin de leurs cursus.
La formation doit associer connaissance et compétence. L’enseignement universitaire ne doit pas être que théorique. Il doit allier théorie et praxis. En effet, « (…) il nous faut un enseignement supérieur de masse préparant les jeunes depuis 18 ans à leur métier. » (P. Ricœur, 1991, p. 371). Et pour cela, Paul Ricœur prône la diversification des « prestations de l’enseignement supérieur. » (Idem).
La tâche qui incombe à l’Université est de penser à de nouvelles perspectives de formation théorico-pratique. Elle doit former les cadres en vue de la grande santé de la nation. En d’autres termes, sa mission est de créer des diplômés qualifiés, de fabriquer, au sens plénier du terme, des citoyens capables de s’intégrer dans tous les secteurs de l’emploi, de fournir à la nation des travailleurs compétents, capables de construire la nation. Irrémédiablement l’adoption de nouvelles politiques éducatives s’impose. L’Université doit former des cadres compétents, responsables et consciencieux dans tous les secteurs d’activités. En tout état de cause, elle a la lourde responsabilité de former à une véritable renaissance africaine, comme le souligne si bien C. M. Phemba (2015, p. 71-72) :
Il est peut-être grand temps que les États africains favorisent des actions de formations pour permettre la vulgarisation des connaissances dont les Africains ont besoin (…) Il est clair que dans un contexte de construction et de développement, penser les politiques éducatives doit intégrer la dimension de la recherche scientifique. Pour cela, la formation technique qui est quasi inexistante en Afrique, a besoin d’être améliorée.
La renaissance africaine passera par la formation des futurs cadres par l’Université. À ce titre, elle doit être inventive, novatrice et surtout éduquer à la confiance en soi, car « c’est avec un peuple qui a confiance en lui-même et qui relève le défi du développement que nous pourrons construire l’Afrique éternelle et moderne. » (R. L. Boa Thiémélé, 2007, p. 182). En ce sens, l’Université doit tenir compte des réalités nationales dans ses maquettes pédagogiques plutôt que de reproduire des modèles occidentaux ou américains qui n’ont parfois pas d’encrage dans la réalité existentielle. Il ne doit pas avoir de dichotomie entre la théorie et la pratique, mais plutôt une discontinuité-continue. La réforme et la révolution dans l’université sous-entend qu’il faut rompre avec la répétition. C. M. Phemba (2015, p. 69) relève si bien cela en ces termes :
Certains diplômés d’Afrique (bacheliers, universitaires et docteurs en différents domaines) sont devenus des répétiteurs des connaissances acquises dans différents milieux. Ils véhiculent, malheureusement et bien souvent d’ailleurs, des réflexions qui n’apportent aucune innovation sociale, ni scientifique car les théories qui les fondent ont été développées sous d’autres cieux pour des applications contextuelles bien précises.
Il appert qu’en Afrique, l’Université a l’obligation de contextualiser la formation pour une meilleure employabilité. Il s’agit alors d’opérer une rupture épistémologique d’avec les anciennes méthodes, afin de permettre aux diplômés d’être plus compétitifs sur le marché de l’emploi. Ainsi, nous devons passer d’une université mimétique à une université engagée et engageante. L’Afrique gagnerait à travailler davantage dans le sens de la fidélité à ses racines, d’une analyse objective de ses problèmes, en cherchant des méthodes propres à elle pour les résoudre. Nous en voulons pour preuve les propos suivants de L. S. Senghor (2014, p. 79) :
Aucune technique, écrit-il encore, aucune théorie, aucun « modèle » ne vaut que repenser par nous et pour nous. Rien ne peut nous apporter un concours efficace qu’en s’intégrant dans nos structures culturelles, sans les détruire, l’indépendance, c’est-à-dire le développement autonome est à ce prix.
On ne saurait clore cette réflexion sur la réforme et la révolution dans l’Université sans inviter les gouvernants africains à un bon traitement des enseignants. Ces derniers sont des acteurs incontournables dans le développement des États. L’Université a énormément besoin du soutien de l’État. Celui-ci doit mettre à la disposition des enseignants des moyens financiers, didactiques, structurels, matériels et aussi des ressources humaines pour former au mieux l’élite compétitive. C’est dire que la gestion administrative et financière est indubitablement l’affaire de l’État, même si l’idéal serait que l’Université soit autonome à part entière. Toutefois, il serait judicieux de séparer la dimension académique et pédagogique de la dimension administrative des Universités. Ainsi les réformes pédagogiques et académiques devraient uniquement être introduites dans les Universités par les enseignants eux-mêmes.
Conclusion
Au terme de notre analyse sur la réforme et la révolution dans l’Université, il convient de souligner que Paul Ricœur met un accent particulier sur le système universitaire. Il souligne également la nécessité et l’importance de la relation d’enseignement. Cela sous-entend une relation dialogique entre les enseignants et les enseignés. Les enseignants doivent encourager et valoriser la formation technique et l’esprit entrepreneurial. Ainsi, les enseignements ne doivent pas être que théoriques, mais aussi pratiques.
Aussi, les enseignants s’ouvriront entre eux dans la mesure du possible et s’entraideront mutuellement au sein des universités allant des facultés, départements et filières d’enseignement. Cela facilitera la transmission du savoir des plus anciens professeurs aux plus jeunes enseignants. Les anciens professeurs feront bénéficier leurs riches expériences et compétences aux plus jeunes. Ainsi, la relève de nos universités africaines sera assurée.
Il est donc impérieux d’instaurer un climat de dialogue et de confiance entre les professeurs expérimentés (Maîtres de conférences et Professeurs titulaires) et les plus jeunes enseignants (Assistants et Maîtres-Assistants). Cela permettra une bonne collaboration afin que la chaîne de transmission du savoir générationnel soit respectée. Cette franche collaboration au sein du corps enseignant doit être débarrassée des intérêts d’ordre politique idéologique etc. En outre, il faudrait développer et intensifier la politique de communication afin de donner plus de visibilité aux expériences que vivent les enseignants. C’est ce que Ivan Illich (1971, p. 370) exprime à travers ces propos :
À la recherche qui ne vise en fait à découvrir que de nouvelles méthodes de « gavage », il faut opposer une autre recherche qui entreprenne de concevoir de véritables « réseaux de communications » à dessein éducatif, par lesquels seront accrues les chances de chacun de faire de chaque moment de son existence une occasion de s’instruire, de partager, de s’entraider.
Il est alors nécessaire pour nos universités africaines de mener une réforme, qui revaloriserait la culture du travail, le professionnalisme et l’intellectualisme africain en vue d’une meilleure employabilité. À cet effet, les maquettes pédagogiques doivent cesser d’être des copies conformes de celles de l’Occident ou d’ailleurs. Au contraire, elles doivent tenir compte des réalités de chaque État eu égard au marché de l’emploi. La formation doit également tenir compte des offres d’emploi. Il s’agit d’intégrer dans la formation les critères et problématiques sous-jacents au marché de l’emploi. Il appartient donc aux décideurs africains de faire le choix historique de réaliser la réforme de l’enseignement supérieur tel que l’exige le concept de développement durable. L’histoire récente de certains pays d’Asie doit nous enseigner une belle leçon d’engagement, de persévérance, de confiance et d’espoir pour que nos lendemains enchanteurs cessent enfin d’être des chimères.
Références bibliographiques
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SENGHOR Léopold Sédar, 2014, Education et culture, Textes réunis par A. Raphaël Ndiaye et Doudou Joseph Ndiaye, Dakar, Présence Africaine, 369 p.
Sambou DIABY
Université de Bordeaux (France)
Résumé :
Inscrit dans le champ la sociologique de l’action, cet article accorde une importance aux actions impliquant non seulement le dysfonctionnement institutionnel mais aussi mettant en cause l’efficacité externe du système de formation universitaire. Il entend articuler la crise de l’université et l’employabilité des diplômés dans des logiques et dynamiques structurelles et institutionnelles conduisant aux déséquilibres entre les offres de formations universitaires et le marché de l’emploi au Mali. L’application d’une méthodologie mixte associant questionnaires et entretiens semi-directifs montre l’existence de dynamiques contradictoires alimentées par des positionnements historico-politiques, économiques et pédagogiques qui, non seulement maintiennent les universités maliennes en situation de crise mais participent aussi à son renouvellement continuel.
Mots clés : Crise universitaire, Employabilité, Formation universitaire, Insertion professionnelle, Réseau relationnel, Sociologie de l’action.
Abstract:
This article is based on the sociology of action and focuses on actions involving not only institutional dysfunction but also the external efficiency of the university training system. It intends to articulate the crisis of the university and the employability of graduates in structural and institutional logics and dynamics leading to imbalances between university training offers and the labor market in Mali. The application of a mixed methodology combining questionnaires and semi-structured interviews shows the existence of contradictory dynamics fueled by historical, political, economic, and pedagogical positions that not only keep Malian universities in a crisis but also contribute to their continuous renewal.
Keywords : Employability, Professional insertion, Relational network, Sociology of action, University crisis, University training.
Introduction
L’abondance de la littérature scientifique sur la question de la crise de l’université en Afrique, depuis des décennies, prouve qu’elle est universelle. Définir cette crise reviendrait à s’affranchir des conceptions génériques de rupture d’une normalité ou d’une stabilité vers une désintégration systémique. La crise de l’université apparaît alors comme une situation permanente empêchant le fonctionnement optimal et entravant les dynamiques socio-politiques, économiques et pédagogiques inhérentes à une efficacité interne et externe du système de formation. Pourtant, il a été constaté depuis des décennies que les diplômés en SHS au Mali s’insèrent difficilement sur le marché du travail. Il est même d’expression courante que l’enseignement supérieur du Mali est réputé pour former des diplômés sans emploi. Cette représentation est appuyée par le rapport de l’Observatoire National de l’Emploi et de la Formation qui décrit une situation où le taux de chômage augmente avec la diplomation (ONEF, 2017).
Ainsi, l’objet de cet article n’est pas de discuter l’efficacité externe des formations par l’insertion professionnelle mais de partir des logiques et dynamiques socio-politiques et pédagogiques pour comprendre la permanence de la crise de l’université. Les résultats de notre enquête présentés dans cet article, sont issus d’un corpus de quarante-quatre entretiens semi-directifs avec les autorités politiques, administratives, enseignants-chercheurs et étudiants réalisés entre mars 2019 et mars 2021 dans le cadre de la préparation de notre thèse de doctorat. Ces entretiens ont été complétés et articulés avec un questionnaire adressé aux bacheliers et diplômés. Nous sommes partis de l’idée selon laquelle la crise de l’université en Afrique tire sa source des crises antécédentes occasionnées par la colonisation afin d’expliciter les contextes d’émergence et les dynamiques socio-politiques et pédagogiques qui structurent l’enseignement supérieur au Mali.
Cet article s’intéresse à la crise universitaire en interrogeant plus spécifiquement son impact sur l’insertion des diplômés dans le tissu social. Il s’inscrit donc dans une perspective de compréhension du chômage à partir d’une lecture non seulement historique de l’université mais aussi les dynamiques socio-politiques et pédagogiques qui structurent et organisent les offres de formations et l’entrée sur le marché de l’emploi. Dans un premier axe, nous présentons les éléments historiques et contemporains de la crise de l’université. Dans un deuxième axe, nous montrons les difficultés rencontrées par les diplômés dans le choix des offres de formations et la place du réseau relationnel dans l’accès à l’emploi. Dans un troisième axe, nous découvrons que les dynamiques institutionnelles qui devaient faciliter l’insertion professionnelle des diplômées, constituent plutôt des écueils à cette insertion.
1. Crise de l’université en Afrique
L’analyse de la crise de l’université en Afrique ne peut avoir de sens que lorsque l’on interroge d’un côté le rapport de force qui a existé entre les locaux et les colons et de l’autre côté, le rapport aux savoirs importés de ces derniers. Cette mise en perspective conduit à situer la place de l’histoire coloniale dans la pérennisation des situations dysfonctionnelles de nos universités en Afrique.
1.1. Les antécédents à la crise de l’université
La crise semble être plus aiguë en Afrique du fait des dysfonctionnements flagrants des universités et particulièrement celles du Mali qui sont traversées par des problématiques politiques, structurelles, administratives et pédagogiques. A priori, la crise de l’université est bien plus ancienne que l’on peut croire en contexte africain et malien. On découvre alors quatre temps relatifs à des situations de crise scolaire et universitaire. Dans un premier temps, elle a donc existé bien avant la généralisation de l’université en Afrique à travers le rejet massif de l’école des « blancs ». C’est le temps de la colonisation. Face à la volonté d’assimilation des peuples africains par le colon, le seul mécanisme de défense des pays colonisés était alors le refoulement. Ce refoulement du point de vue freudien, s’appuyait sur l’idée d’une école qui serait un moyen de détournement de nos cultures, de nos traditions originelles et de nos savoirs ancestraux. Comme S. Guth (1990, p. 71), pouvait l’écrire :
L’école altère toutes les identités antérieures, dévalorise certains savoirs ancestraux, nie les aspects extérieurs des identités, lie les classes traditionnelles d’initiation au calendrier scolaire. En d’autres termes, la généralisation de l’école a entraîné la société dans son mouvement, lui a imprimé son temps, son rythme, ses saisons, lui a imposé son paysage.
De fait, l’école et plus tard l’université en Afrique ont constitué les premiers véhicules de l’identification sociale. Elles devenaient ainsi, au XXe siècle, les héritières de cette considération non seulement idéologique mais également factuelle car les dysfonctionnements institutionnels, qui y sont observés, résultent des années de relégation de l’école. Pour cause, celle-ci a d’abord été sélective, posant ainsi les bases d’une inégalité sociale construite autour d’une minorité d’élèves recrutés en son temps dans les élites antérieures à l’arrivée des colons. Ainsi pour V. Isambert-Jamati, ceux qui avaient été formés devenaient sous des formes diverses des auxiliaires de la colonisation (1980, p. 3). Cette sélection du public scolaire, avant les années 60, a conduit les États africains dans une situation de main d’œuvre déficitaire. Dans un second temps post indépendant, pour remédier à cette insuffisance, les autorités politiques d’alors ont entrepris des recrutements massifs d’écoliers. Malgré tout, elles restaient attachées à leur volonté de rompre avec le système colonial en y apportant une particularité africaine. Pour preuve, l’un des objectifs de la réforme de 1962 du Mali illustre bien cette volonté de fournir « un enseignement dont le contenu sera basé non seulement sur les valeurs spécifiquement africaines et maliennes mais aussi sur les valeurs universelles » S. Loua (2012, p. 118). Dans cette optique la crise de l’université prend une forme « identitaire » dans laquelle l’objectivité des réponses institutionnelles apportées reste douteuse. À ce propos, H. Arendt (1972, p. 225) affirmait qu’une
crise ne devient catastrophique que si nous y répondrons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Non seulement, une telle attitude rend la crise plus aiguë mais encore, elle nous fait passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle fournit.
Pour H. Arendt, seule l’expérience de la réalité objective fournit une occasion de réfléchir les objets dans leur singularité en vue d’y apporter des solutions appropriées. Or, c’est peut-être d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle cette crise perdure et mute de régime politique en régime politique, de pays en pays et semble échapper à toute solution. Pourtant, à chaque fois que cela est nécessaire, des fora, des séminaires, des colloques et autres rencontres scientifiques et politiques sont organisés en vue de parvenir à des réformes, des innovations et des propositions concrètes de sortie de crise.
Dans un troisième temps, les programmes d’ajustement structurel des années 80 et 90 ont plongé les pays africains dans une sorte de récession économique et politique impactant lourdement le fonctionnement et la soutenabilité financière des actions publiques. Ainsi, ces pays ont été contraints de mettre à la retraite anticipée des fonctionnaires, de bloquer les salaires des fonctionnaires et de limiter les recrutements dans la fonction publique tout en encourageant la privatisation. Ici, la crise universitaire est d’origine économique et conduit les pays africains dans une dynamique d’affaiblissement. Situation qui, d’année en année accentue la fragilisation des fonctionnements universitaires.
Enfin, à partir des années 90, on assiste à un renouvellement des situations de crise scolaire et universitaire des pays africains majoritairement imputable à une politique de démocratisation et de privatisation des institutions scolaires universitaires. Dès lors, le constat d’une augmentation flagrante de la population scolaire contraste avec les moyens humains, matériels, didactiques, techniques et financiers limités de l’État pour un fonctionnement optimal des structures. Après avoir situé l’apport de l’histoire dans la crise de l’université en Afrique, la nécessité d’aborder les éléments contemporains semble s’imposer en vue de comprendre la pérennité de ladite crise et de son impact sur l’employabilité des diplômés.
1.2. Les éléments contemporains de la crise universitaire
La crise scolaire et universitaire dans le contexte socio-politique et pédagogique malien se traduit par des défaillances chroniques et structurelles. D. Diakité (2000, p. 13) imputait cette chronicité de la crise scolaire à six situations que sont : la non prise en compte des réalités socio-culturelles du pays ; les revendications corporatistes ; les conséquences de l’ajustement structurel ; le laxisme étatique ; les interférences politiques et enfin la démission des parents dans leur rôle d’éducateur. Selon I. S. Traoré (2010, p. 229), « le propre de la crise scolaire est d’être le vecteur de dysfonctions et de dérapages tant au niveau administratif, pédagogique que dans l’interaction, la synergie d’action des acteurs des établissements scolaires ».
Il semblerait alors, d’après les recherches menées par des experts, qu’il y a une forme de constance dans l’appréciation faite de la crise universitaire. Pour illustrer quelques caractéristiques des dysfonctionnements de l’enseignement supérieur du Mali, le rapport 2014 de la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) a constaté, avec autres, un système d’enseignement supérieur et de recherche peu performant et inefficace ; des effectifs d’étudiants pléthoriques par rapport à l’infrastructure d’accueil et d’encadrement ; une inadaptation de l’offre de formation à la demande économique et sociale du travail ; une faible capacité de gouvernance et d’adaptation ; une insuffisance et la faible valorisation des productions scientifiques, etc.
Or, bien avant ce rapport de 2014, le Forum National sur l’Éducation de 2008 avait recommandé à l’État de prendre des mesures à l’effet de désengorger l’université. C’est ainsi que la réforme des programmes et formations du lycée fut mise en application en 2011 sans qu’une attention ne soit véritablement portée sur la question du passage du secondaire au supérieur concernant les nouveaux bacheliers. En effet, la cartographie de la répartition des nouveaux bacheliers dans l’enseignement supérieur, plus précisément en sciences économiques et de gestion laisse transparaître des défaillances. Nombreux sont les bacheliers, inscrits en classe de terminale – option sciences économiques qui, sur un effectif de 18 322 étudiants en 2018 – 2019, soit 15,3% selon le Rapport du PADES 2021 ont opté pour cette faculté. Face à cette surpopulation au sein de cette faculté, l’accueil, l’encadrement et la performance du système universitaire s’en trouvent contrariés. Lors des entretiens que nous avons réalisés entre les autorités politiques et les enseignants-chercheurs, de nombreux griefs ont été formulés contre les premiers. On notait, de façon récurrente, des propos du genre : « on forme pour former sans réelle perspective de développement » ; « il faut changer la vision philosophique de la formation dans ce pays » ; « il y a un problème de planification globale » ; « il n’y a pas d’autorité éducative fortement installée ».
À ce sujet, il y a lieu de relever que le passage-éclair des responsables politiques à des postes stratégiques de l’enseignement supérieur est perçu pour les enquêtés comme un manque de projet d’avenir pour le Mali en termes d’éducation et de formation. Ceci n’est pas sans causer d’énormes désagréments aux acteurs sociaux et soulève des questions de gouvernance et de leadership étatiques. C’est cette situation peu reluisante qui prévaut dans l’administration et qui est dépeinte par un enquêté lors de notre entretien en mars 2019 en ces termes :
… au niveau supra on ne sait même pas ce qui se fait au niveau infra. (…) Le ministre vient et on sait qu’il est là parce qu’il a une certaine assise politique alors il vient, il fait son temps et il part. Le laps de temps qu’il passe au niveau du département il ne sait même pas les vrais problèmes de l’université, quels sont les vrais problèmes de l’éducation au Mali. Il n’a pas le temps de les gérer » (Samba Diallo, autorité administrative).
Même lorsque l’État a eu à opérer des reformes, les résultats escomptés n’ont pas suivi au regard de l’énormité des besoins exprimés. Ainsi, pour S. Loua (2017, p. 40),
l’école malienne a connu plusieurs réformes et innovations pédagogiques dans le but de l’améliorer et de l’adapter aux enjeux éducatifs nationaux et internationaux. Cependant, les efforts consentis pour ces réformes n’ont pas été couronnés de succès, en raison de l’immensité des besoins.
Outre ses aspects politico-historiques, la crise de l’université au Mali, se manifeste également sur le plan socio-pédagogique. Et c’est partant de ce constat que la question de l’employabilité se pose avec acuité.
2. L’employabilité à l’aune de l’orientation scolaire et universitaire
L’orientation scolaire et universitaire des élèves et étudiants est la première boussole qui mène à leur insertion professionnelle. Nos enquêtes ont mis à nu une zone d’ombre à éclaircir dans ce processus.
2.1. Du choix de la formation disciplinaire à l’employabilité
Il ressort des enquêtes par questionnaire et par entretien réalisées entre mars 2019 et mars 2021 que les choix d’orientation des élèves et étudiants se font généralement par les parents, par l’administration scolaire, par conviction personnelle mais aussi par accident. Hormis, le choix opéré par l’administration scolaire, tous les autres s’expliquent par le manque d’information sur l’enseignement supérieur et les formations disciplinaires. Nous avons observé l’inexistence d’un dispositif institutionnel devant accompagner les lycéens à cette étape décisive du cursus scolaire surtout qu’il s’agit de passer du système secondaire à celui tertiaire.
Or, il s’avère nécessaire que le néo-bachelier sache dans quelle formation il s’engage. Quelles sont ses chances d’insertion en fonction des choix de formation ? Que doit savoir le bachelier sur l’enseignement supérieur en termes d’informations générales sur les pratiques pédagogiques, les méthodes d’enseignement/apprentissage, les types d’évaluation ? Quelles sont les offres d’emploi que lui propose l’État ? Quelles sont ses chances d’insertion par rapport à son choix de formation ? Ce sont là autant de questions que parents, élèves et étudiants se posent sans que des réponses ne leur soient apportées. Si, trop souvent, ces questions restent posées ou ne trouvent pas de réponses, toutefois, il existe d’autres mécanismes non institutionnels qui constituent des alternatives aux insuffisances susmentionnées. Par exemple, le cercle amical en est l’illustration.
En effet, sur une question concernant les sources d’information sur l’enseignement supérieur, la famille reste la première source d’information du bachelier avec 41,9% des réponses. Elle est et reste incontournable dans les choix d’orientation. Ensuite vient le cercle amical, comme son nom l’indique, est une plate-forme d’informations non négligeable dans la construction des parcours de formation et d’insertion. 22,3% des bacheliers y reçoivent des informations sur l’enseignement supérieur. Puis les enseignants, représentant 21,3% des réponses comme source d’information sont suivis des directions d’établissement secondaire avec 5,8%. Le conseiller à l’orientation participe à l’information avec 2% contre 5% pour le voisinage et 1,7% « autres ».
Ces chiffres décrivent une société de type patrilinéaire où les décisions sont majoritairement prises par le chef de famille. En l’absence de celui-ci, l’oncle a le monopole des décisions suivi de l’ainé. Dans ce type de société, le choix de l’élève compte pour si peu. Ainsi, après s’être informé auprès des camarades de classe et en s’appuyant sur les éclairages de l’enseignant, le choix de la filière est fait par l’élève conformément aux indications et conseils recueillis à ce type de fonctionnement sociétal. Par ailleurs, si ce choix lui est « imposé » ou ne correspond pas à ses attentes, il y a de forte chance que cela impacte négativement sur les études.
À la sortie des facultés, ils étaient 40% sur un effectif de 406 répondants à être au chômage au moment de l’enquête et 49% des répondants ont avoué avoir mis au moins 3 ans avant d’obtenir un premier emploi contre 16% entre 6 mois et 12 mois. Cependant, ceux qui avaient eu un travail exerçaient à 65% dans un autre domaine d’activité en dehors de leur champ de formation. Pour 36% des diplômés, ce taux de chômage s’explique par le fait qu’il n’y avait pas de possibilité d’embauche correspondant à la formation suivie ; 16% disent que c’est parce que leur formation n’était pas complète ; 13% affirment que c’est parce que leur formation n’était pas professionnalisante ; 10% disent n’avoir pas été assez outillés pour chercher convenablement un emploi ; 9% affirment ne pas chercher activement du travail ; 7% disent ne pas développer de compétences réelles dans leur formation et 6% affirment qu’ils comptaient sur leur réseau relationnel pour accéder à un emploi ; seul 1% a répondu qu’il n’a pas été bien formé.
Ces chiffres montrent effectivement qu’il faudrait analyser le problème de l’employabilité du point de vue du marché de l’emploi et non simplement du point de vue de la formation et des choix des étudiants. Ainsi pour accéder au marché de l’emploi, la majeure partie des enquêtés témoigne de la nécessité de disposer d’un réseau relationnel qui favoriserait l’insertion professionnelle.
2.2. Réseau relationnel et accès à l’emploi
Le réseau relationnel (social, politique et/ou économique) n’est pas en marge des difficultés d’accès à un emploi au Mali. Il a été démontré que du fait de la rareté des postes à pourvoir, le népotisme soit un outil mobilisable pour avoir un emploi. La majorité des enquêtés pense que ce phénomène de réseau relationnel est bien réel. Notre enquête auprès des 408 diplômés (répondants) en SHS révèle à 91% l’absolue nécessité d’avoir un réseau relationnel pour avoir un emploi au Mali. Et 23% des diplômés ont reconnu avoir pu obtenir leur emploi grâce à ce réseau relationnel. Pour Patrick Dembélé, étudiant en L3 Sciences de l’éducation, il n’y a pas de doute là-dessus. Il ajoute ceci :
Je dirais que c’est une réalité absolue. C’est une vérité vraiment. Parce que moi-même j’ai tenté beaucoup de concours qui n’ont pas marché. Et finalement je me suis posé la question est-ce que finalement ce n’est pas une question de sous couvert ? et j’ai eu la confirmation avec le papa d’un enfant sur un des chantiers (BTP) où j’ai l’habitude d’y travailler. (Entretien réalisé en mars 2021).
En évoquant sa situation à ce papa, Patrick Dembélé dit avoir noué une relation avec cette personne ressource qui a même aidé sa femme ainsi que son fils ainé à obtenir un concours. Cette personne a donc mis en relation Patrick Dembélé et son ami afin de répondre favorablement à sa préoccupation. Ce dernier lui aurait demandé d’apporter vingt-cinq mille francs CFA pour le motiver dans son action en ajoutant que cela valait beaucoup plus.
Même pour la police, il y a des gens qui me demandaient de payer six-cent mille, les 1 millions, les huit cent mille. Mais je me pose la question, où est-ce que je peux trouver cet argent ? Voilà, quelqu’un qui n’arrive pas à s’habiller correctement en tant qu’un bon étudiant (Patrick Dembélé, étudiant en L3 sciences de l’éducation, mars 2021).
Pour autant, il convient aux diplômés de construire ce réseau relationnel. Cette logique socioconstructiviste du réseau est relativement partagée et prise au sérieux dans le processus d’insertion des diplômés. Recourir à un réseau relationnel n’est pas une nouveauté, il a toujours été mobilisé par le passé dans les processus de recrutement au Mali. Il semble d’ailleurs que l’expression « un coup de piston vaut mieux que 100 ans d’études » soit née sous le régime militaire au Mali entre 1968 à 1991. Depuis, elle a pris d’autres formes et continue de fortifier l’accès à l’emploi car pour Salim Coulibaly, enseignant-chercheur, les études sont le plus souvent subordonnées aux relations.
Tu vas faire ton doctorat mais quelqu’un qui a juste un bac+2 peut être ton chef parce qu’il aura bénéficié d’un coup de pouce. D’ailleurs on parlera d’ascenseur, toi tu prends l’escalier avec des efforts, avec tes entretiens et autres et lui, il prend l’ascenseur et il est vite arrivé avant toi. C’est un fait, mais je ne pense pas qu’on puisse généraliser cela. (Salim Coulibaly, enseignant-chercheur en Anthropologie, mars 2021).
Cela dit, le réseau relationnel n’est pas la seule variable d’ajustement du marché de l’emploi. Il est aussi exigé d’avoir de l’expérience pour accéder à un poste. Chose qui, d’après nos enquêtes est paradoxale du fait que les formations en SHS n’intègrent pas forcément l’obligation de stage de qualification ou de fin d’études. Le blocage se situerait donc à un niveau curriculaire où des lacunes ont été décelées dans son élaboration. Cette question curriculaire, bien que très intéressante ne sera pas l’objet de développement ici.
Cependant, on peut décrocher un emploi sans passer par un réseau relationnel quelconque. Il suffit d’avoir des compétences nécessaires et la chance de croiser des personnes qui cherchent ces compétences. Le fait de recruter sur la base de réseau relationnel ne garantit pas pour autant le maintien à ce poste ou de bénéficier d’une promotion. Il peut aussi aboutir à un licenciement si le diplômé ne démontre pas de compétences nécessaires à l’exercice de la fonction. Lors d’un entretien réalisé en mars 2021, Bamba Traoré, étudiant en master Sociologie nous disait de ne pas avoir confiance au réseau relationnel. Mais qu’il faut avoir confiance en soi. Pour lui,
Quand on s’appuie sur un réseau, le poste qu’on va occuper va être un poste fragile en quelque sorte. Ils peuvent même te mettre la pression, ils peuvent même te dicter leur loi, même en dehors des règles de la structure.
Ainsi, évoluer dans cette dynamique du « réseau » favorise ce que Giorgio Blundo, Jean-Pierre Olivier de Sardan appellent le « régime du devoir ou de la dette ». Pour G. Blundo, J-P. Olivier de Sardan (2007, p. 106),
l’investissement en sociabilité est à la fois une ressource et une contrainte permanente, activée en de multiples circonstances […] et constitue une préoccupation incessante de la vie quotidienne, à travers les multiples obligations qu’impliquent l’entretien et la reproduction des réseaux relationnels de toutes natures.
Cette posture soutient l’idée selon laquelle la structure sociale, dans son fonctionnement, participe au renouvellement des conditions de dépendance à autrui par le biais du réseau. Elle fragilise ainsi les emplois dans leurs modes d’occupation. Ces dynamiques sont donc en partie descriptives de la situation de crise de l’université lorsqu’on s’intéresse à la question de l’employabilité au Mali. Par ailleurs, la crise de l’université au Mali se manifeste également à travers des dynamiques institutionnelles conduisant aux impasses en matière d’accès à l’emploi.
3. Dynamiques institutionnelles et impasses de l’insertion professionnelle
Outre les logiques sociales et relationnelles dans lesquelles le diplômé a du mal à s’extirper, il existe des mesures institutionnelles qui lui obstruent l’accès à l’emploi après sa formation. En effet, il a été constaté, d’après les observations de terrain, que deux logiques de recrutement coexistent le plus souvent dans les institutions publiques qui organisent les concours d’entrée dans l’administration. Il s’agit du recrutement par méconnaissance des formations universitaires et du recrutement par ancienneté ou par confiance tacite.
3.1. Le recrutement par méconnaissance des formations universitaires
Par le système de recrutement par méconnaissance des formations universitaires nous entendons un processus d’organisation des concours de la fonction publique qui ne tiendrait pas compte des formations universitaires. Cette méconnaissance s’explique par la distance qui sépare les décideurs des acteurs administratifs et pédagogiques dans la mesure où il n’existe pas d’espace de dialogue entre les institutions. Nous avons pu observer que l’organisation des concours de la fonction publique ne prenait pas en compte la logique « compétence attendue » du marché mais plutôt obéissait à une double logique d’organisation descendante et financière ; c’est-à-dire qu’elle répondait à des besoins spécifiques de la hiérarchie et des fonds mis à disposition par le ministère de l’économie.
En effet, c’est le ministère de l’économie et des finances qui, chaque année alloue une enveloppe budgétaire pour l’organisation des examens et concours de la fonction publique. Après la centralisation des besoins par le centre national des examens et concours de la fonction publique, les agents les réorganisent en recomposant un tableau cumulatif des besoins similaires exprimés par spécialité, par niveau d’étude et par quota. C’est en fonction de ce tableau cumulatif et surtout le volet « quota » que les agents du centre font un premier tri des corps retenus pour le concours.
Ce processus de recrutement semble être inversé d’autant plus que c’est l’enveloppe budgétaire qui structure et conditionne le processus de recrutement des agents de la fonction publique et non les besoins réels du marché de l’emploi. Ce système puise sa source dans les programmes d’ajustement structurel des années 80 au Mali. C’est une gouvernance pilotée par les finances. À en croire les propos de Pierre Porgo, recueillis en novembre 2021,
tous les concours au Mali sont organisés de cette façon, que ce soit le recrutement dans l’armée nationale, dans la gendarmerie, la garde ou la police nationale ou dans les services techniques et administratifs du pays. C’est un processus qui obéit jusque-là à la restriction budgétaire (Pierre Porgo, autorité politique chargée de recrutement).
Le système organisationnel des concours est basé sur une démarche descendante du ministère de l’économie et des finances vers le ministère de la fonction publique. Or ce fonctionnement ne répond quasiment jamais aux besoins de l’économie du marché et aux attentes des départements demandeurs de mains d’œuvre spécifiques. Il s’agit là d’abandonner cette logique descendante pour accorder une place prépondérante à une logique conjonctivo-structurelle. Le système financier ne devrait pas déterminer les actions publiques. L’institutionnalisation financière des recrutements entrave donc l’émergence et l’adaptabilité de compétences dans un marché en perpétuelle mutation. À côté de ce système de recrutement, il y a aussi le recrutement par ancienneté ou par confiance tacite.
3.2. Le recrutement par ancienneté ou par confiance tacite
Ce type de recrutement est un système qui fragilise le processus d’insertion des diplômés en accordant plus d’importance à l’expérience professionnelle au détriment de la qualification. Ce système de recrutement semble s’être institutionnalisé au regard de la loi n° 08-019 du 22 juillet 2008 portant modification de la loi n°99-046 du 28 décembre 1999 portant loi d’orientation de l’éducation au Mali. En effet, cette loi abroge l’article 60 de la loi n°99-046 du 28 décembre 1999 qui stipule que,
les fonctions de chef d’établissement, de conseiller pédagogique, d’inspecteur et de directeur de Centre d’Animation Pédagogique (CAP) sont soumises à un concours. Les modalités d’organisation de ce concours sont fixées par arrêté des ministres en charge de l’éducation.
Ce faisant, l’État donne aux réseaux relationnels une faille à exploiter à bon escient car la validation des acquis de l’expérience suffit à justifier les nominations des personnes pour occuper des postes. C’est par ce biais également que s’organisent et s’intensifient « le régime du devoir ou de la dette » (G. Blundo, J-P. Olivier de Sardan, 2007, p. 102). Cependant, des voies se lèvent pour revenir à cet article 60 même si les acteurs eux-mêmes n’ont pas conscience de l’abrogation dudit article. Face à ce fait, Ibou Sangaré dit qu’il faut qu’on change de fusil d’épaule. Il ajoute,
que les administrateurs soient recrutés non pas forcément par rapport aux expériences mais par rapport aux diplômes de base. On ne va pas demander à un pharmacien pourquoi il est pharmacien, donc on ne doit pas demander un sortant des sciences de l’éducation pourquoi il est censeur ou directeur d’école ? (Ibou Sangaré, autorité politique et universitaire).
Conclusion
L’employabilité des diplômés est un sujet qui préoccupe l’ensemble des acteurs socio-politiques et administratifs du Mali. Elle donne à voir une dimension intégrative et distributive des offres de formations universitaires pour rendre compte de leur opérationnalité sur le marché de l’emploi. Tout en restant vigilant sur la pertinence du lien de causalité entre la qualité de formation et l’insertion professionnelle, nous attirons l’attention sur des facteurs multiples qui conduisent à maintenir les universités maliennes dans une situation de crise perpétuelle et à la problématique d’employabilité des diplômés. Malgré cette vigilance, l’employabilité au sens d’insertion professionnelle en devenir constitue un indicateur commun des acteurs sociaux, politiques et économiques pour mesurer la pertinence des offres de formation universitaires. Cependant la chronicité et la variabilité des situations de crise de l’université ne facilitent pas l’appréhension des dynamiques socio-politiques et pédagogiques qui se mettent en place pour contenir ou aggraver le chômage au Mali.
L’individuation des parcours de formation et d’insertion bute contre un obstacle socioconstructiviste qui structure le fonctionnement relationnel entre les offres de formation et le marché de l’emploi. Ainsi, l’employabilité se traduit par la prise en compte des logiques et dynamiques socio-politiques et pédagogiques qui façonnent le rapport au savoir des étudiants et l’insertion professionnelle des diplômés. Loin de faciliter l’accès au marché de l’emploi, les logiques institutionnelles d’organisation des recrutements créent elles aussi des situations qui écartent de plus en plus les diplômés de ce marché en constante mutation. Des recrutements par méconnaissance aux recrutements par ancienneté, ces logiques entravent l’accès au marché du travail aux plus méritants et fragilisent ainsi la dynamique de compétence et du maintien dans le travail.
Références bibliographiques
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DIAKITÉ Drissa, 2000, « La crise scolaire au Mali », in Nordic Journal of African Studies, Vol 9 (N°3), pp. 6-28.
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PADES, 2021, Enseignement supérieur du Mali, État des lieux en 2020, Bamako, Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
TRAORÉ Idrissa Soïba, 2010, « La crise scolaire : la fille de la crise des valeurs sociales », in Symposium Malien sur les Sciences Appliquées (SMSA), Actes de la conférence, pp. 256-262.
Université de Maroua (Cameroun)
Résumé :
Comme d’habitude, il y a en Afrique un hiatus entre les déclarations politiques et les réalités de terrain. S’agissant de l’enseignement supérieur, un slogan circule depuis le début des années 2000 concernant la professionnalisation des enseignements. Mais, si quelque chose a été fait depuis lors, cela concerne en grande partie la production des documents administratifs y afférents et où Système LMD et professionnalisation des enseignements se discutent les pages sans savoir trop qui fait quoi. L’objectif est noble puisque qu’il s’inscrit dans les politiques gouvernementales de « Formation – Emploi » mais les attentes sont loin d’être comblées. Résultat, des particuliers se lancent dans la création des instituts privés d’enseignement supérieur en brandissant des formations dites diplômantes et qualifiantes en termes d’emploi. Clandestins ou reconnus par l’État, ces établissements accueillent de nombreux jeunes décidés à tout tenter pour obtenir un emploi. Là aussi, la réalité est tout autre. On en vient à cette situation peu gaie où, d’un côté, l’État peine à rendre effective la professionnalisation des enseignements et continue de créer d’autres universités d’enseignement général pour satisfaire les demandes politiques, et de l’autre, des particuliers qui ouvrent çà et là des instituts supérieurs délivrant des diplômes qui n’ont de professionnel que le partenariat qu’ils ont noué avec des universités étrangères qu’ils qualifient eux-mêmes de prestigieuses. Peut-être faudrait-il s’entendre sur ce qu’on appelle professionnalisation des enseignements et mobiliser les ressources appropriées pour la rendre effective plutôt que de rester dans le « harcèlement textuel » comme c’est le cas actuellement.
Abstract :
As usual, there is in Africa a hiatus between politiical declarations and the realities on the field. Concerning higher education, a slogan is in motion since the begining of the year 2000 in regard to the professionalisation of education. But if something have been done since then, that concerns in a greater portion the production of administrative documents related and where the LMD system and professionalisation of education are quarreling the pages without really knowing who is doing what. The objective is noble since it registers in the governmental politics of « Training – Employing ». But expections are far from being met. Result, some particulars get launch in the creation of private institutions of higher education brandisching so-called diploma and qualifying training in terms of job. Clandestine or recognized by the State, these structures welcome many youths who are decided to try everything to get a job. There to, the reality is quite different, we come to this not very in a cheerful situation where on the other hand, the State finds difficult to render effective the professionalisation of education and continues to create other universities of general education to satisfy the political demands, while on the other side, some particulars open structures of higher training that deliver diplomas that are not professional than the partnership they have linked with foreign universities that they themselves qualify prestigeous. Maybe we should get along on what we call professionalisation of education and then mobilise resources appropriate to render effective rather than staying in the « textual harassment » like the case is acttually.
Keywords : Education, employment, private institutions of higher education, professionalisation of education, univerties.
Introduction
Parmi les multiples crises qui minent l’Afrique actuellement, figure en bonne place la crise universitaire qui touche un levier important du développement du continent. La vocation d’une université, c’est effectivement la recherche, la recherche pour le développement. Mais la démocratie cognitive observée actuellement en Afrique qui se traduit par une inflation institutionnelle répond plutôt à un autre objectif.
En effet, les politiques africains qui promeuvent ces universités ou qui les baptisent en leurs noms ne les considèrent pas comme des lieux d’incubation de développement. Ils y voient plutôt des offres d’emploi ou à défaut, des casernes estudiantines. Bien que le plein emploi ne soit pas contraire au développement, les politiques utilisent l’offre d’emploi pour se débarrasser d’une jeunesse de plus en plus nombreuse et gênante. Certes, la multiplication des offres d’éducation et de formation relève du rôle régalien de l’État mais les décideurs politiques croient peu ou pas au rôle décisif des intellectuels dans le processus de développement.
On en vient donc à cette situation où les pôles d’excellence sont réduits aux pôles d’emploi et on invoque désormais la professionnalisation des enseignements pour résoudre le problème grandissant du chômage. Mais cette professionnalisation est problématique, elle peine à prendre corps sur le terrain et suscite des interrogations de fond quant aux ressources utilisées pour la rendre effective. Au-delà des ressources matérielles et financières qui se font souvent rares, il faut questionner les ressources humaines chargées d’implémenter le processus. Vu le système de recrutement du personnel enseignant basé sur la simple détention du Doctorat/Ph.D, de quelle qualification dispose celui-ci pour rendre les étudiants et les enseignements professionnels ? Et par où doit-on commencer pour professionnaliser les enseignements dans des universités qui manquent de laboratoires, de salles de cours et même des bureaux ? Par ailleurs, les instituts privés d’enseignement supérieur (IPES) qui profitent de ces manquements pour se faire une place dans ce domaine s’acquittent-ils honorablement de leurs tâches ?
L’objectif de cette réflexion est alors de dénoncer la surenchère qui se construit autour de ce processus dont la seule expression exerce une fascination sur la communauté éducative. La méthode analytico-critique que nous utiliserons ici nous permettra de voir ce qui est réellement fait et ce qui manque dans les universités africaines en matière de professionnalisation des enseignements amorcée il y a quelques années[58]. Ce diagnostic nous amènera à proposer quelques solutions pour une professionnalisation effective. Les universités africaines ne sont pas logées à la même enseigne mais les réalités sont presque les mêmes au Sud du Sahara.
1. Les paradoxes de la professionnalisation des enseignements
Depuis une dizaine d’années, le taux de scolarisation en général et de la formation universitaire en particulier a augmenté un peu partout en Afrique : la pression démographique, le contexte économique et la demande sociale de formation ont conduit les différents gouvernements à multiplier les établissements d’enseignement et à diversifier les offres de formation. Si le souci quantitatif a été plus ou moins relevé, il existe des nouveaux défis d’ordre qualitatif, notamment ceux liés aux contenus des enseignements et leur fiabilité sur le marché de l’emploi. D’où les discours ronflants sur la professionnalisation des enseignements, mais de quoi s’agit-il exactement ?
1.1. Enquête définitionnelle
Le chômage ambiant dû à l’inadéquation entre la formation et l’emploi et la saturation de la fonction publique ont amené les pays africains à décider, à des dates différentes, de la réorientation de l’éducation vers les secteurs techniques à même de promouvoir l’auto-emploi ou de répondre aux besoins des entreprises.
De là, pour le commun des mortels, professionnaliser veut dire qualifier à un emploi, ce qui n’est pas faux. Et c’est même en cela que le terme professionnalisation fascine puisqu’il s’agit enfin de faire des études au bout desquelles on pourra avoir accès à un emploi. Mais cette acception commune n’épuise pas tous les contours de la professionnalisation des enseignements.
Dans le Document de Stratégie du Secteur de l’Education et de la Formation (2013-2020) produit parle Ministère camerounais de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT), nous pouvons lire que
L’enseignement professionnel est un enseignement destiné à donner les premiers niveaux de qualification nécessaires à l’exercice d’un métier ou d’un groupe de métiers. Il permet le développement des qualifications à l’exercice d’un métier ou un groupe de métiers à travers les études techniques théoriques en rapport avec ce métier ou groupe de métiers. L’enseignement professionnel est diplômant. (2013, p. 13).
Ainsi défini, l’enseignement professionnel n’est pas exactement la formation professionnelle qui est un ensemble d’activités visant à assurer l’acquisition des connaissances (savoirs), des qualifications (savoir-faire) et des attitudes (savoir-être) nécessaires à l’exercice d’un métier ou d’une profession avec compétence et efficacité. L’enseignement professionnel se dispense dans les lycées et collèges et peut aller au-delà – la plupart des ministères africains en charge de l’éducation disposent des directions de l’enseignement technique et professionnel – mais l’expression « professionnalisation des enseignements » a aujourd’hui une connotation particulièrement universitaire, non pas parce que les lycées professionnels n’existent pas, mais parce que l’éducation formelle s’est démocratisée et on s’inquiète désormais seulement des diplômés du supérieur qui manqueraient de travail.
Le 22 février 2022, le Ministre d’État, Ministre de l’Enseignement Supérieur du Cameroun, le Professeur Jacques Fame Ndongo, indiquait à travers un arrêté qu’« une filière professionnelle est un champ scientifique et matériel de la formation universitaire qui permet à un apprenant d’acquérir des habiletés et des compétences nécessaires à l’exercice d’un métier ». Cette définition englobe déjà les écoles de formation logées dans les universités, mais la question reste lancinante s’agissant des établissements facultaires, surtout qu’un autre ministre camerounais, celui-là de l’emploi et de la formation professionnelle, Monsieur Issa Tchiroma Bakary, a créé dernièrement la polémique en affirmant haut et fort que les filières comme Histoire et Géographie ne donnent pas du tout accès à l’emploi et qu’elles ne devraient pas être choisies par les jeunes. On peut donc s’interroger sur le sens de la professionnalisation des enseignements dans les facultés des lettres.
Dans un article paru en 1997 à l’Ecole Normale Supérieure de Yaoundé, D. Maingari (D. Maingari, 1997, p. 106) soulignait que la professionnalisation de l’enseignement a deux orientations : la professionnalisation d’expertise et la professionnalisation d’exercice pour spécifier et qualifier d’un côté l’intégration des attributs professionnels par des enseignants et décrire de l’autre les aspects et les conditions relatifs à l’adéquation formation – emploi. Il s’en explique ainsi :
L’orientation interne de la professionnalisation que nous qualifions de « professionnalisation d’expertise » concerne le passage de l’enseignement de métier à profession et sa constitution en un véritable corps avec des données requises dans le contenu de la formation et les signes extérieurs caractéristiques d’un corps de profession comme le parrainage des promotions, des prestations de serment, des remises solennelles de diplômes, des tenues particulières, etc. Il s’agit dans cette dimension de la professionnalisation de donner aux enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur les qualifications nécessaires à l’exercice de leur profession et reconnues par des textes, règles, règlements et codes déontologiques particuliers.
L’orientation externe ou professionnalisation d’exercice (…) se préoccupe quant à elle de la mise en relation de la formation avec l’emploi.
Nous pouvons donc dire après l’auteur que la professionnalisation est le processus ayant pour finalité l’acquisition des aptitudes nécessaires à l’exercice d’un emploi. S’agissant de la professionnalisation des enseignants, elle peut être définie comme le processus permettant la transformation des enseignants de façon à faire acquérir aux apprenants les outils nécessaires à l’exercice des métiers précis. Ce qui suppose que l’on aura affaire à des enseignants qui font leur travail avec professionnalisme, c’est-à-dire selon les règles de l’art et avec objectivité. Mais qu’observe-t-on sur le terrain ?
1.2. La professionnalisation par les amateurs
Prenons le premier volet de la professionnalisation qui concerne les enseignants eux-mêmes. L’Article 36, alinéa 1 de la Loi N° 005 du 16 avril 2001 portant orientation de l’enseignement supérieur au Cameroun stipule bien que, l’enseignant, étant le principal garant de la qualité des enseignements et des formations dans les instituts d’enseignement supérieur, a droit à une formation initiale et continue appropriée. Mais de quelle formation dispose les enseignants d’université ? Comment s’opère leur recrutement ?
Les enseignants d’université sont recrutés sur la base d’une détention d’un Master ou d’un Doctorat académique. Qu’appelle-t-on donc « formation initiale » ? Si nous entendons par là, comme le veulent certains, les cours théoriques suivis à l’université, on peut dire qu’ils en ont une puisqu’ils ont passé des nombreuses années sur les bancs des amphithéâtres ; mais si nous admettons avec d’autres que « la formation initiale est une formation à un métier, qui donne à l’individu une qualification professionnelle (P. Touzard, 1988, p. 110), il va sans dire que les enseignants d’université n’ont pas de formation initiale. Et qu’en est-il de la formation continue ? Il n’existe presque pas de tutorats, sinon quelques heures d’une journée ordinaire appelée « journée de pédagogie universitaire » pour les besoins de la cause ou pour justifier quelques lignes budgétaires. La question qui mérite d’être posée est alors celle de savoir comment quelqu’un qui apprend à enseigner sur le tas peut rendre un autre professionnel. On estime par là que des amateurs peuvent professionnaliser l’enseignement supérieur, le haut niveau du savoir. Le doctorat est-il un diplôme de qualification pour l’activité enseignante ?
L’évènement le plus surprenant au Cameroun c’est que dans le cadre du recrutement spécial des titulaires de Doctorat/Ph. D comme enseignants dans les universités d’État en 2020, les autorités ont pris le soin d’écarter les professeurs des lycées docteurs, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui ont reçu une formation d’enseignant dans les écoles normales supérieures, qui ont donc des compétences avérées dans le domaine et qui de surcroit ont le diplôme requis, arguant qu’elles veulent lutter contre le chômage. Préférerait-on le learning by doing ou la formation par trials and errors pour les professeurs d’université ? Quoiqu’il en soit, on a ainsi sacrifié la compétence sur l’autel de la lutte contre le chômage et je doute fort que l’université puisse jouer pleinement son rôle dans ces conditions.
Le recrutement se fait sur audition des candidats, et non par concours écrit, ce qui n’exclue pas la compétition mais l’objectivité est réduite. À son époque, M. Weber (1959, p. 58-59) disait qu’il ne connaît pas de carrière au monde où l’arbitraire joue un très grand rôle comme dans la carrière universitaire. Il constatait qu’« un grand nombre de médiocres jouent incontestablement un rôle considérable dans les universités », que « les médiocres et les arrivistes ont seuls une chance d’être nommés. » « Aucun professeur d’université disait-il, n’aime se rappeler les discussions qui eurent lieu lors de sa nomination, car elles sont rarement agréables. » Pour l’auteur, la décision concernant les destinées universitaires est livrée dans une grande mesure au « hasard ». Mais il nous invitait surtout à faire la différence entre le savant et le professeur. Les deux qualités doivent être réunies chez l’enseignant d’université mais malheureusement, remarque-t-il, « l’on peut être un savant tout à fait éminent et en même temps un professeur terriblement médiocre. » (M. Weber, 1959, p. 59).
Lorsqu’on recrute donc les enseignants ou qu’on leur confie des chaires universitaires dans ces conditions, il va sans dire qu’on ne choisit pas forcément les meilleurs. Et le résultat qu’on connaît actuellement c’est la crise des vocations scientifiques.
2. La professionnalisation de l’enseignement supérieur : l’emploi contre la recherche
Autrefois, les débats sur la professionnalisation des enseignements se concentraient sur la possibilité de faire de l’université à la fois un lieu de recherche et un lieu de formation professionnelle. Pour certains, l’université de par sa mission traditionnelle, est mal adaptée pour assurer des formations professionnelles. C. Perron, M. Lessard et P. W. Bélanger (1993, p. 22) estiment qu’« il est possible que la logique de la professionnalisation d’une part et celle de l’excellence universitaire d’autre part (…) soient à terme incompatibles et qu’à poursuivre les deux dans un même cadre institutionnel, on se condamne à un relatif échec sur les deux tableaux ». Pour d’autres par contre, l’instauration d’une formation professionnelle à l’université est tout à fait possible car l’université jouerait alors un rôle de légitimation des savoirs pratiques. Le débat n’est plus d’actualité aujourd’hui, les universités sont résolument engagées sur le chemin de la professionnalisation des enseignements. Mais la poursuite de deux objectifs, ajoutée au recrutement hasardeux du personnel enseignant, a un impact négatif sur la recherche.
2.1. La crise des vocations scientifiques
Si la qualité et le dynamisme des chercheurs africains sont incontestables, il n’en demeure pas moins que nous sommes confrontés à une crise préoccupante des vocations scientifiques. Les docteurs sont nombreux mais les chercheurs le sont moins. Cette désaffection tient sans doute aux conditions précaires dans lesquelles vivent les enseignants et le sous-financement des secteurs de la recherche publique et privée.
En 1987, période de soudure au Cameroun, le Bureau International du Travail (BIT) indiquait qu’à l’Université, « les professeurs et les assistants travaillent comme consultants auprès des sociétés privées et consacrent moins de temps à leurs étudiants et encore moins à la recherche. » (BIT, 1987, p. 10). Ce qui a été dit il y a près de quarante ans n’a pas beaucoup changé aujourd’hui. Les conditions de vie de l’enseignant ne sont pas les plus enviables. Lorsqu’un enseignant peine à joindre les deux bouts, c’est la recherche qui en pâtit. La prime spéciale de recherche octroyée ici par le Chef de l’État et aléatoirement payée par les ministres des finances et de l’enseignement supérieur permet, non pas de booster la recherche, mais d’arrondir les fins du trimestre. La recherche et les publications sont faites dans le but de changer de grade et donc de changer son indice solde.
Il en va de même des laboratoires subventionnés par l’État même si les raisons ne sont pas les mêmes. Les pays africains disposent des ministères de la recherche scientifique, de l’innovation, ainsi que des facultés de médecine et des sciences pharmaceutiques mais ils importent le paracétamol ; ils disposent des instituts de bois mais ils importent le cure-dents. Les centres de recherche en agronomie sont disséminés à travers le continent mais on importe le blé et le riz ; les écoles de mines, de géologie et de pétrochimie ne parlent pas encore le langage de l’extraction et de la transformation. C’est dire combien la recherche n’est pas prise au sérieux. Nos chercheurs sont devenus des politologues. On connaît plus les directeurs des centres de recherche par leurs descentes sur le terrain politique que par les résultats de leurs institutions. Les professeurs d’université quant à eux ont déserté les laboratoires et se discutent les plateaux de télévision pour livrer leurs regards politiques.
Outre les conditions difficiles de vie qui plombent la recherche, la communauté universitaire est aujourd’hui divisée, non pas à cause des paradigmes scientifiques qui peuvent normalement changer, mais à cause d’une pluralité des rationalités qui sont en réalités des idéologies qui n’ont rien à voir avec la science. Le chercheur d’aujourd’hui est plus enclin à vilipender les autres qu’à construire les savoirs.
Le pugilat payé est beaucoup plus visible en philosophie, science par excellence des contradictions. Aux dires de J. Bouveresse qui cite MacIntyre,
Les divisions à l’intérieur des départements de philosophie sont devenues telles que l’on peut se demander s’il est encore possible de s’adresser à la communauté académique ou même simplement à la communauté philosophique en tant que telles. La plupart des livres de philosophie sont destinés à un groupe de lecteurs réduit aux dimensions d’une tendance, d’une école et même quelque fois simplement d’une chapelle, pratiquement jamais à la communauté des philosophes elle-même. Les désaccords sont si fondamentaux et profonds qu’il n’est plus possible de parler de conflits et de controverses qui ont lieu dans le cadre d’une conception commune de la rationalité, mais de conceptions rivales de la rationalité elle-même, à la fois théorique et pratique (J. Bouveresse, 2002, p. 89).
En effet, comme l’écrit MacIntyre, les discussions actuelles en philosophie concernent non seulement la question de savoir ce qui peut être considéré et accepté comme une justification rationnelle, mais également celle de l’intérêt et de l’importance qu’il convient d’accorder à l’idée même de justification rationnelle et, pour couronner le tout, celle de l’utilité et de la nécessité de la discussion en philosophie. Aujourd’hui, on est très éloigné des vrais débats philosophiques. On n’arrive même pas la plupart du temps à la rencontre et à la confrontation. Les représentants des différentes écoles ne partagent souvent presque rien entre eux, en dehors de l’appartenance à une même institution académique. Visiblement, la science a cédé la place à l’idéologie.
Dans un tel climat, il ne peut y avoir ni professionnalisation des enseignements ni professionnalisation des enseignants. Et avec tous ces manquements, les gens se tournent vers les instituts privés en espérant y trouver une formation professionnelle adéquate mais cela ne va pas non plus sans problèmes.
2.2. Le piège du privé ou l’emploi contre l’éducation
La professionnalisation des enseignements impulsée par l’État est assurée en grande partie par les instituts privés de formation. Identifiant les lacunes de ce processus au Cameroun, le Document de Stratégie du Secteur de l’Education et de la Formation (2013-2020) réalisé par le MINEPAT fait état d’« un partenariat avec les acteurs privés peu dynamique dont le renforcement serait bénéfique pour la professionnalisation de l’enseignement supérieur et le développement des formations professionnelles dans les secteurs porteurs de l’économie » (2013, p. 45). C’est dire ici que l’État lui-même compte sur le privé pour rendre ce processus effectif. Les portes de la fonction publique étant de plus en plus fermées aux nouveaux diplômés, il y a une ruée vers les instituts privés où il y a promesse d’emploi.
Le Cameroun par exemple compte à ce jour 349 IPES, tous ne jurent que par la qualité des diplômes et l’assurance de l’emploi ; les spots publicitaires inondent les médias, annonçant parfois des diplômes internationaux mais le chômage des jeunes va grandissant. Cela se termine même souvent par l’arnaque. La course à l’emploi est devenue aujourd’hui un piège dans lequel est tombée l’éducation.
En principe, l’emploi doit s’adosser sur une éducation initiale solide mais le chômage a brouillé les repères si bien qu’on recherche avant tout l’emploi. On se soucie peu de la culture générale et de l’éducation morale des apprenants, on veut juste leur permettre de tirer leur épingle du jeu dans un monde devenu difficile à vivre. Dans le Répertoire de l’offre de formation de l’Enseignement supérieur au Cameroun (MINESUP, 2022, p. XVII), il est clairement dit que
La Stratégie Nationale de Développement (SND 2020-2030) met un accent particulier sur la contribution du secteur de l’éducation à l’atteinte de l’objectif d’émergence du Cameroun, avec pour ambition de procéder à la transformation structurelle de l’économie, à travers la promotion d’un « système éducatif à l’issue duquel tout jeune diplômé sera sociologiquement intégré, bilingue et compétent dans un domaine capital. » (…) C’est dans cette mouvance que le sous-secteur de l’Enseignement supérieur se propose d’orienter sa stratégie vers le triptyque : « professionnalisation – employabilité des diplômes – assurance qualité. ».
Suivant cette orientation, l’accent est mis sur l’insertion socio-professionnelle tandis que le volet moral est escamoté. On forme d’abord à l’emploi pour parler plus tard de déontologie professionnelle. On nous objectera peut-être que l’enseignement supérieur a dépassé le stade d’éducation civique et morale mais le tout professionnel peut conduire à une société perverse.
En effet, l’éducation aujourd’hui a des orientations utilitaires ; les individus sont formés pour se « débrouiller », pour « s’en sortir », pour « entreprendre » bref, à l’auto-emploi. Du constat de J. Leif et G. Rustin (1970, p. 136),
ce n’est plus la société qui impose à ses membres les exigences de son utilité et de sa prospérité ; ce sont les individus qui s’efforcent de tirer de la société le maximum d’avantages et d’agréments. Elle est, pour eux, comme un échiquier compliqué ; et l’éducation se propose de les mettre en mesure d’y jouer au mieux, d’y obtenir une place aussi profitable et honorifique que possible. Bien que ce but ne soit pas toujours ouvertement reconnu, il est pourtant très souvent, plus ou moins consciemment, visé.
La culture que l’on donne, scientifique ou littéraire, n’est alors conçue qu’en fonction des utilités pratiques. Former l’homme d’action ou de caractère, c’est dans ce cas l’armer pour la vie où il ne pourra se soustraire aux difficultés. D’ailleurs, les établissements de formation ne s’en cachent pas, leurs devises rodent toujours autour des termes emploi, réussite ou technoscience qui est en passe de devenir le but même de l’école. C’est ce que dénoncent les auteurs de l’École nouvelle. Pour M. A. Phouet Foe, C. Owona Amougui, T. Mbassi Ondoa et P. Ombiono, (2022), la professionnalisation des enseignements par le truchement de l’Approche par Compétences relève d’une vision économiste et techniciste de l’école voulue par l’économie néolibérale.
Pendant ce temps, l’État dit exercer un contrôle sur l’enseignement supérieur mais a-t-il vraiment le regard sur ce qui se passe dans le privé qui, manifestement, n’existe que pour la recherche de l’emploi ? Déjà le nombre d’établissements privés clandestins dépasse ceux qui sont en règle, ce qui jette un doute sur le sérieux qui pourrait s’y jouer. Ainsi, l’État doit lui-même d’abord chercher des solutions et être regardant sur le respect des valeurs républicaines.
3. Quelques solutions pour booster la professionnalisation des enseignements
Il serait injuste et inexact de ne voir qu’échec dans le processus de professionnalisation des enseignements. Ces dix dernières années, le nombre d’écoles normales supérieures a augmenté, des instituts consacrés à l’étude du climat, de la technologie, de l’agriculture, de la santé, de l’eau et de l’énergie, des mathématiques, de la gouvernance, etc. ont vu le jour au sein de l’Université Panafricaine (UPA). Des nouvelles universités, comme l’Université inter-États Cameroun-Congo, ont été créées avec un point d’honneur sur le développement du numérique. Dans certaines facultés des Lettres, l’entreprenariat a été introduit. Un vrai bilan sans faux procès montre que la professionnalisation des enseignements a franchi un cap, mais beaucoup reste à faire, allant de la formation des formateurs à la disponibilité des infrastructures de formation.
3.1. L’urgence de la formation et du recyclage des enseignants
Disons-le sans détour, il faut créer une école de formation pour les enseignants du Supérieur. Si cela paraît intenable parce qu’on ne recrute pas les enseignants d’université tous les jours, il faudra tout au moins mettre un accent particulier sur le tutorat afin d’aider les jeunes enseignants universitaires à acquérir, sous le guide d’un parrain rompu dans le métier, les non-dits et les astuces du métier sans lesquels il ne sera qu’un professionnel de l’enseignement, mais jamais un enseignant professionnel. Autrement dit, il exercera le métier d’enseignant uniquement pour ses attributs économiques et sociaux sans en épouser l’esprit et la philosophie. Il est inutile et trompeur de prendre six heures parmi les milliers que compte l’année académique pour spéculer sur la pédagogie universitaire. Il faut que les enseignants bénéficient d’une formation initiale et continue appropriée dans des structures spécialisées ou auprès de leurs pairs.
La formation professionnelle s’acquiert, certes, dans les centres de formation, mais aussi sur le terrain, au contact des réalités humaines et économiques. Les réalités de terrain sont variées et changeantes. Il faudra donc procéder à des adaptations. Les changements économiques et sociaux, l’évolution des techniques font qu’à un certain moment, la formation initiale devient insuffisante, il faudra alors mettre en place des actions de recyclage encore appelé formation continue.
Comme le suggère D. Maingari, il faut qu’à la professionnalisation des enseignements, corresponde un modèle pédagogique adéquat. Il propose la pédagogie de l’alternance développée par R. Bourdoncle mais se heurte aussitôt à une inquiétude de taille :
seulement, les enseignants, avant d’y préparer les élèves comme les y invitent les textes proposant les réformes y sont-ils préparés eux-mêmes ? La rareté des stages et des rencontres pédagogiques dans le primaire, le secondaire comme dans le supérieur, la faible utilisation des données des recherches et la timidité de la collaboration entre les universitaires et les chefs d’entreprises rendent pour l’heure difficile sa mise en application. (D. Maingari, 1997, p. 109).
Ceci montre que le chemin de la professionnalisation des enseignements est parsemé d’embûches, allant de la non-préparation des enseignants eux-mêmes aux tracasseries rencontrées pour obtenir les stages en entreprise.
Nous suggérons donc que les États créent des écoles qui soient à la fois des laboratoires pédagogiques pour la recherche universitaire, des écoles d’application, et des lieux de pratique pour la formation des futurs enseignants ; ce qui requiert aussi des infrastructures adéquates. Créer des universités, c’est bien mais il faut aussi penser aux infrastructures devant les faire fonctionner. Les universités coloniales sont vétustes, les nouvelles universités ne jurent que par les nouvelles technologies mais manquent de laboratoires. Cet état de choses doit être corrigé si l’université africaine veut assumer sa double tâche de pôle d’excellence et d’incubateur de l’emploi.
Cela fait, il faudra garder à l’esprit que la professionnalisation des enseignements ne doit pas reléguer les normes sociales au second plan.
3.2. Professionnaliser et socialiser
La professionnalisation des enseignements ne doit pas occulter la recherche universitaire tout comme elle ne doit pas écarter l’aspect moral de l’éducation. De nos jours, les systèmes éducatifs recherchent le bon citoyen ou le grand technicien, bref, la réussite sociale mais nous ne devons pas perdre de vue que l’essentiel c’est d’abord l’homme lui-même, c’est-à-dire les valeurs humanistes, notamment la liberté et la justice.
Les fins de l’éducation peuvent varier selon les sociétés mais il y a des valeurs universelles que toute éducation doit promouvoir. Il est important d’apprendre à gagner sa vie et subsister mais la véritable éducation doit regarder au-delà. Elle doit en définitive former l’homme. L’idéal de l’homme c’est à la fois le lettré, l’homme d’action, l’homme de science, l’homme libre et juste. Aux dires d’E. Morin (2012, p. 251),
aujourd’hui, le problème de l’éducation et de la recherche sont réduits à des termes quantitatifs : « davantage de crédits », « d’avantages d’enseignants », « d’avantage d’informatique », etc. on masque par là la difficulté majeure que recèle l’échec de toutes les réformes successives de l’enseignement : on ne peut pas réformer l’institution sans avoir au préalable réformé les esprits, mais on ne peut pas réformer les esprits si on n’a pas au préalable réformé les institutions.
Certes, reconnaît l’auteur, il faudra bien du temps, des débats et des combats, des efforts pour la révolution de la pensée qui est morcelée dans les différentes disciplines. Bien sûr, dit-il, l’étude de la littérature, de l’histoire, des mathématiques, des sciences contribue à l’insertion dans la vie sociale, et les enseignements spécialisés sont nécessaires à la vie professionnelle. « Mais avec la marginalisation de la philosophie et de la littérature, il manque de plus en plus dans l’éducation la possibilité d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux de l’individu, du citoyen, de l’être humain » (E. Morin, 2012, p. 252).
L’auteur milite ainsi pour l’interdisciplinarité. Nous devons aspirer à une connaissance multidimensionnelle. À l’en croire, les développements disciplinaires des sciences n’ont pas apporté que les avantages de la division du travail, elles ont aussi apporté les inconvénients de la sur-spécialisation, du cloisonnement et du morcellement du savoir. Et un enseignement qui part des disciplines séparées au lieu de s’en nourrir pour traiter les grands problèmes casse par là même les curiosités naturelles qui sont celles de toute conscience juvénile qui s’ouvre.
L. Ferry (2003, p. 84-85) est d’accord avec E. Morin pour dire qu’
il existe une deuxième cause aux difficultés que les étudiants rencontrent à leur entrée à l’université et qui est dénoncée par la majorité des enseignants : c’est leur faible niveau de culture générale tant dans le domaine des humanités que dans celui des sciences. Beaucoup manquent des repères culturels indispensables pour replacer les connaissances qu’on leur enseigne dans le cadre où elles prendraient sens. […] Pourquoi en outre les engager si tôt dans des spécialisations extrêmes alors que tout indique aujourd’hui que la formation générale est une clé de la formation professionnelle supérieure, comme l’ont si bien compris les grandes écoles d’ingénieurs, de commerce et de gestion ? […] Peut-on concevoir par exemple, la formation de l’historien sans sociologie ni économie, celle du philosophe sans histoire des sciences, celle du biologiste sans bioéthique, etc. ?
La réponse est évidemment non ! L’auteur a raison d’adosser la formation professionnelle sur une formation générale solide. Les deux ne sont pas purement contradictoires mais plutôt complémentaires. C’est le sens même de l’interdisciplinarité tant recherchée aujourd’hui. Nous disons donc qu’il faut professionnaliser, mais il faut aussi socialiser.
Conclusion
Nous avons présenté les forces et les faiblesses de la professionnalisation des enseignements au niveau de l’enseignement supérieur. Il ressort globalement que le processus est en marche et nourrit des grands espoirs quant à la réduction de la pauvreté et le chômage des jeunes. Au demeurant, les formations professionnelles doivent être développées, les filières d’enseignement doivent être diversifiées, les techniques éducatives ont besoin d’être modernisées, la recherche doit être valorisée en créant des activités industrielles et commerciales, bref les universités doivent être attractives et compétitives. Mais n’oublions pas que le tout professionnel ou l’emploi à tous les prix comporte quelques avatars, notamment l’emploi contre la compétence, l’emploi contre la recherche, l’emploi contre l’éducation.
Par ailleurs, l’État semble abandonner ce processus vital au privé, cela ne va pas sans conséquences. L’apport du privé est significatif dans ce domaine mais il faut se méfier des publicités mensongères qui pullulent partout sur l’adéquation entre la formation et l’emploi. Il faut veiller au respect des normes sociales. Aussi, la professionnalisation des enseignements doit quitter les textes et les décrets pour se faire effective sur le terrain et cela passe par la professionnalisation – et non la prolétarisation – des enseignants et par la disponibilité des infrastructures. La recherche doit aussi être encouragée, car toute politique de recherche se présente comme un mouvement de préparation de l’avenir. Il faut réconcilier l’enseignement supérieur avec la recherche, il faut réenchanter le savoir pour que la relève soit assurée dans nos universités.
Nous sommes pour la professionnalisation des enseignements parce que pour une fois, il ne s’agit pas simplement d’une importation d’un modèle mais d’un outil de création des richesses. Seulement, après avoir confié notre économie aux casinos, il n’est pas question qu’on confie notre éducation aux charlatans.
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Lydie Christiane AZAB à BOTO
Université de Yaoundé I (Cameroun)
Résumé :
Le présent article vise à réévaluer la pertinence des sciences sociales et humaines dans les universités camerounaises, au regard de la volonté de nos politiques de passer de la théorisation des enseignements à la professionnalisation tous azimuts. À l’ère où l’émergence de la technoscience tend à déconstruire particulièrement le bien-fondé des sciences humaines et sociales dans le développement d’une société, et instruit par ailleurs la course vers la professionnalisation, nous avons le devoir de poser la question de savoir si nos universités, calquées sur des modèles d’héritages coloniaux répondent aux besoins et aux défis de développement de notre temps. En usant des méthodes analytique et critique, la présente réflexion évalue à la fois, le système universitaire camerounais à partir de la colonisation, et l’importance de ces sciences dans la formation intégrale de l’homme.
Mots clés : Crise, Enseignements, Professionnalisation, Sciences sociales et humaines, Technoscience, Théorisation, Université.
Abstract:
This article aims to re-evaluate the relevance of the social and human sciences in Cameroonian universities, in view of the will of our politicians to move from the theorization of teaching to all-out professionalization. At a time when the emergence of technoscience tends to deconstruct in particular the legitimacy of the human and social sciences in the development of a society and instructs the race towards professionalization, we have a duty to ask the question of whether our universities, modeled on colonial heritage models, respond to the development needs and challenges of our time. Using the analytical and critical method, this reflection evaluates both our university system from colonization, and the importance of these sciences in the integral formation of man.
Keywords : Crisis, Lessons, Professionalization, Social and human sciences, Technoscience, Theorization, University.
Introduction
Selon le Dictionnaire Universel de 1995, la crise est un « moment difficile et généralement décisif dans l’évolution d’une société, d’une institution ». Il est question pour nous d’analyser cette difficulté au sein de l’université camerounaise qui se trouve au milieu d’un dilemme. En effet, la civilisation technicienne imprime une révolution dans le sens classique de la formation que propose l’université. Il s’agit, pour elle, de limiter le chômage grâce à la fourniture d’emplois. Cependant, son contenu classique serait controversé. Certains pensent, en effet, qu’au lieu de rester dans la théorie, elle devrait considérer les canons actuels de formation-emploi. Pour d’autres, le fait d’introduire la professionnalisation dans toutes les disciplines, pourrait modifier l’essence de certaines filières dont la spécificité réside sur le caractère abstrait et théorique. Face à ces positions divergentes, l’on se demande si pour s’arrimer aux exigences actuelles de développement, il est nécessaire que l’on supprime définitivement les filières théoriques proposées par les sciences humaines et sociales ? Par suite, si l’on transforme nos universités dans ce sens, ne perdons-nous pas une grande partie de notre humanité acquise justement à travers l’apprentissage des humanités ? Répondre à ces interrogations nécessite que l’on recoure à l’histoire de l’université camerounaise pour en saisir l’évolution. Il est également question d’analyser l’importance des sciences humaines et sociales, autant que les avantages de la professionnalisation. En clair, à travers un cadre théorique analytique et critique, il s’agira d’évaluer à la fois notre système universitaire à partir de la colonisation et l’importance de ces sciences dans la formation intégrale de l’homme.
1. Sources historiques de création de l’université au Cameroun
En vue de préparer les pays africains vers l’indépendance et pour leur autonomie administrative, la question de la création des universités s’est posée. Cela passe par la formation d’une élite locale capable d’assurer la continuité de l’administration, mais pour cela, il faut des élèves formés au-delà du secondaire. Même si l’École Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) et l’École Militaire Inter-Armes (EMIA) sont respectivement créées en 1958 et 1959, c’est après l’Indépendance du Cameroun en 1960 qu’elles sont implantées sur le territoire camerounais. Alexandrine Bouopda (2016) nous apprend que : « la création de ces établissements est le produit de nombreux débats entre les Camerounais, les puissances administrantes, et les instances internationales de l’ONU. ». Il faut néanmoins préciser qu’au-delà de l’objectif mentionné, il y en avait un autre, plus profond, qui contenait l’idéologie véritable de l’implantation de l’école en Afrique. Elle est énoncée comme ci-après par Albert Sarreau (2020, p. 54) : « Instruire les indigènes est assurément notre devoir (…) ; mais ce devoir fondamental s’accorde par surcroît avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et politiques » Ce postulat montre alors que l’école en Afrique, du primaire au supérieur, a pour objectif de préserver les intérêts coloniaux et de garantir une mainmise de la métropole sur tous les secteurs d’activité dans les colonies. Le contenu didactique des enseignements est donc fonction de l’idéologie coloniale. Si cette vision est générale pour tous les pays africains concernés par la colonisation, elle est complexe dans le cas du Cameroun qui lui, est sous une administration coloniale divergente française et anglaise. En effet, le Cameroun, placé sous-tutelle de l’ONU en 1945, et après la seconde guerre mondiale, a comme administrateurs la France et l’Angleterre. Cette complexité produira alors deux sous-systèmes dont les formations influencent encore aujourd’hui notre structuration universitaire, idée que soutient Alexandrine Bouopda (2016, p. 23) qui estime que « les politiques anglaises ont été différentes des politiques françaises, ce qui a affecté la configuration du Cameroun après la réunification de 1960. ».
Sous la pression de l’ONU qui insiste auprès des pays colonisateurs d’élargir l’horizon de la formation des indigènes, la France inaugure le premier établissement secondaire camerounais, le lycée général Leclerc en 1952, qui offre la possibilité aux élèves d’obtenir des bourses pour aller poursuivre leurs études en France. Cependant, l’université n’existe toujours pas, en raison de l’absence d’enseignants qualifiés. Mais, le troisième rapport du Conseil de tutelle de l’ONU insiste auprès des pays concernés et leur demande, selon A. Bouopda (2016, p. 32), « d’envisager au Cameroun, la création d’un enseignement supérieur » et leur demande par ailleurs d’indiquer les mesures prises par eux pour donner satisfaction à cette résolution. Jusqu’au dixième rapport de tutelle, l’université est encore inexistante au Cameroun. À cette préoccupation, la France et l’Angleterre font remarquer à l’ONU que « le nombre de bacheliers du Cameroun était encore insuffisant pour justifier la création d’une université dans le Territoire, et les dépenses qu’elle entraînerait, et que pour un assez long moment encore, il serait plus sage de s’en tenir au régime de bourse accordées aux gens désireux de poursuivre leurs études supérieures » (A. Bouopda, 2016, p. 33). Examinons de plus près cette question à partir du champ administratif colonial français au Cameroun.
1.1. L’administration française : administration directe
Le début de la première guerre mondiale poussant l’Allemagne à quitter le Cameroun permet à la France d’occuper 80% du Kamerun allemand. Dans cette partie du Cameroun oriental, l’administration française est instaurée. Il faut tout de même relever que l’administration coloniale française comme déjà mentionné, est dans une politique d’assimilation. Elle reproduit sur place, le modèle éducatif français. Cela est relevé par Ernest Folefack (2016, p. 34) qui affirme que « La première décennie de l’université camerounaise (1962-1973), qui correspond à sa mise en place, fut le résultat de l’assistance technique française. Elle a reproduit l’architecture du système universitaire français d’avant 1968, notamment la distinction université- grandes écoles ».
On note une interdiction formelle de l’usage des langues locales d’une part, et d’autre part, aucune des matières enseignées ne cadre avec les réalités locales. C’est ainsi que la « Marseillaise », l’hymne national de la France est enseigné dans cette partie du Cameroun. Même le contenu didactique des programmes d’enseignement fait essentiellement la propagande de la France. L’on ne sera pas alors surpris de savoir qu’en histoire, ce sont les guerres napoléoniennes ou la révolution française qui sont enseignées, tandis qu’en géographie, le relief de la France, son climat, ou encore sa population, constituent le programme d’apprentissage de ces pauvres indigènes. Il s’agit de faire d’eux des français culturels et idéologiques, même si à partir de 1940, la France développe le système de bourse pour l’enseignement supérieur justifié par l’absence d’établissements universitaires. C’est d’abord pour s’assurer de la pérennité du système français, avec la contribution des Camerounais formés à l’extérieur. La France crée d’ailleurs un fonds d’investissement pour le développement économique et social (FIDES) qui a pour objectif de : « financer les institutions médicales, économiques et scientifiques sur le continent. » (E. Folefack, 2016, p. 40). Le financement des bourses FIDES permet la mise sur place de trois catégories de boursiers :
– Les bourses d’enseignement par correspondance qui permettent aux jeunes fonctionnaires d’être formés sans quitter leur pays ou leur emploi.
– Les bourses d’étude sur le territoire qui sont des bourses de perfectionnement dans les établissements secondaires supérieurs du Territoire.
– Les bourses hors du territoire qui permettent aux élèves du secondaire d’aller poursuivre leurs études en France. Cette dernière donne la possibilité aux étudiants de se former aux études supérieures et est fortement encouragée par le Conseil de tutelle. Malheureusement, le coût de la prise en charge devient lourd au vu du nombre croissant des effectifs. À l’automne 1957 par exemple, le Cameroun compte 295 étudiants boursiers répartis entre la médecine, le droit, les sciences, la pharmacie, etc. Il est important de souligner que malgré la pression du Conseil de tutelle des Nations Unies, la France insiste sur le fait qu’il n’y a pas assez d’élèves pour justifier la création d’une université. Cependant, avec l’avènement des indépendances, la France établit avec les pays placés sous son administration et notamment le Cameroun, des accords qui conditionnent leur indépendance. Ces « accords de partenariat » sont appelés, pour le cas du Cameroun, « convention culturelle ». Celle du 10 novembre 1961 stipule que : « la France devra déterminer les choix socioculturels du Cameroun et orienter la détermination des programmes scolaires de ce pays à tous les niveaux » (G. Feuer, 1963). Bien plus, tout comme la démocratie longtemps après, l’indépendance sera accordée aux pays africains sous la condition de respecter les accords culturels établis avec la France. Michel Débré sera très clair sur la question lorsqu’il s’exprimera face à Léon M’BA, futur Président du Gabon : « on donne l’indépendance à condition que l’État s’engage, une fois indépendant, à respecter les accords de coopération signés antérieurement » (E. NNA, 2020, p. 55). Là est le sens de l’enseignement supérieur sous l’administration coloniale française au Cameroun, mais qu’en est-il de l’administration anglaise ?
1.2. Le modèle anglais : administration indirecte
Le mode d’administration choisi par l’Angleterre est l’« indirect rule ». Il sera déterminant pour la qualité de l’éducation dispensée dans les territoires dont elle a la charge. C’est ainsi qu’elle crée le British Council dès 1934 pour la promotion non seulement de l’éducation, mais aussi des relations internationales. Déjà en 1950, « Le British Council applique sa politique via l’attribution des bourses. Ainsi, en 1952, trente et un Camerounais avaient obtenu des bourses du British Council » (A. Bouopda, 2016, p. 43). L’Angleterre crée également la CDC, Cameroon Development Corporation, l’une des premières grandes entreprises qui financent également les bourses. Confiante de sa politique administrative, le modèle anglais se tourne vers la culture locale et donne libre cours à l’utilisation des langues locales au Cameroun. Relevons également que l’Angleterre avait trouvé un moyen pour limiter la présence des apprenants camerounais sur son sol et les envoyait plutôt au Nigéria ou au Ghana qui alors étaient déjà bien fournis en matière d’universités. Tout comme le modèle français, le modèle anglais était loin d’être une panacée à l’espérance nourrie dans le bilinguisme.
1.3. Le bilinguisme comme alternative d’unité nationale
La présence des deux administrations coloniales a scindé le Cameroun en 2 : la partie orientale et la partie septentrionale, chacune d’elle ayant acquis la culture de son pays de tutelle. Ainsi, les Camerounais parlaient français ou anglais en fonction de la partie du pays à laquelle ils appartenaient, et le contenu des enseignements étaient conformes aux standards de chacun des pays ; d’où l’existence de deux systèmes différents en cohabitation sur le territoire camerounais jusqu’à l’indépendance et la réunification des deux parties du pays.
Le choix porté sur le bilinguisme apparaît alors comme la solution idéale de fusion, pour l’harmonisation du système universitaire. C’est ainsi que dès 1960, les enseignements sont dispensés en français ou en anglais selon la formation initiale de l’enseignant, et les étudiants ont également la liberté de choisir leur langue d’évaluation. Malheureusement, le bilinguisme rencontre des difficultés, car les étudiants francophones étant en effet les plus nombreux, l’enseignement se fait plus en français et « de nombreux étudiants anglophones ont fait le choix des universités anglophones d’Afrique, d’Europe, d’Amérique ou d’Asie » (A. Bouopda, 2016, p. 59). Ainsi donc s’entrevoit la généalogie de l’université au Cameroun dont le renouvellement du sens s’inscrit dans la professionnalisation des enseignements.
2. Professionnalisation des enseignements et remise en question de la pertinence des sciences sociales
Si l’on tient compte du contexte mondial essentiellement basé sur le système capitaliste, l’on peut comprendre le besoin d’un pays comme le Cameroun, de s’allier à la mouvance mondiale, dans laquelle les États n’ont plus la possibilité d’employer à cause du nombre élevé des demandeurs d’emploi et d’encourager alors l’initiative privée. Placé en effet au cœur des différents enjeux économiques, politiques ou sociaux, l’enseignement fait face à un environnement devenu complexe par les besoins. Il est néanmoins important de relever que la professionnalisation comme projet au Cameroun, date des années 1970 et que c’est la disparité entre la formation théorique et l’accès à l’emploi, qui a remis sur la table des discussions le problème de la professionnalisation des enseignements dans notre pays. Cette dernière, comme le dit Daouda Maingari, est une notion polysémique qui « renvoie tantôt à la socialisation professionnelle, tantôt au syndicalisme enseignant, ou encore à leur identité professionnelle » (D. Maingari, 1997, p. 97). Nous saisissons la notion ici au niveau de l’adéquation formation-emploi pour constater que l’insertion du Cameroun dans le système anglo-saxon LMD, (Licence, Master, Doctorat), répond à ce besoin de former des personnes qui pourraient se prendre en charge au niveau de l’emploi à la fin de leurs parcours universitaires. Mais, la question ici est de savoir comment procéder ?
Les indépendances avaient construit, dans l’imaginaire de beaucoup d’Africains, l’idée qu’aller à l’école était la garantie pour un accès à l’emploi dans la fonction publique. Si cela a pu être possible au moment où la démographie était raisonnable et les besoins moins exigeants, cela n’est plus le cas aujourd’hui avec cette dernière qui est galopante. Arrimée comme nous l’avons montré aux standards français ou anglais, mais surtout français, l’enseignement au Cameroun s’est cristallisé autour d’une accumulation de savoirs qui rendait inadéquat le rapport formation emploi. L’État camerounais a essayé de résorber le chômage, en lançant des recrutements dans la fonction publique de 1986 à 2022. Cependant, la masse de demandeurs d’emploi toujours grandissante, l’a poussé à restructurer ses priorités éducationnelles. C’est ainsi que dans un arrêté, le Ministre d’État, Ministre de l’Enseignement Supérieur, au chapitre I, article 3, précise qu’« une filière professionnelle est un champ scientifique et matériel de la formation universitaire qui permet à un apprenant d’acquérir des habiletés et des compétences nécessaires à l’exercice d’un métier » (2022 : art 3). Il précise à l’article 3, alinéa 2, l’objectif de la professionnalisation des enseignements qui est l’insertion professionnelle et la création d’emploi. En décidant de choisir ce nouveau paradigme de formation, l’État camerounais montre qu’il est saturé, et qu’il voudrait faciliter la formation de jeunes gens qui pourraient mieux s’insérer dans le monde du travail ; d’où la floraison de nouvelles filières dites professionnalisantes. En quoi consiste-t-elles ?
2.1. Émergence des filières dites professionnalisantes
L’enseignement technique au Cameroun a longtemps été méprisé par les parents pour qui la véritable insertion de leurs enfants, était celle qui passe par l’accès à la fonction publique. Selon eux en effet, la technique rappelait la servitude coloniale précédemment subie. Jacques Philippe Tsala Tsala (2004, p. 177) précise que « cette attitude s’explique en partie par un passé colonial ayant assimilé le travail à la servitude ». Toutefois, il faut également dire que le système colonial recherchait des auxiliaires d’administration et était plus intéressé par ceux qui pouvaient parler la langue et promouvoir les valeurs des colons. De ce fait, les matières enseignées n’étaient pas celles qui permettaient aux indigènes de devenir autonomes puisque cette idée aurait été contradictoire avec la politique d’assimilation mise en place par la France. « Cette option stratégique a entraîné une survalorisation du statut des personnes et professions qui, par la maîtrise de langue, pouvaient servir l’administration et en tirer les bénéfices socio-économiques » (J. P. Tsala Tsala, 2004, p. 179). L’autre raison pour laquelle l’enseignement technique était quelque peu méprisé est que, dans le système camerounais, seuls ceux qui étaient âgés et ceux qui avaient échoué à l’enseignement secondaire général, étaient reversés dans les collèges d’enseignement technique. Ce qui aux yeux de plusieurs, apparaissait plus comme une sanction et une marginalisation. En plus, ceux qui suivaient la formation technique au secondaire, ne pouvaient pas poursuivre leurs études au supérieur parce qu’ils étaient refusés dans les universités. C’est ce qui explique que la première école supérieure d’enseignement technique du Cameroun, à savoir l’ENSET (École Normale Supérieure de l’Enseignement Technique), n’ait été créée qu’en 1979, soit 19 ans après l’indépendance.
Depuis plus d’une dizaine d’années maintenant, les Camerounais ont compris l’importance des filières techniques qui permettent une facile insertion professionnelle. L’on a ainsi vu émerger, des Instituts Privés d’Enseignement Supérieur (IPES), orientés vers l’enseignement technique, et le pays compte à ce jour, 113 instituts reconnus par l’État. Le 10 septembre 2020, lors de la quatrième édition du carrefour des métiers et de la bourse de l’emploi, qui avait pour thème : « résilience stratégique des métiers porteurs dans le contexte de la crise sanitaire », le ministère de l’emploi et de la formation professionnelle présentait aux jeunes présents, les filières porteuses. Il s’agissait entre autres de l’ingénierie, du digital, des énergies renouvelables, de la sécurité incendie, de la menuiserie, de l’agriculture, etc. Ces formations sont toutes encadrées par les instituts supérieurs à vocation technique même s’ils ne tirent leur reconnaissance institutionnelle que lorsqu’ils sont parrainés par une université d’État.
S’il faut saluer l’initiative de l’État qui a le souci de former des individus autonomes, il faut cependant déplorer le fait que les choix opérés par les pays africains de manière générale, comme au temps des indépendances, ne sont pas des choix souverains basés sur les réalités de leur environnement. L’inexistence des industries dans nos pays semble contradictoire avec la volonté de nos États, de techniciser les enseignements. À moins qu’ils veuillent former des techniciens qui iront travailler en Occident comme c’est déjà le cas avec les diverses immigrations choisies. Il faut aussi relever que, la mise en exergue des filières techniques a pour objectif de justifier la professionnalisation des enseignements.
En effet, pour s’arrimer au concept de développement tel que défini par l’Occident et les États-Unis, les pays africains et notamment le Cameroun, ont adoubé ce modèle de formation, en pensant uniquement plus à la technicisation des enseignements. Il faut dire que les pays techniquement et économiquement développés nous servent de modèle. Or, le développement aujourd’hui se décline autour de l’industrialisation, car dit-on, seule cette dernière propulse les pays à un niveau satisfaisant de stabilité. Pour cela, le système tend à minimaliser les sciences sociales sous le fallacieux prétexte qu’elles ne servent qu’à densifier la masse de chômeurs. C’est d’ailleurs cette idée, relayée par le Ministre camerounais de l’emploi et de la formation professionnelle, Monsieur Issa Tchiroma Bakary, qui a suscité un grand remous au sein de l’opinion publique camerounaise, lorsque lors d’un forum sur l’emploi le 22 janvier 2022, il affirma : « Vous envoyez vos enfants dans des facultés qui forment des gens qui ne travailleront jamais. Vous envoyez vos enfants dans la faculté d’Histoire-Géo, je n’ai rien contre… Ils ne travailleront jamais ». C’est dire l’état d’esprit de nos politiques vis-à-vis des sciences humaines et sociales qui, de leur point de vue ne bénéficient plus d’une grande légitimité parce qu’elles semblent trop théoriques.
2.2. Nécessité d’une réévaluation des sciences humaines et sociales
La mondialisation a consacré le décloisonnement des savoirs en voulant imposer au monde, un système éducatif qui empêcherait aux individus d’être intellectuellement autonomes. Cette volonté d’uniformisation des connaissances ne tient pas compte des réalités locales. En réalité, dans notre contexte, la crise de l’université est une crise qui va bien au-delà de la question théorisation/professionnalisation, il s’agit d’une véritable crise intellectuelle. Nos universités ont choisi, depuis bientôt une dizaine d’années, le mode d’évaluation nommé télé-évaluation. Il s’agit d’une méthode basée sur les questions à choix multiples, qui ne demandent plus à l’étudiant de mobiliser sa capacité à analyser et à argumenter, mais simplement à opérer un choix entre des réponses proposées. Il apparaît comme une volonté insidieuse de déconstruire le sens profond de ce que sont les sciences humaines et sociales. Il est vrai que chaque époque a des défis à relever, il est vrai que le monde évolue à une vitesse vertigineuse et l’on a d’ailleurs nommé le 21e siècle, le siècle de la vitesse. Cependant, il est tout aussi vrai que les sciences humaines et sociales, bien que théoriques, participent grandement à la construction des individus en leur donnant non seulement une formation théorique, mais bien une formation humaine et une identité sociale. Nous sommes assurément à une époque où, le développement technoscientifique, la technodivinisation de l’homme, au nom du développement, interpellent encore plus que par le passé, les sciences humaines et sociales. S’il faut dire avec Pius Ondoua (2020, p. 57) que « le monde de « l’homme-dieu », le monde de cette civilisation-monde » technoscientifique, consacre la fin des valeurs, la fin de l’homme, de l’ontologie et de la métaphysique traditionnelle », alors, il faut dire que nous vivons désormais dans un monde désenchanté. Ce désenchantement voulu par l’instrumentalisation du « logos » par les plus puissants, se décline par la volonté de contenir toute propension idéologique que semble faciliter les sciences humaines et sociales. Ces dernières ont la majesté de donner aux individus la capacité de construire des arguments et de les former également à l’esprit dialectique, donc à la contradiction, voire à la contestation. L’argument du chômage est généralement posé à tort pour décrédibiliser les sciences sociales et humaines. Ce fléau n’est-il pas plutôt la responsabilité de nos dirigeants politiques qui semblent ne pas savoir utiliser les ressources humaines formées pour un meilleur rendement ? Dans un pays en développement comme le Cameroun, comment penser qu’on n’a pas besoin d’historiens, de philosophes, de psychologues, d’anthropologues, même de littéraires ?
La notion de développement autour de laquelle sont construites nos politiques publiques contient elle-même sa propre limite et amène (E. Morin, 2004, en ligne), dans une interview donnée à l’espace Mendès, de postuler pour son dépassement. Il affirme en effet, qu’il faut renoncer au développement parce que
Le noyau de ce mot est techno-économique. Il suppose que le développement technique et économique, sur le modèle des nations dites développées, est comme la locomotive qui doit naturellement entraîner derrière elle tous les wagons du développement humain : santé, démocratie, culture, rationalité, mieux-être, etc. la notion de développement est donc fondée sur une logique, je dirais même sur un déterminisme socio-économique sous-jacent, qui oublie toute une série de détermination, lesquelles échappent à la technique et à l’économie. (…). De par son caractère technique et économique, la notion de développement se fonde sur le calcul et se mesure par le calcul. Or le calcul ignore ce qui lui échappe. Et qu’est-ce qui échappe au calcul ? c’est évidemment la vie, c’est la souffrance, c’est l’amour, tout ce qui fait la condition humaine.
En fixant ainsi les limites du développement technologique auquel aspire notre pays, Morin attire l’attention de tous, sur la qualité de notre existence et sur le sens à affecter à la notion de développement. C’est d’ailleurs en se situant dans cette logique que Ondoua ne conçoit pas d’existence sans ancrage axiologique. Quelle autre formation, sinon celle des sciences humaines et sociales confère-t-elle cette dimension au savoir ? C’est dire que la théorisation des sciences humaines et sociales n’est pas un handicap au progrès humain. Notre époque, malgré son apparente « maîtrise du réel », crée en même temps des angoisses existentielles qui nécessitent une remise en question permanente, et parfois des soins spécifiquement psychologiques, psychanalytiques, etc. Dès lors, l’erreur que nos universités pourraient commettre serait de prétendre réduire ou pire, fermer certaines facultés des sciences sociales au nom de la professionnalisation. Pour toutes les raisons sus-évoquées, l’idée d’une réévaluation de l’université camerounaise s’impose comme une nécessité.
3. Repenser l’université camerounaise pour une formation intégrale des apprenants
Toutes les sociétés connaissent des mutations paradigmatiques qui leur permettent de se reconsidérer et de se projeter. Ainsi, les universités, comme toutes les institutions sociales, sont exposées aux exigences de l’adaptation, ce qui fait dire à Quentin Landenne (2020, p. 79) que :
L’université est appelée à jouer un rôle central, en particulier dans la construction d’une nouvelle « société apprenante » (Learning Society), et en reformant ses offres classiques de formations et en promouvant les politiques d’apprentissage tout au long de la vie (Lifelong Learning), censées pouvoir permettre aux individus, aux groupes et aux institutions de s’adapter continuellement aux innovations technoscientifiques et aux mutations rapides du marché de l’emploi.
Il ne serait, par conséquent, pas mal pensé, de soumettre nos universités à une critique sans complaisance, afin d’en faire des pôles de formation sur les plans humains et techniques. Cependant, pour y arriver, il faudrait commencer par repenser leur horizon conceptuel et normatif. L’une des erreurs faites dans l’esprit des décideurs, c’est d’avoir maintenu une confusion entre ce qu’est l’université et l’école de formation. En intégrant les écoles dans les universités, l’on a perdu de vue la fonction de chaque entité. L’université a comme mission, la recherche fondamentale et l’enseignement, la formation qui y est donnée à l’apprenant est le matériau utile pour lui permettre d’autonomiser sa réflexion et d’opérer ses propres choix non seulement dans la vie professionnelle, mais aussi dans la vie quotidienne. L’École de formation aux métiers par contre, a pour but de former l’apprenant au monde professionnel ou d’améliorer ses performances puisque très souvent, les écoles forment des professionnels, c’est-à-dire, ceux qui ont déjà un emploi. On voit bien que les objectifs sont différents entre l’école de formation et l’université. À l’école de formation, on n’attend pas des apprenants qu’ils développent leur génie propre, mais qu’ils suivent un esprit bien précis, porté par l’école. Ce qui ne laisse pas une grande marge de liberté aux apprenants tant qu’ils ne sont pas encore sur le marché de l’emploi (pour ceux qui sont dans un besoin d’insertion). Cette distinction entre université et école de formation nous amène à poser une autre condition de l’épuration de nos universités.
3.1. La dépolitisation de l’université
Si les différentes réformes universitaires depuis 1990 jusqu’à nos jours ont eu comme principales motivations la décongestion de l’université de Yaoundé, la redistribution des étudiants entre les différents centres universitaires, la volonté d’offrir aux étudiants de plus vastes opportunités sur le plan pédagogique, entre autres, il ne faut pas occulter la volonté politique qui vise à contenter les différentes revendications communautaires. En effet, chez nous, les universités sont de plus en plus créées en fonction, non plus de la nécessité, mais de la volonté de contenir les velléités communautaristes. Chaque région veut avoir son université et sur les dix régions que compte le Cameroun, chacune est dotée d’une université, ou d’une grande école. Ce qui peut rendre vulnérable l’objectivisation d’une telle approche dans la mesure où, les élites locales en profitent pour en faire une récupération politique. Et lorsque l’université se politise, l’on peut alors voir les enseignants d’université, troquer leurs toges contre des joutes politiques qui peuvent leur permettre de se faire remarquer par la classe politique afin de bénéficier de certains avantages en nature. Emile Bongeli Yeikalo ya Ato (2009, p. 156), critiquant ces universitaires qui se mettent au service du pouvoir, dit d’eux qu’ils sont « les professeurs, chiens de garde de l’oligarchie dominante, [qui] se trouvent, grâce à des mécanismes institutionnels savamment élaborés et mystifiés, à l’abri des critiques et appréciation de la part des étudiants… ». Face à ce qui apparaît comme un fléau quand les universitaires abandonnent les amphis à la recherche des postes de nomination, l’impératif d’objectivité devient une urgence. Il s’agit donc d’avoir des universitaires engagés dans une recherche dont les résultats pourraient révolutionner la qualité de notre science, mais surtout, impacter significativement la qualité de vie des Camerounais. Ainsi, la contribution de tous les universitaires au premier rang desquels se trouvent les universitaires des sciences humaines et sociales est plus qu’un impératif.
3.2. Exclusion des sciences humaines et sociales
L’une des plus grosses erreurs que nos universités commettent c’est d’opérer une mue sans tenir compte de nos réalités socio-anthropologiques. Nous avons relevé au cours de notre analyse que, l’une des causes de notre inadéquation à l’emploi était le fait de n’avoir pas repensé le contenu didactique de nos programmes d’enseignements depuis les indépendances, pour les adapter à nos besoins. Il est important pour un peuple qui veut inscrire son nom au fronton du savoir, de se connaître lui-même, c’est-à-dire, de connaître sa propre histoire. La connaissance de notre histoire et son enseignement nous procure une identité réelle à partir de laquelle nous pouvons saisir notre propre vision du monde. Partant de là, il serait inconcevable de penser une telle étude sans une connaissance anthropologique de nos différentes compositions sociologiques. Comment alors l’idée d’une exclusion des sciences humaines et sociales pourrait-elle-même être envisagée ? Si cela était le cas, alors nous nous demanderons comme Axel Kahn (2000) : « Et l’homme dans tout ça ? ». En effet, les humanités placent l’homme au centre de leurs préoccupations et grâce à elles, l’homme peut se vanter d’avoir acquis une autonomie intellectuelle. La philosophie, par exemple, qui passe dans l’opinion pour une discipline inutile est pourtant le creuset de toutes les révolutions. C’est grâce à elle que la dialectique est possible, car elle prépare l’esprit au dépassement permanent. Dans notre environnement multiculturel, les humanités ont donc toute leur importance. La question ici n’est plus de savoir si elles doivent être bannies des formations académiques, mais il est plutôt question de réclamer que les contenus correspondent à nos besoins. Cette idée interroge alors la professionnalisation tous azimuts à laquelle notre pays est en voie de se livrer.
3.3. Le danger de la professionnalisation tous azimuts
L’on ne saurait penser le changement ou la transformation de l’université, sans tenir compte, ni des idéologies, ni des grandes problématiques qui dominent le monde actuellement. Si comme nous l’avons déjà dit, l’idéologie capitaliste est celle à laquelle sont adossés les secteurs de l’économie, de la politique, de la culture, etc., il ne faut donc pas s’étonner de constater un accroissement des filières qui sont susceptibles de produire de l’argent. Si le désir de tout apprenant, c’est de bénéficier d’une insertion professionnelle plus tard, et même transmettre son savoir-faire à d’autres, nous ne devons pas perdre de vue que notre volonté de résoudre coûte que coûte le problème d’insertion professionnelle peut, si l’on n’y prend garde, engendrer des déficits sur le type d’homme que notre société veut promouvoir. Notre pays est un pays en développement qui a besoin de tous les savoirs. Mais penser nos universités aux seules fins de produire des personnes techniquement aptes, serait priver les Camerounais de leur liberté à choisir la formation qui leur convient.
Au-delà de cette querelle stérile, nous pensons qu’il n’y a pas de choix à faire entre la professionnalisation ou la théorisation des enseignements. L’une et l’autre ont chacune, en fonction des domaines auxquels ils s’appliquent, une importance indéniable. En pensant uniformiser l’enseignement, nous courons le risque d’assassiner les vocations, car en effet, tout le monde n’a pas l’aptitude d’exercer un métier manuel, de même que tout le monde ne saurait être doué pour l’assimilation des connaissances théoriques. M. Tardif (2013, p. 3) attire notre attention sur l’enseignement, lorsqu’il parle de ses formes anciennes et contemporaines, pour montrer son évolution. Il fait cette précision de taille :
L’évolution de l’enseignement n’a rien de linéaire, qu’elle est faite de continuité, de détours, de retours en arrière et d’avancées provisoires. De plus l’enseignement est un travail à évolution inégale et très différenciée selon les pays, voire les régions d’un même pays : il n’évolue pas au même rythme partout et des formes anciennes coexistent avec des formes contemporaines. Parmi ces formes anciennes, on retrouve l’enseignement comme vocation et l’enseignement comme métier. Or ces deux formes, la vocation et le métier subsistent toujours. Elles cohabitent donc avec le mouvement de professionnalisation, engendrant ainsi des tensions, voire des revendications au sein de l’évolution sociale de l’enseignement. L’évolution du monde crée de nouveaux problèmes qui ont besoin de réponses plurielles pour leur résolution.
Cette mise en lumière de Tardif nous montre qu’en réalité, le débat sur la professionnalisation des enseignements est un vieux débat. L’analyse de ce dernier nous fait savoir qu’il y a trois âges dans l’enseignement qu’il décline comme suit :
– L’enseignement à l’âge de la vocation : ici l’enseignement est essentiellement, considéré comme un travail moral consistant à agir sur l’âme des enfants, à la dresser, à la guider, à la surveiller et à la contrôler. L’instruction était subordonnée à la morale et plus à la religion ;
– L’enseignement à l’âge de métier : pour ce deuxième âge, Tardif nous apprend qu’ici : « la fonction est peu à peu intégrée aux structures de l’Etat (national, fédéral, départemental, municipal) » (M. Tardif, 2013, p. 6). Le travail cesse d’être vocationnel pour devenir contractuel et salarial ;
– L’enseignement à l’âge de la profession qui nous intéresse dans cette analyse exige quelques préalables qui sont : l’existence d’une base de connaissance scientifique qui soutient et légitime les actes et les jugements professionnels, la présence d’un ordre professionnel reconnu par l’État regroupant des membres dûment qualifiés et socialisés aux valeurs de la profession, une éthique professionnelle orientée vers les clients, l’autonomie professionnelle et enfin la responsabilité professionnelle.
Ces éléments nous permettent de voir que l’âge de la profession ne se limite pas seulement à l’enseignement. Comme nous l’avons déjà mentionné, il n’y a pas lieu de choisir entre théorisation ou professionnalisation car comme le signifie une fois de plus M. Tardif (2013, p. 6) :
La professionnalisation est donc intimement liée à l’universitarisation, y compris pour l’enseignement. D’ailleurs, en Amérique du Nord, l’universitarisation de la formation des enseignants débute dès les années 1930 et 1940 avec l’abolition des écoles normales, et elle est partout achevée dans les années 1960 : l’universitarisation de la formation des enseignants précède donc de quelques décennies la professionnalisation et elle en constitue une condition nécessaire.
À partir de ces images de la pensée non sans connexité à l’expérience potentielle, l’université camerounaise adonnée sans ambages à une formation intégrale des apprenants, sortirait de sa crise des sciences sociales : entre théorisation et professionnalisation.
Conclusion
Toutes les sociétés évoluent chacune avec ses propres codes, même si la mondialisation tend à universaliser les pratiques. Qu’elles soient politiques, économiques ou même éducatives comme c’est le cas pour notre étude, il n’est pas évident d’effectuer un copier-coller des fonctionnements extérieurs. Relevons que pour ce qui concerne l’université camerounaise, sortie des indépendances et cherchant encore ses voies, les attentes que l’on a vis-à-vis d’elle sont peut-être grandes, mais nécessaires. Les universités sont destinées à former l’intelligentsia de chaque pays et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elles appartiennent à l’enseignement supérieur. Supérieur ayant alors véritablement ici le sens de supériorité. Notre université a le devoir de dépasser ses apories en tenant compte des défis contemporains, sans oublier d’arrimer à ses choix les valeurs humaines qui confèrent à l’homme son identité d’être humain. Il n’est pas question de robotiser les individus par des formations mécaniques sous prétexte qu’il faut réduire le chômage, mais de former des individus dotés de toutes les facultés à la fois intellectuelles, humaines et professionnelles. Ce serait alors la promotion de l’homme intégral.
Références bibliographiques
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DE LA MISSION NOUVELLE DES UNIVERSITÉS AFRICAINES : POUR UNE POLITIQUE D’EMPLOYABILITÉ DES JEUNES
Miesso ABALO
Université de Kara (Togo)
Résumé :
L’université africaine fait face à de nouveaux défis de deux ordres : ceux directement liés à sa vie interne et ceux liés au rapport qu’elle entretient avec la société. La teneur de ces défis fait que l’université africaine n’est plus apte à pouvoir répondre efficacement à la crise qui secoue nos sociétés. Pour ne pas donner raison aux pessimistes du système universitaire, l’université africaine doit faire face à ces défis en se donnant une nouvelle mission. La crise qui sévit dans les sociétés africaines aujourd’hui et qui s’empare du monde universitaire est une invite pour nos universités de s’engager dans la dynamique d’une ontologie multidimensionnelle. Celle-ci aura pour tâche d’unir éducation et emploi afin d’éviter le problème de l’inadéquation des diplômes à la réalité du terrain. En s’inscrivant dans cette dynamique, elles sont dans la nouvelle mission qui consiste à développer chez les apprenants les talents en fonction des besoins de la société. Il s’agit de créer, à travers les programmes universitaires, de nouveaux profils de sortie permettant aux étudiants, détenteurs des diplômes universitaires, de s’intégrer aisément dans la vie socio-professionnelle. L’objectif de notre recherche est de réexaminer la traditionnelle mission des universités africaines souvent en inadéquation avec les besoins des populations. Il s’agit de montrer la nécessité de l’engagement de l’université africaine dans les secteurs d’activité de la société afin d’éviter les incompréhensions entre le monde universitaire et le marché de l’emploi.
Mots clés : Afrique, emplois, société, universités, vie socio-professionnelle.
Abstract:
The African university faces new challenges of two kinds: those directly related to its internal life and those related to its relationship with society. The tenor of these challenges means that the African university is no longer able to respond effectively to the crisis that is shaking our societies. In order not to give reason to the pessimists of the university system, the African university must face these challenges by giving itself a new mission. The crisis that is raging in African societies today and that is gripping the academic world is an invitation for our universities to engage in the dynamics of a multidimensional ontology. This will have the task of uniting education and employment in order to avoid the problem of the inadequacy of diplomas with the reality on the ground. By being part of this dynamic, they are in the new mission which consists in developing in learners the talents according to the needs of society. It is a question of creating, through university programs, new exit profiles allowing students, holders of university diplomas, to integrate easily into socio-professional life. The objective of our research is to re-examine the traditional mission of African universities, which is often out of step with the needs of the populations. This is to show the need for the commitment of the African university in the sectors of activity of society in order to avoid misunderstandings between the academic world and the job market.
Keywords : Africa, jobs, society, universities, socio-professional life.
Introduction
L’université africaine doit toujours œuvrer, non seulement dans la production du savoir et des compétences, mais aussi jouer efficacement le rôle d’avant-garde pour ces compétences par rapport aux besoins de la société. Le double versant auquel fait face l’université africaine est la preuve qu’elle doit faire son engagement comme quête perpétuelle du savoir. Son engagement doit tenir compte des priorités qu’il convient d’identifier pour que l’université africaine ne soit pas réduite à la seule production de savoirs, mais engagée dans le processus du développement de l’Afrique.
L’identification des priorités auxquelles il convient d’attacher du prix pour les programmes d’enseignement universitaire est le premier indicateur de la bonne implication ou la participation de l’université africaine à la vie socioéconomique. Les défis à relever sont la révision des programmes d’enseignement et la mise en rapport des profils de sortie ou des compétences avec les besoins de la société. Il est donc question de la réorganisation de l’enseignement de telle manière que « l’université puisse remplir d’une manière fructueuse les nouvelles fonctions » (Association des universités africaines, 1970, p. 97) afin qu’elle puisse être à la place qui lui revient de droit dans l’environnement social et culturel en Afrique. Les nouvelles attributions qui ne figuraient pas dans les programmes d’enseignement à cause de la dépendance des pratiques éducatives étrangères doivent servir aujourd’hui l’occasion pour les acteurs du système universitaire de revoir le contenu desdits enseignements. Cela permet de briser les codes éducationnels introduits par l’idéologie coloniale ou occidentale. L’objectif visé ici n’est pas de faire du métier d’enseignant une activité de production des mécanismes et des techniques à usage purement pratique. Toutefois ce métier doit promouvoir une connaissance pragmatique qui se fait à la fois théorique et pratique. L’on doit reconnaître que l’ampleur de la décrépitude de l’enseignement universitaire est due au fait que le cadre théorique dans lequel se déroulent les enseignements comporte « des lacunes secrètes » (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 10) a priori inhérentes à la vie même de ces enseignements.
Les activités para-universitaires qui marquent le tournant décisif du retour de la pédagogie traditionnelle axée sur l’identité africaine précédemment initiées par le séminaire d’Accra (du 10 au 15 juillet 1972), paraissent nécessaires pour que les universités africaines « s’engagent sans réserve à servir la nation » (Association des universités africaines, 1970, p. 93). C’est ce que nous enseigne l’expression ״mission nouvelle des universités africaines״. Elle peut se traduire par le processus d’innovation et de création qui pourrait animer tout enseignant durant ses séances d’enseignement ou de séminaires. Durant un tel processus, l’enseignant peut se rendre aussi bien pratique que théorique. À cet effet, le champ de l’enseignement supérieur ne sera plus réduit au déroulement des savoirs et des compétences dans une sorte de formalisme. Il doit aussi s’ouvrir aux innovations susceptibles de résorber les trépidations érigées sous forme de tares dans le système éducatif. En résorbant ces tares, l’université africaine devient créatrice de valeurs, lesquelles donneront sens aux diplômes et aux capacités que les apprenants auront à la fin de leur formation.
L’objectif de notre recherche est de faire une analyse critique des méthodes classiques en cours dans l’enseignement universitaire africain. En prenant la crise de l’université africaine comme l’objet d’étude ou le champ de savoir, grâce à une approche méthodologique critique, cette recherche vise à saisir la nature réelle des priorités qu’il convient de viser pour que l’université africaine n’apparaisse point comme un entrepôt de savoirs sans incidence sur la vie socio-économique, politique, sociale, humanitaire, religieuse et sur les réalités qui sous-tendent les rapports interhumains. Il s’agit de montrer comment l’université africaine peut sortir du formalisme classique qui la contraint à ce qu’il est convenu d’appeler « crise de l’éducation » pour retrouver sa place d’antan.
Pour atteindre cet objectif, nous procéderons par l’analyse critique des réalités en cours dans les universités africaines. L’analyse débouchera sur des solutions à la crise dans l’université africaine à partir des missions nouvelles que se donneront les institutions d’enseignement supérieur afin qu’elles puissent retrouver l’espoir jadis placé en elles d’être le milieu par excellence des connaissances et des savoirs.
1. La part de responsabilité des universités africaines dans la crise de l’éducation
Les problèmes auxquels l’université africaine fait face sont en partie liés au mode de fonctionnement qu’elle adopte pour assurer ses attributions. Au nombre de ces problèmes, on peut évoquer le cas par exemple de la stagnation et le manque d’esprit d’initiative et d’innovation, qui donnent l’impression qu’il n’y a pas de nouveaux défis pour l’université. En réalité, ce qui pose problème c’est l’idéologie coloniale/occidentale qui fait que « les formations restent exclusivement commandées par les capacités des enseignants et non par les besoins des usagers, celle qui n’ose plus exiger le respect des règles et des formes garantes de la qualité » (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 19). S’il faut analyser ce problème en termes de crise comme celle à laquelle l’université africaine fait face, c’est pour mettre en exergue son ampleur. D’où les questions suivantes : pourquoi parler de crise à l’université et pour quels enjeux ? Pourquoi est-il fondé de parler de crise à l’université africaine aujourd’hui ? Par l’analyse de ces questions, il est clair que la crise dont fait face l’université africaine est à l’image des crises que vivent les sociétés africaines. Autrement dit, l’université africaine n’échappe pas aux différentes crises que vivent les populations au quotidien. Cela signifie qu’il y a entre l’université et la société un rapport étroit, si bien que l’université ne peut prétendre faire face à ses difficultés sans prendre en compte les maux qui minent la société.
En effet, l’université africaine fait beaucoup d’efforts, surtout en termes de productions scientifiques et de savoirs. Malheureusement, malgré les efforts pour rehausser le niveau de l’éducation et promouvoir les acquis, les universités africaines font face à une situation de crise dont les responsabilités sont souvent partagées. D’un côté, on peut affirmer que l’université africaine contribue elle-même aux difficultés qui la plongent dans un état de crise. Les pratiques en cours dans les modes de transmissions des savoirs deviennent obsolètes, rendant quasiment problématique l’objectivation de soi. Celle-ci devrait permettre aux apprenants de répondre de façon adéquate aux besoins et services de la société. Doit-on parler d’une sorte de « laxisme de la gestion » (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 46) de l’université africaine ?
Certes, l’encéphalogramme n’est pas plat en ce qui concerne les productions scientifiques. L’on doit noter que les universités africaines développent une galerie assez fournie, avec des enseignants toujours en pleine recherche à travers des séminaires, des colloques, des journées scientifiques et autres. Cependant, ces productions scientifiques semblent ne pas avoir d’incidence effective sur la vie socioéconomique de la communauté. Celle-ci ne tire pas profit des résultats issus des recherches par manque de politique de diffusion et de vulgarisation des fruits de la recherche. Cette politique n’existe pas comme instance devant faire la promotion des recherches afin d’amener la communauté à la culture de la connaissance et des valeurs de l’éducation. On pourrait peut-être nous rétorquer d’affirmer que les productions scientifiques n’ont d’impact que pour leurs auteurs, uniquement dans l’examen de leurs grades universitaires, ce qui remet en cause les fins de l’éducation et de l’enseignement. Car « l’éducation et l’enseignement n’ont de sens que par rapport aux fins qu’on leur assigne relativement à la condition humaine » (J. Leif et G. Rustin, 1970, p. 13). Or, en s’attelant aux productions scientifiques, ces fins sont mitigées, pour n’être que la part qui revient à l’enseignant après son inscription sur les listes d’aptitudes du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES).
Ces productions scientifiques ne profitent pas aussi suffisamment à la communauté scientifique, car de même que la société, la communauté scientifique semble manifester un désintérêt, soit par manque de diffusion des productions scientifiques, soit par le désintérêt des uns et des autres, ou soit par manque de volonté ou du goût de la recherche. Les utilisateurs potentiels des productions scientifiques en font usage, certains par le biais de la nécessité d’un laboratoire ou par le lobbying d’un enseignant dans le cadre d’une activité ou d’une manifestation scientifique.
Un autre aspect aussi important soit-il, pour exprimer le manque d’incidence des produits de la recherche sur le quotidien de la communauté, est le manque de soutien dans la plupart des universités africaines, ce qui contraint les universitaires à demeurer dans la méthode classique de production de savoirs, comme si l’enseignement avait pour seule finalité de produire des connaissances.
En ce qui concerne la production des savoirs, la plupart des universités africaines demeurent dans la méthode classique qui consiste à doter les étudiants des connaissances même si celles-ci se présentent comme « un dinosaure posé sur un aéroport » (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 15), c’est-à-dire sans incidence sur les services ou les besoins de la société. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait devenu alarmant ces dernières décennies. On peut évoquer le cas de l’inadéquation des programmesd’enseignement avec le marché de l’emploi, contraignant les jeunes diplômés à une aventure dont ils ne rêvaient pas. Cela entraîne une certaine psychose, non seulement pour les diplômés, mais aussi pour les parents ou pour toute la communauté se demandant à quoi vaudraient-ils tant d’années d’étude sans pouvoir trouver de quoi se régaler. Tant que cette psychose perdure, l’université africaine perdra son prestige et deviendra pour certains la priorité d’une classe de personnes décidant à poursuivre leur rêve malgré les multiples problèmes auxquels elles sont confrontées.
Un autre facteur aussi important soit-il, est la vétusté du cadre et des outils de travail qui ne sont pas à la hauteur de la tâche dans certaines universités. Face à cette vétusté, les universitaires travaillent en corps défendant puisque l’amélioration du cadre et des outils de travail ne relève pas, en réalité, de leur attribution, mais des pouvoirs publics ou des structures étatiques en charge de l’éducation. Ne considérant pas l’éducation comme la priorité des priorités, les pouvoirs publics ignorent l’horizon normatif et conceptuel, qui devrait être la vision sur laquelle l’éducation sera basée en termes de priorités pour l’université africaine.
2. Le besoin de nouvelles priorités des universités africaines
Les universités africaines doivent revoir leur agenda en ayant en idée que « l’éducation est un projet politique (F. Morandi, 2000, p. 31) et que cette politique doit se faire avec une attention particulière sur « la légitimité, le sens et les fins de l’éducation et de l’enseignement ; des considérations référées aux conceptions élaborées, en ces domaines, depuis les origines jusqu’à nos jours » (J. Leif et G. Rustin, 1970, p. 13). Ces conceptions élaborées depuis les origines doivent s’inscrire aujourd’hui dans une vision qui sera considérée comme l’horizon à viser par le système universitaire. Cela suppose que l’on se demande ce que l’on veut, quel type d’individus l’on veut avoir, quelle société l’on veut développer. Car le système universitaire ne doit pas être suspendu en l’air. Il doit être rattaché à la vision que l’on se donne pour le présent et le futur en s’appuyant sur les dispositions du passé.
Cette vision globale de la société et du développement n’est rien d’autre que l’ensemble des priorités que les autorités universitaires, en collaboration avec les autorités politiques en charge de l’éducation, doivent identifier et prioriser. Ainsi on finira par « se débarrasser des images tenaces et faciles » (B.-H. Lévy, 1977, p. 46) qui ne cessent de peser de leur poids dans le rapprochement de la formation universitaire aux nouveaux défis. Pour se débarrasser de ces images, « le système universitaire devrait comprendre une déclinaison complète de programmes et d’institutions capables de recueillir et de former tous les niveaux possibles de candidats, ceci nettement mieux qu’il ne le fait aujourd’hui » (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 111). Mesure-t-on vraiment l’enjeu et l’ampleur des risques que court le système universitaire africain ? Les incohérences du système universitaire africain face aux nouveaux défis menaçant la vie et les enjeux mettant à rude épreuve les rapports formations-emplois montrent qu’il y a inadéquation dans le rapport formation-emploi. L’on peut noter à travers ce rapport qu’il y a manque d’attention aux problèmes de la société. Ce manque d’attention particulière aux problèmes de la société traduit le caractère irréductible de ces problèmes de telle manière que les sites de formation universitaire ne gardent plus le sens de la compétitivité requise. Le caractère irréductible s’explique par le manque d’élaboration de programmes d’étude et de vision. En effet, nombreuses sont les universités africaines qui ne sont pas encore ouvertes aux innovations et aux changements de paradigmes à travers les offres de formation encore teintées de dépendance extérieure et de manque de créativité. Si le système universitaire africain ne joue nettement pas son rôle de formateur aujourd’hui, c’est parce que les programmes ne subissent pas de changements et de réformes pour répondre aux nouveaux défis auxquels la société est confrontée.
Le changement de paradigmes s’impose au monde universitaire africain à cause des enjeux liés au manque de sérieux dans l’enseignement supérieur avec leurs corolaires qui ne font que s’accroître, contraignant la société à des crises de divers ordres. Dans presque tous les domaines de la vie, des difficultés d’ordres épistémologiques s’imposent. L’identification de ces difficultés, la nécessité de les étudier en vue d’élaborer des programmes d’enseignement ne se font pas sentir comme priorité pour les universités africaines, ce qui fait que les difficultés continuent par peser dans la société à la fois sous forme d’un manque à gagner et du paradis perdu. Car le constat est sans appel : on reconduit les mêmes systèmes d’enseignement en déphasage avec le monde du travail. La situation telle qu’elle se présente ne cesse de créer une disharmonie entre la formation reçue par les apprenants et le marché de l’emploi. Cette situation contraint l’université africaine à une perte de prestige qui ternit l’image des études universitaires.
Certains diront que l’université n’a pas pour attribution de répondre aux problèmes de l’emploi qui se posent aux jeunes en fin de leur cursus universitaire et que chaque étudiant en fin de formation devrait se débrouiller pour créer son propre emploi. En effet, il est vrai que les étudiants les plus assidus durant leur cursus universitaire finissent avec un bagage intellectuel bien fourni pouvant leur permettre de créer leur propre emploi ou de se prendre en charge. Cela peut être l’une des finalités de la formation universitaire. Mais il faut se demander combien d’entre eux peuvent avoir les moyens nécessaires à cette finalité. Un des faits très remarquables est l’absence d’une base et d’une expérience très solides fondées sur l’employabilité de ces jeunes désemparés et meurtris par le système en cours dans nombre d’universités africaines.
Le titre de l’ouvrage de H. Tézenas du Montcel (1985) le dit bien : l’université africaine peut mieux faire. Oui, elle peut mieux faire si elle se guérit des problèmes de son système incohérent dicté par le clientélisme qui la détourne de sa fonction initiale, celle d’être le milieu par excellence des savoirs et qu’elle adopte une bonne politique de base pour son redéploiement avec des objectifs bien définis. Cela est d’autant plus important que la formation universitaire réponde à un objectif précis et défini par la politique basée sur les priorités.Elle doit viser, non seulement l’atteinte des objectifs classiques comme la réussite des apprenants, mais aussi l’acquisition de l’expérience par ces derniers. Car l’expérience permettra aux jeunes diplômés de jauger leur connaissance par rapport aux besoins, aux services et aux mutations socio-économiques de la société africaine. Pour cette raison, elle se présente non pas dans la nature des faits éducatifs, mais dans la corrélation qu’elle pose sous forme d’expérience aux apprenants, du coup à l’université. Celle-ci s’en servira pour redonner l’espoir aux jeunes ayant le désir de se faire former à se voir dans le rapport à soi qu’elle établit avec le vécu. Puisque le vécu est étroitement lié à l’expérience, tout système universitaire voulant atteindre ses fins est appelé à accorder du prix aux intérêts de son espace géographique. E. Njoh-Mouelle, (1975, p. 11) écrit dans cette optique : « Il faut, à cette occasion, comme aux occasions historiques antérieures, distinguer soigneusement entre les intérêts de l’Afrique et les intérêts en Afrique ». Le rapport à soi qu’établit le fait éducatif peut alors être considéré comme une exigence des intérêts de l’apprenant ou de sa société tout entière. L’exigence qu’introduit la politique de l’éducation peut s’exprimer afin de déterminer le type d’hommes que l’on veut pour la société africaine.
3. L’université africaine et le monde du travail
L’université doit, pour ne pas donner l’impression d’être une usine de production des savoirs et des diplômes sans incidence sur le quotidien des populations, montrer les valeurs qu’elle se doit de déterminer. Il s’agit pour les universités africaines d’œuvrer pour une forme de partenariat entre les services universitaires, les diplômes et l’ensemble des couches sociales. Cela peut paraître paradoxal pour certains dans la mesure où la formation des apprenants ne soit plus la seule priorité de nos universités, mais aussi leur insertion dans les corps de métiers ou dans les besoins de nos sociétés. La signification que nous donnons à l’expression « nouvelle mission des universités africaines » tient bien son intérêt de l’insertion des jeunes diplômés dans lesdits corps de métiers. Pour remplir d’une manière efficiente cette nouvelle mission, l’université africaine est appelée à faire la part belle d’une bonne organisation et du personnel requis dans un plan d’action susceptible de faire face à la crise qu’elle traverse.
La première des choses est de redonner à l’université son prestige et ses honneurs d’antan, car pendant ces années de gloire (1960), « l’université était une institution hautement respectée, laquelle, après le gouvernement lui-même, représentait un groupement de talents indispensables au bien-être de la société, et que le diplômé de l’université jouissait d’une place d’honneur spéciale » (Association des Universités Africaines, 1975, p. 25). Si aujourd’hui l’université n’a plus son respect et les diplômés leur honneur, ce n’est pas une fatalité, mais parce que l’université n’a pas su faire des réformes nécessaires pour être à la hauteur des tâches qui lui furent confiées en fonction des mutations que connaissent les secteurs d’activité de la société et de la vie en général.
La nécessité de ces réformes se trouve dans le fait qu’elles permettent de redynamiser les méthodes et les contenus d’enseignement pour que ces derniers répondent aux nouveaux défis avec plus d’optimisme excessif. Le but est de permettre au système universitaire d’assurer les services de qualité et l’épanouissement des apprenants à la fin de leur cursus. H. Tézenas du Montcel (1985, p. 10) écrit : « Pour affirmer ses qualités et réussir l’épanouissement des hommes et des femmes qui l’habitent, l’Université a besoin d’une modification profonde de ses méthodes de gouvernement. Que cela plaise ou non, toute institution universitaire est une entreprise du secteur tertiaire produisant des services de recherche et de formation ». Il s’agit de faire la mise en place des mécanismes de définition des pôles de recherche et de formation qui amènent les apprenants à développer les aptitudes du vivre-ensemble et à prendre conscience des qualités positives de leur communauté en tant que sujets responsables, des modèles pour leur localité. Il s’agit de poser un rapport immédiat entre le savoir et le « comment faire » des fins poursuivies par la société.
La construction du concept d’homme et du citoyen qui sont les fins premières de l’éducation ou de la formation universitaire exprime l’essence même du rapport sur lequel se fonde ce concept. Hisser l’université africaine sur un tel concept d’homme permettra de la rendre créatrice des valeurs humaines et du vivre-ensemble de telle sorte que la société puisse se faire guérir de ses pathologies qui ne sont que d’origines humaines. Les perpétuelles crises qui secouent la société, voire l’université, peuvent être évitées en partie si la formation universitaire, par ses offres de formation, arrive à couvrir les besoins fondamentaux de la société par les apprenants bien formés.
L’exigence de ce rapport dans le système universitaire africain montre qu’il permet de consolider la psychologie des apprenants et les tendances du moment afin de les orienter vers la fin ultime de l’enseignement. Il permet aussi de favoriser l’adéquation entre la formation et le monde du travail. Pour cette raison, le cadre de l’enseignement doit être un espace de libre discussion, c’est-à-dire un espace libre des idéologies politiques et des déterminations particulières. Cet espace doit être aussi propice à la création des valeurs morales, éthiques et citoyennes de telle manière que le jeune diplômé soit un modèle de citoyen pour sa communauté. F. Morandi (2000, p. 19) affirme à cet effet que dans l’enseignement, « le comment faire״ n’est jamais séparable des fins poursuivies. Le rôle d’éducateur qualifié par une communauté ne peut se faire sans l’acceptation tacite de celle-ci, de ses valeurs ». Une telle acceptation intervient du moment où l’enseignement impacte le quotidien des populations par son métier qu’il incarne et qui le présente comme un modèle pour sa communauté.
L’université africaine jouera davantage ce rôle en tenant compte des réalités africaines, des besoins réels du continent, qui méritent réflexion. Cela prend le nom d’africanisation des programmes d’enseignement de telle manière que les problèmes, tels qu’ils se posent, puissent trouver une approche de solution qui soit axée sur les réalités africaines. Quoi qu’on dise l’africanisation des programmes d’enseignement n’est pas discutable si l’on veut vraiment permettre à l’université africaine d’être à la hauteur de ses crises, parce qu’elle a la possibilité d’atteindre le domaine immanent psychique de l’être-africain.
Aussi, peut-on la considérer comme la seule condition permettant aux systèmes universitaires africains d’éviter les clichés de dépendances extérieures afin d’être en rapport avec les réalités africaines. Cela a été le souci majeur de Joseph Ki-Zerbo lorsqu’il « demande que l’on commence par africaniser les programmes d’enseignement universitaire » (Association des universités africaines, 1975, p. 21). Il faut, à cet effet « briser les liens de dépendance intellectuelles qui ont pesé et continuent par peser de leur poids dans l’enseignement en Afrique. Car le constat est qu’en Afrique, l’enseignement dépend des pratiques « éducatives internationales et que les liens de dépendance donateur/bénéficiaire ont freiné le développement des établissements africains et l’aptitude des Africains à élaborer des politiques de l’enseignement qui soient socialement adaptés et financièrement réalisables » (Association des universités africaines, 1975, p. 46). La dépendance intellectuelle dans les pratiques éducatives conduit à l’assimilation des valeurs étrangères, à la paupérisation de l’être africain qui, avec le temps, deviendra complètement déraciné de son identité. La question du sous-développement en Afrique, la crise dans nos sociétés africaines, qui s’empare de nos universités créant « le gouffre insondable » (E. Njoh-Mouelle, 1975, p. 9) provient du fait que l’enseignement est victime de la dépendance intellectuelle qui réduit son espace de réflexion à des normes conceptuelles dictées par l’extérieur. La solution, à cet effet, serait la rupture des liens de dépendance. Cela ne signifie pas que l’enseignement, en Afrique, soit totalement coupé des standards internationaux pour être totalement focalisé sur les valeurs africaines, mais il doit d’abord avoir une base solide constituée par les réalités africaines avant de s’ouvrir à la communauté académie internationale.
L’africanisation de l’enseignement permet aussi de revisiter les profils de sortie en concertation avec les besoins de la société. Puisque ces besoins s’inscrivent dans l’espace géographique africain, il faudrait alors éviter l’assimilation des valeurs étrangères et faire en sorte que l’éducation soit positive et vécue librement dans la conscience de l’apprenant (F. Morandi, 2000, p. 19) et non sous forme de contrainte. La politique de l’éducation doit faire des profils de sortie une préoccupation fondamentale afin d’éviter les déséquilibres psychiques des diplômés en chômage qui, de nos jours, constituent l’un des signes visibles de la crise des universités africaines. Mais cette préoccupation peut être prise en compte par un service compétent d’orientation pour que les étudiants ne s’inscrivent pas dans leurs filières par complaisance, par camaraderie, mais par rapport à leur compétence et surtout en raison des besoins de la société. L’analyse des besoins d’une société, quelle que soit la politique ou la vision qu’elle se donne, a besoin d’une hétérogénéité des disciplines ou des filières.
L’hétérogénéité des filières permet d’avoir, non seulement une idée générale des besoins et des services clés de la société dont le but est de renforcer l’adéquation entre la formation et le monde du travail, mais aussi de réduire le taux de chômage. L’importance de cette hétérogénéité provient du fait qu’elle permet aux filières qui sont « convenablement adaptées aux besoins mais moins sélectives (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 51)) de compter parmi les multiples choix des jeunes pour leur insertion dans la vie socio-professionnelle.
Conclusion
La crise que traversent les universités africaines est diversement appréciée. On peut affirmer qu’elle est la conséquence des pratiques obsolètes encore en œuvre dans le système universitaire africain quelquefois déconnecté de la réalité que vivent les populations. Aussi peut-on dire que les universités africaines semblent ignorer les changements qui s’imposent à la vie, à la société et qui demandent un changement de paradigmes. Ce changement de paradigmes doit se faire, non par ordonnance, mais par une bonne politique qui consiste d’abord à briser les liens de dépendance de notre système universitaire et donner une vision devant s’inscrire dans la logique d’une ontologie multidimensionnelle consolidant le rapport éducation-emploi. C’est avec cette vision que l’université africaine pourra retrouver ses prestiges d’antan et répondre aux aspirations des diplômés en particulier et de toute la société en général. La vision est d’autant plus nécessaire puisqu’avec le système classique, les jeunes dévoués à la formation universitaire sortent de leur cursus et font face à un monde dont les exigences ne relèvent pas de leurs compétences. D’aucuns diraient qu’il faut une autre formation après tant d’années passées à l’université afin d’être compétitif sur le marché de l’emploi. N’est-ce pas là l’une des lacunes de nos systèmes universitaires ?
L’espoir placé aux universités africaines a été mitigé par l’esprit de stagnation auquel elles n’ont pas su apporter une attention particulière. « La gloire n’est pas non plus absente » (H. Tézenas du Montcel, 1985, p. 135) pour qu’on puisse dire que les universités africaines n’ont plus leur place dans le développement de l’Afrique en tant que créatrices des valeurs et des capacités intellectuelles. Cependant, elles se doivent de subir de profondes mutations par les réformes et la dotation du système d’une vision pouvant exercer leur implication sur le quotidien de la société. C’est donc ce qui est convenu d’appeler la nouvelle mission des universités africaines, celle qui fera d’elles des pôles de formations au service des besoins et aspirations de la société afin qu’une fois sortis de leurs cursus universitaires, les étudiants puissent s’intégrer dans la vie socio-professionnelle de façon descente. Car, la fin primordiale de l’enseignement est « l’intégration de l’individu à la société jusqu’à son extrême effacement » (J. Leif et G. Rustin, 1970, p. 13) comme une réalité singulière.
Références bibliographiques
Association des Universités Africaines, 1975, L’édification de l’Université africaine. Les problèmes des années 1970, Accra, Accra Catholic Press.
HOUSSAYE Jean, 2014, La pédagogie traditionnelle. Une histoire de la pédagogie. Suivi de « Petite histoire des savoirs sur l’éducation », Paris, Editions Fabert.
LEIF Joseph, RUSTIN G., 1970, Philosophie de l’éducation, Paris, Librairie Delagrave.
LÉVY Bernard-Henri, 1977, La barbarie à visage humain, Paris, Grasset.
MORANDI Franc, 2000, Philosophie de l’éducation, Paris, Nathan.
NJOH-MOUELLE Ebénézer, 1975, Jalon II. L’africanisme aujourd’hui, Yaoundé, Éditions CLE.
TÉZENAS DU MONTCEL Henri, 1985, L’Université : peut mieux faire, Paris, Editions du Seuil.
FORMATIONS ET RISQUES DE CHÔMAGE DES ÉTUDIANTS AU GABON : QUELLE REPRÉSENTATION SOCIALE ?
Parfait MIHINDOUBOUSSOUGOU
Université Omar BONGO (Gabon)
Résumé :
La recherche traite de la formation universitaire et du risque de chômage des étudiants du Gabon. L’outil est un questionnaire de vingt questions ouvertes pour deux items (N=507). Le problème renvoie au fait qu’au Gabon la formation universitaire avait pour représentation sociale l’emploi. Elle est désormais minée par le risque de chômage. Au Gabon, la formation universitaire a-t-elle encore l’emploi comme représentation sociale ? De cette question découle l’hypothèse selon laquelle, au Gabon la formation universitaire n’a plus l’emploi pour représentation sociale. L’objectif consiste à montrer qu’au Gabon la formation universitaire, au regard des vicissitudes que connaissent les années académiques, n’a plus l’emploi pour représentation sociale. L’intérêt est de promouvoir la professionnalisation de l’Université par la relation formation-emploi. Il y a des effets prédicteurs de la représentation sociale sur le risque de chômage [(Sig =.00), (Sig. =.05), (Sig =0.01) et(Sig =0.02)].
Mots clés : Étudiants, Formation, Représentation sociale, Risques de chômage, Université.
Abstract:
The research deals with university education and the risk of unemployment among students in Gabon. The tool is a questionnaire, twenty open questions, two items (N=507). The problem refers to the fact that in Gabon, university education used to be socially represented by employment. It is now undermined by the risk of unemployment. Does university education in Gabon still have employment as its social representation ? This question leads to the hypothesis that university education in Gabon no longer has employment as its social representation. The objective is to demonstrate that in Gabon, university education no longer has employment as its social representation. The interest is to promote the professionalization of the university through the training-employment relationship. The results show predictive effects of social representation on the risk of unemployment of students [(Sig =.00), (Sig. =.05), (Sig =0.01) and (Sig =0.02)].
Keywords : Students, Training, Social representation, Risk of unemployment, University.
Introduction
La présente recherche traite de la représentation sociale de la formation et du risque de chômage chez les étudiants de l’Université Omar Bongo, l’Université de référence au Gabon, dont la formation jadis avait pour représentation sociale l’emploi. Mais, depuis plus de trois décennies, cette Université traverse une grave crise qui se traduit en termes de longues années d’études pour obtenir le premier diplôme, la licence, dans un contexte universitaire caractérisé par des grèves répétitives, des années universitaires approximatives et le spectre d’une année blanche. L’Université Omar Bongo est restée dans les formations générales, non spécialisées. Ceci dénote de l’absence de professionnalité et d’insertion professionnelle des étudiants. Ce qui précède laisse penser qu’autrefois, les niveaux de qualification progressaient (V. Erlich, 1998, p. 85) et les diplômes représentaient encore le meilleur rempart contre le chômage (C. Béduwéet V. Mora, 2017, p. 60). Garantie d’accès à l’emploi, le diplôme universitaire a servi au départ à mettre le pied à l’étrier dans une carrière au service de la nation (E. Gérard et B. Schlemmer, 2003, p. 305).
Sortie de cette période, le Gabon connaît désormais le chômage des jeunes diplômés. Ceci malgré une croissance économique positive depuis plus de quarante (8329 dollars des États-Unis en 2018) (OIT, 2019, p. 8). Au Gabon, on enregistre 21% de chômeurs en zone urbaine et 19% en zone rurale (OIT, 2019, p. 13). Ce pays connaît un fort taux de chômage des jeunes diplômés (OIT, 2019, p. 13). Le nombre de chômeurs devrait augmenter en raison de l’augmentation de la population active (l’OIT, 2019, p. 8). Dès lors, au Gabon, la formation universitaire a-t-elle encore l’emploi comme représentation sociale ? De cette question découle l’hypothèse selon laquelle, au Gabon la formation universitaire n’a plus l’emploi pour représentation sociale. En effet, il est question ici du rapport communément établi entre l’Université et le monde du travail. Il sied à cet effet de s’interroger sur le statut du savoir universitaire dans la société, en particulier aux yeux des premiers concernés à savoir les diplômés (E. Gérard et B. Schlemmer, 2003, p. 299). La période durant laquelle la formation universitaire, au Gabon, avait pour représentation sociale l’emploi permet de dire qu’il y avait en ce temps une adéquation formation-emploi. Cette idée fait couler beaucoup d’encre depuis des années (R. Michaud, A. Bernier et N. Poulet, 2017, p. 5). Elle est souvent présentée comme l’un des principaux défis à relever tant du point de vue individuel, organisationnel que sociétal (R. Michaud, A. Bernier et N. Poulet, 2017, p. 5).
En effet, de la question de la formation universitaire au Gabon résulte une question sous-jacente qui fait allusion au fait que l’Université Omar Bongo est restée dans les formations générales, non spécialisées. Ceci indique l’absence de professionnalité. Cette absence de professionnalité occasionne des orientations estudiantines de ces jeunes gabonais vers d’autres pays. Mais on reste sans ignorer que les pays dans lesquels ces jeunes vont étudier et le Gabon sont régis par des systèmes académiques internationaux, notamment le système Licence-Master-Doctorat (MLD). A la vue de ces systèmes, les universités ont progressivement mis en place pour chacun de ces trois niveaux de diplôme, une voie dite professionnelle à côté de la voie générale (C. Béduwé et V. Mora (2017, p. 60). Le Gabon n’est pas en marge de cette perspective. Dès lors, quitter le Gabon pour poursuivre les mêmes formations enseignées à l’Université gabonaise nous conduit à la question de savoir quelle représentation sociale ces étudiants ont-ils de l’université gabonaise et de sa formation. À la suite de ce qui est susmentionné, disons avec C. Béduwé et V. Mora (2017, p. 59) que la professionnalité et la formation d’un étudiant résultent d’un processus d’accumulation plus ou moins singulier et riche de compétences et de signaux qui, au-delà de son diplôme terminal influencent son insertion professionnelle à venir.
C. Béduwé et V. Mora (2017, p. 60) pensent à cet effet que, les savoirs ou connaissances délivrés par un processus d’apprentissage souvent long et validé par un diplôme sont élargis à tout ce qui atteste que l’étudiant est également capable de s’adapter, d’évoluer et de mobiliser efficacement les ressources adéquates pour faire face aux problèmes que pose l’évolution rapide du travail et des emplois. Ceci laisse dire que l’étudiant ayant reçu une formation universitaire sans grèves répétitives, ni années universitaires approximatives ou blanches est un réservoir de compétences. Malgré les compétences dont l’étudiant peut faire montre, un constat demeure : nombreux sont les pays africains qui connaissent le chômage intellectuel (P. Antoine, M. Razafindrakoto et F. Roubaud, 2001, p. 32). En Afrique le diplôme n’est plus un viatique contre le chômage (P. Antoine, M. Razafindrakoto et F. Roubaud, 2001, p. 32). Il est devenu un facteur de risque pour trouver un emploi (P. Antoine, M. Razafindrakoto et F. Roubaud, 2001, p. 32). Au Gabon environ 35% de demandeurs d’emplois proviennent de l’enseignement supérieur (ONE, 2019, p. 1). Les étudiants du Gabon au sortir de leurs formations sont inéluctablement exposés aux risques de chômage défini par la reconversion professionnelle, la sous employabilité, la contractualisation dans la fonction publique et la débrouillardise professionnelle.
En engageant la réflexion sur la crise de l’Université en Afrique, et au Gabon en particulier, l’objectif de cette recherche consiste à montrer à la lumière de statistiques qu’au Gabon la formation universitaire, au regard des vicissitudes que connaissent les années académiques, n’a plus l’emploi pour représentation sociale. L’intérêt de cette recherche est de promouvoir la professionnalisation de l’Université par la relation formation-emploi, d’une part. Il vise d’autre part à susciter une gouvernance politique qui davantage va s’investir dans l’adéquation formation-emploi, afin de former les futurs cadres. Cet intérêt se justifie parce que l’université gabonaise est dans l’obligation de se reformer et de se réadapter aux nouvelles donnes que lui impose la mondialisation des standards universels de l’enseignement supérieur. Les dits standard se fondent sur une nouvelle culture académique ayant comme principaux objectifs de créer d’une part, des liens entre l’université et le marché du travail, et de permettre d’autre part une bonne mobilité entre la recherche et la formation (A. Sahraoui, 2019, p. 699).
1. Méthodologie
1.1. Considération théorique
Pour comprendre l’environnement, les individus ont besoin des cadres de référence et des normes pour prendre position face à des situations qui leurs incombent (P. Mihindou Boussougou,2020, p. 244). Parmi ces situations on peut retenir la représentation sociale de l’université, teintée de la traversée d’une grave crise dont le corollaire est le risque de chômage. La représentation étant une activité mentale qui assure la planification et le guidage de l’action (J. Leplat, 1992, p. 269), la théorie de la représentation sociale (J. C. Abric, 1987, p. 64) permet de comprendre l’attitude des étudiants du Gabon face aux situations relatives à leurs formations notamment les longues années d’études pour obtenir le premier diplôme, la généralisation des formations, l’absence d’insertion professionnelle et l’absence de professionnalité de l’étudiant. En effet, la professionnalité de l’étudiant résulte d’un processus d’accumulation, plus ou moins singulier, riche de compétences et de signaux qui, au-delà de son diplôme terminal, influencent son insertion professionnelle à venir (C. Béduwé et V. Mora, 2017, p. 59). Ce qui devance aura entre autres perspectives le fait que les étudiants du Gabon aient une représentation appréciative de leur Université et par voie de conséquence de la formation dont ils sont l’objet.
Ainsi, A. Leroi-Gourhan (1945, p. 25) pense que l’évolution des pratiques sociales ou professionnelles est un déterminant puissant dans le changement d’état des représentations sociales. En fait, la représentation sociale permet de comprendre les attitudes et les comportements des individus aussi bien en situation individuelles qu’en situation de groupe (S. Moscovici, 1969, p. 9 ; D. Jodelet, 1984, p. 362 ; D. Jodelet, 1989.p. 362 et J.C. Abric, 1987, p. 64). La représentation sociale que les étudiants du Gabon ont de la formation universitaire justifierait leurs attitudes et comportements exprimés par la reconversion professionnelle, le sous-emploi, le fait de devenir contractuel de la fonction publique et la débrouillardise professionnelle. Somme toute, la débrouillardise professionnelle ne garantit pas l’emploi. C’est la professionnalité qui le garantirait. Parce qu’elle passe par la formation qui apporte à l’étudiant le savoir nécessaire et l’assurance dont il a besoin pour faire face à une situation professionnelle. Dès lors, les théories des apprentissages (D. Legros, E. Maître de Pmbroke et A. Talbi, 2002, p. 23 ; J. Piaget, 1967, p. 133) disent que la formation est associée à la nécessité d’une connaissance externe, laquelle est sanctionnée par une reconnaissance qui peut être un diplôme. L’apprentissage acquis lors d’une formation a donc pour fondement le développement de l’étudiant ; sa principale fonction est d’assurer la meilleure adaptation possible de celui-ci dans le monde du travail. L’apprentissage est donc le processus qui permet de créer la connaissance par la formation des apprenants à l’instar des étudiants de l’Université Omar Bongo.
Fort de tout ce qui précède, il sied de dire que d’un apprentissage issu d’une formation découle une connaissance qui est le fruit de la transaction entre les capacités de l’étudiant à acquérir les connaissances et les capacités des institutions à disposer les conditions nécessaires à la transmission des connaissances. De ce fait, l’apprentissage comporte ainsi des transactions entre la personne de l’apprenant et l’institution garant de la transmission de la connaissance et du savoir.
1.2. Cadre de recherche et population d’enquête
1.2.1. Cadre de recherche
Cette recherche est menée auprès des étudiants de l’Université Omar Bongo. Elle a pour vocations de comprendre la recherche scientifique, la formation dans les disciplines de lettres, sciences humaines, droits et sciences économiques.
1.2.2. Population d’enquête
La population d’enquête est constituée d’étudiants de licence 3, Master (1 et 2) et des doctorants. Le choix porté sur les étudiants de licence 3 se justifie par le fait qu’ils soient en fin de cycle licence. Quant au choix des étudiants de master et doctorants, il se justifie par le fait qu’ils aient au moins une licence pour les uns et un master pour les autres.
1.3. Échantillonnage
N=507 enquêtés soit Licence3 (212 étudiants), Master1 (107 étudiants), Master2 (176 étudiants) et Doctorants (12 étudiants). Aucune technique d’échantillonnage particulier n’a été utilisée pour obtenir cet échantillon. Nous nous sommes servis d’un échantillon tout-venant, pour saisir les représentations des étudiants sur la formation et le risque de chômage, et cela auprès de tous les étudiants quel que soit le niveau retenu. Les critères d’inclusion étaient la volonté, la disponibilité des étudiants à remplir le questionnaire et faire partie des étudiants régulièrement inscrits dans l’un des 3 cycles à l’Université Omar Bongo. Le critère de non inclusion était de ne pas faire partie des étudiants régulièrement inscrits à l’Université Omar dans l’un des 3 cycles.
1.4. Instrument de mesure
La présente recherche se veut qualitative. De ce fait soulignons qu’en recherche qualitative, les outils les plus usuels sont : l’entretien individuel, l’entretien de groupe, et le zoom : focus groupe. Qu’à cela ne tienne, il sied de dire que le questionnaire qualitatif lequel repose sur des questions ouvertes qui conduisent à des réponses libres, interprétées pour décrire et mettre en évidence les attitudes et les comportements d’une population (Modèle business plan ; 2021, p. 1) est aussi un outil utilisé en recherche qualitative, d’une part. D’autre part, l’analyse des représentations sociales appelle une méthodologie appropriée certes, mais il existe d’autres types d’analyses des représentations sociales selon l’importance de la taille de l’échantillon (P. Vergès, 2001, p. 537). Pour cela, la collecte des données s’est effectuée au moyen d’un questionnaire de vingt questions ouvertes pour deux items. Le premier item comptait 12 questions. Il avait pour objet d’obtenir des données sur la représentation de l’Université. Le second comptait 8 questions. Il visait à des informations sur la représentation de la formation de l’Université et le risque de chômage.
1.5. Variables de recherche
Cette recherche a pour variable indépendante (VI) la représentation de la formation de l’Université. Ses modalités sont : la représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme, la représentation de la généralisation des formations universitaires, la représentation de l’absence d’insertion professionnelle, et la représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant.
La variable dépendante (VD) est le risque de chômage. Ses modalités sont : la reconversion professionnelle, la sous-employabilité, la contractualisation dans la fonction publique, et la débrouillardise professionnelle. Ces variables (VI et VD) ont été mobilisées pour vérifier la présente hypothèse générale : au Gabon la formation universitaire n’a plus l’emploi pour représentation sociale.
1.6. Traitement des données
L’analyse descriptive, de corrélations et de régression linéaire simple ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS. L’analyse descriptive (tableau n°1) a été réalisée pour ressortir les différentes valeurs de chaque dimension de la VI et de la VD. L’analyse de corrélations (tableau n°2) a été faite dans l’optique de prendre la plus pertinente des dimensions. Elle avait pour objectif de vérifier s’il existe des liens forts entre les dimensions (représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP), représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU), représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) et représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD). Les analyses de régression linéaire simple (tableau n°3 ; tableau n° 4 et tableau n°5) avaient pour but d’étudier les effets prédictifs des dimensions de la VI sur celles de la VD.
2. Résultats
Rappelons ici que trois types d’analyses statistiques ont été réalisés dans cette recherche : l’analyse descriptive, l’analyse de corrélations et l’analyse de régression linéaire simple.
Tableau n°1 : Valeurs descriptives des modalités de la VI et de la VD
Statistiques descriptives | |||
Dimensions | Effect | M | E.T |
Représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP) | 507 | 2.67 | 1.170 |
Représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU) | 507 | 2.46 | 1.325 |
Représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) | 507 | 2.28 | 1.257 |
Représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD) | 507 | 2.40 | 1.302 |
Formé reconverti professionnel (FRP) | 507 | 2.39 | 1.312 |
Formé contractuel de la fonction publique (FCFP) | 507 | 2.64 | 1.403 |
Formé débrouillard professionnel (FDP) | 507 | 2.56 | 1.247 |
Formé sous employé (FSE) | 507 | 2.77 | 1.410 |
Source : Données de l’enquête réalisée
Le(tableau n°1), tableau des statistiques descriptives présente l’effectif total (effect) de la recherche, la moyenne (M) et l’écart-type (E.T) de chaque dimension de la variable indépendante et de la variable dépendante.
Tableau n°2 : Analyse de corrélations
Dimensions de la variable indépendante | M | E.T. | 1 | 2 | 3 | 4 |
1. Représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP) | 2.67 | 1.17 | ||||
2. Représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU) | 2.46 | 1.32 | 0.166** | |||
3. Représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) | 2.28 | 1.26 | 0.018 | 0.019 | ||
4. Représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD) | 2.40 | 1.30 | -0.089 | -0.089 | 0.131* |
Source : Données de l’enquête réalisée.
**La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).
Dimensions =ensemble de modalités croisées dans l’analyse de corrélations.
M =moyenne, ET =écarts-types.
Le (tableau n°2) présente l’analyse de corrélations réalisée entre les dimensions de la variable indépendante. La présente analyse est faite pour voir s’il existe des liens forts entre les dimensions précitées dans le (tableau n°2). Ceci dans l’optique de prendre la plus pertinente. Le (tableau n°2) présente qu’il n’existe aucun lien fort entre ces dimensions. Dès lors, toutes les dimensions de la variable indépendante sont admises dans le modèle.
Tableau n°3 : Effet prédictif de la représentation de la formation universitaire (VI) sur le risque de chômage (VD)
Prédicteurs | β | R² | F | Sig. | Constante | Coefficient de la pente |
Représentation de la formation universitaire. | 0.241 | 0.0580 | 19.1 | .001 | 1.999 | 0.241 |
Source : Données de l’enquête réalisée
Pour étudier le lien entre la représentation sociale de la formation universitaire et le risque de chômage, nous avons calculé les scores globaux de chacune des variables (VI et VD) à partir de leurs dimensions. Les dimensions de la VI (représentation de la formation universitaire) sont : la représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP), la représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU), la représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) et la représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD). Les dimensions de la VD (risque de chômage) sont : formé reconverti professionnel (FRP), formé contractuel de la fonction publique (FCFP), formé débrouillard professionnel (FDP) et formé sous employé (FSE). Pour observer le lien entre la (VI) et la (VD) nous avons fait une analyse de régression linéaire simple. Le (tableau n°3) montre les principaux résultats de l’analyse de régression linéaire simple du prédicteur représentation de la formation universitaire sur le risque de chômage. Ces principaux indices sont le coefficient de régression (β), la variabilité (F), le seuil de significativité (Sig.), le coefficient de détermination (R²), la Constante (B) et le Coefficient de la pente (A). Les résultats montrent qu’il y a un effet prédicteur de la représentation de la formation universitaire sur le risque de chômage perçu par les étudiants.
Tableau n°4 : Effets prédictifs de (RAIP), (RGFU), (RAPE) et (RLAEPD) sur formé et contractuel dans la fonction publique (FCFP)
Prédicteurs | β | R² | F | Sig. | R² ajusté | Constante | Coefficient de la pente |
Model 0.06 5.24 0.00 0.05 1.44 | |||||||
Représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP) | 0.15 | 0.00 | 0.18 | ||||
Représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU) | 0.00 | 0.96 | 0.00 | ||||
Représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) | 0.12 | 0.03 | 0.13 | ||||
Représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD) | 0.16 | 0.00 | 0.17 |
Source : Données de l’enquête réalisée
Les résultats montrent que le fait d’être formé puis être contractuel à la fonction publique (FCFP) est prédictif à la fois par la représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP), la représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) et par la représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD).
Tableau n°5 : Effets prédictifs de (RAIP), (RGFU), (RAPE) et (RLAEPD)sur formé sous employé (FSE)
Prédicteurs | β | R² | F | Sig. | R² ajusté | Constante | Coefficient de la pente |
Modèle 0.20 0.04 3.23 0.01 0.03 1.91 | |||||||
Représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP) | 0.00 | 0.92 | -0.01 | ||||
Représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU) | 0.14 | 0.02 | 0.14 | ||||
Représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) | 0.11 | 0.04 | 0.14 | ||||
Représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD) | 0.09 | 0.11 | 0.01 |
Source : Données de l’enquête réalisée
Les résultats montrent qu’être formé sous employé (FSE)est prédit à la fois par la représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU)et la représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE).
3. Discussion
Trois types d’analyses font l’objet de la discussion de nos résultats. Les résultats de ces analyses (descriptives, corrélationnelles et régressions linéaires simples) amènent plusieurs éléments de discussion. Une série de discussion commence entre la représentation des formations universitaires et le risque de chômage. L’étude du lien entre la représentation des formations universitaires et le risque de chômage s’est faite à partir du calcul des scores globaux de chacune des dimensions des deux variables précitées (tableau n°1). En effet, le (tableau n°1) présenteles statistiques descriptives : la taille de l’échantillon (N), la moyenne (M) et l’écart-type (E.T) de chaque dimension de la variable indépendante et de la variable dépendante. Il est remarqué à partir de ce (tableau n°1) que la dimension dite formé sous employé (FSE) présente la moyenne (M= 2.77) et l’écart-type (E.T= 1.410) les plus élevés parmi toutes les dimensions présentées dans ce (tableau n°1). Cette dimension explique mieux le risque de chômage perçu par les étudiants. Le (tableau n°2) présente l’analyse de corrélations réalisée entre les dimensions de la variable indépendante. Ces dimensions sont : la représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP) (M = 2.67 ; ET= 1.17), la représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU) (M = 2.46 ; ET= 1.32), la représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) (M = 2.28 ; ET= 1.26), et la représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD) (M = 2.40 ; ET 1.30). Les résultats de ce (tableau n°2) montrent qu’il n’existe aucun lien fort entre les dimensions de la variable indépendante. Toutes les dimensions de la variable indépendante sont donc admises dans le modèle pour des analyses de régressions linéaires simples. Le (tableau n°3) présente l’analyse de régression linéaire simple. Ce (tableau n°3) comprend les principaux indices : le coefficient de régression (β =0.24), la variabilité (F= 19.1), le seuil de significativité (Sig =.00), le coefficient de détermination (R² = 0.06), la Constante (B = 1.999) et le Coefficient de la pente (A = 0.24). Les résultats de ce (tableau n°3) montrent qu’il y a un effet prédicteur de la représentation de la formation universitaire sur le risque de chômage perçu par les étudiants. Ce résultat corrobore aux travaux de C. Trottier, L. Laforce et R. Cloutier (1997, p. 61) pour qui l’étude de l’insertion professionnelle doit tenir compte des représentations que les individus se font sur la stabilité dans l’emploi, mais aussi, la correspondance formation emploi et la construction de l’identité professionnelle. En nous inscrivant dans la perspective des travaux de C. Trottier, L. Laforce et R. Cloutier (1997, p. 61), on peut ainsi penser que le phénomène de la précarisation du travail semble irréversible, et affecte un nombre toujours croissant de détenteurs d’un titre universitaire.
En effet, les résultats du (tableau n°3) et les thèses développées par C. Trottier, L. Laforce et R. Cloutier (1997, p. 61) valident l’hypothèse selon laquelle : chez les étudiants de l’Université Omar Bongo, la représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP)a pour corollaire formé débrouillard professionnel (FDP). C. Siino, M. Lacoste et D. Guy (2018, p. 4) pensent à cet effet que, la diversité des chômeurs par rapport au travail suivant leurs trajectoires et leurs situations personnelles recherchées de façon non exclusive par des moyens d’entrer dans le monde du travail et droits sociaux pour des compensations au déficit de socialisation entraînent leur exclusion de l’emploi et leur dénuement dans une activité bénévole. Le (tableau n°4) présente les analyses de régressions linéaires simples réalisées entre les prédicteurs représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP), représentation de la généralisation des formations universitaires (RGFU), représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE), et représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD), sur le fait d’être formé et contractuel dans la fonction publique (FCFP). Les résultats de ce (tableau n°4) (β = 0.06 ; R² = 5.24) ; (F = 0.00) ; (Sig. =.05) ; (R² ajusté = 1.44) montrent que le fait d’être formé et contractuel à la fonction publique (FCFP) est prédictif à la fois par la représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP), la représentation de l’absence de professionnalité de l’étudiant (RAPE) et par la représentation des longues années d’études pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD). Les résultats de ce (tableau n°4) confortent l’hypothèse suivante : chez les étudiants de l’Université Omar Bongo, la représentation des longues années d’études passées pour obtenir le premier diplôme (RLAEPD) a pour corollaire formé contractuel de la fonction publique (FCFP). A l’issue de ce qui précède, on peut penser avec J. Lamour (2007, p. 1) que les universités sont des « usines à chômeurs ». Elles sont comme des tours d’ivoire recroquevillées sur leurs disciplines académiques (J. Lamour, 2007, p. 1). Dès lors, les caractéristiques de niveau et de contenu des formations ne sont pas sans effet sur la plus ou moins grande exposition au chômage (J. Lamour, 2007, p. 3). Ainsi, convenons avec J. Lamour (2007, p. 1) que c’est la professionnalisation de l’Université qui changera la donne.
Le (tableau n°5) présente les analyses de régressions linéaires simples réalisées entre les prédicteurs représentation de l’absence d’insertion professionnelle (RAIP), représen