Volume IV – Numéro 8 Décembre 2014 ISSN : 2313-7908 |
PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES
Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines
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ISSN : 2313-7908
Directeur de publication : Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités
Rédacteur en chef : M. N’dri Marcel KOUASSI, Maître de Conférences
Rédacteur en chef adjoint : M. Assouma BAMBA, Maître de Conférences
Secrétaire de rédaction : Dr Blé Silvère KOUAHO, Maître-Assistant
COMITÉ DE REDACTION
: M. Abou SANGARÉ, Maître de Conférences
: M. Donissongui SORO, Maître de Conférences
: M. Kouassi Edmond YAO, Maître de Conférences
: Dr Alexis KOFFI KOFFI, Maître-Assistant
: Dr Kouma YOUSSOUF, Maître-Assistant
: Dr Lucien BIAGNÉ, Maître-Assistant
: Dr Nicolas Kolotioloma YEO, Maître-Assistant
: Dr Steven BROU, Maître-Assistant
Trésorier : Dr Grégoire TRAORÉ, Maître-Assistant
Responsable de la diffusion : M. Antoine KOUAKOU, Maître de Conférences
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Prof. Aka Landry KOMÉNAN, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA
M. Antoine KOUAKOU, Maître de Conférences, Métaphysique et Éthique, Université Alassane OUATTARA
Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA
M. Azoumana OUATTARA, Maître de Conférences, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA
Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa
Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa
Prof. David Musa SORO, Professeur des Universités, Philosophie ancienne, Université Alassane OUATTARA
Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA
Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA
Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal
Prof. Jean Gobert TANOH, Professeur des Universités, Métaphysique et Théologie, Université Alassane OUATTARA
M. Kouassi Edmond YAO, Maître de Conférences, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA
Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA
Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou
M. N’Dri Marcel KOUASSI, Maître de Conférences, Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA
Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA
Prof. Yahot CHRISTOPHE, Professeur des Universités, Métaphysique, Université Alassane OUATTARA
SOMMAIRE
Sociétés contemporaines et crise de la famille
1. Marcel Silvère Blé KOUAHO,Réflexion autour d’une révolution controversée : le « mariage pour tous » ……………………………………………1
2. Cyrille SEMDE,Hans JONAS et la question de la responsabilité parentale ……………………………………………………………………………………….……20
3. François Boroba N’DOUBA,Famille et développement cognitif de l’enfant ………………………………………………………………………………………….…35
4. Abibata DRAME,Impact de la procréation médicalement assistée sur la vie des parents et des enfants …………………………………………………………52
5. Armand Ouandé REGNIMA,Progrès biotechnologique et crise de la filiation : pour une révision des fondements de la famille ………………..…72
6. Ali SYLLA, Le déclin du père : sous le signe de Janus ………………………87
Sciences, Doctrines et Valeurs
7. Depry Antoine N’GUESSAN,
La part de croyances dans les sciences…………………………………………103
8. Antoine KOUAKOU,L’Inutilemétaphysique …………………………………124
9. Toumgbin Barthélemy DELLA,
L’expérience des situations comme promesse d’une liberté consubstantielle à la vertu chez Jean-Paul SARTRE ………………………………………………142
10. N’goh Thomas KOUASSI,
Rhétorique et éthique chez PLATON ……………………………………………161
11. N’dri Marcel KOUASSI, Transfusions sanguines et responsabilités éthiques : expériences ivoirienne et québécoise………………………………180
12. Charles-Grégoire Dotsè ALOSSE,Repenser l’économie marchande dans la logique de l’économie du don…………………………………………………206
13. Blede SAKALOU,La philosophie de la contestation ou la vertu du “non” chez Herbert MARCUSE……………………………………………………………224
14. Koffi Décaird KOUADIO,La démocratie à l’épreuve de la violence postélectorale en Afrique……………………………………………………………243
15. Yao Edmond KOUASSI,
L’anti-terrorrisme peut-il se passer des droits de la conscience ? DERRIDA, DWORKIN ET HABERMAS pour y répondre……………………………………264
LIGNE ÉDITORIALE
L’univers de la recherche ne trouve sa sève nourricière que par l’existence de revues universitaires et scientifiques animées ou alimentées, en général, par les Enseignants-Chercheurs. Le Département de Philosophie de l’Université de Bouaké, conscient de l’exigence de productions scientifiques par lesquelles tout universitaire correspond et répond à l’appel de la pensée, vient corroborer cette évidence avec l’avènement de Perspectives Philosophiques. En ce sens, Perspectives Philosophiques n’est ni une revue de plus ni une revue en plus dans l’univers des revues universitaires.
Dans le vaste champ des revues en effet, il n’est pas besoin de faire remarquer que chacune d’elles, à partir de son orientation, « cultive » des aspects précis du divers phénoménal conçu comme ensemble de problèmes dont ladite revue a pour tâche essentielle de débattre. Ce faire particulier proposé en constitue la spécificité. Aussi, Perspectives Philosophiques, en son lieu de surgissement comme « autre », envisagée dans le monde en sa totalité, ne se justifie-t-elle pas par le souci d’axer la recherche sur la philosophie pour l’élargir aux sciences humaines ?
Comme le suggère son logo, perspectives philosophiques met en relief la posture du penseur ayant les mains croisées, et devant faire face à une préoccupation d’ordre géographique, historique, linguistique, littéraire, philosophique, psychologique, sociologique, etc.
Ces préoccupations si nombreuses, symbolisées par une kyrielle de ramifications s’enchevêtrant les unes les autres, montrent ostensiblement l’effectivité d’une interdisciplinarité, d’un décloisonnement des espaces du savoir, gage d’un progrès certain. Ce décloisonnement qui s’inscrit dans une dynamique infinitiste, est marqué par l’ouverture vers un horizon dégagé, clairsemé, vers une perspective comprise non seulement comme capacité du penseur à aborder, sous plusieurs angles, la complexité des questions, des préoccupations à analyser objectivement, mais aussi comme probables horizons dans la quête effrénée de la vérité qui se dit faussement au singulier parce que réellement plurielle.
Perspectives Philosophiques est une revue du Département de philosophie de l’Université de Bouaké. Revue numérique en français et en anglais, Perspectives Philosophiques est conçue comme un outil de diffusion de la production scientifique en philosophie et en sciences humaines. Cette revue universitaire à comité scientifique international, proposant études et débats philosophiques, se veut par ailleurs, lieu de recherche pour une approche transdisciplinaire, de croisements d’idées afin de favoriser le franchissement des frontières. Autrement dit, elle veut œuvrer à l’ouverture des espaces gnoséologiques et cognitifs en posant des passerelles entre différentes régionalités du savoir. C’est ainsi qu’elle met en dialogue les sciences humaines et la réflexion philosophique et entend garantir un pluralisme de points de vues. La revue publie différents articles, essais, comptes rendus de lecture, textes de référence originaux et inédits.
Le comité de rédaction
Sociétés contemporaines et crise de la famille
RÉFLEXION AUTOUR D’UNE RÉVOLUTION CONTROVERSÉE : LE « MARIAGE POUR TOUS »
Blé Marcel Silvère KOUAHO
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Pendant longtemps, le mariage a été perçu comme l’union de personnes de sexe différent. Considéré à la fois comme l’acte divin et civil qui fonde la famille, il se définit aujourd’hui aussi comme l’union de personnes de même sexe. Cette révolution ou encore la légalisation du mariage homosexuel est politiquement sous-tendue par la promotion des droits de l’homme, la reconnaissance des droits des minorités. Toutefois, les effets néfastes induits par cette légalisation du mariage pour tous violent ces mêmes droits et les principes de la bioéthique.
Mots clés : Bioéthique,Droits de l’homme, Éducation, Famille, Mariage pour tous, Mariage traditionnel, Pratiques biomédicales, Révolution.
ABSTRACT :
For a long time, marriage was seen as the union of persons of the opposite sex. Regarded as both a divine and civil act that founded the family, it is also defined today as the union of the same sex. This revolution or the legalization of gay marriage is politically underpinned by the promotion of human rights, the recognition of minority rights. However, the adverse effects of this legalization of marriage for all violate those rights and life ethics.
Keywords : Universal mathematics, Model, Reform of sciences, Human wisdom, Particular sciences, Unity of the nature, Unity of the science.
INTRODUCTION
La légalisation du mariage entre personnes de même sexe donnant droit à l’adoption des enfants fait l’objet de controverses et suscite de nombreuses réactions dans le monde. En France, ce mariage est surnommé « mariage pour tous ». Pour Gérard Aschieri, membre du comité central de la Ligue Française des Droits de l’Homme et défenseur de ce type de mariage, « ce qui se joue dans le mariage pour tous, c’est à la fois la prise en compte de l’évolution de la réalité de notre société, une avancée majeure en matière de lutte contre les discriminations, l’injustice et un incontestable progrès en termes d’égalité des droits »[1]. En revanche, Gilles Bernheim, Grand Rabin de France et partisan du mariage traditionnel, pense que « ce qui est remis en cause, c’est l’institution qui articule l’alliance de l’homme et de la femme avec la succession de générations»[2]. Dit autrement, le mariage pour tous, qui nie la différence sexuelle, est une prise en otage du modèle traditionnel familial qu’Aschieri d’ailleurs remet en cause. Pour lui, « la famille est changeante, protéiforme : elle est une construction sociale qui peut varier selon les époques et les cultures. Et aujourd’hui, la diversité des formes de famille s’éloigne de ce modèle prétendument naturel »[3].
À bien regarder, au cœur de la controverse autour de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels se trouve la question des droits de l’homme. Et on dirait, avec Charles Taylor, que « cette question n’est pas sans lien avec le besoin, voire l’exigence de la reconnaissance politique pour les groupes minoritaires dans les sociétés démocratiques ou en voie de démocratisation»[4]. Comme pour trancher cette controverse, plusieurs dictionnaires se rangent sur la définition d’un mariage qui ne comprend plus la différence de sexe des époux. Ainsi, dans son édition de 2014, le Dictionnaire Larousse définit le mariage comme l’
« acte solennel par lequel un homme et une femme (ou, dans certains pays, deux personnes de même sexe) établissent entre eux une union dont les conditions, les effets et la dissolution sont régis par le Code civil (mariage civil) ou par les lois religieuses (mariage religieux) ; union ainsi établie »[5].
La société actuelle présente donc des mutations sociologiques qui modifient nos manières de vivre et de penser. Ces mutations s’apparentent à une sorte de révolution qui appelle un nouvel ordre familial. Dès lors, comment expliquer ce bouleversement qui ébranle les certitudes auxquelles nous sommes attachées ? En quoi le mariage pour tous comme acte social et politique a parties liées avec les droits de l’homme ? Les effets induits par ce mariage ne remettent-ils pas en cause ces mêmes droits, l’éthique de la vie ?
Dans un premier temps, nous montrerons en quoi le mariage pour tous est révolutionnaire. Dans un second temps, il s’agira de notifier, non sans apporter quelques observations, que le mariage pour tous est un acte social et politique fondé sur les droits de l’homme. Enfin, nous montrerons que les effets néfastes induits par la légalisation du mariage pour tous violent les droits de l’homme.
I- DU CARACTÈRE RÉVOLUTIONNAIRE DU MARIAGE POUR TOUS
L’énonciation du mariage pour tous pré (suppose) l’existence d’un type de mariage restrictif. Ce type de mariage, c’est le mariage hétérosexuel qui reste celui prescrit par les religions révélées. Dans les Saintes Écritures, précisément dans la Bible, on peut apercevoir, dans « Genèse », le commandement divin qui fait obligation à « l’homme de quitter son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviendront tous deux une seule chair »[6]. Le mariage est donc un acte divin puisqu’il est considéré comme un engagement contractuel devant Dieu dans lequel un homme et une femme s’unissent pour créer une relation dans laquelle il est directement impliqué. C’est aussi un acte civil. Il renvoie à une forme juridique par laquelle la femme se prépare à devenir mère par sa rencontre avec un homme. C’est la raison pour laquelle il est défini usuellement comme étant l’union légitime d’un homme et d’un femme. II est le socle universel de la famille. Selon, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss,
« la famille, fondée sur l’union plus ou moins durable, mais socialement approuvée, de deux individus de sexe différent qui fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène pratiquement universel, présent dans tous les types de société. Les époux sont des individus de sexe différent et […] la relation entre les sexes n’est jamais symétrique »[7].
À l’opposé de ce type de mariage, avec ses variances monogamique ou polygamique, qui engage des personnes de sexe différent, se trouve le mariage homosexuel ou mariage pour tous. Ce mariage constitue en lui-même une révolution. II est l’effet des « transformations sociales et culturelles [qui] ont fait exploser le modèle traditionnel de la famille»[8]. C’est pourquoi, le mariage pour tous, qui reste un enjeu de société majeur, ne peut qu’heurter la sensibilité de la majorité des couples hétérosexuels et des religieux. Comme le soulignait le Père Thaddée,
« le XXIe siècle est fortement caractérisé par une mauvaise interprétation du concept d’amour. Au nom de celui-ci des actes immoraux sont perpétrés dans le quotidien des hommes. Notre société contemporaine nous donne d’assister à des mariages homosexuels, de voir des relations sexuelles contre nature et incestueuses de plus en plus tolérées au nom du libre arbitre (…) Le style de vie de notre société est comparable à un prisme qui déforme le véritable visage de l’amour en général et de l’amour conjugal en particulier »[9].
L’inquiétant dans la formalisation de l’homosexualité, c’est la banalisation qu’elle constitue pour l’amour conjugal, creuset fondamental de la constitution d’une famille. Bien plus, ce qui dérange, c’est l’autorisation de ce qui jusqu’ici faisait l’objet d’opprobre. La famille ne se conforme plus, n’obéit plus à un modèle unique ni même dominant. Comme l’affirmait Bernheim,
« ce qui se joue derrière le mariage pour tous, c’est une substitution : une institution chargée juridiquement, culturellement et symboliquement serait ainsi remplacé par un objet juridique asexué, dynamitant les fondements des individus et de la famille »[10].
Pour la révolution que la légalisation du mariage pour tous représente dans l’ordre social et familial, il y a lieu de s’interroger sur ses motivations.
II- LE MARIAGE POUR TOUS : UN ACTE SOCIAL ET POLITIQUE EN PHASE AVEC LES DROITS DE L’HOMME ?
On ne saurait expliquer les motivations de ce combat pour la légalisation du mariage homosexuel sans se faire une idée claire de l’état de la situation actuelle. Sur les cent quatre-vingt quatorze pays que compte notre univers, dix-neuf États, depuis 2001, ont ouvert le mariage civil aux couples de même sexe. Neuf sont situés en Europe (Pays-Bas, Belgique, Espagne, Islande, Norvège, Portugal, Suède, Danemark, France), quatre en Amérique (Canada, Argentine, Uruguay et Brésil), un en Afrique (Afrique du Sud) et enfin un en Océanie (Nouvelle-Zélande). Sur les dix-neuf États, quatre appliquent le mariage homosexuel uniquement sur une partie de leur territoire : seize États des États-Unis (Massachusetts, Iowa, Connecticut, New Hampshire, New York, Vermont, Washington, District of Columbia, Maine, Maryland, Delaware, Minnesota, Rhode Island, Californie, Hawaï, Illinois), la ville de Mexico et l’État de Quintana Roo au Mexique, l’Angleterre et le pays de Galles au Royaume-Unis et le territoire de la capitale australienne en Australie.
Le constat qu’on peut faire, c’est que nombreux sont les pays qui s’opposent encore au mariage gay contraire, certainement, à leurs us et coutumes, précisément aux valeurs du mariage et de la famille traditionnels. Cela dit, le mariage pour tous est d’abord une lutte sociale engagée par les minorités homosexuelles réclamant l’égalité des droits entre tous les citoyens. Et cette revendication est adossée à la théorie du gender ou théorie du genre défendue par les féministes et aux Déclarations universelles des droits de l’homme de 1789 et de 1948. En effet, dans son œuvre intitulée Trouble dans le genre, Butler écrit :
« Ce livre cherchait à dévoiler comment nos façons mêmes de penser les genres de vie possibles sont forcloses par des présupposés répandus et violents. II cherchait aussi à saper toute tentative d’utiliser le dogme central de la pensée de la différence sexuelle pour délégitimer les minorités en raison de leurs genres et de leurs sexualités »[11].
Le principe de la théorie du genre s’abreuve à la source du féminisme bauvoirien qui se résume en ces termes : « On ne naît pas femme, on le devient »[12]. Cela pour signifier que l’éducation, le conditionnement social fait de la femme un être faible au service de l’homme. Cette théorie fait état de la distinction radicale chez la personne entre son sexe biologique et son identité sexuelle. Autrement dit, l’argumentaire développé par les défenseurs de cette théorie est le suivant : si le sexe biologique est déterminé dès la naissance, l’identité sexuelle est la perception subjective que l’on a de son propre sexe et de son orientation sexuelle qui est le fruit d’un climat culturel et d’un conditionnement social. C’est dire que tout être humain est libre de construire sa propre identité sexuelle. La liberté de choix devient la seule et unique valeur et personne ne peut y porter atteinte, même si l’homme opte pour le mal et adopte un comportement dangereux pour la société.
Pour nous, cette théorie, par le jeu de l’opposition qu’elle établit entre nature et culture, tend ostensiblement à nier la différence naturelle des sexes pour promouvoir une sexualité culturelle. Dès lors qu’il ne nous est plus possible de différencier le genre mâle du genre femelle, ne sommes-nous pas en droit de nous inquiéter ?
L’autre argumentaire repose sur l’article 1 qui, réaffirmant l’égalité « en dignité et en droits »[13] de tous les êtres humains, stipule également qu’ « ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »[14]. Ainsi, parce que tous les êtres sont doués de raison et de conscience, ils sont, par essence, tous égaux et tous doivent être traités de façon identique. Autrement dit, le principe d’égalité se lit désormais comme un principe de non-discrimination, un droit attaché à l’existence de la personne humaine. Les minorités sexuelles, au nom de ce principe et de l’évolution spectaculaire des mœurs et des mentalités, revendiquent les mêmes droits et les mêmes devoirs que les couples hétérosexuels. Et c’est donc en ce sens que l’acte, voire même le combat d’abord social, s’étend au domaine politique avec la légalisation du mariage pour tous.
Partant de cette réflexion, la question qui nous vient à l’esprit est la suivante : L’exercice de ces droits ne comporte-t-il pas des limites ? En effet, en son article 16-1, la « Déclaration de 1948 qui marque une nouvelle étape dans l’histoire des droits de l’homme »[15] stipule qu’ « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution »[16]. L’alinéa 3 du même article ajoute que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État »[17]. Or, la famille dont il est fait ici allusion est celle comportant le père, la mère et les enfants. C’est dire que malgré les droits que la Déclaration confère à tout individu, ces droits ne peuvent s’exercer dans tous les domaines.
En même tant qu’elle affirme l’égalité de tous en droit et en devoir, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 met des garde-fous, des verrous juridiques à ce principe. Le mariage étant une institution dont le but est initialement de fournir un cadre social et légal au développement de la famille, c’est tout le sens des dispositions sécuritaires prises dans cette Déclaration pour le préserver de personnes de moralité douteuse. Face à cette difficulté que représente l’article 16-1 de la Déclaration, des États ont, tout en avançant l’argument du principe de la souveraineté, soumis au vote parlementaire, le projet de loi sur le mariage et l’adoption d’enfants par les couples de même sexe. Cette habile stratégie qui contraint le législateur à donner à cette question sociétale un cadre légal est un passage en force dont certaines langues disent être liées à la pression de lobbies influents.
En fait, à partir du moment où l’alinéa 3 de l’article 21 de la Déclaration stipule que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics »[18], n’est-il pas contradictoire qu’une minorité homosexuelle, relayée par les politiques, impose ses idées à l’ensemble des citoyens ? La question du mariage pour tous, si cruciale et si capitale, n’aurait-elle pas pu faire l’objet d’une consultation populaire ?
Il y a visiblement ici un réel malaise démocratique, voire une crise de la représentation dans les démocraties modernes et nous faisons un clin d’œil à Rousseau. En effet, la mise à l’index, au XVIIIe siècle, de la démocratie représentative par Rousseau qui ne croyait qu’à la démocratie directe pourrait justifier notre inquiétude. La représentation étant incompatible avec l’idéal démocratique, le philosophe soutenait mordicus qu’il appartenait au peuple d’exercer directement sa souveraineté en toutes occasions. Et, ce, dans la mesure où la volonté populaire transcende les intérêts des partis pour faire entendre le cri social, sa voix en saisissant le bien public. L’auteur du Du contrat social soulignait à grands traits :
« Ce serait une grande folie d’espérer que ceux qui dans les faits sont les maîtres, préféreront un autre intérêt au leur (…) La volonté la plus générale est aussi et toujours la plus juste, et que la voix du peuple est en effet la voix de Dieu »[19].
C’est pourquoi, pour notre part, le choix de la voie référendaire dans les démocraties modernes, surtout lorsqu’il s’agit de trancher des questions importantes menaçant la paix sociale, est le meilleur. Aussi, il y a lieu de notifier que le mariage pour tous ceux qui s’aiment – puisque c’est dans ce sens qu’il faut comprendre ce vocable – maintiendrait des inégalités et des discriminations à l’encontre de tous ceux qui s’aiment, (personnes hétérosexuelles ou de même filiation biologique) mais dont le mariage continuerait d’être interdit.
La question du mariage pour tous, devenue plus politique que sociale, sape non seulement les fondamentaux de la famille mais également ceux de la démocratie. Si, comme nous le signifions, cette question a fait l’objet d’un vote parlementaire dans la plupart des États, il faut dire qu’elle ouvre royalement la voie aux techniques procréatiques. Il s’agira, pour nous, de montrer comment les glissements du mariage pour tous violent, dévalorisent les droits de l’homme ainsi que les valeurs de la bioéthique.
III- LE MARIAGE POUR TOUS ET SES EFFETS : UNE VIOLATION DES DROITS DE L’HOMME
Si l’institutionnalisation du mariage pour tous pose clairement le problème de la procréation qui est un élément clé du mariage entre personnes de sexe différent, il faut voir, dans cette institutionnalisation, l’annonce d’une autre institutionnalisation, à savoir la légalisation des techniques procréatiques (PMA[20] et GPA[21]) qui vient combler un vide : celui de la procréation. Les couples homosexuels ne pouvant faire des enfants. Dès lors, « la parenté (l’art d’être parent) et la notion de ‘’projet parental’’ font ainsi leur entrée en force »[22]. Les pratiques techno-biomédicales sont les avatars de la loi sur le mariage et l’adoption pour tous.
Si la PMA est autorisée aux couples hétérosexuels stériles, (parce qu’elle n’est pour eux qu’un correctif médical), en revanche, le principe et la pratique de la PMA et de la GPA par les couples homosexuels soulèvent un certain nombre de problèmes d’ordre éthique. Celles-ci concernent notamment « le risque de marchandisation du corps humain, l’atteinte à la dignité des femmes surtout celles du tiers monde et la négation du lien qui s’établit entre la gestatrice et l’enfant pendant la grossesse, les droits de la mère porteuse, ainsi que ceux de l’enfant issu d’une GPA »[23].
En effet, la légalisation de la GPA implique l’idée d’un contrat, même informel, sur l’enfant à naître. La mère porteuse n’étant pas libre, mais contrainte par des considérations économiques. Elle remet l’enfant qu’elle a porté en échange d’une somme d’argent. À l’allure où vont les choses, les pauvres porteront les enfants des riches. C’est le baby business qui rompt les liens affectifs éventuellement apparus au cours de la grossesse. À partir des manipulations génétiques, toute personne désireuse d’avoir un enfant peut l’avoir dans la mesure où il existe des banques de spermes et des mères porteuses. On le voit, au moment où les mouvements féministes réclament l’égalité des sexes, considèrent la justice sociale, « la reconnaissance comme l’enjeu de la lutte pour la libération, l’émancipation de la femme »[24], celle-ci ne manque pas d’être instrumentalisée. L’objectivation à outrance de la gente féminine, voire sa chosification ne pose-t-elle pas la question des valeurs ? N’installe-t-elle pas des soucis d’ordre moral ? Ces pratiques qui font commerce des ventres de femmes ou des bébés traduisent une forme de « tourisme procréatif », de traite humaine, voire de réinvention de l’esclavage que l’Article 4 de la Déclaration de 1948 condamne : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes »[25].
Le philosophe, Kant, qui reste l’un des promoteurs de la Déclaration de 1789, attirait déjà notre attention sur la prise en compte de la dignité humaine traduite par cet impératif pratique : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen »[26].
Tous ces bricolages génétiques sont sources de perturbation et sans doute la preuve la plus éclatante d’un cloisonnement du mariage de la filiation. Ils créent une insécurité juridique, des familles ou du moins des groupes de personnes à la filiation indéterminée. C’est ce que Poamé Lazare qualifie de « brouillage de la filiation »[27]. En fait, des enfants naissant de l’insémination de sperme, acheté en banque, dans un utérus loué par des personnes tierces, homosexuelles ou pas, ne peuvent se réclamer ni du donneur de sperme ni de la mère-porteuse ni de leur commandeur, c’est-à-dire celui ou encore celle qui a passé la commande pour qu’ils soient fabriqués. De tels individus n’ont pas d’appartenance familiale, et par conséquent, ainsi que le souligne Guillebaud, « pas de personne propre car étant dépouillés d’eux-mêmes »[28]. Le sens de la filiation (parents-enfants) est profondément modifié à partir dans la mesure où la filiation n’est plus fondée sur l’engendrement biologique (qui laisse des traces dans sa chair) ou sur le couple : père et mère.
Ces pratiques légalisées et introduites dans la constitution de la famille font de l’homme la victime d’un autre type de terrorisme, « un terrorisme ontologique qui menace de faire volet la nature humaine en éclat »[29]. Ce qui n’est pas sans interpeller les bioéthiciens et certains défenseurs des droits de l’homme au moment où, ironie du sort, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est en instance de légaliser la PMA et la GPA. Ce que les pratiques procréatiques remettent en cause, c’est le premier principe universel qui guide les comités d’éthique : celui, en référence à une conception humaniste de l’acte médical, d’accorder la primauté au « corps-personne » et non au « corps-objet ». Lequel principe répond à l’impératif de sauvegarder l’humanité et la dignité de l’homme dans le progrès des technosciences, précisément dans le domaine médical. Comme quoi, « le surgissement de la bioéthique va de pair avec l’ébranlement de la croyance que le progrès ‘’scientifique’’ engendre nécessairement une amélioration de la condition humaine »[30].
Au moment où le concept formel de « dignité humaine » occupe une place éminente dans les préoccupations de la communauté internationale, notamment dans les textes relatifs à la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de l’Unesco (1997), la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco (2005) et la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe (1997), on peut s’interroger encore sur le bien-fondé de la légalisation du mariage pour tous qui aura, à long terme, des effets néfastes sur l’éducation des enfants adoptés au sein des familles homoparentales ou recomposées.
La légalisation du mariage homosexuel qui confère aux familles homoparentales le droit d’adopter des enfants et les pratiques comme la PMA et la GPA constituent d’éventuels obstacles à l’épanouissement des enfants. Même si aucune étude scientifique ne le démontre, il y a des raisons de s’inquiéter quant au développement psychologique de l’enfant qui pourrait être perturbé par la « complexité » de sa filiation distinguant la mère génétique, la mère porteuse, et éventuellement la mère légale. Mariage homosexuel et pratiques procréatiques créent un déséquilibre dans l’éducation des enfants en déstructurant la famille.
En effet, sans la famille, la société ne peut exister, elle ne peut avoir des bases solides car, en réalité, elle est le lieu de développement des facultés physiques, morales et intellectuelles de la personne par le biais de l’éducation. La famille, c’est donc la cellule de base où s’organise l’acquisition constante du savoir-faire et surtout du savoir-être. Comme Ki-Zerbo pouvait le signifier, « l’éducation, c’est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés »[31]. II n’y a donc pas de vie sociale sans valeurs sous-jacentes, généralement inculquées par l’éducation au sens large. C’est dire que lorsque l’éducation se porte mal, la famille est en crise, on assiste à un dépérissement de tout le métabolisme de la société. L’article 26-2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule que « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine »[32]. C’est un droit inaliénable qu’a tout homme d’être éduqué.
La différence de sexe dans le couple est très déterminante non seulement dans l’engendrement mais également dans l’éducation d’un enfant. Celui-ci ne se construit qu’en se différenciant. La mère et le père ont chacun un rôle précis et irremplaçable à jouer. Ensemble, ils contribuent à l’édification de l’équilibre des enfants, et par ricochet, à « l’osmose sociale »[33]. En ce sens, l’éclairage de Freud sur le développement psychologique de l’enfant nous est d’une grande utilité.
On sait, au regard de la théorie freudienne du complexe d’Œdipe[34], que dans les familles hétérosexuelles, l’enfant cherche de manière naturelle à s’identifier à ses parents qui représentent pour lui des partenaires du jeu d’identification et de différenciation. L’enfant se sent attiré par le parent de sexe opposé de façon naturelle, mais, en même temps, il considère son parent de même sexe comme un rival. À partir des parents, l’enfant trouve le schéma tout tracé de ses premiers pas dans la vie. Au stade final de ce processus, il finit, une fois adulte, par manifester ce sentiment amoureux du sexe opposé en dehors du cadre familial porteur de la société[35]. De ce qui précède, d’énormes interrogations se posent.
Si dans les familles hétérosexuelles, l’enfant trouve un terreau propice à sa croissance, qu’en est-il dans les familles homoparentales. Que peut-on attendre de positif d’une éducation dispensée par des personnes de même sexe ? Une enfance plongée dans la terreur d’une famille homoparentale ne constitue-t-elle pas une menace pour la société ? Comment faire comprendre à un enfant que son père et sa mère sont des personnes de même sexe alors que la société lui présente quotidiennement ces figures avec des morphologies différentes ?
Nous pensons que l’adoption de l’enfant par une famille homoparentale, dans laquelle « les notions du père et de la mère sont vidées de leur contenu originel»[36]a un impact dommageable sur celui-ci à moyen et long terme, précisément sur son éducation, son équilibre émotionnel et sur son orientation sexuelle. L’enfant issu des pratiques procréatiques est aimé parce qu’il est un objet de désir, de possession à tout prix pour les parents et non pour ce qu’il est lui-même ; « il n’est pas accueilli tel qu’il est, respecté comme donné à lui-même, mais mesuré et évalué en fonction d’une demande à satisfaire »[37]. Aussi, quand un enfant est précocement séparé de sa filiation, il vit systématiquement une crise identitaire qui est au fond une crise d’affectivité pouvant le conduire à un repli sur lui-même et, une fois adulte, à la haine des autres, au suicide, au “parricide”.
La crise éducative ou éducationnelle survient au sein de la famille avec la disparition de la filiation, l’apprentissage de pratiques perverses qui se heurtent aux valeurs sociétales, et même de l’école. Le droit à l’adoption reviendrait à poser officiellement que la différence des sexes, comme ce qui fonde le sentiment d’identité de l’enfant, n’existe pas ; ou, du moins, ne compte pas. Il n’est plus besoin de dire à l’enfant désiré qu’il est issu de l’amour et de l’union entre un homme, son père et une femme sa mère, puisqu’il a plusieurs pères ou plusieurs mères : un père biologique ou donneur de sperme, un père adoptif et même un père affectif, une mère biologique, une mère affective, une mère légal etc. Que d’interrogations auront à vivre les enfants adoptés par des couples homosexuels. « Ai-je un père et une mère » ? Suis-je comme les autres enfants ? Quelle est mon origine ? », etc.
Notre propos ici se résume à cette interrogation : plutôt que de parler du droit à l’enfant qui relève d’une instrumentalité inacceptable, – l’enfant passant de sujet de droit à celui d’un objet auquel chacun aurait droit – ne serait-il pas convenable de parler du droit de l’enfant ? Ce qui raisonnablement nous amènerait à nous demander à quoi l’enfant pourrait avoir droit, de quoi il pourrait avoir besoin, s’il préfère avoir une mère et un père ou deux parents du même sexe. Ce qui est important pour l’enfant, c’est de savoir biologiquement d’où il vient et qui a des droits sur lui.
On le voit, parce qu’il ouvre à l’adoption, le mariage homosexuel constituerait une nouvelle discrimination à l’égard des enfants adoptés éventuels, que l’on priverait délibérément d’un père ou d’une mère, d’une éducation saine. Or, ce dont l’enfant a droit, c’est d’avoir la protection, de vivre dans un cadre familial normal où il aura le maximum de chance de se construire au mieux. S’engager dans la voie de l’adoption des enfants par des couples homosexuels reviendrait en effet à heurter de front le principe reconnu par la Convention Internationale de l’ONU sur les droits de l’enfant selon lequel l’intérêt supérieur de celui-ci, partie la plus faible et sans défense, doit toujours passer avant toute autre considération. L’article 2-2 de cette Convention recommande que « l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination »[38]. Aussi, l’article 7-1 précise que « l’enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux »[39]. Ce qui, pour nous, confirme le bien-fondé de la structure éthique et anthropologique de l’alliance conjugale entre un homme et une femme pour assurer le plein développement du petit d’homme.
CONCLUSION
Faisant nôtre le propos de Marx selon lequel « les philosophes ne poussent pas de terre comme des champignons, ils sont les fruits de leur époque »[40], nous avons voulu apporter notre contribution au débat actuel qui porte sur la question de la légalisation du mariage et de l’adoption pour tous. Il s’est agi d’examiner sous l’angle des valeurs démocratiques, des droits de l’homme et de la bioéthique, cette question qui, au-delà de son traitement par les institutions législatives de certains États, restent entière. La légalisation du mariage homosexuel, considérée par certains, comme un pas en avant vers l’égalité des genres, le résultat d’une lente mais profonde évolution des mentalités, procède, selon nous, d’une lecture erronée. Les résistances restent et demeurent fortes. Et notre avis est qu’au lieu de progresser, notre humanité régresse.
Pour nous, l’enjeu, à travers la loi du mariage pour tous, c’est le risque irréversible d’un brouillage des généalogies, des statuts (l’enfant-sujet devenant l’enfant-objet) et des identités – brouillage préjudiciables à l’ensemble de la société et perdant de vue l’intérêt général au profit d’une infime minorité. Dès lors, on peut se demander si les droits de l’homme ont encore de la consistance, de la valeur au point d’être respectés, pris en considération dans une société qui donne droit à tous les choix de vie, à tous les penchants.
Le modèle familial ressemble de plus en plus à une espèce menacée. À vrai dire, la prise en compte de cette multitude de droits entraine leur dévalorisation, leur banalisation, voire même
« une déréliction juridique, puisque le concept de droit se dissout dans le mouvement incontrôlé des revendications sans fin, également une déréliction axiologique, car la permissivité totale qui est à l’horizon de la surproduction délirante des droits contient le germe d’un passage aux extrêmes ou à la démesure »[41].
La révolution du mariage pour tous témoigne d’un bouleversement axiologique conduisant assurément à la perte de l’homme.
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HANS JONAS ET LA QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ PARENTALE
Cyrille SEMDE
Université de Ouagadougou (Burkina Faso)
RÉSUMÉ :
Il est devenu presqu’une évidence que l’humanité a besoin aujourd’hui d’une éthique de la responsabilité face à l’accélération des progrès technoscientifiques. Aux nouveaux pouvoirs de l’homme il faudrait répondre par de nouveaux devoirs dont le respect pourrait permettre d’éviter la catastrophe telle que l’érosion de la parentalité qui, en s’éloignant de plus en plus de la norme parentale, remet en question l’idée jonassienne selon laquelle la responsabilité parentale représente un paradigme de responsabilité induite par la situation de l’homme aujourd’hui.
Mots clés : Responsabilité, parentalité, procréation artificielle, éthique, droit, devoir, liberté.
ABSTRACT :
It is almost obvious that humanity needs nowadays an ethics of responsibility regarding particularly the acceleration of technoscientific progress. To the new powers of man it would be necessary to answer with new obligations, the respect of which could allow avoiding the catastrophe such as the erosion of parentality which getting farther and farther from parental norm, questions the jonassian idea according to which parental responsibility represents a paradigm of the idea of responsibility entailed by the situation of today’s man.
Keywords: Responsibility, parentality, medically assisted reproduction, ethics, wrights, obligations, freedom.
INTRODUCTION
Dans la quête d’une éthique de la responsabilité destinée à répondre au défi technologique, Hans Jonas se sert de divers paradigmes dont celui de la responsabilité parentale pour en asseoir les fondements. Que devient un tel paradigme dans le contexte d’une recomposition – et de sa revendication – de la famille, dans un contexte où la procréation n’est plus une affaire naturelle ? En défendant la nécessité de la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre, sa théorie de la responsabilité n’entre-t-elle pas en désaccord avec l’artificialisation de la vie à travers les manipulations génétiques et la revendication de l’homoparentalité ? Si sur certaines questions la position de Hans Jonas demeure ambivalente, il n’en demeure pas moins qu’elle éclaire sur la différence entre la parentalité au sens classique et la responsabilité qui en découle et la parentalité telle qu’elle se revendique aujourd’hui. L’objet de ma réflexion consiste à mettre en évidence une telle différence et en déduire la nécessité d’une éthique de la prudence et de la limitation face à une conception exagérée de la liberté. Je vais d’abord rappeler les grandes lignes de la théorie de la responsabilité et le contexte qui en motive la fondation (I) ; ensuite, j’exposerai les caractères de la responsabilité parentale pour lesquels elle sert de paradigme (II) ; et je montrerai enfin que dans certaines conditions la responsabilité parentale risque de devenir artificielle (III).
I- L’ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ, UNE ÉTHIQUE DE LA SAUVEGARDE
Que la théorie de la responsabilité de Hans Jonas soit à la fois une éthique de la conservation et de la limitation, c’est ce que ne conteste pas Karl Otto Apel, même s’il prend position contre une telle conception de la responsabilité face à la menace technologique. En effet, dans un texte intitulé « La responsabilité aujourd’hui n’est-elle qu’un principe de conservation et d’autolimitation ou reste-t-elle encore un principe de libération et de réalisation?»[42], il indique clairement que sa réflexion s’adresse bien à l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas dont il entend évaluer la thèse de la nécessité de l’abandon de l’utopie baconienne du progrès. Bien entendu ce n’est pas la confrontation entre Apel et Jonas qui nous intéresse ici, mais la vérité au moins établie que Jonas défend une éthique de la sauvegarde au nom de laquelle certaines restrictions s’imposent. En effet, examinant les chances du socialisme marxiste de servir de cadre politique approprié pour la mise en œuvre efficace de l’éthique du futur, il soutient que « la société sans classes n’occuperait plus alors la place de l’accomplissement d’un rêve de l’humanité, mais très prosaïquement celle d’une condition de conservation de l’humanité dans une époque de crise imminente »[43].
Il faut rappeler que la théorie de la responsabilité s’inscrit dans le contexte du progrès scientifique et technique qui, en raison de son ambivalence, se transforme en menace pour l’homme. L’ambivalence tient au fait que
« ce n’est pas seulement quand on abuse de la technique de manière malveillante, c’est-à-dire pour de mauvaises fins, mais même quand on fait appel à elle de manière bienveillante pour des fins véritables et très légitimes, qu’elle a un aspect menaçant en soi, qui pourrait avoir à long terme le dernier mot»[44].
Face au danger s’impose, de façon impérieuse, la prescription de nouveaux impératifs éthiques, ce qui ne va pas sans une reconstruction des paradigmes théorico-philosophiques qui ont jusqu’ici déterminé les relations de l’homme au monde. Par exemple, pour autant que toute éthique se fonde en dernière analyse sur une métaphysique – telle est la conviction de l’auteur[45] –, l’éthique de la responsabilité met en crise les discours métaphysiques classiques sur l’être qui postulent son éternité, tandis que dans le contexte du progrès de la puissance technologique de l’homme, nous devons abandonner une telle conviction en faveur de la thèse de la mortalité de l’être. Le motif de la responsabilité se trouve dans la vulnérabilité de son objet qu’il s’agit de protéger. Dans l’ordre des priorités – puisque la théorie conserve l’anthropocentrisme même si elle prend en compte le non humain – l’homme constitue l’objet premier de la responsabilité, « l’archétype de toute responsabilité est celle de l’homme envers l’homme»[46] ainsi que l’exprime d’ailleurs les impératifs induits par l’idée de la responsabilité adaptée « au nouveau type de l’agir humain… »[47]. Le plus fondamental d’entre eux s’énonce de la manière suivante : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre »[48].
Ce qu’il s’agit de conserver ou de sauvegarder et de protéger contre la menace technologique, c’est bien l’homme aussi bien en son existence physique qu’en son essence. L’exception humaine, c’est-à-dire sa liberté, relève d’une conquête de la nature et nous ne devons rien faire qui ne soit en accord avec un tel acquis. L’idée consiste à dire que la liberté métaphysique de l’homme qui n’est que la fine pointe d’un développement qui commence depuis les structures les plus inférieures de l’être doit être aujourd’hui protégée contre les nouvelles technologies dont l’homme lui-même devient objet. S’impose une éthique de la crainte, un devoir d’anticipation des effets négatifs de l’agir actuel sous-tendu par la superpuissance technologique. D’où la nécessité d’une heuristique de la peur, car nous n’avons pas besoin d’attendre que la catastrophe se produise avant de chercher à la surmonter. L’enchantement d’une émancipation de l’humanité par le biais du progrès toujours accru doit être abandonné non seulement en faveur d’une éthique de la conservation, mais aussi de la précaution et de la limitation.
L’exigence de la limitation s’atteste dans le cas du progrès des sciences et des techniques biomédicales, premier domaine d’application de la théorie de la responsabilité chez Hans Jonas. On peut lire à ce sujet son ouvrage Technik, Medizin und Ethik[49]. Nous disposons depuis 2012 d’une traduction française, mais partielle du texte assurée par Eric POMMIER et publiées aux éditions du Cerf et qui s’intitule : L’art médical et la responsabilité humaine. Dans ce qui suit, je me propose, non pas de traiter du problème général de l’incidence des avancées biomédicales sur l’art et la science médicales et les problèmes éthiques que cela génère dans leur intégralité, mais d’aborder, de façon circonscrite, le problème particulier des nouvelles technologies de la procréation et leur incidence sur la responsabilité parentale qui apparaît d’ailleurs aux yeux de Hans Jonas comme « l’archétype de toute responsabilité (et en outre…génétiquement l’origine de toute disposition pour elle… »[50]
II- L’INCURSION DE L’ÉTHIQUE DANS LE DROIT ET L’INFLÉCHISSEMENT DU RÔLE DE L’ÉTAT
Ma réflexion va s’appuyer ici sur un texte du philosophe consacré spécialement à la question de la procréation. Il s’intitule : « Les droits, le droit et l’éthique : quelle réponse apportent-ils aux propositions des nouvelles technologies de la procréation ? »[51] Le texte est une communication donnée lors du Congrès de politique juridique du SPD[52], du 20 au 22 juin 1986, à Essen, auquel Hans Jonas avait été invité.
La thèse de départ consiste à dire que les nouvelles technologies de la procréation concernent le législateur, qu’elles lui prescrivent des tâches jusqu’ici insoupçonnées. Les dangers potentiels et réels de ces technologies ne sauraient laisser indifférent ; elles ne peuvent pas être simplement déterminées par le libre marché. À partir de là l’auteur précise les questions rectrices de son intervention. Elles touchent deux aspects de la question soulevée par les nouvelles technologies de la procréation. D’abord, un aspect juridique :
« Jusqu’à quel point certains droits de la personne, comme le droit à une descendance, fondent-ils une obligation publique d’aide à sa réalisation, en particulier par la mise à disposition de certains procédés artificiels en cas d’impossibilité naturelle ? »[53]
La question laisse entendre qu’il faut distinguer deux types de droits. D’une part ceux qui exigent des pouvoirs publics qu’ils interviennent dans leurs processus de réalisation. A ces droits de la personne correspondent des devoirs non pas seulement des individus, mais aussi des pouvoirs publics. Par exemple le droit à l’éducation, à la vie, à la propriété qui sont non seulement des droits inaliénables, mais encore fondent des obligations publiques telles que la mise en place de système éducatif accessible à tous ; le devoir d’assurer la sécurité des citoyens, de les protéger. D’autre part peuvent être cités, les droits de la personne qui ne fondent pas a priori une obligation publique positive sinon l’obligation de ne pas les entraver. Cela est à la fois vrai pour les pouvoirs publics et pour les rapports individuels entre les citoyens. Les premiers sont appelés par l’auteur des « droits forts » et les seconds des « droits faibles ». La question se pose maintenant de savoir à quel type de droit peut être rattaché le droit à une descendance, à la procréation ?
La réponse de l’auteur est la suivante : « la procréation elle-même demeure un privatissimum à deux et le droit naturel à celle-ci, du côté de l’État, un pur et simple droit à permission : au désir d’enfant il accorde simplement un refus d’empêcher»[54]. Autrement dit, il s’agit d’un droit faible bien qu’inaliénable et naturel qui relève de la sphère de la décision privée même s’il existe des situations extrêmes dans lesquelles l’État intervient dans l’exercice de ce droit en imposant, soit l’obligation de la limitation numérique par crainte de la surpopulation – comme c’est le cas en Chine – ou par souci de réduire la pauvreté comme c’est le cas dans les pays du Sud, soit à l’inverse on incite à la procréation en recourant à des primes ou même en “réprimant la mauvaise volonté.” Par ailleurs, le processus de la procréation, même naturelle, implique à certaines de ses étapes une intervention des pouvoirs publics : détermination du cadre juridique du mariage, droit de la femme à la protection durant la période de la grossesse, allocations familiales, etc. En un mot il s’agit de la couverture sociale que l’individu peut exiger de la société.
En dehors de ces exceptions qui, pour l’auteur, relèvent du « droit à la vie d’enfants déjà procréés »[55], l’acte de la procréation demeure au plus haut point une affaire privée et ne saurait fonder une obligation d’aider à sa réalisation, même pas en ce qui concerne le choix du partenaire. Cela est vrai pour la procréation naturelle. Mais cela est-il vrai dans le cas de la procréation artificielle rendue possible par le développement de la technologie ?
Avant de répondre à cette question, il convient de souligner que la procréation est l’un des axes de la réflexion bioéthique et notamment de l’éthique appliquée aux sciences et aux techniques biomédicales. Or, dans la pensée de Hans Jonas, les technologies non seulement mettent en évidence le fait que la technique s’applique à l’homme – ce qui ne le met pas à l’abri des menaces quant à son essence – mais aussi constituent le premier domaine d’application de la théorie de la responsabilité. L’impératif fondamental de cette théorie éthique commande d’agir de telle sorte que les effets de l’action ne compromettent pas la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. Or, la recherche et les techniques biomédicales font partie de l’agir humain et révèlent la croissance de la puissance de l’homme. Tant qu’il s’agit de la procréation naturelle, il semble qu’aucun danger n’est à craindre en dehors de celui de la surpopulation qu’il faudra contrôler en raison de la menace qu’elle fait peser sur l’équilibre écologique – ce qui constitue un danger pour l’homme lui-même. Hans Jonas rendra d’ailleurs en partie responsable la médecine de l’explosion démographique :
« La science médicale et l’art ont ici une responsabilité particulière et inédite pour eux, car eux seuls peuvent imaginer et employer les méthodes humaines encore éthiquement acceptables de limitation des naissances, qui devancent le génocide et l’infanticide impitoyables dans une situation catastrophique, où ne prévaut que le « sauve-qui-peut ». L’art médical est lui-même coresponsable de la montée du danger. Car on ne serait pas arrivé à une explosion démographique aussi rapidement, justement dans les régions pauvres de la terre, qui lui sont le moins appropriées, sans le triomphe de la médecine dans la lutte contre les épidémies et l’abaissement de la mortalité néonatale.»[56]
La médecine se trouve ici doublement interpellée quant à sa responsabilité face au phénomène de la surpopulation. C’est à elle qu’il revient de contribuer à la maîtrise de la procréation, à la nécessité de la limitation des naissances même si l’éthique de la responsabilité implique l’exigence de la reproduction. Toutefois, elle ne devrait pas le faire à n’importe quel prix. En résumé, en dehors des excès, la procréation naturelle ne pose aucun problème éthique et ne nécessite pas l’intervention des pouvoirs publics.
Mais la responsabilité de la médecine et, par suite, celle de l’État devient encore plus grande et même change de nature lorsqu’il s’agit de la procréation artificielle médicalement assistée. Pour Hans Jonas, ces technologies d’aide à la procréation ne sauraient être laissées à l’initiative privée et au libre marché au regard de ce qu’elles peuvent comporter comme danger. Ce qui suppose la mise en évidence de ces dangers, donc impose la tâche de distinguer les procédés qui sont problématiques de ceux qui ne le sont pas. D’où l’importance de la deuxième question centrale de l’auteur à laquelle il répond en recourant à la casuistique. La question se formule comme suit :
« Parmi les voies artificielles possibles pour la réalisation de ces vœux justifiés, lesquelles sont moralement non problématiques ou lesquelles sont problématiques, en un sens qui codétermine la définition du droit public et de l’obligation publique de cette affaire ? »[57]
Il convient de remarquer que l’évaluation des technologies de la procréation implique la prise en compte de la norme morale ; leur caractère problématique ou non dépend du fait qu’elles heurtent le sentiment moral ou se trouvent en accord avec lui. Lesquelles sont-elles moralement acceptables et recommandables et lesquelles ne le sont-elles pas ? L’enjeu de ces questions n’est rien d’autre que la nécessité de l’incursion de l’éthique dans le droit. D’une part, il y a ce que la puissance technologique permet de réaliser ; d’autre part, se pose la question de savoir si ce qui est techniquement réalisable est moralement et juridiquement permis. Les pouvoirs publics doivent intervenir en s’inspirant de l’éthique, dans la détermination de ce qui peut être juridiquement autorisé et ce qui ne peut pas l’être. Mais, cela signifie une inflexion dans la conception de l’État et de son rôle vis-à-vis des droits individuels et naturels. Doit-on, dans la dynamique des sociétés modernes, tenir fermement à une vision minimaliste de l’État en vertu de laquelle il ne saurait intervenir dans la sphère de la vie privée ? Ou bien, faut-il au regard de la situation du monde aujourd’hui, dominé par la technoscience, la crise de la famille, les contradictions relatives à la parentalité, reconnaître aux pouvoirs publics et au législateur le droit et même le devoir d’imposer une limitation à ce qui, du point de vue humain, comporte des risques ? Cette seconde option semble plus cohérente et peut être le plus urgente.
Comme le dit l’auteur, l’État ne peut pas laisser faire comme Dieu laissa faire à Auschwitz au point qu’il fallait en repenser le concept pour sauvegarder la foi[58]. Les nouvelles technologies de la procréation l’obligent à infléchir son rôle et à intervenir dans ce qui relève jusqu’ici de la sphère du privé et ce, pour plusieurs raisons :
1) les aides artificielles à la procréation exigent le concours du médecin. Mais il revient à l’État d’assumer une grande part de responsabilité dans la profession médicale en définissant les règles de la déontologie médicale et en veillant à leur application, ne serait-ce qu’à travers la structure de surveillance qu’est l’ordre des médecins;
2) le processus de la procréation artificielle concerne plusieurs personnes et non seulement celles qui désirent avoir une descendance : conjoints, donneurs de spermes ou d’ovules, mères porteuses. Même le sort de l’enfant que l’on veut mettre au monde doit être pris en compte. Dans ces conditions un encadrement juridique s’impose de toute nécessité ;
3) les technologies de la procréation « touchent au plus profond notre sentiment moral»[59]. L’État, dans ce sens, ne doit pas se faire complice de l’immoralité. Bien au contraire la réflexion éthique doit accompagner les normes juridiques censées encadrer ces pratiques.« On est devant le cas rare, dit Hans Jonas, où la loi est obligée de se tourner directement vers l’éthique pour lui servir d’arbitre dans l’élaboration de sa propre volonté. Il lui faut éviter…un financement public pour quelque chose qui heurte le sentiment moral»[60].
À notre sens, cela peut heurter d’autant plus le sentiment moral qu’il risque d’émousser la qualité de la responsabilité parentale. Mais en quel sens ces procédés artificiels de procréation peuvent-ils porter atteinte à la responsabilité parentale ? Il convient, pour répondre à cette question, de préciser les caractères de ce type de responsabilité qui en fait un paradigme.
III- LES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE PROCRÉATION ET LE RISQUE DE LA DÉNATURATION DE LA RESPONSABILITÉ PARENTALE
A- Les caractères de la responsabilité parentale
La réflexion de Hans Jonas sur la responsabilité parentale se développe dans le quatrième chapitre, les paragraphes II et III du principe responsabilité. Le premier caractère de la responsabilité parentale réside dans sa naturalité et c’est ce qui le distingue, par exemple, de la responsabilité de l’homme politique qui est artificielle, parce que librement choisie. Mais l’on peut objecter en soutenant que l’acte de la procréation relève également de la liberté, qu’elle appartient à la sphère de la décision libre et individuelle. Le caractère naturel de la responsabilité parentale provient sans doute du fait qu’avoir une descendance correspond à une tendance naturelle, répond à une prescription de la nature par laquelle se perpétue l’espèce. Seulement, comme l’avait averti Kant, si tout dans la nature obéit à des lois, seul l’homme agit par représentation de la loi ; il peut, en vertu du pouvoir de représenter qui constitue le fondement de sa liberté, décider de s’écarter de la norme naturelle ou même positive ou de la modifier.
Bien que conscient de la norme naturelle, l’homme peut refuser d’y obéir, et ce de deux manières : soit en décidant de ne pas avoir une descendance – et cette décision peut être prise seul ou à deux ; et il dispose pour cela de divers moyens artificiels que sa puissance technologique lui permet d’acquérir -, soit il décide de procréer, mais par des procédés contre-nature. Mais nous avons vu que c’est en ce moment que se posent les problèmes éthiques.
La naturalité de la responsabilité parentale réside dans le fait qu’elle s’impose d’elle-même dès l’instant où nous avons pris la décision d’appeler un enfant à l’existence. Elle repose sur des conditions subjectives qui font qu’ « en dépit des analogies, la relation de procréation conserve une primauté dont rien d’autre ne saurait égaliser l’évidence… »[61] Ces conditions subjectives se recueillent dans la conscience d’être immédiatement l’auteur de celui que l’on a mis au monde et qui instaure une relation unilatérale et absolue. Cette conscience d’être responsable de l’existence de ce qui n’existait pas encore aiguise le sentiment d’amour qui « rend le cœur réceptif à l’obligation… »[62] Naturel signifie donc ici à la fois ce qui va de soi et ce qui est institué par la nature. Elle ne saurait être contractuelle parce qu’elle est marquée :
- du sceau de la globalité ou de la totalité. Elle envisage son objet – l’enfant – dans son intégralité : ses dimensions physique, affective, spirituelle, intellectuelle. La responsabilité parentale couvre non seulement l’être physique de l’enfant, son maintien dans l’existence, mais aussi son plein épanouissement ;
- du sceau de la permanence ou de la continuité qui « résulte de la nature totale de la responsabilité, d’abord au sens presque tautologique que son exercice ne doit pas s’interrompre »[63]. Elle dure tout le temps que l’enfant a besoin des parents pour se développer. La continuité désigne la nécessité de la prise en compte de l’historicité de l’objet de la responsabilité : il s’insère dans une histoire – celle de la communauté avec son savoir, ses valeurs, sa tradition. Mais les parents doivent toujours tenir compte en même temps de son historicité personnelle et ils doivent mettre en œuvre les moyens qui lui permettront d’acquérir son identité ;
- du sceau de l’avenir. Ce caractère de la responsabilité parentale est la conséquence de l’exigence de la continuité. Il renvoie au fait que dans le futur, la responsabilité parentale est appelée à être transcendée en raison de la liberté de l’objet.
En résumé, la responsabilité parentale est paradigmatique de l’idée de la responsabilité recherchée dans le contexte de la civilisation technologique en ce qu’elle contient une double dimension : 1) la dimension causale qui implique l’idée d’être l’auteur de l’existence de l’enfant ; 2) la dimension anticipative qui signifie que non seulement on est responsable de, mais aussi pour ce qui est à venir, étant entendu que cet avenir désigne non seulement celui de l’enfant, mais encore celui de la communauté qui l’accueille et par suite de l’humanité. La responsabilité parentale satisfait donc à l’idée d’une éthique du futur. Mais cela est-il vrai dans un contexte d’artificialisation de la procréation ?
B- La responsabilité parentale en question
L’auteur recourt ici à la casuistique pour montrer à quel point et dans quelles circonstances les nouvelles technologies de la procréation posent un problème moral. Il énumère cinq cas de figure, allant du moins problématique à ceux dont les implications morales sont évidentes. Je m’en tiendrai aux trois derniers cas dont les implications éthiques sont évidentes et j’en infèrerai l’incidence sur la responsabilité parentale. Dans nos sociétés africaines, on sait à quel point avoir des enfants participent de la reconnaissance sociale de l’individu. Cette volonté ou cette tendance naturelle à avoir une descendance peut conduire à des décisions parfois fantaisistes et désespérées, mais qui ne laissent pas de heurter notre sentiment moral.
1er cas : un couple non marié désire avoir un enfant, mais ne peut le satisfaire par la voie des rapports sexuels en raison, par exemple, d’une impuissance sexuelle chez l’homme. Techniquement, le problème se résout par voie d’insémination artificielle. Mais jusqu’à quel point l’aide artificielle ne constitue-t-elle pas un encouragement à la procréation hors mariage si tant est que celui-ci représente la meilleure situation pour l’enfant et pour l’exercice de la responsabilité parentale ? La question reste ouverte ici dans la mesure où un couple non marié peut très bien avoir de la sollicitude à l’égard de l’enfant, lui témoigner d’une grande affection. Le mariage relève d’une institution que l’on peut distinguer de l’amour que les partenaires peuvent éprouver l’un pour l’autre. Mais en tant qu’institution, il favorise l’accueil social de l’enfant.
2ème cas : que faire des embryons surnuméraires dans le cas d’une femme mariée chez qui la fécondation in vitro avec réimplantation de l’œuf est indispensable ? Faut-il pour la commodité de la patiente, du médecin et du laboratoire créer des embryons de réserves pour éviter la répétition de l’opération ou faut-il accepter la répétition de l’intervention ? Pour Hans Jonas, cette dernière solution apparaît moralement la plus acceptable. Dans le cas contraire il faudrait même renoncer au désir d’enfant. Réintroduire tous les embryons et créer ainsi des naissances multiples revient à provoquer artificiellement ce qui est parfois imposé par la nature.
Le 3ème cas soulève, dit l’auteur, « un véritable essaim de problèmes, juridiques et éthiques »[64]. La situation est la suivante : un couple régulièrement marié ne peut avoir d’enfant en raison de la stérilité de l’homme. La voie naturelle serait d’autoriser l’adultère de la femme, ne serait-ce que temporairement. Ce qui n’est pas évident à accepter. Ou bien alors recourir à l’adoption qui correspond alors au « renoncement à toute continuation génétique… »[65] Les nouvelles technologies de la procréation offrent l’opportunité de recourir à un donneur de sperme qui, le plus souvent, demeure inconnu et doit même le rester, du point de vue juridique. Outre la grande responsabilité du médecin appelé à jouer le rôle de « l’entremetteur »[66], à être le garant de la qualité du sperme, et la responsabilité des pouvoirs publics qui, non seulement accordent la licence au médecin et aux banques de sperme, mais encore fixent le cadre juridique du processus, il se pose ici multiples problèmes éthiques :
– l’acte lui-même est une nouvelle forme d’adultère d’autant plus pernicieuse qu’elle est « totalement dépersonnalisée, sans rencontre et sans visage »[67] ;
– on enlève à l’enfant le droit de connaître son origine (son père naturel) et à la mère le droit de connaître le véritable père de son enfant ;
– recourir au « cocktail de sperme » représente le pire scénario : « la profonde immoralité de la chose, dit l’auteur, ne mérite pas un mot de plus » et il est insupportable que l’État puisse l’autoriser ;
– la rémunération des donneurs de sperme revient à encourager une sorte de « prostitution masculine admise par l’administration et le droit commercial »[68]
On pourrait multiplier les cas de figure au-delà de ceux décrits par l’auteur comme, par exemple, le désir d’enfant par un couple homosexuel ou celui d’un couple marié dont l’un est décédé, mais avait pu conserver ses semences… Mais, les exemples cités suffisent pour illustrer les implications éthiques de la procréation artificielle.
CONCLUSION
Les nouvelles technologies de la procréation prouvent que la puissance technologique de l’homme ne s’applique pas seulement au non humain, mais aussi à l’homme lui-même et c’est ce qui motive de façon ultime la pensée éthique. Par-delà les quelques aspects positifs qu’elles pourraient receler, elles conduisent à traiter l’homme comme un simple objet, à penser que l’homme fait partie du purement fabricable, rendant ainsi artificielle la responsabilité parentale. L’attachement parental, fondement d’une responsabilité au sens plein, risque de s’émousser et pourtant il fait partie de l’engagement naturel du géniteur à prendre en compte les implications de toute responsabilité parentale : la totalité, la continuité, l’horizon de l’avenir.
Si l’on peut déjà choisir, au moment de la conception, le type d’enfant voulu, ce qui implique qu’on ne se préoccupe pas du sort des embryons surnuméraires, rien ne garantit que l’on se sente toujours responsable de l’enfant choisi si par la suite il était victime d’un handicap. Pour nous la responsabilité parentale ne peut servir de paradigme que dans le cadre de la procréation naturelle. Plus elle s’artificialise, plus l’homme risque de devenir l’objet d’un choix capricieux, il risque de faire partie de ce que l’on peut choisir et rejeter à volonté. Et même l’homme futur risque d’être une simple détermination de l’homme actuel. Ce qui signifie que l’on compromet la possibilité de la liberté dans le futur.
BIBLIOGRAPHIE
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FAMILLE ET DÉVELOPPEMENT COGNITIF DE L’ENFANT
François Boroba N’DOUBA
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
L’expression « famille et développement » paraît ambitieuse tant elle pourrait renvoyer à des connotations diverses à la mesure des différentes disciplines qui l’examinent de près ou de loin dans les recherches qu’elles entreprennent. En effet, ce thème pourrait être abordé, par exemple : en démographie en termes de populations envisagées du point de vue quantitatif pour mettre en évidence notamment les problèmes de natalité ou de mortalité au niveau des familles. En droit dans le sens de contrat, sous forme de droits et de devoirs entre des personnes qui ont décidé de fonder une cellule, la famille. En économie sous l’angle des revenus des ménages pour des problèmes de fiscalité, ou pour identifier les familles favorisées ou défavorisées. En sociologie pour présenter la famille comme la cellule sociale de base, ou en ethnosociologie pour évoquer la famille en tant que creuset des valeurs et des traditions. Et, bien sûr en psychologie qui n’a de cesse d’insister sur les caractéristiques familiales qui concourent au développement des conduites dans leur acception la plus extensive et qui causent des différences au point de vue développemental.
Aussi, est-il apparu nécessaire de préciser ces notions sous l’angle des préoccupations qui sont les nôtres, à savoir celles de la psychologie génétique différentielle qui a justement pour objectif d’expliquer les origines et les transformations que connaît le développement cognitif d’une part, et comment et pourquoi ce développement emprunte des voies diverses et différentes d’autre part. A cet effet, nous avons examiné dans ce travail, les traits significatifs des familles susceptibles de créer des différences au plan du développement, les multiples voies empruntées par les familles pour créer ces différences et enfin, nous nous sommes interrogé quant aux manières possibles de combiner l’influence des familles avec d’autres aspects expérientiels.
Mots-clés : Education familiale ; Développement cognitif ; Développement de l’enfance.
ABSTRACT :
The expression « family and development » seems ambitions so much that it might refer to diverse connotations to measure up to different disciplines which examine it closely or by far in research they deal with. Indeed, this theme might be approached in different domains: in demography, in terms of considered populations from quantitative point of view in order to notably underline birth rate or death rate problems in families. In the domain of law, in terms of contract, under the form of rights and duties between people who have decided to found a family. In economy, from the angle of household income for taxation problems, or to identify rich or poor families. In sociology, family is presented as the basic social cell, or in ethnosociology to evoke family as a melting pot of values and traditions. Of course psychology constantly insists in family characteristics that contribute to the development of behaviours in their most extensive meaning which cause differences in developmental point of view.
It moreover necessarily appears to us to precise these notions under the angle of preoccupations that are ours, that is to say those of differential genetic psychology whose rightly objective is to explain origins and transformations that cognitive development knows in one hand, and how and why this development borrows diverse and different ways in another hand. Consequently, we have noticed in this work significative features of families sensitive to create differences in development, multiple ways borrowed by families in order to create these differences and at last, we wonder whether manners are possible to combine families influence with other experiential aspects.
Keywords : Family education; Cognitive development; Child development.
INTRODUCTION
Le concept de développement est un concept-clé en psychologie développementale. En effet, le terme de « développement » implique croissance et changement, mais il ne se limite pas à l’accumulation de caractéristiques qu’acquiert l’être humain à mesure qu’il devient mature. En fait, le développement se réfère à la croissance humaine qui inclut de nouveaux patterns distinctifs de pensée, de mode d’être, de comportement et de conduite. Car, un des principes de base du développement humain est le changement qui apparaît de façon prédictible sous l’angle des séquences développementales. Au-delà de la présentation rapide de ce changement, la psychologie génétique différentielle s’interroge aussi et surtout pour savoir pourquoi les individus diffèrent les uns des autres au point de vue développemental. Les réponses à ces questions sont liées aux deux facteurs en interaction que sont l’hérédité et l’environnement. L’environnement renvoie à toute les influences non génétiques que rencontre le sujet, aux diverses influences de type masculin-féminin, à la classe social, au fond ethnique, à l’histoire du sujet etc. Beaucoup de facteurs environnementaux se situent en dehors du corps, et peuvent-être : l’environnement physique, les gens avec lesquels nous entrons en interaction. Ensemble, tous ces facteurs créent un environnement externe. Mais chacun d’entre nous a aussi un environnement interne issu des facteurs non génétiques et intérieurs à notre corps.
Dans ce cadre, on pourrait citer la nourriture que nous consommons et qui nous est offerte au départ par la famille. En effet un tel acte et bien d’autres encore relèvent, généralement, sinon toujours, des actions éducatives d’un type particulier de milieu qu’est la famille. Ceci est d’autant vrai que même si toute éducation est une aide apportée par un ou plusieurs éducateurs au développement harmonieux d’un éduqué dans un milieu auquel il convient de l’adapter, la famille demeure le premier milieu éducatif de l’enfant tant du point de vue chronologique que de la pérennité de l’action éducatrice. En d’autres termes, certes beaucoup a été fait autour de la famille, mais nous pensons que beaucoup reste à faire afin d’explorer davantage les ressources insoupçonnées disponibles de la famille et encore susceptibles d’orienter le cours du développement de l’enfant. La famille est le « centre d’apprentissage de la vie ». La famille par son action éducatrice, aide à l’épanouissement de la personnalité de l’enfant, et prépare son adaptation particulière à la vie sociale, et conséquemment s’occupe en ligne droite du développement singulier de l’enfant. Ces considérations nous amènent à souligner que l’intérêt pour le thème « famille et développement » repose sur une double base.
D’abord, il y a un intérêt théorique à montrer pourquoi les gens font ce qu’ils font, et comment apparaissent à la fois similitudes et différences dans ce qu’ils font. Le second intérêt résiderait dans l’espoir que si on sait agir sur les caractéristiques de la famille, on détiendrait par là la clé pour agir sur la vie des enfants, et peut-être sur l’état de la société. En effet, même si les familles revêtent des formes diverses, il n’empêche que les enfants qui y sont élevés deviennent pour la plupart des gens raisonnables ; ils acquièrent différentes valeurs et différentes aptitudes qui les rendent compétents, confiants et raisonnablement disposés à l’égard d’autres à travers toute une variété de circonstances. Par exemple, les familles peuvent communiquer des ressources émotionnelles et matérielles susceptibles d’être à l’origine des différences ; mais aussi des contributions particulières de la fratrie ou des pairs dans le développement tout au long de la vie. Nous avons besoin de savoir davantage au sujet de ces ressources et contributions. Et c’est bien pour cela qu’il nous apparaît important d’examiner de façon renouvelée les relations entre la famille et le développement. L’objectif du présent travail est de mettre en évidence les modalités non encore étudiées, ou non suffisamment étudiées, selon lesquelles la famille peut influencer le développement cognitif.
À cet effet, nous nous proposons d’examiner trois domaines spécifiques de la recherche. D’abord, il s’agira d’attirer l’attention sur les traits ou les figures significatives des familles susceptibles de créer des différences au plan du développement. En second lieu, nous voudrions souligner les multiples canaux empruntés par les familles pour créer ces différences. Enfin, nous voudrions nous interroger quant aux manières possibles de combiner l’influence des familles avec d’autres aspects expérientiels, notamment le voisinage de la famille, la qualité des écoles fréquentées par l’enfant, les us et coutumes du groupe culturel. Nous apprécierons enfin comment face à tant de facteurs susceptibles d’affecter le développement cognitif, les éléments familiaux et les influences familiales demeurent d’une importance majeure.
I- TRAITS OU FIGURES SIGNIFICATIVES AU SEIN DES FAMILLES
Dans la quête des figures significatives, nous avons pris garde à ne nous concentrer que sur quelques aspects, au risque de perdre la signification de l’ensemble. Ainsi, nous avons eu fortement tendance à ne retenir que les parents et quelques traits facilement mesurables, notamment le nombre de parents résidant à la maison (famille biparentale ou famille monoparentale) (N’douba, 2009)[69]. À ce niveau, il convient de souligner que les Psychologues se sont longuement intéressés à l’influence des parents sur le développement de l’enfant. Mais, ils l’ont fait en se limitant souvent à l’influence de la mère dans ses interactions de face-à-face avec l’enfant.
De plus en plus, on reconnaît aujourd’hui que ce type de peinture est partiel. Aussi a-t-on commencé à ressusciter et à resituer, d’abord les pères dans leur invisibilité, ensuite les grands-parents et la fratrie (Maccoby et Martin, 1983)[70]. Par exemple, dans beaucoup de sociétés, les frères et les sœurs plus âgés jouent le rôle d’éducateurs auprès des plus jeunes en veillant sur eux tout au long de la journée. Ces aînés sont devenus les sources principales en ce qui concerne l’acquisition et l’apprentissage du langage chez les plus jeunes ; par exemple, l’apprentissage du langage maternel peut être difficile pour les plus jeunes si leurs aînés scolarisés pratiquent déjà le langage de l’école. Les frères et sœurs aînés servent souvent de guide pour la vie, et jouent le rôle de sparring partners, ce que ne peuvent pas remplir complètement les amis, mêmes les meilleurs, qui vous abandonnent dès l’instant où ils estiment que vous ne répondez plus à leur attentes. Ce sont à coup sûr des sources d’influences qu’on a souvent négligées pour ne voir que les seuls parents. C’est aussi le cas du personnel domestique qui joue de plus en plus, à cause du travail salarié occupe à l’extérieur les parents, et principalement la mère, un rôle décisif dans le développement de l’enfant, quel que soit l’angle sous lequel l’éducation est prise. Par ailleurs, et à la manière des sociologues et des économistes, une habitude a été prise de ne considérer que le niveau d’études et le revenu du père, ignorant ou négligeant ceux de la mère dans la détermination du niveau socio-économique de la famille. Et pourtant, des travaux montrent aujourd’hui l’importance du niveau d’études et de revenu de la mère, de sa gestion des problèmes du ménage dans des familles dites monoparentales matrilinéaires (N’douba, Op. cit )[71].
L’on assiste de plus en plus à travers le monde, peut-être un peu plus dans nos pays sous-développés, à un phénomène nouveau qui est celui des familles monoparentales. Cela devrait nous conduire à orienter nos investigations dans plusieurs directions. Par exemple, si la cause de la monoparentalité était le divorce ou la séparation, il serait intéressant de savoir l’état de l’atmosphère familiale, ou ce qu’était l’enfant avant l’avènement de cette situation afin d’apprécier plus finement les conséquences du fait du divorce ou de la séparation sur le développement de l’enfant. D’autres recherches pourraient utilement nous situer sur la contribution morale, affective ou matérielle du parent non-résident sur le développement de l’enfant, et comment ce dernier se représente ou interprète cette contribution.
Une autre piste de recherche pourrait établir si malgré la monoparentalité d’autres personnes adultes, nouveau partenaire, parents ou non, vivent à la maison, car tout cela peut causer de grandes différences quant aux ressources humaines supplétives disponibles, et donner un sens tout à fait différent à l’isolement parental. Est-ce aussi vrai que le divorce s’accompagne souvent pour la mère, devenue chef de famille, d’une baisse de revenus qui affecterait son niveau de vie, et influencerait négativement par ricochet le développement de l’enfant ? Y a-t-il une différence fondamentale aux yeux de la société entre une femme seule chef de famille du fait du divorce, et une femme seule chef de famille du fait du veuvage ? Au-delà de ces préoccupations, ce que nous voudrions souligner, c’est qu’en ne considérant qu’un seul de ces traits nous présenterions un tableau imparfait de la réalité que vit l’enfant au regard du développement. Aussi, invitons-nous à une peinture plus complète de la famille.
Une de ces voies pourrait consister à considérer ensemble les traits des familles et les situations auxquelles font face les membres de la famille. Par exemple, les familles qui opèrent dans un environnement marqué par peu de réconfort social, par des discriminations fréquentes, ou de taux élevés de violence, ont besoin de différentes ressources comparées à celles qui connaissent des situations moins astreignantes (Terrisse et al., 2004)[72]. Un sens profond de l’unité familiale, une fierté vis-à-vis de ses propres traditions, la présence de perspectives revêtent plus que jamais de l’importance pour le développement de l’enfant. Une autre voie pourrait consister à regarder davantage au sein de la famille, et à se demander comment les nombreux membres interagissent les uns avec les autres. C’est une vision qui fait apparaître la famille comme un système.
Dans une version de cette approche, la famille est regardée comme un ensemble de relations interconnectées. Il y a des relations entre parents, entre parents et enfants (mères, pères, fils, filles), entre les membres de la fratrie, et probablement entre les grands-parents et les générations plus jeunes à la fois. Dans ces conditions, nous pouvons nous demander comment ces douceurs et ces aigreurs, ou la disponibilité d’une relation sont susceptibles d’affecter le développement des autres. Dans une seconde version de cette approche systémique, une famille est considérée comme une unité dynamique constamment en quête d’un certain genre d’équilibre. Or, des changements altèrent pendant un certain temps cet équilibre. Par exemple après un décès, un divorce ou le départ de la maison familiale d’un frère aîné, il y a temporairement perte d’équilibre, et il apparaît une lacune dans le système. Dans le même temps s’ouvrent de nouveaux rôles, de nouvelles positions, de nouvelles alliances possibles, et progressivement le vide se bouche. Le système se réadapte par rapport à différents patterns, et rétablit un équilibre différent. L’impact sur le développement a alors besoin d’être réexaminé et retraité.
II- LA NATURE DES INFLUENCES
Il s’agit d’examiner les situations à travers lesquelles, les familles, tout en fonctionnant, créent des différences. Dans cet ordre d’idées, en guise d’avant-propos, on notera qu’il y a un caractère général dans les principales sources de données en ce qui concerne la nature de l’influence. En effet, on observe qu’il est accordé une fréquence d’intérêt plus grande à la docilité, à la stabilité, à la continuité plutôt qu’aux négociations, aux interactions ou aux échanges et aux changements. Il apparaît aussi un contraste saisissant entre les analyses centrées sur les routines ou pratiques quotidiennes.
Au-delà de ces orientations, nous voudrions souligner les étapes et les challenges qui ont marqué les travaux au cours des dernières décades, et qui sont essentiellement au nombre de trois : les influences uni ou biunivoques entre parents et enfants, la signification des interprétations que les gens donnent par rapport à ce qui apparaît et, la question de savoir quand et comment les premières influences de l’enfance peuvent affecter les conduites ultérieures.
En effet, depuis les années 2000, on soutient couramment que parents et enfants s’influencent mutuellement. Toutefois, les spécificités de ces processus biunivoques ont encore besoin d’être explorées davantage. Au fond, la plupart de ce que nous savons à ce sujet nous vient des situations d’apprentissage impliquant parents et enfants, tout cela étant accompagné d’un certain intérêt pour la manière avec laquelle les parents adaptent en fonction des circonstances leur aide à la lumière des changements observés dans les compétences de l’enfant. On pourrait aller au-delà de telles analyses, et mettre en évidence deux autres approches qui n’ont pas été souvent essayées. L’une de ces approches est due à Collis et Luebker (2003)[73]. Pour ces auteurs, à l’adolescence, les points de vue des parents et des adolescents peuvent diverger des uns aux autres, pour ensuite converger grâce à des changements observés de part et d’autre. Par rapport à ce paradigme, il se présente une opportunité pour se demander, de façon longitudinale quels sont les domaines dans lesquels les membres de la famille sont plus ou moins disposés à changer leur opinion, à étendre leurs expectations, et quelles sont les étapes qu’ils acceptent de franchir ensemble à cet effet.
La seconde étude nous vient de Kuczynski et Hildebrant (2007)[74] qui se sont intéressés à la façon dont les enfants se soumettent aux directives des leurs parents. Notamment, les parents apprennent aux enfants comment dire « non » de façon acceptable, et comment négocier. En d’autres termes, les parents apprennent aux enfants quand initier la discussion ou la négociation, ainsi que les façons acceptables ou inacceptables de l’engager. Par exemple, pour la plupart des parents, une réponse du genre « Ok, on verra plus tard », paraît plus acceptable qu’une réponse pleine de défi du type « Non ». A partir de ces données, nous pourrions examiner ce que les parents regardent comme des domaines non négociables, et comment ils signalent à leur enfant les seuils à ne pas franchir, ainsi que ce qu’ils considèrent comme des procédés acceptables des négociations ou de compromis à différents âges.
Dans ces conditions, les parents sont amenés à s’accorder avec leurs enfants sur ce qu’ils souhaitent leur faire observer, et les enfants à leur tour, agissent en tentant de reproduire les directives parentales. Ce qui pose le problème de l’interprétation que chacun des partenaires fait des actes de l’autre.
À ce niveau, il importe de souligner que l’effet de n’importe quelle action dépend de la manière dont celle-ci est interprétée. Les enfants confèrent un sens aux actions des parents ou des frères et sœurs. Par exemple, ces actions peuvent être perçues comme étranges ou naturelles, soit correctes ou non, soit sympathiques ou non, soit appropriées ou inappropriées. Les parents, eux aussi, donnent un sens aux actions des enfants. Par exemple, les parents perçoivent les actions des enfants comme intervenant au moment opportun ou de façon malencontreuse, soit comme amusantes, soit comme une désobéissance à leur contrôle. Ainsi, on pourrait dire que parents et enfants apprennent à s’épier, à s’observer afin de lire, à partir de la régularité ou de la non régularité des indices, les comportements à adopter. Le challenge à relever consisterait à trouver des voies pour spécifier ce processus qui confère un sens aux messages ou aux actions des uns et des autres. Par rapport à ce paradigme, une première tentative reviendrait à se demander quelles sont les interprétations toutes faites qui prévalent au sein d’une famille ou d’une culture. Comment les propos, les explications des familles peuvent promouvoir des façons particulières d’interpréter ces événements. Une seconde tentative consisterait à emprunter les analyses de style cognitif de l’apprentissage social. Ce type de théorie considère les gens comme s’observant les uns les autres afin de déterminer ce qui est possible, ce qui est difficile, ou ce qui pourrait vraisemblablement survenir si on tentait soi-même une action particulière. Nous savons relativement peu au sujet de la façon dont les enfants voient les autres dans la famille comme point de comparaison sociale. Toutefois, une base pour la recherche dans cette direction est disponible si l’on se réfère aux travaux qui ont abordé la façon dont les enfants, au cours des premières années scolaires, observent de manière dissimulée ou furtive ce que font les autres (Ruble, 2005)[75], se comportent sur le même modèle pour voir comment les adultes réagissent positivement ou avec chagrin dans leur relation. Une troisième tentative emprunte encore aux recherches sur la cognition, mais en mettant l’accent sur des décompositions ou analyses plus fines. Un exemple dans ce registre est proposé par Grusec et Goodnow (2004)[76] qui étudient la réponse des enfants à un message parental. Dans une première étape, les enfants entendent un message parental soit avec précision, soit sans précision. Dans un second temps, le message perçu est accepté, rejeté, ou transformé. Dans un troisième temps, un message accepté peut être intériorisé comme si on l’avait produit soi-même. Conséquemment, il s’impose une influence réciproque et transformatoire, et par ricochet développementale.
Un des avantages d’un tel modèle, c’est qu’il fournit plusieurs bases ou références pour une issue, telle que l’absence ou la présence de congruence entre les positions des deux générations. Les enfants peuvent percevoir fidèlement, mais ils n’acceptent pas le message. Ils peuvent aussi penser qu’ils sont d’accord avec leurs parents alors qu’en fait ils ne le sont pas. Il y a donc des initiatives à prendre en vue de faire progresser dans les positions ou comportements. Un second avantage du modèle c’est que chaque étape dans le processus est considérée comme différemment influencée par des conditions particulières. Par exemple, au cours de la première étape, les caractéristiques pertinentes concerneraient la clarté du message parental, son degré de sensibilisation ou d’émotivité. Dans une seconde étape, il faudra insister sur la chaleur affective de l’état relationnel entre les deux parents, et voir dans quelle mesure la position d’autres personnes est considérée comme un avantage ou un inconvénient, c’est-à-dire susceptibles de jouer un rôle de facilitateur. Dans une troisième étape, on s’intéressera au degré de pression ouverte ou de récompense à l’occasion d’une action. Par exemple, la position sévère ou rigide des parents peut être facilement décodée par les enfants, même si elle est rarement acceptée comme raisonnable. C’est souligner encore une fois que nous avons besoin davantage de données qu’on pourrait relier aux multiples possibilités qu’on vient de suggérer. Il est également nécessaire de disposer de modèles qui éclaireraient les voies selon lesquelles les membres de la famille interprètent les actions des uns et des autres. En d’autres termes, il faut s’éloigner de la simple description aux fins d’une présentation non seulement plus riche, mais aussi et surtout qui traite à la fois des parties en interaction comme contribuant activement aux résultats.
Par ailleurs, une des raisons qui plaident en faveur de l’idée selon laquelle la famille occupe une place à part parmi les influences susceptibles d’affecter le développement réside dans la proposition qui souligne que les premières expériences ont des effets durables. Dans cet ordre d’idées, on relève que les premières difficultés et les premiers attachements déterminent la manière avec laquelle les gens agissent, pensent et sentent longtemps après (Bowlby, 1973)[77]. En supposant même que cette idée soit vraie, une question cruciale surgit : comment se traduisent ces effets durables, et qu’est-ce qui tempère la puissance de ces effets ?
Cette question préoccupe la psychologie développementale depuis que la psychanalyse et l’éthologie ont montré à quel point les premières expériences réalisées par le petit de l’homme ou de l’animal pouvaient exercer sous plusieurs formes des influences durables, comme tendent à nous le montrer les travaux qui visent à évaluer les effets des environnements enrichis ou restrictifs sur le développement. Par exemple, pour la psychanalyse, ces premières expériences peuvent altérer la structure de la personnalité en établissant un surmoi sévère ou faible ; elles peuvent aussi affecter les réserves de l’énergie physique et émotionnelle disponibles au moment d’affronter de nouveaux problèmes ou défis. La manière avec laquelle ces crises ou défis sont traités peut affecter aussi les méthodes et la confiance avec lesquelles les gens feront face aux tâches développementales. Ces effets durables ont également été abordés en termes de théorie de l’attachement, en soulignant que la qualité des premiers attachements donne lieu à un modèle de travail qui détermine les expectations dans les relations ultérieures (Bowlby, op. cit.)[78].
L’intérêt des effets durables constitue encore un débat qui ne se limite pas seulement à l’accumulation de données, mais qui doit s’ouvrir sur une intégration des modèles théoriques sous-tendus (Thelen, 2008)[79]. À la vérité, à l’exception des travaux de Grusec (2004)[80], peu a été accompli pour tenter d’intégrer les apports des deux modèles, notamment ceux de la théorie de l’attachement et ceux qui mettent l’accent sur les étapes des processus interprétatifs. Dans le modèle de la théorie de l’attachement, on suppose que les effets dus à l’expérience sont durables, sinon modérés. Dans le modèle des processus interprétatifs, on souligne que les effets, doivent être constamment entretenus afin de résister à la probable évanescence ou dégradation, à la transformation ou à la reconstruction. Le premier modèle tend à prédominer en psychologie développementale, alors que le modèle des processus interprétatifs tend à être en anthropologie et en sociologie qui restent focalisées sur la construction et l’entretien des sens ou significations. Le problème n’est pas de savoir lequel de ces deux modèles présente la valeur la plus grande, mais de savoir quand faire application de chaque modèle : quand les influences familiales sont susceptibles de durer ? À quel moment les influences familiales exigent un entretien permanent ? La différence entre ces modèles pourrait venir de ces deux genres de situation qui, eux-mêmes, sont susceptibles de se retrouver à l’origine des différences individuelles dans les modes comportementaux.
III- COMMENT COMBINER LES INFLUENCES INTRA ET EXTRA-FAMILIALE
La famille ne constitue pas la seule source d’influence sur le cours de la vie. Il y a d’autres sources, notamment les pairs, les maîtres, les voisins, les figures ou images rencontrées à l’écran ou dans les livres. La question qui se pose est comment ces multiples sources sont reliées les unes des autres. Dans certains cas, ce problème est purement et simplement sous-estimé, négligé ou ignoré; on se contente de dire que la famille est simplement un microcosme ou un reflet de la société en général. Toutefois, ce point de vue ne cadre pas avec les situations dans lesquelles les membres de la famille sont en désaccord avec le monde environnant. C’est tout le problème de la délinquance juvénile qui prend sa source à partir des faits familiaux. Par ailleurs aussi, on a tenté de proposer deux mondes opposés. Par exemple et d’une part la famille est considérée comme un monde cruel, insensible, et d’autre part comme un monde privé par opposition au reste du monde public. Cette opposition antinomique ne cadre pas parfaitement avec les faits. Les familles sont souvent le lieu de stress, de violence, d’oppression, ce qui pourrait convenir au monde cruel et insensible. Les familles sont également et de loin des domaines privés, réconfortants, généreux. Mais, nous pensons qu’il vaudrait mieux aller vers des propositions raisonnables couvrant une variété de liens plutôt que de s’arrêter à une simple opposition. Ces liens qui sont de plusieurs sortes pourraient être ordonnés autour de deux grands axes : Les effets additifs et interactifs d’une part, la famille comme préparation et intégration à la vie sociale d’autre part.
Concernant le premier axe, il convient de noter qu’une voie commode de traiter de cette variété de sources contributives revient simplement à additionner la diversité des expériences. Par exemple, supposons qu’un individu vienne au monde avec un poids faible à la naissance, ou qu’il présente des maladies pendant sa jeunesse. Ensuite, il se retrouve avec des parents insensibles, rigides, des écoles répressives, un entourage violent, des changements fréquents de lieu de résidence, des camarades délinquants ou vivant en résidence surveillée. Le nombre pur et simple de ces expériences peut compter plus que n’importe quel facteur scientifique. Ce qui compte aussi, c’est le timing, c’est-à-dire le temps de juguler complètement l’impact d’une première épreuve avant que n’intervienne une seconde. Pensons ici aux problèmes du récidivisme, ou à l’enchaînement des situations désarmantes. Une possibilité alternative se résumerait au fait que quelques expériences particulières ou quelques combinaisons particulières d’expériences puissent avoir une signification particulière. Par exemple, une bonne relation tout au long de la vie avec un parent, un frère, un enseignant, ou un voisin peut agir comme un système tampon pour compenser l’impact de plusieurs actions négatives. Encore, faudrait-il engager des travaux dans ce sens pour évaluer l’impact sur le développement. Notamment, un poids faible à la naissance ne peut véritablement être catastrophique que si cela apparaît en combinaison avec d’autres événements malheureux, tels que la défaillance des services de santé, ou l’incapacité des parents à assurer des soins qui compensent ce handicap de départ.
Pour ce qui concerne le rôle intégrateur à la vie sociale que joue la famille, il est à noter avec plusieurs sociologues que la cellule familiale prépare l’enfant à entrer dans le monde du travail. Ainsi et par exemple, l’expérience professionnelle du père est considérée comme conduisant à encourager l’enfant à développer les valeurs de conformité ou d’autonomie estimées nécessaires par lui pour réussir dans la vie professionnelle future, c’est-à-dire la production ad infinitum de l’image parentale ou simplement paternelle. Pour les psychologues, ce qui est important et qui ne relève pas de la famille tend à être plus immédiat et plus social de façon générale. Par exemple, les parents peuvent œuvrer de telle façon qu’ils préparent leurs enfants à percevoir le monde comme un milieu plein de dangers ou de mauvaises expériences. Ils peuvent présenter la famille comme le seul endroit qui procure la confiance, ou qui prépare les enfants à apprendre à anticiper les événements. Les parents peuvent aussi chercher à agir comme des guides, des mentors, des gardiens. Dans la mesure de leur possibilité, les parents sélectionnent pour leurs enfants des écoles, choisissent les voisins, renforcent ou favorisent quelques relations amicales plutôt que d’autres, et interprètent de façon orientée les événements que les enfants vivent à l’école ou à la télévision. Ils managent ainsi et peut-être à leur insu, le cours du développement de leur enfant. Ces formes plus ou moins déguisées de supervision, de contrôle des expériences des enfants peuvent sembler, de loin, moins directes que la rivalité entre frères et sœurs, que la supervision immédiate consistant à parler, à faire sentir sa colère, ou sa répugnance pour les routines familiales. Toutefois, toutes ces formes d’intervention procurent des manières importantes et exploitables d’observer la vie familiale de l’intérieur, et d’établir des rapports entre cette vie et les événements extérieurs à la maison.
CONCLUSION
À la suite de ces analyses, on pourrait, a priori, penser que les recherches dans le domaine concerné ici inclinent à un certain scepticisme quant à la signification ou à la place de la famille dans le processus du développement cognitif de l’enfant, tant les propositions mentionnées paraissent intriquées les unes dans les autres. En effet, si la famille est réduite aux parents et si ces derniers n’exercent d’influence qu’en vertu de leur style de contrôle ou d’indifférence dans les premières années, alors il devient évident de douter que les familles n’assument qu’une infine partie dans le développement de l’enfant, notamment au plan des résultats scolaires, du bien-être, des compétences sociales des adolescents, ou tout simplement au plan de la vie. Le vrai défi à relever c’est de se demander quel est le vrai contenu de la partition que joue la famille dans le développement de l’enfant, en combinaison avec d’autres expériences, et en relation avec les circonstances auxquelles font face les membres de la famille.
Dès lors, interrogeons-nous pour savoir s’il y a des raisons d’accorder de l’attention à la famille en tant que facteur-pivot du développement cognitif de l’enfant. Nous pensons que trois raisons principales plaident en faveur de l’idée selon laquelle la famille tient une place spéciale parmi les influences qui affectent le développement. D’abord, la famille est souvent pour l’enfant le premier milieu d’expérience de toutes sortes (activités ludiques élaborées ou rudimentaires, frustrations, injustice, relations interpersonnelles), créant ainsi la possibilité que ces premières impressions, semblables à beaucoup d’autres impressions, déterminent la signification et l’interprétation du cours des événements ultérieurs (Tano, 2010)[81]. Ensuite, la famille, quoique l’on dise est le lieu d’intenses relations chargées d’affect et de signification. En effet, au cours de la vie, ce que nous accomplissons avec les autres membres de la famille est difficile à ignorer, simplement parce que tout cela est fortement chargé en émotion. En d’autres termes, les expériences familiales ne sont pas seulement chronologiquement premières mais elles sont chargées d’affects et d’émotions fortes subjectives et objectives qui nous font capter en les sélectionnant les connaissances et les informations qui rejailliront toute la vie durant.
En troisième lieu enfin, les circonstances et les événements familiaux garantissent une place spéciale en vertu du fait que ces relations durent et demeurent toute la vie durant par le soutien permanent dont elles bénéficient sans justification particulière d’aucune sorte. En effet, les amis peuvent aller et venir, mais en principe, les relations familiales demeurent, qu’elles soient agréables ou non. Comme il apparaît, et sur la base de la trilogie qui vient d’être présentée et soutenue, il est certes difficile de démêler les liens entre les caractéristiques prégnantes de la familles et les diverses voies que ces traits empruntent pour influencer le développement, mais étudier la famille comme un facteur déterminant qui s’ordonne autour de multiples facettes insoupçonnées, influençant directement ou indirectement le développement cognitif de l’enfant, constitue encore un sujet de grand intérêt pour la psychologie génétique différentielle contemporaine.
BIBLIOGRAPHIE
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THELEN, Esther, « Dynamic systems theories ». Hanbook of child psychology : vol 1, NY: Wiley, 2008, pp. 563-634.
IMPACT DE LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE SUR LA VIE DES PARENTS ET DES ENFANTS
Abibata DRAME
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
La procréation médicalement assistée (PMA) est un ensemble de techniques cliniques et biologiques qui interviennent dans la procréation pour permettre aux personnes qui éprouvent des difficultés à procréer de réaliser leur rêve, celui d’avoir un enfant. Elle est également utilisée pour éviter la transmission de certaines maladies génétiques aux enfants. Elle se présente sous la forme d’une insémination artificielle ou d’une fécondation in vitro. Les enfants nés par ce procédé technique ne sont pas, en général, différents des autres enfants. Mais, ils peuvent avoir une santé fragile. Les relations qu’ils développement avec les autres, particulièrement avec leurs parents, et leur équilibre psychologique sont fonction de plusieurs paramètres tels que les raisons de leur conception, leur information sur leur mode de conception et l’hétérosexualité des parents.
Mots clés : Enfants, Parents, Procréation médicalement assistée, Relation.
ABSTRACT :
The medically assisted procreation (MAP) is a set of clinical and biological techniques which intervene in the reproduction to allow the people who feel difficulties procreating to be able to realize their dream, that to have a child. It is also used to avoid the transmission of certain genetic diseases to the children. It is in the form of an artificial insemination or an in vitro fertilization. The children been born by this technical process are not generally different from other children but, can have a more fragile health. The relations that they develop with the others and particularly with their parents and their psychological balance depend on several parameters such as the reasons of their conception, their information about the way of their conception and the heterosexuality of their parents.
Keywords: Children, Parents, Medically assisted procreation, Relations.
INTRODUCTION
L’infertilité est très souvent vécue comme un drame dans un couple. Elle peut conduire à l’échec de ce dernier et affecter les deux membres du couple. Dans la plupart des cas, la faute est rejetée sur la femme et très rarement sur l’homme. En Afrique, l’épanouissement de la femme, dans sa vie conjugale, dépend de sa fertilité. Dans un couple, s’il y a un retard dans la procréation où une anomalie congénitale, la faute est reportée sur la femme, alors que la cause est avérée chez l’homme.
La femme stérile en Afrique, et en particulier en Côte d’Ivoire, est victime des regards accusateurs de sa belle-famille. Elle a très souvent recours aux sciences occultes et devient une proie pour les ‘’charlatans’’. Seules quelques-unes ont recours à la procréation médicalement assistée, réservée à une élite financière. Le premier bébé né d’une procréation médicalement assistée en Côte d’Ivoire existe depuis le 27 octobre 2008[82]. Le coût de l’insémination artificielle varie de 350.000 francs CFA à 500.000 francs CFA, tandis que la fécondation in vitro conventionnelle peut coûter 2.500.000 francs CFA et la FIV avec ICSI 3.000.000 francs CFA, y compris le coût des médicaments et des différents traitements[83]. C’est donc un procédé qui n’est accessible qu’à des privilégiés. Mais, relativement à l’amélioration de la santé maternelle, le cinquième objectif du millénaire pour le développement propose de réduire le taux de mortalité maternelle en ramenant sa valeur à l’horizon 2015 à 150 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes et en facilitant l’accès à la médecine procréative universelle[84]. Ce qui explique un nombre de plus en plus croissant de bébés nés de la PMA pour les couples victimes d’infertilité.
Mais cette recherche du bonheur d’être parents, à tout prix, est telle sans conséquences négatives ? Quelles relations existent- ils entre les enfants issus d’une telle technique et leurs parents ? Ces relations varient-elle en fonction de l’hétérosexualité ou de l’homosexualité du couple ?
I- ÉTAT DES LIEUX
En Côte d’Ivoire, les couples stériles, ont de plus en plus, recours aux techniques de la procréation médicalement assistée (PMA), face à l’ampleur épidémiologique de la stérilité. Bien que salutaires, celles-ci n’en présentent pas moins des dangers pour la santé de la mère et de l’enfant. La PMA, également appelée Assistance médicale à la procréation (AMP), est un ensemble de pratiques cliniques et biologiques où la médecine intervient plus ou moins directement dans la procréation. Elle regroupe plusieurs techniques. Ce sont l’insémination intra utérine avec le sperme du conjoint ou du donneur (LAC) ou (LAD), la fécondation in vitro classique (FIV classique) et la micro injection intra-cytoplasmique des spermatozoïdes dans les ovocytes (ICSI)[85].
1- Historique de la procréation médicalement assistée
C’est en 1884 que Pancoast a réalisé, aux États-Unis, la première insémination avec sperme de donneur.[86] En 1959 naît le premier être vivant, un lapin, suite à la fécondation In vitro. Cette naissance est due à la médecine française. 19 ans plus tard, en 1978, naît le premier être humain, grâce à la fécondation In vitro. Il s’agit d’une anglaise, Louise Brown. Depuis ce succès, tous les bébés qui naissent grâce à cette méthode de procréation sont appelés « BEBES EPROUVETTES »[87].
En 1983 est créé le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) par François Mitterrand. Sa vocation est de suggérer des orientations visant à éclairer les professionnels de santé mais aussi les juristes dans l’élaboration des lois futures. Ce comité est composé de 33 membres pour la plupart médecins ou chercheurs, mais également juristes, philosophes ou théologiens. En 1990, chiffre record : 2 500 enfants sur 800 000 naissances sont nés par fécondation In vitro[88].
En 1994, les premières lois sur la bioéthique sont adoptées par les citoyens français. Elles précisent dans quel cas les couples français sont autorisés à avoir recours à des méthodes de PMA. De plus, elles fixent les conditions du don, de l’utilisation et de la conservation des éléments du corps humain. Elles définissent également les droits et les devoirs des médecins à appliquer ces méthodes[89].
Ces lois seront modifiées en 2004. Il faut, être désormais 2 personnes pour avoir recours aux PMA ou bien être en âge de procréer. En 1997 suivant la même logique, le Conseil de l’Europe adopte la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard de l’application de la biologie et de la médecine. La fabrication d’embryons à des fins de recherche est interdite. La France a signé cette convention, mais ne l’a pas ratifiée[90].
2- Les différentes méthodes d’aide à la procréation
L’insémination artificielle avec le sperme du conjoint (IAC)
Un couple a recours à ce type de PMA, si le conjoint est peu fertile (oligospermie) ou si les rapports sexuels sont impossibles. La femme subit un traitement pour stimuler les ovaires qui entraîne l’ovulation. L’insémination intra utérine est alors faite autour de 36 heures après le déclenchement de l’ovulation avec le sperme du conjoint qui a été recueillie et congelé dans un CECOS (Centre d’étude et de conservation des ovules et du sperme). L’insémination est pratiquée avec un cathéter fin à usage unique. Il est introduit dans l’utérus par voie naturelle. Le volume injecté est de l’ordre de 300 à 500 microlitres. Après quelques minutes de repos, la patiente peut reprendre son activité normale. Le taux de réussite est de 75% sur une année, soit 12 inséminations et de 10% à 15% sur la première insémination. La répétition des cycles d’insémination n’aboutit pas à une addition des chances de succès, mais augmente néanmoins celles-ci[91].
Les risques liés au traitement sont l’ hyperstimulation (elle se manifeste par des douleurs et une augmentation du volume de l’abdomen), le risque de grossesse multiple. Un suivi médical attentif diminue considérablement ces risques. Enfin, l’insémination artificielle n’élimine pas les complications habituelles de la grossesse naturelle que sont les grossesses extra-utérines, les fausses couches spontanées et les malformations.
L’I.A.C. est la technique la plus simple dans la hiérarchie des techniques d’aide médicale à la procréation. D’autres techniques plus sophistiquées peuvent prendre le relais en cas d’échec, telle que la fécondation In vitro avec ses différentes variantes.
L’insémination artificielle avec le sperme d’un donneur (IAD)
Si le conjoint est stérile, un couple peut avoir recours à ce type de PMA. Les procédés et les risques sont les mêmes que ceux de la IAC, à la différence que le sperme vient d’un donneur et non du conjoint.
La fécondation in vitro et transfert d’embryon (FIVETE)
Pour résoudre certaines stérilités féminines (obturation des trompes), des techniques de fécondation in vitro ont vu le jour. Cela consiste à prélever les ovules de la femme au cours d’un examen suivi d’une intervention chirurgicale, procédé nommé cœlioscopie (c’est une ponction avec une longue aiguille). Ces cellules sont mises en culture dans un milieu nutritif. Quatre heures plus tard les spermatozoïdes issus du père sont introduits dans différents tubes contenant chacun un ovule. Dès qu’un spermatozoïde entre dans un ovule, un œuf est conçu. Deux jours plus tard, deux à trois embryons (jamais plus de 5) sont formés. Un ou deux sont réimplantés dans l’utérus de la future mère. Si l’implantation échoue, on redépose les embryons restants pour une nouvelle tentative.
Cette technique obtient 15 à 20 % de réussite dont 27 % de naissances multiples. En France, 11 000 naissances sur 750 000 sont dues aux FIVETE et 10 à 15 % de grossesse par transfert[92]. Le don est strictement anonyme. Cependant, une question demeure : si l’implantation réussit du premier coup, que faire des embryons formés restants ? Faut-il les détruire ou les donner à d’autres couples stériles ?
Le don d’ovocytes
Un couple a recours au don d’ovocytes lorsque la femme :
- n’a pas d’ovaires,
- est ménopausée précocement,
- ou est atteinte d’une maladie héréditaire,
- son utérus est fonctionnel, et lorsque le conjoint est fertile.
Une fécondation in vitro (FIV) est réalisée avec l’ovocyte d’une donneuse et le sperme du mari, puis l’embryon est réimplanté dans l’utérus de la femme stérile.
Le don d’embryon
À partir du moment où le couple est stérile et que l’utérus de la femme est fonctionnel, ce dernier peut avoir recours au don d’embryon. On réalise une FIV avec du sperme et des ovocytes de donneurs, puis on implante l’embryon dans l’utérus de la mère. Il est impossible pour les couples donneurs de connaître le couple receveur de leur don et inversement[93].
L’injection intra-cytoplasmique de Spermatozoïde (ICSI)
L’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) est une technique de laboratoire qui s’ajoute à une FIV classique. C’est la technique de PMA la plus utilisée en France. Cette technique est utilisée lorsqu’il y a un trop petit nombre de spermatozoïdes dans le sperme pour que la fécondation se réalise, ou en cas d’une faible mobilité des spermatozoïdes du père, ou encore en cas de faible ou d’absence d’ovulation. Il est nécessaire d’effectuer un bilan génétique (étude du caryotype du mari) pour éviter la transmission de certaines anomalies des chromosomes. Lors d’une ICSI, un spermatozoïde est sélectionné, immobilisé et introduit par micro-injection directement dans le cytoplasme d’un ovule à l’aide d’une très fine pipette. Les ovules fécondés sont cultivés afin d’évaluer leur qualité. Les meilleurs d’entre eux sont implantés dans l’utérus. Les risques de grossesses multiples sont les mêmes que pour la FIV et dépendent aussi du nombre d’embryons implantés. Le taux de réussite global des ICSI est de 20%[94].
La Maternité de substitution (mère porteuse)
La maternité de substitution est la solution pour les couples dont la conjointe est stérile par anomalie des ovaires et de l’utérus et où le conjoint est aussi stérile. Une femme volontaire prête ou loue son utérus. La mère porteuse peut être inséminée artificiellement avec le sperme du père, ou elle peut porter un embryon produit par FIV à partir des gamètes du couple. À la naissance, l’enfant est remis au couple demandeur. Cependant, la maternité de substitution pose plusieurs problèmes. Par exemple, la mère porteuse peut-elle garder l’enfant ?
3- La procréation médicalement assistée et la loi
Il n’existe aucune mesure juridique en la matière pour le moment en Côte d’Ivoire. Par contre, il en existe ailleurs.
Les pratiques autorisées et interdites en France
La loi bioéthique de juillet 1994 réserve le droit de recourir à l’assistance médicale à la procréation aux couples hétérosexuels de moins de 43 ans, mariés ou fournissant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans. Dès lors, ni les célibataires ni les couples homosexuels ne peuvent bénéficier de dons de gamètes. Deux cas sont prévus dans la loi de bioéthique : une ” infertilité médicalement prouvée ” ou le risque de transmettre à l’enfant une maladie héréditaire grave.
Par ailleurs, la loi de bioéthique française interdit le double don de gamètes; autrement dit, soit les ovules, soit les spermatozoïdes doivent provenir du couple[95]. En France, l’insémination artificielle, la fécondation In vitro et l’injection intra cytoplasmique de spermatozoïde sont autorisées. Par contre, le recours aux mères porteuses est interdit. En outre, les dons de gamètes doivent être anonymes et gratuits.
Les pratiques autorisées dans les autres pays éuropéens
Au Royaume-Uni, toute femme capable d’élever un enfant, sans limite d’âge, peut avoir recours à l’assistance médicale à la procréation. En Belgique, les couples hétérosexuels, homosexuels et les femmes seules peuvent y avoir recours, cependant avant 45 ans. Il est aussi autorisé de faire don de ces cellules sexuelles entre amis ou au sein de la famille. Les femmes majeures, sans limites d’âge, peuvent avoir recours à la PMA en Espagne. Les mères porteuses sont autorisées en Angleterre, en Belgique ou encore en Grèce[96].
Le cas des États-Unis
Aux États-Unis, les dons de gamètes ne sont ni anonymes ni gratuits : on peut sur catalogue, à condition d’y mettre le prix, choisir la donneuse d’ovocytes ou le donneur de sperme selon certain de ces caractères (taille, poids, couleur des yeux, religion, hobbies, etc.). Voici quelques chiffres sur ce que coûtent les dons aux États-Unis : 275 dollars pour des spermatozoïdes, 2 500 à 50 000 pour un ovule, 30 000 pour une mère porteuse et 39 000 dollars c’est le tarif moyen des ovules des plus belles et plus intelligentes donneuses[97].
4- La position des religions sur la procréation médicalement assistée
L’insémination artificielle et la FIV sont permises par l’Islam, mais seulement si le couple est hétérosexuel, marié, et que le spermatozoïde et l’ovule proviennent bien du même couple désirant un enfant. La sélection du sexe du bébé est interdite, sauf par certains savants, dans le cas où une maladie génétique touche exclusivement l’un des deux sexes. Le diagnostic préimplantatoire est autorisé seulement s’il est à visée thérapeutique[98].
L’Église catholique n’a jamais jusqu’à présent interdit la PMA. Cependant, le Vatican considère que l’enfant doit être considéré comme un “don” de Dieu et conseille plutôt aux couples stériles d’adopter un ou des enfant(s) ou de se mettre au service des enfants. Dans certains cas bien précis, l’insémination artificielle est permise. La position officielle de l’Église catholique romaine a été exprimée en 1987[99].
Le Protestantisme est visiblement la religion la plus ouverte, en ce qui concerne la procréation médicalement assistée. La plupart des techniques sont autorisées. Les seules restrictions formulées sont que ces techniques doivent uniquement servir à un couple hétérosexuel (ce qui exclut les homosexuels et les hommes ou les femmes seuls) et qu’il ne doit pas y avoir d’autre intérêt financier que celui de donner la vie à un enfant[100].
Le Judaïsme est plus permissif que le catholicisme, il autorise les inséminations artificielles (mais seulement avec le sperme du conjoint, le contraire étant considéré comme un adultère), la fécondation in vitro, la congélation d’embryons, et le diagnostic préimplantatoire. Cependant ces techniques sont réservées à un couple hétérosexuel[101]. Admise ou pas par la loi et la religion, quelles en sont les conséquences au plan sanitaire ?
5- Impact de la procréation maternelle sur la santé de la mère et de l’enfant
La PMA est une solution au problème de l’infertilité, cependant elle peut nuire à la santé de la mère et de l’enfant. Plusieurs maladies graves, voire mortelles surviennent à la suite de la réalisation de ces techniques. Au cours de cette opération, on injecte à la femme des hormones en vue de stimuler ses ovaires. Dans certains cas, survient le syndrome de l’hyperstimulation ovarien, le cancer de l’ovaire et l’hypertension artérielle. Ces maladies peuvent souvent provoquer le décès de la mère. 10% à 15% des femmes enceintes des suites d’une des techniques de la PMA sont hypertendus[102]. Cela met en danger leur vie.
Aussi, cette technique n’exclut pas les fausses couches. Le taux de fausses couches issues des grossesses artificielles est deux fois plus élevé que celui des grossesses normales. Les techniques de la PMA favorisent également les grossesses extra-utérines. Ce sont les grossesses qui se développent en dehors de l’utérus et qui peuvent compromettre la vie de la mère.
Au cours de la grossesse extra utérine, l’embryon se développe, soit dans l’une des trompes, soit dans l’ovaire. Tout comme la mère, l’enfant n’est pas à l’abri de danger. À ce niveau, les malformations fœtales sont plus récurrentes. Aussi salvatrice qu’elle soit, la PMA soulève des questions d’éthique. Le Professeur YAGNI-ANGATE Koffi Hervé s’est intéressé à l’aspect éthique de la PMA. Selon lui, plusieurs notions sont altérées dans la réalisation de la PMA. La notion de maternité et de paternité, la fécondation, est dissociée de la gestation, la mère, le père et l’enfant sont réduits au rang d’objet[103].
II- MÉTHODOLOGIE
Cette étude sur l’impact de la procréation médicalement assistée (PMA) sur la vie des parents et de l’enfant part de l’hypothèse selon laquelle les enfants nés à partir de cette technique peuvent rencontrer beaucoup de difficultés qui peuvent nuire à leur équilibre physiques et mentales du fait de leur mode de naissance. C’est une étude faite à partir d’une analyse de contenu de plusieurs articles. Articles de presse provenant de plusieurs magazines imprimés ou en ligne telles que Mousso, Urgence et de plusieurs publications d’avis et de comptes rendus sur la procréation médicalement assistée.
III- PERCEPTION DE L’ENFANT NÉ PAR PROCREATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE
Les enfants issus de la PMA peuvent être perçus différemment en fonction des circonstances. Bianchi-Demicheli,[104] affirme que cela est fonction des parents. Il explique, à cet effet, que dans la grande majorité des cas, lorsque le désir d’enfant est sain, les parents voient leur progéniture comme un cadeau de la vie. Ils sont conscients de l’énorme privilège qu’ils ont d’être parents. Cependant, lorsque le désir d’enfant est pathologique, c’est-à-dire que l’enfant n’est pas vu comme finalité en soi mais qu’il est utilisé comme moyen satisfaisant à un besoin parental, l’issue peut être sombre, menant parfois à un avortement ou à un abandon de l’enfant. On peut vouloir un enfant, car on est déprimé et l’enfant permettrait de donner un sens à la vie, ou très souvent, dans le cadre d’un deuil, on espère trouver au défunt un remplaçant. La demande d’enfant avec désir pathologique sous-jacent se manifeste le plus souvent de manière obsessionnelle : certaines patientes peuvent aller jusqu’à forcer la porte du médecin, à cause de l’inacceptabilité sociale que cela peut engendrer.
1- Aveu du mode de conception de l’enfant
Du côté des enfants, une des interrogations les plus insistantes est celle du droit d’accès à sa propre histoire. L’anonymat du don de gamètes est en effet la règle. L’association procréation médicalement anonyme, regroupant des personnes nées grâce à la PMA, réclame notamment qu’à l’avenir, le don de gamètes ne reste anonyme que jusqu’aux 18 ans de l’enfant en France afin qu’il puisse, s’il le souhaite, connaître l’identité de son géniteur. L’association demande également, pour les dons déjà effectués, que les donneurs soient interrogés sur leur souhait de rester ou non anonyme[105]. Sur ce thème, l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant est parfois convoqué pour rappeler qu’un enfant a le droit « de connaître ses parents et d’être élevé par eux »[106]. Le droit à l’enfant s’oppose-t-il au droit de l’enfant ?
2- Procréation médicalement assistée et éthique
À l’heure actuelle, les débats éthiques ne sont plus concentrés autour du bien-fondé moral de la PMA : il a été convenu que le désir d’enfants d’un couple recourant à la PMA n’est pas moins sain que celui d’un couple pouvant se passer de ces technologies. De plus, on ne peut pas invoquer un tort particulier fait à l’enfant né par PMA, dans la mesure où ses parents l’ont désiré. Au final, le seul tort qu’on pourrait invoquer est d’ordre social, dans le sens où certains membres de la famille ou les amis, s’ils sont informés du mode de conception de l’enfant pourraient être amenés à adopter un comportement particulier à l’égard de celui-ci.
Toutefois, aucun de ces phénomènes sociaux ne nous a été rapporté lors de nos entrevues avec le sociologue Francesco Panese, le psychiatre sexologue Bianchi de Micheli et la psychologue Joëlle Darwiche[107]. Ainsi, l’unique tort fait à l’enfant aura été de le faire développer hors du corps de sa mère pendant ses quarante-huit premières heures de vie, mais à ce stade de développement peut-on vraiment parler d’un tort fait à un être humain? En d’autres termes, la PMA respecte-elle les quatre principes de l’éthique ?
La bienfaisance : Ce principe est respecté dans la mesure où l’enfant conçu est considéré comme une fin en soi et non pas comme objet répondant au simple « désir des parents ou (à) la pression de l’entourage, c’est-à-dire (à) des buts qui sont ceux des géniteurs, de leur entourage ou de leur groupe social »[108].
La non-malfaisance : Dans la mesure où l’on ne fait que « soigner une stérilité conçue comme une maladie (afin de) s’ouvrir à un monde de relations humaines dont on est exclu »[109] et où, comme énoncé plus haut, on ne fait pas de tort à l’enfant, alors la PMA respecte ce principe.
L’autonomie :les parents ayant des difficultés à concevoir sont entièrement libres de recourir ou non à des techniques qui leur permettront de pallier ce problème. La PMA répond donc au principe d’autonomie.
La justice : La PMA est une manière d’aider certains couples moins chanceux que d’autres à la réalisation d’un but humain profondément important. Ainsi, il est juste que des couples désireux de s’inscrire dans la grande aventure qu’est celle de la parentalité, mais exclus à cause de problèmes biologiques ou psychologiques, puissent y remédier.[110] Dès lors que le bien-fondé moral de la PMA ait été plus qu’approuvé au niveau des comités d’éthique, quelles sont les menaces qui guettent les enfants nés de la PMA.
4- Les menaces qu’encourent les enfants nés dans le contexte de la PMA
L’avenir des enfants conçus par le truchement de la technique de procréation médicalement assistée est-il plus incertain que ceux des autres couples, en fonction de pulsions plus ou moins inconscientes ? Il n’existe pas encore de moyens objectifs, adéquats pour évaluer l’impact exact d’une situation déterminée sur l’équilibre mental d’une personne et la trace qu’elle laisse dans le psychisme. Le quotient intellectuel peut être mesuré. Quant aux tests, ils ne montreraient pas de différence significative pour les enfants nés de façon naturelle et pour ceux nés grâce aux nouvelles techniques. Par ailleurs, on ne dispose pas encore de méthodes objectives, adéquates pour se prononcer sur la qualité d’une relation parentale.
L’enfant sans géniteur identifié ou orphelin n’est pas forcément en danger. Mais, il existe une responsabilité procréative. Il est certain que tout événement exceptionnel, désirable ou traumatisant qu’un sujet doit affronter aura une répercussion psychique. Les enfants issus de la PMA sont, dans certains cas, des êtres à risque psychique. Pour ceux-ci il importe, d’une part, de savoir qui ils sont et d’où ils viennent. La réponse à cette question est structurante pour l’affirmation de leur identité. D’autre part, il faudra à ces enfants ou/et à leurs parents un travail psychique supplémentaire pour qu’ils puissent se développer heureusement.
La procréation s’exerce traditionnellement, pour l’espèce humaine, dans le cadre d’une forme supposée correspondre le mieux à cette finalité et dite “famille”. Or, les techniques modernes créent de nouvelles formes de parentés. Dans le contexte du développement de l’enfant, toutes les transformations que pourrait connaître l’unité familiale et qui seraient susceptibles de compromettre le véritable intérêt de l’enfant et de la communauté doivent être analysées avec une prudence éclairée. On ne succombera pas toutefois à un déterminisme simpliste : la famille n’est pas une assurance santé ou bonheur, mais être très désiré par des parents possibles, n’est pas non plus une garantie de bon développement. On sait qu’un long parcours de stérilité peut être un handicap pour l’investissement du bébé par les parents et que certains enfants non désirés peuvent être par la suite aimés autant que les autres. Dans la résolution des conflits que l’enfant et ses futurs parents doivent affronter avant, pendant et après la grossesse, la solidarité de l’environnement humain joue un rôle thérapeutique et préventif important.
De toute façon, l’enfant n’appartient à personne, qu’il bénéficie ou non du lien affectif et social entre un homme et une femme, il est objet d’un désir ou d’un besoin, il doit émerger sujet autonome pour pouvoir répondre à la question, s’il apus, lui-même, désirer naître ou s’il doit être amené à pardonner aux parents de l’avoir mis au monde. Quels que soient les principes adoptés pour dire si une conduite est correcte, l’idée qu’il faut procréer de façon responsable s’est affirmée dans notre société et n’est guère contestée.
Selon Anne Fagot-Largeault, la responsabilité procréative ou parentale est le prototype de toute responsabilité[111]. Elle met en évidence le caractère relationnel et contractuel de la responsabilité dans le projet parental d’enfant. Dans le cas particulier de la procréation médicalisée sont impliqués le sujet qui exerce la responsabilité, le parent, en collégialité avec l’équipe médicale. Elle estime que les techniques de la PMA ne devraient pas être accessibles à un couple d’homosexuelles ou à une femme isolée, car, l’enfant a besoin, pour son équilibre, de la confrontation avec un modèle masculin et féminin et un couple formé par les deux.
Selon la majorité des psychologues le développement mental, affectif et social de l’enfant consiste essentiellement en une marche graduelle vers un équilibre. On est responsable de ce que l’on engendre et il importe de respecter le droit de l’enfant à être conçu pour lui-même, à connaître ses origines et à pouvoir grandir au sein d’une communauté qui puisse l’accueillir et l’élever. L’attitude procréative responsable implique l’aversion du risque. Toutefois, elle ne doit pas être une éthique de la peur. La procréation techniquement assistée est une entreprise à risque pour les bénéficiaires et pour les techniciens. On ne peut contrôler toutes les éventualités. Tous les possibles ne se valent pas.
IV- LES FINALITÉS DE LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE ET LA DÉLIMITATION DE SES BÉNÉFICIAIRES
Pratique de simple convenance personnelle, indication thérapeutique limitée aux couples stables ou satisfaction du désir d’enfant ? L’introduction de dispositions légales limitant l’accès à la PMA est-elle désirable ?
1- Pratique de simple convenance personnelle ?
La notion de convenance personnelle mérite réflexion. Doit être considéré comme étant de convenance personnelle ce qui convient, revient ou plaît à une ou plusieurs personnes, sans répondre toutefois à une motivation profonde ou à un puissant besoin susceptible d’être considéré comme étant légitime. Est de convenance personnelle ce dont la demande ne correspond pas, notamment, à un manque douloureux ou à une situation de détresse. La question qui se pose dans le contexte de la PMA est de savoir si, en de hors des indications proprement thérapeutiques ou thérapeutiques au sens étroit de ce terme, toute demande d’aide à la procréation doit être considérée comme étant de convenance personnelle ou si, plutôt, certaines d’entre elles devraient être abordées avec sérieux et respect, quitte à être écartées par la suite, dans la mesure où elles entrent en conflit avec d’autres intérêts et exigences, notamment les intérêts de l’enfant.
2- Limitation aux indications thérapeutiques au sens étroit de ce terme et aux couples stables hétérosexuels
La limitation des techniques de procréation médicalement assistée à un ensemble d’indications thérapeutiques au sens étroit de ce terme d’une part et, d’autre part, aux couples hétérosexuels stables, mariés ou non, est recommandée par un nombre important d’organismes consultatifs européens. Elle est entrée dans la législation d’un certain nombre de pays. Cette double limitation s’exprime de manière paradigmatique dans la législation française actuelle. Le texte le plus significatif est l’article 152-2 du code de la santé publique (français), figurant dans la loi 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.“ L’assistance médicale à la procréation (…) a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité ”.[112] “ L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple (…) ” “ L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou de l’insémination ”[113].
Art. L. 152-276 “ L’homme et la femme – formant le couple- doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination”[114]. Dans son Avis 60 du 25 juin 1998, consacré au réexamen des lois de bioéthique de1994, le C.C.N.E. recommande de ne pas toucher à ce texte. Le comité d’éthique français argumente ainsi : « Les conditions de l’accès à l’assistance médicale à la procréation sont fondée sur un choix de société, à savoir l’intérêt de l’enfant à naître et à se développer dans une famille constituée d’un couple hétérosexuel. L’évolution des mœurs ne justifie sans doute pas une modification de ces modalités ». Le C.C.N.E. ne propose donc pas de modification en l’état[115].
L’hétérosexualité est un élément fondamentalde la famille. Elle aide l’enfant à se structurer, à devenir adulte. Toute mise en question de la complémentarité des sexes dans la cellule familiale est néfaste au développement naturel de l’enfant. Dans cette optique, “la parentalité homosexuelle est (…) dangereuse. Elle empêche chez l’enfant la construction de son identité ; il est nécessaire, en effet, que le garçon puisse s’identifier à l’homme et la fille à une femme. Or ce n’est possible que si l’image du corps des parents et les traits symboliques de cette image sont différenciés en masculin ou en féminin, clairement et nettement ”[116].
Dans le même ordre d’idées, le développement mental, affectif et social de l’enfant nécessite le cadre supposé correspondre le mieux à cette finalité dans notre culture : la solidarité et l’environnement humain fournis par l’unité familiale. L’enfant a besoin de la confrontation avec un modèle féminin et masculin, avec un couple formé par un homme et une femme. Dans la PMA, la vie d’un tiers (l’enfant à naître) est en jeu. L’enfant est l’élément faible qu’il faut protéger. Il faut tenir compte des conséquences pour chacune des personnes concernées. C’est en raison du principe de prudencequ’il faut limiter l’accès à la PMA aux couples hétérosexuels stables. Si une personne seule désire un enfant, elle risque de réduire ce dernier à un moyen, en vue de son propre épanouissement et en vue de trouver la complémentarité qui lui fait défaut. Par ailleurs, si on accorde aux enfants un droit à la famille ou aux parents, on veut mettre en évidence l’importance d’un milieu éducatif, et non seulement celle d’une personne de référence pour un enfant à éduquer.
Les techniques modernes offrent, à des femmes homosexuelles, la possibilité de revendiquer, au nom de leur autonomie, les moyens d’intervenir sur leur fécondité et de réaliser un projet parental. Si la vie reproductive ainsi affranchie des contraintes “ naturelles ” de la vie sexuelle peut soulager la détresse de l’exclusion sociale et familiale chez des adultes, ce sera au détriment du véritable intérêt de l’enfant. Celui-ci sera un enfant à risque psychique. Notre relation à la nature justifie le contrôle et la limitation de telles actions.
Les enfants de couples homosexuelles souffriront de la discrimination dont, dans notre société, les homosexuels sont toujours victimes. Les enfants seront pris entre la loyauté vis-à-vis de leurs parents et le souci d’être des enfants comme les autres. Les couples d’homosexuelles souffrent sans doute de ne pas être parents. Mais, de l’autre côté, il y aura la souffrance de l’enfant. Quelle souffrance veut-on éviter ? Laquelle est la plus grande ? Si des personnes isolées ont accès aux méthodes de la PMA, la société crée des situations de détresse. En fait, il ne faudrait pas inutilement augmenter le nombre des assistés.Par ailleurs, la comparaison que certains ont établie entre adoption et PMA ne tient pas. Dans le cas de l’adoption, l’enfant est déjà né et il faut lui trouver un milieu d’accueil. Dans le cas de la PMA, on ‘’crée de toutes pièces’’ un être humain. Le médecin ne veut pas être juge, ni officier d’état civil. Il doit respecter la loi et faire son métier. Il faut qu’il y ait une loi qui donne des directives précises.
CONCLUSION
Notre étude ne confirme ni n’infirme l’hypothèse de départ qui stipule que les enfants nés à partir de la procréation médicalement assistée peuvent rencontrer beaucoup de difficultés qui nuiront à leur équilibre physiques et mentales, du fait de leur mode de naissance. Le thème de procréation médicalement assistée est complexe et il implique diverses disciplines telles que la gynécologie, la psychologie, le droit, la bioéthique ou la sociologie. Il convient de considérer toutes ces facettes pour être à même de saisir cette problématique dans toute sa complexité. C’est la raison pour laquelle les professionnels de la PMA, travaillant dans chacune des disciplines citées, ont tout intérêt à collaborer afin d’élargir leur champ de vision. Les enfants nés de cette technique n’en sont pas moins des enfants.
Quand au nom de la nécessaire différenciation sexuelle des parents pour la construction psychique de l’enfant, la majorité des psychanalystes sont opposés à l’idée même d’homoparentalité, arguant des dangers présumés de l’altération de la notion de différence qui engendrerait une société sans tabous ni interdits, et de celui d’enfants devenus« objets de consommation ». Les « favorables » répondent que les enfants élevés par des couples homosexuels grandissent ni mieux ni moins bien que les autres, que la différence des rôles dans le couple prime sur celle des sexes, et qu’avoir deux parents est toujours mieux pour le développement de l’enfant que de n’en avoir qu’un, alors qu’aujourd’hui la législation française autorise un individu vivant seul à adopter. Un débat oppose encore les professionnels qui distinguent homoparentalité adoptive et procréative, la deuxième solution étant bien moins cotée que la première, à ceux qui n’y voient pas de différence fondamentale et sont favorables aux deux.
Assistera-t-on, demain, à une autre forme de procréation médicalement assistée, à savoir la croissance du fœtus hors du corps humain comme l’annonce Henri Atlan dans son ouvrage L’Utérus artificiel ?[117] Il reste que la procréation médicalement assistée est un sujet en pleine effervescence.
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PROGRÈS BIOTECHNOLOGIQUE ET CRISE DE LA FILIATION : POUR UNE RÉVISION DES FONDEMENTS DE LA FAMILLE
Armand Ouandé REGNIMA
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Les innovations biotechnologiques et les nouvelles techniques de procréations qu’elles rendent possible (insémination artificielle et post-mortem, procréation in vitro, bébé éprouvette, clonage) conduisent aujourd’hui à une mutation de la famille classique. En effet, la famille classique « Père-Mère-Enfant » se trouve désormais bousculée par de nouvelles formes de filiation que sont « la famille recomposée », « la famille homoparentale », « la famille monoparentale » etc. Ces nouvelles formes de filiation soulèvent des problèmes juridiques, éthiques et politiques fondamentaux. A l’analyse, c’est la notion même de famille qui est en crise ; laquelle crise tire son origine de l’effondrement des bases paradigmatiques de la famille classique. D’où, il convient de réévaluer la notion de famille dans cet univers de familles multiples et adopter une approche bio-juridique et bioéthique pour constituer une esquisse de réponse aux nombreux problèmes sociaux engendrés par ce « choc des familles ».
Mots-clés : Bio-droit, Bioéthique, Biotechnologie, Famille recomposée, Homoparentalité, Monoparentalité.
ABSTRACT :
Biotechnological innovations and new procreation techniques they make possible (artificial and post-mortem insemination, in vitro fertilization, test tube baby, cloning) now lead to a mutation of the traditional family. Indeed, the traditional family “Father-Mother-Child” is now shaken by new forms of affiliation that are “stepfamily”, “homoparental family”, “single parent family” etc. These new forms of affiliation raise legal, ethical and political rights. On analysis it is the concept of family that is in crisis; crisis which originated in the collapse of the paradigmatic foundations of the traditional family. Hence it is necessary to re-evaluate the concept of family in this world of multiple families and adopt a bio-legal and bioethics approach to provide a tentative answer to the many social problems caused by the “clash of families.”
Keywords : Bioethics, Bio-law, Biotechnology, homoparental family, Single parenting family, Stepfamily.
INTRODUCTION
Le18 octobre 2009 Fabienne Justel dont le mari est décédé d’un cancer en 2008, a demandé à la justice française le droit de récupérer le sperme de son défunt mari pour pratiquer une assistance médicalisée à la procréation (AMP) hors de la France[118]. Le tribunal des référés de Rennes (IIIe-et-Vilaine) a rejeté cette demande de restitution en remettant en cause le désir de Fabienne Justel d’avoir un enfant par insémination post-mortem. Cet épisode atypique rendu spectaculaire par les médias est le symptôme d’une des nombreuses crises de notre époque : la crise de la famille.
La famille est en crise ; nous employons ici le mot crise en son étymologie grecque «krisis» au sens où chez Hippocrate il désigne le moment d’une maladie caractérisé par une exacerbation conduisant le malade vers une autre maladie (ou la mort) ou vers la guérison[119]. En ses origines, la crise de la famille s’enracine dans des causes multiples enchevêtrées et dont le nœud est devenu (presque) inextricable. Ces causes qui sont juridiques, politiques, technoscientifiques et éthiques soulèvent des débats aussi contradictoires que passionnés. Comme pouvait le souligner Émile Durkheim, l’étude de la famille soulève des questions « qui nous touchent de si près, que nous ne pouvons-nous empêcher d’y mêler nos passions»[120]. Nous assistons à une mutation institutionnelle profonde de la famille qui annonce l’effondrement des bases paradigmatiques de la famille classique. De sorte que pour un philosophe tel que Xavier Lacroix, on ne parle plus de la famille au singulier où on l’entendait mais au pluriel. La famille se dit désormais « les familles » pour tenir compte des nouvelles formes de filiation que sont « la famille recomposée », « la famille homoparentale », « la famille monoparentale », etc.[121] Ces nouvelles orientations de la famille ont leur succès grâce au progrès vertigineux des biotechnologies dans le domaine médical et plus précisément dans la procréation artificielle ; ce que l’on désigne fort pertinemment par le terme procréatique[122]. Ces techniques biomédicales, avec leur capacité inouïe de contourner ou substituer le naturellement donné par l’artificiellement conçu, offrent à l’homme la possibilité de reconfigurer la famille selon ses goûts et ses fins. Or, ces orientations nouvelles de la famille ne vont pas sans conséquences. Elles mettent en crise la nature et les fonctions de la famille sous sa forme traditionnelle et soulèvent des problèmes éthiques, juridiques et politiques. Nous sommes ainsi mis en demeure de réfléchir sur ces mutations de la famille afin de trouver les solutions convenables aux problèmes qu’elles soulèvent. D’où il importe de nous interroger : quels sont les fondements de la crise de la famille opérée par les progrès biotechnologiques ? Les démarches analytique et critique nous conviennent pour une approche méthodique de ce problème. Il s’agira tout d’abord, de rentrer dans les interstices des définitions de la notion de famille pour savoir à quoi ramène objectivement l’idée de « famille » ; ensuite, de montrer que les avancées biotechnologiques conduisent à un effondrement des bases paradigmatiques de la famille en les reconfigurant. Enfin, nous terminerons par une perspective des nouveaux enjeux bioéthiques et bio-juridiques qui pourraient servir de fondements à ces nouveaux types de familles.
I- DANS LES INTERSTICES DE LA NOTION DE FAMILLE
Les débats sur la nature et la fonction de la famille se sont intensifiés avec la multiplication des types de filiation dus au progrès des biotechnologies. D’où il convient, avant toute analyse, de commencer par une clarification du concept même de famille. Autrement dit, qu’est-ce que la famille ?
La notion de famille est polysémique. On la retrouve particulièrement en sociologie et en anthropologie, mais aussi en biologie, en chimie et en mathématique. En ce qui nous concerne seule la conception anthropologique nous intéresse. Au niveau anthropologique, l’on distingue une définition classique et une définition nouvelle de la famille due à la mutation de cette notion. La famille désignait, selon le dictionnaire Larousse «l’ensemble des générations successives descendant des mêmes ancêtres ; lignée» ; ou « l’ensemble des personnes unies par un lien de parenté ou d’alliance » ; ou encore « l’ensemble formé par le père, la mère et les enfants »[123].
Ce qui prévaut dans ces définitions, c’est l’idée que la famille est fondée sur le lien de sang qui se transmet de génération en génération. L’idée de famille nucléaire qui en découle suppose l’union entre un homme et une femme vivant dans un même ménage avec un ou des enfants nés du couple. Cela suppose aussi que l’homme et la femme en question sont unis par des liens de sang à des familles respectives. Le mariage, qui est l’acte social qui consacre l’union entre l’homme et la femme, est le symbole de la naissance et de la reconnaissance sociale d’une nouvelle famille. Pour la plupart des théoriciens de la famille et des anthropologues, c’est la forme naturelle et idéale de la famille. Cette forme de filiation est considérée comme la forme pure de la famille : Celle-ci rejette les autres formes de filiation qui ne présentent pas de similitudes avec elle. Elle peut qualifier ces autres formes de familles de déviation, d’acheminement vers, de dépassement, etc.
La question qui surgit est la suivante : de quel droit cette conception de la famille doit-elle être considérée comme l’archétype des filiations, en frappant du sceaux d’imperfectibilité les cas de filiation qui ne présentent pas des similitudes formelles avec elle ? Pour prendre en compte d’autres formes de filiations qui entrent en concurrence avec cette conception traditionnelle de la famille, une nouvelle définition plus ouverte a vu le jour. L’institut Vanier de la Famille[124] rend compte de façon précise de cette nouvelle conception quand elle écrit que la famille désigne
« toute combinaison de deux ou plusieurs personnes liées entre elles par des liens de consentement mutuel, de naissance, d’adoption ou de placement et qui, ensemble, assument à divers degrés la responsabilité des éléments suivants, ou de certains d’entre eux :
- soins des membres du groupe sur le plan physique;
- ajout de nouveaux membres par la procréation ou l’adoption;
- socialisation des enfants;
- conduite des membres de la famille en société;
- production, consommation et distribution de biens et services;
- réponse aux besoins affectifs (amour). »[125]
L’idée qui est manifeste dans cette définition est que, la famille nucléaire, aussi magnifique et moralement séduisante soit-elle, ne représente qu’un type historique de famille parmi tant d’autres et donc logiquement révocable. De plus, dans un monde devenu pluraliste, cette conception traditionnelle perd tout son sens dans la mesure où rien n’en fait légitimement une institution universelle et immortelle ou le prototype d’autres formes de filiation. Cette nouvelle définition admet donc, d’une part la pluralité voire la diversité de filiation et, d’autre part elle fonde l’idée de famille sur les fonctions que celle-ci remplie en mettant en second plan l’aspect biologique et naturel de celle-ci. La sociologue française Collecte Morreux[126] montre, en effet, que la définition classique de la famille nucléaire comme fait biologique et naturel ne peut-être un prototype universalisable que si on y apporte un élément nouveau : celui de la fonction sociale de la famille. Déjà, Claude Lévi-Strauss dans Les structures élémentaires de la parenté[127], expliquait que toute forme de « sociation » tient son caractère naturel et nécessaire par la fonction qu’elle remplit ; cette fonction la rend universelle (ou tout au moins universalisable). Marcel Mauss en avait déduit que toute institution sociale est une structure d’échange visant en permanence la cohésion du groupe[128]. S’adossant à l’anthropologie straussienne et au fonctionnalisme maussien, collecte Morreux en vient à conclure que la famille n’est naturelle et nécessaire que par la fonction qu’elle remplit elle aussi socialement. Cette fonction, selon elle, se résume« spécialement dans le renouvellement intergénérationnelle : renouvellement des personnes, de la culture, des structures »[129]. Elle ajoute :
« Cette fonction (…), nous semble être impartie précisément à la famille, au-delà de la variété de ses formes apparentes. C’est là sa fonction « naturelle »parce qu’universelle, fonction essentiellement sociale qui utilise pour se réaliser les éléments biologiques, psychologiques, innées ou acquis, dans un inextricable mélange, susceptibles des combinaisons les plus saugrenues mais, en général, appréciés de ceux qui les utilisent »[130].
Au regard de toutes ces précisions, elle peut donc écrire :« Nous définissons la famille comme le type de sociation dont la fonction est d’assumer, seule ou avec d’autres institutions, la reproduction physique, sociale et culturelle d’une société »[131]. Évidemment, une « sociation » qui ne remplit pas cette fonction n’est pas une famille. Or, justement les nouvelles formes de filiations telles que les familles recomposée, homoparentale, monoparentale etc. remplissent toutes ses fonctions. C’est pourquoi pour Morreux, elles doivent être considérées comme des familles à part entière. Mais au fond, n’est-ce pas le signe que le paradigme de la famille classique est en pleine reconfiguration ?
II- PROGRÈS BIOTECHNOLOGIQUE ET RECONFIGURATION PARADIGMATIQUE DE LA FAMILLE
L’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) définit les biotechnologies comme « l’application des principes scientifiques et de l’ingénierie à la transformation de matériaux par des agents biologiques pour produire des biens et services »[132].En clair, les biotechnologies résultent d’un mariage entre les sciences des êtres vivants (la biologie) et un ensemble de techniques nouvelles issues d’autres disciplines telles que la microbiologie, la biochimie, la biophysique, la génétique, la biologie moléculaire. Ces techniques employées aussi bien au plan médical, agro-alimentaire qu’environnemental produisent des biens et des services qui influent lourdement notre façon traditionnelle de vivre. Nous nous référerons, à l’application médicale des biotechnologies dans la procréation et de son impact sur la configuration classique de la famille.
En effet, la famille, sous sa forme classique que nous avons définie, se présente majoritairement avec un couple formé par un homme et une femme. Leur union est scellée, selon le cas par des liens juridiques, économiques affectifs et sexuels. Cette union, si elle s’occupe immédiatement le bien-être du couple, vise à terme à donner la vie à des enfants qui, à l’âge venu, iront à leur tour former des couples, ainsi de suite. Cette forme historiquement majoritaire de filiation s’est souvent trouvée, selon les espaces et les époques, confrontée à d’autres formes de « sociation » qu’elle avait toujours réussie à supplanter. Aidées des religions monothéistes (le judaïsme, le christianisme et l’islam), et d’une sorte « d’impérialisme occidentale »[133], elle s’est imposée comme la forme pure de la famille et ; dans l’imaginaire social, comme la forme universelle et moralement admissible : c’est la famille naturelle et biologique, c’est la famille « conforme à Dieu ».
Or, depuis la fin du 20è siècle à ce début du 21è siècle, le paradigme biologique, naturelle et universel de la famille classique s’effondre sous l’effet du sacro-saint principe de la liberté qui ouvre la porte au pluralisme et qui, dans le même temps, coïncide avec les nouvelles techniques biomédicales qui rendent possibles désormais d’autres types de filiation jusque-là restées limitées. De fait, le succès des biotechnologies a été de rendre l’acte de procréation artificielle. Par ce succès, elles ouvrent les portes à des pratiques qui brouillent le schéma de la filiation classique. On parle aujourd’hui d’insémination artificielle, d’insémination post-mortem, de mères porteuses que les recherches et développements biotechnologiques rendent possibles. C’est dire que la forme biologique et naturelle de la famille qui reposait sur la procréation naturelle s’est effondrée : tout le monde peut avoir des enfants grâce aux méthodes techniques. Un enfant ne vient plus désormais forcément d’un couple (mari et femme) l’ayant conçu naturellement.
La conséquence de cette situation nouvelle se perçoit principalement dans la filiation homosexuelle. En effet, si les couples homosexuels étaient jusque-là restés limités par leur incapacité naturelle de procréer, ils se trouvent libérés et peuvent prétendre à fonder des familles véritables avec procréation soit par insémination artificielle (chez les lesbiennes) soit par mères porteuses (chez les gays). La famille classique est menacée par ces formes nouvelles de filiations qui ne cessent de susciter des inquiétudes. Ces inquiétudes qui sont d’ordre juridique, politique et surtout éthique portent aussi bien sur ces nouveaux pères et mères que sur ces nouveaux enfants. Il s’agit par exemple de savoir si la discrimination faite à ces nouvelles formes de filiation est légitime et sur quoi faire reposer cette légitimité. Il s’agit aussi de s’interroger sur le statut juridique de ces familles nouvelles, ou encore se demander : comment établir et justifier la filiation d’un enfant à l’égard de ces nouveaux parents ? Comment protéger l’enfant pour son épanouissement ? Comment régler les problèmes éthiques que soulèvent ces nouvelles formes de familles ?
III- LE DEVENIR DE LA FAMILLE : ENJEUX BIO-JURIDIQUES ET BIOETHIQUES
La famille est en crise en son devenir. Les pratiques telles que l’insémination artificielle, les mères porteuses, la procréation post-mortem, la procréation des couples homosexuels bouleversent l’ordre classique de la filiation, soulèvent des problèmes éthiques et nous mettent en demeure de réfléchir sur le devenir même de la famille. Sur la question, deux tendances se distinguent en s’opposant. Il y a d’un côté ceux qui défendent le caractère naturel de la famille classique qu’ils veulent protéger. Pour eux, la forme de filiation classique père, mère et enfant naturellement conçu ou adopté reste l’archétype de la famille moralement universelle. Cette tendance accepte ou peut accepter, juste dans la moindre mesure, la pratique biomédicale de l’insémination artificielle ou de la gestation pour autrui compte tenu des raisons qu’elle juge légitime comme l’infertilité des couples. Pour elle, cette configuration classique de la famille est la mieux adaptée à l’éducation et à l’épanouissement de l’enfant dans toutes ses dimensions. Elle ne souffre d’aucun préjugé éthique : on encense la vie conjugale en considérant comme une vie inaboutie, une vie de célibat ou comme un échec, un mariage brisé !
D’un autre côté, les défenseurs de la pluralité de filiation s’interrogent : est-ce vrai et vérifiable que les multiples formes de filiations qui voient le jour et dont les effets sont qualifiés abusivement de « crise de la famille »menacent la société ? Les enfants sont-ils réellement en danger ? Est-ce la fin de la morale ? Cette résistance aux nouvelles formes de famille rendue possible par le progrès biotechnologique ne relève-t-elle pas de l’ignorance d’une liberté incommensurable que nous offrent la science et la technique ? Les réponses à ces interrogations ouvrent, selon cette autre tendance, des analyses qui légitiment les mutations sociales de la famille.
Dans les années 1991, au tout début de la procréatique, alors que des débats se soulevèrent entre praticiens, religieux, philosophes, éthiciens sur la nature même de ce progrès, René Freydman indiquait que « l’avidité de la connaissance s’appuie sur la constatation que toute connaissance est une libération de nombreuses servitudes et qu’en cela le progrès (de la procréatique) existe bel et bien »[134]. Il ajoutait que ni le droit, ni la morale ne devraient avoir la prétention de limiter ou de contrôler le contenu de la recherche en procréatique, mais intervenir uniquement sur« les principes généraux permettant d’assurer l’égalité de tout citoyen devant la maladie et la filiation »[135]. Bernard Robinson, dans « Crise de la société et mariage homosexuel ? Réflexion éthique » peut alors poser les bases philosophiques de l’importance de ces multiples formes de familles qui sont accusées à tort de dénaturer la famille. Pour lui, la forme de filiation classique qu’on encense tant n’est pas une donnée naturelle comme les défenseurs de la famille veulent nous le faire croire. La famille est un acte social, une validation, « une alliance qui tente de faire sortir la sexualité de la sphère intime pour la socialiser »[136]. De plus, la situation de l’enfant qui soulève les débats passionnés sur la dangerosité de ces nouvelles familles n’est en rien alarmante. Le fait est que l’enfant, par nature, est toujours en danger à cause de sa fragilité quel que soit la famille à laquelle il appartient.
D’ailleurs, selon une étude de cas réalisée par deux journalistes de Médiapart Carine Fouteau et Marine Turchi, il n’y aurait pas de différences significatives entre les enfants de famille homoparentale, par exemple, et les enfants des familles classiques« en terme de développement, de capacité cognitives et d’orientation sexuelle »[137]. Leur étude fait suite aux études de Martine Gross qui, dans son œuvre, L’homoparentalité publié aux éditions PUF en 2005 indiquait, lui aussi, que les familles homoparentales dont le nombre va de plus en plus croissant[138]n’avaient aucune influence négative sur les enfants. Ils arrivent à faire face aux aléas de la vie aussi bien que les enfants des couples « classiques » où ils sont d’ailleurs si souvent pris en otage lors des séparations tumultueuses[139]. Les formes nouvelles de filiation ne sauraient donc constituer une menace pour une quelconque famille naturelle qui garantirait a priori le bien-être de l’enfant. Ces nouvelles formes de parentés disjointes de liens biologiques qu’on proclame tant ne constituent en rien un danger pour les enfants pour un anthropologue comme Maurice Godelier pour qui, c’est la responsabilité continue qui fait mère et père et non la physiologie de la reproduction[140].
À la lumière de l’analyse des deux tendances, on remarque que l’enjeu du débat est tel, et les oppositions si tranchées qu’il faut prendre position. Mais, une autre attitude peut aussi consister à ne pas prendre de position pour trouver un compromis. Dans ces conditions quelles solutions peut-on proposer au-delà de la dichotomie ?
Par le biais de la filiation, les biotechnologies touchent aux notions fondamentales de parenté et de famille. Que l’on soit pour ou contre, on est au moins d’accord que ces nouvelles formes de filiation et de parenté soulèvent des problèmes juridiques, politiques et surtout éthiques. Il nous faut alors trouver un compromis : c’est l’objectif de la bioéthique et du bio-droit ou, pour employer un terme plus précis, de la bio-diplomatie. Il s’agit de savoir sur quoi fonder nos règles de procréation et de filiation, de déterminer qui est qui et les limites de l’humainement acceptable, car les hésitations permanentes entre filiation biologique et filiation affective, la disparition éventuelle des notions mêmes de paternité et de maternité, la dilution des repères identitaires et l’inintelligibilité de plus en plus croissante de la notion de famille qui sont constitutives de notre époque désorientent l’avenir de l’humanité. Ce bio-droit et cette diplomatie doivent partir du principe unanimement acquis que l’être humain possède une valeur suprême en termes de dignité laquelle est inviolable et dont la sauvegarde importe par-dessus tout.
Partant de ce principe, il revient aux États d’inscrire dans le droit les nouvelles formes de parenté et de filiation. Car, comme le note Karine Lalieux « la société progresse quand des pratiques s’organisent par des lois et quand des lois protègent contre les excès de ces pratiques »[141]. Aujourd’hui, face aux couples homosexuels ayant des enfants ou voulant en concevoir ou en adopter ; face aux phénomènes d’inséminations artificielles, de mères porteuses, de bébé éprouvette, de clonage dans l’incapacité d’interdire unilatéralement ou d’autoriser de façon irresponsables ces pratiques, il nous faut réorganiser nos appareils juridiques pour préserver l’intégrité des personnes et les enfants concernés par ces pratiques, mais également pour prémunir la société elle-même contre les abus de ces pratiques.
Par ailleurs, si nous partons du postulat que la dignité humaine est la valeur suprême et que la liberté en est le principal attribut, la grandeur de la liberté devra être aussi la capacité de pouvoir s’autolimiter. C’est l’éthique de l’autolimitation que nous retrouvons chez Hans Jonas. Elle nous invite à une humilité raisonnable qui permet de limiter notre pouvoir de faire. Hans Jonas écrit à ce propos :
« Si donc la nature inédite de notre agir réclame une éthique de la responsabilité à long terme, commensurable à la portée de notre pouvoir, alors elle réclame également au nom de cette responsabilité, un nouveau type d’humilité de la petitesse pas comme celle d’autrefois mais l’humilité qu’exige la grandeur excessive de notre pouvoir qui est un excès de notre pouvoir de faire sur notre pouvoir d’évaluer et de juger. Face à ce potentiel quasi eschatologique de nos processus techniques ; la méconnaissance des effets ultimes devient elle-même la raison d’une retenue responsable »[142].
C’est donc dire que face à un phénomène tel que l’insémination post-mortem qui brouille « l’identité conceptionnelle »[143] de l’enfant et qui répond plus de la réalisation d’un désir que notre pouvoir de faire rend possible, il nous faut courageusement et humainement marquer un arrêt. Faire le deuil d’un mari ou d’une femme morte est un acte éminemment humain et il faut l’accepter comme tel au risque de soulever des problèmes dont nous ne savons pas encore les issues et qui peuvent rendre l’avenir insupportable.
CONCLUSION
Que la famille soit aujourd’hui en pleine mutation, cela ne fait aucun doute. Mais que cette mutation soit une crise, là réside le débat. La croissance des familles monoparentales et homoparentales, les phénomènes de reproduction médicalisée tels que l’insémination artificielle et l’insémination post-mortem, de gestation pour autrui rendus possibles par les biotechnologies qui menacent la famille classique dans sa pérennisation ne manquent de nous interroger.
Ces nouvelles formes de filiation qui sont les fruits de l’expression des libertés individuelles et collectives, sont porteuses de problèmes éthiques et politico-juridiques qu’il serait irresponsable d’ignorer. Et l’analyse retrouve à la fin de l’interrogation même qui est au début de cette situation problématique à savoir : que devons-nous faire ? Il nous faut interdire peut-être ces nouvelles formes de filiation. Mais, au nom de quoi ? Il nous faut donc les autoriser ? Mais est-ce responsable ?
Une chose est au moins sûre et indiscutable à savoir que désormais, la famille, sous sa forme classique, perd sa place de prééminence et doit composer avec ces nouvelles formes de filiation. Seulement, face à l’effondrement des certitudes et des antagonismes, il nous faut trouver un terrain propice, une terre ferme acceptable pour les uns et les autres. Il ne s’agit pas de trouver une morale fondée sur une connaissance a priori du bien et du mal devant autoriser ou interdire les formes de filiation possibles. Mais bien plutôt, il s’agit de laisser la discussion ouverte pour rapprocher les positions jusqu’à un seuil acceptable pour tous. C’est la recherche d’un compromis qui relève de la diplomatie et qui, à terme, vise à concilier l’expression plurielle de la liberté et respect de la dignité humaine ainsi que de l’humainement acceptable au-delà des possibles technoscientifiques. Car, il s’agit de sauver l’humain et de le sauvegarder en l’arrachant et le prévenant de toutes les formes de désirs que le progrès rend possibles. Tel est l’objectif de la bio-diplomatie et du bio-droit. De leurs réponses, dépendra l’avenir de la famille et, au-delà, l’avenir des sociétés humaines.
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LE DÉCLIN DU PÈRE : SOUS LE SIGNE DE JANUS
Ali SYLLA
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Le déclin du père, l’éloignement du procréateur et la réduction de son autorité, est-il, pour la famille nucléaire et la famille élargie, source de crise ou au contraire facteur de structuration ? C’est à cette préoccupation essentielle que s’efforce de répondre la présente étude. À cet effet, elle tente d’abord de montrer que ce déclin du père entraîne des dysfonctionnements du lien familial. Ensuite, analysant ce déclin sous un autre angle, elle essaie de montrer sa contribution à la structuration de la famille. Ces deux moments essentiels de la réflexion conduisent à l’idée de l’ambivalence du déclin du père.
Mots-clés : Crise familiale, déclin du père, famille élargie, famille nucléaire, parenté, structuration de la famille.
ABSTRACT :
The decline of the father, the remoteness of the procreative and the reduction of its authority, is it for the nuclear family and the extended family, the source of crisis or otherwise structuring factor? It was at this critical concern that strives to meet this study. To this end, it first tries to show that the decline of the father cause malfunctions of the family relationship. Then analyzing the decline from a different angle, it tries to show its contribution to the structuring of the family. These two moments of reflection leads to the idea of the ambivalence of the decline of the father.
Keywords : Family crisis, decline of the father, extended family, nuclear family, kinship structure of the family.
INTRODUCTION
Deux discours concurrents s’affrontent sur la question du déclin du père, sur la problématique de l’amoindrissement de la proximité et de l’autorité paternelle dans la famille[144]. Le premier discours, que l’on retrouve dans certains ouvrages comme L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme[145] de Max Weber, déplore ce déclin. Angoissé par l’exacerbation du dysfonctionnement familial, ce discours voit dans l’effacement du père la cause de la crise de la famille. Le second discours, que l’on peut lire dans des ouvrages comme la Mort de la famille[146] de David Cooper, perçoit au contraire la proximité et l’autorité paternelle comme une négation de la personnalité propre des autres membres de la famille. Aussi, ce second discours estime-t-il le déclin du père nécessaire à la structuration des liens familiaux. Un tel antagonisme suscite des interrogations : en quoi le déclin du père est-il source de la crise familiale ? Ce déclin, sous un autre angle, n’est-il pas aussi facteur de structuration de la famille ? Les réponses à ces questions principales constitueront les grands moments de cette analyse critique qui s’efforcera de montrer la pertinence de chacun des deux discours.
I- DÉCLIN DU PÈRE ET CRISE FAMILIALE
La proximité et l’autorité paternelle sont constitutives du lien familial. Quand cette proximité et cette autorité font défaut, surgissent inévitablement des dysfonctionnements. Ces dysfonctionnements se constatent aussi bien dans la famille nucléaire que dans la famille élargie.
1- Crise dans la famille nucléaire
Tel Zeus dans l’Olympe, le père, en principe, incarne dans la cellule familiale l’autorité. L’élaboration et l’instauration de la discipline lui incombentt. Ainsi, « c’est le père qui fixe les bornes, qui décide à quel moment le monde du jeu s’arrête et à quel moment l’autre monde, le monde ‘‘réel’’ revient à la surface »[147]. Pour la mère et pour l’enfant, il est un camarade de jeu ; proximité, complicité et amabilité imprègnent ses rapports avec ces membres de sa famille. Cependant, quand des entorses aux normes se produisent, il procède à des admonestations, des interpellations et des recadrages. Chez le père, l’affection cohabite toujours avec la régulation. La généralisation du mariage d’amour ou d’inclination, au sein duquel mari, femme et enfant se représentent, les uns les autres, comme des amis et non comme un supérieur et des subordonnés, n’annule pas ce rôle d’éducateur du père. L’effacement du père signe la fin de cette autorité, donc le début d’une ère de dérégulation de la cellule familiale. À partir de cet instant, le chaos s’infiltre dans l’alliance comme dans la filiation, dans le lien entre le père et la mère comme dans celui entre le père et l’enfant. Insubordination, bravade, unilatéralisme caractérisent désormais l’être-au-foyer de la femme. La conseillère ne se satisfait plus d’un rôle consultatif ; elle entend perpétrer une inversion des rôles, être la source de la décision, occasionnant ainsi un bicéphalisme au sommet de la cellule familiale. Au niveau de la filiation, l’amoindrissement de l’autorité paternelle est la disparition du respect que la progéniture est censée devoir aux auteurs de ses jours. Sigmund Freud souligne que « l’enfant attribue régulièrement une (…) toute-puissance au père »[148] et qu’il se le représente comme le « responsable de tous les malheurs imaginaires dont il est victime »[149]. L’effacement du père annule cette force de persuasion et de dissuasion. « Parents et enfants [deviennent] des contemporains, c’est-à-dire des individus égaux »[150] ; la parole parentale perd son poids auprès d’une descendance que la transgression n’effraie désormais plus.
L’autorité est loin d’être l’unique attribut du père. On constate en effet que « d’autres éléments de la vie sociale passent principalement ou exclusivement par lui »[151], telles les demandes, invitations et convocations. C’est que dans beaucoup de cultures, le père est la figure emblématique de la famille. À ce titre, il est à la fois l’interlocuteur privilégié de la société dans son adresse aux membres de la famille et la médiation entre la famille et l’extérieur. Dans le malheur comme dans la joie, ces cultures l’honorent de la primeur de l’information, et il lui revient de porter dans l’espace sociétal les aspirations des siens. Le déclin du père entraîne la promotion de la mère au rang de trait d’union entre la famille et la société. C’est à elle qu’il revient désormais d’être le relai du message de la société et la voix de la famille au sein de la communauté, d’être « une femme chef de famille »[152], en lieu et place de son époux. Hormis des cas d’exception où le père se complait dans une situation de conjoint dominé, cette évolution n’est pas sans conséquence sur l’alliance. L’amour que le père est censé témoigner pour son épouse cède la place à la frustration. Dépouillé des prérogatives liées à son statut, vexé par l’influence grandissante de sa femme, qui lui fait de l’ombre, envahit de susceptibilités, l’homme sombre dans la rancœur et le ressentiment. D’alliée et de complément, dans le ménage comme en dehors, que l’épouse doit en principe lui paraître, celle-ci à ses yeux se mue en concurrente. « La preuve suprême de l’amour total est de donner sa vie pour son conjoint »[153], écrit Francis Appiah-Kubi. Un tel don, dans cette ambiance, est impossible. Bien au contraire, ce climat conjugal délétère débouche, très souvent, sur la séparation du couple.
On note, par ailleurs, que, dans une famille, l’héritage du père chez l’enfant ne se réduit pas à un patrimoine génétique et à un nom patronymique. Cet héritage se situe également dans les « formes les plus libres du comportement »[154], dans les attitudes et réactions réfléchies adoptées par l’enfant. Le père se retrouve dans les modalités selon lesquelles le fils se problématise et problématise ses rapports avec le monde. Les solutions du père face aux défis existentiels à relever, son jeu et ses enjeux jouissent d’une exemplarité aux yeux du fils. La lecture que le fils fait de l’histoire est inséparable des analyses paternelles. Chaque rencontre avec le père est, en ce sens, pour le fils, une occasion d’apprendre. Les traces mentales du père peuvent ne pas, chez le fils, se manifester dès la petite enfance. Mais avec l’âge, au fur et à mesure que l’enfant prend possession de son fonds humain, cet héritage constitutif de son être se révèle au grand jour. L’effacement du père signifie, dès lors, pour le fils, privation de cet héritage. L’éclipse du modèle et de la référence que constitue le père ne laisse qu’un vide éphémère. Déjà, malgré la proximité et l’autorité du père, « la paternité est rapidement en concurrence avec l’influence de la société sur l’enfant »[155] ; l’effacement du père consacre alors chez l’enfant le triomphe des emprunts à des ailleurs éducatifs, le règne de modalités d’être importées d’espaces autres que le site familial. Les canaux modernes de communication, tels la télévision et internet, ainsi que le cercle d’amitié et l’école se substituent au père. L’enfant finit ainsi par se retrouver « dans une situation pire qu’avant car l’autorité d’un groupe (…) est toujours beaucoup plus forte et beaucoup plus tyrannique que celle d’un individu, si sévère soit-il »[156]. La relation père-fils, dans ces conditions, se trouve corrompue. Le lien génétique et nominal n’est plus redoublé d’un lien mental. Le fils ne tient plus mentalement du père ; le père n’est plus l’inspirateur du fils. Au niveau des attitudes et des réactions, père et fils sont étrangers l’un à l’autre.
2- Crise dans la famille élargie
Pour la mère et pour l’enfant, le père est le canal par lequel s’établissent les relations de parenté avec une partie de la parentèle. Le nom patronymique que celui-ci leur transmet a valeur de sésame ; il leur ouvre la porte à tout un monde, à sa famille historique, aux personnes avec lesquelles il a en partage, depuis sa naissance, un vécu commun. Des relations se nouent entre la mère et les parents du père ; d’autres se tissent entre l’enfant et les parents du père. On parle alors de belle-famille et de parents paternels. Les uns et les autres, liés désormais par une affinité de nom, doivent se témoigner amabilité, courtoisie et entraide, de même qu’ils doivent, selon les normes en vigueur dans leur culture, codifier ou proscrire entre eux les relations intimes. L’éloignement du père provoque le relâchement voire la fin de ces relations entre sa famille d’élection et sa famille historique. Michel Serres voit dans le christianisme « un déconstructeur des liens de la parenté de sang »[157] parce que ce croire institue une parenté de sang sans véritable parenté de sang, que dans cette religion les ouailles sont frères, sœurs, pères, mères sans l’être biologiquement. On peut voir, dans l’éloignement du père, un réducteur des liens de parenté du sang en ce sens que cet éloignement mutile l’arbre de la parentèle de certaines de ses principales branches. L’indisponibilité du père rend en effet les relations de son épouse et de sa progéniture avec sa famille historique difficiles voire impossibles. La famille élargie se trouve dès lors menacée dans son existence ; elle présente désormais le visage d’une famille élargie restreinte. Ce dépérissement nuit à son fonctionnement normal. Le réconfort que la mère et l’enfant sont censés trouver auprès de la famille élargie dans le malheur, le rassemblement chaleureux et affectueux dans le bonheur, font alors défaut ou sont déficients.
D’un autre côté, le virage technologique pris par la civilisation contemporaine ne crée pas un contexte propice à la relation entre aïeuls et petits-enfants. Il fut un temps où ceux-là étaient pour ceux-ci une source intarissable de savoir. Les expériences accumulées par le troisième âge constituaient un livre que la jeunesse pouvait et devait consulter pour, comme dirait Descartes, « acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie »[158]. Mais l’entrée dans l’ère de la modernité a depuis frappé d’obsolescence cette transmission générationnelle de connaissance. « L’ancêtre et le patriarche n’ont plus grand-chose à apprendre à leurs enfants »[159] ; ceux-ci, parce qu’ils « pianotent beaucoup mieux sur les ordinateurs »[160], « en savent plus (…) sur les instruments de la modernité »[161] que ceux-là. Dans un tel contexte, il revient au père, en tant qu’interface entre les aïeuls et les petits-enfants, d’inventer de nouvelles relations entre ces deux générations. Le désir de connaître ne constituant plus, pour la jeunesse, un motif de fréquentation des grands-parents, il s’agira, pour le père, de rechercher et de trouver des activités autour desquelles un dialogue et une collaboration peuvent s’établir, et des relations s’instaurer, entre les uns et les autres. Or l’éloignement du père interdit cet effort d’innovation indispensable au maintien des relations entre ces deux groupes. Peu impliqué dans la vie familiale, il n’appréhende pas la rupture en procès entre son ascendance et sa descendance ni ne fait le procès de cette rupture, toutes choses qui l’auraient amené à engager une innovation dans les rapports entre les deux générations. L’éloignement du père creuse donc un fossé entre aïeuls et petits-enfants.
Concomitamment à l’essor technologique, s’est développée une philosophie de la vie accordant la préséance au sujet au détriment du collectif. L’individualisme, ainsi se nomme cette philosophie, s’est immiscé dans tous les domaines de l’existence, reléguant au rang d’humanisme suranné le souci de la relation et du dialogue avec autrui. La parenté n’a pas échappé à cette inflation de l’Ego. De plus en plus, « on observe une privatisation de la famille »[162]. La solidarité, qui, naguère, faisait se fondre les familles conjugales dans le creuset de la grande famille et celle-ci dans le corps social, a fait maintenant place à un nombrilisme qui confine la sphère de la solidarité et de la parenté dans le triangle père-mère-enfant(s). L’alliance et la filiation tendent à être considérées comme les certificats exclusifs de parenté. La famille élargie semble passée de mode. Sauvegarder cette famille élargie face à la menace du repli conjugal est un combat qui, pour être gagné, exige que le père soit en première ligne. Responsable en chef de la relation entre la famille conjugale et l’extérieur, détenteur d’une autorité capable de vaincre les réticences et les susceptibilités de la mère et de l’enfant à nouer les relations avec la grande famille, il est celui qui dispose de l’armement nécessaire pour gagner la bataille de l’élargissement de la parenté. Le déficit en autorité de la figure paternelle, dans ces conditions, hypothèque les chances de réussite de l’opération. Parce que le père n’a pas assez d’influence sur la mère et sur la progéniture, il ne peut venir à bout des réserves de ceux-ci à nouer des relations avec la famille élargie.
En somme, le déclin du père entraîne un dysfonctionnement de la famille nucléaire et de la famille élargie. Cependant, ce déclin n’œuvre-t-il pas aussi à leur structuration ?
II- DÉCLIN DU PÈRE ET STRUCTURATION DE LA FAMILLE
L’éloignement du père et la réduction de son autorité ne comportent pas que des inconvénients. Cet effacement offre aussi un certain nombre d’avantages, qui en font un facteur de structuration de la famille nucléaire et de la famille élargie.
1- Structuration de la famille nucléaire
L’importance accordée aujourd’hui à la question des droits de l’enfant a fini par avoir raison de cette conception verticale du rapport entre père et enfant qui octroyait au premier un pouvoir absolu sur le second. De façon générale, l’enfant n’est plus cet être à la merci des humeurs d’un père perçu comme prolongement de l’autorité divine et du pouvoir politique autocratique. Des endroits où les droits de l’enfant peinaient à être reconnus comme le Pakistan et l’Inde y sont maintenant sensibilisés. Le prix Nobel 2014 de la paix a été attribué à la pakistanaise Malala Yousafzay et à l’indien Kailash Satyarthi pour ce combat. Un peu partout donc, « tout enfant a des droits de plus en plus nombreux et précis, en fonction de son bien, de son intérêt et de son bien-être »[163]. De moins en moins, l’enfant accepte les dérives autoritaires d’un père tyrannique. Dans ces conditions, l’édulcoration de l’autorité paternelle est salutaire au maintien de relations saines avec l’enfant. Cet assouplissement en effet restitue à l’enfant son statut d’être humain ; il signe « la reconnaissance de ce que l’enfant est une personne, tout autant que les adultes, même s’il ne peut avoir les mêmes responsabilités qu’un adulte »[164]. L’espace familial n’est plus pour lui un univers répressif, mais un lieu où fleurit sa liberté de penser et d’action, où le droit sur l’enfant s’est effacé au profit du droit de l’enfant. Dès lors, les relations entre père et enfant perdent l’antagonisme tragique d’une lutte des consciences de soi pour la reconnaissance. Le conflit permanent prend fin ; c’est l’aurore d’une ère tissée de respect et de sympathie mutuels, sentiments qui doivent imprégner les relations entre père et enfant. Bref, l’assouplissement de l’autorité paternel dégage le ciel des relations père-enfant des nuages d’une crise des ego.
Mais l’évitement de cette crise des ego est loin de constituer le seul avantage de la réduction de l’autorité paternelle. Cette réduction comporte une autre vertu, celle d’instaurer entre le père et l’enfant le dialogue constructif attendu dans une relation de cette nature. C’est que l’assouplissement de l’autorité du père permet à l’enfant de se forger une personnalité propre distincte et différente du modèle paternel. La toute-puissance paternelle conduit à l’étouffement de la différence. L’enfant devient une réplication pure et simple du moi du père. Par l’assouplissement de son autorité, le père au contraire laisse germer et s’épanouir le moi propre de l’enfant, que celui-ci construit à partir de sa sensibilité et de son expérience du monde. Or, il est de notoriété publique que la différence est source d’enrichissement. Entre le père et l’enfant en rupture avec le modèle paternel, s’instaure une relation dans laquelle chacun apprend de l’autre. Le père constitue, pour l’enfant, une modalité d’être et de penser qui s’ajoute à son expérience du monde. Dans cette « relation directe et individuelle entre le procréateur et l’enfant »[165], le premier est pour le second un exemple dont il pourra à l’occasion s’inspirer, mais non un modèle à imiter. Le fils, pour sa part, ouvre le père sur de nouveaux horizons ; porteur d’une logique nouvelle, il conduit l’auteur de ses jours hors de la caverne de la tradition, où celui-ci est captivé par les vérités éculées, pour lui faire contempler ce qui se passe de nouveau sous le soleil. Dit d’un mot, il y a, comme cela devrait l’être, une relation gagnant-gagnant entre père et enfant.
Par ailleurs, à l’instar de l’enfant, la femme revendique aujourd’hui ses droits. Elle a été longtemps bercée et bernée par l’idéologie de son infériorité ontologique, idéologie secrétée et entretenue par l’éducation, la religion et la culture ambiantes. Les vertus soporifiques de cette idéologie de l’infériorité de la femme ont engourdi en elle toute volonté revendicatrice et l’ont conduite à la résignation dans le couple. Mais depuis la fin des deux guerres mondiales, les femmes ont engagé la lutte pour la reconnaissance de leurs droits. Nombreuses sont ainsi celles qui, acquises aux idéaux du féminisme, ce mouvement de lutte pour l’égalité des droits entre l’homme et la femme, soutiennent que dans le couple « le rapport amoureux se trouve complètement faussé »[166] par la faute des hommes qui se servent de « leurs avantages sexuels pour écraser la femme mariée »[167], alors que « l’amour veut la complète égalité des partenaires »[168]. Face à cette nouvelle donne, la réduction de l’autorité du père de famille est nécessaire au maintien de l’amour dans le couple. La sagesse populaire ironise en disant que lorsque la pauvreté frappe à la porte, l’amour s’enfuit par la fenêtre. Par cette boutade, elle veut signifier que vivre d’amour et d’eau fraîche est pure illusion romanesque. On peut en ajouter à cette sagesse en avançant que « l’amour ne fait pas bon ménage avec la toute-puissance »[169]. Un père autoritaire se voit infliger la perte sentimentale et psychique de sa moitié. La vie familiale perd ainsi son harmonie. La réduction de l’autorité du père est en ce sens lâchage du lest, réceptivité aux revendications féminines. Le père fait des concessions à la mère, le lien affectif est sauf, et la vie familiale saine.
2- Effacement du père et structuration de la famille élargie
Il existe une asymétrie entre l’homme et la femme dans leur rapport à la violence. Comme l’indique Marie-France Hirigoyen, « les comportements violents sont incontestablement plus fréquents chez les hommes que chez les femmes »[170]. Cette asymétrie trouve une partie de son explication dans un nœud de raisons biologique, sociologique et familiale. Un taux élevé de testostérone, l’hormone mâle, l’accompagnement de la socialisation du garçon par une initiation à la violence à travers des jeux, des rôles et des postures « viriles », de mauvais traitements ou abus sexuels subis dans l’enfance du garçon justifient la propension masculine à la violence[171]. Compte tenu de cette donne, l’éloignement du père contribue à la disparition de la violence dans la famille communautaire. Celle-ci comprend un ensemble de familles nucléaires dont chacune est sous la férule d’un père. Cette concentration de pères habitués chacun au commandement engendre la violence dans les relations entre membres du groupe pour autant que chacun se soucie de la conservation de son autorité. Deux issues s’offrent comme solutions à toute violence. La première est une issue d’évitement consistant dans le fait que « les partenaires trouvent des moyens de prévenir l’acte violent quand ils ont conscience de son imminence »[172]. La seconde est une issue de résolution consistant à « modifier les conditions d’apparition de la violence »[173], à introduire « des différences qui rendent difficilement possibles le recours à la violence, maintenant comme plus tard »[174]. Ici, on aboutit à l’extinction de la violence alors que là il s’agit simplement de l’éviter. L’éloignement du père constitue, pour la violence dans la famille communautaire, une issue de résolution. Son indisponibilité en effet modifie les conditions de la violence par l’éclipse du principal potentiel belligérant et annule ainsi la violence que sa présence au sein du groupe ne manquerait pas de susciter.
L’éloignement du père œuvre aussi à l’évitement de l’inceste dans la famille communautaire. Cette famille a pour coutume de battre le rappel de ses membres dans le bonheur comme dans le malheur. Naissance, baptême, mariage, vacances d’une part, maladie et deuil de l’autre, donnent lieu à des rassemblements de la parentèle et donc à des rencontres entre personnes potentiellement consentantes. Dans le Banquet, Diotime, la prêtresse de Mantinée, avance que l’amour naît des retrouvailles de deux moitiés antérieurement séparées. Les rassemblements peuvent être l’occasion de retrouvailles entre deux moitiés antérieurement séparées issues pourtant de la même famille communautaire et conduire ainsi à l’inceste du second type[175], à « des rapports sexuels qui mettraient en contact des consanguins par l’intermédiaire d’un partenaire commun »[176]. Un frère peut ainsi entrer en contact intime avec son frère par l’intermédiaire de la femme de celui-ci, une mère avec sa fille par le truchement de son gendre. Sans nier l’implication, parfois, de la mère et de l’enfant (pubère) dans ces liaisons interdites, le père est très souvent l’acteur principal de ces drames immoraux, la faute à une inhibition moins forte, un tempérament hardi et un donjuanisme mal maîtrisé. L’éloignement du père, en amoindrissant la récurrence des rencontres avec les membres de la famille communautaire, réduit les risques de séduction et d’inceste. L’éveil du sentiment ayant pour condition la coprésence des deux tourtereaux, loin des yeux, loin du cœur, comme le dit la sagesse populaire.
L’indisponibilité du père pour le fils apparaît, par ailleurs, à première vue, comme un mal. Il a été ainsi vu plus haut qu’elle entraîne chez l’enfant l’effacement des empreintes paternelles et le renforcement des influences du dehors, corrompant ainsi la relation entre père et enfant, qu’elle conduit à « détruire inconsidérément et perversement les conditions de la subjectivation »[177]. Ce mal s’accompagne cependant d’un bien, celui du renforcement des relations entre grands-parents et petits-enfants. Il existe une affinité naturelle entre ces deux classes d’âges. Cette affinité s’explique par « l’identité des générations alternées »[178]. Les grands-parents pensent revivre dans leurs petits-enfants ; ils voient en eux des réplications de ce qu’ils sont et des gages d’une perpétuation de leur séjour terrestre. Aussi, leur accordent-ils une grande attention et n’hésitent-ils pas à se constituer en rempart affectif contre les colères des adultes. Cette relation entre grands-parents et petits-fils est très intense dans les familles africaines où très souvent ces deux classes d’âges partagent le toit et le repas. L’éloignement du père renforce cette relation. Elle accroît l’attention des grands-parents pour les petits-enfants, conscients qu’ils sont du vide que laisse le procréateur. Les petits-enfants s’attachent davantage aux grands-parents, sources de satisfaction de leur demande d’affection.
CONCLUSION
En définitive, il n’est pas faux de penser le déclin du père comme source de la crise familiale. L’effacement du père enclenche en effet une dynamique qui bouleverse négativement les liens au sein de la famille nucléaire et de la famille élargie. Mais il n’est pas non plus faux de penser ce déclin comme un facteur de structuration familiale. L’éloignement du père et la réduction de son autorité favorisent des rapports constructifs et le raffermissement des relations entre membres de la famille. Le déclin du père est donc une réalité à double visage ; l’ambivalence est sa caractéristique ; il est sous le signe de Janus. De plus en plus, les prouesses des technosciences, telles la transplantation d’ovaire, le phénomène des mères porteuses, conduisent à une métamorphose de la maternité. La mère n’est plus celle qui est en première ligne au commencement et à la fin de la naissance de l’enfant, celle qui porte la grossesse de la conception à l’accouchement. Avec cette métamorphose de la maternité, faut-il s’attendre, après le déclin du père, à un déclin de la mère ?
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Sciences, Doctrines et Valeurs
LA PART DE CROYANCES DANS LES SCIENCES
Depry Antoine N’GUESSAN
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Les sciences se sont développées en se débarrassant du poids des croyances. Les principes de démarcation et l’axiomatisation servent à cette fin. Or, l’exemple du principe de moindre action, examiné du point de vue de l’histoire et de la sociologie des sciences, montre bien que, depuis le 17e siècle jusqu’à maintenant, les considérations «théologico-métaphysico-anthropomorphiques » subsistent sous la forme d’une « religiosité cosmique » à décrypter.
Mots-clés : Croyances, légitimation, mathématisme, principes, science.
ABSTRACT :
Sciences developed without the weight of beliefs. The principles of demarcation and the axiomatisation serve for this end. And yet the example of the principle of lesser action, examined from the point of view of history and sociology of sciences, schowalthrough for the 17th century up now, considerations “theologico-metaphysico-anthropomorphiques” remain in the from of “cosmic religiosity” to be deciphered.
Keywords : Beliefs, legitimization, mathématisme, principles, science.
INTRODUCTION
Les principes ont-ils une dimension culturelle, une « âme » que les physiciens ignorent ? On ne parle plus d’« âme», certes, mais plutôt des considérations « théologico-métaphysiques » qui en font office et contre lesquelles s’activent des stratégies d’objectivation. Elles dissocient et catégorisent non seulement les ordres de rationalité, mais aussi les entités, les méthodes et les propositions qui s’y rapportent. En demandant au politique de faire comme le médecin, avoir des « vues sur le corps et sur l’âme »[179], Aristote était convaincu de l’imbrication des champs du savoir, et de ceux-ci dans la culture. Pour Aristote, le savoir est un tout, comme le montre la métaphore de l’arbre de la connaissance qui, chez Descartes, manifeste une connexion de la connaissance scientifique avec les croyances religieuses et métaphysiques. A travers les approches holistiques des deux philosophes, l’un a privilégié la logique et, l’autre, les mathématiques. Les grands synchronismes de l’histoire montrent ainsi qu’il n’y a pas de science qui ne repose sur des croyances. Le « cosmos », « l’unité de la nature », le « panmathématisme » ou mathématisme universel, le « réalisme », « l’induction », la « simplicité » sont quelques-unes des catégories porteuses de significations et de croyances (religieuses, métaphysiques, esthétiques, etc.) difficiles à délester de la pensée scientifique. La conviction, la foi profonde et inébranlable en la rationalité de la nature se trouve ainsi résumée dans l’expression « religiosité cosmique ».A partir du principe de moindre action (en abrégé PMA), nous entendons consacrer cette étude à la manière dont les croyances (religieuses, métaphysiques, paradigmatiques) se mêlent à la connaissance scientifique en dépit des mécanismes de démarcation.
I- LE PMA : UN PARCOURS DE SENS ET DE CROYANCES
En mettant en évidence le rôle des idées philosophiques dans l’éclosion de la science moderne et le rôle de la science moderne dans la transformation des idées philosophiques, on se retrouve au cœur d’une posture épistémologique qui admet, comme l’a montré Alexandre Koyré, une ouverture à la communication et à la pluridisciplinarité. Il existe ainsi dans le champ de la pensée scientifique des principes qui assument avec la même rigueur leur fonction de description et de structuration de la connaissance. Sur cette base, on va distinguer, d’une part, les principes de « la connaissance scientifique fondée sur l’observation des faits et la déduction des conséquences »[180] et, de l’autre, « ceux qui ont trait à la spéculation philosophique et qui portent sur l’enquête de la raison des choses »[181].
L’intérêt des principes tient dans le fait que la science ne peut, dans le dialogue établi avec la nature, s’en passer[182], dans la mesure où ils régissent non seulement l’économie du monde, mais aussi celle de notre pensée sur le monde. Ils fonctionnent comme des instruments de découverte et de décryptage des énigmes de la nature, des clefs pour déceler les secrets de la stabilité de cette nature et des événements qui en ponctuent le cours. Mais en considérant que les équations mathématiques et les constantes universelles sont une « pensée de Dieu », et que les principes reflètent la sagesse divine et sont, de ce fait, réputés certains puisqu’ils se déduisent implicitement de l’activité créatrice de Dieu, on a affaire à des présupposés et à des affirmations dogmatiques qui dépassent le cadre de la science.
C’est l’aspect que l’histoire des sciences retient de la mécanique classique : elle offre des principes et lois qui manifestent le caractère et la valeur d’une clef à laquelle la nature reste encore obéissante. Le principe d’inertie (Galilée, Descartes), la théorie de l’attraction universelle (Newton), le principe de moindre action (Leibniz, Fermat, Maupertuis) sont de cet ordre. Ils décrivent le comportement de la nature, tout le temps et partout. A travers ces principes et lois se dégage la conviction que la nature ne fait pas qu’exprimer l’œuvre de Dieu, mais elle imite Dieu, c’est-à-dire « agir avec connaissance à l’imitation de la nature divine »[183]. Ce Dieu n’est pas trompeur (Descartes, Leibniz, Maupertuis) et, en tant qu’architecte divin, il n’offre que le meilleur puisqu’il est « porté au meilleur par une nécessité morale »[184]. Pour lui, ordre, simplicité et harmonie sont des catégories interchangeables. La nature et le comportement de la nature (étendue, force, énergie, masse, action, etc.) sont traductibles en termes mathématiques parce qu’ils sont d’essence mathématique. Le développement de la mécanique classique, c’est de parvenir au stade de science rationnelle, c’est-à-dire une science reposant essentiellement sur des équations mathématiques de plus en plus sophistiquées. Du coup, se trouve transformée l’idée même de la nature désormais réduite en ses dimensions intrinsèques, purement géométriques[185].
Le panmathématisme ou le mathématisme universel est une croyance à laquelle la science rationnelle doit et son existence et ses succès, dans la mesure où on pense qu’elle a formulé des questions auxquelles la nature a su répondre de manière cohérente. La nécessité de poursuivre le dialogue avec la nature se traduit par les publications appelées à offrir les principes significatifs. Les Principes de la philosophie naturelle (Descartes), Les principes de la Nature et de la Grâce (Leibniz), Les Principes mathématiques de la philosophie naturelle (Newton) sont quelques-unsdes ouvrages qui ouvrent ainsi l’espace d’une nouvelle orientation, d’une nouvelle culture scientifique dont l’arrière-plan reste marqué par une référence à la transcendance et à la géométrie. A partir du PMA, qui jouit d’un double statut, nous voulons vérifier si, en accédant à la science, ce principe et bien d’autres instruments de la science observent « une mutation brusque qui doit contredire un passé »[186]. Quel est le passé du PMA?
1- Dimension théologico-métaphysique du PMA
Le PMA a fait l’objet de plusieurs publications scientifiques dont l’ouvrage de Florence Martin-Robine intitulé Histoire du principe de moindre action. Trois siècles de principes variationnels de Fermat à Feynmann[187]. Outre les précieuses informations techniques qui y sont fournies concernant les étapes significatives des mutations subies par le PMA, l’histoire et la sociologie des sciences que nous privilégions ici, vont nous permettre de mettre en lumière un pan de croyances et de thèses philosophiques et anthropologiques qui en structurent l’arrière-plan. Pour en décrypter quelques-unes, c’est à Lucrèce, puis à Aristote[188] qu’on recourt. Aristote soutenait que la nature est fondamentalement économe parce qu’elle ne fait rien inutilement. Cette idée anthropomorphique qui préfigure le PMA s’est transformée au fil du temps. Il y a eu des versions et des adaptations de cette idée qu’il serait fastidieux de restituer. Cependant, l’idée d’une économie générale des lois de la nature est restée permanente à travers les différentes adaptations. Fermat utilise, le premier, l’idée d’une nature économe dans la démonstration de la réfraction sur le principe du temps le plus court, étant entendu que ce que la nature économise en ses actions, d’après Fermat, c’est le temps. Avec Leibniz, à qui on attribue la paternité du PMA, les choses vont fondamentalement changer. Il reprend l’idée en mettant, cette fois, en avant la notion d’une « force vive », conforme à sa philosophie finaliste. Dieu y est comparé à un « habile architecte » dont les qualités le portent invariablement à tout faire pour le mieux avec un minimum de moyens, hors du superflu et du gaspillage. Parmi les mondes possibles, Leibniz affirme que l’architecte divin n’a fait que porter à la création le meilleur des mondes possibles[189].
A l’analyse, le monde leibnizien est une création contingente mais certaine, d’un Dieu libre et déterminé. Ses lois entrent dans deux plans explicatifs qui révèlent, d’une part, que leur efficience atteint la dernière rigueur par l’équivalence de l’effet entier et de sa cause pleine ; et de l’autre, que leur finalité les subordonne à des principes qui spécifient celui du meilleur et sont fondamentalement caractérisés par des catégories propres au système finaliste de Leibniz: économie et détermination maxima, analogie, continuité, action par les voies les plus aisées ou les plus déterminées. Rigide et nuancé, cet univers, dont les savants ne font que battre la mesure, se déploie dans sa majesté harmonieuse, source d’une esthétique la plus abstraite et la plus intellectuelle possible.
C’est dans le cadre de cette thèse finaliste[190] que Louis Moreau de Maupertuis formule le PMA. Il l’expose dans un mémoire intitulé le Principe de la moindre quantité d’action pour la mécanique. Il le définit de la manière suivante :
« L’action est proportionnelle au produit de la masse par la vitesse et par l’espace. Maintenant, voici ce principe, si sage, si digne de l’Être suprême : lorsqu’il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d’Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu’il soit possible »[191].
De cette définition, on retient trois idées clefs : i) la référence explicite à la transcendance, ici Dieu ; ii)la possibilité pour un principe métaphysique d’acquérir un statut scientifique sans qu’il ne soit besoin d’évacuer la conviction implicite qui en constitue l’arrière-plan, à savoir, que la nature demeure toujours raisonnable parce qu’elle reflète la sagesse de l’Être Suprême. Ainsi, lorsqu’un changement doit se produire dans la nature, celle-ci le produit à moindre coût à la manière de l’architecte divin. Enfin, iii) la notion d’« action », un concept quantifiable. Pour recouvrir le caractère d’une entité scientifique, cette notion doit observer les conditions d’une objectivation : bénéficier d’une définition stipulative ou quantitative et s’intégrer dans « un réseau conceptuel à travers lequel les hommes de science voient le monde »[192]. Maupertuis, Euler, Lagrange sont ainsi parvenus à conférer un statut proprement scientifique au PMA.
2- Dimension scientifique du PMA
Le PMA est une hypothèse rendue en plusieurs versions théologique, métaphysique, anthropomorphique et scientifique. L’interprétation anthropomorphique explique qu’en mécanique, le PMA stipule qu’un corps prend la direction qui lui permet soit de dépenser le moins d’énergie dans l’immédiat, soit d’acquérir le plus d’énergie dans l’immédiat, en tenant compte toutefois du fait qu’il doit y avoir une continuité du mouvement (positions, vitesses) s’il y a une continuité des conditions physiques. En effet, en reliant deux points, la trajectoire prise par le corps n’est pas toujours celle qui lui fait dépenser globalement le moins d’énergie ; car, c’est la dépense immédiate (ou plutôt instantanée) d’énergie qui est minimisée (comme si le corps ne percevait que les conditions de son environnement immédiat) ; et si le chemin parcouru est long, un chemin plus court avec une dépense d’énergie immédiate plus élevée peut permettre une dépense globale inférieure. En établissant une analogie avec la consommation en carburant d’une voiture, on comprend relativement bien le phénomène.
De cette présentation schématique, il y a deux points concernant la nature des concepts à relever: i) le terme « énergie » signifie énergie cinétique, et l’expression « dépense d’énergie » signifie que de l’énergie cinétique se transforme en énergie potentielle ; ii) la conquête du titre de « science » dépend des conditions qui assurent le caractère scientifique du résultat. La précision est une dimension importante du pouvoir des concepts ou des principes mis en œuvre dans un réseau de concepts. Au fond, le pouvoir des concepts clairement définis n’est rien d’autre que le pouvoir du dispositif technique qui crée de manière unilatérale une entité mesurable, chiffrable, comparable à d’autres entités déjà définies et reconnues par là-même comme semblables. L’opération de redéfinition des concepts a un caractère radical dans la mesure où la géométrisation confère au concept scientifique une marque spécifique, à savoir, être un concept mathématiquement descriptible. De ce point de vue, le concept « quantité d’action » rompt avec son passé intuitif. Lorsque Léonard Euler élabore le modèle mathématique du PMA, il rassure tous ceux qui, comme Pascal et d’Alembert, estimaient vaine la prétention de connaître la nature à partir de principes généraux et métaphysiques.
Le modèle mathématique du PMA construit par Euler est d’autant plus convaincant qu’il permet de vérifier, à travers des expériences limitées, que le PMA fonctionne bien dans l’étude de la chute des corps et d’un corps attiré par plusieurs centres de forces. Le rayonnement du PMA sur la plupart des équations fondamentales de la physique, notamment, en mécanique classique, en électromagnétisme, en relativité générale[193] et en théorie quantique des champs. Cette extension du modèle mathématique du PMA nous engage incontestablement, à travers des paradigmes différents,« dans une objectivité progressive où se réalise à la fois une expérience nouvelle et une pensée nouvelle »[194]. Le rôle des mathématiques est essentiel. L’expansion des théories mathématiques, depuis la découverte par Leibniz et Newton du calcul infinitésimal est telle que l’interprétation physique du PMA se réduit à ces formulations mathématiques. La rencontre entre mathématique et physique, depuis le 17e siècle, tient ses promesses quand on songe aux travaux réalisés par Euler, Lagrange, Hilbert, etc. Pourquoi la mathématisation devient-elle irrésistible et à quel type de vérité conduit-elle?
II- PANMATHEMATISME, INDUCTION ET CROYANCES
L’attrait des mathématiques induit la déduction globale à laquelle presque tous les savants doivent leurs succès. Mais il ne faut pas être naïf au point de penser que la représentation mathématique du PMA répond au seul besoin d’objectivation scientifique. Procéder de façon déductive nous évite-telle l’embarras du questionnement humien, vu le caractère inductif des principes en général et singulièrement du PMA ?
1- Les présupposés du « panmathématisme »
L’attrait des mathématiques, le mathématisme universel et le « panmathématisme » sont ici utilisés comme des termes interchangeables lorsque nous les mettons en rapport avec les thèses métaphysiques de l’immanence (Pythagore) et de la participation (Platon) qui ont largement contribué à la géométrisation de la nature et à la mathématisation progressive des sciences. Le même type d’intuition pythagoricienne a connu des versions variées. Srinivasa Ramannujan (un mathématicien indien de génie dont les centaines de théorèmes découverts demeurent encore des mystères pour les mathématiciens, aux dires des frères Bogdanov) affirme qu’une équation n’a de sens que si « elle exprime la pensée de Dieu »[195]. Après Pythagore, Platon, Galilée, Descartes, Einstein, Gödel, Dyson, ce mathématicien indien renouvelle et réitère la conviction selon laquelle les mathématiques constituent la voie qui mène à « lire la pensée de Dieu »[196], une expression héritée de Kepler, présente dans le registre lexical du célèbre physicien Albert Einstein. Dieu est mathématicien, avons-nous indiqué plus haut, et ses œuvres portent sa marque. Au fond, le monde est compréhensible parce qu’il est déjà théorique, c’est-à-dire divin. La nature apparaît ainsi régulièrement réglée par des textes théoriques. Cette nature est écrite en langage mathématique (Galilée). Les mathématiques nous exposent ainsi à deux types d’activités principales, à savoir, le travail d’inscription (mathématisation) et le travail d’étude des inscriptions (mathématiques)[197].
C’est une erreur de penser, comme l’a fait Aristote, que la déduction globale que favorisent les mathématiques n’est pas acceptable en matière de connaissance de la nature, parce que la déduction mathématique ne procède pas du concept. Elle ne peut, de ce fait, qu’être « extérieure » à la chose. Le « nouveau » qu’une déduction mathématique est en mesure de produire, précisément pour la raison qu’elle ne part pas du concept, présente, au contraire, cette précieuse particularité d’être en accord avec l’être intime, l’essence de la nature, ou du « code génétique » de la nature.
La déduction mathématique n’est donc pas une opération artificielle. Elle est non seulement quelque chose de conforme à la marche de notre esprit, mais elle est aussi quelque chose « d’intimement et mystérieusement conforme à l’ordre des choses elles-mêmes[198] ». Elle est conforme à la structure que nous sommes obligés de supposer à la réalité, du fait que nous réussissons à formuler des lois auxquelles cette réalité a l’air d’obéir. Le succès des principes, des lois et des théories constitue un indice révélateur d’une certaine structure de la réalité. Le problème que pose cette constatation se résout dès lors qu’on « croit » que la réalité n’est qu’un ensemble de concepts mathématiques. Galilée, à la suite de Pythagore et de Platon, est celui qui a donné du lien entre la réalité et les mathématiques la formule la plus achevée dans l’Essayeur :
« La philosophie est écrite dans cet immense livre continuellement ouvert sous nos yeux, c’est-à-dire l’univers (…) Il est écrit en langue mathématique et les caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques »[199].
La réduction mathématique est la conséquence d’une croyance que partagent les « panmathématiciens ». Descartes en tire la conclusion logique que voici: si tout est de nature mathématique, tout doit pouvoir se déduire de façon mathématique, c’est-à-dire more geometrico. Ne sommes-nous pas devenus des cartésiens quand nous pensons pouvoir apprivoiser la nature exclusivement par des équations mathématiques ? L’expression « épistémologie non cartésienne » (Bachelard) est la mise en perspective d’une voie qui montre que les sciences, de nos jours, inspirent de la méfiance à l’égard de tout ce qui relève de la « déduction pure ». Les sciences procèdent par un mathématisme mâtiné d’empirisme, selon le rationalisme appliqué de Gaston Bachelard; ou encore pour dire qu’elles renoncent à la simplification géométrique perçue comme un principe d’exclusion des « qualités secondes », conduisant à un « désenchantement » du monde, selon le constructivisme d’Ilya Prigogine et d’Isabelle Stengers.
Ces réserves ne suffisent pas pour parler de la fin de l’âge d’or des mathématiques qui bénéficie encore la conviction selon laquelle les mathématiques, loin d’asservir la pensée, lui confèrent l’audace qui nourrit et relance sans cesse le sens des questions adressées à la nature afin de mieux comprendre ses énigmes. C’est ici qu’intervient le questionnement humien.
2- Inductions scientifiques et questionnement humien
Rendre raison du comportement de la nature par des principes et théories scientifiques a quelque chose d’une activité qui dépasse le seul cadre de la pure rationalité scientifique. Il s’y trouve associées, par exemple, des considérations religieuses, vu que la nature « imite Dieu ». Or, le PMA (tout comme le principe de stabilité de la nature, le principe d’uniformité de la nature, le principe d’économie, le principe d’homogénéité de l’espace, le principe d’homogénéité du temps) a un caractère inductif. A ce titre, la causalité et la certitude qu’il présuppose nous amènent à penser l’unité de la science avec l’unité du monde[200]. Si on ne doit pas confonde ces deux propositions, on ne doit pas non plus méconnaître qu’elles sont liées, dans la mesure où l’unité du monde est le fondement de l’unité de la science ; et que les savants croient à celle-ci parce qu’ils croient, d’abord, à celle-là. A travers les principes et les lois scientifiques, on croit à l’unité du monde pour des raisons à la fois pratiques et philosophiques : pratiques, parce que les pratiques humaines unissent des phénomènes hétérogènes, en établissant entre eux des interactions de fait. Mais la philosophie en extrapole la croyance, sans forcément avoir pour cela d’autres « preuves » que la fécondité toujours renouvelée des démarches d’unification de la science. De ce point de vue, il n’y a pas de science qui ne repose sur une croyance profonde dans l’unité du monde, bien que le principe de celle-ci ait pu être pensé successivement sous des formes différentes par les différentes traditions et paradigmes scientifiques.
Depuis, dans l’Antiquité grecque, « la croyance à l’existence d’un Cosmos, c’est-à-dire la croyance à l’existence d’un principe d’ordre en vertu desquels l’ensemble des êtres réels forment un tout (naturellement) bien ordonné »[201] fut un dogme. Or, c’est contre ces croyances, y compris celles auxquelles nous incline la science classique, que s’est élevé Hume. En soutenant que « n’importe quoi peut produire n’importe quoi », Hume introduit la conscience de la contingence dans la pensée scientifique de son époque et sape les bases de l’empirisme classique. Toute validation de la pensée scientifique fondée sur l’induction se trouve ainsi fragilisée puisque «la coutume », « l’habitude » s’expliquent par la croyance. Comment une notion – l’induction – qui jusque-là était regardée comme susceptible de guider la science, peut-elle devenir un problème, voire un obstacle épistémologique ?
La pertinence de la réserve humienne a fait de l’induction un sujet incontournable de la philosophie des sciences. Il comporte, au moins, un double défaut : i) le fait de s’attendre à voir les jugements inductifs aboutir à des certitudes. Ce défaut a conduit des philosophes à fonder l’induction soit sur le principe syllogistique, soit sur le principe de stabilité de la nature. ii) ne pas prendre en compte la notion de « hasard » dans l’édification de la logique inductive. Cournot dira qu’on a fait appel sans cesse à l’observation, à l’expérience, à l’analogie, à l’induction, mais on constate que personne ne donne la théorie philosophique de l’induction[202].On a négligé le « principe rationnel sur lequel la probabilité philosophique est fondée et qui nous autorise à tirer de l’expérience plus qu’il n’y a, de telle sorte qu’après avoir terrassé le péripatétisme, on retombe à son insu dans le formalisme péripatéticien »[203].iii) enfin, le troisième et dernier défaut tient dans la croyance.
Comment peut-on envisager la science dans un monde livré à la contingence, un monde dominé par l’aléatoire, le fortuit, le hasard ? Un tel monde mérite-t-il encore d’être considéré comme « raisonnable » ? En quoi imiterait-il encore la sagesse divine ? Comment établir des principes et des lois scientifiques si nous ne pouvons supposer dans un tel monde que le futur « ressemblera » au passé et au présent, ou que les mêmes conditions et les mêmes effets se produiront ? Envisager une nature suffisamment capricieuse ne reviendrait-il pas à ébranler les fondements mêmes de tous les principes, de toutes les lois et théories scientifiques?
L’idée d’une nature foncièrement capricieuse nous priverait immanquablement de toute possibilité d’effectuer une quelconque prédiction. Personne ne doute qu’une nature ainsi perçue interdirait toute science, toute expérience, voire toute vie supportable. Or, on réalise de plus en plus que « la science en gestation s’applique au dialogue de plus en plus riche avec l’aléa »[204] parce que la nature semble jouer au dé (Cournot). La perspective de légitimation de la pensée scientifique, qui se réalise maintenant beaucoup plus par des ressources de la rationalisation scientifique a-t-elle la même force que la véracité divine? Dieu et hasard resteront encore pour longtemps deux termes suffisamment connotés et qui nous inclinent à décrire tout ce qui échappe au contrôle de l’entendement humain et qui le dispose aux croyances.
III- LA SCIENCE, UNE ZONE DE CROYANCES ?
Il ne s’agit pas de chercher à réduire la science à un champ de croyances. La loi des trois états d’Auguste Comte, le développement des stratégies d’objectivation des sciences actuelles semblent bien nous l’interdire. Cependant, le désir d’objectivité manifesté en laboratoire par un savant ne le débarrasse pas totalement des croyances, des préjugés, des images mentales ou habitudes, des mythes qui lui sont légués par la société, la religion et par les paradigmes[205] auxquels il adhère. On ne peut, certes, pas les situer à un même niveau, mais c’est un fait que quelques scientifiques confessent :
« Sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l’harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. A travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l’éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l’harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s’opposent à notre compréhension »[206].
Deux catégories de faits permettent d’illustrer les divers niveaux de croyances. Dans le premier groupe, il y a des considérations qui tiennent dans des facteurs tels que l’humeur, l’ontologie, l’idéologie, etc. Pierre Thuillier[207] et Vincent Julien[208] relèvent de façon anecdotique les cas de validation d’une idée scientifique nouvelle. Se fait-elle exclusivement sur la base de critères scientifiques ? En effet, i) la physique de Newton est rejetée en France au 18e siècle pour conforter la position de la physique de Descartes. ii) la psychanalyse est, à ses débuts, condamnée à l’irrecevabilité. Popper lui applique la falsifiabilité, critère de scientificité auquel la psychanalyse ne peut satisfaire. Des scientifiques (notamment, les psychologues) refusent à la psychanalyse son caractère scientifique parce qu’elle entame, dit-on, la dignité humaine après le ressenti de la cosmologie copernicienne et de la théorie darwinienne de l’évolution. Enfin, iii) le mathématicien Imré Toth[209]donne des raisons justifiant la farouche opposition du mathématicien Gottlob Frege face à l’avènement des géométries non euclidiennes.
Sur un autre registre, presque tous les savants de la science classique étaient convaincus que le monde qu’ils étudient est « raisonnable » parce qu’il est l’œuvre d’un Dieu, garant de l’ordre intelligible, même si l’étude de la nature se présente comme le produit d’une méthode rationnelle.Copernic, qui opère la plus grande révolution de l’histoire de la représentation du monde en astronomie, reste convaincu que le mouvement circulaire est le mouvement naturel des corps célestes. Le fondateur de l’héliocentrisme retient une croyance héritée du Timée de Platon (dogme du circulaire) qui fait du cercle la figure céleste par excellence. Kepler ne fait pas mystère de sa volonté de retrouver le plan du grand Architecte de l’univers[210] ; Berkeley voit dans la législation de la nature, un langage que Dieu nous parle[211]. La mécanique classique qui recherche implicitement une preuve satisfaisante de l’existence de Dieu à travers l’existence de l’ordre, la simplicité et de l’harmonie, ne peut qu’exclure de l’organisation du monde toute idée d’un « destin aveugle »[212].
La référence à la transcendance est-elle une marque distinctive de la science classique ? Les émotions, intuitions, mystères, présuppositions et croyances subsistent encore à une certaine échelle dans les sciences où la communauté scientifique leur donne la figure d’un « refoulé ». On rappelle souvent la boutade d’Einstein à propos de l’observation par Eddington de la déviation de la lumière par la masse du soleil lors d’une éclipse de celui-ci, observation qui confirme les prédictions tirées de la relativité générale. Il aurait été « dommage pour Dieu », dit Einstein, qu’il en fût été autrement. La science continue de chercher à comprendre la « pensée de Dieu » à travers les équations mathématiques et les constantes universelles. D’ailleurs, l’expression « lire la pensée de Dieu », héritée de Kepler[213], fait désormais partie du registre lexical des savants tels qu’Einstein, Planck[214], George Smoot, John Mather[215] et Richard Isaacman[216], etc.
Tous ces scientifiques qui nous changent la vie, qui nous changent nos conceptions, nous changent-ils aussi la foi religieuse? Cette foi, croyons-nous, peut être mise en question, mais pas nécessairement ébranlée, ni évacuée. De nombreux savants, comme Pierre Duhem, en témoignent, puisqu’une grande partie de son ouvrage La théorie physique, son objet, sa structure est réservée à ce qu’il appelle la « Physique du croyant ». Le développement de la science actuelle tolère de moins en moins les « émotions » des scientifiques quand celles-ci mêlent Dieu à la science. En mars 2010, l’astrophysicien George Smoot adresse un courrier aux frères Bogdanov. Il y écrit, entre autres choses, ceci : « Je dois vous dire franchement que mes paroles en rapport avec Dieu le jour de l’annonce de ma découverte m’ont causé beaucoup d’ennuis, en particulier avec la communauté scientifique »[217].
Mais le Dieu dont parlent ces savants d’hier et d’aujourd’hui, qu’a-t-il de commun avec la théologie ? N’est-il pas seulement le symbole de l’ordre général de la nature et de l’immutabilité essentielle des choses, c’est-à-dire du principe causal ? Les postures cartésienne et leibnizienne nous paraissent suffisamment éclairantes.
Les sciences ne doivent plus être considérées comme des constructions totalement autonomes, transparentes et individuelles puisqu’elles demeurent avant tout une activité sociale parmi d’autres activités sociales. Elles admettent croyances, consensus, cohérence dans les idées, cohésion des membres au sein d’une communauté :« cité scientifique » (Bachelard), « temple du savoir » (Einstein), « communauté scientifique » (Kuhn). Ces communautés ainsi identifiées renvoient, sur bien des aspects, à une tribu, une religion, puisqu’on y observe des codes explicites et parfois des règles non écrites. « La science n’est pas un processus intellectuel comparable à celui d’un ordinateur : elle est une tranche de vie »[218], reconnaît Stephen Toulmin. Si nous recourons à la science, c’est non pas pour nous assener uniquement des vérités sur le monde et sur les meilleures stratégies de « s’en rendre comme maîtres et possesseurs »[219]. La science est aussi sollicitée pour nous installer dans la cohérence avec nous-mêmes et avec la nature. L’écologie, l’éthique de l’environnement, l’éthique de la vulnérabilité, le développement durable apparaissent, aujourd’hui, comme des thématiques majeures dans le sens du renouvellement profond de notre vision sur la nature et la manière dont les sciences doivent se développer pour mieux consolider cette vision.
La science doit être ouverte sur le plan épistémologique, didactique, pédagogique, éthique et culturel. L’étude des cauris[220] dans l’environnement socioculturel africain en offre une illustration. Outre la structure mathématique du calcul des probabilités, du reste, « neutre » pour tous les phénomènes aléatoires, d’autres champs de rationalité contribuent à mieux faire connaître les différentes dimensions ludique, divinatoire, esthétique, numismatique ordinairement attachés à ces objets dans l’environnement socioculturel africain. Le caractère « neutre » de la structure mathématique s’explique par la mise entre parenthèses du vécu des cauris qui ne sont pas moins des plans de lecture de l’objet. Un livre de mathématique dans lequel figurent la dimension heuristique des cauris proprement délestés des considérations évoquées est, sur bien des aspects, semblable à une histoire normalisée des cauris. L’extra-territorialité théorique[221] et l’extra-territorialité culturelle[222] de la science qui pèsent sur l’histoire des cauris perçue sous le seul angle du calcul des probabilités est, comme l’indique Bachelard, « à peine inexacte (…) fausse socialement »[223]. Mais, précise-t-il, elle est seulement« vraie par la lignée des génies, dans les douces sollicitations de la vérité objective »[224].
Contre le développement d’une tendance artificialisante, atomistique, réductrice et appauvrissante induite par le mathématisme universel, s’élèvent des savants et épistémologues tels qu’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers. A la différence de Reichenbach[225] qui sépare le contexte de découverte et le contexte de justification, ils revendiquent une pensée scientifique plutôt ouverte, riche et capable de se reconnaître comme partie intégrante de la culture au sein de laquelle elle se développe:
« Une grande leçon de sagesse qu’il importe de méditer pour toutes les sciences. (…) les sciences dites « exactes » ont pour tâche de sortir des laboratoires où elles ont peu à peu appris la nécessité de résister à la fascination d’une quête de la vérité générale de la nature… La situation idéalisées (…) ne leur livreront pas de clef universelle, elles doivent donc redevenir enfin « sciences de la nature », confrontées à la richesse multiple qu’elles se sont longtemps donné le droit d’oublier. Pas plus que les sciences de l’homme et de la société, les sciences de la nature ne pourront plus, alors, oublier l’enracinement social et historique que suppose la familiarité nécessaire à la modélisation théorique d’une situation concrète[226].
Élargir le champ d’étude de la science, c’est accepter de l’entendre comme un concept ouvert, intégratif et pluridisciplinaire et de s’assurer que la science ainsi définie demeure un champ de communication dans lequel s’opère un jeu de relativisation dont l’enjeu est d’être sans cesse remis en jeu. La particule « non » qui apparaît dans les syntagmes telles que « la logique non aristotélicienne », « la géométrie non euclidienne » inaugure, comme l’écrit Imré Toth, un acte de création parce qu’il réalise la conjonction historique de deux systèmes différents. La négation, telle qu’elle est utilisée, devient une source de création parce qu’elle « postule l’impossible sous la forme d’un discours menteur et le transforme en réalité et en vérité »[227]. Elle favorise la philosophie de la pluralité dont la « raison polémique » est un facteur clef.
CONCLUSION
La singularité de la science n’est pas de la tenir toute entière dans les seules stratégies d’objectivation et de mise en relief de sa dimension heuristique. Elle se caractérise par une part de considérations non scientifiques dont on a toujours voulu la délester en mettant au point des stratégies multiples d’objectivation et de cloisonnement. Le PMA est un exemple qui capitalise des unités de sens et de croyances, source de son double statut et de l’interdépendance des plans de lecture de la nature que la discontinuité des ordres de rationalité ne peut totalement éliminer. L’étude de l’arrière-plan « théologico-métaphysico-anthropomorphique » du PMA met en lumière la manière dont il s’y répercute les thématiques que l’épistémologie contemporaine prend en charge. La nature des liens entre science et philosophie, loin de paraître comme quelque chose d’accidentel, est au contraire un phénomène issu d’une nécessité profonde qui fait que la science ne peut se passer de philosophie et inversement.
Comment, en effet, la philosophie dont la tâche propre consiste à nous mettre d’accord avec nous-mêmes, à nous présenter de la réalité une image cohérente en ces fondements, pourrait-elle négliger cet ensemble impressionnant d’idées opérationnelles que constitue le phénomène scientifique dont l’étendue et l’empire sur notre esprit ne cesse de s’accroître ?
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L’INUTILE MÉTAPHYSIQUE
Antoine KOUAKOU
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Abusivement évaluée par rapport à ce qu’elle n’est pas ou par rapport à ce qui intéresse plus le genre humain, la Métaphysique demeure impopulaire. Mais cette impopularité constituerait, à plus d’un titre, la force et la richesse de la philosophie première. Elle se présente, somme toute, comme un savoir spécial, du fait qu’elle ne se laisse pas exploiter, utiliser, manipuler par les hommes eu égard à leurs besoins. C’est ce qui justifie l’affirmation de son inutilité. Mais de l’inutile qu’elle semble être, et surtout réhabilitée sur la base d’une transformation, elle se pose comme pouvant donner sens et consistance à toute réalité humaine pour ainsi la rendre libre et digne dans le jeu du monde présent.
Mots-clés : Homme – Inutile –Métaphysique –Métascience –Monde contemporain – Réhabilitation – Science.
ABSTRACT :
Improperly evaluated relative to what it is not or compared to what interests more the human race, Metaphysics remains unpopular. But this unpopularity would be, in many respects, the strength and wealth of first philosophy. It presents itself, after all, as a special knowledge, because it does not let itself operate, use or manipulate by men regarding to their needs. This is what justifies the assertion of its uselessness. But from unnecessary it seems to be, especially rehabilitated on the basis of a transformation, it arises as possibly giving meaning and substance to all human reality, in order to make him free and honorable in the game of the present world.
Keywords : Man – Useless – Metaphysics – Metascience – Contemporary world – Rehabilitation – Science.
INTRODUCTION
La Métaphysique, –comprise comme discipline scientifique –,est ce savoir de premier rang qui, aujourd’hui, c’est-à-dire au vingt-et-unième siècle (21ès), semble occuper le dernier rang dans l’ordre des savoirs, relativement à l’intérêt des hommes. Philosophie première, au regard de ce qu’elle détermine, de fond en comble, l’édifice philosophique, comment en est-on arrivé à cette situation de désintéressement, de délaissement de celle-ci ? Métaphysique est, ce que l’étymologie grecque désigne, τα µɛτα τα φύσικα, ce qui se situe au-delà du physique ou de la nature, ce qui relève de réalités immatérielles. Il semble apparemment évident que, depuis le commencement du penser philosophique, chez les Grecs, jusqu’à son déploiement multiforme à nos jours, l’en-jeu de l’impopularité du métaphysique se trouve ainsi enraciné dans son essence. Tout porte alors à croire que nous autres hommes, réalités humaines concrètes, accoutumés au palpable, à l’utilisable ou au manipulable, soyons simplement désarçonnés quand il s’agit d’autres choses du genre intangibles, invisibles. L’attitude historiale de Thalès de Milet qui serait tombé dans un puits en contemplant les étoiles, est, en ce sens, d’une incroyable éloquence ! Ne pouvons-nous pas l’interpréter ainsi : l’habitué aux choses de ce monde devient ridicule à vouloir s’en détourner au profit de celles situées au-delà. Ou, ce qui revient au même, tout pénétré de réalités abstraites ou intelligibles qu’il est, le métaphysicien reste déconnecté, voire ridicule au milieu du monde sensible. L’enjeu de cette réflexion se décline sous le questionner suivant : Quelle métaphysique pour le monde contemporain ? Parvenir à une telle interrogation, c’est saisir l’urgence d’un revirement de situation : notre site, celui de notre séjour sur terre, sous domination des étants, massivement produits par la technoscience régnante, a besoin de restauration. Comment rendre alors l’habitation des hommes authentique ? Telle demeure la question de fond qui se donne à notre réflexion !
I- L’ENCRAGE DE L’UTILE DANS LE MONDE : UN À-DIEU À LA MÉTAPHYSIQUE
Notre existence contemporaine, depuis l’essor des technosciences au dix-septième siècle (17è s), en passant par leur réel progrès au dix-neuvième siècle (19è s), se trouve marquée par le sceau de l’Utile, et ce à partir d’une production accrue d’étants. Ce sont effectivement les étants produits qui relèvent généralement de l’utile. L’étant produit par les sciences et techniques ne se dit tel qu’en étant là-devant, à portée de main, manipulable ou utilisable. « L’ouvrage à produire, étant le pour quoi du marteau, du rabot, de l’aiguille, a, de son côté, le genre d’être de l’util »[228]. Et l’utilisabilité, même si pour recouvrer cette fonction, intègre un système de renvois, ne se saisit en son effectivité que par référence à l’étant particulier qu’est le Dasein. Des objets peuvent servir à la production d’autres objets, mais au bout du compte, c’est relativement à l’homme que l’usage de tel ou tel objet est possible. Si « l’utilisabilité est la détermination ontologique catégoriale de l’étant tel qu’il est “en soi”. Mais d’utilisable, il n’”y a” que sur la base de l’étant là-devant. S’ensuit-il cependant sitôt cette thèse accordée – que l’utilisabilité soit fondée ontologiquement sur l’être là-devant ? »[229]
Cette question, dans l’élaboration de notre réflexion, reste fondamentale à plus d’un titre. Comme le monde ne renferme pas uniquement que de l’étant là-devant ; il y a aussi « un genre d’être de l’étant dévoilé d’emblée au sein du monde »[230]. Ainsi en est-il de la rivière, de la forêt du soleil, etc. Cette espèce d’étants d’ores et déjà au sein du monde, ainsi que l’étant là-devant, présupposent finalement un être-au-monde par rapport auquel le monde, tel qu’il est, prend ou recouvre tout son sens. En réalité, tout le jeu des renvois, toute la significativité de l’utilisabilité n’est possible que “là” où Dasein il y a. Ce “là”, ce lieu-tenant, c’est le monde. Aussi, ce monde, tel que défini, englobe-t-il, non pas seulement l’étant-là-devant, l’étant dévoilé d’emblée, mais encore et surtout les choses et événements qui surviennent dans le monde, dont certains sont perceptibles et d’autres in-visibles ou non-palpables. C’est bien relativement à ce dernier genre que nous affirmions l’importance de la question susmentionnée : le non-visible ou non-palpable désigne la chose en question dans notre réflexion : la Métaphysique, et même son inutilité.
Il en est effectivement du métaphysique comme de la chose au sens le plus large dont parle Heidegger en ces termes : « Une chose en soi est ce qui n’est pas accessible à nous autres hommes, par l’expérience, comme nous sont accessibles les pierres, les plantes, les animaux. (…) Une chose en soi, c’est par exemple Dieu… »[231]. Bien évidemment, les étants de cette catégorie, comme Dieu, l’Âme et la Liberté ne sont pas perceptibles à l’œil nu, mais font partie intégrante des réalités du monde. Et aujourd’hui, notre monde, comme souligné ci-haut, est rempli d’étants du genre là-devant. Comment justifier un tel état de fait ? Qu’est-ce qui détermine le fait que la surabondance de l’étant à portée de mains se produise dans ce que Heidegger appelle la “fuite des Dieux”, dans un arraisonnement de la nature ou de l’étant dévoilé ?
“Arraisonnement”, “fuite des dieux”, sont-ce bien là des termes caractéristiques de la Modernité. Cette Modernité est le règne sans conteste des technosciences marquant de fond en comble notre siècle. Or,
« à notre époque dite postmoderne, l’histoire se renouvelle donc en passant de l’autorité des clercs d’église à celle des clercs d’académie : point de salut pour le chercheur s’aventurant hors les étroits sentiers battus du domaine de l’expérimentation technoscientifique. À force de le répéter aux élèves qui deviennent à leur tour des professeurs, oui, “hors des vérités scientifiques, tout n’est que stérile verbiage”. Et de décréter l’inutilité des spéculations intellectuelles, voire leur nuisance… »[232].
Comment, dans un tel contexte de scientificité, voire de scientisme, ne pas déclarer forclose la Métaphysique en tant savoir purement spéculatif, sans aucune prise sur la réalité ? Ce qui compte et a du prix, c’est ce qui fait notre compte, expression du fruit de la science considérée comme panacée. « Notre époque s’investit quasi entièrement dans une sensualité environnementale, une sensibilité concrète, pragmatique ou utilitaire du monde. Ce qui entraîne que, dans la logique du vingtième siècle, notamment à la suite de Rudolph CARNAP, la métaphysique est déclarée non seulement stérile, mais de plus dépourvue de sens »[233].
On pourrait ainsi dire que le jeu du monde est fait ; le spectateur, à la fois acteur principal, de ce fait maître du jeu, n’a d’yeux que pour l’Utile qui rime avec le scientifique lui-même en contradiction ou en opposition avec le métaphysique. Du regard de l’homme porté sur l’étant là-devant et visible, c’est le dos qui est tourné à ce qui ressort de la Métaphysique. La Science et le Dasein sont en phase, car face aux besoins éprouvés ou ressentis de l’homme, expression d’un manque, le savoir scientifique se déploie tout entier pour lui produire l’étant dont il a besoin, et dont il se préoccupe. Point de doute donc s’agissant du fait que la technoscience convainc l’homme par son caractère apodictique. « La métaphysique, elle, ne peut guère se réclamer d’une pareille vérification… »[234]. C’est cette contradiction flagrante entre science et métaphysique qu’a dépeinte, de façon exemplaire, Karl Jaspers. « Pour quiconque croit à la science, le pire est que la philosophie ne fournit pas de résultats apodictiques, un savoir qu’on puisse posséder. Les sciences ont conquis des connaissances certaines, qui s’imposent à tous… »[235].
Parce qu’il en est ainsi de la philosophie première – notons ici l’aisance passage de la philosophie à la métaphysique – car aux dires même de Heidegger « la philosophie – ce que nous appelons ainsi – n’est que la mise-en-marche de la métaphysique par laquelle elle accède à soi-même et à ses tâches explicites »[236], comment les hommes, dans leur majorité, ne la rejetteront-ils pas au profit de la seule science jugée adéquate ? L’adéquation scientifique signifie non seulement sa correspondance vis-à-vis des besoins humains, mais encore et surtout la correspondance de ses dires, de ses théories avec la réalité. La science est réelle, c’est-à-dire vraie. Et parce qu’il n’y a de science que d’expérience, la Métaphysique est congédiée, rejetée ; et ce bien plus que l’homme ordinaire, par ceux-mêmes qui pratiquent la Science.
En effet, « dans l’acception épistémologique des scientifiques, non seulement le propos métaphysique est strictement vide de sens, mais il est, bien que d’une façon plus discrètement sous-entendue, de plus nuisible en égarant inutilement les bonnes volontés devant viser le bien-être humain comme fin en soi »[237]. Le non-sens de ce savoir serait lié au fait que ses propositions n’ont aucune prise sur la réalité ou ne sont d’aucune utilité, car ne pouvant servir à rien, ne pouvant être utilisé pour quoi que ce soit. Évidemment, « pour l’artiste comme pour le philosophe, le plus difficile semble bien de revenir aux choses mêmes »[238]. C’est pourquoi il est naturellement fait “Adieu” à la Métaphysique. Et au fond, cet Adieu est un “Dire à Dieu”, une remise à Dieu, entre ses mains, de la Métaphysique. Trop préoccupés par les étants là-devant ou par ce qui leur est quotidiennement familier, utile, les hommes n’ont que faire de l’invisible, de ce qui les dépasse, de ce qui n’est point à leur portée, ce qui veut dire aussi à portée de leurs mains. « L’utile est ici dans tous les cas utilisable »[239].
Or, avec cette philosophie supposée de premier rang, se dérange l’utilisabilité. Tout se passe comme si, s’y intéresser revient à perdre pieds ou racines, à ne plus savoir à quoi s’en tenir, donc à être simplement “égaré”. Comment pourrait-il en être autrement ? Si tant est que les métaphysiciens ou « les philosophes passent, sinon, dans l’horizon de la quotidienneté, pour des gens qui n’ont plus du tout les pieds sur terre (…), des gens qui se creusent la tête pour “penser” quelque chose, peut importe quoi, que personne ne peut vérifier et dont nul n’a l’utilité, quelque chose qui ne peut que nuire en égarant et en perturbant les esprits »[240].
En somme, avec la Métaphysique, c’est la déroute des hommes : habitués qu’ils sont à la pensée scientifique qui réussit si bien dans l’ordre pratique, avec ses gadgets se renouvelant au jour le jour, cette autre pensée, « qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend par expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible »[241], n’est bonne qu’à rester au ciel où se tient Dieu. Car “sur terre”, là même où l’étant intramondain manifeste son employabilité, lorsqu’une chose vient à perdre l’usage initial pour lequel elle a été conçue ou destinée, on la met au rancart, sinon elle est, pour reprendre une parole de la Bible, jetée à terre et piétinée !
La conséquence est claire : « Toujours est-il que le divorce est prononcé entre la physique du monde et sa métaphysique »[242]. [Alphonse 6]. On se trouverait en face de deux mondes diamétralement distincts : la physique du monde qui est symbolisée par la lumière, au sens où, en ce monde, tout apparaît ! Et le monde métaphysique qui se dévoile comme celui des ténèbres, dans la mesure où tout y est inapparent, caché ! Ainsi, « on pourrait accorder tout cela et rejeter, une bonne fois, toute métaphysique…Mais ce serait tomber dans une autre illusion, sans doute plus pernicieuse, qui verrait dans les sciences les modèles mêmes de la connaissance la plus haute que nous puissions tirer du monde »[243]. Qui plus est, peut-on en réalité concevoir la lumière, dans sa propagation, sans cette zone d’ombre autour d’elle ? De même, dire : “Adieu” Métaphysique ou « à Dieu” la Métaphysique, n’est-ce pas oublier l’essence même de la réalité humaine et ainsi vouer l’humanité à la perdition ? Aussi inutile soit-elle, la Métaphysique pourrait servir à “quelque chose”. Ou alors, quelque chose d’utile peut sortir de la Métaphysique comme telle. D’où tout l’intérêt de sa réhabilitation.
II- D’UNE MÉTAPHYSIQUE RÉHABILITÉE
En faisant une relecture attentive des questions précédentes, il est perceptible que la Métaphysique ne mérite pas d’être rejetée. Les arguments militant généralement en faveur de son inutilité sont tout à fait justes, même si certains sont exagérés. D’ailleurs, ne présentent-ils pas tous des limites ? L’enjeu, dans l’abord de la problématique d’une Métaphysique réhabilitée, ne répond guère au souci de passer en revue chacune des idées qui la dévalorisent. Il y est fondamentalement question de méditer sur les forces mêmes du métaphysique.
Commençons par avancer que la Métaphysique est elle-même une force, une puissance. Une telle assertion paraît contradictoire au regard des critiques à elle adressées. Mais disons que c’est la faiblesse de ce savoir qui constitue sa force, son originalité même. Relativement à l’ordre des savoirs qui confinent le regard de l’homme à la terre, – ce qui est même loin de le distinguer des autres étants, en particulier les animaux – celle-ci sort de l’ordinaire, de la quotidienneté familière en invitant le Dasein à lever la tête, et ainsi à s’accoutumer aux plus hautes réalités. Lever la tête pour l’homme, singulièrement pour celui de notre époque aux outillages multiples, c’est l’intéresser à l’inutile en tant que richesse introuvable et inépuisable. « M’est utile (nützlich), ce dont, en m’en servant (benützen, je tire profit (Nutzen) »[244]. Intéresser ainsi l’homme à cette connaissance singulière, c’est rendre son regard désintéressé : dans le rapport à l’Inutile, il n’est plus question d’ustensibles, mais nos regards sont désormais tournés vers un besoin plus grand, plus noble et plus élevé. Il s’agit de quelque chose de nécessaire (etwas notwendig), c’est-à-dire d’indépassable, d’incontournable, voire de vital. Cela, Schopenhauer le nomme “besoin métaphysique de l’humanité”. Ce besoin n’est certes pas quelque chose d’utilisable ni de maniable, mais il est cela-même qui, en tant qu’exigence fondamentale, “nous” possède tout entier et, ce faisant, nous édifie, nous trans-forme. Cette transformation est un transportement ; elle porte l’homme “au-delà” de lui-même, de son cadre quotidien et ainsi lui apporte un plus, mieux un plus-être. Ainsi,
« on croit faire soi-même l’expérience que dans la philosophie “on n’aboutit à rien”, qu’”on ne peut rien faire” (…) C’est tout à fait juste et dans l’ordre : “on ne peut rien faire avec la philosophie”. L’erreur est seulement de tenir ainsi l’affaire pour jugée. Une petite considération supplémentaire s’impose encore en effet, sous forme d’un riposte demandant si, étant entendu que nous, nous ne pouvons rien en faire, ce n’est pas finalement la philosophie qui fait quelque chose de nous, à supposer que nous nous engagions en elle »[245].
Il est tout à fait évident, pour tout regard attentif, de saisir que la Métaphysique fait de nous “quelque chose-de-singulier”. Elle fait de nous autres hommes, parmi les étants, cet étant particulier qui a le souci de l’Être, de son être. En effet, êtres-au-monde souvent en dévalement, il suffit d’entrer en nous-mêmes, de faire silence et de nous redécouvrir comme étant effectivement cet étant singulier, – bien sûr dans notre différence ontologique – pour lever la tête et faire enfin la différence… Cette approche théorique pourrait se comprendre aisément en faisant allusion à ce qu’aliénés dans un notre attachement ou dépendance presqu’absolue vis-à-vis des objets que produit la Science, c’est grâce à l’intérêt porté à l’Inutile que la liberté finit par nous être donnée, métaphysiquement. La Métaphysique nous rend humain, vraiment humain. Certes, nombreuses demeurent les sciences qui se donnent pour étude l’homme. L’Histoire, la Géographie, l’Anthropologie, la Psychologie, etc., n’ont d’autre dessein que la connaissance de l’homme. Leur approche demeure partielle et partiale et donc limitée pour la simple raison que chacune d’elles s’intéresse à une partie précise de la réalité humaine. Ces sciences ne sont sciences que relativement à une régionalité ontique. Or « la métaphysique est une conscience bien plutôt qu’une connaissance »[246]. Comme telle, elle est, entre toutes, la véritable science de l’homme. Disons même, pour ironiser, qu’elle a la “mesure” de l’homme. Pour reprendre les termes de Karl Jaspers, disons que « les connaissances scientifiques concernent des objets particuliers et ne sont nullement nécessaires à chacun. En philosophie, il y va de la totalité de l’être qui, là où elle brille, atteint l’homme plus profondément que n’importe quel savoir scientifique »[247].
Comment, face à cette constatation, ne pas admettre ce qui suit : « Peut-être que cette pensée “proche de la réalité”, la seule au sein de laquelle se meut, et à juste titre, la quotidienneté, n’est que le dernier rejeton et l’ultime avatar de cette pensée dont la pensée commune ne sait rien et dont elle n’a pas besoin, d’ailleurs, de rien savoir tant qu’elle se complaît dans l’habitude et place sa propre utilité au-dessus de tout »[248]. La Science ex-siste (au sens étymologique) de la Métaphysique et on pourrait même dire que l’efficacité scientifique n’égale en rien le sérieux de la métaphysique. Cependant, ce n’est pas pour cette raison que le métaphysicien devra s’enorgueillir. De même, un certain scientisme serait de mauvais aloi. Il n’y a, en réalité, que dans l’interaction que Métaphysique et Science donneront, non seulement une vue globale et effective du monde, mais aussi, est-ce à cette seule condition que leur sujet comment, l’Homme, pourra se saisir dans sa véracité. D’ailleurs, relativement aux différentes sciences de l’Homme, Gusdorf insistait en ces termes :
« Le phénomène humain, dans sa totalité, suppose une sorte de conciliation de toutes ces perspectives apparemment contradictoires. Le métaphysicien, qui se contente trop souvent d’ajouter un schéma supplémentaire à tous ceux qui se disputent déjà la réalité humaine, doit consacrer son effort à arbitrer le conflit, en rendant à chaque dimension épistémologique ce qui lui est dû. L’erreur majeure consiste, en effet, à réduire l’homme en facteurs, puis à privilégier l’une des composantes, quelle qu’elle soit, en lui reconnaissant le droit de rendre compte de l’armature humaine tout entière »[249].
Comme on peut s’en apercevoir, il se précise le statut fondamental de la Métaphysique au cœur de cette entreprise de réhabilitation : elle se doit d’arbitrer en vue de parvenir à la conciliation, à cette vue conciliante qui consacre, non la victoire de telle ou telle science, mais plutôt celle de l’Homme tout court, de l’humanité tout entière. Aussi, ne peut-elle réaliser cet arbitrage si et seulement si elle fait sa mue : devenir science ! Cette métanoïa est, sans doute, la concrétisation du projet kantien explicité dans ses Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science. On le sait, déjà au dix-huitième siècle ce philosophe, dans la Critique de la raison pure, faisait le constat suivant : comparativement à l’exactitude des sciences mathématiques et physiques s’imposant par la rigueur de leurs méthodes, la Métaphysique, malgré l’effort des millénaires, n’y est point parvenue. En effet,
« la métaphysique est une connaissance rationnelle spéculative tout à fait à part, qui s’élève entièrement au-dessus des leçons de l’expériences en ne s’appuyant que sur de simples concepts (…). Cette connaissance n’a pas encore été assez favorisée du sort pour pouvoir entrer dans le sûr chemin de la science, et pourtant, elle est plus vieille que toutes les autres »[250].
Dans ce contexte précis, la mutation métaphysique se dit métanoïa, c’est-à-dire conversion de regard, changement de vision du monde. De la spéculation, elle doit désormais loucher vers une approche beaucoup plus scientifique, sinon pragmatique, comme pour témoigner de sa maturité, conformément à la vision comtienne telle qu’explicitée dans la loi des trois états. En ce sens, comme, à l’image et à la ressemblance de ces sciences qui, à l’origine, contenues dans le sein de la glorieuse matrone qu’est la Métaphysique, ont dû s’en émanciper pour coïncider, au-jour-d’hui, avec la rationalité qui est la leur, cette dernière se doit aussi de faire le saut dans la rationalité scientifique « dans laquelle est aussi le principe, ou du moins le prélude d’une transformation prochaine et d’une rénovation »[251]. Par cela même, il est sûr qu’elle deviendra un savoir fécond, pareil à la connaissance scientifique, surtout à la certitude des mathématiques. D’ailleurs, ainsi que l’affirme Badiou, « je crois que les mathématiques sont la seule discipline capable d’expliquer l’Ȇtre, et d’atteindre la scientificité. (…) La science de l’Être en général, l’ontologie (…), se sert aussi des mathématiques, mais à un niveau plus abstrait. (…) Les mathématiques, et elles seules, permettent de comprendre ce qui est »[252].
S’il en est ainsi, c’est parce qu’à l’origine, chez les Grec, le mathématique avait rapport avec l’essence ou l’être des choses. Au fond,
« Tά µαθήµατα signifie pour les Grecs ce que l’homme connait déjà d’avance lorsqu’il considère l’étant et lorsqu’il entre en relation avec les choses : des corps en ce qui fait d’eux des corps ; des plantes, ce qui en fait des plantes ; des animaux, ce qui en fait des animaux ; des hommes – l’humanité. De ce connu d’avance – donc de ce mathématique – font encore partie les nombres. Quand nous voyons trois pommes sur la table, nous re-connaissons qu’il y en a trois : C’est que le nombre trois, la triplicité, nous la connaissons déjà »[253].
Il est clair qu’au cœur de cette impérieuse exigence, la Métaphysique a à se réhabiliter, c’est-à-dire se racheter en se rénovant, avec pour finalité de gagner l’adhésion du commun des mortels qui, pendant longtemps, sont restés dans l’indifférence vis-à-vis d’elle. L’image d’une “métascience”, – dans un siècle essentiellement technoscientifique, éprouvant un besoin métaphysique (Schopenhauer), un supplément d’âme (Bergson), – c’est certainement le modèle du savoir de notre temps. En une telle unité scientifique, pourront se résoudre, avec succès, et conjointement, des problèmes aprioriques et a posterioriques. Autrement dit, dans l’unité de la Science et de la Métaphysique, s’il vient à se poser un problème qui ne relève pas du sensible, l’orientation métaphysique y répondra aisément. De même, à la question : « Qu’est-ce que le corps visible, ou objectif, d’une vérité ? Cela ne se laisse pas déduire de l’ontologie. Il faut construire une logique de l’apparaître, une phénoménologie »[254].
En somme, il faut retenir ce qui suit : « La réflexion, acte de naissance de la philosophie, fonde en même temps la possibilité d’un savoir positif. (…) L’idée d’une métaphysique est solidaire de la conception d’une physique, sur laquelle elle s’appuie pour la dépasser »[255]. Mais, à bien y voir de plus près, Science et Métaphysique, Phénoménologie et Ontologie dans leur union donnant naissance à la métascience ou, ce qui revient au même, à l’onto-phénoménologie, n’est-ce pas là une bâtardisation de la philosophie première ? Ne courons-nous pas, en effet, le risque, dans le souci de réhabiliter la Métaphysique, de lui porter le manteau-au- goût-du-jour, de la rendre étrangère à elle-même, dans cette tension vers son alter-ego ? En somme, ne risquons-nous pas de dé-visager la philosophie de premier rang – ce qui signifie, non pas la fixer et la reconnaître, mais détruire son être authentique ou corrompre son visage – dans cet élan de lui donner un visage plus vivant, réel ou actualisé ? Sans nul doute serions-nous dans la perspective de faire sortir le philosopher des « tours d’ivoire » ! Cependant, comme le relève Badiou,
« les cafés philo ont fait de la philosophie un mot galvaudé, qui fait d’elle la forme la plus générale des opinions. Et depuis qu’avec Pierre Hadot et d’autres, l’idée que la philosophie pouvait rendre heureux est devenue populaire, des magazines juxtaposent des conseils pour se tenir en forme et des essais philosophiques. On est au bord d’un gouffre, il faut le dire. On essaie de faire de la philosophie une voisine des formes les plus dévoyées de sagesse orientale. Si la question du bonheur est certes légitime, on ne peut pas la laisser prendre le commandement du questionnement philosophique »[256].
Philosopher, si ce verbe renvoie à ce dont il est le nom, nous affranchirait de la logique commune. Ainsi, avec le savoir méta-physique, « nous allons au-delà de ce qui est à l’ordre du jour. Nous questionnons par-delà le courant et le “dans-l’ordre” qui est bien ordonné dans la vie quotidienne. (…) Philosopher, c’est questionner sur ce qui est en dehors de l’ordre »[257]. Bien sûr que le savoir métaphysique revêt sa spécificité. Et seulement, un peu comme mis “au banc des accusés”, elle a à se défendre, et surtout à convaincre. C’est bien pourquoi s’impose à elle une nouvelle voie, une autre voie qui est la voie de l’autre qu’elle a, jadis, accueillis dans le berceau ; car issue de ses entrailles, mais qui, par la force de ses arguments, a fini par jeter l’opprobre sur sa génitrice. Combien dire que dans cette défense, l’aveu de culpabilité l’oblige à renouer, à reprendre attaches avec la fille émancipée. Il y a, obligatoirement aujourd’hui, nécessité pour la Métaphysique – si elle veut vraiment reconquérir sinon coïncider avec le statut de science, encore que les sciences sont évolutives – de perdre une partie d’elle-même. Particulièrement, le négatif en elle doit être abandonné pour quérir, en lieu et place, le “positif” de l’autre : la rigueur scientifique. Telle est, pouvons-nous le dire, « l’inaliénable condition de sa survie, ce qui veut dire du même coup de son progrès. (…) Toute science est donc en elle-même rigoureuse, tout comme elle est “positive” »[258]. Parler de survie de la Métaphysique ne renvoie nullement à sa fin ou sa “mort”, au sens où maints penseurs l’ont envisagée. Ce terme de “survie” renvoie, ainsi que le dit Heidegger lui-même, à sa possibilité de progrès ; ainsi qu’à sa capacité de résister aux événements du temps, du temps présent. Tout cela fonde la logique de sa transformation. Car, si elle devait disparaître, ainsi que des croyances diverses l’affirment, comment justifier sa perdurance, son retour en force en cette ère de globalisation ?
« La métaphysique subit un sort étrange ; alors que l’on proclame dans la boutique philosophique son trépas, se glisse dans la littérature et y prolifère son nom honni : La métaphysique des tubes, La métaphysique du chien, Petite métaphysique du meurtre (…), Métaphysique du frimeur, Cabaret métaphysique … sont parmi beaucoup d’autres des intitulés sensés piquer la curiosité du lecteur »[259]
Que donc ceux qui croient en la mort de la Métaphysique, ou qui penseraient que l’ère métaphysique est passée – idée qui, se fondant sur la classification comtienne, en vient ainsi à la figer ou à la maintenir dans une caricature arriériste – observent ce déploiement nouveau du métaphysique. De quoi, aujourd’hui, n’y aurait-il pas de métaphysique ? Métaphysique du Sexe, Métaphysique du Sourire, Métaphysique du Rebelle, Métaphysique des Droits de l’homme, etc., démontrent bien la descente du métaphysique dans la réalité concrète, comme pour se faire bien plus proche des hommes qu’elle ne l’a jamais été. Cette manifestation témoigne de ce que le métaphysicien est et se met à l’écoute du monde, de ses besoins.
C’est sous la forme d’un tel déploiement que nous apercevons la figure contemporaine de la Métaphysique appelée à investir la sphère du politique comme lieu par excellence où se joue l’enjeu essentiel : l’avenir de l’Homme. Si nombreuses sont les sciences ayant pour finalité le séjour bienheureux de l’Homme, ne gagne-t-on pas, de fait, à ériger en fin suprême ce dessein en prenant en charge la Politique ? Prendre véritablement en charge la Politique, s’investir dans cette sphère, c’est parvenir à la constituer comme une véritable science – non pas celles qui n’y voient que l’économique en réduisant, par là-même, la réalité humaine à une simple matière rentable, sinon à un homo œconomicus – mais celle qui fait de l’Homme son centre, son cœur. Il faut cette visée métaphysique au cœur du politique. L’œil du métaphysicien pouvant tenir l’Homme en respect, car le considérant comme digne d’être élevé en tout, dans les projets politiques, il doit se substituer au regard machiavélique de ces gens qui arrivent à la politique en ayant du mépris pour l’alter ego saisi comme pure obstacle ou simple ennemi, et avec pour seul but leurs intérêts mesquins. Une telle politique est dénuée de son essence vraie, tant elle ravale l’homme, l’instrumentalise. C’est ainsi perdre de vue l’essence métaphysique de la Politique, son fondement essentiel. Si « l’homme est un être inachevé, dont le caractère distinctif est d’avoir, toute sa vie, à lutter pour son achèvement. (..) L’homme du philosophe est d’ailleurs l’homme réel et concret dans la mesure même où il apparaît comme la reprise de toutes les dimensions constitutives de la personne »[260], alors la dose métaphysique devant alimenter la Politique, aiguillonnée par le fond religieux, demeure la condition sine qua non de sa parfaite réalisation au sein des sociétés contemporaines. En ignorer ce fond, c’est-à-dire en faisant fi de la foi, « on perd la continuité qu’implique un constant examen critique de soi, on s’y dérobe au nom d’une prétendue certitude que l’on déclare définitive »[261]. [Jaspers 97].
CONCLUSION
Au terme de cette réflexion, et à la lumière de ce qui précède, s’impose une remarque : Affirmer que l’œil du métaphysicien doit être doublé de religiosité n’implique nullement la détermination du politicien comme devant nécessairement être un croyant, au sens théologique. Sinon, pourquoi parlerait-on alors de laïcité ? Cette évocation manifeste le sens de la transcendance en chacun de nous. Ce sens, qui est d’ailleurs en correspondance avec l’essence métaphysique de l’humanité, se manifeste par la prise de conscience de la finitude humaine, laquelle présuppose toujours une réalité “au-dessus” de nous. Or quand vient à s’étioler cette exigence, l’égo vient à se poser comme centre de référence ultime de tout et en tout. Toutes les formes de violations auxquelles notre époque fait face, signifient la mort de l’homme comme animal métaphysique. L’Inutile métaphysique interroge donc en direction de cette crise de notre siècle. Pourquoi la métaphysique est-elle absente sinon voué à l’oubliance dans notre monde ? Ou encore, d’où vient l’assèchement de la dimension métaphysique en l’homme ? L’enjeu essentiel répond ainsi au souci de lui redonner vigueur pour que ce monde en crise retrouve ses repères. Au bout du compte, il nous est possible d’affirmer : « La philosophie, c’est donc trois choses. C’est un diagnostic de l’époque : qu’est-ce que l’époque propose ? C’est une construction, à partir de cette proposition contemporaine, d’un concept de vérité. C’est enfin une expérience existentielle relative à la vraie vie. L’unité des trois, c’est la philosophie »[262]. Face à notre époque empreinte de scientificité, le concept de Métaphysique inutile ou d’une Métaphysique réhabilitée nous aura permis de dégager l’image-type de Métaphysique à partir de laquelle peut s’édifier une existence authentiquement habitable.
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L’EXPÉRIENCE DES SITUATIONS COMME PROMESSE D’UNE LIBERTÉ CONSUBSTANTIELLE À LA VERTU CHEZ JEAN-PAUL SARTRE
Toumgbin Barthélemy DELLA
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Selon Jean-Paul SARTRE, la conscience libre choisit toujours entre mille et une options, dans telles ou telles situations. Mais, si ce choix lui permet de tout choisir, il ne l’autorise pas à tout choisir. La liberté exerce une autorégulation, voire une autocensure et appelle inconditionnellement la vertu qui se présente comme la situation essentielle des situations de la liberté.
Mots-clés Choix, Conscience, Contingence, Humanisme, Liberté, Mauvaise foi, Situation, Vertu.
ABSTRACT :
According to Jean-Paul SARTRE, the free conscience chooses, always, among thousand and one options in all situations. But, if this choice allows him to choose all things, it doesn’t give him permission to choose all things. The freedom adjusts itself; it criticizes itself and calls absolutely the virtue, which is the essential situation of freedom in situation.
Keywords : Choice, Conscience, Contingency, Humanism, Freedom, Bad faith, Situation, Virtue.
INTRODUCTION
Jean-Paul SARTRE affirme que « le pour-soi est libre mais en condition, et c’est ce rapport de la condition à la liberté que nous cherchons à préciser sous le nom de situation »[263].Pour lui, la réalité humaine, en tant qu’être jeté dans le monde, connaît une expérience implacable. Il s’agit de la rencontre, dans le monde, de résistances et d’obstacles qu’elle n’a pas créés. Pourtant, c’est elle qui leur donne sens par sa qualité d’être libre. Ces obstacles et résistances, tels que le passé, la place, les entours, autrui et la mort[264], décrivent des structures de la situation.
La liberté traduit le fait que la conscience affronte, de manière victorieuse, les situations. Dans cette logique, la liberté exclurait la vertu entendue, selon le Nouveau Vocabulaire des Études philosophiques, comme disposition (innée ou acquise) à agir moralement bien, c’est-à-dire pour le bien de l’humanité toute entière. La liberté serait, par conséquent, en contradiction avec le leitmotiv de la philosophie sartrienne de « L’Existentialisme est un Humanisme »[265]. Dans ces conditions, quelle peut être, dans la situation, la teneur du rapport entre libertéet vertu chez Sartre ?
Cette interrogation annonce l’hypothèse de la vertu comme situation essentielle des situations sartriennes de la liberté. La démarche, pour confirmer cette hypothèse, passera par une triple interrogation. D’abord, la situation de l’homme libre ne s’exprime-t-elle pas comme liberté en situation ?Ensuite, la situation ne témoigne-t-elle pas de la liberté comme choix ? Enfin, l’expérience des situations ne définit-elle pas la liberté sur fond de vertu ?
I- LA SITUATION DE L’HOMME LIBRE COMME LIBERTÉ EN SITUATION
Chez Sartre, la liberté décrit la situation de l’homme ou la condition humaine. Aussi, la liberté elle-même s’exprime-t-elle comme liberté en situation. Cela veut dire que tout se fait par l’homme au moyen des situations.
1- Tout par l’homme au moyen des situations
L’Être et le Néant présente la liberté en situation à travers une image : Un individu qui cherche son chemin en pleine brousse découvre un rocher qui se dresse devant lui. Ce rocher naturellement appréhendé comme un obstacle pour un tel individu pourrait être, par la suite, un moyen pour retrouver son chemin. « Tel rocher, qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer, sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage »[266]. Cette image est révélatrice de la conscience humaine en rapport avec des données contingentes. Les situations désignent alors l’ensemble des rapports que la conscience entretient avec ce que nous recevons de la part de la nature et de la part de la culture.
Sartre, pour exposer sa théorie de la liberté en situation, rappelle d’abord l’argument du bon sens contre la liberté en général. Selon le bon sens, estime-t-il, le sujet humain n’est pas libre d’échapper au sort que lui impose son appartenance familiale, sociale et culturelle entre autres. De là, il semble que notre liberté meurt avant même d’être.
Face au coefficient d’adversité auquel le sujet humain est confronté, Sartre pose une liberté en situation, ou une liberté située. Être en situation ramène au fait qu’on se trouve dans un cadre de relations. Situer, par exemple, une pharmacie consiste à la décrire dans un repère de relations. Elle est située entre la boulangerie et le moulin, par exemple. On est toujours située par rapport à quelque chose ou par rapport à quelqu’un. L’expérience des situations témoigne du fait que la liberté humaine ne saurait s’exprimer de manière ex-nihilo.
Pour les existentialistes, la situation dit le rapport de la conscience au donné brut de la contingence. Au moment où nous prenons conscience de notre existence, le monde est déjà là. L’homme est « jeté au monde »[267]. Être en situation, c’est le fait qu’on vive dans des conditions d’espace et de temps définies sans nous et parfois contre nous. Cependant, la liberté située invite à « donner du temps à la créativité »[268], sur la base du donné. C’est le sujet existant qui confère un certain sens à la situation.
Mais, n’y a-t-il pas des situations aussi oppressantes au point où la liberté n’y est pas possible ? En vérité, la force de la liberté se mesure à l’épreuve des situations. « La liberté existentialiste (explique Herbert MARCUSE) demeure en dépit de l’oppression à laquelle l’homme est livré dans la réalité empirique »[269]. Plus une situation est oppressante, difficile ou tragique, plus elle suscite un choix urgent et décisif. Choisir n’est possible qu’à partir d’un monde qui se dévoile et dont le sujet est solidaire. Être revient à être absolument avec le monde. Cette solidarité s’explique par le fait que le monde implique le sujet sans toutefois jamais le déterminer. Le monde porte l’homme, mais l’homme mène le monde. Être en situation appelle à assumer une condition, à revendiquer une limite.
Pour Martin HEIDEGGER, «le Dasein s’entend lui-même et entend l’être en général à partir du “monde” »[270]. La vie, qu’on peut considérer comme l’ensemble des situations possibles, n’existe pas en tant que telle. Elle ne peut se livrer que sous la médiation du Dasein. C’est ainsi que « le Dasein est rabattu du coté d’une existence dont la dimension vitale est singulièrement absente, et la vie par là même manque en son irréductibilité »[271]. Dans l’ouvert de l’être, il n’y a de sens que par le Dasein.
Dans les situations, la liberté est éprouvée. L’épreuve peut alors se traduire sous cette formule : Tout par l’homme, au moyen des situations. L’écho ontologique de ces considérations se situe dans L’Être et le Néant.
2- Le néant comme traduction ontologique de la liberté située
À la lecture de L’Être et le Néant, le relief ontologique de Sartre est meublé par trois régions d’être, à savoir l’être-en-soi, l’être-pour-soi, et l’être-pour-autrui. On se limitera, ici, à « la présentation » de l’être-en-soi et de l’être-pour-soi, car l’être-pour-autrui désigne un pour-soi autre que le pour-soi que je suis.
Pour Sartre, l’être-en-soi représente un champ d’être au sein de l’être et s’oppose à l’être-pour-soi ou la conscience. L’en-soi est marqué par trois caractéristiques. D’abord, l’en-soi est. Ni possible ni nécessaire, il ne fait qu’être dans toute sa contingence. De plus, l’en-soi est ce qu’il est, c’est-à-dire opaque à lui-même. Sans profondeur ni secret, il est massif, pleine positivité. Enfin, l’en-soi est en soi. Cela veut dire qu’il représente « l’inhérence à soi » sans la moindre distance.
À l’opposé de l’en-soi, le pour-soi est dépassement perpétuel vers une impossible coïncidence. En fait, le pour-soi est essentiellement néantisation, c’est-à-dire producteur de néant. Le néant en question est non un vide cosmologique, mais un vide psychologique. Il s’agit d’un espace sans mesure, un trou sans fond qui, partant, ne saurait jamais être rempli.
Le concept de néant est au cœur de la philosophie sartrienne puisqu’il désigne la forme ontologique de la liberté. « Cette possibilité pour la réalité humaine de sécréter un néant qui l’isole, Descartes, après les stoïciens, lui a donné un nom : la liberté »[272]. C’est le néant qui fait de la liberté sartrienne une liberté située. En effet, c’est parce qu’il y a vide ou ouverture qu’il y a rapport. Si « toute conscience est conscience de quelque chose »[273], c’est parce qu’elle n’est rien. Cela veut dire qu’elle n’est pas une chose en soi. N’étant pas une chose en-soi, elle représente le néant, le vide par excellence et donc l’ouverture au monde. Par cette ouverture, la réalité humaine entretient un rapport spécifique avec le monde.
La liberté sartrienne est en situation, c’est-à-dire qu’elle est située au creux de la conscience ou au cœur du néant. La liberté exprime l’ouverture qui marque à la fois la finitude de la conscience et son aspiration à la plénitude. La liberté située se trouve aux antipodes de la liberté déterminée telle que présentée par Baruch de SPINOZA : « Je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité »[274]. Sa liberté dite déterminée n’a aucune possibilité d’ouverture, car elle est représentée par la dureté de l’être. Par la liberté déterminée, la condition humaine est proche du sort de l’animal qui « vit davantage dans la nécessité que dans la liberté ; fondamentalement, il n’a pas de possibilité libre, mais seulement des possibilités liées ou déterminées »[275].
En ce qui concerne la liberté située, elle s’exprime sur fond de non-être. « La nature a horreur du vide », selon la célèbre formule scientifique. Autant le vide cosmologique est appelé à être rempli, autant le vide ontologique est appelé à être comblé. Cependant, là où le vide cosmologique peut être rempli par une matière quelconque, par exemple, remplir un seau vide avec du sable, le vide ontologique de la conscience demeure, à jamais, un trou dans l’être. Ce vide ontologique révèle la conscience comme transcendance, c’est-à-dire un être toujours loin de lui-même. « Nous retrouvons donc le non-être comme condition de la transcendance de l’être »[276].La transcendance est l’acte de la conscience qui tente de se remplir sans jamais se remplir. « Voulant » se remplir, elle atteint l’effet contraire qui consiste à se vider constamment.
Du coup, sur fond de néant, la conscience n’est ni fixée, ni figée. Elle est située, c’est-à-dire en rapport avec elle-même et avec ce qui n’est pas elle. En ce sens, les situations annoncent la liberté comme choix.
II- DE LA SITUATION À LA LIBERTÉ COMME CHOIX
Les différents choix de l’individu, en un instant donné, sont en rapport avec un choix originel que couvrent des choix partiels révélés par la psychanalyse existentielle.
1- De la psychanalyse existentielle à la découverte du choix originel et des choix partiels
La psychanalyse existentielle « est une méthode destinée à mettre en lumière, sous une forme rigoureusement objective, le choix subjectif par lequel chaque personne se fait personne, c’est-à-dire se fait annoncer à elle-même ce qu’elle est »[277]. Cette méthode renvoie à une connaissance objective qui vient du dehors et met Sartre au même niveau que les behavioristes dans leur entreprise « scientifique » d’étudier l’homme de l’extérieur[278]. Quand Sartre se sépare des behavioristes, ce n’est pas en raison de l’ignorance d’une intériorité chez l’homme, mais parce que leurs recherches refusent au sujet humain toute transcendance. Autrement dit, ils considèrent l’homme comme une substance et non comme un être qui se définit par sa fin.
Le principe de la psychanalyse existentielle « est que l’homme est une totalité et non une collection », c’est-à-dire « qu’il n’est pas un goût, un tic, un acte humain qui ne soit révélateur »[279].Son point de départ est l’expérience. C’est ainsi que son but est de déchiffrer, à partir de l’expérience, les comportements empiriques de l’homme, c’est-à-dire de mettre en pleine lumière les révélations que chacun d’eux contient et de les fixer conceptuellement. Aussi, la méthode de la psychanalyse existentielle est-elle comparative. En fait, chaque conduite humaine symbolise, à sa façon, le choix fondamental qu’il faut dénicher et, en même temps, chacune d’elles cache ce choix sous des caractères occasionnels et son opportunité historique. Donc c’est par la comparaison de ces conduites qu’on peut découvrir la révélation unique qu’elles expriment toutes de manière différente.
Suite à ses précisions de L’Être et le Néant, Menu ajoute que c’est « de leur confrontation et après élimination des facteurs occasionnels, que pourra émerger le projet fondamental qui vient les expliciter »[280]. Le psychanalyste existentiel aura pour mission de relier, entre eux, toute une série d’actes et de comportements se rapportant à un individu considéré. Cependant, selon les modalités de cette compréhension, il n’est pas question, pour Sartre, d’admettre des vues causalistes qui conduiraient à définir les uns et les autres par rapport à des comportements tout faits. Chaque comportement renvoie à une liberté essentielle, et c’est elle précisément qu’il importe de saisir sous le nom de choix originel.
Par définition, le choix originel ou le projet fondamental suppose l’existence de choix partiels. Ces derniers seront intégrés au choix global, mais non déterminés par lui. « En tant que choix, en effet, les projets partiels auront à conserver une certaine dose “ de contingence, d’imprévisibilité et d’absurde ”, même s’ils viendront en définitive traduire le rapport à l’être qui constitue le projet fondamental »[281]. Sartre reste égal à lui-même. Il n’est pas question d’opter pour un déterminisme qui nous logerait dans l’engrenage des systèmes.
Les choix partiels s’opèrent sur la plate-forme du choix global. Quoique partiels, ils conservent leur titre de choix. Les choix partiels se justifient eux-mêmes à la lumière du choix global. Dans ce cas, l’individu ne peut avoir un alibi pour refuser de faire de sa vie une succession de libres choix, au point de tomber dans la mauvaise foi.
2- La mauvaise foi comme refus du bon choix
« L’homme ne saurait être tantôt libre et tantôt esclave : il est tout entier et toujours libre ou il n’est pas »[282]. En ce sens, comment comprendre la mauvaise foi chezSartre ? Dans L’Être et le Néant, il avance que tout homme refusant d’exister, au sens existentialiste du terme, c’est-à-dired’être libre, responsable et sans excuse, tombe instantanément dans un état où il va se complaire, une sorte defacticité. L’auteur ajoute : « Cette attitude nous a paru devoir être de mauvaise foi »[283], c’est-à-dire une forme demensonge.
Dans ce mensonge, la dualité du trompeur et du trompé disparaît parce que la mauvaise foiimplique, par essence, l’unité d’une conscience. Elle ne vient pas du dehors du sujet puisqu’ « on ne la subit pas, […] on n’en est pas affecté, ce n’est pas un état. Mais la conscience s’affecte elle-même de mauvaise foi. C’est une situation à travers laquelle l’homme se dissimule sa liberté »[284]. Dans la mauvaise foi, on fait comme si tout nous tombait dessus.On fait comme si tout était déjà joué. Les choses sont telles qu’elles sont. Tout est justifié d’avance et le sujet sefait un pion tout fait de cet engrenage déterministe.
Dans les cérémonies officielles, par exemple, le protocole, dont la charge est de garantir les honneurs, annonce le chef del’État élevé au plus haut degré de l’estime des hommes. Cependant, on oublie l’état du chef, c’est-à-dire sa situationd’être précaire. On oublie qu’ « une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer »[285].Dans les habits duprésident, le sujet oublie souvent qu’il est un individu comme les autres et que sa liberté ne tient ni au dispositif desécurité ni au folklore de l’étiquette, ni aux honneurs du pouvoir. Son attitude devient théâtrale comme on « joue, par exemple, à être garçon de café »[286]. Le jeu auquel se livre le garçon de café consiste à suivre les prescriptions de sa tâche sans aucune originalité, comme s’il n’avait pas le choix. La mauvaise foi fait irruption dans une vie quand le sujetnégocie mal les situations, quand précisément il refuse le choix comme mode de vie. En d’autres termes, il dissimule saliberté.
Pourtant, la liberté dissimulée n’est pas une liberté anéantie. Si elle est dissimulée, cela veut dire qu’elle existeencore. S’exprimant au sujet de la mauvaise foi sartrienne, Marcuse fait alors le commentaire suivant : « Mais, précisément là où l’idée ontologique de liberté semble se volatiliser en même temps que le pour-soi, où le pour-soi tombe presqu’entièrement dans la sphère des choses, là surgit une nouvelle figure de la liberté et de l’accomplissement de l’homme »[287].La liberté n’appelle que la liberté et la possibilité de choisir. Même dans la mauvaise foi, on est libre et on choisit. Seulement,on choisit de ne pas choisir ; ce qui veut dire qu’on choisit. L’individu de mauvaise foi fait le mauvais choix, le choix du refus de la liberté, au lieu de faire le bon choix qui impliquerait la liberté qui se reconnaît comme telle.
La mauvaise foi est le choix de « la mort » de la liberté. Comme le suicide, la mauvaise foi est empreinte delâcheté. Si le candidat au suicide estime qu’il peut disposer de sa vie comme il veut au point de l’abréger, pourquoi nese donne-t-il pas la mort quand tout va bien ? De même, si l’homme de mauvaise foi se comporte comme s’il subissaitles choses, pourquoi ne refuse-t-il pas de manger quand il a faim ? Pourquoi ne se brûle-t-il pas avec du feu pourexpliquer que le fondement de ce geste se trouve hors de lui ? Pourquoi prend-on le parti de la mauvaise foi seulement là oùil semble difficile de relever les défis ?
L’alibi de la mauvaise foi n’est pas convaincant. Sinon, le sujethumain connaîtrait le sort de l’âne de Buridan qui meurt devant l’incapacité d’opérer un choix entre deux choseséquitablement importantes. Si l’homme libre est amené à choisir face aux situations, il est nécessaire de savoir ce qu’il doitchoisir.
III- DE L’EXPÉRIENCE DES SITUATIONS À LA LIBERTÉ COMME CHOIX DE LA VERTU
La liberté en situation se manifeste essentiellement sous le sceau desrapports avec les choses et avec les autres. Mais peut-on être en rapport avec les autres sans que se pose le problème de la vertu ? Si « l’existentialisme est humanisme », la liberté appelle la vertu.
1- L’humanisme ou l’expression du lien inextricable entre la Liberté et la vertu
Dans L’Existentialisme est un Humanisme,Sartre récuse l’humanisme fermé présenté comme un culte à l’humanité. Il préfère « un autre sens de l’humanisme, qui signifie au fond ceci : l’homme est constamment hors de lui-même, c’est en se projetant et en se perdant hors de lui qu’il fait exister l’homme »[288]. Par chacun de ses actes, le sujet dessine son propre visage en dessinant le visage de l’humanité. Pour Sartre, l’humanisme désigne l’engagement propre de l’individu dont le dessein atteint le seuil de l’humanité toute entière, sous l’impulsion de la liberté située.
Rien n’arrête la conscience libre ; elle est ici et là-bas ; elle va et vient. La conscience libre qui se transcende fait et défait le monde. « Nous appellerons transcendance cette négation interne et réalisante qui dévoile l’en-soi en déterminant le pour-soi dans son être »[289]. Il faut entendre, par négation interne, le fait que la conscience se vide à jamais. Sous diverses formes, elle fait ressortir l’être du pour-soi tout en révélant l’être-en-soi. La conscience signe le sens de l’être. Mais la liberté, force de la conscience, n’est pas une force destructrice du monde, ce n’est pas une force du mal.
Ces propos prennent leur teneur dans cette remarque des Cahiers pour une Morale : « Nous nous définissons par la lutte contre le Mal »[290]. Si nous sommes condamnés à la liberté, la liberté elle-même est condamnée à la vertu. La condamnation à la liberté doit se comprendre comme condamnation à la libération. Sartre se fait le prêtre du culte de la liberté difficile qu’il faut voir comme une libération. « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers »[291], avait prévenu Jean-Jacques ROUSSEAU. Sans l’acte de se libérer, la liberté fondamentale n’a aucun sens. Si la liberté est une épreuve, c’est parce qu’elle vise essentiellement la vertu. L’homme est libre de tout faire, mais il est libre pour faire le bien. Il lui appartient « de se faire bon ou mauvais selon qu’il assume sa liberté ou qu’il la renie »[292].
Si la liberté était capacité de nuire, elle se confondrait avec la force des animaux. Sartre pense que la liberté est l’acte du sujet à la rencontre de l’humanité. « Ainsi, l’homme qui s’atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres, et il les découvre comme la condition de son existence»[293]. La liberté du sujet ne prend tout son sens que lorsqu’elle prend les autres comme point de mire. Elle n’est donc pas seulement un pouvoir. Elle se veut aussi un devoir. On n’est pas loin de l’impératif catégorique kantien : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle »[294]. Par chacun de ses actes, le sujet libre se fait l’avocat de l’humanité. La liberté est un instrument au service de l’amélioration de l’espèce humaine.
« Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures. Aux yeux de qui ? Ce ne peut être qu’aux yeux de l’homme et du point de vue d’une certaine morale. L’homme est source de tout bien et tout mal et se juge au nom du bien et du mal qu’il crée »[295]. On connaît l’expression de la sagesse populaire qui dit que « tout se paye sur terre ». En ce sens, « l’enfer, c’est les autres »[296], lorsque nos relations sont viciées, lorsque nous menons une existence au service du mal. Telle est l’expérience que campe Huis Clos. Garcin, Estelle et Inès se retrouvent en enfer, après leur vie terrestre faite de maux de tous genres. Dans la chambre d’hôtel qui symbolise l’enfer, on s’attend à ce qu’ils subissent logiquement la sentence du jugement dernier, c’est-à-dire le feu de l’enfer. Mais non, c’est plutôt le regard indiscret d’Inès, empêchant Garcin et Estelle d’accomplir l’acte sexuel, qui représente le feu de l’enfer.
En fait, cet huis clos, loin d’être le dernier jugement où l’homme doit rendre compte à Dieu, est un bilan de l’existence du sujet face à ses semblables. Vivant dans la licence, les personnages de Huis Clos se sont eux-mêmes mis en marge du monde humain. « N’ayant jamais affronté la conscience d’autrui en tant que libre conscience, chacun d’eux se trouve radicalement démuni devant le regard que les autres portent sur lui »[297]. Avec Sartre, il n’y a pas de jugement dernier puisqu’il n’y a ni enfer ni paradis. L’enfer et le paradis se vivent sur terre. L’un et l’autre témoignent du rapport de la liberté aux situations, mais surtout à la vertu.
Simone de BEAUVOIR déclare alors que « ce qui importe, c’est la manière dont l’homme dépasse sa situation »[298]. La liberté, selon elle, ne se réalise qu’en s’engageant dans le monde. L’homme libre est celui qui affronte la vie, qui agit en « mettant le pied dans le plat », comme l’indique l’expression commune. L’attitude indifférente ne saurait être humaniste, car elle accepte de subir les situations au lieu de les affronter.
Mais le combat pour la maîtrise des situations, marque de notre liberté, n’aura tout son sens que s’il fait de la vertu son leitmotiv. On ne maîtrise pas les situations à la manière militaire où on affirme que « la situation est sous contrôle ».La théorie de la liberté en situation indique que le sujet contrôle la situation au profit de l’humanité, à travers des actes vertueux. L’acte vertueux, face à un problème ou une situation, revient à trouver la solution non pas pour soi exclusivement, mais pour tous.
« Je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ; en choisissant, je choisis l’homme »[299].Toute entreprise humaine est sous-tendue par un idéal. L’individu qui se choisit, de telle ou telle manière, choisit en même temps un modèle de vie pour tous. Or, on ne peut choisir le mal pour soi. Du même coup, on ne peut choisir le mal pour les autres. On prend le parti du bien pour tous. L’individu peut-il se sentir bien quand les autres se sentent mal ?
Évoquant les atrocités de la deuxième guerre mondiale, Simone WEIL souligne que lorsqu’on disait « “ plus jamais ça ”, cela signifiait : plus jamais de guerre, mais aussi plus d’ostracisme contre tel ou tel pour des raisons religieuses, raciales, ethniques ou autres »[300] . Le cri de la liberté appelle la liberté pour tous, et la liberté pour tous n’implique pas la liberté pour tout ; elle appelle plutôt la vertu. De la sorte, la vertu s’annonce comme la situation essentielle des situations sartriennes de la liberté.
1- La vertu comme situation essentielle des situations de la Liberté
Il faut rappeler que la vertu désigne, selon le Nouveau Vocabulaire des Études philosophiques, la disposition habituelle (acquise ou innée) à agir moralement bien. Aussi, la conclusion de L’Être et le Néant fait-elle remarquer que l’ontologie, loin de formuler des prescriptions morales, s’occupe uniquement de ce qui est, de sorte qu’il n’est pas possible de tirer des impératifs de ses indicatifs. « Elle laisse entrevoir cependant ce que sera une éthique qui prendra ses responsabilités en face d’une réalité humaine en situation »[301]. Dans cette perspective, prendre ses responsabilités en face d’une réalité humaine en situation, n’implique-t-il pas que la vertu soit, elle-même, la synthèse des situations ?
La situation est une réalité contingente appelée à être humanisée par la conscience libre. « En d’autres termes, la situation exprime un rapport entre moi qui suis là sans nécessité ni possibilité d’être autrement (facticité) et les réalités qui m’entourent (aides, obstacles, chances) à la lumière d’une fin que j’ai librement projetée »[302]. La fin que je projette librement, pour toutes actions, est la vertu, c’est-à-dire l’idée du bien. Tout rapport entre le moi que je suis et les réalités autour de moi est marqué par cette fin. C’est la raison pour laquelle on se sent mal quand on fait le mal.
L’homme est habité par des tendances naturelles agressives. Cette idée apparaît, sans ambiguïté, chez Thomas HOBBES quand il souligne la misère de la condition naturelle des hommes. Les hommes sont égaux en nature, mais de cette égalité procède la défiance et de la défiance procède la guerre. « Il apparaît clairement par là qu’aussi longtemps que les hommes vivent sans pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun »[303].Mais, face à la manifestation des tendances violentes et perverses, le remord et la repentance ont le dernier mot. Même quand on semble se réjouir du mal, on le fait au nom du bien et notre langue nous trahit : « C’est bien fait pour lui ».
« Nous pouvons toujours agir plus librement dans les choses où nous voyons plus de bien que de mal, que dans les choses appelées pour nous indifférentes »[304].La vertu s’impose comme étant l’écho de toute conscience libre. C’est pour cette raison que le malfaiteur ne revendique pas son statut de malfaiteur. Toute conscience a une dimension d’obligation. « Chaque moment où j’ai conscience de quoi que ce soit, et où je fais quoi que ce soit, il y a une sorte de réquisition qui va au-delà du réel, et qui fait que l’action que je veux faire comporte une sorte de contrainte intérieure qui est une dimension de la conscience »[305].Il y a un élan naturel qui pousse tout être humain vers le bien. Cet élan, qui se confond avec l’être de l’homme, est l’obligation morale ou la vertu.
On fait le bien non seulement pour soi, mais aussi pour tous. Sartre fait cet aveu : « Toute conscience me paraît […] à la fois comme se constituant elle-même comme conscience et, dans le même temps, comme conscience de l’autre et comme conscience pour l’autre, ayant un rapport avec l’autre, que j’appelle conscience morale »[306]. La conscience morale implique la liberté qui cible le pour-autrui comme fin et non comme moyen. Dans ces conditions, je me vois dans l’autre, l’autre se voit en moi et nous voyons l’humanité en tous.
On n’est pas loin de l’utilitarisme dont le principe central est rappelé par Guillaume Badoual en ces termes : « Une action est moralement bonne si elle a pour conséquence d’augmenter la somme de satisfaction du grand nombre »[307].Sartre reconnaît qu’il a, dans L’Être et le Néant, laissé chaque individu trop indépendant d’autrui. Il va alors rectifier sa position : « Toujours autrui est là et me conditionne »[308]. Il est clair qu’à mon tour, je le conditionne et que nous sommes tous conditionnés par la conscience morale ou l’idée de vertu.
En somme, si l’expérience des situations sartriennes définit la liberté comme choix, tous les choix s’expriment sur fond de vertu. Cela veut dire que la liberté s’exerce comme une autorégulation et une autocensure.
CONCLUSION
L’expérience des situations annonce une liberté consubstantielle à la vertu. Telle est la teneur des rapports entre la liberté et la vertu chez Sartre. Il faut entendre, par là, le fait que la liberté et la vertu partagent la même substance, c’est-à-dire le manque ou la finitude. Le sujet libre et le sujet vertueux se présentent tous deux comme des êtres finis qui aspirent à la plénitude. Leur différence réside en ceci : Le sujet libre aspire à la plénitude de l’être tandis que le sujet vertueux n’aspire qu’à la plénitude du bien.
En fin de compte, la vertu est la situation avec laquelle la liberté doit absolument compter pour viser la plénitude de l’être. Elle est la situation essentielle des situations de la liberté sartrienne, c’est-à-dire qu’elle traverse toutes les structures de la situation. Que dois-je faire ? Cette maxime de l’Antiquité doit impérativement inspirer notre agir : « Chaque fois qu’on se porte à l’action, cette action elle-même est-elle juste ou injuste, et est-elle l’œuvre d’un homme bon ou mauvais »[309] ?
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RHÉTORIQUE ET ÉTHIQUE CHEZ PLATON
N’goh Thomas KOUASSI
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
La démocratie triomphante au Ve siècle avant J.-C. avait favorisé la naissance de la rhétorique à Athènes. Dans cette cité démocratique, pour gagner la faveur du peuple ou pour défendre avec persuasion n’importe quelle cause, il fallait avoir la puissance de la parole. L’éducation rhétorique s’imposait à tous les citoyens, jeunes et adultes. Mais, Platon rejette la rhétorique sophistique qu’il qualifie d’immorale du fait qu’elle privilégie la flatterie. Pour lui, il est nécessaire de faire un usage éthique du langage orienté vers la connaissance de la vérité. Cette vérité que Platon appelle alètheïa est détenue exclusivement par le philosophe dialecticien à qui revient la gouvernance de la cité idéale.
Mots-clés : Alètheïa, Éthique, Flatterie, Langage, Philosophe dialecticien, Rhétorique.
ABSTRACT :
The triumphant democracy in 5th century BC had favored the birth of the rhetoric in Athens. In this democratic city, to gain the favor of the people or to defend with persuasion any cause, it was necessary to have the power of the word. The education rhetoric was imperative upon all the citizens, the young people and the adults. But, Plato rejects the sophistic rhetoric which he considers as immoral because she favors the flattery. For him, it is necessary to make an ethical use of the language directed to the knowledge of the truth. This truth which Plato calls alètheïa is exclusively detained by the philosopher dialectician to whom returns the governance of the ideal city.
Keywords : : Alètheïa, Ethics, Flattery, Language, Philosopher dialectician, Rhetoric.
INTRODUCTION
Le Ve siècle avant J.-C. qui a vu naître Platon est aussi l’époque de la démocratie triomphante où s’épanouissent la libre pensée et un mode d’éducation nouveau qui est la rhétorique sophistique. Cette perspective se justifie dans la mesure où dans cette démocratie, pour gagner la faveur du peuple et pour défendre efficacement son opinion sur n’importe quel sujet à l’Assemblée, au Tribunal ou au Conseil, il fallait avoir la puissance de la parole. Pour les Grecs, tout citoyen devait être en mesure de bien parler en public. Cela était indispensable à quiconque avait pour ambition de faire une carrière politique. Il fallait savoir parler en public, c’est ce qui importait pour le grand nombre. Ainsi, la démocratie a fait du langage un instrument de propagande, un art d’éloquence et de persuasion grâce auquel tout citoyen athénien pouvait faire valoir son indépendance et s’imposer dans la cité. Dès lors, dans des écoles qui étaient pour la plupart payantes, la rhétorique était enseignée aux adolescents. D’illustres professeurs de la rhétorique parmi lesquels Protagoras, Gorgias, Prodicos et Hippias enseignaient aux enfants l’art des beaux discours.
Cependant, si l’enseignement de la rhétorique suscitait une grande affluence dans la cité d’Athènes, on peut noter que ce nouveau mode d’éducation ne rencontrait pas toujours l’assentiment de tous. Pour la tradition platonicienne, la rhétorique sophistique, définie comme l’art des beaux discours, est totalement contraire à l’éthique, c’est-à-dire la morale, car elle apparaît comme un art de séduction médiocre et de flatterie, loin de la vérité. Cet art qui fait la propagande du mensonge est tout simplement démoralisant pour les adolescents. C’est pourquoi, toute sa vie, Platon critique la rhétorique en réfutant les idées immorales qu’elle défend. Mais comment d’une surestimation de la rhétorique, on en arrive à sa critique voire sa dévalorisation chez Platon ? En quoi l’éducation rhétorique apparaît-elle comme un danger pour les jeunes ? Dans une approche platonicienne, n’est-il pas nécessaire de faire un usage éthique du langage orienté vers la connaissance de la vérité ?
L’intention fondatrice de notre étude est de montrer que, chez Platon, le langage doit être utilisé à une fin éthique, c’est-à-dire qu’il doit être un vecteur de vérité. Pour ce faire, nous relèverons d’abord, les critiques qui justifient la réfutation platonicienne de la rhétorique, à savoir celles qui dénoncent l’immoralisme ou le danger que représente l’éducation rhétorique, et celles qui décèlent dans l’emploi poétique des mots une évocation d’images et d’illusions. Ensuite, nous montrerons que l’approche platonicienne du langage est essentiellement éthique. Car, pour Platon, le langage est un vecteur de vérité au service du philosophe dialecticien à qui revient la gouvernance de la cité idéale.
I- CRITIQUE PLATONICIENNE DE LA RHÉTORIQUE
La tradition platonicienne condamne la rhétorique en tant qu’idéologie de la démocratie. Platon considère, en effet, ce mode d’éducation nouveau comme un ‘’ savoir encyclopédique̋ vide de contenu, sans autres objets réels que les mots. Il est, à ses yeux, un simple savoir-faire favorisant la flatterie et la démagogie. Un tel savoir, fait de séduction médiocre et de mensonge, lui apparaît immoral et démoralisant pour les adolescents, les citoyens adultes et les politiques.
A- Le danger d’une éducation rhétorique : l’immoralisme
Platon fut incontestablement l’un des premiers philosophes de son époque à critiquer l’éducation rhétorique dans la cité démocratique d’Athènes. La raison principale est que l’éducation rhétorique est démoralisante pour les adolescents, mais aussi pour les autres citoyens et les politiques du fait qu’elle privilégie la flatterie et la démagogie. Dans son ouvrage, Les Grands sophistes dans l’Athènes de Périclès, Jacqueline De Romilly faisait, à ce propos, cette remarque : « Le fait est qu’à Athènes, dans le dernier quart du Ve siècle avant J.-C., on voit apparaître une crise grave, au cours de laquelle chacun s’autorise de la critique sophistique. Les divers auteurs contemporains, Euripide, Thucydide, Aristophane, et un peu plus tard Platon, en apportent le témoignage indiscutable »[310].
Dans la cité démocratique d’Athènes, en effet, les sophistes sont des maîtres d’école, des professeurs rémunérés qui fréquentent les palestres, les institutions, se promènent sous les portiques pour apprendre aux jeunes gens, mais aussi aux adultes et aux leaders politiques, les techniques des beaux discours et les enseignements de leurs talents. Ce nouveau mode d’éducation convient à une cité démocratique, car dans la démocratie nouvelle, pour devenir archonte ou stratège, il faut savoir gagner la faveur du peuple souverain et donc séduire les foules. L’éclat de la parole est le but de la nouvelle éducation. Il faut savoir parler à n’importe quel moment, sur n’importe quel sujet. Il faut faire en sorte que tous ceux à qui les maîtres de la parole donnent ces enseignements aient des connaissances variées, un arsenal d’arguments prêts à servir, assez d’adresse pour les adapter au public. Le souci du sophiste, « c’est d’être capable de produire de bonne et belle façon un discours qui emporte la persuasion devant un tribunal, devant le conseil, devant n’importe quelle autorité »[311].Ces propos d’Hippias signifient que l’objet de l’éducation rhétorique est le beau discours. Il faut apprendre aux citoyens et aux politiques, les techniques de la parole pour qu’ils puissent produire de beaux discours, séduire les foules et flatter le peuple.
Pour Platon, une telle connaissance qui ne s’accompagne pas d’un savoir véritable, c’est-à-dire d’un savoir éthique susceptible d’éduquer l’âme des jeunes ne mérite pas d’être enseignée dans une cité qui se veut être vertueuse. Autrement dit, la rhétorique sophistique n’est pas un vrai savoir parce que son but n’est pas de former les citoyens à la vertu, mais bien plutôt de leur enseigner les techniques du bavardage. Comme l’écrit Platon : « Il n’y a qu’un nom à lui donner, celui de bavardage »[312]. On comprend pourquoi, face à son interlocuteur Gorgias, Socrate disait que « la rhétorique est la conviction qui permet de croire sans savoir »[313]. Ce propos de Socrate confirme le fait que la rhétorique sophistique est un semblant de savoir, probablement un faux savoir qui n’a aucun contenu moral. Elle est un savoir encyclopédique vague, sans autres objets réels que les mots. Autrement dit, la rhétorique sophistique n’est rien d’autre qu’un assemblage de verbes et de faux discours, un verbalisme creux qui n’a aucune utilité éthique. Elle se définit uniquement par « la flatterie »[314]. Selon Socrate, « la rhétorique est une activité naturellement habile. Une telle activité, pour le dire en un mot, je l’appelle flatterie »[315]. Pour lui, la rhétorique est donc une espèce de flagornerie, c’est-à-dire un art de tromperie et de mensonge.
Dès lors, vouloir enseigner un tel savoir fait de mensonge et de flatterie aux adolescents et aux politiques, serait une pire manière de les pervertir. C’est la raison pour laquelle, Socrate et Platon combattent l’enseignement rhétorique qu’ils qualifient d’enseignement immoral. L’analyse d’Olivier Reboul va dans ce sens. Pour lui, la rhétorique est un art contradictoire qui, lorsqu’il est extrêmement poussé, peut courir aux pires immoralismes. À ce propos, il écrit que le rhéteur ou le sophiste « enseigne à partir de la technique éristique, l’art de triompher dans une discussion contradictoire. Cet art, extrêmement poussé, n’hésite pas à courir aux pires sophismes »[316]. Le pire sophisme dont parle Olivier Reboul peut se comprendre comme le pire mensonge qui rampe dans la bouche des sophistes et qu’on retrouve aussi chez les politiciens véreux. À cet effet, Barbara Cassin fait remarquer qu’« il s’agit d’une rhétorique sophistique, flatterie qui se glisse sous le masque de la législation »[317]. En clair, la rhétorique sophistique qui se glisse sous le masque d’une législation n’est rien d’autre que la démagogie politicienne qui sévit dans les institutions de l’État tels que les Tribunaux, l’Assemblée souveraine et le Conseil.
Malheureusement, l’une des conséquences de l’éducation rhétorique à Athènes est la corruption de ces institutions par la démagogie politicienne. Cela n’est guère surprenant dans la mesure où l’objectif réel de l’éducation rhétorique dans la cité démocratique d’Athènes est de préparer les adolescents et tous les autres citoyens à être d’habiles politiciens. Dans la démocratie, la rhétorique est un puissant moyen d’influence et de pouvoir. Il faut avoir la puissance de la parole, c’est-à-dire être des « forts en gueule »[318] pour plaire aux auditoires ou pour l’emporter sur l’adversaire. À ce propos, George Kerferd écrit : « Les institutions d’une cité grecque démocratique présupposaient que le citoyen fût capable de parler en public, ce qui était indispensable à quiconque avait des ambitions de faire une carrière politique. La capacité d’exprimer clairement ses idées en sorte de persuader un auditoire était un art qui s’apprenait et s’enseignait »[319]. Ces propos indiquent que la rhétorique est effectivement une idéologie de la démocratie. Dans les institutions démocratiques, la rhétorique privilégie la démagogie et le mensonge.
En effet, la manipulation rhétorique des Assemblées, des Tribunaux et des Conseils était nécessaire pour masquer la vérité et l’emporter sur l’adversaire. La condamnation à mort de Socrate par la démocratie athénienne en est un exemple. En réalité, Socrate a été victime de la démagogie politicienne. Abel Jeannière écrit à ce propos que « le peuple s’est laissé entraîner et l’assassinat politique, résultat d’un amalgame provisoire d’opinions, devient possible quand la démocratie vire à la démagogie »[320]. Le procès de Socrate devant plus de 501 juges, et devant tous des sophistes présumés, atteste combien la vie politique à Athènes était hantée par le mensonge et la démagogie. C’est ce que soutient Claude Mossé : « La démocratie athénienne n’a cessé de se désagréger pour se confondre dans l’ensemble, connoté négativement dans les écoles philosophiques des démagogues »[321].Dans une cité démocratique où la démagogie est toute puissante, le mensonge l’emporte toujours sur la vérité.
Platon indique à ce propos ceci : « Ces éducateurs-là, ces sophistes, quand ils échouent à persuader par la parole, ils châtient par la dégradation civique, par la confiscation des biens et par la mort celui qu’ils ne parviennent pas à convaincre »[322]. Cela nous amène à penser que la condamnation à mort de Socrate était un acte prémédité. Car, en réalité, ceux qui ont organisé le procès savaient que le mensonge allait l’emporter sur la vérité. Ainsi, l’immoralisme des magistrats-sophistes, c’est-à-dire le pire mensonge qu’ils professaient dans les Tribunaux, a fini par l’emporter sur l’éthique de la parole. La remarque d’Aristote est édifiante à cet effet : « Vu l’effondrement de la parole politique, gangrenée par une démagogie que nul ne sait discriminer, vu encore la disqualification grandissante de la parole intellectuelle (…), la pensée devrait se donner la tâche de réinvestir la vaste dimension d’une éthique de la parole publique »[323]. Cette réflexion d’Aristote signifie que l’usage qu’on fait de la parole doit être essentiellement éthique. Telle fut l’intention de Platon, à savoir faire un usage éthique du langage. C’est la raison pour laquelle, il s’oppose à toutes les idéologies rhétoriques qui pervertissent la vie politique et sociale.
En somme, l’éducation rhétorique dispensée par les sophistes est perverse et n’a aucune autre référence que les mensonges et les intérêts des politiciens. Un tel savoir qui n’est rien d’autre qu’un art de la flatterie et de la démagogie politicienne, est simplement démoralisant non seulement pour les adolescents, mais aussi pour tous les autres citoyens et les politiques.
B- La rhétorique et l’emploi poétique des mots : les mots évocateurs d’images et d’illusions
La rhétorique n’a d’autres objets réels que les mots. Cela signifie que le discours rhétorique est fait de vains mots puisque, en réalité, ces mots qu’emploie le rhéteur ou le sophiste ne sont pas destinés à dire la vérité, mais à séduire uniquement les foules et à mentir.
En ce sens, on peut dire que les sophistes utilisent les mots dans un sens purement rhétorique, c’est-à-dire qu’ils ont recours à un langage fait de beaux mots et de belles phrases, mais qui, en réalité, sont vides de contenus. En effet, le sophiste ne s’inquiète de rien d’autre que de contrôler les mots, d’avoir une parfaite maîtrise des mots qu’il emploie. Car, son souci n’est pas tant la vérité qu’il cherche à atteindre, mais l’impression que les mots peuvent éveiller chez les auditeurs. Les sophistes ou les rhéteurs sont donc plus attentifs aux sensations et aux plaisirs qu’éprouvent les hommes en les écoutant parler.
Appréhendé sous cet angle, on peut dire que le travail de la pensée rhétorique consiste à mettre les mots en rapport avec les sentiments, d’où le caractère poétique que revêt le discours rhétorique. À ce propos, Gilbert Romeyer écrit : « Le discours sophistique, bien qu’il soit exprimé en prose, fait néanmoins partie de la poésie »[324]. Pour lui, il n’y a pas de doute, le discours rhétorique a un caractère poétique parce que les beaux mots et les belles phrases qu’emploient les rhéteurs servent plus à séduire les hommes qu’à exprimer la vérité.
C’est la raison pour laquelle, les sophistes, se comportant comme des poètes, habillent les mots de toutes sortes de séductions, se cachent sous des fabulations pour exprimer un monde de rêve et d’imagination, loin de la réalité. En ce sens, on peut indiquer que « l’œuvre de la poésie est donc de créer l’illusion, illusion parce que cette œuvre n’est pas conforme au réel »[325]. Aussi, dirait-on que « l’art du sophiste est une illusion »[326].
En effet, Gilbert Romeyer montre bien que l’œuvre de la poésie est de créer l’illusion. Ce qui veut dire que la poésie est un art bien éloigné du vrai parce qu’elle nous plonge dans un monde de rêve et de fiction. Dès lors, si la rhétorique prend la forme de la poésie qui est un art d’illusion, il est tout à fait évident qu’elle se comporte comme cette dernière, c’est-à-dire comme un art qui nous plonge dans un monde de rêve et de fiction. Par son éloquence et par la subtilité de son verbe, le sophiste arrive à faire partager un monde de rêve et d’images qu’il crée. Il fait renter le profane dans un monde de beauté sans doute, mais un monde mensonger. Voilà pourquoi, Socrate et Platon font la guerre aux sophistes et aux poètes, car leurs œuvres consistent à créer des images et des illusions, loin de la réalité. Dénonçant le caractère illusionniste de la rhétorique Socrate, s’adressant à Gorgias, affirme: « La rhétorique a l’air d’être un art, mais j’ai de bonnes raisons de penser qu’elle n’est pas un art, rien qu’un savoir-faire, une routine »[327]. Pour lui, la rhétorique sophistique nous égare parce qu’elle est une espèce de simulacre, c’est-à-dire un art délibérément trompeur. Le sophiste ou le rhéteur ne se contente pas seulement de séduire les auditeurs par son discours, mais il veut encore les introduire dans un monde qui est le sien, à savoir un monde d’images et d’illusions.
C’est ce qu’indique cette analyse de Romeyer : « L’illusion est donc essentiellement le fruit du langage poétique qui agit sur l’auditeur de façon à le suggestionner »[328]. Ainsi, lorsque le sophiste ou le rhéteur parle, il fait de telle sorte que les auditeurs restent influencés par son discours qui découle de ses illusions. Du coup, non seulement ceux qui l’écoutent parler ne sont pas en contact avec la réalité dont ils ne rencontrent qu’une image déformée, mais, de plus, ils se retrouvent dans un monde d’illusions et de mensonges. C’est aussi dire que, l’usage poétique du langage amplifie la rhétorique sophistique qui, finalement, nous plonge dans un monde d’illusions, loin de la réalité. De fait, dans la cité athénienne, les maîtres de la rhétorique influencent les enfants avec leurs connaissances remplies de digressions dans les écoles. Les enfants sont formés à la lecture des sophistes et des poètes. Ainsi, « le maître fait apprendre par cœur ces œuvres remplies de digressions, d’éloges, où sont exaltés les antiques héros, afin que l’enfant, pris d’émulation, les imite et cherche à se rendre pareil à eux »[329].Mais, Platon pense que l’âme qui s’écarte de la connaissance de la vérité est une âme laide. « Ainsi donc, on doit affirmer que l’âme qui ne raisonne pas est laide et sans mesure »[330]. Autrement dit, « une âme déraisonnable, il faut admettre qu’elle est disgraciée et difforme »[331]. Pour Platon, l’âme de ces enfants à qui l’on enseigne la rhétorique sophistique est une âme déraisonnable et pervertie, c’est-à-dire qu’elle est une âme dépourvue de moralité. Dès lors, on peut dire qu’ « il n’est pas juste, il est même absurde de parler d’un esprit sophistique, d’une morale sophistique »[332].
En somme, l’usage poétique du langage amplifie la rhétorique sophistique. Un tel savoir qui n’entretient que le mensonge et les illusions et qui, de surcroît, éloigne l’âme des enfants de la vérité, Platon l’appelle perversité et ignorance. Pour lui, il est donc temps de faire du langage un usage éthique orienté vers la connaissance de la vérité.
II- PLATON ET L’USAGE ÉTHIQUE DU LANGAGE
En réfutant la rhétorique sophistique qu’il considère comme un art de la flatterie et une connaissance immorale, Platon entend faire un usage éthique du langage orienté vers la connaissance de la vérité. Pour ce faire, la méthode socratique du dialogue est la mieux indiquée pour amener les âmes à découvrir elles-mêmes la vérité. Aussi, faut-il dire que le philosophe dialecticien dont l’âme contemple sans cesse l’Intelligible est le seul apte à détenir la vérité et à pouvoir en faire bon usage dans la cité idéale qu’il gouverne.
A- L’acquisition de la vérité par la méthode socratique du dialogue
Platon rejette l’opinion selon laquelle le langage serait un instrument rhétorique. Selon lui, le maniement rhétorique du langage, dans les discours publics, n’assure que la séduction et la flatterie. Si la lutte contre les rhéteurs et les sophistes a été particulièrement virulente, c’est parce que ceux-ci ont fait du langage un instrument rhétorique pour déformer la vérité et nous en donner une image caricaturale. Pour Platon, l’usage qu’on fait du langage doit changer. Le but du langage doit être la vérité. Comme le dit Abel Jeannière : « Le langage n’est pas pour lui un outil pour acquérir le pouvoir, il est un instrument au service de la vérité »[333]. En effet, dire que le langage a pour but la vérité, c’est faire du langage un instrument de connaissance. Car, connaître, c’est être capable de dire ce qu’est dans sa nature spécifique la chose dont on parle, ce qui distingue vraiment cette chose de toutes les apparences. La rhétorique sophistique que condamne Platon n’est pas un instrument de connaissance parce qu’elle ne dit pas la vérité des choses.
Ainsi, le rhéteur et le sophiste ne disent pas la vérité des choses parce qu’ils ne retiennent que leur apparence, ils ne connaissent pas l’essence des choses et ils ne s’en forment que des opinions. À ce propos, Luc Brisson écrit : « La plupart des hommes qui rencontrent de telles choses ne pensent pas, et même après les avoir étudiées, ils ne les connaissent pas, mais se forment des opinions à leur sujet »[334]. C’est le cas de tous ces jeunes athéniens à qui les rhéteurs et les sophistes apprennent leurs connaissances flatteuses. En réalité, les rhéteurs et les sophistes forment l’âme de ces jeunes à se nourrir d’illusions, car ils n’arrivent pas à établir une distinction claire entre l’apparence qui est l’objet de l’opinion fausse et la vérité qui est l’objet propre du savoir. C’est la raison pour laquelle, Platon n’a jamais partagé l’enseignement rhétorique et sophistique. Il s’en est dissocié et il a pris pour référence « la méthode socratique du dialogue »[335], comme une méthode d’éducation par excellence qui met en place les conditions nécessaires auxquelles l’âme humaine doit se soumettre pour parvenir à la vérité et acquérir ainsi la science. Cette méthode repose, sur cette conviction inébranlable, à savoir que l’âme humaine est capable de connaissance et de vérité.
Sur cette base de conviction, Platon a reçu de son maître Socrate une méthode pour permettre à l’âme humaine d’accéder à la vérité : c’est la méthode du dialogue par questions et réponses, encore appelée la maïeutique, méthode qui permet la réfutation des opinions fausses dans la recherche du savoir. Contrairement aux prétentieux sophistes et rhéteurs qui vantaient leur grandiloquence dans des écoles, Socrate n’avait point d’école. Il n’enseignait pas dans un lieu fermé et ne publia point de livres. Son enseignement fut une perpétuelle conversation. C’est avec Socrate, homme doué d’un bon sens et d’une sagesse aiguisée et passionnée, que la jeunesse curieuse d’Athènes allait comprendre ce que parler voulait réellement dire, car il savait toujours donner à la conversation un contenu moral. En ce sens, l’analyse de Luc Brisson montre qu’à travers la conversation par questions et réponses, Socrate s’appliquait à purifier l’âme de ses interlocuteurs des opinions fausses pour les conduire au savoir vrai et à la vérité. À ce propos, Luc Brisson écrit :
« Le dialogue est une discussion ou une conversation par questions et réponses brèves au cours de la laquelle Socrate s’applique à purifier l’âme de ses interlocuteurs de ses opinions fausses pour les conduire à un aveu d’ignorance sur le sujet dont il est question. Ces opinions fausses sont celles du grand nombre, de la tradition, des poètes, des sophistes et rhéteurs, et même des savants. Soumis à l’interrogatoire socratique, l’interlocuteur finit par prendre conscience que toutes ces opinions tournent en rond et ne cessent de mouvoir comme les statues de dédale »[336].
En effet, il faut indiquer que la plupart des interlocuteurs de Socrate étaient des citoyens d’Athènes, des hommes politiques, mais aussi et surtout des sophistes et des rhéteurs qui avaient toujours cru tout savoir sur tout sujet. Mais, comme l’indique le passage ci-dessus de Luc Brisson, Socrate fait comprendre à ces sophistes et rhéteurs, par la réfutation de leurs opinions fausses, qu’ils ne savent rien et ils finissent par le reconnaître eux-mêmes. Ainsi, la méthode de réfutation est l’arme de Socrate pour amener les sophistes et les rhéteurs à un aveu d’ignorance. Tel est l’aveu d’Euthyphron à Socrate au cours d’une recherche sur la définition de la piété : « Mais, Socrate, je ne sais pas pour ma part de quelle façon te dire ce que j’ai à l’esprit, car ce que nous avons proposé tourne en quelque sorte autour de nous, sans répit, et ne consent pas à demeurer là où nous l’avons fixé »[337]. Cette incapacité d’Euthyphron à définir la piété révèle que, le fait de disposer d’un art oratoire ne signifie pas qu’on sait tout. Les sophistes et les rhéteurs sont, certes, éloquents mais, leurs connaissances ne se limitent qu’aux opinions fausses et aux apparences. C’est la raison pour laquelle, lorsque Socrate demande à Gorgias de définir la rhétorique qu’il pratique, ou à Hippias de définir le beau, à Protagoras et à Ménon de dire ce qu’est la vertu, ou encore à Calliclès de définir la justice, tous ont échoué à donner des définitions exactes.
Mais, par la réfutation, Socrate les débarrasse de leurs opinions fausses qui font obstacle aux vraies connaissances. Par la réfutation, Socrate purifie l’âme des sophistes et des rhéteurs en la débarrassant de ses opinions fausses et en l’amenant à découvrir la vérité qu’elle sait juste, mais qu’elle ignore. Marcel Détienne indique à ce propos que, « quand la réflexion philosophique découvre l’objet propre à sa recherche, (…) elle organise son propre champ conceptuel autour d’une notion centrale : Aléthéia ou Vérité »[338]. En ce sens, on peut dire que Socrate a organisé sa propre méthode pour conduire l’âme de ses interlocuteurs au savoir et à la vérité. À cet effet, Aristote recommandait ceci : « Laissons de côté les autres genres de discours : leur examen est plutôt l’œuvre de la rhétorique ou de la poétique »[339]. Pour lui, l’enseignement par le dialogue socratique est plus authentique et original, car il aide l’âme à accoucher elle-même de la vérité. « Aies bien à l’esprit ce qui a trait aux accoucheuses, sans rien omettre de ce que cela englobe, et tu comprendras plus facilement ce que je veux que tu comprennes »[340], disait Socrate à son interlocuteur Théétète. Dès lors, le dialogue devient un exercice de la maïeutique de la part du maître qui dirige la conversation. Socrate, contrairement aux sophistes et aux rhéteurs, se révèle donc comme un accoucheur des âmes des vérités dont elles sont grosses, des vérités contenues en elles.
Ainsi, c’est à travers la méthode socratique du dialogue que l’éducation de l’âme à l’acquisition de la vérité s’effectue véritablement. Avec cette méthode qui conduit l’âme à accoucher d’elle-même de la vérité, nous découvrons ce que parler veut dire réellement chez Platon. À travers la conversation par questions et réponses, l’âme parvient à se purifier elle-même et à découvrir l’essence de la vérité. La méthode socratique du dialogue s’oppose donc à toute rhétorique sophistique, car elle est accoucheuse de vérité.
B- Le philosophe dialecticien, seul apte à détenir la vérité
Il y a une différence entre la philosophie et la rhétorique ou entre le philosophe et le rhéteur. La philosophie se distingue de la rhétorique et de tous les modes de connaissance du même genre en ce sens qu’elle est la science par excellence, c’est-à-dire ce savoir qui rend l’âme capable de découvrir l’essence de la vérité. Le rhéteur et le sophiste ne sont pas dignes de foi parce qu’ils ne connaissent pas l’essence de la vérité. Ne connaissant pas l’essence de la vérité, ils ne retiennent que les apparences des choses et ils ne forment que des opinions fausses à leur sujet. C’est pourquoi, le langage rhétorique et sophistique est fait de mensonges et de contre-vérités. Contrairement au sophiste et au rhéteur dont le savoir est fondé sur les apparences sensibles et les opinions fausses, le philosophe, quant à lui, fonde ses connaissances sur la science, car il est un dialecticien dont l’âme a atteint l’Intelligible. « Le philosophe est le seul qui atteint l’être des choses, leur réalité véritable, leur vérité, et se distingue ainsi du rhéteur, du sophiste, du poète dont le savoir est fondé sur le sensible »[341], écrit Luc Brisson. Et si pour Platon, le philosophe est le seul qui puisse dire la vérité, c’est simplement parce que, seule, son âme a la capacité d’accéder à l’essence même de la vérité dans le monde intelligible. La vérité se situant dans l’Intelligible, seul le philosophe dialecticien dont l’âme a contemplé l’essence des choses possède la vérité absolument. Dans le monde intelligible, « l’âme aperçoit la réalité, et (…) dans cette contemplation de la vérité, elle trouve sa nourriture et son délice, (…) elle contemple la justice en soi, elle contemple la sagesse, elle contemple la science »[342].
En effet, à travers ce passage, il faut comprendre que la recherche de la vérité n’est pas impossible. La science qui permet à l’âme humaine de découvrir l’essence de la vérité est la dialectique. C’est par la dialectique ascendante que l’âme du philosophe va progresser du monde sensible vers la contemplation amoureuse de la vérité dans le monde intelligible. Après son ascension progressive vers l’Intelligible, l’âme du dialecticien se retrouve devant la vérité qui est pure, sans mélange, toujours identique à elle-même dans l’unicité de sa forme. Dans le monde intelligible, l’âme du philosophe touche à la vérité pure, elle se trouve en contact avec la vérité divine. L’expression « alètheïa, en tant que vérité est le divin mouvement de l’être »[343]. Ce qui veut dire que, l’âme du philosophe est en contact avec la vérité divine, étant entendu que cette alètheïa dont parle Platon, on ne la trouve que dans le monde intelligible. Ainsi, la dialectique ascendante permet à l’âme du philosophe d’être en contact avec le vrai. « Il y a une science des sciences. Je l’appelle dialectique qui est l’intellect distinguant le faux du vrai »[344], soutient Platon. Autrement dit, c’est la dialectique qui permet au philosophe d’avoir une connaissance parfaite des choses. Elle est la science propre au philosophe lui permettant d’accéder à la vérité pure.
C’est pourquoi, chez Platon, la vérité est au service exclusif du philosophe. En ce sens, les portraits du philosophe à travers les dialogues de Platon montrent, à l’évidence, qu’il n’est ni l’homme ordinaire, ni le rhéteur, ni le sophiste, ni le poète, ni le démagogue politicien. Les portraits du philosophe révèlent que celui-ci est un dialecticien, un homme vertueux, qui détient la vérité absolue et qu’il est à même de l’exprimer clairement. C’est ce que soutient Anne Cauquelin : « Il revient aux philosophes, en toute exclusivité, de faire usage de la parole-logos, la proposition, et donc de dire la vérité »[345]. D’ailleurs, Platon n’a jamais dissocié la dialectique du dialogue, comme le montre l’usage des dialogues socratiques.
Par ailleurs, si Platon présente le philosophe dialecticien comme l’homme vertueux qui détient le monopole de la vérité, c’est aussi en vue de son projet de société. Si le philosophe détient la vérité absolue, c’est qu’il est un homme honnête et digne de confiance. Il est donc un homme de référence à qui doit revenir la gestion du pouvoir d’État. C’est pourquoi, Platon pense que, seul le philosophe doit gouverner la cité idéale, car, connaissant déjà l’essence de la vérité, il est évident qu’il s’y appliquera. Olivier Postel-Vinay écrit à ce propos que « l’homme qui ne sait pas, inévitablement commet des fautes, y compris sur le plan moral. Sa conduite fautive le rend malheureux, lui et ses proches. S’il exerce une autorité politique, c’est la cité qu’il rend malheureuse »[346]. En d’autres termes, si celui qui exerce l’autorité politique n’a aucune connaissance de l’essence de la vérité, il est évident qu’il gouvernera dans le mensonge. Le mensonge politique ou la démagogie politicienne est l’arme des dirigeants qui n’ont aucune connaissance de l’essence de la vérité. Ils s’en servent comme un instrument du pouvoir politique pour tromper le peuple.
Or, un peuple à qui l’autorité politique ment est un peuple malheureux, car il ne saura jamais ce que sont la transparence et la justice. N’oublions pas, en nous inspirant de l’histoire de la démocratie athénienne au IVe siècle avant J.-C., que Socrate a été victime de la démagogie politicienne. Le complot politique a fait triompher le mensonge de la vérité et, Socrate a été injustement assassiné par la démocratie athénienne. L’histoire retiendra que c’est la démocratie politicienne, c’est-à-dire la politique démagogique et mensongère des dirigeants athéniens qui a tué Socrate et qui a rendu toute la cité malheureuse. Car, « il est impossible qu’on soit heureux quand l’excellence morale fait défaut »[347]. C’est donc pour éviter que les citoyens soient malheureux que Platon confie la gouvernance de la cité idéale au philosophe-roi. Connaissant l’essence de la vérité et vertueux, un tel dirigeant ne mentira jamais au peuple. Bien au contraire, il dira la vérité sur tout ce qui concerne la vie publique de sorte à créer un climat de confiance et de paix entre le peuple et lui. Ainsi, il gouvernera dans la transparence et dans la justice. Son langage de vérité unira forcément son peuple, dans la mesure où « c’est dans le langage que les hommes s’accordent »[348].
En somme, la vérité est au service exclusif du philosophe parce qu’il est le seul dont l’âme connaît l’essence de la vérité. Le philosophe étant un modèle d’homme vertueux qui connaît l’essence de la vérité, c’est à lui que doit revenir la direction de la cité idéale. Car, l’excellence morale ne lui faisant aucun défaut, il gouvernera dans la vérité, la transparence et la justice pour le bonheur du peuple.
CONCLUSION
Il convient de retenir que Platon rejette la rhétorique pour diverses raisons. D’abord, la rhétorique sophistique se présente comme un art de séduction médiocre et de flatterie. Un tel art qui ne fait que la propagande du mensonge et du beau discours, sans autres objets réels que les mots, est simplement démoralisant pour les adolescents. Ensuite, la rhétorique est une pratique dangereuse lorsqu’elle prend la forme de la démagogie politicienne. Dans la cité athénienne, les autorités politiques qui étaient des maîtres de la rhétorique ont fini par tromper l’opinion publique en tuant injustement Socrate. Enfin, en prenant la forme de la poésie, la rhétorique nous plonge dans un monde d’images et d’illusions loin de la vérité.
Pour toutes ces raisons, Platon disqualifie la rhétorique qu’il considère comme une connaissance immorale. Pour lui, l’usage qu’on fait du langage doit changer. Il recommande de faire du langage un usage éthique orienté vers la connaissance de la vérité. Pour ce faire, Platon propose l’éducation des âmes par la méthode socratique du dialogue. À travers le dialogue par questions et réponses, l’âme humaine parvient à se purifier elle-même et à découvrir l’essence de la vérité. La méthode socratique du dialogue ou la maïeutique est donc accoucheuse de vérité. Aussi, chez Platon, le philosophe dialecticien est seul apte à détenir la vérité, car son âme connaît l’essence de la vérité. C’est pourquoi, c’est à lui exclusivement que doit revenir la gouvernance de la cité idéale. Étant un homme vertueux auquel l’excellence morale ne fait aucun défaut, il gouvernera dans la vérité, la transparence et la justice pour le bonheur du peuple.
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TRANSFUSIONS SANGUINES ET RESPONSABILITÉS ÉTHIQUES : EXPÉRIENCES IVOIRIENNE ET QUÉBÉCOISE
Marcel N’dri KOUASSI
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
L’amélioration des chaînes transfusionnelles exige un accompagnement moral des politiques de sang et une formation des différents acteurs en éthique. Pour optimiser cet accompagnement et cette formation en éthique, il importe d’examiner et de renforcer l’éthicité des mandats des structures qui interviennent dans les chaînes transfusionnelles. Pour contribuer audit renforcement, cette étude se propose d’examiner l’usage du versant anticipateur et prospectif du principe de responsabilité éthique au sein des politiques de sang au Québec et en Côte d’Ivoire. En élucidant les conditionnalités d’un usage efficient du principe de responsabilité au sein de ces chaînes transfusionnelles, cet article approfondit les fondements de l’agir rationnel, raisonnable, prudentiel et donc responsable au sein des systèmes de sang, et renforce, par la même occasion, les idées de la biovigilance et de médecine préventive.
Mots-clés : Agir prudentiel, Biovigilance, Chaîne transfusionnelle, Mandats, Principe de précaution, Responsabilité éthique,Responsabilité sociale.
ABSTRACT :
Improving transfusion chain requires moral support for blood policy and ethics training of different actors. To optimize this support and ethics training, it is important to evaluate and strengthen the ethicality of the mandates of the structures involved in the transfusion chain. To contribute to that strengthening, this study will examine the use of anticipatory and forward slope of the principle of ethical responsibility in the blood policy in Quebec and Côte d’Ivoire. By elucidating the conditionalities of efficient use of accountability within these transfusion chains, this paper deepens the fundamentals of rational acting, reasonable, prudential and therefore responsible among blood systems and supports, at the same time, the ideas of biomonitoring and preventive medicine.
Keywords : Prudential Act, biomonitoring, transfusion chain, Money, Precautionary Principle, ethical responsibility. Social responsibility.
INTRODUCTION
Les politiques de santé publique en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest francophone, sont confrontées à de réels défis au nombre desquels la question des transfusions sanguines. On assiste, pour diverses raisons, aux pénuries récurrentes des poches de sang, aux contaminations virales ou bactériennes, aux trafics (commercialisations illicites) de sang et à une relative absence d’intégrité et de transparence au sein des chaînes transfusionnelles. Cela est davantage visible en Côte d’Ivoire, un État au système de santé des plus enviables de la sous-région. Quant au Québec, quoi que la chaîne transfusionnelle soit très performante, la question des responsabilités éthiques, dépendantes de l’environnement juridique, ne trouve pas toujours une réponse globale, unifiée et prospective. Chaque structure de la chaîne transfusionnelle est soumise à sa propre normativité éthique, inspirée des normes nationales et internationales. Et pourtant, les éthiques du futur et le principe de responsabilité, dans la perspective jonassienne, en appellent à un usage anticipateur, prospectif et global de la responsabilité éthique. Cet usage, souhaité, est de nature à transformer les règles de précaution et de prévention en principes éthiques, universalisables, voire universels.
Dans le but d’améliorer les systèmes de transfusion du sang dans l’intérêt des populations, il est nécessaire d’entreprendre une étude[349] comparative des chaînes transfusionnelles ivoirienne et québécoise, en vue d’examiner et d’étendre/mutualiser l’éthicité des mandats des structures qui interviennent dans ces deux systèmes, à partir du concept de responsabilité.
Le préalable à l’étude des enjeux éthiques des mandats est, sans nul doute, le rappel des contextes sanitaires dans lequel interviennent les différentes structures. Indiquons, à cet effet, qu’après le scandale du sang contaminé dans les années 1980 et 1990 au sein des grandes puissances (France, États-Unis, Australie, Allemagne, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni, Chine, Canada), ces États ont accru et optimisé le contrôle, la surveillance de leur chaîne transfusionnelle, allant du donneur au receveur. Dans cette optique, le système de gestion du sang et les responsabilités juridiques qui y sont associées, au Québec, par exemple, semble poursuivre un but, voire un idéal digne d’intérêt.
Mieux réorganisé[350] au début des années 2000, le système canadien[351] de gestion de sang a clarifié et précisé les mandats des différents acteurs ou structures qui interviennent dans la collecte, la fourniture et la sécurisation ou la surveillance des risques liés aux transfusions sanguines. Ces mandats laissent entrevoir les responsabilités des professionnels du sang. Au cœur de ces responsabilités, celle qui semble directement ou indirectement fonder les autres est la responsabilité éthique sans laquelle toute perception de la responsabilité humaine demeure superficielle et incomplète. Cependant, le talon d’Achille du système transfusionnel québécois nous parait être la conception sectorielle[352] et non unifiée des principes éthiques de la chaîne transfusionnelle.
Quant au contexte ivoirien, il est différent de celui du Québec. La Côte d’Ivoire n’ayant pas subi la crise du sang contaminé, le relatif développement de son système de sang est lié à la pandémie du VIH-SIDA et aux nombreuses demandes des populations. En l’absence d’une crise locale majeure, les consciences ne perçoivent pas toujours les responsabilités éthiques qui doivent féconder les mandats des différents acteurs de la chaîne transfusionnelle. D’où l’absence/inexistence d’une conceptualisation ou d’une précision réelle de la dimension éthique des responsabilités au cours de la définition des mandats des différentes structures et des missions des professionnels du sang.
Au regard des faiblesses sus indiquées, nous postulons la nécessité d’un examen critique des enjeux éthiques des mandats des différentes structures des systèmes de sang québécois et ivoirien. Cette affirmation résulte du questionnement suivant : comment le principe de responsabilité est-il perçu, interprété et mis en œuvre dans l’agir quotidien des professionnels du sang ? Comment unifier, universaliser ces principes en vue de l’amélioration optimale des chaînes transfusionnelles du Québec et de la Cȏte d’Ivoire ?
Les réponses à ces interrogations exigent que notre étude soit articulée autour de trois activités fondamentales ou majeures : la compréhension des différentes acceptions du principe de responsabilité en contexte transfusionnel (i), la présentation structurelle et fonctionnelle des systèmes de sang québécois et ivoirien (ii) et l’examen des enjeux éthiques de leurs mandats (iii).
I- LES ACCEPTIONS DE LA RESPONSABILITÉ EN CONTEXTE TRANSFUSIONNEL
L’objectif de cette réflexion n’est pas de répertorier les multiples[353] acceptions et usages du mot responsabilité. Une telle étude, bien qu’intéressante pour la culture philosophique générale, n’est pas opportune. Il est, ici, question de comprendre comment l’idée de responsabilité est perçue par les différents acteurs des chaînes transfusionnelles. En échangeant[354] avec les professionnels des systèmes du sang, nous observons que ceux-ci développent deux grandes perceptions de la notion de responsabilité : la première acception est juridique et la seconde est morale/éthique.
1- La perception juridique de la responsabilité en contexte transfusionnel
Les professionnels de la chaîne transfusionnelle, happés par la nécessité fonctionnelle des États modernes et des structures au sein desquelles ils sont employés, ne se laissent diriger ou déterminer, en général, que par les lois. Le code civil/pénal ou les règlements intérieurs deviennent les boussoles essentiels de l’agir individuel et collectif. D’où le primat accordé au principisme et au déontologisme. Même, l’éthicité des codes de déontologie et de l’éthique médicale est, dans une relative proportion, subordonnée aux exigences du droit positif. Par exemple, pour améliorer la qualité de l’environnement social et humain de la chaîne transfusionnelle ivoirienne, les acteurs se sont limités à une définition/précision des responsabilités juridiques. En témoigne la loi 93-672 du 09 août 1993qui, dit-on, vise à protéger le donneur et le receveur de sang et à lutter contre les abus et toute forme de trafic.
Ainsi, les acteurs du système du sang ne perçoivent, d’abord, la responsabilité que sous l’angle de l’obligation de répondre[355], d’assurer et d’assumer les conséquences de leurs actes. Dans cette logique, l’interprétation de la responsabilité se fait dans le sens de celle qui intervient après coup. La manifestation tardive de la responsabilité nous rappelle l’envol de la chouette de Minerve qui ne commence qu’au crépuscule, c’est-à-dire lorsqu’un moment de l’histoire s’est déjà accompli. Aussi, faut-il indiquer que la responsabilité est, ici, perçue dans le prisme du droit positif. Ses versants sont les responsabilités administrative[356], pénale[357] et civile[358].
D’une manière générale, l’homme moderne, « fondu dans la masse, semble préférer se laisser conduire par l’État (les lois) et par la science, en qui il a déposé toute sa confiance »[359]. Dans ce contexte où l’agir est inspiré par la règle de droit, le bien devient synonyme du permis et le mal renvoie à ce qui est interdit. Il est alors difficile d’envisager une initiative éthique personnelle ou collective qui serait suscitée par un sentiment de bienfaisance ou de compassion autre que celui régenté par la normativité juridique. Or, pour que la perception juridique s’oriente vers une dimension éthique véritable, il est nécessaire que l’intentionnalité qui sous-tend l’agir des acteurs inspire l’acception d’une extension de la responsabilité. Celle-ci doit épouser la courbe du temps, à savoir le passé, le présent, et le futur. C’est la conscience d’une responsabilité futuriste, prospective qui fonde l’éthique du futur et les grands principes intergénérationnels. La responsabilité doit s’étendre aussi aux actions non intentionnelles.
En d’autres termes, la problématisation de l’intentionnalité doit être de nature à élargir la conscience du sujet juridique qui doit être capable de répondre des conséquences de ses actes non-intentionnels, d’autant plus que « une faute, même non intentionnelle […] est de nature à engager la responsabilité pénale de celui qui est l’origine du dommage, mais également de ceux qui, à des degrés divers, de près ou de loin, y ont contribué »[360]. Si la sanction peut résulter d’une faute non-intentionnelle, il est alors indispensable que les acteurs fassent leurs les deux autres types de responsabilités : celle, sociale, qui nous conduit à réfléchir à la qualité de nos action avec autrui (responsabilité sociale) et celle autre qui anticipe les risques potentiels de l’action. Par delà la responsabilité liée à l’action non-intentionnelle, il convient d’envisager la gestion éthique des risques potentiels, résiduels de toute action en contexte transfusionnel. L’idée des risques potentiels permet de recourir au principe de précaution qui exige une biosécurité et une biovigilance accrues. L’enjeu est de ne pas mettre intentionnellement ou non intentionnellement en danger de la vie des patients.
La Loi sur Héma-Québec et sur le Comité de Biovigilance[361], qui définit la mission de ces structures favorise prioritairement l’interprétation de la notion de responsabilité dans une perspective juridique. Selon cette loi,
« Héma-Québec a pour mission d’assurer aux établissements de santé et de services sociaux du Québec et à la population un approvisionnement suffisant en sang et en produits et constituants sanguins. Plus particulièrement, sa mission consiste notamment :
1° à développer et mettre en application des normes de qualité et de sécurité rigoureuses, afin de mériter la confiance du public et des personnes qui recevront les produits distribués;
2° à recruter des donneurs de sang et de plasma et à établir des partenariats avec ceux-ci et les organisateurs bénévoles de collectes;
3° à être responsable de la collecte du sang et du plasma;
4° à assumer la gestion des dossiers des donneurs de sang et de plasma dans le respect de normes de qualité, de sécurité et de confidentialité rigoureuses;
5° à traiter et transformer les produits recueillis;
6° à être responsable de la conservation, de la distribution et de la gestion des stocks provinciaux »[362].
Les mots responsables et assumer suggèrent l’idée d’accomplir une action et de répondre des conséquences positives et/ou négatives qui pourraient en découler. Fort heureusement, cette interprétation n’est ni restrictive, ni exclusive. Le « respect de normes de qualité, de sécurité et de confidentialité rigoureuses »[363], inscrit dans le mandat d’Héma-Québec, augure d’une acception ou compréhension éthique de la responsabilité.
2- La responsabilité éthique
La règle de régie[364] du Comité d’Éthique de la Recherche de Héma-Québec pose les jalons d’une culture des responsabilités éthiques prospectives, fussent-elles à l’échelle sectorielle. Cette règle exige :
« de procéder à l’évaluation éthique de tout projet de recherche nécessitant la participation d’êtres humains ou l’utilisation de matériel biologique humain effectué à Héma-Québec ou en collaboration avec d’autres institutions (…) Le CÉR (Comité d’Éthique de la Recherche) a la responsabilité d’évaluer la conformité des projets de recherche aux règles éthiques, d’en assurer le suivi éthique et de veiller à la protection des droits, de la sécurité, et du bien-être de tous les Participants dans les projets de recherche. Le CÉR est également le promoteur actif des principes directeurs des règles d’éthique de la recherche, notamment ceux décrits dans l’Énoncé de politique : le respect de la dignité humaine ; le respect du consentement libre et éclairé ; le respect de la vie privée et des renseignements personnels ; le respect de la justice et de l’intégration ; l’équilibre des avantages et des inconvénients ; la réduction des inconvénients ; l’optimisation des avantages. Le CÉR a le pouvoir d’approuver, de modifier, d’interrompre ou de refuser tout projet de recherche qui relève de son autorité et qui n’est pas conforme (…) »[365].
La responsabilité éthique, perceptible dans cette règle de régie, s’inscrit dans une double logique : l’une, conséquentialiste et l’autre, anticipatrice. Ces deux logiques font expressément allusion aux grands principes de la bioéthique, notamment « le respect de la justice et (…) l’équilibre des avantages et des inconvénients, la réduction des inconvénients, l’optimisation des avantages »[366]. Pour mieux appréhender l’importance de ces principes, en contexte transfusionnel, rappelons ce qu’est l’éthique et son rôle.
Globalement, l’éthique[367] renvoie à l’ensemble des réflexions sur les principes, les normes et les valeurs morales. Elle est aussi l’ensemble des études qui portent sur les grandes conceptions du bien, du juste dans nos rapports avec autrui. Elle tente de clarifier les situations embarrassantes et les dilemmes, en vue d’y proposer les solutions qui protègent le mieux possible la vie et la dignité humaines. Pour y parvenir, l’éthique tente de répondre aux questions suivantes : Quelle est la valeur la plus importante ou pertinente dans la situation présente ? Quelle est la meilleure décision éthique dans les circonstances actuelles ? Quelle est la portée de nom agir et quels sont les valeurs, principes et normes qui le fondent et le justifient objectivement ? L’éthique a, alors, pour but de déterminer non pas les valeurs les plus motivantes, sur le plan subjectif, mais celles qui peuvent justifier rationnellement notre action, celles qui constituent de bonnes raisons d’agir dans un sens ou dans l’autre. L’éthique permet de déterminer les valeurs qui constituent des raisons d’agir acceptables par l’ensemble de la société. Face aux tentations quotidiennes, aux situations dilemmatiques, l’éthique fait appel à l’intégrité qui est une qualité, une aptitude de l’esprit bienveillant. C’est fort de cette conviction que le Code de déontologie des infirmières et infirmiers du Québec,définissant les devoirs inhérents à l’exercice de la profession, indique clairement que :
«10. L’infirmière ou l’infirmier doit s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité (…)
11. L’infirmière ou l’infirmier ne doit pas abuser de la confiance de son client (…)
12. L’infirmière ou l’infirmier doit dénoncer tout incident ou accident qui résulte de son intervention ou de son omission.
L’infirmière ou l’infirmier ne doit pas tenter de dissimuler un tel incident ou accident.
Lorsqu’un tel incident ou accident a ou peut avoir des conséquences sur la santé du client, l’infirmière ou l’infirmier doit prendre sans délai les moyens nécessaires pour le corriger, l’atténuer ou pallier les conséquences de cet incident ou accident (…)
13. L’infirmière ou l’infirmier ne peut s’approprier des médicaments ou autres substances, notamment des stupéfiants, une préparation narcotique ou anesthésique ou tout autre bien appartenant à une personne avec laquelle il est en rapport dans l’exercice de sa profession (…)
41. Lorsque l’obligation d’obtenir un consentement libre et éclairé incombe à l’infirmière ou à l’infirmier, ce dernier doit fournir au client toutes les informations requises »[368].
Il est aussi évident que l’intégrité exige la transparence/traçabilité, le professionnalisme, le respect de l’autonomie du patient, de son droit à l’information et autant que possible de ses croyances. Le Code de déontologie des membres de l’Ordre professionnel des technologistes médicaux du Québec rappelle cette même exigence comme-suit : « Le technologiste médical doit avoir une conduite irréprochable. Il doit, notamment, agir avec courtoisie, dignité, modération et objectivité »[369]. La conscience de toutes ces responsabilités éthiques impose aux acteurs la fidélité à leurs engagements/serments, l’honnêteté, la lucidité face aux conflits d’intérêt et la sérénité face aux tentations éventuelles.
Enfin, en contexte transfusionnel, l’agir éthique est inséparable de la recherche de la sécurité transfusionnelle. Pour une meilleure compréhension/ illustration de cette idée de sécurité transfusionnelle en lien avec les responsabilités des professionnels de la chaîne transfusionnelle, esquissons, dès à présent, une présentation des structures qui interviennent dans les systèmes de sang québécois et ivoirien.
II- PRÉSENTATION[370] DES SYSTÈMES DE SANG QUÉBÉCOIS ET IVOIRIEN
1- Présentation du système de sang du Québec
Le système de sang au Québec est assez complexe. Il fait intervenir plusieurs structures et acteurs. Pour démêler sa complexité, examinons les organigrammes ci-après.
Source : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/sang/
L’observation attentive de cet organigramme indique que ce sont, au moins, vingt deux entités qui interviennent dans la chaine transfusionnelle du Québec. Aux plans structurels et fonctionnels quotidiens, ces entités sont articulées comme suit.
Source : Organigramme (simplifié), document de travail à Héma-Québec et disponible sur le net.
L’analyse de cet organigramme permet d’affirmer qu’en définitive ce sont six principales structures qui cordonnent la chaîne transfusionnelle. Parmi ces six structures, seuls Héma-Québec, les hôpitaux et le Comité de biovigilance sont régulièrement sollicités pour produire, sécuriser, contrôler et transfuser le sang. Disons quelques mots de chacune des structures.
Héma-Québec
Au Québec, cette structure a une fonction centrale, déterminante : elle collecte le sang, ‘’produit’’ et veille à la qualité scientifique des poches de sang. En outre,Héma-Québec fournit le sang aux hôpitaux, conformément à sa mission. Celle-ci indique clairement qu’Héma-Québec est responsable[371] ‘’de la collecte du sang et du plasma, de la gestion des dossiers des donneurs de sang et de plasma dans le respect des normes de qualité, de la sécurité et de confidentialité rigoureuses, du traitement et de la transformation des produits recueillis, de la conservation, de la distribution et de la gestion des stocks provinciaux’’[372].
Entité chargée de collecter les dons de sang, Héma-Québec est en contact direct avec l’ensemble des donneurs. Sa politique markéting vise à éveiller, chez ceux-ci, la conscience et l’importance d’une éthique sociale qui fonde la solidarité humaine. Aussi, Héma-Québec s’efforce-t-il de disposer de moyens techniques, informatiques et biochimiques pour offrir aux populations des opportunités de don de sang.
Cette même mission est détaillée par la Règle de Régie[373] du Comité d’Éthique de la Recherche d’Héma-Québec en ces termes : Le Comité d’Éthique de la Recherche (CÉR) d’Héma-Québec doit ‘’ évaluer la dimension éthique des projets de recherche ; veiller au respect de la sécurité et au bien-être des participants à la recherche, promouvoir les règles éthiques (respect de la dignité humaine, respect du consentement libre et éclairé, respect de la vie privée et des renseignements confidentiels, respect de la justice et de l’intégration, l’équilibre des avantages et des inconvénients, réduction des inconvénients et l’optimisation des avantages « d’approuver ou modifier, d’interrompre ou refuser, de faire le suivi des projets de recherche’’[374].
Au regard de ces missions, il n’est pas erroné de penser qu’Héma-Québec est la structure principale du système de sang au Québec. Ses efforts, en vue de fournir des produits sanguins de qualité, sont optimisés par ceux duComité de Biovigilance.
Comité de Biovigilance
Le souvenir tragique de l’affaire du sang contaminé impose désormais au système du sang du Québec de produire des poches de sang de qualité irréprochable et accessible à tous. D’où l’obligation d’une surveillance et d’une protection/sécurisation accrues de la chaîne transfusionnelle. Dans ce contexte, le Comité de Biovigilance doit ‘’maintenir, développer et protéger le système des donneurs bénévoles, assurer l’accessibilité à tous aux produits sanguins et à leurs dérivés et substituts, de la même manière que pour les autres produits et services offerts par le système de services de santé et de services sociaux’’. Cette vision est bien perçue, appréhendée par les principaux acteurs qui ont une conscience avérée de la délicatesse du système transfusionnel. Aussi indiquent-ils qu’aucune transfusion sanguine n’est anodine et sans risques potentiels.
Hôpitaux
Si Héma-Québec a pour rôle de collecter le sang, de le traiter et de le mettre à la disposition des hôpitaux, il revient aux structures hospitalières d’en faire des usages de qualité, raisonnable et responsable. Dans cette perspective, les actes transfusionnels qui se déroulent au sein des hôpitaux exigent assez de vigilance, de rigueur et de professionnalisme. C’est pour ces raisons que le mandat[375] du Comité Consultatif de la Médecine Transfusionnelle consiste à formuler des recommandations sur « les normes et les pratiques transfusionnelles, le respect des critères et les paramètres qui assurent et garantissent la qualité des pratiques transfusionnelles »[376]. Cette mission se précise avec les recommandations du Code de déontologie des infirmières et infirmiers. Ainsi, dans l’exercice de son métier qui prend en compte l’acte transfusionnel, l’infirmière ou l’infirmier doit agir selon des principes et normes éthiques précises, d’autant plus que la santé et la vie en dépendent. Les infirmiers ou les infirmières ont pour mandat de : « s’acquitter de leurs obligations professionnelles avec intégrité (…) respecter le principe de consentement, ne pas abuser de la confiance des patients »[377]. Ces exigences éthiques s’appliquent aussi au technologiste médical du Québec qui doit, selon son mandat : ‘’ s’acquitter de ses obligations professionnelles avec compétence, intégrité et en fonction de l’intérêt de ses clients, agir avec courtoisie, dignité, modération et objectivité, doit avoir une conduite irréprochable’’[378]. En somme, les hôpitaux perçoivent leur responsabilité en matière de transfusion sanguine : leurs mandats et codes de déontologie en font mention. Toutefois, cette perception rétrospective.
Ministère de la santé et des services sociaux du Canada
Autorité régulatrice, le Ministère de la santé et des services sociaux du Canada joue un rôle déterminant dans la politique de santé des populations et du système du sang.À ce titre, « le Ministère a pour mission de maintenir, d’améliorer et de restaurer la santé et le bien-être des Québécoises et des Québécois en rendant accessibles un ensemble de services de santé et de services sociaux, intégrés et de qualité, contribuant ainsi au développement social et économique du Québec. En fonction de sa mission, le rôle premier du Ministère est de pourvoir au bon fonctionnement du système de santé et des services sociaux du Québec »[379]. Cette responsabilité est plus administrative, générique que concrète ou éthique. Toutefois, la mission du Ministère de la santé et des services sociaux du Canada suppose une conscience précise de la nécessité d’améliorer et de restaurer la santé de la population. C’est cette conscience qui laisse entrevoir la responsabilité éthique de ce Ministère. La prise en charge du bien-être des populations, en tant que préoccupation majeure, appelle l’élaboration d’un cadre, certes juridique, mais aussi éthique. C’est l’éthicité de cette mission ministérielle qui influence et impacte celle des autres structures.
Santé Canada
Quant à Santé Canada, sa fonction consiste à ‘’prévenir et réduire les risques pour la santé individuelle et pour l’ensemble de l’environnement, promouvoir des modes de vie plus sains, assurer la prestation de services de santé de grande qualité, efficaces et accessibles, intégrer au renouvellement du système de soins de santé des plans à long terme de prévention, de promotion et de protection de la santé, réduire les inégalités dans le domaine de la santé au sein de la société canadienne, fournir de l’information sur la santé afin d’aider les Canadiennes et les Canadiens à prendre des décisions éclairées’’[380]. Cette fonction est éclairée par la volonté gouvernementale de faire de Santé Canada « l’ultime palier de responsabilité quant aux décisions concernant la : sécurité de l’approvisionnement en sang des territoires et provinces de notre pays, sauf le Québec (…) En vertu de ses attributions de réglementation, il analyse également les tendances nationales et internationales concernant la gestion et la sûreté du sang. Le ministère fédéral de la santé est secondé par le Conseil national de la sûreté du sang. Ce dernier lui fait part de recommandations concernant les questions relevant de ses compétences »[381]. Les responsabilités de santé Canada excèdent le cadre québécois des transfusions sanguines. Elles se noient dans une multitude d’obligations sanitaires et sociales.
Mais, en lien avec la question du sang, il est fait mention d’œuvrer à la qualité, à la sécurité et à la fiabilité du sang du Canada. Cette exigence ne saurait être réalisée sans un recours aux principes et valeurs éthiques. Avant d’explorer cette exigence, examinons le mode d’organisation de la chaîne transfusionnelle ivoirienne.
2- Présentation du système ivoirien des transfusions sanguines
Le système Ivoirien des transfusions sanguines est centralisé autour du Centre de Transfusion Sanguine (CNTS) en connexion avec les Hôpitaux et le Comité de Biovigilance.
Centre National de Transfusion Sanguine[382] (CNTS)
Créé en 1958, le CNTS est le producteur exclusif des produits sanguins en Cȏte d’Ivoire. Son statut et son environnement juridique actuels furent définis respectivement en 1991 (décret n° 91-653 du 09 octobre 1991) et en 1993 (loi 93-672 du 09 août 1993). Le CNTS est soumis à une double tutelle ministérielle, celles en charge de la Santé et de l’Économie et des Finances.
Le CNTS a pourmissions le ‘’prélèvement du sang en vue de la constitution de banque de sang, Analyse totale et contrôle du sang prélevé, Transport du sang sur toute l’étendue du territoire, Approvisionnement en produits sanguins des différentes formations sanitaires, Fabrication des dérivés du sang. Le CNTS participe à la formation du personnel médical et des agents de santé. Le CNTS participe aux études et recherches relatives à l’utilisation du sang et à l’amélioration des soins’’[383]. Cette mission du CNTS canalise celle de ses sous-structures qui forment un réseau. En effet, le réseau du CNTS est composé de quatre types de sous-structures que sont les Centres de Transfusion Sanguine[384], les Antennes de Transfusion Sanguine[385] , les sites de prélèvements[386] et les Banques de sang hospitalières[387].
Quotidiennement, le CNTS doit répondre à une multitude de sollicitations. C’est pour cette raison qu’il est structuré comme suit.
Sources : Document de travail reçu au CNTS de Bouaké
Ces différentes sous-structures sont reparties sur l’ensemble du territoire ivoirien. En témoigne la carte ci-après.
Les hôpitaux
Sources : Document de travail reçu au CNTS de Bouaké |
Dans le contexte médical ivoirien, les principaux utilisateurs des produits sanguins sont les structures sanitaires au sein des Établissements Publics Nationaux ou confessionnels, les Hôpitaux Généraux, les Centres Hospitaliers Régionaux, les Formations Sanitaires Urbaines, les Centres Hospitaliers universitaires ou les Structures et Cliniques Privées. L’agir des professionnels (médecins transfusionistes et les infirmiers et techniciens spécialistes de ce domaine) de ces entités est orienté par les principes juridiques, les valeurs éthiques générales qui s’appliquent à toutes les professions en Cote d’Ivoire. En dehors de ces dispositions générales, ils ne peuvent s’en remettre qu’à l’éthique médicale ou celle des soins infirmiers.
Le Comité de Biovigilance
Pour assurer la sécurité transfusionnelle, le système de sang ivoirien s’est doté d’un comité d’hémovigilance (Comité de Sécurité Transfusionnelle et d’Hémovigilance). Ce comité est ‘’chargé de résoudre les problèmes sécuritaires qui se posent à la chaine transfusionnelle. Il définit les stratégies sécuritaires et scientifiques qui lui paraissent déterminants pour assurer un système de qualité. En d’autres termes, le Comité de Sécurité Transfusionnelle et d’Hémovigilance a une fonction de veille, de surveillance de la chaîne transfusionnelle de la Côte d’Ivoire. Ce Comité est composé de ‘’médecins prescripteurs, infirmiers ou sage femmes, représentant de l’administration hospitalière, responsable du laboratoire, représentant du centre de transfusion sanguine, pharmacien et assistant social’’[388]. La responsabilité des membres du Comité de Sécurité Transfusionnelle est en rapport avec les activités de l’ensemble des structures et sous-structures du CNTS et des hôpitaux, d’autant plus que sa mission consiste à réaliser « la traçabilité des PSL du donneur au receveur (et vis versa) en incluant toutes les étapes de préoccupations de contrôle et de conservation, à assurer l’information et le suivi des patients transfusés, et le signalement de l’analyse des incidents, et ou accidents transfusionnels »[389].
III- EXAMEN DES ENJEUX ÉTHIQUES DES MANDATS
1- Des mandats du système québécois
Tous les mandats ou missions de la chaîne du sang convergent. Ils concourent à construire un système de sang d’une qualité optimale, respectant les normes de l’Organisation Mondiale de la Santé. Tous les textes sont conçus dans le but de rendre accessible à tous les poches de sang qui sont toujours disponibles. Cette disponibilité permanente des produits sanguins, qui ne sont pas vendus aux patients, témoigne du respect du principe de l’égal accès aux soins, de la dignité et de la vie humaine.
Mais, hormis les mandats respectifs du comité de biovigilance et du comité éthique de la recherche d’Héma-Québec, les autres dispositions favorisent plus une interprétation juridique qu’éthique de la responsabilité. Même, lorsque les mandats évoquent les valeurs et les principes éthiques, ils ne se donnent pas les moyens épistémologiques et conceptuels d’une interprétation prospectiviste et anticipatrice de la responsabilité. Tout se passe comme si être responsable, c’est répondre des conséquences (néfastes) d’une action ayant causé du tort aux patients. Cette perception/interprétation de la responsabilité ne favorise pas les initiatives éthiques personnelles, d’une part, et n’encourage pas le développement d’une culture du respect des principes de précaution, d’autre part. En outre, l’omniprésence de la responsabilité juridique en lien avec les conséquences de l’agir des professionnels de la santé ne favorise que des actions influencées par le déontologisme et le principisme.
Dans cette perspective, toute situation nouvelle, tout dilemme éthique inédit devient quasi-insurmontable, dans la mesure où son évaluation (sous l’angle du principe de bienfaisance) est potentiellement polémique. En effet, comment s’assurer de ne pas nuire, en aucune façon, aux patients ? Comment se convaincre du respect absolu de la règle qui nous demande ‘’de maximiser les avantages et de minimiser les dommages face à une situation inédite’’ ?
Pour étendre ou orienter la conscience des responsabilités vers le futur, il est indispensable d’envisager des mandats qui clarifient les enjeux éthiques de l’agir prudentiel, préventif.
L’idée de prévention, à laquelle nous associons volontairement celle de précaution, demande/exige de l’anticipation, de la prospection. En contexte transfusionnel, la culture de l’anticipation ou de la précaution peut être fondée ou suscitée par la mise en évidence ou la prise en compte de l’éventualité des risques de dommages que les professionnels sont susceptibles de faire courir aux patients.
2- Du mandat du système ivoirien de sang
Sous l’impulsion de la communauté internationale, la Côte d’Ivoire a intériorisé l’idée que la santé des populations est un droit. En conséquence, l’État prend progressivement conscience de la nécessité et de l’urgence de bâtir un système de santé fiable et efficace. Le faisant, il délègue des responsabilités juridique et éthique aux différentes structures de sa chaîne transfusionnelle. Ces responsabilités, telles que mentionnées dans le Manuel National de transfusion Sanguine, Volume1[390], conduisent à favoriser une culture de la solidarité, du respect de la dignité humaine. C’est pour cette raison que « le don est porté par des idéaux de solidarité et de fraternité »[391]. Le traitement, le stockage et la distribution des produits sanguins font appel, à l’image du système du Québec, à plusieurs dispositions éthiques dont l’altruisme, le volontariat et le bénévolat.Ces dispositions sont en connexion avec l’éthique sociale, notamment celle de la solidarité.
Toutefois, quoi qu’officiellement le sang n’est pas vendu en Cote d’ivoire, il existe des coûts de session, conformément aux recommandations suivantes.
L’existence des coûts de cession et leurs variations portent une grave atteinte aux enjeux de la responsabilité éthique et aux principes éthiques tels que l’égal accès aux soins et la protection des personnes (économiquement) vulnérables. En Côte d’Ivoire, la pauvreté est endémique. Elle concerne plus de la moitié de la population. Dans ces conditions, imposer un coût de cession des poches de sang aux populations constitue un obstacle an-éthique à la politique de santé pour tous. En effet, ne pas créer les conditions économiques d’un égal accès aux soins, c’est en partie ouvrir la boîte de Pandore du non-respect de l’éthique sociale qui fonde la solidarité nationale. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de concevoir une autre politique économique qui favoriserait la gratuité des produits sanguins.
Par ailleurs, au regard des populations, la ‘’commercialisation’’ des produits du corps humain et de ses dérivés est contraire à l’idée même du don de sang. C’est cette incompréhension qui freine l’élan des populations qui voudraient bien participer au don de sang. De plus, la politique des coûts de session engendre le trafic du sang. Ce trafic constitue un véritable phénomène : Il est impossible de décrire le système du sang ivoirien sans que les patients et leurs parents ne fassent mention des trafics qui s’y déroulent. Des témoignages font état des ventes parallèles de poches de sang par des infirmiers. En effet, les poches de sang non transfusées, pour cause de décès des patients, sont gardés par devers certains agents qui les proposent aux nouveaux malades.
On assiste, aussi, à deux autres pratiques. La première est l’existence des coûts de cession exorbitants[392] et fantaisistes dans plusieurs structures sanitaires privées. La seconde concerne la flambée des prix des poches de sang en cas de pénuries réelles, supposées/simulées. On caricature ces pratiques néfastes en les assimilant à une ruée vers l’or rouge. De telles pratiques sont de nature à remettre en cause les efforts réels du CNTS.
CONSIDÉRATIONS FINALES
L’étude de la place et de l’importance de la responsabilité éthique au sein des systèmes de sang ivoirien et québécois atteste que la prise en charge des questions éthiques suscitées par les transfusions sanguines est déterminante, indispensable à l’émergence d’une culture transfusionnelle de qualité. C’est fort de ce constat que nous faisons les recommandations et suggestions suivantes aux différents systèmes.
Par rapport au système de transfusion sanguine du Québec, nous recommandons l’élaboration d’une charte québécoise des transfusions sanguines. Celle-ci aura pour avantage de dégager une vision commune, globale et unifiée de la compréhension de la responsabilité éthique sous-jacente aux activités des différents acteurs. Car, en dépit de la diversité des fonctions des différents acteurs de la chaîne transfusionnelle, l’enjeu est le même. Il s’agit de préserver la santé, la vie et la dignité humaines.
Par apport au système transfusionnel ivoirien, nos recommandations visent à :
- Clarifier et préciser les dimensions éthiques des différentes structures de la chaine transfusionnelle ;
- Promouvoir les valeurs d’intégrité des acteurs ;
- Initier une éthique sociale qui favorise la gratuité des poches de sang, ce qui suppose la suppression des coûts de cession ;
- Offrir plus d’opportunités aux populations qui veulent faire des dons de sang ;
- Élaborer une charte de la transfusion sanguine qui prenne en compte toutes les idées sus-mentionnées.
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Manuel National de transfusion Sanguine, Volume2, Abidjan, Édicoms (Édition et Communications), 2009.
REPENSER L’ÉCONOMIE MARCHANDE DANS LA LOGIQUE DE L’ÉCONOMIE DU DON
Charles-Grégoire Dotsè ALOSSE
Université de Kara (Togo)
RÉSUMÉ :
La question des rapports entre l’économie et l’éthique se pose aujourd’hui lorsqu’on met en synergie la mondialisation de l’économie marchande et la théorie de la reconnaissance de Paul Ricœur illustrée dans l’économie du don. L’économie marchande, par sa sacralisation de la marchandise, substitue les rapports entre les choses aux rapports entre les hommes. L’économie du don est, au contraire, l’épanouissement des rapports entre les hommes par l’intermédiaire des choses en ce que le don permet de mettre en relief la dimension symbolique des relations sociales. La dialectique éthico-économique vise à intégrer la marchandise et le don dans une perspective de la reconnaissance en vue d’humaniser les relations économiques entre les hommes.
Mots-clés : Altruisme, Économie du don, Économie marchande, Éthique, Individualisme, Reconnaissance.
ABSTRACT :
The question of the connexions between economy and ethic is asked nowadays by the putting into synergy between the word wide status of the merchant economy and the theory of recognition of Paul Ricœur illustrated in the economy of the gift. The merchant economy, by its regarding as sacred of the goods, substitutes the connexions between things to connexion between men through things by the fact that the gift allows to make conspicuous the symbolic dimension of economy. It’s proper then to integrate the goods and the gift in an ethic-economical dialectics which aims at humanizing economical relations between men.
Keywords : Altruism, Economy of gift, Market economy, Ethic, Individualism, Recognition.
INTODUCTION
La dialectique platonicienne et la praxis marxienne, entre autres, nous enseignent que la philosophie n’a pas vocation à rester théorique ; elle se doit d’être également pratique, c’est-à-dire de se préoccuper des problèmes contemporains. En s’inscivant dans cette logique, le philosophe Paul Ricœur[393] a montré que la philosophie devrait s’inscrire dans la vie de la cité. Nous entendons soumettre l’économie qui est une activité majeure de la société aux canons de la réflexion philosophique. Mettre de la philosophie dans l’économie, c’est poser la question du fondement de l’économie et de ses fins. À travers son dernier livre Parcours de la reconnaissance[394], Paul Ricœur souligne en quoi la rétribution ne peut se passer de la reconnaissance, notamment celle de l’économie du don. L’homme n’a pas seulement besoin d’être rémunéré, mais il a aussi besoin d’être dans le don dont la valence se révèle dans le désintérêt. Cela conduit Ricœur à développer une théorie de la justice dont le souci vise la reconnaissance, ce sens qui précède toujours, même s’il ne saurait bien évidemment s’y substituer, toute élaboration théorique[395].
Le monde d’aujourd’hui est lié à un système économique qui est l’économie de marché dont l’objectif déclaré est la recherche du profit. L’homo œconomicus veut profiter au maximum de ses échanges. Or profiter, c’est rechercher un avantage comparatif, un intérêt individuel. Donner, au contraire, c’est offrir gratuitement, parce que dans le don, on n’attend pas de retour. Toutefois, le don ne peut non plus épuiser toutes les attentes économiques des hommes dans un monde globalisé. Ce qu’il faut, c’est trouver une issue à l’impossibilité de se passer de la marchandise et la nécessité de donner. La question que nous posons est de savoir si par-delà le système économique du marché, l’éconmie du don n’illustre pas une certaine conception notamment éthique des relations économiques entre les hommes. Mieux encore, le don est-il une forme d’échange ? Si non, comment articuler ensemble éthique et économie ?
L’existence d’un lien indissoluble entre analyse économique et réflexion éthique peut être démontrée de plusieurs manières. De l’exploration de la double origine « mécanique » et éthique de la pensée économique[396] au simple constat du foisonnement de travaux consacrés à l’économie normative, les idées ne manquent pas pour prouver que la théorie économique ne saurait se concevoir hors de toute relation avec la philosophie morale. Notre hypothèse est que la conception de l’économie du don est une invitation à une éthique de l’économie marchande pour que la marchandise et le don puissent coexister dans une dynamique qui humanise les rapports économiques entre les hommes. Nous procéderons en trois étapes. La première est consacrée à l’économie marchande, la seconde à l’économie du don et la troisième à la médiation de la marchandise et du don pour une éthique économique de la reconnaissance.
I- L’ÉCONOMIE MARCHANDE
L’économie marchande ou l’économie de marché désigne un système économique dans lequel les agents économiques comme les entreprises ou les individus ont la liberté de vendre et d’acheter des biens, des services et des capitaux. Chacun agit alors en fonction de ses propres intérêts ; le profit, considéré dans un sens positif, y figure comme la récompense du risque. Les lois fondamentales de cette forme d’économie se résument dans la dialectique de l’offre et de la demande. Lorsqu’il fonctionne bien, le marché peut être comparé à un « calculateur géant » qui oriente les comportements des individus de manière performante et coordonne l’action de millions d’agents économiques grâce au mécanisme des prix. Le libéralisme économique découle de l’application en économie des principes philosophiques et politiques libéraux. Il estime que les libertés économiques sont nécessaires dans le domaine économique et recommande que l’intervention de l’État soit aussi limitée que possible. En faisant du marché un facteur d’émancipation, l’idéal libéral vise également à s’interroger sur les solidarités capables de donner un sens à la liberté de chacun. De ce point de vue, le libéralisme s’oppose au socialisme, aussi bien dans ses buts assignés à l’activité économique et à la vie sociale que dans sa philosophie de l’homme et de la liberté[397].
Le libéralisme économique « classique » s’est constitué, en théorie, aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous l’influence des philosophes du siècle des Lumières anglaises (Locke, Hume ou Smith) et françaises (Turgot, Condillac ou Montesquieu), entre autres. L’École néoclassique naît de la « révolution marginaliste »[398] dans les années 1870. Elle forme avec le keynésianisme l’essentiel de l’économie « orthodoxe » qui domine l’enseignement et la pratique de la discipline économique depuis le début du XXe siècle. Aujourd’hui, les idéaux du libéralisme économique sont portés par le néolibéralisme.
À la base du fonctionnement d’une économie de marché, il y a un ensemble de prix. Comme l’a fait remarquer Hayek[399], les prix sont un moyen efficace pour faire circuler les informations. Un prix représente, en effet, une synthèse des informations liées aux cas disponibles sur un bien. Toutes les caractéristiques de ce bien sont résumées en un seul nombre : son prix, qui évolue en fonction des nouvelles informations disponibles sur le bien considéré. Un prix n’est pas une donnée objective. Il reflète bien sûr les coûts de production de l’entreprise, mais aussi la valeur accordée aux produits concurrents et les goûts des consommateurs.
Le marché est traditionnellement défini comme le lieu réel ou abstrait de rencontre des offres et des demandes d’un bien ou d’un service. Il permet l’échange spontané de l’information. Dans ce jeu dialectique de l’offre et de la demande ou, comme le dit Hayek, dans cet « ordre de marché ou catallaxie »[400], les acteurs n’ont pas une connaissance globale des processus économiques, mais l’échange d’informations permet une adaptation spontanée des objectifs des uns et des autres et une série d’ajustements bénéfiques. L’économie de marché désigne ainsi un système économique où les décisions de produire, d’échanger et d’allouer des biens et services rares sont déterminées majoritairement à l’aide d’informations résultant de la confrontation de l’offre et de la demande établie par le libre jeu du marché. Cette confrontation détermine les informations de prix, mais aussi de qualité et de disponibilité. Au cœur de l’économie de marché, le mécanisme de l’offre et de la demande concourt à la découverte et à l’établissement des prix. Ce mécanisme opère par arbitrage pour un horizon donné et pour une qualité donnée entre des valeurs représentatives du bien ou du service concerné : d’une part, la valeur de son coût intrinsèque (prix de revient), mais aussi, d’autre part, sa valeur d’échange (prix relatif, c’est-à-dire le prix d’un produit ou d’un service par rapport à d’autres).
La dynamique de l’économie de marché fait intervenir également d’autres facteurs comme la concurrence et l’aptitude à la survie des acteurs dans l’activité économique. Cette dynamique propre au marché représente un facteur très positif pour la diffusion de la croissance économique et l’extension géographique des échanges dans un espace plus large, au-delà des frontières politiques des États. Roger Guesnerie le dit si bien : « À l’aune de l’esquisse qui est faite ici d’une économie de marché – des marchés appuyés sur la monnaie et le droit -, nombre d’économies historiquement datées ont droit au label d’économies de marché »[401]. Pour Fernand Braudel, les régimes de production et de répartition des biens et services ont évolué selon trois formes historiques successives[402]. La première est celle de la vie matérielle primitive où le processus d’auto-suffisance et d’auto-consommation se déroule de manière très locale, à l’échelle de l’individu, de la famille ou de petits groupes. La deuxième est celle de l’économie de marché, telle qu’elle découle des échanges rendus nécessaires par une plus grande spécialisation et une plus large division du travail : chacun produit une catégorie spécifique de biens et doit fatalement échanger avec les autres pour se procurer les biens qu’il ne produit pas et ainsi satisfaire l’ensemble de ses besoins. La troisième, enfin, est celle du capitalisme, amorcée par les entreprises de « commerce ou de négoce au long cours » et qui se financiarise inéluctablement pour engendrer un système où l’échange commercial n’est plus que le support ou le prétexte de gains financiers. Si l’homme travaille la terre, c’est un moyen de mettre en valeur ses talents en agriculture, et de même dans tous les domaines de l’activité humaine, dans l’industrie et le commerce par exemple[403].
Sans rentrer ici dans les détails de la régulation sociale par le marché, il est assez évident que dans son fonctionnement concret, le marché ne remplit qu’imparfaitement son rôle de régulation, parce que, sur de nombreux marchés, la concurrence est imparfaite. La concurrence reste la base de l’économie de marché, et à ce titre, l’un des piliers du capitalisme libéral. Mais il s’agit de plus en plus d’une concurrence monopolistique : les producteurs mettent en œuvre une stratégie de différenciation de leurs produits pour bénéficier d’une position commerciale ressemblant au monopole. Le marché peut, d’autre part, engendrer des déséquilibres économiques, sociaux et environnementaux de grandes ampleurs. Si l’on s’en tient aux déséquilibers sociaux, les inégalités qu’ils engendrent sont légion. C’est en cela que la logique de l’économie du don qui découle de l’éthique ricœurienne se révèle comme une alternative pour remédier aux exclusions sociales opérées par l’économie marchande.
II- L’ÉCONOMIE DU DON
L’économie du don est une forme d’économie sociale qui désigne les groupements de personnes, non point de capitaux, jouant un rôle économique. Elle se définit avant tout par ses statuts et regroupe les coopératives de toutes natures, les mutuelles, la plupart des associations gestionnaires, et les fondations. Cette forme d’économie tend à répondre à un contexte mondial marqué par le désengagement progressif de l’État et la montée de l’individualisme. Toutefois, cette économie solidaire doit être distinguée des formes d’économie d’insertion quand elles tendent à n’être qu’une transition vers le marchand, et de l’économie informelle qui n’assure que la survie des acteurs. L’économie du don est le support profond de l’échange entre les individus. Elle fonde les bases de l’activité sociale et contribue à la production de normes sociales.
Marcel Mauss, le fondateur de l’ethnologie française, la découvre à l’origine des sociétés premières. Dans son Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques[404], le don repose sur la triple obligation de « donner, recevoir, et rendre ». Le don fonctionne grâce au pouvoir quasi spirituel qui est propre à l’objet donné. Sans la croyance des donataires en cette force, le don n’existe pas ou ne peut-être perçu comme tel par ceux qui le reçoivent. L’échange peut consister en un « pseudo-don », un « don pour recevoir » : le donateur donne pour gagner ultérieurement, dans le cadre d’une offre supposant une obligation de contrepartie immédiate ou différée sous la forme de dette ou de prestation ou un « vrai don », « don pour donner » un don sans contrepartie exigée ou attendue explicitement par le donateur.
Mauss voit dans le don une modalité particulière de circulation des richesses dans les sociétés traditionnelles. L’étude faite du potlach, pratiqué par les Indiens du Canada et du Nord des États-Unis, illustre cette conception. Cette pratique peut coexister dans ces sociétés avec d’autres formes d’échanges, comme les échanges réalisés sous forme de troc ou même avec l’échange monétaire. Dans le cadre de relations sociales où se produisent des « dons » auxquels peuvent répondre des « contre-dons », se jouent non seulement la problématique des relations entre individus, mais aussi celle du statut social dans la tribu et entre tribus.
Le don est particulièrement mis en avant dans le judaïsme, dans le christianisme et dans beaucoup d’autres religions. Dans l’Ancien Testament, la dîme était une exigence de la loi selon laquelle tous les Hébreux devaient donner 10 % de ce qu’ils avaient gagné et avaient cultivé au Temple[405]. Dans le Nouveau Testament, on peut lire : « Que chacun donne comme il l’a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie »[406]. Dans la religion islamique, l’aumône est un des piliers majeurs. La Zakat, troisième pilier de l’Islam, recommande que le musulman calcule chaque année lunaire (hégire) le montant proportionnel à ses avoirs et de le donner aux plus pauvres dans son pays de résidence. Cette aumône est considérée comme un droit des pauvres de prélever dans le surplus des plus riches[407].
Dans les sociétés modernes, le don est très évoqué surtout indirectement par les humanistes. Ce type d’économie subsiste majoritairement au sein des familles ou entre amis, entre voisins où les échanges de biens et de services ne sont pas comptabilisés dans le Produit National Brut (PNB). Au-delà du cercle étroit des proches, le réseau d’échanges réciproques de savoirs, le système d’échanges locaux s’inscrivent clairement dans cette culture du don et du contre-don qui a, à la fois, un rôle économique d’échange de biens ou de services, mais aussi de développement du lien social. L’éthique médicale, par exemple, postule que le corps humain ne peut être une marchandise comme une autre. Les banques de sang et autres banques d’organes humains fonctionnent grâce au don. Les donateurs ne reçoivent aucune garantie de réciprocité, sauf une compensation pour leur récupération.
Les tenants de l’économie axée sur l’échange non monétaire et du don considèrent cette dernière comme la forme sociale idéale des échanges, apte notamment à « éliminer » la pauvreté[408]. Ce mouvement serait particulièrement opportun comme le confirme l’essor parfois massif d’économies du don ou de formes d’échanges en réponse aux périodes de crise économique ou de faillite des États ; en témoignent l’émergence de circuits courts, le regain des économies parallèles, entre autres. Que signifie le don dans un monde qui marchande tout et qui voit dans la gratuité une absence de valeur ? Pourtant, sans attendre de contrepartie, le don appelle le don, et la relation se crée, les liens étant alors plus forts que les biens : le don détermine le lien social, y compris dans les échanges marchands, et constitue une condition de possibilité de l’expérience humaine.
À la différence des libéraux de son époque, Paul Ricœur ne considère pas les régimes dits communistes comme le mal absolu qu’il faut combattre. Si le philosophe conserve des « sympathies » pour les expériences soviétiques et chinoises, cela tient à leurs performances économiques, à leur gestion rationnelle et égalitaire des échanges et des ressources. Aussi Ricœur remet-il peu en cause la dimension socialiste de l’économie des régimes dits communistes ; ses réserves sérieuses portent en revanche sur la sphère proprement politique (domination, violence, bureaucratisation, etc.). Ainsi, au milieu des années 1950, le programme politique du philosophe vise à réformer politiquement les régimes dits communistes sur la base des principes du libéralisme politique tout en conservant une économie socialiste, ouvrant ainsi la voie à un « socialisme à visage humain »[409]. Réciproquement, Ricœur en appelle à une réforme des régimes dits libéraux et capitalistes sur la base des principes de l’économie socialiste, ouvrant la voie à une scission entre libéralisme politique et libéralisme économique.
Dans son Parcours de la reconnaissance, Ricœur estime que la logique du pardon relève de l’économie du don, en vertu de la logique de surabondance qui l’articule et qu’il faut bien opposer à la logique d’équivalence présidant à la justice[410]. Mais il importe de rappeler que le pardon n’abolit pas la justice. Ainsi, dans son article « La Règle d’Or en question »[411], Ricœur définit la perspective de l’économie du don, sur laquelle la religion vise à placer toute expérience, y compris l’expérience morale parce qu’elle s’exprime dans un réseau symbolique. Ricœur souligne que la bonté ressortant de l’économie du don s’attache à l’être créé en tant que tel ; il est donc présent avant toute détermination proprement morale. La Règle d’or (« ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas que l’on nous fasse »[412]) peut être considérée comme étant la maxime qui préside à la justice.
Il reste cependant que cette Règle, gouvernée par une logique de réciprocité et d’équivalence, joue la fonction d’un présupposé incontournable pour toute justification imparfaitement procédurale des normes de l’agir humain. Véritable mot de passe de l’ensemble de la philosophie normative de Paul Ricœur, qui traverse ses méditations sur la morale, le politique, la justice et le droit, la Règle d’or a bien un statut de croisement éthique et transculturel dont le fondement aspire à l’universalité. Dans la mesure où, toutefois, la Règle d’or pourrait se pervertir dans un calcul de type utilitariste, d’échanges d’intérêts bien compris, Ricœur cherche à l’infléchir par une logique du don, de l’amour ou de la surabondance (« donner à autrui sans rien attendre en retour »[413]).
Mais quel sens nouveau pourrait revêtir la Règle d’or, se demande Ricœur, si on replaçait sa fondation dans la perspective de l’économie du don et non dans l’autonomie de la liberté, selon Kant[414]. Kant, on le sait, analyse le contexte de la Règle d’or dominé par le commandement d’aimer ses ennemis, qui est lui-même un commandement supra-éthique. Or ce commandement paraît effectivement très proche de l’économie du don. Il se tient au point où le don engendre l’obligation. Ce commandement nouveau relève de la logique de la surabondance qui s’oppose à la logique d’équivalence de la justice qui gouverne la morale quotidienne[415].
Pour Ricœur, détaché de la Règle d’or, le commandement d’aimer ses ennemis n’est pas éthique, mais supra-éthique, comme toute l’économie du don auquel il appartient. Pour ne pas virer au non-moral, il doit réinterpréter la Règle d’or et ce faisant, être aussi réinterprété par elle. Mais ce travail de réinterprétation mutuelle est aussi un travail pratique parce que « les applications de cette dialectique dans la vie quotidienne, au plan individuel, au plan juridique, au plan social et politique, sont innombrables et parfaitement praticables »[416].La Règle d’or est placée de façon concrète au cœur d’un conflit incessant entre l’intérêt et le sacrifice de soi-même. La même règle peut pencher dans un sens ou dans l’autre. Selon l’interprétation pratique qui peut en découler, on peut s’en servir pour établir une dialectique entre le marchand et le don.
III- LA MÉDIATION DE LA MARCHANDISE ET DU DON
La médiation de la marchandise et du don répond, dans la logique de Ricœur, à une éthique économique de la reconnaissance et constitue l’apport moral de celui-ci dans le champ de l’économie. On sait, à travers la lecture du Parcours de la reconnaissance, que Paul Ricœur reçoit la théorie de la reconnaissance de Hegel[417]. On doit à Hegel, en effet, non seulement la fameuse dialectique du maître et de l’esclave, mais aussi les thèmes de la « reconnaissance mutuelle » et de l’altruisme posés contre la philosophie de Hobbes[418] selon qui, il existe une rivalité individualiste naturelle entre les hommes. C’est à Axel Honneth[419] que l’on doit cette réhabilitation de la théorie de la reconnaissance avec son ouvrage laLutte pour la reconnaissance. Hegel a fait entrer la reconnaissance dans la politique. La « lutte pour la reconnaissance »est une réactualisation de Hegel par Honneth ; le « parcours de la reconnaissance » de Ricœur en est une réhabilitation. Pour Ricœur, l’estime sociale et la reconnaissance mutuelle ne relèvent pas du droit, mais plutôt de la morale : « L’éloge de la réciprocité, sous la figure plus intime de la mutualité, risque de reposer sur l’oubli de l’indépassable différence qui fait que l’un n’est pas l’autre »[420].
Le défi de Hobbes est la méconnaissance dans l’état de nature. L’origine en est pointée : « On connaît par leur nom les trois passions primitives qui ensemble caractérisent l’état de nature comme “guerre de tous contre tous” »[421] : ce sont la compétition, la défiance et la gloire. La méconnaissance se sait déni de la reconnaissance et l’orgueil constitue la base de cette méconnaissance spécifique : « Que chacun reconnaisse l’autre comme son égal par nature. Le manquement à ce précepte est l’orgueil »[422]. L’alternative à l’idée de lutte dans le procès de reconnaissance mutuelle est à chercher dans les expériences pacifiées de reconnaissance mutuelle, reposant sur des médiations symboliques soustraites tant à l’ordre juridique qu’à celui des échanges marchands. La lutte ne se résume pas aux violences et aux vengeances qui surgissent. Le basculement du cercle vicieux de la réciprocité en son cercle vertueux passe par le renoncement à rendre violence pour violence. La lutte visera alors le don et contre-don à parler comme Mauss qui met fin à la rivalité. Et « pas de don possible sans prendre les devants »[423].
L’essentiel des analyses de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote sur l’amitié porte sur les conditions les plus propices à la reconnaissance mutuelle. Quand un individu peut-il se tenir pour reconnu ? La demande de reconnaissance ne risque-t-elle pas d’être interminable ? C’est dans l’échange des dons que la reconnaissance mutuelle apparaît[424]. Dans une société marchande, où l’économie repose sur l’échange, pourquoi serait-il judicieux de donner ? Le véritable don est sans réciprocité et est motivé seulement par le désir de rendre heureux, ou de secourir des personnes[425]. Cette forme de don peut constituer une alternative à l’échange monétaire : elle rend moins solitaire son bénéficiaire, comme son donateur. Dans nos sociétés où le lien social n’est plus toujours au rendez-vous, le don a pour lui seul une immense utopie. Dans l’économie du don, chaque chose est un être. Cependant, le don ne joue guère un rôle économique déterminant. Comment développer le don et en faire un véritable instrument économique ?
La modernité ne serait pas seulement le lieu du marché, de l’intérêt, mais également celui du don le plus inconditionnel ; le lieu du don pur et parfait et non seulement celui de la « concurrence pure et parfaite » comme le prônent les économistes néoclassiques[426]. Mais, n’y a-t-il pas là aussi un point de départ pour penser la société moderne autrement que dans une matrice économique ? Donner, c’est vivre l’expérience d’une appartenance communautaire qui, loin de limiter la personnalité de chacun, au contraire l’amplifie. Contrairement à une certaine approche individualiste, l’expérience de la solidarité communautaire n’est pas nécessairement contradictoire avec l’affirmation de l’identité, mais elle peut au contraire la développer. Le don serait une expérience sociale fondamentale, en ce sens qu’avec le don, nous expérimentons les fondements de la société, de ce qui nous rattache à elle au-delà des règles cristallisées et institutionnalisées. Cette expérience pourrait amenuiser la tension entre l’individu et la société, entre la liberté et l’obligation.
Donner pour recevoir est la logique de l’économie marchande qui imprime une intention particulière à l’échange. Cette intention n’est rien d’autre que celle de l’ego qui cherche seulement à tirer profit de l’échange. Dans le monde d’aujourd’hui, cette acception de l’échange est très commune ; elle se rencontre partout, de la sphère familiale à la sphère sociale. La rétribution se rencontre au fond des revendications sociales. Le don n’est alors que la moitié d’un échange, moitié qui n’existerait pas sans sa contrepartie. Le don appelle alors une contrepartie, le « contre-don », pour parler comme Mauss. Le don crée, en effet, une obligation pour chacun des partenaires, l’obligation de recevoir, mais aussi l’obligation de rendre.
L’échange marchand fonctionne à la manière d’un contrat légal, explicite, ce qui implique les prestations mutuelles entre vendeur et acheteur. Dans la logique de l’économie de marché, le don implique un contrat moral, implicite, dont la dette implique un service en retour. Celui qui accepte le don, accepte donc un engagement. En ce sens, le don fait bel et bien partie de l’échange et des règles économiques. Aussi, on peut tirer de l’analyse des formes du don, l’idée que la réciprocité est un a priori fondamental de toute relation humaine, autant dans l’échange marchand que dans le don. Où est alors la différence entre l’échange marchand et le don ?
D’un côté, on peut observer que la principale caractéristique de l’échange marchand, c’est son caractère objectif. Il en reste à la passation objective. À l’inverse, dans le don, non seulement la relation est plus subjective, mais le don crée davantage une obligation mutuelle qui maintient durablement la relation. Dans une transaction marchande, parce que la transaction est objective, les partenaires n’ont pas à s’occuper des intentions de l’un et de l’autre ; seuls comptent les éléments mesurables de la transaction. Dans le don, l’intention subsiste comme un lien invisible qui attache les deux personnes entre elles. Le don laisse derrière lui une relation privilégiée entre deux personnes, voire entre une personne et une communauté. Il établit une situation de reconnaissance mutuelle.
La dette corrélative au don se différencie donc de la dette marchande. La dette marchande, est une dette qui symbolise une méfiance. La dette du don est une dette qui symbolise une confiance. Le don fait bel et bien partie de l’échange ; il favorise l’échange, mais dans un esprit opposé à l’esprit du commerce. Dans sa logique, le don est avant tout fondé sur des valeurs immatérielles telles que le prestige, la popularité, la loyauté ou l’amitié. Il crée des valeurs de lien, tandis que l’échange marchand ne crée que des valeurs utilitaires. C’est ce qui ressort de l’interprétation de Mauss du don et du contre-don des Polynésiens comme produisant ce qu’ils appellent le mana, c’est-à-dire de la valeur spirituelle. Car, plus on donne, plus on est grand.
Seulement, le problème est qu’aujourd’hui, nous fonctionnons sur l’échange des valeurs matérielles. Si les hommes acceptent de vivre en société, malgré les exigences de l’ego, c’est avant tout pour des raisons utilitaires. Dans un système économique strictement marchand, fondé sur la valeur-capital, nous sommes par avance conditionnés à nous représenter l’échange comme un échange marchand. En poursuivant de manière systématique la recherche de leurs satisfactions privées, les hommes ont inventé, ce qui se donne comme la forme la plus efficace de l’échange, l’échange marchand. Celui-ci s’est implanté dans le système sociétal par la division du travail[427], de sorte que, dans le monde moderne, l’échange marchand ne laisse plus vraiment de place à la relation du don. D’ailleurs, ni la réciprocité morale ni les valeurs immatérielles n’y jouent un rôle vraiment significatif, car ce qui en détermine la logique, c’est d’abord le profit.
Donner pour donner est la logique de l’économie du don. Le don n’a de sens que s’il est désintéressé. L’échange marchand ne voit dans l’échange qu’une prestation dont la motivation doit pouvoir se quantifier en espèces. Or vivre, c’est aussi vivre dans le don en relation avec les autres ; c’est constamment échanger et communier. Cela signifie que la vie elle-même est un échange ; elle se communique et s’accroît d’elle-même quand précisément l’échange est porté par le don. De même, donner n’est pas prêter. Le prêt peut-être marchand. Dans une situation de sous-développement, les pays du Sud reçoivent des pays du Nord des prêts. Il peut aussi être non marchand : ces pays du Nord prêtent leur expertise au pays du Sud en cas de catastrophe, par exemple. Le prêt, comme le don, est inscrit dans la relation humaine de réciprocité. Cependant, il suppose fondamentalement comme sujet la conscience de l’ego et son sens de l’appartenance à l’humanité.
Le don n’est pas seulement un devoir « moral ». Il se situe dans le rapport de soi à soi et de soi à l’autre, c’est-à-dire dans les relations sociétales. Le don véritable découle de l’amour. Il convient de reconstruire notre système économique, de le mettre en adéquation avec l’humanité et de cesser de penser l’économie comme une sphère entièrement à part, une sphère objective qui aurait une réalité en dehors de la conscience. Toute initiative économique doit renouer avec ce sens intime de l’échange, celui de la reconnaissance mutuelle.
CONCLUSION
L’économie marchande correspond à une forme d’économie dans laquelle la distribution des biens et des services est confiée prioritairement au marché et où les combinaisons des acteurs se réalisent au profit du comportement économique du marché. L’économie du don correspond, à contrario de l’économie marchande, à une forme d’économie dans laquelle la distribution des biens et services est confiée prioritairement à la communauté. Si on dit de l’économie de marché qu’elle est créatrice d’inégalités et qu’elle est excluante dans la mesure où elle n’a d’intérêt que pour les consommateurs solvables, on peut la repenser dans le sens de l’éthique économique ricœurienne, celle de l’économie du don qui a pour souci la mutualité entre les hommes Nous devons ainsi repenser l’échange pour reconstruire une économie digne de l’humain. Il n’y a pas à opposer le don et l’échange, c’est-à-dire à mettre d’un côté l’échange pour le ranger dans la catégorie de l’économique, et de l’autre, le don pour le ranger dans la catégorie de l’éthique, car l’un et l’autre ne prennent du sens que dans les relations humaines.
L’approche dialectique entre l’échange et le don permet de mettre en évidence la diversité des principes économiques qui ne sont pas réductibles au marché, mais aussi à l’administration domestique et à la recherche de la meilleure relation entre les communautés. Le problème de la justice sociale et sa relation avec le contexte du libéralisme économique générateur d’inégalités sociales se retrouve posé. Le libéralisme, doctrine dominante des démocraties modernes, n’est alors viable, en tant que principe d’autorégulation sociale, que si chacun a une claire conscience des exigences morales qu’il implique et des exigences sociales qui y sont liées, c’est-à-dire l’éthique individuelle et l’éthique sociale. Car, dans une société laïcisé, les discours sur le moins d’État et le plus d’économie ne sont alors viables qu’en insistant, en contrepartie également sur le plus d’éthique.
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LA PHILOSOPHIE DE LA CONTESTATION OU LA VERTU DU “NON” CHEZ HERBERT MARCUSE
Blede SAKALOU
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Le désenchantement du monde, caractéristique de l’échec des ‘’Lumières’’, se traduit par l’entrée de l’époque moderne dans ce que Marcuse appelle le ‘’totalitarisme’’. Cette époque ‘’totalitaire’’ est, en effet, symptomatique de la répression permanente des individus à travers les violences, les agressions, les aliénations, les montées en puissance des conflits d’intérêts dont la société est le théâtre. En réaction à cette configuration nouvelle de la société qualifiée de ‘’sur-répressive’’, Marcuse initie une philosophie de la contestation portée par l’idée du ‘’Grand Refus’’ avec, pour trame de fond, une tentative de réponse à l’angoissante question du voilement de la liberté des humains.
Mots-clés : Aliénation, Contestation, Liberté, ‘’Sur-répressive’’ Technocratie, ‘’Totalitarisme’’.
ABSTRACT :
The disenchantment of the world, characteristic of the failure of the Lights, is expressed by the introduction of the modern time in what Marcuse calls the ‘’ totalitarianism’’. That ‘’totalitarian’’ period is in fact, symptomatic of the permanent repression of individuals through the violence, the aggressions, the alienations, the potential rise of conflicts of interests of which the society is the theatre. In reaction to that new configuration of the society described as ‘’over-repressive’’, Marcuse initiates a philosophy of protest based on the idea of the ‘’Great Refusal’’ the framework of which is an answer attempt to anointing question of the lading of the freedom of the human beings.
Keywords : Alienation, Freedom, Over-repressive, Protest, Technocracy, Totalitarianism.
INTRODUCTION
Longtemps en proie à l’ignorance, facteur d’obscurantisme et aussi à l’inhospitalité de la nature, l’humanité avait perçu, en l’avènement des ‘’Lumières’’, la marque manifeste du progrès et de la liberté de l’homme. Les ‘’Lumières’’ désignent le volontarisme rationaliste et optimiste des hommes eux-mêmes ; confiants dans les vertus du savoir et de sa diffusion. Un volontarisme qui lie immédiatement la pensée à l’obligation de dénoncer les injustices et les illusions qui empêchent les hommes de penser par eux-mêmes et de conduire une vie autonome, conforme à leur nature d’êtres rationnels. Seulement, l’enchantement suscité par les ‘’Lumières’’ semble s’être mué en une désillusion d’autant plus que l’époque moderne est entrée dans une sorte de ‘’totalitarisme’’ et dans une phase de répression permanente de l’homme. Notre époque est, en effet, marquée par des violences, des agressions, des aliénations, sans oublier la montée en puissance des conflits d’intérêts dont l’histoire contemporaine est le théâtre.
En réaction à cette configuration nouvelle de la société moderne qu’il qualifie de sur-répressive, Herbert Marcuse initie une philosophie de la contestation à travers la théorie du ‘’Grand Refus’’ dont la trame de fond est une tentative de réponse à l’angoissante question du voilement de la liberté de l’homme. Dans Eros et civilisation, contribution à Freud notamment, il affirme ceci : « Sous l’impact de l’encerclement technoscientifique, sous l’effet de la prédominance positiviste, la personnalité autonome de l’individu apparaît comme la manifestation pétrifiée de la répression générale de l’humanité»[428].
La dimension ‘’sur-répressive’’ de la société est caractéristique, chez Marcuse, du développement des forces de production dans l’occident de l’après-guerre. Un développement qui, en soi, est progressif, mais qui a eu pour effet l’accroissement de l’emprise des organisations sur la vie, le conformisme généralisé, la passivité et la manipulation que favorisent l’abrutissement par les medias, les loisirs conditionnés et la consommation obligatoire.
Par ailleurs, compte tenu du fait que le prolétariat, à la suite de l’amélioration générale des conditions de vie, s’est trouvé en grande partie intégré au système capitaliste, Marcuse estime qu’il ne peut plus être considéré comme le fer de lance des poussées émancipatrices à venir. Aussi, préconise-t-il, pour tout le corps social, la radicalisation de l’émancipation moderne par la révolution en tant que modèle de toute praxis émancipatrice véritable. Il affirme, dans cette perspective, l’idée suivante :
« Au-dessus des classes populaires conservatrices, il y a le substrat des parias et des ‘’outsiders’’, les autres races, les autres couleurs, les classes exploitées et persécutées, les chômeurs et ceux qu’on ne peut pas employer. (…) Leur vie exprime le besoin le plus immédiat et le plus réel de mettre fin aux conditions et aux institutions intolérables. Ainsi leur opposition est révolutionnaire même si leur conscience ne l’est pas »[429].
Toute révolution est la marque ou la manifestation d’un refus. Refus d’une situation jugée intolérable ou inacceptable, refus de ce qui paraît injuste, etc. La présente étude dont la thèse principale tourne autour de la vertu du NON dans la philosophie de Marcuse, se décline en trois articulations. Dans sa première partie, nous comptons montrer comment se manifeste le caractère ‘’totalitaire’’ de la société actuelle qui implique l’idée de répression de la liberté de l’homme selon Marcuse. Le deuxième versant de notre démarche indiquera que le règne permanent du caractère ‘’totalitaire’’ de la société contemporaine trouve ses assises dans la tendance à la compromission ou à l’attitude de servitude volontaire qui semble être le propre de l’homme de l’époque dite moderne. La troisième et dernière articulation de notre travail nous permettra de dire que la théorie du ‘’Grand Refus’’ présente dans presque toute l’armature de la pensée de Marcuse témoigne d’une quête permanente des fondements de l’émancipation et des forces révolutionnaires. Des paradigmes susceptibles de briser le statu quo et de servir de catalyseurs aux masses à l’effet de vaincre la contrerévolution et libérer par la même occasion les possibilités humaines réprimées par l’ordre établi.
I- DU CARACTÈRE ‘’TOTALITAIRE’’ DE LA SOCIÉTÉ MODERNE SELON MARCUSE
Une vie heureuse ou de plénitude, marquée par une sensation de liberté est manifestement le principal objectif de chaque être humain. Et les philosophes grecs de l’antiquité en cherchaient d’ailleurs déjà le secret, en prônant chacun à sa façon, un art de vivre fait de satisfactions raisonnées dans la recherche des plaisirs. Ainsi pour Epicure,
« la vie de plaisir ne se trouve pas dans d’incessants banquets et fêtes, (…) elle est dans un raisonnement vigilant qui s’interroge sur les raisons d’un choix ou d’un refus, délaissant l’opinion qui avant tout fait le désordre de l’âme »[430].
Le christianisme lui-même reconnaîtra quelques siècles plus tard la légitimité de l’aspiration humaine à la liberté et au bonheur ; mais un bonheur expulsé de la vie terrestre, nostalgie d’un Eden perdu ou espoir d’un paradis dont l’accès est toutefois réservé aux Élus et/ou aux plus méritants. Dans notre société dite moderne, le bonheur semble avoir pris le visage de la croissance économique et du bien-être matériel. Une société qui, selon Gilles Lipovetsky « prend l’homme tel qu’il est, multiple, futile et contradictoire, avec ses désirs de distractions et d’évasions certes sans grande noblesse mais qui, pourtant font partie de la vie »[431]. Après l’horreur et les souffrances extrêmes occasionnées par les deux grandes Guerres, (1914-1918 et 1939-1945) le complexe triomphant de la rationalité technologique a, en effet, généré de nombreuses activités industrieuses et prospères au point où il semblerait très suspect de la part de l’homme de ne pas être aujourd’hui rayonnant.
Les sociétés actuelles, à travers la démultiplication des images publicitaires, des vitrines sans cesse envahies par de nouveaux gadgets de plus en plus performants en tous points de vue, à travers de belles histoires de réussites sociales dévidées dans les médias de mode et de cinéma, donnent la preuve qu’elles offrent à l’homme bien-être social et liberté. Tout porte donc à croire, en effet, qu’à l’ère de la grande industrie, l’existence humaine est bienheureuse et que le XXIe siècle marque l’’avènement d’une béatitude et d’une liberté généralisées à l’échelle de la planète.
Cependant, s’il est indéniable de concéder que sous l’impulsion de la rationalité technologique les conditions de déroulement de l’existence humaine ont connu une substantielle amélioration, la société moderne n’a-t-elle pas pour autant donné naissance à des sortes de pathologies sociales qui contrarient les potentialités émancipatrices qu’elle recèle ? Dans sa quête de réalisation de soi, l’homme trouve-t-il dans les sociétés modernes un terrain propice ou alors ne rencontre-t-il pas plutôt des limites structurelles qui entravent durablement ses aspirations ? Marcuse apporte une réponse édifiante à ces interrogations majeures qui affirme que
« l’asservissement et la destruction de l’homme par l’homme les plus efficaces, s’installent au plus haut niveau de la civilisation, au moment où les réalisations matérielles et intellectuelles de l’humanité semblent permettre la création d’un monde réellement libre »[432].
C’est la manipulation totale de l’individu par la société qui fait de celle-ci une société totalitaire aux yeux de Marcuse. De façon coutumière est perçu comme totalitaire, un régime politique dans lequel l’État est tout puissant en tant qu’il est fortement organisé, centralisé et sert d’instrument docile à un parti unique qui ne tolère aucune opposition. En outre, si, pour Adorno et Horkheimer, le totalitarisme ne désigne pas un régime politique mais le point culminant d’un processus de civilisation dont les formes de domination totale que constituèrent le nazisme et le stalinisme sont une cristallisation, chez Marcuse, par contre, la notion de totalitarisme véhicule un sens nouveau. Ce qui se fait jour avec l’avènement historique du totalitarisme, chez Marcuse, c’est la perversité structurelle de la raison qui ne peut séparer l’affirmation de la liberté de celle de la domination sur la nature et qui finit par annuler la liberté dans la domination totale.
« Non seulement la rationalité technologique, c’est-à-dire la science et la technique en tant qu’intégrées dans une idéologie sociale de domination à savoir le capitalisme, ne conteste pas la légitimité de la domination, mais elle la défend de telle sorte que la société de nos démocraties n’est rien de moins qu’une société rationnellement totalitaire »[433].
Les faits marquants de la dimension ‘’totalitaire’’ et ‘’sur-répressive’’ des sociétés contemporaines peuvent se résumer dans le corpus marcusien en trois points essentiels. Premièrement, la société actuelle est une société technocratique en tant qu’on assiste aujourd’hui à une extension irrésistible aux pays moins développés et puis à la planète toute entière de la technologie et des comportements qui lui sont associés. Dans une deuxième approche, le totalitarisme renvoie, chez Marcuse, à l’idée du renforcement des moyens de pression et de contrôle, par l’effacement de l’opposition entre vie privée et vie publique, entre besoins individuels et besoins sociaux. Enfin pour Marcuse le totalitarisme est aujourd’hui caractéristique de la similitude de plus en plus grande entre les sociétés capitalistes et les sociétés communistes.
A- Une société technocratique
Fortement marquée par la science et la technique, la société actuelle fonctionne comme un système clos à l’intérieur duquel toute activité, tout comportement sont imprégnés par le style technologique dominant. Rien de ce qui se fait ou se pense dans la société n’échappe à des règles et à des normes inspirées par la technologie. La valeur étant accordée uniquement à ce qui est opérationnel, la faculté critique, l’indépendance de pensée et l’imagination tendent à disparaître. En fait, le premier caractère ‘’totalitaire’’ de la société est sa dimension technocratique que Jürgen Habermas formalise ainsi : « La technocratie se caractérise par le désir de maîtriser le destin des hommes et d’assurer efficacement leur vie en gouvernant scientifiquement la nature et l’humanité »[434].
B- Une société ‘’sur-répressive à partir du contrôle des instincts de l’homme
Marcuse nous rapporte, dans le texte Eros et civilisation, contribution à Freud, l’idée suivante : « L’histoire de l’homme est l’histoire de la répression »[435]. L’homme fait de la quête du bonheur le sens de son existence. Mais le bonheur de l’homme n’a de sens que si on le comprend comme une satisfaction intégrale des instincts ou des pulsions primaires de l’organisme. Or, la civilisation exige « le sacrifice systématique de la libido, son détournement rigoureusement imposé vers des activités et des manifestations socialement utiles »[436].
Par ailleurs, dans son travail perçu comme médiation dans son rapport à la nature, l’homme est tout aussi sujet à la répression. En effet, lorsque le pouvoir de la machine s’introduit dans son travail, l’homme voit son autonomie professionnelle réduite. En outre, la formalisation du travail et de la machine ou automation permet de produire et de distribuer une quantité infinie de marchandises qui impliquent elles-mêmes une consommation et une satisfaction sans cesse accrues et exacerbées par l’effet miroir de la publicité. « La publicité réussit proportionnellement au pouvoir qu’elle a d’étrangler la réflexion, de fasciner, de transformer l’homme en automate, en système de comportement fixé et prévu »[437].
C- Convergence entre sociétés capitalistes et sociétés communistes dans le processus de domination de l’homme
Il est de notoriété que les valeurs admises dans les sociétés capitalistes comportent des normes universellement connues qui permettent à l’homme de se développer à partir de ses virtualités et de satisfaire ses besoins selon une autodétermination rigoureusement personnelle. Mais cet humaniste, « à cause des institutions sociales bâties sur le profit et la division du travail, débouche sur l’injustice, l’exploitation et la répression »[438].
Les besoins des individus et leurs désirs de les voir satisfaits ne leur viennent donc pas spontanément ; bien au contraire, ils sont le produit d’un conditionnement et inhérents à la structure d’une société marchande. Au total, les marchandises et les services qu’achètent les individus dans les sociétés capitalistes manient les besoins et pétrifient les facultés de ces derniers.
Qu’en est-il des sociétés socialistes où la trame idéologique est le communisme ? Par définition, les sociétés communistes fonctionnent sur la base de l’accroissement de la richesse sociale aux fins d’une répartition du produit social en fonction des besoins réels des populations. Et la condition qui rend possible une telle éventualité semble être la stabilité du monde. Or, les crises à répétition et la scission du monde en blocs antagonistes secrètent une logique d’économie concurrentielle à laquelle les sociétés capitalistes tout comme les sociétés communistes ne peuvent se soustraire.
Tout comme les sociétés capitalistes, les sociétés communistes entrent donc elles aussi dans une phase d’industrialisation massive où on ne peut qu’assister à l’amalgame entre l’État et les affaires. Par principe idéologique, ces sociétés ont pour vocation ou pour mission de résoudre, sans explosion, les contradictions entre l’accroissement constant des forces productives et les rapports de production afin de rendre possible l’avènement effectif du communisme. Seulement, le passage vers le communisme suppose une productivité massive et supérieure à celle des pays capitalistes. L’implication d’un tel état de fait pour les individus, estime Marcuse, c’est que
« toute personne apte au travail participera à l’activité sociale et assurera ainsi la croissance continuelle des biens matériels et spirituels de la société »[439]. En outre, « il semble que cette idée de la société communiste n’est pas essentiellement différente de toute idée d’une société technicienne très avancée où l’efficacité et la productivité accablantes obscurcissent la différence entre l’autonomie et la domination »[440].
La raison en est que la domination sur les travailleurs est effectuée par une bureaucratie politique, économique et militaire. Cette bureaucratie se diversifie, en outre, en groupes centralisés qui, de plein autorité, organisent le processus de production en fonction des besoins de la société qu’ils ont préalablement déterminés. Ces groupes constituent, en réalité, l’équivalent d’une classe capitaliste dans la mesure où ils finissent par acquérir « des intérêts particuliers séparés de ceux de la population. De nouveau, l’État est un pouvoir réifié, hypostasié »[441].
Du caractère ‘’totalitaire’’ de la société, il ressort au total l’idée de la soumission réelle de l’homme, de son assujettissement aux exigences de la machine qui médiatise son rapport à la nature, de son aliénation aux lois du profit capitaliste. Une aliénation qui tend désormais à prendre la forme d’une marchandisation universelle des objets d’usage caractéristique du temps de la production de masse et de la consommation, de la manipulation publicitaire, du conformisme marchand et du gadget envahissant, bref d’une forme subtile mais tout aussi plus systématique de contrôle social. Marcuse peut dire alors que « les produits endoctrinent et conditionnent ; ils façonnent une fausse conscience insensible à ce qu’elle a de faux »[442].
La tâche de la pensée est de saisir la négativité du présent en assumant le fait qu’y sont impliquées des normes qui, en même temps, ne se laissent pas toujours ni saisir ni exprimer de façon claire et univoque. Autrement dit, la pensée se veut engagement et dénonciatrice lorsqu’il existe une emprise factuelle massive, mais aussi un primat logique du négatif sur le positif, du mal sur le bien, de l’aliénation sur la liberté. Adorno peut dire, en outre, que « celui qui veut savoir la vérité concernant la vie dans son immédiateté, il lui faut enquêter sur la forme aliénée qu’elle a prise »[443]. Pourtant, les hommes refusent de porter un défi d’anéantissement à une société qui nie durablement leur liberté à telle enseigne qu’Etienne de La Boétie en aurait été étonné s’il avait été témoin de l’époque contemporaine. L’auteur du Discours de la servitude volontaire indique, en effet, que les hommes vivent sous le joug d’une tyrannie féroce et se complaisent pourtant dans cette situation d’asservissement généralisé. L’homme est naturellement libre mais se plie lui-même à la domination d’un pouvoir qui revêt plusieurs formes. Comment expliquer une telle ambiguïté ? Plusieurs pistes de réflexion tentent de trouver une explication quelque peu rationnelle au phénomène de domination subi par l’homme. Il s’agit, entre autres, de la sociologie des organisations, de la psychanalyse, de la philosophie sociale, de la philosophie politique, etc. Ces horizons de réflexion mettent en lumière un rapport de type métaphysique que les hommes établissent entre eux et le pouvoir ; quelle que soit la nature de ce pouvoir. Un rapport où la tendance des humains à faire preuve de ce que Marcuse appelle la ‘’tolérance répressive’’ serait au fondement de la situation d’asservissement généralisé où vivent ces humains.
II- LA TENDANCE HUMAINE À L’ATTITUDE DE SERVITUDE VOLONTAIRE COMME FONDEMENT DU ‘’TOTALITARISME’’ DE LA SOCIÉTÉ
Une étude comparative nous semble adéquate pour rendre compte de la tendance humaine à l’attitude de servitude volontaire comme fondement du ‘’totalitarisme’’ de la société. Il s’agit d’une analyse du rapport de l’homme au pouvoir en tant que celui-ci s’exerce dans le domaine politique et du rapport de l’homme au pouvoir induit par la rationalité technocratique.
L’homme n’est certainement pas cet être assoiffé de liberté qu’on nous dépeint habituellement mais celui que le pouvoir subjugue au point de s’y soumettre de soi-même. C’est la principale hypothèse qu’Etienne de La Boétie formule dans les premiers moments de son œuvre majeure : Discours sur la servitude volontaire. Il nous semble utile de faire remarquer que, dans son univers social, l’homme est d’emblée dans une logique de dépendance vis-à-vis d’un pouvoir qui s’instaure immanquablement à partir de l’organisation même de son espace de vie. Au demeurant, l’hypothèse, à l’œuvre dans le texte de La Boétie évoquée précédemment, laisse entrevoir que le pouvoir, appréhendé sous la forme extrême de la tyrannie dans le domaine politique notamment, est l’obscur objet de désir des dominés eux-mêmes. Le ressort du phénomène de la servitude volontaire devrait donc être recherché dans le domaine des croyances et des représentations dont le pouvoir est le dépositaire. En effet, les hommes sont comme pris sous le charme du pouvoir qui les avilit et la servitude volontaire est inséparable d’une telle fascination.
C’est l’image d’une autorité omniprésente et s’appliquant à l’ensemble du corps politico-social qui captive et séduit les individus. Le processus psychologique à l’œuvre relève de l’identification puisque chaque homme tente de s’identifier au Léviathan ou au Tyran ou encore au Monarque ; et croit incarner le pouvoir par le biais de cette projection imaginaire. C’est ainsi le fantasme de ne faire qu’un avec celui qui exerce la domination qui explique la tendance à se soumettre de soi-même à un ordre marqué par l’oppression continuelle. Ce fantasme sera par ailleurs savamment entretenu par le tenant du pouvoir en permanence soucieux de sa popularité et de sa capacité à subjuguer et/ou à mystifier les masses. Pour y parvenir, le Tyran use de plusieurs stratagèmes que La Boétie qualifie de ‘’drogueries’’ à l’effet d’affaiblir le peuple et de le maintenir dans la servitude.
« Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie »[444].
Le tyran allèche ses ‘’esclaves’’ pour les endormir dans la servitude. Il va même jusqu’à accorder des largesses à son peuple sans que celui-ci se rende compte que c’est avec l’argent même qui lui est soutiré que ces divertissements sont financés.
En d’autres circonstances et en un autre lieu, celui du rapport de l’homme au pouvoir induit par la rationalité technocratique précisément, on assiste plus ou moins au même mécanisme de soumission volontaire de l’homme. Le contexte historique de la soumission volontaire de l’homme à la société technocratique se situe, selon Marcuse, dans l’enjeu pour le positivisme incarné par Auguste Comte, à vaincre toute subordination de la réalité à la raison dialectique et transcendante au donné d’une part, et à rendre tous les phénomènes naturels dociles aux lois physico-mathématiques qui neutralisent leurs antagonismes d’autre part. L’implication d’un tel état de fait, c’est qu’en encourageant l’abdication de la pensée devant le donné et l’état de choses existant, le positivisme empêche l’interprétation des faits « dans les catégories d’une critique générale du donné lui-même »[445].
La pensée positive imprègne donc la conscience générale et la conscience critique. Elle pénètre si bien le pouvoir de négativité que l’homme ne sait plus distinguer l’apparence rationnelle de la réalité irrationnelle. On assiste alors à un conditionnement des esprits qui neutralise les oppositions ; une neutralisation positive d’autant plus que nombre d’éléments de l’univers social comme le travail et l’art seront intégrés dans l’unidimensionnel.
À partir de l’analyse marxienne de la notion de travail, on retient l’idée que le travail constitue le vecteur privilégié de la réalisation de soi. « Les hommes ne peuvent se réaliser dans leur travail que dans la mesure où ils s’y autodéterminent »[446]. Autrement dit, l’homme n’accède à ce qui fait l’essence de la vie humaine que lorsqu’il s’inscrit dans l’accomplissement d’une œuvre ; registre d’activité par lequel l’individu produit un objet destiné à lui survivre, à laisser une trace dans le monde. Ceci fait alors affleurer à l’esprit de l’homme lui-même le sentiment d’être utile, d’apporter une contribution à la collectivité par son activité. Seulement, dans les sociétés capitalistes, les hommes sont privés de la maîtrise de leur travail en tant qu’ils sont subordonnés aux propriétaires des moyens de production. Niant, en outre, les besoins essentiels de l’homme, le capitalisme fait advenir, selon Marx, une pathologie sociale : l’aliénation, par laquelle les hommes se voient dépossédés du sens de leur travail.
« Dans les économies capitalistes, le produit du travail de l’ouvrier perd son trait distinctif en étant soumis à la logique de la marchandise. »[447] Marcuse peut dire encore que « la notion capitaliste du travail trahit le concept de travail en éliminant son aspect essentiel qui est acte d’engendrement ou d’objectivation de l’homme par lui-même »[448].
Le deuxième élément de l’univers social intégré dans l’unidimensionnel et qui participe au processus de conditionnement des esprits c’est l’art. À l’origine, l’art apparaît comme un fait social qui se pose dans la société en s’opposant à elle. Il manifeste pour ainsi dire un intérêt légitime en tant qu’il est négatif de la domination. « L’art permettait à l’homme de mettre en accusation et de transcender la réalité donnée, d’éviter une résignation trop facile en face des choses quotidiennes »[449]. Sous ses différentes formes comme la musique atonale où s’expriment le rejet de toute compromission avec l’ordre social et ses dissonances cachées par exemple, l’art permet « d’exprimer négativement l’harmonie en incarnant les contradictions dans sa structure profonde »[450], « d’introduire le chaos dans l’ordre, l’arbitraire dans le non-arbitraire »[451], de faire apparaître dans l’apparence de l’unité la réalité de la fragmentation. En un mot, avec le mode de symbolisation qui lui est propre, l’art permettait à l’homme d’étendre sa compréhension et sa connaissance du réel. De ce fait, il avait une mission libératrice, voire révolutionnaire.
Mais un mouvement historique de la modernité esthétique se produit qui voit l’art se détourner de plus en plus de sa fonction émancipatrice pour reproduire le monde de la domination au lieu de s’y opposer. Ce mouvement s’accompagne d’une évolution technique qui permet la reproduction des œuvres de l’esprit à grande échelle entrainant « la destruction de l’aura »[452] de ces œuvres. Celles-ci ne manifestent plus alors aucun mouvement de la pensée vers la connaissance, vers le spirituel.
III- LE GRAND REFUS : FONDEMENT DU PROCESSUS DE LIBÉRATION DE L’HOMME
Grâce à la Raison qui distingue l’homme des autres êtres vivants, celui-ci peut comprendre qu’il vit des situations qui ne correspondent pas à sa nature d’homme libre. Par liberté, nous entendons, ici, la capacité qu’a l’homme d’ouvrir sa vie à un faisceau de sens. Mais de la compréhension de sa situation du moment à la mise en œuvre de l’acte qui libère, il y a un fossé que l’individu devra tenter de réduire sur le plan de l’Esprit notamment. Si cet homme se trouve dans une situation concrète où il est dégradé au niveau de toute chose, cet homme entreprendra, en association avec ses semblables, un renversement de cette situation. Obtenir des avantages matériels au point de préférer le bien-être à l’être, c’est déjà pour Marcuse être sur la voie de la compromission et de la démission. « Alors pour sa libération, il faudra éveiller en l’homme les virtualités qui ne peuvent se satisfaire de bien-être et dont la manifestation comporte, nécessairement et toujours, une contestation de ce qui est »[453]. Autant la logique de domination inhérente aux sociétés technocratiques innerve toutes les sphères de l’existence humaine, autant la philosophie de Marcuse suggère à l’homme d’adopter une posture de contestation permanente en toute circonstance. Ainsi, dans les milieux et les espaces où fleurissent et s’épanouissent les idées, en l’occurrence les universités, on doit
« exercer les esprits à la pensée négative, seule capable de faire prendre conscience de l’aliénation inhérente aux rapports de production, de l’irrationalité du monde unidimensionnel, du conditionnement général, afin de dégager une négation déterminée des conditions existantes »[454].
Il faut « fournir aux étudiants les instruments conceptuels dont ils auront besoin pour développer une critique solide et approfondie de la culture matérielle et intellectuelle »[455]. En fait, il faut un réveil radical pour prendre conscience de la politique abominable du système technocratique dont la puissance et la pression croissent toujours davantage, un système qui se sert des forces de production matérielle qu’il détient en exclusivité pour entretenir et perpétuer la logique d’exploitation et d’oppression.
Habitées par le souci de leur pérennisation dans la durée, les sociétés d’exploitation et de domination ne manqueront pas d’inscrire de facto dans ce qu’elles considèrent d’illégale, toute action susceptible de leur porter un défi d’anéantissement. Marcuse estime, dans ces conditions, qu’il est nécessaire d’entreprendre le combat dans ‘’l’illégalité’’ en dissolvant la morale de l’exploitation et de la domination. Ceci se traduit concrètement par une attitude subversive de grande envergure :
« Brusque refus de la discipline du travail, relâchement de l’effort individuel, désobéissance généralisée aux règles et aux lois, grèves sauvages, boycott et sabotage, insoumission gratuite, telles pourraient être les expressions de la dissolution de la morale sociale »[456].
La préoccupation, sinon l’inquiétude qui s’accompagne d’une telle exhortation, semble évidente par elle-même. La théorie du Grand Refus, chez Marcuse, ne présage-t-elle pas la survenue d’une société qui serait en proie au désordre et à l’anarchie totale au cas où cette théorie venait à connaître un début de réalisation effective dans l’univers social ? La tentation de penser une telle perspective est légitime. Seulement, il convient de souligner que le choix déterminé qui présuppose la négation totale de l’ordre existant tel qu’on l’observe, chez Marcuse, relève de la décision. Or la mise en œuvre pratique de toute décision inaugure l’acte, l’action ou l’évènement.
Au-delà d’une dimension anarchisante qu’on pourrait lui conférer, la philosophie de la contestation de Marcuse convie en vérité à une autonomie de l’homme. À une autonomie qui ne consiste pas en une espèce de ‘’réinvention’’ de soi où l’individu produirait à lui tout seul, subjectivement et grâce à sa capacité réflexive, le lien social dans ses interactions avec d’autres sujets. L’idéal d’autonomie, visé dans la philosophie ‘’subversive’’ marcusienne, avive en réalité la tension propre aux sociétés démocratiques, entre la croyance que l’homme trouve dans son intériorité psychique la source de toutes ses actions et le fait qu’il doit penser et agir dans un système institué. En un mot, ce qui est à l’œuvre dans la philosophie de Marcuse de manière générale, c’est une morale, voire une métaphysique de l’opposition qui suggère à l’homme d’incarner alternativement le rebelle, le résistant et le dissident. Le sujet social qui incarne ces trois figures ; hérauts de la négation, est un homme qui dit non ! Un ‘’non’’ qui ne sera pas de renoncement, encore moins un ‘’non’’ qui fait le lit d’une quelconque anarchie, mais un ‘’non’’ d’intervention, un ‘’non’’ qui consiste à s’affirmer dans la rupture.
L’image du rebelle telle qu’on peut la percevoir, chez Marcuse, c’est celle d’un homme qui ne baisse jamais les bras pour défendre les libertés contre l’autoritarisme, il symbolise la résistance déterminée à l’injustice des lois elles-mêmes. Quant au résistant, il apparaît comme un homme qui lie la détermination morale à refuser l’ordre établi à la perspective de l’avènement d’un nouvel ordre. Il n’est pas seulement un homme sur la défensive, mais celui qui conjure une atmosphère de découragement et d’abandon par le maintien d’une espérance active. Il est celui qui « refuse de céder au fatalisme et entretient dans la nuit la flamme de l’avenir »[457].
L’action du résistant est adossée, dans l’œuvre de Marcuse, à un refus actif, méthodique, organisé, articulé sur une mobilisation permanente de l’esprit critique du sujet social. Le dissident enfin exprime sur un autre mode le fait d’une autonomie critique. Il est, chez Marcuse, celui qui témoigne des failles de l’entreprise totalitaire. Si, a priori, il ne peut prétendre résister et inverser à lui tout seul le cours des choses dans une société policière qui régente les corps et les esprits, il apparaît tout de même comme un signe, comme un grain de sable dont la seule existence témoigne du refus de l’ordre régnant. Il est celui qui refuse ostensiblement de croire, celui qui déchire le voile des conventions, celui qui invite à passer de l’autre coté du miroir. Il est « l’homme en trop »[458], celui dont la présence disqualifie d’emblée l’ordre existant ; celui qui invite la société civile à se désintoxiquer et à se penser dans sa consistance propre.
CONCLUSION
À partir de la compréhension ontologique de la structure essentielle de l’existence, la philosophie doit étudier les variations factuelles de cette structure dans leur concrétude historique et stimuler l’acte concret historiquement exigé pour dépasser la réification qui, en détruisant les formes de vie traditionnelle, constitue ou demeure une menace pour l’existence humaine dans ses fondements mêmes. Seule une philosophie concrète qui « s’ouvre à l’Être de l’existence humaine historique, et cela, il est vrai, aussi bien dans sa structure essentielle que dans ses formes et configurations historiques »[459] est à même de déterminer la praxis révolutionnaire susceptible de réaliser les possibilités concrètes contenues dans la situation sociale actuelle et permettre de réaliser l’essence authentique de l’homme. Marcuse ne croit donc pas si bien faire, lui qui, à travers sa philosophie de la contestation, aura donné à la société de se révéler à elle ; aura donné sens et forme rationnels à un monde dans lequel les individus ont une difficulté croissante à s’orienter.
Travail d’objectivation du monde et entreprise de subjectivation, permettant aux hommes de se découvrir, se superposent dans sa philosophie. Engagée et dénonciatrice de qui inhibe les libertés individuelles et collectives, la pensée a pour but final et conséquent, de rendre possible dans la vie des hommes, la construction d’un horizon de sens qui mette fin d’un même coup à leur aveuglement et à leur impuissance. Le but conséquent de cette philosophie est ainsi indissociablement de rendre possible dans la vie des hommes, la construction d’un horizon de sens et de mettre fin d’un même mouvement à leur aveuglement et à leur impuissance dans la société technocratique. Il est même loisible de soutenir qu’à partir des années 1968, la philosophie de la contestation, telle que prônée par Marcuse, a eu le mérite d’avoir ouvert, à sa façon, le chemin à la formation de nouveaux champs d’historicité organisés autour des luttes pour les libertés.
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LA DÉMOCRATIE À L’ÉPREUVE DE LA VIOLENCE POSTÉLECTORALE EN AFRIQUE
Koffi Décaird KOUADIO
Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
La violence postélectorale en Afrique, consécutive à la proclamation controversée des résultats électoraux, n’est pas sans conséquence grave sur les droits de l’homme. Cette violence postélectorale fragilise le projet démocratique et ruine tout espoir de stabilité et de paix. C’est pourquoi, la restauration de la démocratie par la théorie de la discussion de Jürgen Habermas, qui institue l’acte de parole intersubjectivement partagé, est source de légitimité du processus électoral.
Mots-clés : Élection, droits de l’homme, fraude électorale, démocratie, violence postélectorale, théorie de la discussion.
ABSTRACT :
The post-election violence in Africa, occurring from the fake proclamation of the election results leads to serious issues towards the human rights. This post-election violence weakens the democratic project and destroys any hope of stability and peace. Therefore, the restoration of democracy by Jürgen Habermas theory of discussion, which enables an inter-subjective dialogue, is source of legitimacy of the electoral process.
Keywords : Election, human rights, electoral fraud, democratic, post.
INTRODUCTION
Les élections en Afrique sont souvent marquées par des scènes de violence qui perturbent l’ordre social et la stabilité démocratique. Et pourtant, le projet de la démocratie est d’assurer la liberté et l’épanouissement du citoyen. Dans un tel projet, l’élection constitue le principe essentiel de l’alternance. Mais, pourquoi l’élection s’achève-t-elle par la violence ? Comment l’élection qui devrait assurer la légitimité démocratique et la paix sociale devient-elle source de conflit ? N’est-ce pas la fraude et la manipulation des résultats des urnes qui sont à l’origine des protestations et occasionnent la violence après le scrutin ?
De ce point de vue, la démocratie est éprouvée par la violence postélectorale qui n’est pas sans danger pour les droits de l’homme. Dans cette réflexion, il s’agira de montrer que la théorie de la discussion de Jürgen Habermas est la voie de retour et de reconstruction de la démocratie mise à mal par la violence postélectorale. Ainsi, comment le paradigme habermassien de la théorie de la discussion peut-il rétablir le processus démocratique ? Dans cette analyse, j’examinerai les raisons de la violence postélectorale ; ensuite il sera question de montrer que cette violence est une limite de la démocratie, mais aussi constitue une violation grave des droits de l’homme. Enfin, je terminerai par un espoir de restauration de la démocratie par la théorie de la discussion qui nous indique qu’il est possible d’organiser des élections en Afrique sans violence, par le respect des accords rationnellement édictés sous le régime du droit effectif.
I- ANALYSE DU PHÉNOMÈNE DE LA VIOLENCE POSTÉLECTORALE EN AFRIQUE
Notre réflexion porte sur : La démocratie à l’épreuve de la violence postélectorale en Afrique. Certes, le phénomène de la violence postélectorale n’est pas propre à un continent. Mais nous avons choisi de nous intéresser à ce qui se passe en Afrique parce qu’elle est préoccupante et occasionne toujours les pires violations des droits de l’homme.
En effet, au lendemain du scrutin, il n’est pas rare de voir des accusations de fraude et des contestations des résultats. Si ce n’est pas l’opposition qui accuse, c’est le parti au pouvoir qui conteste les résultats quand ceux-ci ne sont pas en sa faveur. Faisant abstraction des résultats à proclamer par l’organe en charge de l’organisation des élections, chaque camp se proclame vainqueur. Nous constatons ainsi un hiatus entre l’acte de la parole pré-électorale et l’acte de la parole postélectorale, dans la mesure où avant les élections, chaque parti fait la promesse de respecter les résultats des urnes. Si cet acte de parole devient problématique, c’est parce que selon Jürgen Habermas, « la communication est toujours ambiguë, car elle peut être aussi, justement, l’expression d’une violence latente »[460]. Pour lui, l’ambiguïté de la communication, expression de l’instrumentalisation, garde un arrière-fond de violence.
Avant les élections, les partis adoptent des codes de bonne conduite et s’engagent à respecter les résultats des urnes en signant parfois des accords de reconnaissance pour la réussite sans violence du vote. Mais, il est dommage de constater que ces actes de bonne volonté préélectoraux sont mis dans l’oubli après le scrutin. Ce qui signifie que la mise en place des commissions indépendantes électorales, dans certains États pour organiser les élections, n’a pas toujours garanti le succès du scrutin. En ce sens, Dodzi Kokoroko fait remarquer que,
« les commissions électorales nationales constituent de lourdes machineries, otages des intrigues partisanes et engluées dans une procédure inaccessible aux citoyens, laquelle est fortement politisée et compliquée par l’imprécision qui caractérise la définition des élections libres et honnêtes relevant de sa compétence »[461].
Pour lui, ces institutions dites indépendantes ne le sont pas vraiment, car, bien souvent, elles sont sous l’influence des partis en compétition et des groupes de pression qui les instrumentalisent. Il en résulte, selon Dodzi Kokoroko, de graves dysfonctionnements quant à la transparence des élections.
N’est-ce pas là l’une des difficultés majeures qu’elles rencontrent dans l’accomplissement de leur mission ? Sinon, quelles pourraient être les raisons de la violence postélectorale en Afrique ? Qu’entraîne-t-elle ?
Si les commissions électorales chargées de garantir la crédibilité et la sincérité des élections font l’objet de contestation, c’est parce qu’elles sont instrumentalisées et manipulées par les politiques. En effet, dans cette situation, l’acteur de l’agir instrumental est guidé par une double intention : celle de la transparence et de la manipulation. Il dit une chose et fait son contraire. Or, selon Jürgen Habermas, « l’usage du langage régi par une stratégie latente est parasitaire par rapport à l’usage normal dans la mesure où il ne fonctionne que si l’une des parties au moins admet que le langage est employé à des fins d’entente »[462]. L’individu, mu par des calculs et des ambitions politiques, veut gagner par tous les moyens. Il ruse, ment et se sent obligé de violer les règles du jeu. Et pourtant, pour Jürgen Habermas,
« l’essence de la communication est la compréhension mutuelle ; et, cependant, la compréhension ne peut intervenir dans un contexte qui ne comporte pas de règles, c’est-à-dire où le mensonge, la mystification et la manipulation prédominent »[463].
L’usage instrumental de la communication dans le jeu électoral entraîne la méfiance et conduit les partis à prendre des dispositions de protestation. C’est ainsi que les commissions électorales, dominées par les politiques, détruisent l’essence de la communication qui a présidé à leur légitimation. L’instrumentalisation des institutions les fragilise et les expose à un spectacle honteux avec des « faux » perdants qui refusent de reconnaître les résultats des urnes. Ce qui est désolant, c’est la mauvaise foi de certains hommes politiques et la violence avec laquelle ils contestent ou empêchent la proclamation des résultats.
En démocratie, les partis politiques sont en compétition pour l’accès au pouvoir en vue de la gestion des affaires de l’État pour des motivations diverses. Pour Max Weber,
« tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir – soit parce qu’il le considère comme un moyen au service d’autres fins, idéales ou égoïstes, soit qu’il le désire pour lui-même en vue de jouir du sentiment de prestige qu’il confère »[464].
Dans cette concurrence, chaque parti est porteur de projet pour le bien-être des populations. C’est donc par l’élection qu’on accède au pouvoir. Mais, lors des échéances électorales, nous constatons dans les États africains une perversion de la guerre symbolique à travers les bulletins en violence réelle. Les élections sont des périodes très agitées, entourées de passions et de méfiances. Le plus important pour les candidats, c’est de gagner les élections, quels que soient les moyens utilisés.
Justement, une mauvaise compréhension de la politique pousse certains hommes politiques à voir dans le pouvoir le lieu par excellence des honneurs, du prestige et des intérêts égoïstes qui fondent la richesse et le mieux-être. Si les élections sont le canal de ce prestige, ce n’est pas toujours évident de les remporter en silence.
Guidé par leur égo, ils considèrent que leur échec à l’élection constitue un drame, expression de la pauvreté. Par contre, remporter les élections, c’est accéder au bonheur et à la réalisation de soi. De cette façon, la morale devient incapable de réguler leur agir : elle n’a pas de raison d’y être et l’espace électoral devient le lieu privilégié des intrigues, de la manipulation et de la corruption. Il est désormais chargé de tous les actes immoraux et de violence. Ces comportements sont tellement répandus en Afrique que la tricherie est devenue la logique de ces candidats prêts à tout pour gagner. L’une des formes pernicieuses de cette tricherie est de procéder, par voie de vandalisme, à l’enlèvement des affiches des adversaires. Comment peut-on ériger ces pratiques en normes institutionnelles de comportement si ce n’est qu’accéder au pouvoir pour soi-même et cultiver son égoïsme ?
La campagne électorale lève le voile sur la véritable nature de certains acteurs politiques. Les coups bas, les promesses douteuses et la lutte de positionnement sont des actes auxquels ils s’adonnent pour conquérir le pouvoir. « En réalité, les processus de démocratisation se trouvent souvent commandés davantage par des calculs d’intérêt, des conversions des plus opportunistes »[465]. En fin de compte, la démocratie se présente comme l’espace stratégique du gain facile et du succès non mérité. Toute chose contraire à la théorie de Jean–Jacques Rousseau pour qui « rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques »[466]. Sous influence de certains candidats, les institutions en charge d’organiser les élections faillissent à leurs missions d’impartialité et de neutralité vis-à-vis de la loi. Ils se rendent complices de truquage et de falsification des résultats. « La falsification des procès-verbaux constitue l’étape suprême de la machine de fraude électorale »[467]. Ainsi, on assiste à des parodies d’élections, étant donné que la validité de ces résultats pose problème. Une ambiance malsaine faite de suspicions s’installe et compromet durablement la procédure démocratique.
Lorsqu’une des parties constate qu’elle est en train de perdre les élections, elle s’adonne à des actes de sabotage du processus électoral en attaquant des bureaux de vote en pleine compilation des résultats, en vandalisant ou en emportant des urnes : cela pose un réel problème de sécurité du processus.
« En période électorale, la violence reste la conséquence d’une frustration ou d’irrégularité flagrante. Aussi, pour la conquête ou la reconquête des libertés confisquées ou des victoires spoliées, l’homme fait-il usage de la violence, qui devient alors un moyen de revendication, de dénonciation, de rupture systématique »[468].
Pour Théophile Kouamé, l’organisation fantaisiste des élections est source de violence. Dans ce contexte, les lendemains des échéances électorales font face à des mécontentements postélectoraux.
Les élections en Afrique ont fini par devenir un cauchemar qui fait d’elles une source d’insécurité. Pour Andrea Ricardi, « Dans les pays africains, la résignation se conjugue avec une profonde colère et représente le terreau idéal pour de nouvelles violences »[469]. De ce point de vue, le hold-up électoral, où les gagnants deviennent les perdants et les perdants les gagnants, conduit inexorablement à des frustrations et à des contestations. Les perdants utilisent la violence pour exprimer la colère. C’est ce qui fait dire à Georges Gusdorf que « la violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion »[470]. De cette façon, la contestation tourne généralement à la violence postélectorale et constitue une rupture de la paix sociale, liée aux conditions de légitimité et d’acceptation des résultats.
La violence postélectorale prend souvent sa source dans le déroulement même des élections, à travers les intimidations, les empêchements de vote, les casses d’urnes, le tripatouillage et la proclamation mensongère des résultats. De telles attitudes prédisposent à la violence postélectorale, dans la mesure où elles installent un climat de tension et une rupture évidente de la paix sociale. Pour Jürgen Habermas, la violence est le résultat de la communication perturbée. Il le dit clairement ainsi : « La spirale de la violence commence par une spirale de la communication perturbée qui, via la spirale de la défiance réciproque incontrôlée, conduit à la rupture de la communication »[471]. La violence est pour ainsi dire le produit d’une communication déformée qui n’arrive plus à assurer l’intercompréhension. Cette communication troublée exprime la mésentente et laisse ouverte toute possibilité d’affrontement. En clair, c’est la rupture de la communication qui entraine la violence.
Les accusations de fraude portent sur des cas d’irrégularité ou même de falsification. Dans tous les cas, quelque chose d’immoral a séjourné dans le jeu électoral. Ces comportements frauduleux sont bien synonymes de délinquance politique et posent la question de la responsabilité éthique et morale dans l’espace politique. La fraude électorale est un acte de malhonnêteté. Face à ce comportement injuste, la lutte pour le rétablissement de ses droits se légitime, ainsi que le dit Axel Honneth, aux allures hégéliennes :
« cette lutte sans merci dans laquelle le sujet lésé entraîne son vis-à-vis par la menace de mort occupe dans la reconstruction hégélienne une place éminente : (…) où les sujets apprennent définitivement à se comprendre comme des personnes dotées de droit »[472].
Pour lui, le rétablissement du droit spolié passe nécessairement par une lutte pour la reconnaissance. Il pense que la coercition est l’ultime moyen pour ramener l’égaré à la normalité. Chez Jürgen Habermas, lorsque les droits sont piétinés, comme dans les cas de confiscation du pouvoir par un hold-up électoral, la désobéissance civile devient une action légitime pour revendiquer et rétablir le droit. Ainsi, « le dernier moyen à la fois de faire entendre plus puissamment et de conférer une influence politico-journalistique aux arguments oppositionnels, est constitué par les actes de désobéissance civile »[473]. La désobéissance civile est donc le moyen ultime pour rétablir la démocratie lorsqu’elle a perdu toute légitimité. « La désobéissance civile se révèle ainsi chez Habermas toute à la fois condition, signe et réalisation de la démocratie, de la culture politique, et de l’être-ensemble »[474]. Selon Ferrarese Estelle, la désobéissance civile habermassienne réaffirme le contrat social perturbé par des actes antidémocratiques. Par conséquent, dans les cas extrêmes de confiscation du pouvoir à travers une parodie d’élection, la désobéissance civile se présente comme l’ultime recours pour faire valoir les droits spoliés.
Mais, c’est une violence symbolique et civilisée, organisée à travers la société civile, qui respecte les droits humains. Dans tous les cas, la violence devient, pour ainsi dire, le médium de revendication de la vérité des urnes et de reconnaissance de celui qui a effectivement remporté les élections. Cette violence qui est, en réalité, une contre attaque, rencontre la violence de celui qui a fraudé et qui veut se maintenir au pouvoir par la force : c’est l’implosion et l’affrontement à mort dans lequel celui qui a plus de force l’emporte. Cet usage de la force ne va pas sans conséquence grave sur les droits de l’homme qui, dans ces situations, sont mis entre parenthèses.
II- VIOLENCE ET VIOLATION DES DROITS DE L’HOMME
La violence postélectorale constitue un acte de violation grave des droits de l’homme. Mais qu’est-ce que la violence pour qu’elle entrave l’exercice des droits humains ? Selon la définition que donne Niamkey Koffi, « la violence est un mode d’expression qui est fonction du conflit social dont elle se veut la solution »[475]. En effet, la violence se présente comme la solution que l’homme se donne pour prétendre régler un problème sans passer par d’autres mesures que la mesure de la force. Faire violence à quelqu’un, c’est le contraindre par la force, le brutaliser. L’approche de Niamkey rencontre celle d’Yves Michaud qui soutient que « la violence se produit dans des situations d’interaction comportant deux ou plusieurs acteurs dont l’un porte atteinte à l’autre »[476]. Ce qui signifie que la violence survient lorsqu’une des parties veut imposer sa vision des choses par le moyen de la force. Elle peut donc se définir comme le rejet de l’injustice qu’on veut imposer par des annonces mensongères qui peuvent avoir lieu lors de la proclamation des résultats du scrutin.
Certes, il y a plusieurs formes de violence, mais celle qui nous intéresse, ici, c’est la violence physique qui blesse mortellement les droits de l’homme qui sont au cœur de la démocratie moderne contemporaine. De cette façon, le projet que poursuit la démocratie, c’est de promouvoir les droits de l’homme qui sont une fin en soi. Justement, pour Emmanuel Kant, « l’homme et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas seulement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré (…). Il doit toujours être considéré en même temps comme fin »[477].
L’homme est, pour ainsi dire, une personne à dimension universelle, ayant une dignité irréfragable qu’on ne peut considérer comme un moyen qu’on peut utiliser à n’importe quel prix. Il constitue en lui-même le but ultime de toute action politique, humaine et scientifique. Sa condition d’être raisonnable et irremplaçable lui vaut des droits indiscutables et inaliénables reconnus par tous les membres de la communauté humaine. Dans cette mesure, nul n’a le droit de les bafouer de quelques manières que ce soit. Ainsi, les transgresser, c’est remettre en cause l’humanité dans soi-même et la déclaration des droits de l’homme. C’est aussi se poser aux antipodes du droit et des dispositions constitutionnelles et parlementaires. L’homme est une valeur indéniable en soi, une œuvre d’art à protéger et à entretenir. Les droits qui lui sont conférés constituent le fondement de sa liberté.
Aujourd’hui, tout projet politique qui mérite d’être mené, c’est la politique des droits de l’homme. C’est-à-dire que l’espace politique moderne doit travailler à la promotion des droits de l’homme. C’est cette tâche qui est dévolue à la politique démocratique et à l’État de droit. De ce point de vue, la légitimité de l’État de droit démocratique est consubstantielle au respect sans condition des droits de l’homme. Ce qui veut dire que les droits de l’homme sont au fondement de l’État de droit démocratique.
Pour Jürgen Habermas, « les droits de l’homme regardent d’un côté vers la morale et de l’autre vers le droit. Nonobstant leur contenu moral, leur forme est celle de droits juridiques »[478]. Jürgen Habermas, penche pour un fondement juridique des droits de l’homme dont la validité est limitée aux citoyens de l’État-nation, au détriment d’un fondement moral des droits de l’homme dont la validité fait signe à tout « ce qui a visage humain ». Toutes ces dispositions juridiques devraient permettre de garantir les droits de l’homme en tout temps et en tout lieu, malgré tout. Mais comment comprendre que ces droits humains soient devenus, même dans le XXIè siècle, un concept banal qui n’a aucun sens pendant les rebellions armées et les violences postélectorales ? Pourquoi, en Afrique, l’homme doit-il toujours subir la violence des frustrations issues de la fraude électorale ?
La violence postélectorale est à la base des violations massives des droits de l’homme en Afrique. Elle pousse les populations à l’exode et à la misère. Selon Boa Thiémélé, « depuis le retour au multipartisme, les élections sont devenues les lieux d’expression de violentes contestations. Elles menacent la paix civile et la concorde nationale »[479]. Le constat de Boa Thiémélé se justifie dans la mesure où, les élections en Afrique épouvantent et sont un réel danger pour la paix. Mieux, ces élections engendrent très souvent la guerre et un véritable désordre social.
En Côte d’Ivoire, par exemple, l’élection présidentielle de 2010 qui devrait constituer le scrutin de sortie de crise et tourner la page des années de violence, a plongé le pays dans une nouvelle crise politique qui a pris la tournure d’une véritable guerre civile. Cette violence a causé la mort de milliers de personnes avec des dégâts matériels importants. Ces élections ont donné deux présidents : d’un côté, un président proclamé par la commission électorale indépendante et l’autre désigné par la cour constitutionnelle. Cette situation inqualifiable a mis à mal la paix sociale, pire, elle s’est achevée par une guerre sans précédent avec des actes de barbarie et de crimes graves contre l’humanité. N’est-ce pas là une preuve que la démocratie est à l’épreuve de la violence postélectorale en Afrique ? Ces actes sont une violation effective du droit et celle des droits de l’homme. La plupart des conflits déclenchés en Afrique, qui continuent d’endeuiller les populations, sont liés à la conquête brutale et démocratiquement incorrecte du pouvoir. Dans cette quête effrénée du pouvoir, les élections sont malheureusement devenues un prétexte. À dire vrai, ce que préparent les partis, c’est la violence pour s’imposer. Et pourtant, l’usage de la violence dans cette situation conduit inexorablement à l’horreur de la guerre. Comme on le voit, la conservation du pouvoir à tout prix et l’accès au pouvoir par tous les moyens, sont des occasions de violents affrontements suscitant des atrocités sur les populations civiles.
Si la participation aux élections est un droit civique indéniable, force est de reconnaître que la fraude électorale est une violation grave du droit du citoyen et constitue un acte d’irresponsabilité. Comme on peut le constater, la démocratie est à l’épreuve de la violence postélectorale en Afrique, qui donne lieu à des actes de tortures, de mauvais traitements et d’exécutions extrajudiciaires. Selon Jürgen Habermas, « rien n’autorise qu’on « tienne compte » des finalités que quelqu’un s’est données pour lui-même pour ensuite justifier la mort et la souffrance d’autrui »[480]. La mort de l’autre ne peut être un moyen légitime de rétablissement d’un tort commis ou d’atteinte d’un but. C’est pourquoi, « toute mort provoquée est une mort de trop »[481]. Pour une histoire banale d’élection, l’homme a institué la force brutale et fait de l’autre un esclave et un misérable. Et pourtant, l’homme est une personne et une liberté en tant que telle. C’est cette liberté qui le caractérise et lui confère des droits. Mais ces droits sont entravés par la violence postélectorale qui conduit bien souvent à la guerre civile.
La désolation engendrée par la guerre nous amène à comprendre que le projet poursuivi par les belligérants est une vraie folie. Dans cette situation, des populations entières sont massacrées, des femmes violées et des habitations détruites : signe que l’autre est instrument de violence et n’a plus de droit. Ces droits, fondés sur la dignité humaine, qui devraient être protégés en tout temps, sont piétinés par la violence aveugle au lendemain des élections. Les élections sont un présupposé démocratique qui assure l’alternance et renforce la paix sociale. Malheureusement, elles sont devenues, en Afrique, des moments de mise de côté du projet même de la démocratie, à savoir le bien-être social et la liberté du citoyen.
Il est donc temps que les Africains comprennent que l’homme appartient à une commune humanité. En tant que tel, il a un droit inaliénable au respect de sa vie, de son intégrité et de sa dignité. Aucune contestation électoraliste ne peut justifier des scènes de guerre et exposer les populations à la violence aveugle. La plupart des élections en Afrique se laissent toujours tenter par l’aventure risquée de la manipulation avec, pour conséquence, la violence et la violation des droits de l’homme.
La violence est un danger pour la société puisqu’elle plonge les individus dans l’absolue contradiction sans aucun espace de dialogue. Dans la radicalité de son expression, il n’y a plus de tranquillité : c’est la déchirure et le désordre. La liberté perd tout son sens et la démocratie toute sa substance. Autant la fraude électorale représente une menace grave pour la démocratie, autant la violence postélectorale constitue un danger réel pour la paix et les droits de l’homme. Par conséquent, l’instrumentalisation et la manipulation des résultats des urnes sont à proscrire dans l’espace démocratique, car cette ruse de la raison n’est ni acceptable ni efficace et est laide pour la modernité. Dans le même sens, l’usage de la violence pour revendiquer la vérité des urnes est à récuser. Car, cette pratique sème le désordre, la mort, la violation massive des droits de l’homme et la dégradation de la dignité humaine. De ce point de vue, il faut en appeler à la théorie de la discussion habermassienne pour le rétablissement nécessaire de la démocratie.
III- LA NÉCESSITÉ DE RÉTABLIR LA DÉMOCRATIE PAR LA THÉORIE DE LA DISCUSSION
La violence consécutive à l’organisation des élections est une violation du concept même de démocratie, dans la mesure où les promoteurs de la démocratie nourrissent toujours le désir de promouvoir les droits de l’homme, la liberté et le bien-être social. De cette façon, comment rétablir la démocratie face aux injonctions du démocratiquement incorrecte ? Comment la théorie de la discussion peut-elle réaliser la démocratie sans violence ?
Devant les pratiques de fraude électorale et de violence aveugle, il est urgent de rétablir la démocratie pour une paix sociale effective. Pour Nicolas Tenzer, c’est « une conception claire de la liberté politique qu’il s’agit de rétablir au sein d’un ordre social choisi »[482]. Avec les guerres que nous ne cessons de constater en Afrique après les élections, nous nous interrogeons sur l’usage qu’on fait de la démocratie dans nos États. Nous ne savons plus s’il y a encore un sens à rechercher la démocratie dans de telles situations de violence postélectorale. La violence qu’elle exprime est préoccupante et pousse au doute. C’est de cette manière qu’en analysant la violence des attentats du 11 septembre aux États-Unis, Jürgen Habermas ne sait plus si sa théorie de l’entente intersubjectivement partagée n’est pas devenue ridicule. Il s’interroge en écrivant ceci : « Depuis le 11 septembre, je ne cesse de me demander si, au regard d’événements d’une telle violence, toute ma conception de l’activité orientée vers l’entente (…), n’est pas en train de sombrer dans le ridicule »[483].
La théorie habermassienne de l’activité orientée vers l’entente invite à l’utilisation du discours argumenté pour le règlement des problèmes. Mais, il s’étonne qu’en lieu et place du discours, c’est la violence aveugle qui est devenue le moyen de communication.
Dans la même perspective, la violence incompréhensible que connaît l’Afrique au lendemain des élections pose la problématique de la compréhension de la démocratie. Or, lorsque l’exercice de la démocratie devient problématique, Jürgen Habermas exige qu’« il nous faut revenir aux modèles de la démocratie que nous avons déjà introduits et qui ont une teneur normative »[484]. Il est question d’un retour aux principes de la démocratie. Le point de départ de Jürgen Habermas, c’est la démocratie occidentale qui, il faut le dire, fonctionne relativement bien et mérite d’être expérimentée.
L’auteur de Droit et démocratie propose une nouvelle constellation politique avec une nouvelle manière de comprendre le concept de démocratie qui intègre la complexité des États actuels. La démocratie est ainsi une organisation politique dans laquelle les destinataires du droit et du bien commun en sont les auteurs.
Dans ce chapitre, c’est la théorie de la discussion habermassienne comme modèle qui nous aidera à rompre avec la violence postélectorale et rétablir la démocratie. En effet, dans L’intégration républicaine, Jürgen Habermas décrit deux modèles de démocratie (modèle libéral de la démocratie et le modèle républicain de la démocratie) qui ont des conceptions contraposées de la politique, du citoyen, de l’État, des droits de l’homme, de la justice et du droit. Constatant des lacunes et des restrictions dans ces deux conceptions de la démocratie, le Francfortois propose un troisième modèle qui
« s’appuie précisément sur les conditions de la communication dans lesquelles on peut supposer que le processus politique aura des chances de générer des résultats raisonnables parce qu’il s’effectuera alors, dans toute son étendue, sur un mode délibératif »[485].
Pour lui, en effet, la théorie de la discussion qu’il met en place tient compte de la complexité de notre monde vécu et de la démocratie qui se déroule dans un espace pluraliste. C’est pourquoi, elle doit se fonder nécessairement sur la communication et sur un principe délibératif. Alors que le modèle libéral fonde la démocratie sur le droit de l’individu et l’intérêt privé, le modèle républicain la fonde pour sa part, sur l’identité collective et l’éthique politique. Ainsi, la démocratie, modélisée par la théorie de la discussion se dit rigoureuse, car, elle prend des éléments aux modèles libéraux et républicains, pour les intégrer dans la sphère d’une procédure idéale de délibération et de décision. Pour Jürgen Habermas,
« cette procédure démocratique établit un lien interne entre les négociations, les discussions sur l’identité collective et les discussions sur la justice, permettant ainsi de supposer que, dans de telles conditions, des résultats raisonnables ou équitables seront obtenus »[486].
Cette théorie de la discussion est structurée par des règles de discussion et des formes d’argumentations « qui empruntent leur contenu normatif à la base de validité de l’activité orientée vers l’entente, et, en fin de compte, à la structure de la communication au moyen du langage »[487]. C’est donc l’acte de parole intersubjectivement partagé qui permettra d’orienter l’action des différentes parties prenantes du processus électoral, dans le respect des règles consensuellement édictées et qui sait prendre en compte les préoccupations de l’autre en vue de régler d’éventuels risques de dissensions produites par d’éventuelles suspicions.
En effet, la théorie de la discussion stipule que les situations conflictuelles qui surgissent entre les partis en compétition ne peuvent être traitées que par le médium de l’argumentation en vue d’aboutir à un consensus. Ainsi, pour Jürgen Habermas, « dans l’argumentation, opposants et proposants disputent une compétition à coup d’arguments afin de se convaincre l’un l’autre, autrement dit, afin de parvenir à un consensus »[488]. On peut donc comprendre que dans le paradigme habermacien de la démocratie, il est question de rechercher le consensus et le vrai par la discussion. Car, la discussion est « le lieu d’une problématisation en commun des blocages de la communication, à travers un effort coopératif pour parvenir à l’entente »[489]. La théorie de la discussion reconvertit des compétiteurs orientés vers le succès à une communication intersubjectivement partagée vers l’entente. Comme on peut le voir, c’est « de manière non contraignante que la contrainte du meilleur argument se transmet donc de l’intérieur, par la voie des changements d’attitudes rationnellement motivés »[490]. Ainsi, c’est la force du meilleur argument qui fonde le consensus et l’emporte par-dessus tout. Dans cette sphère, la violence est disqualifiée pour résoudre les différends. De cette façon, c’est par le mécanisme des mots et non des coups, du droit et non de la force qu’on accède au pouvoir.
La théorie de la discussion veut instituer une philosophie politique de la paix et des droits de l’homme. La politique de ce point de vue, est la recherche de l’intérêt général. Elle ne peut se réduire à la ruse, au calcul, à la poursuite effrénée d’intérêts privés et égoïstes qui ruinent la paix sociale et la liberté. La politique a donc un caractère éthique et moral, qui suppose une culture de la chose publique, gage de toute action. Rétablir la démocratie ici, c’est faire signe à la morale qui avait été récusée lors des échéances électorales.
La compétence professionnelle sans principe moral représente un danger dans l’organisation des élections et même pour la bonne marche de l’État. C’est pourquoi, il est nécessaire que l’intégrité morale et la responsabilité publique président le contenu normatif de l’organisation des différentes élections. En cela, l’impartialité doit être le mode opératoire des actes et des décisions des dirigeants. Il appartient aux africains de changer de mentalité en révisant leurs compréhensions du jeu électoral. L’élection n’est pas la guerre encore moins le moment de la fin en cas d’échec. Les scènes de violence consécutives à la proclamation des résultats électoraux doivent en appeler à la responsabilité morale des organisateurs.
Les institutions en charge des élections ne doivent être nullement soumises et influencées par les injonctions des partis politiques. Leur tâche est de travailler à l’instauration de la confiance qui ne doit souffrir d’aucune contestation. Ce qui signifie le sérieux avec lequel ces institutions fonctionneront. Avant les élections, la théorie de la discussion, qui structure la légitimation du scrutin, institue une volonté réciproque de communication des partis en compétition, pour en établir les conditions. L’exercice de cette délibération permet aux interactants de transcender leur particularisme à travers des actes d’argumentation claire.
Dans cette pratique de l’agir communicationnel, Jürgen Habermas pense qu’« il faut que se constitue un capital-confiance »[491] qui brise la méfiance et institue un climat apaisé. Dans le cas contraire,
« la politique délibérative perdrait son sens – et l’État de droit démocratique la base de sa légitimité – si, en tant que participants aux discussions politiques, nous ne pouvions jamais convaincre d’autres personnes ni nous laisser instruire par elles »[492].
Dans cette démocratie délibérative, il faudrait orienter les discussions vers l’accord rationnellement motivé qui fonde l’acceptabilité des résultats à partir des normes. Ainsi, la démocratie est une affaire de démocrates, basée sur la mentalité renouvelée des hommes et des femmes, qui ont pris toute la mesure de la modernité et qui envisagent régler ensemble leurs activités politiques par le droit édicté.
La crédibilité des élections signifie la restitution de la vérité des urnes. La transparence dans la procédure électorale suscite un espoir de bonne gouvernance et de développement. Elle en constitue une paix préventive. Le respect du choix du peuple est un impératif. Car, « par le moyen de leur vote, les électeurs expriment leurs préférences »[493]. Ce qui signifie que l’élection qui est l’acte de choisir son représentant est porteuse de légitimité démocratique. Elle est fondée en raison sur le consentement libre des populations qui y participent par devoir. La participation effective à l’échéance électorale est gage de renforcement des institutions politiques et de légitimation du processus électoral.
Jürgen Habermas entend donc radicaliser le processus démocratique par la politique délibérative dans laquelle la légitimité du droit passe par l’accord des principes moraux. Ainsi, « nos réflexions sur la théorie du droit nous ont appris que la procédure mise en œuvre par la politique délibérative constitue le cœur même du processus démocratique »[494]. Dans ce souci de rétablir la démocratie, Jürgen Habermas introduit une forme procédurale du droit par la délibération, l’échange argumentatif qui s’appuie sur le citoyen participant à la formation de l’opinion et de la volonté. Dans la même perspective, Niamkey Koffi soutient qu’« en démocratie, on discute, on polémique mais on n’utilise pas la coercition pour l’emporter.»[495]. Pour lui, la culture démocratique se nourrit de discussion entre les différentes parties prenantes du processus. Il refuse, de ce point de vue, la violence comme moyen d’expression dans l’espace démocratique. De la sorte, c’est en appliquant rigoureusement les principes démocratiques, par le respect des dispositions constitutionnelles et parlementaires, qu’on pourra aider à réaliser le projet de paix et d’épanouissement du citoyen.
Le renouveau de la démocratie repose donc sur l’éthique de la communication. Si tel est le cas, c’est parce que la communication est chez Jürgen Habermas la condition d’existence de la société. Dans cette communication, gît une raison susceptible de reconstruire la cohésion sociale en crise. Dans cet agir communicationnel, il est question d’une saine pratique des actes de parole en des termes clairs, non confus et non instrumentalisés, mais qui se tissent dans la vérité en quête d’un vivre ensemble et d’une société démocratique réelle.
Ainsi, il est possible d’organiser des élections justes et transparentes qui garantissent la paix sociale, si les États africains, loin de pervertir les institutions par la corruption, les renforcent par l’application effective du droit rationnellement édicté. La transparence électorale est une exigence de l’État de droit démocratique. Dans cette mesure, la fraude électorale ne fait pas partie du jeu électoral. C’est pourquoi, la théorie de la discussion invite l’homme à s’approprier les potentialités de la raison communicationnelle fondée sur la force non coercitive du langage intersubjectivement partagé pour rétablir la démocratie éprouvée par la violence postélectorale en Afrique.
CONCLUSION
La fraude électorale est une délinquance politique qui occasionne la violence et ruine l’espoir de toute stabilité. Elle constitue une violation grave du droit et des droits de l’homme en Afrique. Dans la perspective d’une paix durable et du développement de l’Afrique, il est urgent de rétablir la démocratie sans verser dans la désillusion suscitée par la violence postélectorale. Rétablir la démocratie, c’est saisir l’activité politique comme une exigence morale, avec l’éthique qui guide l’agir communicationnel. C’est donc la théorie de la discussion de Jürgen Habermas qui nous permet de restaurer la démocratie à travers la politique délibérative qui engage la discussion intersubjectivement partagée dans le but de trouver un accord consensuel. Il est donc urgent de retourner à l’État de droit démocratique qui disqualifie la violence comme mode d’accès et de conservation du pouvoir et promeut les droits de l’homme comme une exigence de la modernité. Avec Jürgen Habermas, nous sommes dans la dynamique d’un retour discursif de la démocratie dans lequel la politique comme puissance et le droit de glaive sont disqualifiés. Il est question de travailler à l’avènement de la démocratie comme culture qui met en avant la tolérance et l’application effective de l’État de droit.
Ainsi donc, l’élection en Afrique doit être dédramatisée avec le renforcement des institutions (moralement fondées), dans le respect du droit rationnellement édicté. Le rétablissement de la procédure démocratique par la théorie de la discussion peut conduire l’Afrique à l’organisation d’élections justes, transparentes et exemptes de violence.
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L’ANTI-TERRORRISME PEUT-IL SE PASSER DES DROITS DE LA CONSCIENCE ? DERRIDA, DWORKIN ET HABERMAS POUR Y RÉPONDRE
Yao Edmond KOUASSI
Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)
RÉSUMÉ :
Sans succès garantis au préalable, il n’est pas toutefois inutile de construire une symétrie forte entre les droits moraux de la conscience et les droits positifs de l’État. Derrida, Dworkin et Habermas nous seront d’un appui incontestable : ils ont, certes, écrit sur la violence politique, sur la désobéissance civile et sur le terrorisme, mais ils l’ont davantage décrit, loin des assimilations et réductions forcées de bien de classes politiques, pour l’opposer à la modernité politique non encore suffisamment désenchantée et à la faillite de la communication dégénérée en propagandes tendant à lier dans un même sort violences résiduelles et actions terroristes.
Mots-clés : Anti-terrorisme, Communication, Conscience, Droits moraux, Droits positifs, État de droit démocratique, Terrorisme.
ABSTRACT :
Although, there is no prior guaranty of success, however it is not useless to build a strong symmetry between moral rights of conscience and State positive rights. Derrida, Dworkin and Habermas will be of an undeniable support: they have certainly written about political violence, civil disobedience and terrorism, but they have more described it, far from assimilations and forced reductions of many political classes, to oppose it to political modernity which is not yet sufficiently disenchanted and the failure of communication degenerated into propaganda tending to bind in the same fate residual violence and terrorist actions.
Keywords : Anti-Terrorism, Communication, Conscience, Moral rights, Positive rights, Democratic rule of law, Terrorism.
INTRODUCTION
Le terrorisme traduit-il la crise ou le déclin de la modernité ? Qu’entend-t-on par modernité ?
La modernité, en plus de la genèse socio-historique qui la tient pour un vaste mouvement déclenché par les Lumières occidentales, avec lesquelles les organisations traditionnelles monarchiques s’écroulent, avec lesquelles encore les modes de production domestiques se convertissent en des modes de production massifs provoquant des effets dévastateurs inimaginables, est, d’acception normative, le superbe lever de soleil des valeurs modernes de l’individu sur les cendres des valeurs anciennes de la communauté. La nouvelle donne des temps nouveaux est un stimulant pour les observateurs les plus avisés pour refaire le chemin de la raison au cœur de ces mutations. Pour des penseurs comme Jürgen Habermas[496], ce qui est en cause, c’est l’énergie avec laquelle la modernité s’est « fixée elle-même »[497], s’est imposée et la réaction de défense qu’elle a provoquée au sein du présent et de ses mondes vécus traditionnels ; pour d’autres, Max Horkheimer et Theodor Adorno[498] notamment, c’est la modernité elle-même, par extension l’Aufklärung, qui ne peut fonctionner autrement que par réfutation et destruction de ce qui est, dictées par l’ordre moderne hégémonique.
Concernant, précisément, les modes de vie traditionnels, il importe de souligner leur ancrage religieux remis rudement en cause par la laïcité, une des facettes de la modernité déclinée sous la catégorie du désenchantement par Max Weber[499]. Le terrorisme constituerait, à ce titre, une menace introduite non pas de l’extérieur mais de l’intérieur, c’est-à-dire dans le mouvement d’auto-accomplissement de la Modernité. Celle-ci, on le sait, avec René Descartes, puis avec Hegel, a érigé la subjectivité à un rang supérieur. Il en a résulté une subjectivité herculéenne qui croit tout savoir et tout pouvoir. Il y va de la subjectivité comme de la liberté érigée en valeur quasi-suprême se régénérant dans des droits subjectifs fondamentaux qu’il serait difficile de nier au nom de l’anti-terrorisme[500].
Alors que le terrorisme est la terreur qu’exercent et maintiennent les terroristes, l’anti-terrorisme est le mouvement visant la destruction de ces derniers, porté prioritairement par les États-Unis placés désormais dans le dilemme, qu’ils le reconnaissent ou non, des droits moraux de la conscience et des droits positifs de l’État. En réalité, le choix des droits de l’État relève de ‘’ce qui est’’, alors que la considération des droits moraux relève de ‘’ce qui doit être’’. C’est sous ce dernier échelon que nous prendrons la question du terrorisme pour penser jusqu’où un régime de la prise en compte intégrale des droits moraux pourrait avoir la vertu de bloquer à la porte du fondamentalisme les terroristes puisqu’ils seraient ouvertement désarmés avant même qu’ils aient pris les armes religieuses. Il en serait de même de la réforme de la raison d’État au nom de laquelle prévalent les services secrets, les renseignements généraux, le culte du secret, etc. Dans un tel contexte, la lecture du terrorisme ne peut faire l’économie de la critique de la liberté (démocratique) durablement éprouvée par la raison d’État qui tend à bâillonner les droits moraux de la conscience subjective en résonance dans les droits de l’Homme.
Quant aux droits positifs de l’État objectif (dur), ils ne trouvent qu’à s’auto-organiser à la grande satisfaction des tenants du positivisme juridique. Et, pourtant, les restrictions qui frappent l’ensemble de ces droits, qu’il s’agisse des droits moraux ou des droits positifs, si elles procèdent largement de la menace de l’action terroriste à endiguer, ne peuvent tenir lieu de réponse univoque face à la terreur. Faut-il penser le terrorisme rien que par rapport aux morts, aux attentats, aux suicides ? Ne faut-il pas le décliner sur le terrain de la crise de la reconnaissance sous les échelons spécifiés par les crises politiques, économiques, culturelles et religieuses ? La détermination subjective, religieuse et fondamentaliste du terrorisme est-elle accidentelle ou nécessaire ?
I- MODERNITÉ BOURGEOISE ET VIOLENCE RÉVOLUTIONNAIRE
Dans Anti-dühring, Friedrich Engels redonne à lire ce que fut la trajectoire de l’ordre bourgeois et ce qui justifie largement la violence bourgeoise, et subséquemment, la violence prolétarienne. Pour lui, en France, les conditions politiques étaient restées sans changement jusqu’au jour où la révolution bourgeoise y mit fin. Cette révolution fut celle d’une nouvelle atmosphère politique et juridique faite à l’avantage de la bourgeoisie. Cela permit à la bourgeoisie de se développer brillamment, « si brillamment que d’ores et déjà, elle n’est plus de la position qu’occupait la noblesse en 1789 : elle devient, de plus en plus, non seulement une superfétation sociale, mais encore un obstacle social »[501]. En quoi la bourgeoisie se renverse en anti-bourgeoisie ouvrant grandement les portes de sa propre destruction ?
Une des raisons qu’avance Engels est d’ordre économique. Il trouve que la bourgeoisie en s’éliminant de plus en plus de l’activité productrice, deviendrait de plus en plus comme, en son temps la noblesse, une classe qui ne fait qu’encaisser des revenus. Pour Engels, « c’est sans la moindre simagrée de violence, d’une manière purement économique qu’elle a réalisé ce bouleversement de sa propre position et la création d’une classe nouvelle, le prolétariat »[502].
Il apparaît, dans l’analyse que propose Engels, que la bourgeoisie se disqualifie progressivement des interactions liées à la production au profit du prolétariat. La bourgeoisie a-t-elle connaissance de ce qui lui arrive ? La réponse qui nous vient de Friedrich Engels est non, en ce sen que la bourgeoisie n’a nullement voulu ce résultat de ses propres agissements ; au contraire, « il s’est imposé avec une puissance irrésistible contre sa volonté, contre son intention ; ses propres forces de production sont devenues trop puissantes pour obéir à sa direction et poussent, comme sous l’effet d’une nécessité naturelle, toute la société bourgeoise au-devant de la ruine ou de la révolution »[503]. Il n’empêche qu’il existe une prise de conscience tardive de la bourgeoisie qui la pousse à jeter toutes ses forces dans la bataille celle des interactions sociales en vue de la production. Selon Engels, les bourgeois en appelant à la violence pour sauver de la catastrophe l’état économique qui s’écroule, ne révèlent qu’une seule chose :
« Ils prouvent seulement par là qu’ils sont victimes de l’illusion de M. Dürhing selon laquelle les conditions politiques sont la cause déterminante de l’état économique, qu’ils se figurent, tout comme M. Dürhing, capables de transformer, avec les moyens primitifs, avec la violence politique immédiate, ces faits de second ordre, l’état économique et son évolution inéluctable, et donc de débarrasser le monde (…) des effets économiques de la machine à vapeur et du machinisme moderne mis par elle en mouvement, du commerce mondial et du développement actuel de la banque et du crédit »[504].
À la lecture de ce paragraphe, si décisif et significatif qu’il pense la violence et la désintégration des sociétés sous le mode de l’illusion, de l’aveuglement, de la démission et de la fausse symétrie entre questions d’échelon politique et celles de rang économique, il devient possible désormais de se placer au cœur du terrorisme et des interprétations concurrentielles qui le marquent. Au cœur de la problématique du terrorisme subsistent, en effet, des illusions et des fausses symétries telles que celles rattachant dans une sorte de vie de couples : religion et terrorisme, anti-terrorisme et violence d’État, légale légitime, etc. En réalité, la question des illusions est celle de l’idéologie en tant qu’existence du faux dont la découverte n’est pas toujours donnée ; elle est même rendue impossible par les processus croisés de fétichisation et de démission des élites. Sur ce point précis, Herbert Marcuse, qui pense après Marx et Engels, et avec d’autres frais, la structure des révolutions dans les sociétés capitalistes, écrit ce qui suit :
« Marx et Engels se sont abstenus de développer en concepts concrets les formes possibles de la liberté dans une société socialiste ; cette réserve ne semble plus se justifier aujourd’hui (…) Peu importe la distance qui sépare la révolte des classes moyennes dans les métropoles et le combat de vie ou de mort des damnés de la terre : il est un trait commun qui les unit, la profondeur du Refus. Tous rejettent les règles du jeu qui se trame contre eux, la stratégie périmée de la patience et de la persuasion, la croyance au Bon Vouloir de l’ordre établi ; tous refusent ses agréments fallacieux et immoraux, son bien-être cruel »[505].
L’ordre établi est celui de la domination des monopoles économiques dans les métropoles qui ôtent, avant d’éteindre un matin leur souffle, aux damnés de la terre, aux pauvres, toute envie de vivre. Ces derniers se comptent aussi bien dans les classes moyennes citadines que dans les contrées paysannes. L’opposition entre ces classes démunies et les puissances d’argent ne peut que croître à l’infini. La révolte et le terrorisme feraient ainsi partie du monde indéfini des réactions humaines infinies et imprévisibles. Dès lors que les dominés par extension les méprisés[506] ne croient plus à rien d’économique, de social, de politique, il ne leur reste qu’une seule croyance : la croyance indistincte en un sauveur. Celui-ci, sous la figure d’un Dieu révélé, structure largement les tentatives pour donner un sens aux violences terroristes.
II- DÉSENCHANTEMENT RELIGIEUX ET VIOLENCES TERRORISTES
Si la seule référence au texte de F. Engels ne suffit pas à poser la marche historique de la violence, il reste néanmoins que ce texte est majeur dans l’orientation révolutionnaire de la violence. Il explique comment l’écroulement de l’ancien monde s’opère à l’insu de ses tenants et comment les choix pour empêcher la déchéance sont maladroits et inefficaces, enfoncent plus qu’ils ne délivrent du mal. De quels maux souffre le corps social moderne, au point de gangréner toute l’humanité ?
1- Les farces du désenchantement du monde et de la violence révolutionnaire
Selon Yves Michaud, une société où la violence n’apparaît pas n’est pas nécessairement pacifique, et, inversement. Pour lui, « l’apparition de la violence pour ce qu’elle est tient plus à la dissolution des règles qui unifient le regard social qu’à la réalité qu’elle peut avoir. Ce n’est donc pas parce qu’aujourd’hui nous parlons sans cesse de violence que nos sociétés doivent être pensées plus violentes »[507]. Il est ainsi conduit à donner les précisions suivantes :
« Il y a de fortes chances pour que, plus les points fixes sont in-questionnables, plus l’unité du social qui empêche la violence d’apparaître repose sur une domination implacable. En ce sens, il n’est pas sans signification que la notion de violence soit apparue et apparaisse préférentiellement dans des sociétés plus démocratiques que totalitaires et qui doutent d’elles-mêmes ; la terreur produit au contraire toutes les apparences de calme »[508].
L’intérêt de la réflexion de Michaud ne se situe pas du côté de la terreur qui est la caractéristique essentielle du terrorisme, en plus d’être celle du totalitarisme. Il est davantage du côté de la critique de la démocratie qui est offerte aujourd’hui comme la fin de l’histoire politique de l’humanité. Le régime démocratique serait, en effet, le résultat dialectique ou dialectisé des régimes antérieurs que sont notamment la monarchie et l’aristocratie. Par son avènement et son instauration, la démocratie mettrait fin à la domination du monarque charismatique, du despote éclairé, de l’aristocrate avisé qui, comme tels, ne savent servir que leurs intérêts de classe. Il y a, dès lors, incontestablement une lecture erronée du théâtre social qui, quoiqu’en feu, s’interdirait l’accès des sapeurs-pompiers. L’aveuglement d’ordre politique, à cet échelon, serait de nature similaire à l’aveuglement dans lequel baignent les terroristes. Eux aussi commencent à voir dans leur religion et son rayonnement à l’échelle planétaire la fin de l’histoire prédite par Weber dans les termes de la fin des religions. Weber est ainsi conduit à tenir pour périmées les deux premières formes de domination politique au profit d’une troisième :
« En ce qui concerne les justifications internes, donc les raisons sur lesquelles s’étaye la légitimité d’une domination (…), il en est en principe trois. En premier lieu, l’autorité de l’ « éternel hier », (…). Ensuite, l’autorité de la grâce personnelle extra-quotidienne (charisme), l’abandon de soi tout à fait personnel et la confiance personnelle dans les révélations, l’héroïsme ou d’autres qualités propres aux chefs de guerre qu’un individu se trouve possédé : la domination charismatique, telle que l’exercent le prophète ou le chef de guerre élu, le maître plébiscitaire, le grand démagogue ou le chef de parti politique. Enfin, la domination en vertu de la « légalité »[509].
La typologie wébérienne de la domination légitime, en ses séquences sur la domination traditionnelle et la domination charismatique, laisse imaginer ce que peut être la structuration de la nébuleuse terroriste. L’étatisation n’y est pas à l’ordre du jour, encore moins la démocratisation. Or, aux yeux de bien de penseurs politiques modernes, Habermas notamment, la formation démocratique de l’opinion et de la volonté politique est la voie qu’on ne peut pas ne pas emprunter lorsqu’on épouse la thèse du désenchantement des mondes traditionnel et religieux. Si les légitimités et les légitimations assises sur la Tradition, le Charisme et la Loi ne suffisent plus et s’exposent aux agressions sous des formes aussi inimaginables qu’insoutenables, il faut en trouver une qui puisse venir en suppléance : c’est la légitimité démocratique. Elle a quelque chose de la légitimité assise sur la Loi pour autant qu’elle part de la loi avant que soit trouvé un mode de production et de reproduction plus adapté aux besoins des mondes désenchantés et pluralistes. C’est ainsi que la faculté de juger, fécondée par la raison discursive, est sollicitée pour servir d’étalon et d’aiguillon aux lois[510]. Ce n’est pas pour autant que la légitimité est mise définitivement à l’abri des contestations et violences dégénérant dans des actions terroristes. Celles-ci sont enfouies dans une nébuleuse si insaisissable qu’elles sont sans territoire étatique précis et sans frontières nationales déterminées. Faut-il pour autant espérer l’avènement d’un État terroriste ?
2- Les faces du terrorisme : fanatisme et fondamentalisme
« Dans telle situation ou dans telle culture, pour peu que le retentissement médiatique ne vienne spectaculariser l’événement, la mise à mort de milliers de personnes en un temps bref, peut provoquer moins d’effets psychiques et politiques que l’assassinat d’un seul individu dans tel pays, telle culture, tel État-nation suréquipé du point de vue médiatique »[511].
La sensibilité aux événements, des moins douloureux aux plus douloureux, reste largement déterminée, selon, Derrida, par les conditions d’existence objectives. Les infrastructures médiatiques en font partie. Derrida met ainsi en crise la perception de l’homme comme un être débonnaire qui rechignerait à voir son semblable souffrir. Ainsi se trouve dédramatisé le rapport à la mort comme prisme de lecture du terrorisme :
« Et puis le terrorisme, est-ce que cela passe seulement par la mort ? Ne peut-on pas terroriser sans tuer ? Et puis tuer, est-ce nécessairement « faire mourir » ? N’est-ce pas aussi « laisser mourir » ? Est-ce que « laisser mourir », « ne pas vouloir savoir qu’on laisse mourir », (des centaines de millions d’êtres humains, de faim, de sida, de non-médicalisation, etc.) ne peut pas faire partie d’une stratégie terroriste plus ou moins consciente et délibérée ? »[512].
Comme la violence analysée par Michaud sous la catégorie d’une violence sans violence physique, le terrorisme est également interrogé en lien avec les stratégies en apparence éloignées du terrorisme. Derrida fait remarquer ce qui suit :
« On a peut-être tort de supposer légèrement que tout terrorisme est volontaire, conscient, organisé délibéré, intentionnellement calculé : il y a deux situations historiques et politiques dans lesquelles la terreur opère, si on peut dire, comme d’elle-même ; par le simple fait d’un dispositif, en raison des rapports de force en place, sans que personne, aucun sujet conscient aucune personne, aucun moi ne s’en sente conscient ou ne s’en porte la responsabilité. Toutes les situations d’oppression produisent une terreur qui n’est jamais naturelle (qui est donc organisée, institutionnelle) et dont elles dépendent sans que jamais ceux qui en bénéficient n’aient à organiser des actes terroristes et ne soient traités comme des terroristes »[513].
L’on peut retenir de ce paragraphe, le souci de Derrida de débrouiller le terrorisme marqué de préjugés qui ne condamnent que les mouvements terroristes constitués. Il tend ainsi à généraliser le terrorisme et à en faire une violence ouverte immédiate ou non, mais toujours susceptible d’être engagée par n’importe qui, n’importe quel dispositif, n’importe quel État. La notion de dispositif est centrale. Michel Foucault la pense également en termes d’efficacité pratique en même temps que d’abolition de la liberté humaine. En réalité, « le dispositif est moins un déterminisme qui nous produit que l’obstacle contre lequel réagissent ou ne réagissent pas notre pensée et notre liberté. Celles-ci s’activent contre lui parce que le dispositif est lui-même actif ; c’est un instrument « qui a son efficacité, ses résultats, qui produit quelque chose dans la société, qui est destiné à avoir un effet » »[514]. Cela revient à dire que nul ne peut échapper au terrorisme et à l’accusation d’être terroriste, à moins de vivre dans une société sans dispositif.
Habermas tirera, pour sa part, son approche du terrorisme vers le demi-échec de l’Aufklärung auquel il faut imputer la montée en puissance des mouvements de nature fondamentaliste et terroriste. Chez lui, la symétrie entre terrorisme, fondamentalisme, fanatisme existe et est bien opérante. Pour se faire comprendre, à la suite de la question de Giovanna Borradori l’invitant à discuter des nouvelles dimensions du terrorisme après le « 11 septembre », Habermas organise sa réflexion en convoquant deux figures de la violence révolutionnaire, à savoir les guérilleros et les terroristes :
« Les guérilleros combattent en territoire connu avec une finalité politique déclarée : prendre le pouvoir. Cela les distingue de ces terroristes disséminés un peu partout dans le monde, organisés en réseaux selon les principes des services secrets, qui expriment, certes, des mots d’ordre fondamentalistes, mais n’obéissent à aucun programme qui aille au-delà de la destruction et l’insécurité. Le terrorisme que nous associons provisoirement au nom d’Al Qaïda rend impossible une identification de l’adversaire et une évaluation réaliste du risque »[515].
La clé de la lutte anti-terroriste passe pour ainsi dire par l’identification de l’adversaire, de l’ennemi, du combattant, etc. La métaphore des services secrets est une preuve supplémentaire de la nébuleuse que représentent les mouvements terroristes. Quoique difficiles à identifier, à localiser, à surprendre, ces mouvements auraient néanmoins une seule et même carte d’identité : la religion. Est-ce pour autant que les luttes anti-terroristes doivent être tenues pour des grandes croisades religieuses ? Ce n’est pas souhaitable ! Au demeurant, le champion de ces luttes, les États-Unis d’Amérique, à ce qu’écrit Pierre Hassner[516], comprennent bien la nécessité de ne pas affaiblir pareilles luttes dans des considérations religieuses. Et, pourtant, l’État islamique est en cours, Boko Haram[517] aussi.
III- ANTI-TERRORISME ET DROITS MORAUX DE LA CONSCIENCE : RECADRAGE APORÉTIQUE ( ?)
Comment sortir du cadre aporétique que constitue la lutte anti-terroriste prédatrice des droits moraux, tel est l’intérêt, en dernier ressort, de cette séquence. Elle mobilise non seulement les écrits de Ronald Dworkin, mais également les analyses de Habermas en relation étroite avec la désobéissance civile qui, à la fois, ouvre et ferme le chemin de la contestation. Que contestent, au fond, les terroristes ? Une civilisation, un ordre hégémonique incarné par les États-Unis et l’Europe, une politique, un politique, un visage, etc. ?
Les réponses ne sont pas univoques[518]. Ce qui est, en revanche, aisé à relever relève du visage de l’humain à qui il est reconnu des droits fondamentaux similaires à ceux du terroriste, qui en cherche la suppression. Pourquoi ce dernier devrait-il surévaluer ses droits au détriment de ceux des autres ? L’on répond d’ordinaire que c’est parce qu’il est fanatique ou fanatisé (manipulé), et par voie de conséquence, parce qu’il ne comprend pas sa relation avec la religion encore moins avec la sécularisation qui en favorise l’érosion. Au demeurant, la sécularisation, comme en témoignent les déclarations d’un des tenants du mouvement Radical Othodoxy, est controversée :
« Pour nous, la sécularisation est l’enfant naturel d’une fausse théologie et d’une fausse ecclésiologie. Il est au pouvoir de la théologie d’inverser ce processus, qui en dernière analyse, est intellectuel, même si la mentalité engendrée par ses modes de pensée est profondément enracinée dans la praxis sociale »[519].
En plus des explications mobilisées par Habermas tendant à faire porter le fardeau des controverses théologico-politiques sur les épaules des modernes qui ne se comprennent pas tous de la même manière, la réflexion sur la sécularisation dont continue d’en prendre acte une bonne partie des modernes, est celle de ses nouvelles frontières là où elle (la sécularisation) est devenue la marque de la dérision tragique du rôle politique des religions, de la religion musulmane, en particulier. Dès lors, le refus, sinon la méfiance que suscite l’Islam politique n’est pas qu’accidentel ; la modernité en tant qu’histoire devenue de la Raison n’y trouve aucun intérêt. Et, pourtant, c’est dans cette part de modernité qui se régénère dans la conscience individuelle prétendument libre face à la communauté religieuse que trouveraient à se loger les énergies terroristes. Celles-ci fonctionnent autant sur le mode d’un engagement personnel que sur celui d’une prise en charge idéologique collective. En les prenant sous le premier registre, l’on rencontre les défenseurs de la désobéissance civile[520], notamment Dworkin et Habermas.
Quoiqu’il ne soit pas tout à fait exact de tenir le terrorisme pour une radicalisation de la désobéissance civile non civilisée, il reste que, considérée sous l’angle de la démarche théorique, indépendamment des moyens et des effets historiquement vérifiés, la désobéissance civile et les théories qui l’organisent, en partageant les mêmes apories que le terrorisme sur le front de l’équilibre à trouver entre les droits moraux de la conscience et les droits positifs, peuvent pousser vers de nouveaux progrès. Ils s’inscrivent dans la trame de cette question simple : Que faut-il faire pour aider l’anti-terrorisme dans sa guerre contre les terroristes ?
En premier lieu, il importe de retourner à l’auteur de Prendre les droits au sérieux, qui réfléchit à partir d’une aire géographique réputée anti-terroriste, les États-Unis. Dworkin pose la question suivante qui n’est plus banale dans le contexte des luttes acharnées contre le terrorisme et des allégeances, quoique mineures, de citoyens américains, français, anglais, belges au profit des mouvements terroristes : « Un Américain a-t-il le droit d’enfreindre une loi ? Supposons que quelqu’un admette qu’une loi est valide ; a-t-il, en conséquence, un devoir d’y obéir ? » [521].
Dworkin poursuit en soulignant que ceux qui ont à cœur de se prononcer se retrouvent dans deux camps antagonistes. Au-delà de la réponse qu’apportent les deux parties, attardons-nous sur les propres commentaires de Dworkin :
« Il doit y en avoir qui placent le devoir envers l’État si haut qu’il ne peut jamais être dépassé. Il y en a certainement qui nieraient qu’un homme ait jamais le devoir d’obéir à la loi, au moins aux États-Unis aujourd’hui. Mais ces deux positions extrêmes ne constituent pas les minces extrémités relevées d’une courbe en forme de cloche et tous ceux qui se situent entre elles épousent la position orthodoxe que j’ai décrite, à savoir qu’ils pensent que les hommes ont le devoir d’obéir au droit mais qu’ils ont le droit de suivre leur conscience lorsqu’elle est en conflit avec leur devoir »[522].
Plus délicate est la question du terrorisme en ce qu’elle n’a pas l’infrastructure démocratique libérale qui autorise de conduire des raisonnements aussi sophistiqués que paradoxaux. En fait, il y avait un couplage resté non démenti entre le terrorisme et l’anti-libéralisme jusqu’à ce que l’on s’aperçoive des allégeances au terrorisme internes aux enceintes libérales et démocratiques les plus avancées. En Angleterre et en France, notamment, les réseaux terroristes se tissent de jour en jour. Que faut-il faire ?
C’est la seconde fois que revient la question. Faisons donc, en dernier lieu, ce qu’il y a à faire, à savoir faire toujours son devoir tel que prescrit dans l’État, comme le suggérait, un temps, Auguste Comte. Mais alors, pourquoi des citoyens devraient-ils suivre tête baissée les lois de l’État ? Sous le front rawlsien très particulier de la Foi religieuse, cette même interrogation revient sous la plume de Habermas : « Comment est-il possible que ceux qui militent pour leur foi avalisent, comme ceux qui ne professent aucune foi, un régime constitutionnel si, sous sa coupe, leurs doctrines totalisantes courent non seulement le risque de ne pas prospérer mais encore de décliner ? »[523].
Les réponses avancées autant par Rawls que par Habermas sont tributaires du libéralisme politique qui n’est guère partagé par les traditions qui structurent l’entreprise terroriste. Aussi, convient-il, comme le fait savoir, à juste titre, Emmanuel Picavet de redoubler les processus d’apprentissage, les explications et les compréhensions[524]. Pour lui, « dans un contexte individualiste qui privilégie ce qui témoigne de l’indépendance des personnes, les conventions culturelles dominantes valident alors les revendications de type libérale ; elles permettent de dire qu’elles visent la protection d’intérêts personnels substantiels et que, pour cette raison, il faut leur donner gain de cause »[525]. Il peut exister des actions sans intérêt pour autrui, qui sont pourtant âprement protégés par la collectivité en tant que source d’intérêts personnels substantiels que ce dernier découvrira tôt ou tard. En fait, « il y a en général tout de même un travail à faire pour expliquer dans chaque cas l’absence d’intérêt ou plus précisément, le caractère remplaçable des actes de nuisance dirigés contre les initiatives personnelles qu’il s’agit de protéger. C’est que la tentation de l’intolérance reste souvent menaçante »[526].
La tentation de l’intolérance reste souvent menaçante qui, comme telle, marque et relance le retour du refoulé qu’est le droit de la conscience. Faut-il en rester à cette démarche pédagogique doublée d’une approche cognitiviste forte des problèmes, pour décourager les candidats au terrorisme ? Oui, mais il est difficile d’en dire autant pour les terroristes en opération, convaincus de leur cause. En vérité, pour parler à un terroriste, il faut qu’il accepte d’écouter. Est-ce à dire que les luttes anti-terroristes arrivent trop tard dans un univers terroriste aussi vieux de fondamentalistes que de fanatiques ?
En tout état de cause, si l’on veut nous contester le droit de réunir désobéissance civile, droits moraux de la conscience et terrorisme sous un même toit, il est une réponse possible : en termes de finalité, ils seraient à loger à la même enseigne, mais en termes de moyens et d’effets des moyens, désobéissance civile et terrorisme s’éloignent si loin l’une de l’autre que la non-violence est « une valeur politique et non métaphysique »[527].
CONCLUSION
Derrida est mort, laissant à la postérité une approche du terrorisme fort éloignée des propagandes médiatiques. Le rapport au terrorisme ne saurait être uniquement une comptabilité des morts. Cela induit une nouvelle lecture des luttes anti-terroristes, à inscrire résolument dans l’héritage critique de la modernité au nom de laquelle l’auto-immunité des valeurs est proscrite. Tout comme Derrida, Dworkin a laissé, à sa mort, un héritage théorique inséré dans les cadres exigeants de la modernité critique qui autorise ce qui suit : les droits moraux de la conscience doivent être maintenus face aux droits positifs de l’État sous la bannière desquels s’organisent les luttes anti-terroristes. Celles-ci seraient infructueuses, si elles devraient se rire des acquis de la modernité politique en termes de droits de l’homme, d’État de droit démocratique, de tolérance religieuse, etc.
Habermas a, en plus du « 11 septembre », la réalité (médiatique) que ne peuvent plus avoir Derrida et Dworkin, de Boko Haram et de l’État islamique, pour viser à sa radicale portée la modernité politique : la vie de couple entre droits de l’Homme et souveraineté populaire d’un côté, de l’autre, entre religion et tolérance, au point de faire dépendre la survie des religions du régime de tolérance affiché. Si, cependant, en dépit des processus de sécularisation, les énergies religieuses demeurent, se durcissent, s’étatisent même, il faut toujours poursuivre la marche de la modernité en se préoccupant de redonner de la vitalité au régime de la tolérance[528] qui implique la revalorisation des droits moraux de la conscience à travers l’aiguillon de la communication critique propre à l’agir communicationnel. Les droits moraux de la conscience (religieuse) qui appartiennent aux questions pratiques, sont susceptibles de vérités pratiques, et par conséquent, d’être discutés, critiqués, reconsidérés et opposables aux droits positifs en vigueur dans l’État de droit.
Même miné par l’action terroriste dont «le seul effet possible est d’instaurer dans la population et auprès des gouvernements, un sentiment de choc et d’inquiétude »[529], l’État de droit n’a pas à se laisser déborder par le patriot act, par les régimes d’exception, etc. Il n’a pas à sombrer dans le ridicule[530], en se déchargeant des bonnes raisons de la Raison moderne dédiées aux droits de l’Homme et de leur promotion, à la fois, facilitée et affaiblie par leur caractère moral. En somme, on n’affronte pas le terrorisme sans ces (ses) paradoxes, ces (ses) apories qui sont, en réalité, des appels à toujours philosopher, à savoir interpréter pour donner du sens. Les perspectives philosophiques, qu’elles soient derridienne, dworkinienne ou habermassienne, sont ainsi ouvertes pour penser dans sa stratégie dévastatrice, non pas la violence légale légitime de l’État de droit parallèlement à la violence révolutionnaire, mais plutôt la violence ‘’gratuite’’ des terroristes.
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VEYNE, Paul, Foucault, sa pensée, sa personne, Paris, Albin Michel, 2008.
VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, Paris, Garnier-Flammarion, 1989.
WEBER, Max, Le Savant et le politique, préface, traduction et notes de Colliot-Thélène C., Paris, La Découverte, 2003.
WIEVIORKA, Michel, MACE, Eric, SEMELIN, Jacques, alii, Cette violence qui nous tient, Paris, Cosmopolitismes et éditions de l’aube, 2002.
[1] ASCHIERI, Gérard, « Mariage pour tous : quel enjeux ?», in Magazine Hommes et Liberté, n°161, Mars 2001, p. 12.
[2] BERNHEIM Gilles, « Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : Ce que l’on oublie souvent de dire », p. 7, in www.Saintbonaventure-lyon.catholique.fr,consulté le 28/10/2014.
[3] ASCHIERI, Gérard, op.cit, p. 12.
[4] TAYLOR, Charles, Multiculturalisme, Différence et démocratie, Paris, Flammarion, 2009, p. 41.
[5] www.larousse.com/dictionnaires/français/Mariage/49471, consulté le 28/10/2014.
[6] Livre de la Genèse, Chapitre 2, Verset 24, in La Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 2001, p. 3.
[7] LÉVI-STRAUSS, Claude, Les structures élémentaires de la Parenté, Paris, Gallimard, 1973, p. 66.
[8] BEDIN, Véronique et FOURNIER, Michel, « La Parenté en Question », in Revue Sciences Humaines, n° 32, Avril, 2003, p. 25.
[9] Père THADDÉE SEKA Jean Pascal,in Préface à Mariage, chemin de sanctification, KOUAKOU Alfred et Adèle, Abidjan, Maison biblique, 2014, p. 5.
[10] BERNHEIM Gilles, op.cit, p. 7.
[11] BUTLER, Judith, Trouble dans le genre, Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2005, Préface de Eric Fassin, traduit de l’anglais (États-Unis) par Cynthia Kraus, pp. 26-27.
[12] BEAUVOIR, Simone de, Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949, p. 423.
[13] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Art 1.
[14] Idem.
[15] LOCHACK Daniel, Le droits de l’homme, Paris, La découverte, 2004, p. 3.
[16] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Art 16-1.
[17] Idem, Art 16-3.
[18] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Art 21-3.
[19] ROUSSEAU, Jean-Jacques, Discours sur l’économie politique, in Œuvres complètes, TIII, Paris, Gallimard, 1964, p. 247.
[20] PMA, procréation médicalement assistée, désigne l’ensemble des pratiques cliniques et biologiques où la médecine intervient plus ou moins directement dans la procréation. C’est l’insémination artificielle de la mère, via notamment FIV ou FIVETE pour «fécondation in vitro et transfert d’embryon».Cette pratique est autorisée seulement aux couples stables, en dessous d’un certain âge, touchés par la stérilité de l’un des deux ou susceptibles de risquer une transmission de maladie.
[21] GPA, gestation pour autrui, est une méthode de procréation nouvelle qui se pratique généralement en cas d’infertilité féminine liée à l’absence d’utérus, ou à sa déformation. Elle consiste à faire « porter » un enfant par une autre femme, l’ovule provenant le plus souvent de la future mère et étant fécondé par le futur père, mais pouvant aussi venir d’une donneuse anonyme ou de la mère biologique. La mère porteuse ne fournit pas de contribution génétique, c’est-à-dire un ovule, mais prend en charge le « développement in utero » d’un embryon et, à la naissance, remet l’enfant à la « mère génétique » (ou « sociale » en cas de don d’ovules) et à son père.
[22] BEDIN Véronique et FOURNIER Michel, op.cit, p. 25.
[23] BRUSNEL, Marie-Claire, SZEJER, René, et WINTER, Jean-Pierre, Abandon sur Ordonnance : Manifeste contre la législation des mères-porteuses, Paris, Bayard, 2009, 86 p. 16.
[24] HONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2007, traduit de l’allemand par Pierre Rusch, p. 162.
[25] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Art 4.
[26] KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, dans Métaphysique des mœurs, I, Fondation, Introduction, traduit par Alain Renault, Garnier, Paris, Flammarion, 1999, p. 121.
[27] POAMÉ, Lazare Marcelin, « Des Droits de l’Homme à la Bioéthique : chemin de pensée anti-esclavagiste », in Repères, Année 2001, Vol.3, n°1, p. 25.
[28] GUILLEBAUD, Jean-Claude, Le principe d’humanité, (Paris, Editions du Seuil, 2004), p. 183.
[29] TSALA MBANI, Liboire, André, Biotechnologie et nature humaine. Vers un terrorisme ontologique, (Paris, L’Harmattan, 2007), p. 11.
[30] TAGUIEFF, Pierre, André, La Bioéthique ou le juste milieu, Paris, Fayard, 2007, pp. 11-12.
[31] KI-ZERBO, Joseph, Éduquer ou périr, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 16.
[32] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Art 26, Alinéa 2.
[33] KI-ZERBO, Joseph, Op. cit.,p. 45.
[34] Théorisé par Sigmund Freud dans sa première topique, le complexe d’Œdipe, concept central de la psychanalyse, est défini comme le désir inconscient d’entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé (inceste) et celui d’éliminer le parent rival du même sexe (parricide). Ainsi, le fait qu’un garçon tombe amoureux de sa mère et désire tuer son père répond à l’impératif du complexe d’Œdipe.
[35] FREUD, Sigmund cité par BRABANT, Clefs pour la psychanalyse, Paris, Editions Seghers, 1970, pp. 44-45.
[36] FOLSCHEID, Dominique, Famille et société, Version numérique, PDF, consulté le 28 Août 2013, p. 10.
[37] FOLSCHEID, Dominique, op.cit, p. 10.
[38] Article 2-2 de la Convention Internationale de l’ONU, in WWW.un.org/fr/rights/overview/conventions.Shtml, consulté le 28/10/2014.
[39] Idem, Article 7-1
[40] MARX Karl, « La philosophie et l’esprit du temps », in Œuvres choisies, tome 1, choix de Guterman et Henri Lefèvre, Paris, Gallimard, 1969, p. 17.
[41] GOYARD-FABRE, Simone, Les principes philosophiques du droit moderne, Paris, PUF, 1997, p. 274.
[42] OTTO APPEL, Karl, « La responsabilité aujourd’hui n’est-elle qu’un principe de conservation et d’autolimitation ou reste-t-elle encore un principe de libération et de réalisation ? », in Discussion et responsabilité 2. Contribution à une éthique de la responsabilité, trad. Par C. Bouchindhomme et R. rochlitz, Paris, éd. Du Cerf, pp. 09-38.
[43] JONAS, Hans, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, trad. Par Jean Greisch, Paris, éd. Du CERF, 1995, p. 197.
[44] JONAS, Hans, l’art médical et la responsabilité humaine, trad. D’Eric POMMIER, Paris, éd. DU CERF, 2012, p. 24.
[45] JONAS, Hans, le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, op.cit.
[46] JONAS, Hans, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p. 140.
[47] Idem, p. 30.
[48] Idem, pp. 30-31.
[49] Technik, Medizin, und Ethik. Zur Praxis des Prinzips Verantwortung, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1985.
[50] JONAS, Hans, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, op.cit, p. 145.
[51] « Les droits, le droit et l’éthique : quelle réponse apportent-ils aux propositions des nouvelles technologies de la procréation ? », in évolution et liberté, trad. par Sabine Corneille et Philippe Ivernel, Paris, Payot et Rivages, 2005, pp. 159-191.
[52] Sozialdemokratische Partei Deutschlands (Parti social-démocrate d’Allemagne).
[53] Idem, p. 160.
[54] Sozialdemokratische Partei Deutschlands (Parti social-démocrate d’Allemagne), p. 169.
[55] Ibidem.
[56] JONAS, Hans, L’art médical et la responsabilité humaine, Op. cit., p. 55.
[57] JONAS, Hans, L’art médical et la responsabilité humaine, Op. cit., p. 55
[58] JONAS, Hans, Le Concept de Dieu après Auschwitz. Une voie juive, trad. Par Philipe Ivernel, Paris, éd. Payot, 1994.
[59] JONAS, Hans, « Les droits, le droit et l’éthique : quelle réponse aux propositions des nouvelles technologies de la procréation ? », Op. cit., p. 171.
[60] Idem, 172.
[61] JONAS, Hans, Le principe responsabilité, Op. cit., p. 148.
[62] JONAS, Hans, Le principe responsabilité, Op. cit., p. 148.
[63] Ibidem, p. 150.
[64] JONAS, Hans, Le principe responsabilité, Op. cit., p. 176.
[65] Ibidem.
[66] Ibidem.
[67] Idem, p. 179.
[68] Ibidem.
[69] N’DOUBA, Boroba François« Familles monoparentales et développement cognitif chez des enfants ». Centre d’Etudes de Recherche en Lettres, Sciences Humaines et Sociales, Tome XXIV, n° 34, 2009, pp. 237- 254.
[70] Maccoby et Martin, « Socialization in the context of family » in Handbook of child psychology, 4, NY: Wiley, 1983, pp. 1-101.
[71]Idem, p. 5.
[72] TERRISSE, Bernard, BEDARD, Johanne et PITHON, Gérard, « La prévention de la violence et de l’agressivité chez les jeunes en milieu familial ». Revue Scientifique de l’Association Canadienne d’Education des Langue Française, 12, 2004, pp. 33-43.
[73] COLLINS, Willard Andrew et LUEBKER, Coral, « Parent and adolescent expenctancies: individual and relational significance ». In J.G. Smetana (Ed.), Beliefs about parenting, 2003, pp. 65-80.
[74] KUCYNSKI, Léon et HILDEBRANDT, Neil, « Models of conformity and resistance in socialization theory ». Parentig and children’s internalization of values, NY: Wiley, 2007, pp. 227- 238.
[75] RUBLE, Diane Nelesen, « The development of social comparison process and their role in achievement-related self-socialization ». Social cognition and social development, NY: Cambridge University Press, 2005, pp. 134-157.
[76]GRUSEC, Joan et GOODNOW, Jacqueline Jarrett, « The impact of parental discipline methods of the child’s internalization of values » in Development psychology, 30, 2004, pp. 4-19.
[77] BOWLBY, John, Attachment and loss (vol 1) separation. NY: Basic Books, 1973.
[78] Idem, p. 8.
[79] THELEN, Esther, « Dynamic systems theories ». Hanbook of child psychology : vol 1, NY: Wiley, 2008, pp. 563-634.S
[80] Idem, p 11
[81] TANO, Jean, « Jeu traditionnel ivoirien et développement cognitif ». Perspectives de l’interculturel, L’Harmattan, 2010, PP. 358- 368.
[82] JERIKO, Axel et AKPA, Patricia, ‘’Voici ce que coûte une fécondation in vitro en Côte d’Ivoire’’ in Mousso, Numéro 521 du 30 août 2009.
[83] Ibidem
[84] ‘’République de Côte d’Ivoire : Plan National de Développement 2012-2015’’, Abidjan, décembre 2011.
[85] ALAIN, Serge, « Côte d’Ivoire : lutte contre la stérilité, les dangers de la fabrication des bébés » in Numéro d’Urgence 23-12-2014.
[86] http://pma.alwaysdata.net/#coelio
[87] Ibidem.
[88] Ibidem.
[89] Ibidem.
[90] http://www.procreationmedicale.fr/
[91] http://pma.alwaysdata.net/#coelio
[92] http://pma.alwaysdata.net/#coelio
[93] http://www.procreationmedicale.fr/
[94] www.netenviesdebbes.com
[95] http://www.procreationmedicale.fr/
[96] http://pma.alwaysdata.net/#coelio
[97] Ibidem.
[98] Ibidem.
[99] Ibidem.
[100] Ibidem.
[101] Ibidem.
[102] Ibidem.
[103] Ibidem.
[104] Infertilité et procréation médicalement assistée, www.medecine.unige.ch/enseignement/apprentissage/…/08_r_cma.pdf
[105] Infertilité et procréation médicalement assistée, www.medecine.unige.ch/enseignement/apprentissage/…/08_r_cma.pdf
[106] Ibidem.
[107] Ibidem.
[108]Infertilité et procréation médicalement assistée, www.medecine.unige.ch/enseignement/apprentissage/…/08_r_cma.pdf
[109]Ibidem.
[110]Ibidem.
[111] C.C.N.E : Avis 2001.1, La Procréation médicalement assistée (PMA), www.cne.public.lu/publications/avis/2001_1.pdf
[112]C.C.N.E : Avis 2001.1, la Procréation médicalement assistée (PMA), www.cne.public.lu/publications/avis/2001_1.pdf
[113] Ibidem.
[114]Ibidem.
[115] Ibidem.
[116] Ibidem.
[117] Henri Atlan, choisir la cause des femmes,www.choisirlacausedesfemmes.org/uploads/documents/journal94_3.pdf
[118] La France n’accepte pas encore juridiquement cette pratique.
[119] BOLZINGER, André, « Le concept clinique de crise », in Bulletin de Psychologie, Tome XXXV, No 355, 1982, pp. 475-480.
[120] DURKHEIM, Émile, Textes III: fonctions sociales et institutions, Paris, Minuit, 1975, p. 24.
[121] LACROIX, Xavier, « Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? », in Livres hebdo, no 564, 2004, p. 114.
[122] La procréatique désigne l’ensemble des techniques relatives à la procréation artificielle. Elle comprend :
– l’insémination artificielle, qui est l’introduction de sperme dans les voies génitales féminines, dans le but de combattre l’infertilité. Cette technique consiste à déposer du sperme (frais ou ayant été conservé par congélation) provenant du conjoint ou d’un donneur, au niveau du col de l’utérus ou de préférence dans l’utérus lui-même.
– la fécondation in vitro et ses variantes : la fécondation in vitro consiste à prélever un ovule chez une femme, à le faire féconder en laboratoire et à le replacer ensuite dans la cavité utérine (l’utérus) de la femme qui a donné l’ovule (ou parfois, chez une autre femme). (Voir COLL Dominique (sous la direction de), Vugarismedical, « Procréatique : définition », sur www.vulgaris-medical.com/encyclopedie-medicale/procreatique, consulté le 14/10/2014)
[123] Ces trois définitions sont proposées par le Larousse consultable dans sa version en ligne sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/famille/32798
[124] Fondé en 1965 par Georges et Pauline Varnier, l’Institut Varnier de la famille (canadienne) reste une référence mondiale en matière d’études et de recherches sur la famille et ses mutations actuelles.
[125] Institut Varnier de la famille, « Définition de la famille », sur http://www.vanierinstitute.ca/definition_of_family_fr
[126] Voir sa présentation au colloque international sur l’élaboration d’un cadre conceptuel sur les études familiales tenu à Bauff, en Alberta en 1975 par l’Institut Varnier de la famille.
[127] LEVI–STRAUSS, Claude, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Presses universitaires de France, 1949.
[128] Dans « Représentations collectives et diversité des civilisations » Mauss montre que les religions se sont traditionnellement chargées d’institutionnaliser les « normes » ou ciment symbolique de l’insertion individuelle dans le monde physique et social. Les institutions juridiques et politiques s’occupent de la formation normative du fonctionnement (…) l’économie pourvoit à la conservation du bien du groupe, etc. (MAUSS, Marcel, « Représentations collectives et diversité des civilisations », in Œuvres, Paris, Minuit, tome 2.).
[129] MORREUX, Collecte, « La famille occidentale est-elle en crise ? », Ottawa, Les éditions de l’Institut Vanier de la famille, 1981, p. 1.
[130] Idem, p. 3.
[131] Ibidem.
[132] ELEA, Asselineau, « Biotechnologie : quand le vivant s’en mêle et les idées s’emmêlent », sur www.prog-perception.com/La-biotechnologie-quand-le-vivant.html, publié le 11 juin 2012, consulté le 14/10/2014 à 16h00. Voir aussi POAME, Lazare, « Biotechnologie », sur http://www.lazarepoame.com/index.php/exemple-page/biotechnologie.
[133] MORREUX, Collecte, « La famille occidentale est-elle en crise ? », Op. cit., p. 2.
[134] FREYDMAN, René, « La procréatique », in Pouvoirs, Paris, janvier, 1991, p. 71.
[135] Idem., P.71.
[136] ROBINSON, Bernard, « Crise de la société et mariage homosexuel ? Réflexion éthique », Centre d’étude de la relation psychothérapeutique, février 2013.
[137] FOUTEAU, Carine et TURCHI, Marine, « Homoparentalité dans les études scientifiques », Mediapart, novembre 2012.
[138] Gross dénombre des milliers en France, 3 millions aux États-Unis.
[139] GROSS, Martine, L’homoparentalité, Paris, PUF, 2005.
[140] GODELIER, Maurice,Métamorphose de la parenté, Paris, Fayard, 2004, p. 97.
[141] LALIEUX, Karine, « Faut-il permettre l’adoption aux couples homosexuels? », sur http://www.lalibre.be/debats/opinions/faut-il-permettre-l-adoption-aux-couples-homosexuels-51b88965e4b0de6db9abe6c9, publié le mercredi 13 avril 2005.
[142] JONAS, Hans, Le principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, 1990, p.43-44.
[143] A propos de « l’identité conceptionnelle »le psychiatre Benoît Bayle écrit : « L’identité conceptionnelle répond à ces fameuses questions : « qui suis-je ? », « d’où est-ce que je viens ? », « à qui dois-je la vie ? ». La femme qui perd son époux au cours d’une grossesse, porte en elle un enfant qui est le fruit d’une relation concrète avec le défunt. Cet enfant incarne la relation de deux vivants… La femme qui demande à être enceinte par insémination post-mortem, porte en elle un enfant conçu hors sexe qui est avant tout le fruit de son désir, désir réalisé grâce à l’apport des gamètes congelés du mari décédé et avec l’aide d’une équipe biomédicale. C’est toute la structure de l’identité de l’être humain conçu qui se trouve radicalement bouleversée… Cette particularité se retrouve d’ailleurs avec la plupart des pratiques d’assistance médicale à la procréation, mais ici, la mort du conjoint la rend encore plus problématique. » (BENOIT, Bayle, « L’insémination post-mortem en question », sur
www.psychoenfants.fr/actus fr_L_insemination_Post_Mortem_en_question_11701.html).
[144]La famille ici est comprise comme famille nucléaire ou conjugale (père, mère, enfant(s)) et comme famille élargie ou communautaire (grands-parents, frères et sœurs, petits-enfants, oncles, tantes, neveux, nièces). Les particularismes en la matière, comme la monoparentalité, l’homoparentalité et la famille recomposée, ne sont pas pris en compte.
[145]WEBER, Max, L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme suivi d’autres essais, Paris, Éditions Gallimard, 2003, traduction revue d’après l’édition allemande de 1904 par Jean-Pierre Grossein.
[146]COOPER, David, Mort de la famille, Paris, Éditions du Seuil, 1972, traduction revue d’après l’édition anglaise de 1971 par Ferial Drosso-Bellivier.
[147]DE SINGLY, François, Le soi, le couple et la famille, Paris, Éditions Nathan, 1996, p.190.
[148]FREUD, Sigmund, Totem et tabou, Paris, Éditions Payot, 1965, traduction revue d’après l’édition allemande de 1923 par Serge Jankélévitch, p.82.
[149]Ibidem
[150]BAZIN DE JESSEY, Sophie, « Représentations et fonctionnements familiaux : une perspective historique », in J. Arènes et D. Foyer, dir., Le lien familial Questions et promesses Penser l’éthique de la famille aujourd’hui, Paris, Desclée de Brouwer, 2013, p.87.
[151]GODELIER, Maurice, Métamorphoses de la parenté, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2004, p.11.
[152]DOUMIT EL KHOURY, Arlène, « Les femmes chefs de famille État de la recherche et réflexions méthodologiques », in J. Bisilliat, dir., Femmes du Sud, chefs de famille, Paris, Éditions Karthala, 1996, p.19.
[153]APPIAH-KUBI, Francis, « Théologie de l’Église, Famille de Dieu Une évaluation critique », in Revue d’expériences et recherches missionnaires, 215/1, 2014, p.205.
[154]LÉGAUT, Marcel, Vivre pour être, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1974, pp.65-66.
[155]LÉGAUT, Marcel, L’homme à la recherche de son humanité, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1971, p. 50.
[156] ARENDT, Hannah, La crise de la culture, Huit exercices de pensée politique, Paris, Éditions Gallimard, 1972, traduction revue d’après l’édition anglaise de 1954 par Patrick Lévy, p. 233.
[157]SERRES, Michel, Hominescence, Paris, Éditions Le Pommier, 2001, p. 200.
[158] DESCARTES, René, Discours de la méthode, Paris, Grands Écrivains, 1987, p. 17.
[159] BRUEL, Alain, « La paternité est-elle en crise ? », in La transmission entre les générations Un enjeu de société, Paris, Arthème Fayard, 1999, p. 70.
[160] Idem, p. 69.
[161] Ibidem
[162] COMMAILLE, Jacques et LEBATARD, Chantal, « La famille, lieu de transmission », in La transmission entre les générations Un enjeu de société, Paris, Arthème Fayard, 1999, p. 21.
[163] JULIEN, Philippe, Le manteau de Noé, Essai sur la paternité, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p. 21.
[164]DEKEUWER-DEFOSSEZ, Françoise, « L’autorité parentale confrontée aux de l’enfant : l’approche du juriste », in J. Arènes et D. Foyer, dir., Le lien familial Questions et promesses Penser l’éthique de la famille aujourd’hui, Paris, Desclée de Brouwer, 2013, p. 202.
[165]SIMMEL, Georg, Philosophie de l’amour, Paris, Éditions Rivages, 1988, traduction revue d’après l’édition allemande de 1980 par Sabine Cornille, p. 48.
[166] LILAR, Suzanne, Le couple, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1963, p. 262.
[167] Ibidem
[168] Ibidem
[169] SCHLUMBERGER, Sophie, « Aimer hors paradis », in A. Houziaux, dir., Pourquoi tant d’échecs en amour ?, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Les Éditions Ouvrières, 2004, p. 80.
[170] HIRIGOYEN, Marie-France, Femmes sous Emprise, Les ressorts de la violence dans le couple, Paris, Oh ! Éditions, 2005, p. 140.
[171] Lire HIRIGOYEN, Marie-France, Femmes sous emprise, Les ressorts de la violence dans le couple, Paris, Oh ! Éditions, 2005, pp.131-153.
[172]PERRONE, Reynaldo et NANNINI, Martine, Violence et abus sexuels dans la famille Une approche systémique et communicationnelle, Paris, ESF éditeur, 1995, p. 47.
[173] Ibidem
[174] Ibidem
[175] Le premier type d’inceste renvoie aux rapports sexuels directs entre consanguins.
[176] HÉRITIER, Françoise, CYRULNIK, Boris et NAOURI, Aldo, De l’inceste, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 9.
[177] TORT, Michel, La fin du dogme paternel, Paris, Flammarion, 2007, p. 11.
[178]DE SOUSBERGHE, Léon, Don et contre-don de la vie Structure élémentaire de parenté et union préférentielle, Bonn, Anthropos-Institut e.V ST. Augustin, 1986, p. 78.
[179] ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, traduction française de Jean Tricot, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1997, p. 94.
[180] COURNOT, Antoine-Augustin, Les considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, Œuvres Complètes, T. III, éditées par A. Robinet, Paris, CNRS/ Vrin, 1981, p. 209.
[181] Ibidem.
[182] Ibidem.
[183] LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm, Discours de métaphysique, in Œuvres de G. W. Leibniz, Tome 1, éditées par Lucy Prenant, Paris, Aubier Montaigne, 1972, p. 194.
[184] LEIBNIZ, Gottfried Wilhelm, Essai de théodicée, 2e partie, Chronologie et introduction par J. Brunschvig, Paris, Garnier Flammarion, 1969, p. 186.
[185] GALILEE, Galiléo, L’Essayeur, in Opere, Ed. Nazionale, VI, traduction de C. Chauviré, Les Belles Lettres, Paris, 1980, p. 232.
[186] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 2000, p. 14.
[187] MARTIN-ROBINE, Florence, Histoire du principe de moindre action. Trois siècles de principes variationnels de Fermat à Feynmann, Paris, Vuibert, 2006.
[188] RADELET-DE GRAVE, Patricia, « La moindre action comme lien entre la philosophie naturelle et la mécanique analytique : continuités d’un questionnement », Mémoire, Université Catholique de Louvain (Belgique), LLULL vol. 21, 1998, 439-484, p 467.
[189] LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, Discours de métaphysique, in Œuvres de Leibniz, éditées par Lucy Prenant, Paris, Aubier Montaigne, pp. 166-167.
[190] RADELET, DE GRAVE, Patricia, Op. cit., p. 469.
[191] MAUPERTUIS, Louis Moreau de, Essai de cosmologie, in Œuvres de Maupertuis, Dresde, George Conrad Walter libraire du Roi, 1752, source gallica.bnf.fr/Bibliothèque Nationale de France, p. 25.
[192]KUHN, Thomas, La structure des révolutions scientifiques (1962), traduction française, Paris, Flammarion, 1983, p. 147.
[193] En 1915, David Hilbert démontre les équations de la gravitation de la relativité générale à l’aide du principe de moindre action.
[194]BACHELARD, Gaston, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 2003, p. 176.
[195] CHATIN, Gregory; « Less Proof, More Truth », in New Scientist, N0 2614, juilly 2007, p. 49.
[196] DYSON, F., Infinite in All Directions, New York, Happer and Row, 1988, cité par Bogdanov, La pensée de dieu, Paris, Grasset, 2012, p. 34.
[197] RAYMOND, Pierre, L’histoire et les sciences, Paris, François Maspéro, collection « Algorithme », 1975, p. 68.
[198] MEYERSON, Emile, De l’explication dans les sciences, t.2, Paris, Payot et Cie 1921, p. 167 (source gallica. Bnf. Fr/Bibliothèque Nationale de France), consulté le 28/08/2014, 13 : 54
[199] GALILEE, Galiléo, L’Essayeur, op., cit. p. 232. Lire aussi Bachelard: « C’est par les mathématiques qu’on peut vraiment explorer le réel jusqu’à fond » (Le pluralisme cohérent de la chimie moderne, Paris, Vrin, 1993, p. 231).
[200] BONITZER, Jacques, Les chemins de la science, Paris, Editions sociales, 1993, pp. 154-155.
[201] KOYRE, Alexandre, Etudes d’histoire de la pensée philosophique, Paris, Gallimard, 1981, p. 18.
[202] COURNOT, Antoine-Augustin, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, OC, T. III, éditées par J-C Pariente, Paris, CNRS/ Vrin 1975, chap. xxiv, § 381.
[203] Ibidem.
[204] MORIN, Edgar, Science avec conscience, Paris, Fayard, 1982, p. 95.
[205] SCHATZMAN, E., Science et société, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 90.
[206] EINSTEIN, Albert et INFELD, Léopold, L’Evolution des idées en physique, traduit de l’anglais par Maurice Solovine, Paris, Payot, 1981, p. 276.
[207] Thuillier, Pierre, Jeux et enjeux de la science : Essai d’épistémologie critique, Paris, Robert Laffont, 1982.
[208] JULLIEN, Vincent, L’Histoire des sciences pour les nuls, Paris, Editions First, 2009.
[209] TOTH, Imre, « la révolution non euclidienne », in La Recherche en histoire des sciences, S 37, Paris, Seuil, 1983, p. 264. « Frege, l’adversaire le plus farouche (…) a rejeté la GNE (et aussi la théorie des nombres réels de Cantor et Dedekind) pour la même raison : elles sont bâties toutes les deux sur un acte de création (…) La source directe de son opposition est son anti-créationnisme irréductible, conséquence de son ontologie platonicienne ».
[210] THUILLIER, Pierre, op., cit, p. 185-186. « D’un bout à l’autre de l’ouvrage intitulé l’Harmonie du monde (1609) Kepler reste convaincu que le nombre régit le monde et que sa tâche est de retrouver les proportions harmoniques choisies par Dieu ».
[211] BLANCHE, Robert L’induction scientifique et les lois naturelles, Paris, Puf, 1975, p. 161.
[212] MAUPERTUIS, Op. cit., p. 8.
[213] KEPLER, Johann, Astronomia Nova (1609) cité par Bogdanov, op. cit. p. 49.
[214] BOGDANOV, Igor et Grichka La pensée de dieu, Paris, Bernard Grasset, 2013, p. 30. Ils rapportent à propos de Max Planck, fondateur de la mécanique quantique, prix Nobel en 1918, ceci : « Toute la matière trouve son origine et existence seulement en vertu d’une force. Nous devons supposer derrière cette force l’existence d’un esprit conscient et intelligent ».
[215] Deux astrophysiciens américains, prix Nobel en 2006 pour avoir photographié en 1992, grâce au satellite COBE, la toute première lumière émise par l’Univers, 380 000 ans après le Big Bang.
[216] Proposd’astrophysiciens du programme COBE sur la première lumière: « J’ai senti que j’étais en train de regarder Dieu en face » ; ou qu’il s’agit de « l’écriture manuscrite de Dieu », rapporte la revue Science du 15 août 1997.
[217] BOGDANOV, Igor et Grichka, Op. cit., p. 26.
[218] TOULMIN, Stephen, Foresight and understanding, Hutchison Educ., Harper Torchbooks, 1961, p. 99
[219] DESCARTES, René, Discours de la méthode, 6e partie, in Œuvres et Lettres, textes présentés par André Brindoux, Paris, Gallimard, 1953, p. 168
[220] Les cauris sont une espèce de coquillages répandus sur une grande aire culturelle de l’Afrique subsaharienne. Voir notre article « Mathématiques et environnement socioculturel africain (Mesca) : regard épistémologique », in Cahiers du CERLESHS, N0 17, pp. 175-195, Ouagadougou, D.P.U, 2000.
[221] PRIGOGINE, Ilya et STENGERS, Isabelle, La nouvelle alliance. Métamorphose de la science, 2e édition, Paris, Gallimard, Col. Folio essais, 1986, p. 46.
[222] Ibidem.
[223] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1975, p. 251.
[224] Ibidem.
[225] REICHENBACH, Hans L’Avènement de la philosophie scientifique, traduction française, Paris, Flammarion, 1955, p. 199.
[226] PRIGOGINE, Ilya et STENGERS, Isabelle, Op. cit., p. 373.
[227] TOTH Imre, Op. cit., p.264.
[228] HEIDEGGER, Martin, Être et Temps, Paris, Gallimard, 1986, p. 106.
[229] HEIDEGGER, Martin, Op. cit., p. 108.
[230] Ibidem
[231] HEIDEGGER, Martin, Qu’est-ce qu’une chose ? Paris, Gallimard, 1971, p. 17.
[232] ALPHONSE, Jean, Le vocabulaire de métaphysique moderne, Paris, Jean Alphonse-BNF, 2004, p. 6.
[233] Idem, p. 5.
[234] GUSDORF, Georges, Traité de métaphysique (1956), Québec, éd. Numérique, 2014, p. 584.
[235] JASPERS, Karl, Introduction à la philosophie, Paris, Plon, 2006, p. 5.
[236] HEIDEGGER, Martin, Qu’est-ce que la métaphysique ? Paris, Nathan, 1985, p. 69.
[237] ALPHONSE, Jean, Op. cit., p. 6.
[238] GUSDORF, Georges, Op. cit., p. 586.
[239] HEIDEGGER, Martin, Être et Temps, Op. cit., p. 109.
[240] Idem, Interprétation de la deuxième considération intempestive de Nietzsche, Paris, Gallimard, 2009, p. 19.
[241] SCHOPENHAUER, Arthur, Sur le besoin métaphysique de l’humanité, Paris, Mille et une nuits, 2010, p. 16.
[242] ALPHONSE, Jean, Op. cit., p. 6.
[243] SALAŰN, Christophe, « La démangeaison existentielle et ses remèdes » in Schopenhauer, Arthur. Sur le besoin métaphysique de l’humanité, Paris, Mille et une nuits, 2010, p. 74.
[244] GEDINAT, Jürgen, « Utilité » in Arjakovsky Philippe, Fédier, François, France-Lanord, Hadrien. Le Dictionnaire Martin Heidegger, Paris, Cerf, 2013, p. 1348-1350.
[245] HEIDEGGER, Martin, Introduction à la métaphysique, Paris, Gallimard, 1967, p. 24-25.
[246] GUSDORF, Georges, Traité de métaphysique, Op. cit., p. 186.
[247] JASPERS, Karl, Op. cit., p. 6.
[248][248] HEIDEGGER, Martin, Interprétation de la deuxième considération intempestive de Nietzsche, Paris, Gallimard, 2009, p. 19.
[249] GUSDORF, Georges, Op. cit., p. 589.
[250] KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure, Paris, Flammarion, 1987, p. 40.
[251] KANT, Emmanuel, Op. cit., p. 30.
[252] BADIOU, Alain, « Les Grands Entretiens » in Le Point.fr, Propos recueillis par François GAUVIN, Paris, Le Point.fr, 2011. Disponible sur le web ; http://www.lepoint.fr/grans-entretiens/badiou. Consulté en 0ct. 2014.
[253] HEIDEGGER, Martin, Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1962, p. 72-72.
[254] BADIOU, Alain, Logique des mondes : l’être et l’événement, Paris, Seuil, 2006, 4è de couverture.
[255] GUSDORF, Georges, Op. cit., p. 115.
[256] BADIOU, Alain, « Les Grands Entretiens » in Le Point.fr, Propos recueillis par François GAUVIN, Op. cit.
[257] HEIDEGGER, Martin, Introduction à la métaphysique, Op. cit., p. 25.
[258] HEIDEGGER, Martin, Apports à la philosophie de l’avenant, Paris, Gallimard, 2013, p. 173-174.
[259] NEF, Frédéric, Qu’est-ce que la métaphysique ? Paris, Gallimard, 2004, p. 31.
[260] GUSDORF, Georges, Op. cit., p. 587.
[261] JASPERS, Karl, Op. cit., p. 97.
[262] BADIOU, Alain, « Conférence de Ljubljana », in Filozofski vestnik, Vol. XXXII, No 2. Slovénie, Institut de Philosophie, 2011, p. 1-24.
[263] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 564.
[264] L’Être et le Néant présente le passé, la place, les entours, autrui et la mort comme cinq structures de la situation en précisant qu’elles ne sont pas isolées les unes des autres et qu’elles ne sont pas exhaustives.
[265] L’Existentialisme est un Humanisme est le texte sténographié, à peine retouché par Sartre, d’une conférence qu’il a donné à Paris le 29 octobre 1945 à la demande du club Maintenant créé à la Libération par Jacques Calmy et Marc Beigbeder, dans un but d’animation littéraire et intellectuelle. Le sujet annoncé à la conférence était : « L’existentialisme est-il un humanisme ? » Le but du conférencier était de convaincre son auditoire du caractère humaniste de sa doctrine.
[266] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 527.
[267] SARTRE, Jean-Paul, L’Existentialisme est un Humanisme, Paris, Gallimard, 1996, p. 40.
[268] KHAN, Salman, L’Éducation réinventée : Une École grande comme le Monde, traduction de P. Chambon, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès, 2013, p. 289.
[269] MARCUSE, Herbert, Culture et société, traduction de G. Billy, D. Bresson et J.-B. Gracet, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970, p. 234.
[270] HEIDEGGER, Martin, Être et Temps, traduction de F. Vezin, Paris, Gallimard, 1986,p. 47.
[271]BARBARAS, Renaud, « L’approche privative de la vie », Introduction à la Phénoménologie de la Vie, Paris, Vrin, 2008, p. 65.
[272] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 59.
[273] HUSSERL, Edmund, Méditations cartésiennes, traduction de G. Peiffer et É. Lévinas, Paris, Vrin, 1980, p. 26.
[274] SPINOZA, Baruch de, « Lettre LVIII à Schueller », traduction d’Appuhn, in Œuvres, volume IV, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, pp. 303-304.
[275] SERBAN, Claudia, « Capacités de l’animal, possibilités de l’ustensile et possibilités du Dasein », in Philosophie : Étude sur Heidegger, N°116 du 1er décembre 2012, Paris, Éditions de Minuit, 2012, p. 44.
[276] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 79.
[277] Idem, p. 620.
[278] Le behaviorisme, en psychologie, est une doctrine élaborée à partir de 1913 aux États-Unis par John Broadus Watson qui propose de substituer une psychologie du comportement à une psychologie introspective qui cherchait à décrire et à expliquer les « états de conscience ».
[279] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 614.
[280] MENU, André, Sartre : Une Chance pour les Sciences humaines, Paris, Éditions Connaissances et Savoirs, 2007, p. 69.
[281] Idem, p. 76.
[282] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 485.
[283] Idem, p. 82.
[284] Idem, p. 83.
[285] PASCAL, Blaise, Pensées, Fragment 347, Paris, Garnier-Flammarion, 1976, p. 149.
[286] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, op.cit, p. 94.
[287] MARCUSE, Herbert, Culture et Société, Op. cit., p. 234.
[288] SARTRE, Jean-Paul, L’Existentialisme est un Humanisme, Op. cit., p. 76.
[289] SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 216.
[290] SARTRE, Jean-Paul, Cahiers pour une Morale, Paris, Gallimard, 1983, p. 109.
[291] ROUSSEAU, Jean-Jacques, Du Contrat social, Paris, Librairie Générale Française, 1996, p. 45.
[292] BEAUVOIR, Simone de Beauvoir, L’Existentialisme et la Sagesse des Nations, Paris, Nagel, 1948, p. 41.
[293] SARTRE, Jean-Paul, L’Existentialisme est un Humanisme, Op. cit., pp. 58-59.
[294] KANT, Emmanuel, Fondements de la Métaphysique des Mœurs, traduction de V. Delbos, Paris, Édition Victor Delbos, 1973, pp. 58-59.
[295] SARTRE, Jean-Paul, Cahiers pour une Morale, Op. cit., p. 23.
[296] SARTRE, Jean-Paul, Huis Clos, in Huis Clos suivi de Les Mouches, Paris, Gallimard, 1947, p. 92.
[297] JANSON, Francis, Sartre par lui-même, Paris, Éditions du Seuil, 1955, p. 26.
[298] BEAUVOIR, Simone de, L’Existentialisme et la Sagesse des Nations, Paris, Nagel, 1948, pp. 41-42.
[299] SARTRE, Jean-Paul, L’Existentialisme est un Humanisme, Op. cit., p. 33.
[300] WEIL, Simone, « La colère de Simone Weil », in Le Point, N° 1706 du jeudi 26 mai 2005, Propos recueillis par Catherine Pégard, p. 36.
[301]SARTRE, Jean-Paul, L’Être et le Néant, Op. cit., p. 674.
[302] MENU, André, Sartre : Une Chance pour les Sciences humaines, Paris, Éditions Connaissances et Savoirs, p. 47.
[303]HOBBES, Thomas, Léviathan : Traité de la Matière et de la Forme du Pouvoir de la République ecclésiastique et civile, traduction de F. Tricaud, paris, Éditions Sirey, 1972, pp. 123-124.
[304] DESCARTES, René, « Que l’indifférence est le plus bas degré de la liberté », in Descartes : La Morale, Textes choisis et présentés par Nicolas GRIMALDI, Paris, Vrin, 1992, pp. 110-111.
[305] SARTRE, Jean-Paul, et LÉVY, Benny, Les Entretiens de 1980, Paris, Gallimard, 1991, p. 38.
[306] Idem, p. 40.
[307] BADOUAL, Guillaume, « L’éthique elle aussi est sans fond », in Philosophie : Étude sur Heidegger, N° 116, 1er décembre 2012, Paris, Éditions Minuit, 2012, p. 82.
[308] SARTRE, Jean-Paul et LÉVY Benny, Les Entretiens de 1980, Op. cit., p. 40.
[309] PLATON, L’Apologie de Socrate, traduction de B. Piettre, Paris, Librairie Générale Française, 1997, p. 61.
[310] ROMILLY, Jacqueline De, Les Grands sophistes dans l’Athènes de Périclès, Paris, Éditions Fallois, 1988, p. 160.
[311] PLATON, Hippias majeur, in Œuvres Complètes, traduction de Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2011, 303e-304d.
[312] PLATON, Sophiste, in Œuvres Complètes, Op. cit., 225b-226a.
[313] PLATON, Gorgias, in Œuvres Complètes, Op. cit., 454d-455b.
[314] PLATON, Gorgias, in Œuvres Complètes, Op. cit., 463b-464a.
[315] Ibidem.
[316] REBOUL, Olivier, Introduction à la rhétorique, Paris, PUF, 1991, p. 20.
[317] CASSIN, Barbara, L’Effet sophistique, Paris, Gallimard, 1995, p. 414.
[318] JEANNIÈRE, Abel, Platon, Paris, Seuil, 1994, p. 15.
[319] KERFERD, George, Le Mouvement sophistique, traduction d’Alonso Tordesillas et de Didier Bigou, Paris, Vrin, 1999, p. 60.
[320] JEANNIÈRE, Abel, Platon, Op. cit., p. 3.
[321] MOSSÉ, Claude, Périclès. L’inventeur de la démocratie, Paris, Payot, 2005, p. 208.
[322] PLATON, La République, in Œuvres Complètes, livre VI, 492d-493c.
[323] ARISTOTE, Rhétorique, traduction de Jean Lauxerois, Paris, Pocket, 2007, p. 36.
[324] ROMEYER, Gilbert, Les Sophistes, Paris, PUF, 1995, p. 43.
[325] ROMEYER, Gilbert, Op. cit., p. 43.
[326] Ibidem.
[327] PLATON, Gorgias, Op. cit., 463b-464a.
[328] ROMEYER, Gilbert, Op. cit., p. 44.
[329] ROMILLY, Jacqueline De, Op. cit., p.52.
[330] PLATON, Sophiste, Op. cit., 228b-228d.
[331] Ibidem.
[332] GOMPERZ, Théodor, Les Sophistes, Paris, Éditions Manucius, 2008, p. 18.
[333] JEANNIÈRE, Abel, Op. cit., p. 56.
[334] BRISSON, Luc, et FRONTEROTTA, Francesco, Lire Platon, Paris, PUF, 2006, p. 168.
[335] I dem, p. 169.
[336] BRISSON, Luc, et FRONTEROTTA, Francesco, Op. cit., p. 170.
[337] PLATON, Euthyphron, in Œuvres Complètes, Op. cit., 11c-12b.
[338] DÉTIENNE, Marcel, Les maîtres de la vérité dans la Grèce archaïque, Paris, Presses Pocket, 1995, p. 43.
[339] ARISTOTE, Catégories. De l’interprétation, traduction de J. Tricot, Paris, Vrin, 2008, p. 95.
[340] PLATON, Théétète, in Œuvres Complètes, Op. cit., 148e-149c.
[341] BRISSON, Luc et FRONTEROTTA, Op. cit., p. 177.
[342] PLATON, Phèdre, in Œuvres Complètes, Op. cit., 247b-248b.
[343] PLATON, Cratyle, in Œuvres Complètes, Op. cit., 420e-421d.
[344] RALPH, Waldo Emerson, De l’utilité des grands hommes. Platon ou le philosophe, traduction de Catherine Pierre, Paris, Éditions Mille et une nuits, 2003, p. 62.
[345] CAUQUELIN, Anne, Aristote. Le langage, Paris, PUF, 1990, p. 38.
[346] POSTEL-VINAY, Olivier, Le Taon dans la cité, Paris, Éditions Descartes et Cie, 1994, p. 45.
[347] POSTEL-VINAY, Olivier, Op. cit., p. 45.
[348]WITTGENSTEIN, Ludwig, Recherches philosophiques, traduction de F. Dasteur et de J-L. Gautero, Paris, Gallimard, 2004, p. 135.
[349]Nous saluons la coopération entre les Universités de Montréal, Alassane Ouattara et l’Agence Universitaire de la Francophonie en faveur des chercheurs. C’est grâce à cette coopération que nous avons pu effectuer notre mission de recherche à l’Universités de Montréal.
[350] Suite aux rapports des commissions Gélineau et Krever, le mode d’organisation du sang a connu un tournant qualitatif décisif au Canada, notamment au Québec. Le contrôle et la surveillance de la qualité du sang ont été maximisés grâce à la clarification des responsabilités et aux activités du Comité d’hémovigilance.
[351] Nous faisons précisément allusion au système tripartite de sang du Québec.
[352] Les différentes structures de la chaine transfusionnelle du Québec ont leur propre référence en matière d’éthique. Il conviendrait de les fondre/ fusionner dans un seul et même texte applicable à toutes les structures.
[353] En général, l’on pense aux responsabilités sociétale, environnementale, sociale, civile, pénale, administrative, morale, politique, et de plus en plus à la responsabilité numérique ou e-responsabilité. On s’efforce de ramener ces différentes modalités de la responsabilité aux formes parentale, naturelle et contractuelle, politique ou de l’homme d’État.
[354] Ces échanges se déroulent au cours des séances de travail avec les professionnels du système de sang du Québec et de la Cȏte d’Ivoire.
[355] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Responsabilite.htm, consulté le 10 juin 2014.
[356] Ibidem
[357] Ibidem
[358] Ibidem
[359] Fanchon Sophie BÉRUBÉ, Le principe responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, http://www.archipel.uqam.ca/3268/1/M9722.pdf, p. 1, consulté le 14 juin 2014.
[360] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Responsabilite.htm, consulté le 04 mai 2014.
[361] Loi sur Héma-Québec et sur le Comité de Biovigilance[361], http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/H_1_1/H1_1.html, consulté le 20 mai 2014.
[362] Ibidem.
[363] Ibidem.
[364] Version modifié-CÉR 30-11-2012/Approuvées, CA 12-12-2012, document de travail à Héma-Québec et en ligne, consulté le 14 juin 2014.
[365] Ibidem.
[366] Ibidem.
[367] Pour la définition générale de l’éthique, voir http://gpp.oiq.qc.ca/qu_est-ce_que_l_ethique.htm.
[368]http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/I_8/I8R9.HTM, consulté le 20 mai 2014.
[369]http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/C_26/C26R243.HTM, consulté le 22 mai 2014.
[370] Cette présentation est, pour l’essentiel, articulée autour des mandats des différentes structures.
[371] Les idées principales énumérées sont des extraits de la Loi sur Héma-Québec et sur le Comité de Biovigilance, document interne remis par Héma-Québec et ligne, http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/H_1_1/H1_1.html, consulté le 20 mai 2014
[372] Ibidem
[373] La Règle de Régie est un document interne remis par Héma-Québec.
[374] Ibidem
[375] (http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/ sang/mandat_ ccnmt.pdf), consulté le 17 juin 2014.
[376] http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php? type=3&file=/I_8/I8R9.HTM, consulté le 17 juin 2014.
[377]http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/I_8/I8R9.HTM, consulté le 30 juin 2014.
[378]http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/C_26/C26R243.HTM, consulté le 30 juin 2014.
[379] Cf. site du Ministère de la santé et des services sociaux du Canada.
[380] http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/activit/about-apropos/index-fra.php, consulté le 30 juin 2014.
[381] Ibidem.
[382] Ces informations sont disponibles sur le site du Ministère de la santé, Cf. ………
[383] ……………………………………….
[384] Sites de collecte en cabine fixe et mobile, qui réalisent la sensibilisation, le recrutement et la fidélisation des donneurs, le prélèvement, la qualification biologique (dépistage ITT, tests immuno-hématologiques), la préparation, le stockage et la distribution des produits sanguins labélisé.
[385] Ce sont des sites de collecte en cabine fixe et mobile, qui réalisent la sensibilisation, le recrutement et la fidélisation des donneurs, le prélèvement, le stockage et la distribution des produits sanguins; les antennes dépendent d’un CTS dans leur voisinage où sont réalisés les tests de laboratoires.
[386] Sites de collecte en cabine fixe qui réalisent la sensibilisation, le recrutement, la fidélisation des donneurs, le prélèvement, le stockage.
[387] Services localisés au sein d’un hôpital et équipé d’un réfrigérateur type banque de sang (stockage), faisant la distribution du sang au sein de l’hôpital. La banque de sang dispose d’un minimum de matériel lui permettant de réaliser les tests immun-hématologiques (groupage sanguin, tests de compatibilité). Il est approvisionné à partir d’un CTS ou d’une antenne.
[388] Manuel National de transfusion Sanguine, Volume2, Abidjan, Édicoms (Édition et Communications), 2009, p. 91.
[389] Idem, p. 89.
[390] Manuel National de transfusion Sanguine, Volume1 : Transfusion des globules chez l’adulte et l’enfant en Cȏte d’Ivoire, Abidjan, Édicoms (Édition et Communications), 2007, p. 16.
[391] http://www.dondusang-doubs.org/ethique-du-don-de-sang.php, consulté l e 11 juin 2014.
[392] Pendant nos ateliers de bioéthiques consacrées au système de sang ivoirien, plusieurs étudiants ont dévoilé ces pratiques que nos recherches ont confirmé.
[393] RICŒUR, Paul (1913-2005) est le principal représentant français des disciplines herméneutiques qui tentent d’interpréter et de déchiffrer tous les signes de l’homme.
[394] RICŒUR, Paul, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.
[395] RICŒUR, Paul, Le juste, Paris, Esprit, 1995, p. 11.
[396] SEN, Amartya, Éthique et économie, Paris, PUF, coll. « Philosophie morale », 1993, pp. 6-10.
[397] Voir MISES, Ludwig von, Le Socialisme, Paris, Calmann-Lévy, 1987. La première partie de l’ouvrage, intitulée « Libéralisme et socialisme », considère les deux mouvements comme radicalement antithétiques. Ce diagnostic est confirmé par HAYEK, Friedrich August von en 1943 dans La Route de la servitude (Paris, PUF, 1985), et en 1985 dans La Présomption fatale. Les Erreurs du socialisme (Paris, PUF, 1993). Voir aussi ARON, Raymond, Essai sur les Libertés, Paris, Hachette, 1998.
[398] Le terme « marginalisme » vient du fait que cette École a été la première à utiliser l’ « utilité marginale » comme déterminant de la valeur des biens et le « calcul différentiel » comme instrument principal de raisonnement. Cette École s’est constituée à partir des travaux de Jevons, Menger et surtout Walras.
[399] Voir HAYEK, Friedrich August von, Prix et production, Paris, Calmann-Lévy, 1975.
[400] HAYEK, Friedrich August von, Droit, législation et liberté, vol. II, « Le mirage de la justice sociale », Paris, PUF, 1981, p. 129.
[401] GUESNERIE, Roger, L’économie de marché, Paris, Le pommier, 2006, p. 25.
[402] BRAUDEL, Fernand, La Dynamique du Capitalisme, Paris, Éditions Arthaud, 1985.
[403] Voir WEBER Max, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2004.
[404] Mauss, Marcel, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, PUF, 2007.
[405] Voir Lévitique 27:30 ; Nombres 18:26 ; Deutéronome 14:24 ; 2 Chroniques 31:5 entre autres.
[406] 2 Corinthiens 9 : 7.
[407] « Soyez assidus à la prière, faites l’aumône, vous retrouverez auprès d’Allah le bien que vous aurez acquis à l’avance, pour vous-même », Le Coran (II, 110) ; « Prélève une aumône sur leurs biens pour les purifier et les rendre sans tâche », Le Coran (IX, 103).
[408] Voir PARETO Vilfredo, Les systèmes socialistes, Genève, Librairie Droz, 1965 ; Libre-échangisme, protectionnisme et socialisme, Genève, Librairie Droz, 1965.
[409] Voir MICHEL, Johan, Paul Ricœur. Une philosophie de l’agir humain, Paris, Le Cerf, coll. « passages », 2006, pp. 358-363.
[410] RICŒUR, Paul, Le Juste 1, Paris, Esprit.1995, p. 206.
[411] Voir RICŒUR, Paul, Lectures 3. Aux frontières de la philosophie, Paris, Éditions du Seuil, 1994, pp. 273-279.
[412] RICŒUR, Paul, Lectures 3. Aux frontières de la philosophie, op. cit.,
[413] RICŒUR, Paul, Amour et Justice, Tübingen, JCB Mohr, Paul Siebeck, 1990, p. 62.
[414] KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, PUF, 2004.
[415] RICŒUR, Paul, Lectures 3. Aux frontières de la philosophie, Op. cit., p. 277.
[416] Idem, p. 279.
[417] HEGEL, Friedrich, Phénoménologie de l’Esprit, Paris, Gallimard, 1993.
[418] HOBBES, Thomas, Le Léviathan, Paris, Sirey, 1971.
[419] HONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000.
[420] RICŒUR, Paul, Parcours de la reconnaissance, Op. cit., p. 242.
[421] Idem., p. 260.
[422] Idem., p. 266.
[423] Idem, p. 357.
[424] Ibidem
[425] Dans son ouvrage Tirer bénéfice du don pour soi, pour la société, pour l’économie, (Paris, Éditions FYP, 2013), CORNU, Jean-Michel, voulait ériger le don en véritable outil économique : le seul don qui vaille, pour lui, est le don « désintéressé », celui qui n’attend pas de contrepartie de la part de la personne à qui l’on a donné. Il ne s’agit pas du mécanisme du don contre-don cher à MAUSS, Marcel : celui-là n’est qu’une forme d’échange décalé dans le temps et où les valeurs monétaires ne s’équilibrent pas nécessairement.
[426] Les principaux fondateurs de l’école néoclassique sont : MENGER Carl, JEVONS William Stanley et WALRAS Léon.
[427] SMITH, Adam, La richesse des nations, Paris, Garnier-Flammarion, 1991.
[428] MARCUSE, Herbert, Eros et civilisation, contribution à Freud, Paris, Éditions de Minuit, 1955, p. 59.
[429] MARCUSE, Herbert, L’homme unidimensionnel, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 280.
[430] EPICURE, Lettre à Ménécée, § 12 et 13, trad. P. Penisson, Hatier coll. « Les classiques de la philosophie », 1999, p. 13.
[431] LIPOVETSKY, Gilles, Le Bonheur paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006, p. 80.
[432] MARCUSE, Herbert, L’homme unidimensionnel, Op. cit., p.16.
[433] Idem, p. 181.
[434] HABERMAS, Jürgen, Théorie et Pratique, Paris, Payot, 1975, T1., p. 10.
[435] MARCUSE, Herbert, Eros et civilisation, contribution à Freud, Op. cit., p. 23.
[436] Idem, p. 28.
[437] MARCUSE, Herbert, L’homme unidimensionnel, Op. cit., p. 180.
[438] MARCUSE, Herbert, Le marxisme soviétique, Paris, NRF, 1968, p. 266.
[439] Ibidem.
[440] MARCUSE, Herbert, Le marxisme soviétique, Paris, NRF, 1968, p. 266.
[441] Ibidem, p. 266.
[442] MARCUSE, Herbert, L’homme unidimensionnel, Op. cit., p. 37.
[443] ADORNO, Theodor, Mínima Moralia, Trad. Marc Jiménez, Paris, Payot, 1980, p. 9.
[444] De La BOÉTIE, Etienne, Discours de la Servitude volontaire, Paris, Payot, 2002, p. 46.
[445] MARCUSE, Herbert, L’homme unidimensionnel, Op. cit., p. 376.
[446] MARX, Karl, Manuscrits de 1844, Paris, Flammarion, Rééd. 2006, p. 97.
[447] MARX, Karl, Manuscrits de 1844, Op. cit., p. 103.
[448] MARCUSE, Herbert, Philosophie et Révolution, Paris, Collection Médiations, 1969, p. 59.
[449] MARCUSE, Herbert, Culture et Société, Paris, Grasset, 1970, p. 113.
[450] ADORNO, Theodor, Mínima Moralia, Op. cit., p. 27.
[451] ADORNO, Theodor, Mínima Moralia, op. cit., p. 205.
[452] BENJAMIN, Walter, Œuvres III, Trad. Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, 2000, p. 76.
[453] MARCUSE, Herbert, Vers la Libération, Au-delà de l’homme unidimensionnel, Paris, Gonthier, 1969, p. 12.
[454] MARCUSE, Herbert, La fin de l’utopie, Paris, Seuil, 1968, p. 45.
[455] MARCUSE, Herbert, Vers la Libération, Au-delà de l’homme unidimensionnel, Op. cit., p. 84.
[456] Ibidem.
[457] FARGE, Arlette, CHAUMONT, Michel, Les Mots pour résister, voyage de notre vocabulaire politique de la Résistance à aujourd’hui, Paris, Bayard, 2005, p. 73.
[458] LEFORT, Claude, Un homme en trop. Réflexions sur « L’Archipel du Goulag », Paris, Seuil, 1976, p. 143.
[459] MARCUSE, Herbert, L’ontologie de Hegel et la théorie de l’historicité, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 347.
[460] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur », in Le « concept » du 11 septembre (dialogue à New York, octobre-décembre 2001), Paris, Editions Gallilée, 2004, Trad. Christian Bouchindhomme,p. 71.
[461] DODZI, Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échec », Pouvoir 2009/2, N° 129, p. 118.
[462] HABERMAS, Jürgen, La pensée postmétaphysique : essais philosophiques, Paris, A. Colin, 1993, Trad., Rainer Rochlitz, p. 74.
[463]BORRADORI, Giovanna, « La reconstruction du concept de terrorisme selon Habermas », in Le « concept » du 11 septembre (dialogue à New York, octobre-décembre 2001), Op. cit., pp. 80-81.
[464] WEBER, Max, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1963, 10/18, Trad. Julien Freund, révisé par E. Fleischmann et Eric de Dampierre, p. 126.
[465] HERMET, Guy, Le passage à la démocratie, Paris, P.U.F, 1996, p. 119.
[466] ROUSSEAU, Jean-Jacques, Du contrat social, Paris, U.G.E, 1973, 10/18, p. 133.
[467] DODZI, Kokoroko, « Les élections disputées : réussites et échec », Pouvoir 2009/2, N° 129, p. 119-120
[468] KOUAMÉ, Koffi, Théophile, « Élections en Afrique : facteur de violence ou de paix ? » in Paix, violence et démocratie en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 190.
[469]ANDREA, Riccardi, La paix préventive, Paris, Editions Salvator, 2005, Trad. Christine Barbacci, p. 49.
[470] GUSDORF, Georges, La vertu de force, Paris, P.U.F, 1957, p. 79.
[471] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur », in Le « concept » du 11 septembre (dialogue à New York, octobre-décembre 2001), Op. cit., p. 68.
[472]H ONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance, Paris, les Editions du Cerf, 2000, Trad. Pierre Rusch, pp. 61-62.
[473]HABERMAS, Jürgen, Droit et Démocratie : entre faits et normes, Op. cit., p. 410.
[474]FERRARESE, Estelle, « Le conflit politique selon Habermas », Multitudes, 2010/2 n° 41, p. 202. DOI : 10.3917/mult.041.0196 (consulté le 15/07/ 2013).
[475] NIAMKEY, Koffi, Robert, « Violence et démocratie », in Racines, Revue Culturelle Africaine, Abidjan, 1er Semestre 1997, N° 2, p. 19.
[476] MICHAUD, Yves, Violence et politique, Paris, Gallimard, 1978, p. 19.
[477] KANT, Emmanuel, Fondement de la métaphysique des mœurs, Paris, Delagrave, 1973, Trad. Victor D., p. 148.
[478]HABERMAS, Jürgen, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998, Trad. Rainer Rochlitz. p. 245.
[479] BOA, Thiémélé, « La société civile et la sauvegarde de la paix : le cas de AID-CI », in Paix, violence et démocratie en Afrique, Op. cit., p. 207.
[480] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur », in Le « concept » du 11 septembre (dialogue à New York, octobre-décembre 2001), Op. cit., p. 66.
[481] Ibid., p. 66.
[482]TENZER, Nicolas, Philosophie politique, Paris, PUF., 1994, p. 288.
[483] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur », Op. cit., p. 67.
[484] HABERMAS, Jürgen, Droit et Démocratie : entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, Trad. Rainer Rochlitz et Christian Bouchindhomme. p. 320.
[485] HABERMAS, Jürgen, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998, Trad. Rainer Rochlitz. p. 267.
[486]HABERMAS, Jürgen, L’intégration républicaine. Op. cit., p. 267.
[487] Idem, p. 268.
[488] HABERMAS, Jürgen, Morale et communication, Paris, Cerf, 1986, Trad., Christian Bouchindhomme, p. 176.
[489] CUSSET, Yves, Habermas : l’espoir de la discussion, Paris, Ed. Michalon, 2001, p. 56.
[490]Ibidem, p. 176.
[491] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur », Op. cit., p. 69.
[492]HABERMAS, Jürgen, L’intégration républicaine, Paris, Fayard, 1998, Trad. Rainer Rochlitz, p.305.
[493] HABERMAS, Jürgen, L’intégration républicaine Op. cit., p. 264.
[494] HABERMAS, Jürgen, Droit et Démocratie : entre faits et normes, Op. cit., p. 320.
[495] NIAMKEY, Koffi, Robert, Violence et démocratie, in Racines, Revue Culturelle Africaine, Abidjan, 1er Semestre 1997, N° 2, p. 30.
[496] Voir HABERMAS, Jürgen, Discours philosophique de la modernité, traduction de C. Bouchindhomme et de R. Rochlitz, Paris, Gallimard, 1988.
[497] Idem, p. 7.
[498] Voir HORKHEIMER, Max et ADORNO, Theodor Wiesengrund, La dialectique de la raison, traduction de Kaufholz, E., Paris, Gallimard, 1974.
[499] Voir WEBER, Max, Le Savant et le politique, préface, traduction et notes de Colliot-Thélène, C., Paris, La Découverte, 2003.
[500] « La défense de l’État de droit peut-elle (re)devenir l’enjeu central de la lutte contre le terrorisme ? », tel est le titre d’un article sous la forme d’entretien de Stephan Davidshofer et Dick Marty et publié dans la numéro 76 de la revue Cultures et Conflits, qui atteste de l’ambivalence des luttes anti-terroristes.
[501] ENGELS, Friedrich, Antidühring. (M. E. Dühring bouleverse la science), trad. Emile Bottigelli, Paris, Editions Sciences marxistes S.A.RL. 2007, p. 208.
[502] Ibidem
[503] Ibidem.
[504] Idem, p. 209.
[505] MARCUSE, Herbert, Vers la libération, trad. de J-B. Grasset, Paris, Editions de Minuit, 1973, pp.14-15.
[506] Les crises de reconnaissance ou encore les dénis de reconnaissance sont traités par des auteurs comme Axel Honneth, Alain Renault, Guillaume Leblanc. Ces analyses sont, certes, largement tributaires du paradigme de la domination, mais sont menées de façon asymétrique aux modèles de compréhension du terrorisme articulé au religieux.
[507] MICHAUD, Yves, Violence et politique, Paris, Gallimard, 1978, p. 101.
[508] Ibidem.
[509] WEBER, Max, « La profession et la vocation de savant » in Le Savant et le politique, traduction et notes de Colliot-Thélène C., Paris, La Découverte, 2003, pp. 119-120.
[510] Voir KOUASSI Yao Edmond, « La désobéissance civile, hier et aujourd’hui : Déclin ou crise ? » in Revue scientifique de littératures, langues et sciences humaines, Lettres d’Ivoire, n°2, Bouaké, Éditions de l’Université de Bouaké, 2007, pp. 187-206.
[511] DERRIDA, Jacques, « Auto-immunités, suicides réels et symboliques » in HABERMAS, Jürgen, et DERRIDA, Jacques, Le « concept » du 11 septembre, traduction de Bouchindhomme, C. Paris, Galilée, 2003, pp.162-163.
[512] Ibidem
[513] Ibidem.
[514] VEYNE, Paul, Foucault, sa pensée, sa personne, Paris, Albin Michel, 2008, p. 160.
[515] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur », in HABERMAS, Jürgen, et DERRIDA, Jacques, Le « concept » du 11 septembre, traduction de Bouchindhomme, C. Paris, Galilée, 2003, pp. 58-59.
[516] HASSNER, Pierre, La terreur et l’empire. La violence et la paix II, Paris, Seuil, 2003, pp. 160-166. A la page 165, l’on peut lire ceci de Hassner : « le 11 septembre a été un tel choc précisément parce qu’il a confronté trois mondes à la fois liés et totalement étrangers les uns des autres: celui de la société moderne, bourgeoise et technique ; celui des réactions de ses adversaires ; celui des traditions propres américaines, en partie pré-modernes, manichéennes, violentes et fondamentalistes à leur manière, réveillées et renforcées par l’attaque ».
[517] Secte islamiste radicale, fondée en 2002, qui gagne en puissance et du terrain dans le nord du NIGERIA où se multiplient les batailles rangées, les attentats avec le concours de cellules clandestines.
[518] Voir les travaux de Georges Balandier, Le Grand système, Paris, Fayard, 2001. Voir aussi Christian Delacampagne, La Philosophie politique aujourd’hui, Idées, Débats, Enjeux, Paris, Seuil, 2000. Jean-Louis Schlegel, La Loi de Dieu contre la liberté des hommes, intégrisme et fondamentalisme, Paris, Seuil, 2001.
[519] John MILBANK, Theology and social Theory: Beyond Secular Reason in Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, pp. 354-355.
[520] Voir KOUASSI Yao Edmond, « La désobéissance civile, hier et aujourd’hui : Déclin ou crise ? » in Revue Lettres d’Ivoire, n°2, Bouaké, Éd. de l’Université de Bouaké, 2007, pp. 187-206.
[521] DWORKIN, Ronald, Prendre les droits au sérieux, traduction de Rossignol, M.J, Limare, F., révisée par Michaut, F., Paris, PUF, 1984, p. 282.
[522] Idem, p. 283.
[523] HABERMAS, Jürgen, Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, traduction de Bouchindhomme, C. et Dupeyrix, A. Paris, Gallimard, 2008, p. 209.
[524] Habermas emploie ce mot à la page 208 de Naturalisme et religion : dans la constellation théorique suivante : « L’État libéral ne peut confronter ses citoyens qu’à des devoirs qu’ils peuvent accomplir en compréhension – ce qui suppose à nouveau que les attitudes épistémiques exigibles puissent acquises en compréhension, c’est-à-dire « apprises ».
[525] ICAVET, Emmanuel, La revendication des droits. Une étude de l’équilibre des raisons dans le libéralisme, Paris, Classiques Garnier, 2011, pp. 289-290.
[526] Ibidem.
[527] SINTOMER, Yves « Aux limites du pouvoir démocratique : désobéissance civile et droit de résistance » in Actuels Marx, Paris, PUF, 2008, p. 101.
[528] Voir, à ce sujet, VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, Paris, Garnier-Flammarion, 1989. Sous le chapitre « Prière à Dieu », il invoque l’implication de Dieu pour redonner la force que n’ont plus les humains pour être tolérants.
[529] HABERMAS, Jürgen, « Fondamentalisme et terreur » in HABERMAS, Jürgen, et DERRIDA, Jacques, Le « concept » du 11 septembre, pp. 65-66.
[530] Cette formule est usitée pour d’autres raisons par Habermas à la page 67 de l’ouvrage, Le « concept » du 11 septembre, où il se demande si depuis le 11 septembre, au regard d’événements d’une telle violence, toute sa conception de l’activité orientée vers l’entente qu’il déploie depuis la Théorie de l’agir communicationnel – n’est pas en train de sombrer dans le ridicule.