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Perspectives HS 2023

Volume XV – Numéro 27 – Université Alassane Ouattara – Campus 2 Bouaké,           les 05, 06 et 07 Octobre 2023   Côte d’IvoireISSN : 2313-7908N° DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016  

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Actes du colloque international pluridisciplinaire RÉSEAUX SOCIAUX ET DYNAMIQUE DES SOCIÉTÉS AFRICAINES      
PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES  


PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES

Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines

Directeur de Publication : Prof. Grégoire TRAORÉ

Boîte postale : 01 BP V18 ABIDJAN 01

Tél : (+225) 01 03 01 08 85

(+225) 01 03 47 11 75

(+225) 01 01 83 41 83

E-mail : administration@perspectivesphilosophiques.net

Site internet : https://www.perspectivesphilosophiques.net

ISSN : 2313-7908

N°DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016

ADMINISTRATION DE LA REVUE PERSPECTIVES PHILOSOPHIQUES

Directeur de publication : Prof. Grégoire TRAORÉ, Professeur des Universités

Rédacteur en chef : Prof. N’dri Marcel KOUASSI, Professeur des Universités

Rédacteur en chef Adjoint : Dr Éric Inespéré KOFFI, Maître de Conférences

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Prof. Aka Landry KOMÉNAN, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Antoine KOUAKOU, Professeur des Universités, Métaphysique et Éthique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA.

Prof. Azoumana OUATTARA, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa

Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa

Prof. David Musa SORO, Professeur des Universités, Philosophie ancienne, Université Alassane OUATTARA

Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA

Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA

Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal

Prof. Jean Gobert TANOH, Professeur des Universités, Métaphysique et Théologie, Université Alassane OUATTARA

Prof. Kouassi Edmond YAO, Professeur des Universités, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA

Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA

Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des Universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou

Prof. N’Dri Marcel KOUASSI, Professeur des Universités, Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA

Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA

Prof. Donissongui SORO, Professeur des Universités, Philosophie antique, Philosophie de l’éducation Université Alassane OUATTARA

COMITÉ DE LECTURE

Prof. Ayénon Ignace YAPI, Professeur des Universités, Histoire et Philosophie des sciences, Université Alassane OUATTARA

Prof. Azoumana OUATTARA, Professeur des Universités, Philosophie politique, Université Alassane OUATTARA

Prof. Catherine COLLOBERT, Professeur des Universités, Philosophie Antique, Université d’Ottawa

Prof. Daniel TANGUAY, Professeur des Universités, Philosophie Politique et Sociale, Université d’Ottawa

Prof. Doh Ludovic FIÉ, Professeur des Universités, Théorie critique et Philosophie de l’art, Université Alassane OUATTARA

Prof. Henri BAH, Professeur des Universités, Métaphysique et Droits de l’Homme, Université Alassane OUATTARA

Prof. Issiaka-P. Latoundji LALEYE, Professeur des Universités, Épistémologie et Anthropologie, Université Gaston Berger, Sénégal

Prof. Kouassi Edmond YAO, Professeur des Universités, Philosophie politique et sociale, Université Alassane OUATTARA

Prof. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur des Universités, Bioéthique et Éthique des Technologies, Université Alassane OUATTARA

Prof. Mahamadé SAVADOGO, Professeur des Universités, Philosophie morale et politique, Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine, Université de Ouagadougou

Prof. Samba DIAKITÉ, Professeur des Universités, Études africaines, Université Alassane OUATTARA

Prof. Nicolas Kolotioloma YEO, Professeur des Universités, Philosophie antique, Université Alassane OUATTARA

COMITÉ DE RÉDACTION

Secrétaire de rédaction : Dr Kouassi Honoré ELLA, Maître de Conférences

Trésorier : Dr Kouadio Victorien EKPO, Maître de Conférences

Responsable de la diffusion : Dr Faloukou DOSSO, Maître de Conférences

Dr Kouassi Marcelin AGBRA, Maître de Conférences

Dr Alexis Koffi KOFFI, Maître de Conférences

Dr Chantal PALÉ-KOUTOUAN, Maître-assistant

Dr Amed Karamoko SANOGO,Maître de Conférences

SOMMAIRE

TDR du Colloque sur les réseaux sociaux ………………………….……………..……1

Membres du Comité d’organisation et du Comité scientifique ………..……………7

Liste des Participants en qualité de modérateurs et/ou de Rapporteurs ……..…9

ALLOCUTIONS ………………………………………………….…………………11

1- Le Président du comité d’organisation ………………………………….………….13

2- Le chef du Département de Philosophie …………………………………..……….17

CONTRIBUTIONS DES INVITÉS SPÉCIAUX ………………….……………21

1. Les réseaux sociaux ou réseaux de dé-socialisation ?,

Antoine KOUAKOU …………………………………………….…………………..……..23

2. Le langage sms dans le bruissement des réseaux sociaux : est-ce une belle chose ou une destruction des mots ? Penser avec Jean-Michel Besnier,

Auguste NSONSISSA ………………………………………………………………………37

3. La philosophie du dos ou comment philosopher autrement à partir de Facebook,

Thiémélé L. Ramsès BOA ……………………………………………………..………….51

CONTRIBUTIONS PAR AXES D’ANALYSE …………………………………73

AXE 1 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DÉMOCRATIE ………………….………75

1. Les réseaux sociaux numériques et la gouvernance démocratique en Afrique,

1. Oi Kacou Vincent Davy KACOU   2. Neuba Serge N’DRIN ………………….…77

2. Réseaux sociaux et démocratisation de l’information dans l’espace public subsaharien : entre libertés d’expression et communicationnelle,

Faloukou DOSSO ………………………………………………………………………….93

3. La démocratie burkinabè à l’épreuve des réseaux sociaux : cas des changements de régimes de 2014 à 2022 au Burkina Faso,

Sidibeouendin SAOUADOGO ………………………………………………………….111

4. Les réseaux sociaux et la problématique de la démocratie participative en Afrique,

1. Kouamé Hyacinthe KOUAKOU   2. Kadio Mathieu ANGAMAN …….……..133

5. Réseaux sociaux et lutte citoyenne,

Boubakar MAIZOUMBOU ………………………………………………………………151

6. Usages des réseaux sociaux et gouvernance en Afrique,

Odilon YAO ………………….……………………………………………………………..167

7. Impacts des réseaux sociaux et dynamiques démocratiques en Afrique entre excentricités et espérances légitimes !,

1. Séa Frédéric PLÉHIA  2. Nanou Pierre BROU ………………………………….183

8. Réseaux sociaux et identité numérique : Quelle liberté dans l’espace africain ?,

Agoussi Alphonse MOGUÉ ……………………………………………………………..205

9. Usages illicites des réseaux sociaux : cyber menaces, pratiques d’agences de désinformation et risques sur la démocratisation en Afrique,

Ange Bergson LENDJA NGNEMZUE ………………………………..……………….221

10. Réseaux sociaux et crises des sociétés africaines,

Zlankouapieu Romuald Icanor SANKO ………………………………………………241

11. Réseaux sociaux numériques et éthique de l’espace public à partir d’Hannah ARENDT,

1. Bi Zaouli Sylvain ZAMBLÉ 2. KONÉ Amidou ………………………………….257

12. Nouvelles formes de militantisme sur les réseaux sociaux :  une prise de parole politique entre patriotisme et incivisme verbal,

Mamadou Diouma DIALLO ………………………………………..…………..……..273

13. Idéologie de la transparence, réseaux sociaux et démocratie contemporaine,

Ouandé Armand REGNIMA …………………………………………………………….291

AXE 2 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ÉDUCATION …………………………307

14. De la responsabilité des réseaux sociaux numériques dans l’inconduite des adolescents en côte d’ivoire,

Koffi Jacques Anderson BOUADOU ………………………………………………..309

15. Usage juvénile des réseaux sociaux numériques et expérience des dilemmes moraux chez les mères d’adolescents à Bouaké (Côte d’Ivoire),

Yogblo Armand GROGUHÉ …………………………….………………………….….323

16. Short Message Service (SMS) : naissance d’une nouvelle forme d’écriture,

Kouassi KPANGUI ……………………………………..………….…………………….347

17. Réseaux sociaux et apprentissage du journalisme 2.0,

Antonin Idriss BOSSOTO …………………………..………………………………….369

18. Les technologies de l’information et de la communication dans le système éducatif : entre innovation et modèle pédagogique traditionnel,

Rodrigue Paulin BONANÉ ……………………………..……………………………….391

19. Réseaux sociaux, de la perte de l’individu à l’éducation,

1. Apolline Adjo NIANGORAN  2. Magloire Kassi GNAMIEN …………………….409

20. Critique du phénomène d’influenceurs sur les réseaux sociaux à partir de la pensée d’Aristote,

Djakaridja YÉO …………………………………………………………..……………….421

21. Recours aux réseaux sociaux numériques par les étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo pour l’apprentissage et la formation académique,

1. Belo ADIOLA 2. Kibouga Alphonse DIAGBOUGA 3. Bowendsom Claudine Valérie ROUAMBA/OUEDRAOGO ………………………………..………………….441

22. Sémiotique et identité sociale. Une lecture à partir des réseaux sociaux,

Masseniva TRAORÉ ………………………….………………………………………….469

23. De l’éducation : pour une utilisation optimale du web,

Kouassi Olivier SEY ………………………………………………..…………………….487

24. La jeunesse africaine et la révolution cybernétique,

Akpa Akpro Franck Michael GNAGNE ……………….…………………..………….507

AXE 3 : RÉSEAUX SOCIAUX ET SOCIÉTÉ DURABLE ………………..525

25. Réseaux sociaux numériques, territoire récuse dans la valorisation des acquis de la recherche scientifique en Côte d’Ivoire,

1. Aka NIAMKEY 2. Yéo SIBIRI …………………….…………………………………527

26. Les réseaux sociaux : une forme de « pachacuti » andin ou révolution arguédienne ?,

Doforo Emmanuel SORO ……………………………………………………………….547

27. Nouveaux médias et défis sociaux : pour une vision marcusienne de la sociabilisation de l’Afrique,

Amara SALIFOU ………………………………………………………………………….567

28. Réseaux sociaux en Afrique : contribution à la mobilisation des ressources et des compétences pour son émergence,

Laurent GANKAMA ……………………………………………………..……………….583

AXE 4 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DIGNITÉ HUMAINE …………………599

29. La protection des données personnelles à l’ère des réseaux sociaux au Cameroun,

Saidou ABOUBAKAR ……………………………………………………………….……601

30. L’identité humaine à l’ère du numérique : cas des réseaux sociaux,

1. Kouleman Amed COULIBALY   2. Issouf CAMARA ………………………….….621

31. Réseaux sociaux et recomposition du monde,

1. Soualo BAMBA   2. Assane SANOGO   3. Kouadio YAO ………………………637

32. De l’addiction aux réseaux sociaux : « Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Luc 12, 30),

1. Koko Marie-Madeleine SÉKA 2. Chiayé Marie-Pauline SÉKA ………………651

33. Impact des réseaux sociaux sur la promotion du patrimoine culturel du Bénin : cas de la plateforme Fairyland,

Elavagnon Dorothée DOGNON ………………………………………………………..663

34. L’avenir du pour-soi africain et son habitus à l’aune des réseaux sociaux,

Kouadio Julien KOUASSI ………………………………………..……………………..685

35. Crise du concept de réseaux sociaux et exigence éthique en contexte africain,

Florence BOTTI ……………………………………………………………………………705

36. Approche critique francfortoise de la culture de masse et des médias sociaux,

Klindio Lydie COULIBALY épse ZAMBLÉ …………………………………………..721

37. Les réseaux sociaux en Afrique : enjeux et portée épistémo-éthiques,

1. Evariste Dupont BOBOTO 2. Gildas DAKOYI TOLI …..………………………733

AXE 5 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ENVIRONNEMENT …………………747

38. L’État ivoirien, un régulateur impuissant du secteur minier : apport des réseaux sociaux au respect des périodes de vie des mines dans la région du Hambol,

1. Mathieu Jonasse AFFRO 2. Chifolo Daniel FOFANA 3. Nambegué SORO …………………………………………………………………………….…………………..749

AXE 6 : RÉSEAUX SOCIAUX ET IDENTITÉ SOCIALE ………….……769

39. Réseaux sociaux et identité sociale : l’ipséité africaine à l’épreuve de l’altérité,

1. Ghil-christ Elysée YANSOUNOU 2. Ariane DJOSSOU SEGLA ………………771

40. La facture des réseaux sociaux en Afrique : de l’aventure de l’identité à la sociabilité pathologique ?,

Kouadio Victorien EKPO ……………………..………………………………………..789

41. Le téléphone portable, un instrument de tension entre l’être et le paraître,

Bernadette GANSONRE ……………………………………………………………….803

42. John Kyffy sur Facebook, construction d’un monde virtuel au profit d’une carrière artistique réelle,

Yao Francis KOUAMÉ …………………………………..……………………………….823

43. Les réseaux sociaux au village : Pragmatique des usages et enjeux pour l’identité sociale,

Titi Eri Aramatou PALE …………………………………………………..………..……841

44. L’évolution du concept d’amitié à l’ѐre des Réseaux sociaux : vers la numérisation de la relation interlocutive,

Koffi KOUASSI …………………………………………………..…………….………….863

45. Les réseaux sociaux numériques : Vers une dépendance des algorithmes et la déconstruction des identités sociales,

Tiasvi Yao Raoul AGBAVON ……………………………………………………………878

46. Pour une réinvention des sociétés africaines numérisées à la lumière de la pensée de Rousseau,

Adjoua Marie Jeanne KONAN ………………………………………………….………891

47. Les technologies de l’information et de la communication (tic), vecteurs de résilience et de réliance des peuples,

Ghislain Thierry Maguessa EBOMÉ ………………………………………………….907

AXE 7 : RÉSEAUX SOCIAUX ET SEXUALITÉ ………………………….921

48. La cybersexualité en Afrique : Le corps-sexe entre tradition et modernité,

Oliver P. NGUEMA AKWE ……………………………………………………………….923

49. La critique de la banalité sexuelle sur les réseaux sociaux à l’aune du philosopher arendtien,

Amoin Elise KOUADIO …………………………………………….…………………….939

50. Les réseaux sociaux ou l’alter-égo des réseaux de la sexualité,

Mohamed CAMARA ……………………………………………………………..……….955

AXE 8 : RÉSEAUX SOCIAUX ET NORMES JURIDIQUES …….………969

51. Les entreprises burkinabè à l’épreuve des retours d’expériences : cas du groupe Facebook Consom’action-BF,

Esther Delwendé KONSIMBO …………………………………………..……………..971

52. Pacifier l’usage des réseaux sociaux par un cadre législatif : le cas de la loi sur la cybercriminalité en Côte d’Ivoire avec Facebook,

Waliyu KARIMU ………………………………………………………………..…………987

SYNTHÈSE FINALE DU COLLOQUE ……………………………..………1003

LIGNE ÉDITORIALE

L’univers de la recherche ne trouve sa sève nourricière que par l’existence de revues universitaires et scientifiques animées ou alimentées, en général, par les Enseignants-Chercheurs. Le Département de Philosophie de l’Université de Bouaké, conscient de l’exigence de productions scientifiques par lesquelles tout universitaire correspond et répond à l’appel de la pensée, vient corroborer cette évidence avec l’avènement de Perspectives Philosophiques. En ce sens, Perspectives Philosophiques n’est ni une revue de plus ni une revue en plus dans l’univers des revues universitaires.

Dans le vaste champ des revues en effet, il n’est pas besoin de faire remarquer que chacune d’elles, à partir de son orientation, « cultive » des aspects précis du divers phénoménal conçu comme ensemble de problèmes dont ladite revue a pour tâche essentielle de débattre. Ce faire particulier proposé en constitue la spécificité. Aussi, Perspectives Philosophiques, en son lieu de surgissement comme « autre », envisagée dans le monde en sa totalité, ne se justifie-t-elle pas par le souci d’axer la recherche sur la philosophie pour l’élargir aux sciences humaines ?

Comme le suggère son logo, perspectives philosophiques met en relief la posture du penseur ayant les mains croisées, et devant faire face à une préoccupation d’ordre géographique, historique, linguistique, littéraire, philosophique, psychologique, sociologique, etc.

Ces préoccupations si nombreuses, symbolisées par une kyrielle de ramifications s’enchevêtrant les unes les autres, montrent ostensiblement l’effectivité d’une interdisciplinarité, d’un décloisonnement des espaces du savoir, gage d’un progrès certain. Ce décloisonnement qui s’inscrit dans une dynamique infinitiste, est marqué par l’ouverture vers un horizon dégagé, clairsemé, vers une perspective comprise non seulement comme capacité du penseur à aborder, sous plusieurs angles, la complexité des questions, des préoccupations à analyser objectivement, mais aussi comme probables horizons dans la quête effrénée de la vérité qui se dit faussement au singulier parce que réellement plurielle.

Perspectives Philosophiques est une revue du Département de philosophie de l’Université de Bouaké. Revue numérique en français et en anglais, Perspectives Philosophiques est conçue comme un outil de diffusion de la production scientifique en philosophie et en sciences humaines. Cette revue universitaire à comité scientifique international, proposant études et débats philosophiques, se veut par ailleurs, lieu de recherche pour une approche transdisciplinaire, de croisements d’idées afin de favoriser le franchissement des frontières. Autrement dit, elle veut œuvrer à l’ouverture des espaces gnoséologiques et cognitifs en posant des passerelles entre différentes régionalités du savoir. C’est ainsi qu’elle met en dialogue les sciences humaines et la réflexion philosophique et entend garantir un pluralisme de points de vues. La revue publie différents articles, essais, comptes rendus de lecture, textes de référence originaux et inédits.

Le comité de rédaction

TDR du Colloque sur les réseaux sociaux

Contexte et justification

Les réseaux sociaux sont devenus un véritable moyen de communication planétaire « à tel point qu’une violation du droit en un lieu de la terre est ressentie partout » (Kant, 1958, p. 111). Leur mise en œuvre procède, en effet, d’un projet sociopolitique clairement défini : la démocratisation de l’accès à l’information par la création d’une toile relationnelle qui renforce et consolide les rapports entre les personnes, les sociétés et les entreprises, par-delà les frontières. Dans cette perspective, ils apparaissent comme « un outil proprement démocratique, créateur de démocratie » (Sophie Montévrin, 2019, p. 46). Par l’attrait qu’ils exercent sur la vie des individus, des États et des entreprises, « les réseaux sociaux occupent une place de plus en plus importante dans la vie des gens. Selon les derniers chiffres, 43 pourcents de la population mondiale est active sur les réseaux sociaux » (Sophie Montévrin, 2019, p. 8). Selon le site « Internet World Stats », 46% de la population totale du continent africain utilisent les réseaux sociaux. De fait, les Africains ne sont pas des récepteurs passifs de cette technologie de communication qui apporte des transformations dans leur univers social, leur mode de penser et d’agir (David Fayon, 2013). Dans le monde comme en Afrique, les réseaux sociaux suscitent de profondes mutations sociopolitiques et économiques. Ce colloque invite à réfléchir sur ces mutations en Afrique à travers le thème « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines ».

Par l’importance de leur impact sur les sociétés africaines, les réseaux sociaux révèlent une ambivalence préoccupante : d’une part, ils contribuent à la fois à leur progrès socio-économique (Tracy Tuten, 2019, Christine Balagué, David Fayon, 2022) et à l’accélération des crises sociopolitiques qui aboutissent, parfois, au renversement du pouvoir; et d’autre part, l’interaction qu’ils favorisent entre les individus de tous bords contribuent à la fois à l’affirmation et à l’épanouissement des qualités et du potentiel des Africains, mais aussi, à la violation de leur vie privée et à leur déséquilibre psychologique pouvant conduire à la déconstruction de leur personnalité (Thomas Huchon, Jean-Bernard Schmidt, 2022). Au-delà des relations interpersonnelles ordinaires, des autoproclamés « influenceurs » (Edouard Fillias, François-Charles Rohard, 2021) s’efforcent d’influencer, d’orienter les modes de vie et de pensée des Africains par leurs publications, contribuant ainsi à justifier l’idée de

« l’influence toxique des réseaux sociaux » qu’évoque Sophie Montévrin. Cette toxicité est constatable à travers l’usurpation d’identité, l’intrusion dans la vie privée, l’utilisation d’images compromettantes, les fakes news, la remise en cause des valeurs sociales, etc.

Il apparaît alors que l’avenir des sociétés africaines, la qualité de leur système éducatif, le fondement des rapports intersubjectifs et surtout les normes axiologiques au fondement de la personne humaine et des sociétés sont en jeu dans le développement vertigineux des réseaux sociaux sur le continent comme dans le monde (Robert Redeker, 2021). À travers ce colloque international et pluridisciplinaire, toute la communauté scientifique est invitée à des réflexions croisées sur l’impact des réseaux sociaux sur la dynamique des sociétés africaines. Si la démocratisation de l’information induite par les réseaux sociaux apparait comme une œuvre noble, elle semble poser problème à travers ses différents usages.

Problématique et objectifs

L’ambivalence préoccupante des réseaux sociaux conduit à la nécessité d’un accompagnement éthique de leur usage en instaurant un cadre éthique en vue d’une prise en compte efficiente et pratique de cet outil de communication. Au-delà du cadre d’origine des réseaux sociaux, les sciences et techniques de la communication, ce colloque est ouvert à toutes les régionalités scientifiques en vue d’une approche globale de l’influence et de l’usage des réseaux sociaux en Afrique. À cette fin, ce colloque pose le problème suivant : Quels sont les impacts des réseaux sociaux sur les dynamiques sociales en Afrique ? Ce problème se décline en questions spécifiques :

  • Comment caractériser les réseaux sociaux ?
  • Quelles sont leurs contributions aux dynamiques des sociétés africaines, dans leurs rapports avec les sociétés du monde, d’un point de vue cosmopolitique ?
  • Quand et comment les réseaux sociaux deviennent-ils des pesanteurs de ces dynamiques ?
  • Comment, alors, circonscrire leurs effets pervers ?

De cette problématique se dégagent les objectifs de ce colloque :

  • Montrer que les réseaux sociaux sont devenus, en Afrique, non seulement des instruments de transformations sociales (Gado Alzouma, 2008, En ligne), mais aussi dévoiler les conditions sous lesquelles leur déploiement peut véritablement être sources de dérives sociales et morales ;
  • Examiner la nécessité d’une réévaluation des objectifs de cet outil de communication et surtout souligner leur incidence sur les sociétés contemporaines, en général, et sur les sociétés africaines, en particulier ;
  • Générer une convergence des savoirs à travers une approche interdisciplinaire sur les implications politiques, juridiques, culturelles et éthique de l’usage des réseaux sociaux ;
  • Donner à comprendre les mécanismes de structuration des relations intersubjectives, les modes d’acquisition des savoirs, les leviers qui les rendent possibles, et surtout, à penser les dispositions pratico- éthiques en vue d’une meilleure gestion des réseaux sociaux dans les États africains ;
  • Identifier les outils conceptuels et pratiques à mettre en œuvre pour critiquer l’univers des réseaux sociaux et dégager des voies pour leur prise en charge efficiente.

Axes du colloque

Axe 1 : Réseaux sociaux et démocratie

L’usage des réseaux sociaux ne peut guère faire l’économie des formes abusives de la liberté d’expression et des crises sociales qu’ils influencent irrémédiablement. Cet axe traitera des rapports entre les réseaux sociaux et la politique pour justifier et/ou atténuer le sentiment de « l’influence toxique des réseaux sociaux ».

Axe 2 : Réseaux sociaux et éducation

L’un des objectifs majeurs des réseaux sociaux est la formation des individus en mettant à leur disposition une panoplie d’informations et de savoirs (scolaires, universitaires, culturels, généraux, etc.). Ce rôle éducatif assigné aux réseaux sociaux est parfois dévoyé par des intérêts qui sapent les fondements axiologiques de l’éducation. Cet axe réfléchira sur l’impact des réseaux sociaux sur les valeurs sociales qui constituent le ciment de toute société.

Axe 3 : Réseaux sociaux et société durable

Les réseaux sociaux tendent à transformer les fondements relationnels au sein des sociétés suivant une double trajectoire : obérer la paix sociale ou assurer la tranquillité sociale. Ce dernier échelon stimule de plus en plus le recours aux réseaux sociaux en vue de rétablir un climat de paix. En tant que moyen de mobilisation des masses, il apparaît évident que les réseaux sociaux peuvent être un levier de socialisation des individus. Cet axe examinera comment les réseaux sociaux peuvent être mis à contribution dans la recherche de l’équilibre social.

Axe 4 : Réseaux sociaux et dignité humaine

Les atteintes à la dignité humaine sont de plus en plus perceptibles à travers les réseaux sociaux. Pour Sophie Montévrin (2019, p. 72), « si les réseaux sociaux permettent d’avoir des espaces d’expression libres, comme au café du commerce, ils s’apparentent trop souvent à des défouloirs ». Cet axe vise la détermination de normes éthiques susceptibles de conduire à une revalorisation de la dignité humaine à travers les réseaux sociaux.

Axe 5 : Réseaux sociaux et environnement

La crise écologique actuelle procède, en partie, d’un manque de sensibilisation des individus sur les causes et les stratégies de protection de l’environnement. Cet axe de réflexion déterminera des modes d’utilisation des réseaux sociaux, aux échelons national et international, pour la diffusion de principes et savoirs innovants de la gestion des cadres de vie et de l’instauration d’une attitude écocitoyenne.

Axe 6 : Réseaux sociaux et identité sociale

L’impact des réseaux sociaux sur la perception de soi et la représentation de l’environnement social est indubitable. À travers les nouvelles formes de sociabilité qu’ils favorisent, les réseaux sociaux ambitionnent, sans doute, de produire un modèle culturel et social d’identité dans lequel l’individu projette une image de lui-même tiraillée par le réel et le virtuel. Cet axe de réflexion sera non seulement l’opportunité de comprendre la manière dont la perception de soi, de l’autre et la représentation du monde se forge à travers les réseaux sociaux, mais aussi la façon dont ils contribuent à la fragmentation identitaire.

Axe 7 : Réseaux sociaux et sexualité

L’influence des réseaux sociaux sur les comportements sexuels met au défi les mœurs africaines et l’éducation sexuelle des jeunes. Cet axe analysera les effets des réseaux sociaux sur la déliquescence des mœurs en Afrique au moment où des pratiques sexuelles controversées tentent de se mondialiser.

Axe 8 : Réseaux sociaux et normes juridiques

A l’instar de tous les objets techniques et les pratiques sociales, les réseaux sociaux doivent être soumis à une législation. Il semble, pourtant, que la régulation juridique des réseaux sociaux est confrontée au respect du principe de la liberté d’expression et de conscience. Cet axe permettra de réfléchir aux conditions et modalités d’un meilleur encadrement juridique des réseaux sociaux dans les États africains.

COMITÉ D’ORGANISATION ET COMITÉ SCIENTIFIQUE

COORDINATION

Prof. Grégoire TRAORÉ, Professeur titulaire

Prof. Edmond Yao KOUASSI, Professeur titulaire

Prof. Nicolas Kolotioloma YÉO, Professeur titulaire

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Président : M. Lazare Marcellin POAMÉ, Professeur titulaire, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Vice-Présidents :

M. Ayénon Ignace YAPI, Professeur titulaire, Université Alassane Ouattara, Bouaké

M. Henri BAH, Professeur titulaire, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Membres :

Prof. Aklesso ADJI, Université de Lomé

Prof. Alain RENAUT, Université de la Sorbonne, Paris

Prof. Antoine KOUAKOU, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Assouman BAMBA, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Auguste NSONSISSA, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Ayénon Ignace YAPI, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Azoumana OUATTARA, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Cablanazann Thierry Armand EZOUA, Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, Abidjan-Cocody

Prof. Charles Zacharie BOWAO, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Ernst WOLFF, Institut Supérieur de Philosophie, KU Leuven. Belgique

Prof. Évariste Dupont BOBOTO, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Donissongui SORO, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Jacques NANÉMA, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou

Prof. Jean Gobert TANOH, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Jean-Luc AKA-EVY, Université Marien NGOUABI, Brazzaville

Prof. Yao Edmond KOUASSI, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Mahamadé SAVADOGO, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou

Prof. Mounkaïla Abdo Laouli SERKI, Université Abdou-Moumouni, Niamey

Prof. N’Dri Marcel KOUASSI, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Samba DIAKITÉ, Université Alassane Ouattara, Bouaké

Prof. Thiémelé Ramsès BOA, Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody

COMITÉ D’ORGANISATION

Président : M. Amed Karamoko SANOGO, Maître de Conférences

Vice-Président : M. Éric Inespéré KOFFI, Maître de Conférences

SECRÉTARIAT SCIENTIFIQUE

Président : M. Kouassi Honoré ELLA,Maître de Conférences

Membres :

M. Kouassi Marcelin AGBRA,Maître de Conférences

M. Fatogoma SILUE,Maître de Conférences

Dr Amidou KONE, Maître-Assistant

Dr PLEHIA Séa Frédéric, Maître-Assistant

COMMISSION COMMUNICATION

Responsable : M. Faloukou DOSSO, Maître de Conférences

Membre : Dr Amara SALIFOU, Maître-Assistant

COMMISSION TECHNIQUE VOLET INTERNET

Responsable : Dr ANGBAVON Tiasvi Yao Raoul, Maître-Assistant

Membre : Dr/MC KANON Gboméné Hilaire, Maître de Conférences

COMMISSION RESTAURATION

Responsable : Dr/MC Chantal PALE, Maître de Conférences

Membres :

Dr Anne-Marie KOUAKOU, Maître-Assistant

Dr Marcelin GALA BI, Maître-Assistant

Mme DRUID Joselyne, Secrétaire du Département

COMMISSION TRÉSORERIE ET FINANCES

Responsable : M. Victorien Kouadio EKPO, Maître de Conférences

Membre : Dr ASSIE Ahou Marthe, Maître-Assistante

COMMISSION ACCUEIL, HÉBERGEMENT ET DÉCORATION

Responsable : Dr Elisée Offo KADIO, Maître-Assistant

Membre : Dr Florence BOTTI, Assistante

COMMISSION LOGISTIQUE

Responsable : M. Yao Bernard KOUASSI, Maître de Conférences

Membres :

Dr ANGAMAN Kadio Mathieu, Maître-Assistant

Dr SABLÉ Léhoua Patrice, Maître-Assistant

COMMISSION PROTOCOLE ET MAÎTRISE DE CÉRÉMONIE

Responsable : M. Jean Joël BAHI, Maître-Assistant

Membres :

Prof. Alexis KOFFI, Professeur titulaire

Dr Madeleine Amenan KOUASSI, Assistante

COMMISSION RÉDACTION DES RAPPORTS

Responsable : M. Kouassi Thomas N’GOH, Maître de Conférences

Membres :

M. Christian Kouadio YAO, Maître de Conférences

Dr Baboua TIÉNÉ, Maître-Assistant

Dr Allassane KONE, Maître-Assistant

Dr KACOU Oi Kacou, Assistant

Dr MOULO Kouassi, Assistant

LISTE DES MODÉRATEURS ET DES RAPPORTEURS DU COLLOQUE

I. LISTE DES MODÉRATEURS DU COLLOQUE

Prof. YAPI Ayenon

Prof. YEO Nicolas

Prof. KOUASSI Marcel

Prof. KOUAKOU Antoine

Dr MC KOUASSI N’Goh

Dr MC DOSSO Faloukou

Dr MC DAGNOGO Baba

Dr MC KOUASSI Assanti

Dr MC PILLAH N. Privat 

Dr MC KPANGUI Kouassi

Dr MC KOFFI Eric

Dr MC SILUE Fatogoma

Dr MC YOULDÉ Stéphane

Dr SÉKA Koko

Dr GALA Bi

Dr PALE Titi

Dr SALIFOU Amara

Dr SORO Jean

Dr SÉKA Chayé

Dr YAO Odilon

Dr NIANGORAN Adjo

Dr BAHI Jean-Noël (Maître de cérémonie)

Dr KOUASSI A. Madeleine (Maîtresse de cérémonie)

II. LISTE DES RAPPORTEURS DU COLLOQUE

Dr MC DELLA T. Barthélémy

Dr MC YOULDÉ Stéphane

Dr KONE A. Alassane

Dr ANGAMAN K. Mathieu

Dr AFFRO Jonasse 

Dr SIALLOU Kouassi Hermann

Dr KOUA Guéi Simplice

Dr MOULO Kouassi Elisée

Dr KADIO Offo Elisée

Dr KACOU OI Kacou

Dr BOTTI Florence

Dr KOUASSI A. Madeleine

Dr KOUASSI Koffi

Dr GUI Désiré

Dr Gnagne Akpa Akpro

Dr SANOGO Assane

Dr TIENE Baboua

Dr SORO Torna

Dr SORO Doforo Emmanuel

COULIBALY Sounan

ALLOCUTIONS

ALLOCUTION DU PRÉSIDENT DU COMITÉ D’ORGANISATION

Monsieur le représentant du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ;

Monsieur le représentant du Président de l’Université Alassane Ouattara ;

Monsieur le vice-Président chargé de la pédagogie ;

Madame la représentante du vice-Président chargé de la recherche et de la vie universitaire ;

Madame la Secrétaire Générale Adjointe de l’Université Alassane Ouattara ;

Monsieur le Doyen de l’UFR-CMS ;

Monsieur le Chef du département de Philosophie ;

Très chers Maîtres et collègues ;

Mesdames et Messieurs de la presse ;

Distingués invités ;

Chers étudiants ;

Mesdames et Messieurs, en vos rangs et qualités ;

Le Comité d’Organisation, par ma voix, vous souhaite AKWABA, la cordiale bienvenue, et vous exprime sa joie de vous accueillir, à Bouaké, en terre ivoirienne. C’est un honneur bien ressenti que de vous compter parmi les participants à ce colloque pluridisciplinaire qui se tiendra sur trois jours, à savoir les 5, 6 et 7 octobre 2023.

« Mesdames et messieurs, veuillez éteindre vos téléphones portables », est une phrase souvent entendue lors des rencontres importantes. Cette adresse que d’aucuns pourraient considérer comme une forme d’injonction, loin s’en faut, révèle l’actualité du thème du colloque qui nous réunit ce jour : « Réseaux sociaux et dynamiques des sociétés africaines ».

En effet, le téléphone portable est devenu l’un des vecteurs principaux des réseaux sociaux auxquels nous nous attachons de plus en plus au fil des années. Pourtant, l’appel à éteindre nos téléphones portables, à certains moments, montre bien qu’il est possible de s’en passer surtout lorsqu’il s’agit de méditer sur des questions qui nous touchent et qui mettent à contribution nos méninges.

En tant qu’un des maillons essentiels de la dynamique que connaît l’université Alassane Ouattara, le Département de Philosophie ne pouvait donc pas marquer son désintérêt vis-à-vis de ce phénomène mondial qu’est l’expansion des réseaux sociaux et nous invite, donc, à y réfléchir à nouveaux frais pour mieux comprendre et circonscrire l’utilisation des réseaux sociaux. Le faisant, le Département est dans le rôle qui lui est assigné par la Philosophie, à savoir « penser son temps en concept », selon l’expression du philosophe des Lumières Friedrich Hegel.

Mesdames et messieurs,incontestablement, notre époque est fortement rythmée par les réseaux sociaux qui irradient, se retrouvent dans tous les secteurs d’activité : la politique, l’éducation, l’environnement, le droit, la sexualité, les relations interhumaines, etc.

Bien que considérées comme sous-développées, les sociétés africaines sont en bonne place dans l’utilisation des réseaux sociaux qui y ont assurément des impacts divers. Entre avantages et inconvénients des réseaux sociaux, les dynamiques des sociétés africaines, leurs évolutions et/ou régressions, sont également à questionner.

Quel statut faut-il accorder aux réseaux sociaux dans la dynamique de nos sociétés ? Les réseaux sociaux sont-ils un moyen sûr pour le développement économique, culturel, politique et social des États africains ? Les Africains font-ils un meilleur usage des réseaux sociaux à l’heure où les Fakes news tendent à désorganiser les sociétés ? Comment accommoder les valeurs socioculturelles de nos sociétés aux contenus des réseaux sociaux qui se propagent à la vitesse de la lumière ?

Voilà autant de préoccupations sur lesquelles les éminents participants, réunis dans le cadre de ce colloque et venant de différentes universités d’Afrique, vont se pencher. Ils examineront de manière approfondie les relations entre les réseaux sociaux et l’évolution ou la régression des sociétés africaines, tant entre elles qu’en comparaison avec les sociétés occidentales, orientales et moyen-orientales, et cela sous tous les angles possibles.

Après avoir évoqué brièvement les enjeux du colloque sur « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines », je souhaite, Mesdames et Messieurs, exprimer ma gratitude envers les divers acteurs qui ont contribué à faire de ce colloque une réalité aujourd’hui.  

Je voudrais exprimer ma gratitude au Chef du Département de Philosophie, le Professeur Traoré Grégoire, qui m’a fait confiance en me mettant à la présidence de l’organisation de ce colloque. Professeur, vous avez été attentif aux difficultés et préoccupations qui vous ont été soumises.

Je félicite chaleureusement tous les membres du Comité d’Organisation qui continueront à travailler même après la clôture des travaux qui débutent aujourd’hui. Je les remercie pour leur esprit d’équipe, leur résilience face aux difficultés rencontrées, ainsi que pour leur sens des responsabilités dans l’accomplissement de leur tâche.

Je tiens à exprimer mes remerciements renouvelés, en suivant tous les protocoles appropriés : 

À nos autorités ;

À nos Maîtres d’ici et d’ailleurs ;

À tous les contributeurs venus de tous les horizons ;   

Aux syndicats d’enseignants et aux organisations d’étudiants ;

À nos étudiants ;

Je tiens à remercier particulièrement l’administration centrale de l’UAO, avec à sa tête le Président Kouakou Koffi, pour l’accompagnement dont nous avons bénéficié.

Je tiens à adresser mes remerciements également aux partenaires de premier rang :

le Fonds pour la Science, la Technologie et l’Innovation (FONSTI) pour son soutien multiforme.

l’Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI), pour son accompagnement.

la Commission Nationale du Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (CN-MAEP), présidée par Professeur Soro David Musa, pour son implication à l’organisation de ces assises, malgré ses contraintes.

Mesdames et messieurs, je voudrais conclure mon allocution en vous exprimant mes vœux pour des travaux fructueux au cours de ces trois jours.

Merci de votre aimable attention !

M. SANOGO Amed Karamoko, Maître de Conférences, Enseignant-chercheur, Département de philosophie, Université Alassane Ouattara,

DISCOURS DU CHEF DE DÉPARTEMENT

Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique,

Monsieur le Président de l’Université Alassane Ouattara,

Monsieur le Doyen de l’UFR – Communication, Milieu et Société,

Mesdames et Messieurs les Directeurs et Chefs de services,

Mesdames et Messieurs les Enseignants-Chercheurs,

Chers étudiants,

Chers amis de la presse,

Mesdames et Messieurs, Honorables invités en vos rangs, grades et qualités,

Au nom du Département de philosophie, je voudrais vous dire, au-delà de ce que je saurai exprimer, mes sincères remerciements pour votre présence effective, massive et distinguée qui montre tout l’intérêt que vous avez bien voulu accorder à ces assises qui s’ouvrent, aujourd’hui, à l’Université Alassane Ouattara. La problématique des réseaux sociaux et leur impact sur la dynamique des sociétés africaines exige des solutions immédiates, tant ils touchent au fondement des Institutions qui donnent sens à notre être en société.  Les réseaux sociaux définissent notre vie puisqu’ils influencent notre mode d’être et d’agir en société. Dans nos sociétés contemporaines africaines, ils occupent une place prépondérante dans la mesure où ils façonnent la vision du monde des individus, leur approche relationnelle. Selon les statistiques, 46 pourcents de la population totale du continent africain utilisent les réseaux sociaux. De fait, les Africains ne sont pas des récepteurs passifs de cette technologie de communication qui apporte des transformations dans leur univers social, leur mode de penser et d’agir (David Fayon, 2013). En Afrique, les réseaux sociaux suscitent de profondes mutations sociopolitiques et économiques.

Par leur puissance transformatrice du monde social et des valeurs qui le sous-tendent, les réseaux sociaux se sont révélés être paradoxalement à la fois une véritable source d’émerveillement et d’inquiétudes suscitant une réflexion sur leurs réels enjeux et le sens qu’ils impriment à la dynamique des sociétés africaines. La tenue de ces assises qui rassemblent des experts venus de divers horizons du monde vise à ausculter le sens des réseaux sociaux et la manière dont ils influencent la dynamique de nos sociétés.

Sous certaines formes, les réseaux sociaux peuvent participer au progrès de nos sociétés dès lors que les buts qu’ils sont censés atteindre, coïncident avec les bonnes intentions et le bien-être de l’homme. Cependant, pour parodier ce célèbre philosophe allemand d’origine juive, Hans Jonas, on peut soutenir que cette intention des individus reste creuse ou vide de sens aussi longtemps que l’on ignore ce qu’est le bien que les réseaux sociaux sont censés apporter aux sociétés africaines. Nous devons savoir, en effet, vers quelle destination ils nous conduisent et surtout quelles dispositions éthiques prendre pour leur meilleure utilisation. Or comme semble le souligner Jonas dans le Phénomène de la vie, « il y a ceux qui acclament la houle qui les emporte avec elle et dédaignent de se demander vers où ? ; qui saluent le changement pour lui-même, la poussée en avant, sans fin, de la vie vers le toujours nouveau, l’inconnu, le dynamisme comme tel ». Les évènements protéiformes et angoissants qui se succèdent à un rythme infernal sur les Réseaux sociaux entraînent et traînent les sociétés africaines vers des directions tous azimuts, dans une sorte de tourbillon et de vertige, au point où l’on est tenté de croire que nous sommes face à une crise sociale, des individus et de nos Institutions. En réalité, les réseaux sociaux sont devenus de véritables cadres de défoulement des esprits, que dis-je, de logorrhée verbale, de recherche de gain facile où la recherche de la vérité n’est plus la priorité.

Si la crise est, cependant, ce moment de rupture, de malaise, parfois un tournant périlleux qui peut aussi introduire un changement de vision, une orientation nouvelle, avant que d’aboutir tout de même à une issue heureuse, une réelle démarche votive à la recherche de solutions idoines doit s’imposer. C’est donc à juste titre que l’Université, en tant qu’Institution qui contribue à l’autoréflexion de la société, mobilise, en ce jour, ses acteurs afin qu’ils fassent l’anamnèse des maux qui sapent les fondements et valeurs de la société.  Mesdames et Messieurs, ces acteurs rompus à la bonne réflexion, ces penseurs de qualité et bon goût ne sont-ils pas comme pouvait le dire Émile Zola « ces actifs ouvriers qui sondent l’édifice sociale, en indique les poutres pourries, les crevasses intérieures, les pierres descellées, tous ces dégâts que l’homme lambda ne voit pas du dehors et qui pourtant peuvent entraîner la ruine du monument social entier » ? 

L’Université est appelée à répondre à de nouveaux et grands défis en termes d’éducation, de recherche et de gouvernance face à la mutation rapide des sociétés, à l’évolution de l’état d’esprit de la jeunesse, aux nouveaux outils et technologies de communications. Caractéristiques des temps modernes, les réseaux sociaux doivent nécessairement faire l’objet d’une analyse critique de la part des universitaires et particulièrement des universitaires africains, car en Afrique, leur utilisation nous laisse parfois dubitatif quant au but de leur invention. Ce colloque vient donc à-propos pour faire un état des lieux des crises répétées qui secouent nos sociétés, qui ralentissent leur développement. Ce colloque a pour ambition de mettre en évidence les défis et trouver des solutions susceptibles de conduire les États africains sur la voie d’une gestion durable, dynamique et responsable des sociétés africaines. Il proposera, je l’espère pour ma part, une réflexion constructive sur de nouvelles perspectives heuristiques de qualités sociétales ; sur l’implication de nos Universités africaines dans la construction à court, moyen et long terme de nos Institutions régulatrices des réseaux sociaux et qui président à la destinée des sociétés.

Mesdames et Messieurs, la centralité thématique de ce colloque qui nous réunit, porte au total sur « la place des réseaux sociaux dans l’évolution des sociétés africaines ». Nous sommes tous, panélistes et partenaires extérieurs, appelés à trouver à partir de ce colloque des solutions pour sauver la situation inquiétante de la société africaine due à une mauvaise utilisation des réseaux sociaux. Poser un diagnostic sur la situation de réseaux sociaux en Afrique impose de pouvoir déceler le type de contribution qu’ils doivent apporter à nos sociétés, mais surtout de situer les responsabilités concernant leur utilisation. Un tel acte est d’une grande portée puisque l’Université, en tant que cadre d’élaboration et de partage des connaissances, est également le lieu de préparation de la société de demain. En envisageant la recherche de solutions sous l’angle de la transversalité ou du moins de l’interdisciplinarité, nous pensons que cet acte est solidaire d’une vision globale caractérisée par l’implication mutuelle des œuvres que l’on peut qualifier de l’esprit d’avec celles de la société. Une telle globalité est déjà à l’œuvre dans le réinvestissement social des recherches et réflexions issues des Universités. De sorte que l’on arrive à la logique suivante : les débats dans les Universités ne peuvent se soustraire de la réalité sociale. Au contraire, les Universités doivent analyser les maux qui minent les sociétés actuelles et anticiper l’avenir. Je suis donc convaincu que nous aurons des résultats satisfaisants au regard de la qualité des différents contributeurs qui ont bien voulu apporter leurs idées pour cerner la situation des réseaux sociaux en Afrique.

Je voudrais très chaleureusement, en ma qualité de Directeur de Département de philosophie d’une part, en tant que coordonnateur général des activités de ce colloque d’autre part, exprimer ma gratitude à nos invités de marque ainsi qu’à toutes les personnes qui ont effectué le déplacement. Je voudrais aussi remercier, avec encore beaucoup d’enthousiasme et de chaleur, le Président du Comité d’Organisation (PCO) de ce rassemblement scientifique pour avoir œuvré généreusement et efficacement au bénéfice de cet évènement, ô combien utile à nos Institutions, à toutes les Universités africaines ainsi qu’à nos décideurs socio-politiques africains. Nos remerciements vont aussi à tous nos partenaires, à tous nos collègues, nos maîtres, venus ici pour échanger sur un sujet aussi important. 

Je vous remercie et souhaite, à tous, un très bon séjour scientifique.

CONTRIBUTIONS DES INVITÉS SPÉCIAUX

LES RÉSEAUX SOCIAUX OU RÉSEAUX DE DÉ-SOCIALISATION ?

Antoine KOUAKOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

k_anthoyne@yahoo.ca

Résumé :

Les Réseaux Sociaux constituent, sans nul doute, le phénomène incontournable des sociétés contemporaines. Enfants, Jeunes et personnes âgées vivent aujourd’hui sans pouvoir s’en passer. Le Réseautage Social, dans sa diversité (Facebook, Instagram, YouTube, Linkedin, WhatsApp, etc.) participe ainsi de la dynamique des sociétés d’ici et d’ailleurs. Cependant, s’il apparaît évident qu’ils influent positivement et de façon considérable sur tous les domaines de l’activité humaine (travail, économie, loisirs, amour, éducation, etc.), leur côté néfaste n’est pas à ignorer, vu qu’ils arrivent souvent à désarticuler les principes de base qui articulent, ordinairement, la réalité sociétale. Comme tels, ils révèlent leur ambivalence qui impose l’urgence d’une éducation aux médias sociaux, condition de réalisation de sociétés durables ou éthiquement supportables.

Mots clés : Communication éthique, Désocialisation, Éducation aux médias, Éthique, Réseaux Sociaux.

Abstract:

Social networks are, without doubt, the most important phenomenon in contemporary society. Children, young people and the elderly all live their lives without them. Social networking, in all its diversity (Facebook, Instagram, YouTube, Linkedin, WhatsApp, etc.) is part of the dynamic of societies here and abroad. However, while it’s clear that they have a positive and considerable influence on all areas of human activity (work, the economy, leisure, love, education, etc.), their harmful side is not to be ignored, as they often manage to disarticulate the basic principles that ordinarily articulate societal reality. As such, they reveal their ambivalence, which imposes the urgent need for social media education as a condition for the realization of sustainable or ethically bearable societies.

Keywords : Ethical communication, Desocialization, Media literacy, Ethics, Social networks.

Introduction

Qu’est-ce qui détermine, de fond en comble, les Réseaux Sociaux ? En partant de cette évidence implacable que nous vivons dans un monde numérisé où le technocosme est en passe d’envahir toute la sphère, la question existentielle et primordiale ne s’impose-t-elle pas en ces termes : Que faire pour fonder une société durable ? Cette question, en réalité, masque le présupposé d’une société en déliquescence, d’un monde en crise de sens. Le monde d’aujourd’hui, entièrement articulé par l’explosion des technologies de l’information et de la communication serait, sans nul doute, loin de nous garantir l’épanouissement ou le bonheur espéré. Quand on vient à porter un regard sur la multitude des réseaux Sociaux (Facebook, WhatsApp, Tik Tok, Messenger, etc.), on ne saurait ne pas se réjouir de leur avènement tant ils ont positivement bouleversé ce monde politiquement, économiquement, culturellement, socialement et sanitairement… Surtout, quand on en vient aux libertés individuelles, à la possibilité offerte aux individus d’expérimenter leurs droits à la parole, à l’autonomie, à l’exaltation de convictions en eux enfouis, comment ne pas en être émerveillé et s’écrier : Waaaaoooouu ! Et seulement, autant en emporte le vent ! L’univers des Réseaux Sociaux se dévoile tant dans son être faste que néfaste. Comment vouloir en effet faire-société avec les autres en donnant libre-cours à ses caprices, en s’adonnant à « l’acte gratuit ou liberté d’indifférences » (A. Gide, 1972, 250 p) ? Dans un contexte social, au sein de l’autoroute de l’information, est-on autorisé à écrire ou à dire tout ce qui nous chante ? L’homme, au centre de tout ce système de réseautage ne peut que se retrouver balloté par des vagues de conceptions, ou d’actions qui finissent par le corrompre ou l’avilir. Quelles stratégies importe-t-il alors de mettre en place dans une société-liquide et vacillante ?

1. De l’ambivalence de l’univers des réseaux sociaux à l’insociable sociabilité de l’homme

D’un développement exponentiel des Réseaux Sociaux, avec leurs multiples avantages pour les sociétés contemporaines, répond une extrême vulnérabilité desdites sociétés désormais exposées au nihilisme de tout acabit. En eux se décèle une réalité duelle, elle-même aggravée par ce que Kant (1985, p. 192) appelait

l’insociable sociabilité de l’homme, c’est-à-dire leur penchant à entrer en société, penchant lié toutefois à une répulsion générale à le faire, qui menace constamment de dissoudre cette société. Une telle disposition est très manifeste dans la nature humaine. L’homme possède une inclination à s’associer parce que, dans un tel état, il se sent davantage homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses penchants naturels. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer (s’isoler) » : en effet, il trouve en même temps en lui ce caractère insociable qui le pousse à vouloir tout régler à sa guise ; par suite, il s’attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu’il se sait lui-même enclin de son côté à résister aux autres.

Cet isolement caractéristique de l’humain trouve sa manifestation, sur les Réseaux Sociaux, dans la constitution ou création de Groupes. De façon contextuellement analogue, disons que les Réseaux Sociaux sont à la fois des facteurs de socialisation et de désocialisation. Dans le procès de la dynamique sociale, il y a ainsi toujours un – gagner dans les Réseaux Sociaux. De leur avènement, comment s’empêcher de dire, avec M. Blay (2016, p. 10-11), ce qui suit :

Quel enthousiasme ! Quel orgueil ! Tout sera connecté, piloté par des moteurs de recherche et des machines informatiques afin d’obtenir une efficacité optimale pour tous les aspects de notre existence individuelle ou sociale. Une existence parfaitement réglée car parfaitement renseignée/surveillée pour la débarrasser de ses imperfections, des pertes de temps, de rêverie (…) Une existence vouée aux réseaux, aux sollicitations extérieures, dénuée de réflexion et de profondeur, de toute intériorité. Une existence plate, ignorant l’expérience vitale qui nous lie à notre regard intérieur.

De la connexion de tous les aspects de notre existence, sous l’égide de l’informatique, qui viendra à tout réguler, renseigner ou contrôler, s’ensuivra la perte de toute intériorité ou profondeur, donc la porte ouverte à toute forme de platitude. S’il en est ainsi, c’est bien parce que la dépendance ou la simple connexion aux Réseaux Sociaux en vient à nous désagréger de notre environnement immédiat, familial, voire individuel, au profit du monde extérieur, lointain, virtuel, communautaire. Bill Gates, dans l’Avant-Propos de l’ouvrage de Michael Dertouzos, affirmait, en 1987, ce qui suit : « Plus importants encore, des progrès imminents en hardware, en software et dans l’infrastructure des réseaux vont affecter, en petit ou en grand, la vie en société, la famille, le monde du travail, la santé, les loisirs, l’économie, et l’idée même de notre place dans l’univers » (B. Gates, in M. Dertouzos, 1999, p. 10).

L’impact considérable des Réseaux Sociaux sur l’existence ordinaire des hommes en vient à déstructurer même les croyances ou visions classique du monde, en sorte que se pose la question de notre sens dans l’univers. Qui sommes-nous ? Quel est le sens de notre être-là au monde ? Il est clair que

s’inscrire sur un réseau social peut répondre au besoin d’appartenance d’un individu à une communauté qui partage ses intérêts, voire son langage, avec laquelle il a des affinités. On parle de tribu. Cela répond aussi au besoin d’être reconnu par les membres de sa communauté. Selon le sociologue Pierre Mercklé, les réseaux sociaux pourraient constituer « un nouveau paradigme sociologique, une “troisième voie” théorique entre le holisme et l’individualisme sociologique » dans la mesure où d’une part on assiste à une montée de l’individualisme et d’autre part chacun a un fort besoin d’appartenance à une ou plusieurs communautés pour interagir et échanger, sachant que le tout peut avoir une valeur supérieure à la somme des parties (C. Belagué, D. Fahon, 2022, p. 36).

Mais, ce besoin d’appartenance ne manque pas de traduire une exigence de déconnexion vis-à-vis d’une autre sphère ou d’une autre communauté qu’on pourrait qualifier de familiale, d’universelle, etc. Est-ce bien là manifester son statut d’animal politique ? Quelle peut bien être la politicité d’un tel animal, la sociabilité d’un tel homme quand le virtuel en arrive à supplanter la vie réelle et vraie ? Par ailleurs, on pourrait bien supposer que « La communication est évidemment un élément central des réseaux sociaux qui proposent tous des outils de communication synchrones (chat ou vidéoconférence) et asynchrones (commentaires, forum) » (PMTIC, 2017).Mais, y aurait-il vraiment communication ? La société contemporaine, en apparence jugulée par les technologies de l’information et de la communication, ne nous offre-t-elle pas le paradoxe d’un univers d’incommunicabilité ?

Kierkegaard (2004, p. 93), dans La dialectique de la communication, n’a eu de cesse à relever cet état de fait caractéristique de notre temps où « la pensée – et c’est à mon sens l’un de ses plus graves défauts – a supprimé la personnalité et a rendu tout objectif. Aussi bien ne s’attarde-t-on pas à la pensée de ce que c’est que communiquer ; mais l’on se hâte aussitôt vers l’objet, le ce qu’on entend communiquer » (Idem, p. 68). Toujours est-il que, dans un tel contexte, s’efface ou s’oublie le sujet communicant sinon doué de communication, qui, dans l’appareillage technoscientifique, manque de probité, de primitivité. En réalité, dans un univers d’uniformité ou d’uniformisation, de conformisme et de consumérisme à l’universel,

il est incontestablement plus confortable et plus sûr de faire partout cause commune avec le traditionnel, de faire comme les autres, d’avoir les mêmes opinions, de penser, parler comme les autres et de se mettre le plus vite possible à la poursuite des fins temporelles. Mais la Providence n’a jamais pensé qu’il devait en être ainsi. Toute existence humaine doit avoir de la primitivité (S. Kierkegaard, p. 72).

Le naturel humain, au cœur de l’univers des Réseaux Sociaux, n’est-il pas liquéfié, disloqué ? Animal doué de Parole, le voile de l’être ou du visage réel de l’autre, du prochain ou de l’interlocuteur, engendré par l’écran, ne nous donne-t-il pas à voir l’internet comme désocialisateur de l’humaine condition ? « La parole, (…) constituée à la fois de la vie intérieure, (…) inclut les paramètres éthiques, idiosyncrasiques, axiologiques, spirituels et émotionnels de la mémoire… Cet idéal de la communication directe au travers de la parole vivante et vivifiante, semble être remis en cause par Internet » (A. L. Tsala-Mbani, 2016, p. 112-113). Au cœur donc de l’univers des Réseaux Sociaux, il apparait incontestable que se joue une dialectique du faste et du néfaste, du beau et du laid, du bon et du mauvais, etc. Aussi, autant tous les domaines de la vie humaine, que ce soit l’économie, la culture, la santé, l’éducation, la connaissance, etc., ont-ils fini par en être influencés, autant est-il indubitable que tous subissent cette ambivalence.

Combien innombrables sont ceux qui ont fini par trouver leur compte sur les e-marketing sur les Réseaux Sociaux ; mais nombreux aussi ceux qui y ont fait les frais de « vendeurs d’illusions. Avec leur avènement, s’est accru ce qu’il est convenu d’appeler les cultures de masse, au sens où, pourrait-on le dire, il n’est plus question, de nos jours, d’une élite à qui reviendrait le seul droit de se cultiver, de profiter des avantages du web ou d’Internet. Même le pauvre paysan, – qui a sa culture particulière – y a aujourd’hui un accès libre aux Réseaux Sociaux. Hannah Arendt (1972, p. 253) énonçait, à propos de culture de masse, ce qui suit : « Le terme lui-même provient visiblement du terme guère plus ancien de “société de masse” ; l’hypothèse tacite (…) est que la culture de masse, logiquement et inévitablement, est la culture de la société de masse ». De ce libre-accès à tous, s’exalte la liberté d’expression, voire la libération des mœurs. Et là demeure le versant nocif de cet univers : de l’explosion du marché de l’information à l’affluence, tous azimuts, des contenus gnoséologiques partagés, se glissent les infox et les intox, sans mentionner les déviations. De là l’interrogation suivante : Y aurait-il liberté/liberticide libération sinon dépravation ? Et quelle forme d’éducation se manifeste-t-il sur les Réseaux Sociaux aux Influenceurs ou Influenceuses sans bride ? Ces mots de Hannah Arendt (Op. cit., p. 186) nous instruisent à plus d’un titre :

Soulever la question, qu’est-ce que la liberté ? semble une entreprise désespérée. (…) Sous sa forme la plus simple, la difficulté peut être résumée comme la contradiction entre notre conscience qui nous dit que nous sommes libres et par conséquent responsables, et notre expérience quotidienne dans le monde extérieur où nous nous orientons d’après le principe de causalité. (…) Nous tenons la liberté humaine pour une vérité qui va de soi, et c’est sur cet axiome que les lois reposent dans les communautés humaines, que les décisions sont prises, que les jugements sont rendus.

La considération de la loi de la causalité, telle qu’elle opère dans le monde extérieur, vient à nous dire ce qui suit : qui dit que l’internaute connecté, qui poste tel ou tel image, qui publie telle ou telle opinion, agit en toute liberté ? N’est-il pas, au contraire, agité, poussé par une détermination extérieure qui le pousse à agir ? L’idée même d’individus connectés, celle supposant que tout serait piloté par des moteurs de recherche, ne cache-t-il pas celle d’une dépendance inéluctable – donc d’absence de liberté – expression certaine d’une forme d’aliénation. Il est donc à propos de rappeler cette réflexion critique qui résume, excellemment, l’ambivalence des Réseaux Sociaux :

Tim Berners-Lee, l’un des pères fondateurs du Web, a probablement aujourd’hui réalisé son rêve d’un monde doux et communautaire… Mais que signifient réellement ces centaines voire ces milliers d’amis revendiqués sur Facebook – où le nombre de contacts confère une certaine notoriété à ceux qui affichent des scores élevés –, cette course aux abonnés (followers) sur Twitter (…) ? Est-ce ce monde chaleureux et merveilleux rêvé par Tim Berners-Lee, où les individus sont proches, se comprennent mieux, vivent dans un bonheur collectif ? Est-ce plutôt un monde affreux où des millions d’individus n’ont pas encore réalisé que toutes ces informations diffusées volontairement à des centaines d’amis modifient la construction de leur identité, touchent dangereusement à leurs libertés individuelles, et que la notion d’amitié n’est que bien relative et très superficielle ? L’objectif de ce chapitre est de mieux distinguer la réalité du mythe… (C. Belagué et D. Fahon, 2022, p. 35-36).

Face donc à cet univers numérique dans lequel toute l’humanité se trouve embarquée, il demeure nécessaire, voire indispensable – il y va de l’avenir du genre humain – de penser aux mécanismes ou stratégies à mettre sur pied à l’effet de rendre les Réseaux Sociaux beaucoup plus profitables à tous, en limitant leurs perversités.

2. Stratégies indispensables à la durabilité de nos sociétés

La réflexion amorcée s’articule autour d’une interrogation : les Réseaux Sociaux ou Réseaux de désocialisation ? En d’autres termes, les Réseaux Sociaux sont-ils des réseaux de désocialisation, ce qui veut des structures communicationnelles au sein desquelles les hommes, êtres sociaux par excellence, en viennent à se déconnecter des pratiques sociales aptes à les rendre plus humains. Dans cette perspective, comment penser les stratégies de durabilité de nos sociétés contemporaines sans questionner, en premier lieu, la question de l’incontournable socialisation. De l’avis même de Jean-Michel Le Bot (2002, p. 65-66),

la socialisation, nous dit Madeleine Grawitz dans son Lexique des sciences sociales, c’est « le processus par lequel les individus sont intégrés dans une société donnée”, en “intériorisant les valeurs, les normes et les codes symboliques » et « font l’apprentissage de la culture en général, grâce à la famille et l’école, mais aussi par le langage, l’environnement, etc. » (…) De fait, les sociologues ont l’habitude de distinguer le processus général de socialisation du processus plus restreint qu’est l’éducation. L’éducation représente en quelque sorte un cas particulier du phénomène de socialisation.

Il s’impose un travail de socialisation, car il suffit de porter un regard sur les Réseaux Sociaux pour s’apercevoir que leur monde semble diamétralement opposé au monde concret dans lequel nous vivons. Si l’hominisation se présente comme un long processus qui dure tout le temps d’une vie et qui nous donne de comprendre que pour tout individu, vivre en société ou avec les autres suppose une intériorisation des règles, coutumes et pratiques conventionnelles, toutes choses qui empêchent les uns et les autres à exposer, par exemple, leur nudité, pour ne pas dire à platement livrer leurs parties intimes au regard de tous, cette forme d’interdiction semble mise entre parenthèses sur les Réseaux Sociaux. On y assiste, dès lors, à un nudisme ou à un pornographisme au quotidien. Que veut donc vraiment dire socialiser ? Il signifie l’application du parallélisme des formes entre société réelle et société virtuelle, afin que nul n’en vienne à s’autoriser, sur les Réseaux Sociaux, pour ce qui concerne la décence des mœurs, ce qu’il ne saurait faire au milieu des siens.

En l’occurrence, face à ce qu’on pourrait appeler la délinquance ou la déviance numérique dans les Groupes ou Réseaux Sociaux, il importe de réapprendre aux uns et aux autres comment cohérer avec les valeurs ou normes communément admises, aux fins d’une harmonie sociale. Bien évidemment, face aux difficultés, voire refus d’appropriations des règles du Groupe, soit les personnes concernées reçoivent un avertissement soit elles sont simplement bloquées par l’Administrateur. Dans le cadre précis des espaces plus ouverts comme les Réseaux Sociaux, tout déviant devra subir une restriction dans l’utilisation ou la publication des données, ou bien la personne est simplement et définitivement bloquée. Pour plus de rigueur dans ce système de socialisation, au regard des identités multiples que viennent à prendre des internautes, pourquoi ne pas engager une forme de traçage des données personnelles, – histoire d’infliger de conséquentes sanctions aux récalcitrants – comme cela se passe en Chine, et là certains crieront à la violation de droits ou à la limitation des libertés, mais pour quel homme réclame-t-on ou défend-on de tels droits ou libertés ? Quel type d’homme voudrions-nous voir émerger de cette civilisation du numérique ? De véritables monstres ou machines pour qui rien n’importe !

Il s’ensuit donc, impérativement, l’éducation aux médias sociaux, vu que la question même d’une socialisation effective intègre le volet éducationnel. Aussi, pour y parvenir, sinon pour véritablement réussir cette phase importante, condition d’advenue de sociétés durables, l’État se doit-il de jouer pleinement sa partition. Qu’est-ce en effet qu’éduquer aux médias sociaux ? Éduquer aux médias sociaux revient théoriquement à interpeller les utilisateurs desdits médias à s’y engager prudemment, avec tout l’esprit critique possible, vu que cet univers est tout à fois un monde paradisiaque et infernal. De façon pratique, cette éducation consiste à former, à édifier et ainsi à fournir les armes ou outils nécessaire au bon usage de ces médias sociaux que sont Facebook, Twitter, Instagram, Linkedin, etc. Par exemple, il s’agira d’instruire tout utilisateur d’un quelconque Réseau Social de prendre le temps de lire les textes réglementaires qui le régissent, vu qu’en général, pressé par le temps, rare sinon inexistants sont ceux qui le font. Bien plus, chacun devra être interpellé à faire attention à ce qu’il publie, car tout nous suivra, toute notre vie durant, dans la mesure où nos données sont stockées dans un Serveur extérieur. Pour ce faire, entre autres données pratiques, il reste important de savoir « gérer son profil, c’est-à-dire connaître qui vous voit ? Quelle est la portée de ce que vous publiez ? Qui peut vous trouver ? Votre nom, un pseudonyme, …Qui peut écrire sur votre journal, collaboratif, informatif, Qui parle de vous ? Contrôler les publications où vous apparaissez » (Comhafat.org, p. 11). Qui plus est, toutes ces données du profil constituent l’identité numérique de l’utilisateur.

En portant un regard sur les plus grands utilisateurs des Réseaux Sociaux, cette forme d’éducation devra particulièrement viser les plus jeunes, singulièrement la jeunesse scolaire et estudiantine. En effet, selon S. Abi et al. (2020, p. 12),

l’éducation aux médias et à l’information doit être généralisée dans les écoles. Dans une société où la communication numérique prend beaucoup de place, il ne serait en être autrement. Ne pas former la génération actuelle à la maitrise des technologies de l’information serait favoriser leur analphabétisme numérique. L’UNESCO appelle d’ailleurs tous les pays à faire des efforts en ce sens. Pour les pays comme le Togo, cela pourrait représenter certes un énorme budget additionnel pour l’éducation que d’inclure l’éducation aux médias et à l’information dans les programmes. Mais on ne peut faire l’économie de tels investissements si on veut instruire des citoyen-ne-s qui pourront innover dans le numérique pour le développement du pays.

Cette observation vaut pour tous les pays d’Afrique. Et c’est bien en cela que les différents États africains doivent jouer leur partition en en prenant l’option de l’éducation aux médias et à l’information comme le défi des défis à relever. En cela, nous parlons même d’une Éduquer au Mieux la Jeunesse. Comment comprendre cela ?

Alarmante, en réalité, est la réalité sociale dans nos pays, surtout quand on observe attentivement la jeunesse scolaire et estudiantine. De la dictature de cette jeunesse dans nos établissements primaires et secondaires, dans nos Universités et Grandes écoles, se pose cette légitime question : Ne sommes-nous pas à l’ère de la fin de l’école ? En Côte d’Ivoire par exemple, des étudiants-armés sur les campus, fagotés à la manière des apprentis de Gbakas ou de militaires déchus, prêts à brandir l’arme de la violence, aux élèves prêts à refuser tout examen blanc – mais risquant tous les mécanismes de fraude, en fin d’années, aux examens du baccalauréat, avec la méthode des réseaux sociaux – brandissant des bangers ou pétards pour réclamer ou anticiper les congés scolaires, en passant par le système de « tontines sexuelles » et de brandissement de « Cristaux de Menthe », voire des ébats amoureux de jeunes fille-gay, sous l’applaudissement de leurs camarades, filmés et publiés sur les Réseaux Sociaux, etc., subsisterait-il encore de l’espoir quant à l’avenir de nos nations ?

Ce phénomène, qui fait rage en Côte d’Ivoire, consiste, pour de jeunes filles ou jeunes garçons, en milieu scolaire, à se cotiser pour l’un-e d’entre eux-elles, en vue de payer les frais d’ébats sexuels dans un hôtel ou autres lieux. Aussi, le plus souvent, est-il que ces ébats sont filmés et postés sur des Réseaux Sociaux. « Les cristaux de menthol sont connus pour leur effet « glaçon » réfrigérant et la sensation de froid intense qu’ils procurent. Actifs très puissants, ils s’utilisent avec parcimonie, notamment dans les cosmétiques à usage local : dentifrices, gels décongestionnants ou antidouleurs, baumes, etc. » (www.mycosmetik.fr). Cependant, par l’ingéniosité de jeunes filles-élèves, ils sont désormais expérimentés dans le domaine des relations sexuelles, particulièrement en Fellation. Pourquoi tant d’entrain pour le divertissement et presque plus d’élan pour la culture scientifique ? Immanquablement, la question suivante se dénonce : À quoi servent, pour des élèves et étudiants, les Réseaux Sociaux voire Internet ?

C’est reconnaître que la question de l’éducation aux médias et à l’information urge. Tout se passe, pour la jeunesse en général, à l’exception de quelques individualités, que le Réseautage Social consiste uniquement au divertissement, aux instants d’évasion ou de rencontres sexuelles. Et alors, les connexions sur Internet servent rarement à l’utilisation de moteurs de recherche comme Google. L’autoroute de l’information et de la connaissance est certes à nos portes, mais nos intérêts semblent se trouver ailleurs ! D’où l’insigne observation suivante :

Les aspects pédagogiques des médias sociaux sont souvent inconnus des apprenants et négligés par les institutions éducatives (…) Le discours prédominant est celui qui pointe du doigt les inconvénients des médias sociaux. Il faut palier à cela en permettant à ce que les médias sociaux soient utilisés par les apprenants de façon sereine dans le milieu scolaire. Les apprenants ont certes du mal à s’intéresser aux médias sociaux pour des desseins pédagogiques valorisant plutôt leurs aspects ludiques, collaboratifs et communautaires. (…) L’éducation aux médias devient une nécessité dans un monde ou le numérique est essentiel à toutes les activités. Une telle éducation dès le banc scolaire permettrait à la jeunesse de tirer les meilleurs avantages possibles des médias sociaux en leur évitant de tomber dans les travers »

Il va sans dire qu’une éducation-au-mieux s’entend une vigilante surveillance ainsi qu’un constant contrôle des enfants et de la jeunesse supposés être les citoyens de demain. Qui plus est, depuis près d’une décennie, en Côte d’Ivoire par exemple, l’addiction à la drogue y fait rage. Or quelle chance de succès un élève drogué peut-il avoir ? N’apparait-il pas désespéré de compter sur lui ? Au bout du compte, on doit pouvoir se rendre compte que la finalité intrinsèque de ce processus éducationnel est et demeure l’intégration véritable, par l’appropriation adéquate du Réseautage Social, des jeunes gens qui sont les premiers à y affluer. On ne saurait en douter :

L’usage des outils numériques et Internet fait partie aujourd’hui des pratiques quotidiennes dans divers domaines de la vie. Nous constatons que les jeunes en général utilisent massivement ces outils, dont les réseaux et médias sociaux, caractérisés par leur facilité d’utilisation et leur interactivité. Nous définissons ces applications comme des outils de médiation et de médiatisation permettant aux individus de créer des liens, d’interagir entre eux, d’accéder à des contenus et de les diffuser (A.K. Holo et T. Koné, 2022, p. 148).

Dans une telle compréhension, il importe également d’engager des actions en faveur de la Communication. Pourquoi cet aspect devient-il fondamental ? Il est communément admis que l’homme est un animal doué de parole et donc qui communique ou entre en relation avec ses semblables par le langage aussi divers soit-il. Seulement, communiquer – en cette ère des TICs, comme cela a été déjà souligné – ne semble pas aller de soi. « Si l’on accepte de considérer, avec la très grande majorité des sociologues, que le processus de socialisation passe par une “intériorisation” » (J.-M. Le Bot, Op. cit., p. 68), pour qu’au cœur des sociétés contemporaines, articulées par les médias sociaux, les hommes parviennent à une socialisation réussie – entendu que « l’expérience clinique montre que ce processus d’intériorisation, justement, ne va toujours de soi » (Op. cit., p. 69)-, l’excellence doit être accordée à la question de la Communication.

Qu’est-ce en réalité que communiquer si ce n’est arriver à toucher le cœur même de l’autre par le biais d’une communion mystique. Et comment y parvenir si, aujourd’hui en effet, à force d’introduire entre l’homme et l’homme l’objet technique sous toutes ses formes (par écrans interposés) s’est creusé et se creuse davantage un fossé. Cela engendre l’incommunicabilité de plus en plus croissante entre nous. Il convient ici de faire allusion aux différentes formes d’obstacles ou d’entrave) la réceptivité ou réception du message sinon à son intellection : bruits, absence de connexion, manque de réseau fiable, transfert simple de messages, etc. Le Transfert de message, platement et sans mot-dire, ne vient-il pas nous dire : je n’ai pas ton temps, accueille cela comme ça ! Ainsi, il est en général l’expression d’un « on débarras ». De la sorte, au cœur d’une époque dite de Communication, où règne la communication de masse, les contemporains en sont à « ne plus ‘savoir communiquer » sinon à communiquer le moins possible.

Et l’erreur de la pensée moderne tient encore à ce que l’on a complètement oublié la réalité de cette communication qui s’appelle communication de pouvoir, qu’on l’a entièrement supprimée ou même, d’une manière tout à fait absurde, qu’on a communiqué comme savoir ce qu’il faut communiquer comme pouvoir (…) Quand, réfléchissant sur la communication, l’on fait porter la réflexion sur le récepteur, alors nous avons la communication éthique. L’émetteur disparaît en quelque sorte, se fait uniquement secourable pour contribuer au devenir de l’autre (S. Kierkegaard, 2004, p. 74-75).

Mais hélas ! Combien peu nombreux sont ceux qui se soucient de l’autre comme récepteur ? Surtout sur les Réseaux Sociaux, les récepteurs sont simplement astreints – de force ou de gré – à consommer ce qu’impose le diktat de l’émetteur, le maître absolu ! Et ce n’est que dans l’intériorisation de ce qu’en ce monde (réel ou virtuel), tout notre agir doit avoir pour référence l’impératif catégorique de Kant : Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature ». Plus simplement exprimé, il est salutaire de tourner et retourner sept fois sa pensée, avant de poser quelque action que ce soit : publication, image, etc. C’est, en somme, dans une telle perspective que le Réseautage Social pourra revêtir son essence d’espace de sociabilisation ou de socialisation.

Le réseautage social (social networking) correspond à une stratégie qui met en œuvre des moyens permettant aux personnes de se relier à d’autres personnes, que ce soit sur une base informelle, professionnelle ou institutionnalisée. Cette stratégie permet de socialiser, c’est-à-dire d’intégrer un réseau social. (F. Henri et P. Plante, 2019, p. 2).

Conclusion

Les Réseaux Sociaux, nul ne saurait le contester, sont le témoignage inouï de la dynamique intégratoire des acteurs de nos sociétés contemporaines. À partir d’eux, chaque habitant de la terre se sent avoir droit au chapitre mondial, car en leur sein, se joue « le devenir des inter-relations humaines et de la psyché (…) Nous sommes tous embarqués sur une trajectoire qui dépasse de loin le problème de l’information et débouche sur une « renaissance » de l’image que l’homme se fait de lui-même » (Michael Dertouzos, 1999, p. 237). Et c’est bien en cela que réside l’autre versant de ces réseaux. S’embarquer dans la Psyché et dans l’image que tel ou tel individu de telle ou telle partie du monde se fait de lui-même, c’est entrer, de plain-pied, dans le labyrinthe numérique aux horizons insondables. Ils ne manquent donc pas de regorger de multiples facteurs qui désagrègent le corps social lui-même. Il suffit de se référer à la perturbation du marché des emplois qu’opère l’influence du marché de l’information, des acteurs ou cyber-actifs dénommés généralement « Influenceurs ou Influenceuses », les loups de l’univers informatique que sont les Arnaqueurs ou Cybercriminels, sans oublier le phénomène de la Prostitution qui s’y développe, etc.

« Nous prenons chaque jour davantage conscience que le tournant digital n’est seulement technique et qu’il a des implications profondes sur les pratiques sociales, les normes, les politiques (…), et donc sur les territoires à toutes les échelles » (Pierre Beckouche, 2019, p. 7-8). Il y a ainsi, de plus en plus une grande crainte voire une phobie des Réseaux Sociaux ! Cela invite à la vigilance de l’humanité qui se doit de veiller, de s’éveiller à leur bomme culture ou gouvernance. Car ils sont devenus la drogue contemporaine, l’opium qui, modifiant le comportement “normal” des hommes, les amène à renverser ou à inverser les données sociétales elles-mêmes garantissant notre pérennité. Il va sans dire que par la politique d’éducation aux Réseaux Sociaux, apte à instituer une éthique des technologies de l’information et de la communication, l’espoir d’un univers davantage sociable, verra le jour.

Références bibliographiques

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TSALA-MBANI André Liboire, 2016, Regard critique sur le fantasme contemporain de la société de communication. L’idéologie de la cybernétique, Paris, L’Harmattan.

LE LANGAGE SMS DANS LE BRUISSEMENT DES RÉSEAUX SOCIAUX : PERSPECTIVES ÉPISTEMO-DIDACTIQUES SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN AFRIQUE

Auguste NSONSISSA

Université Marien Ngouabi (Brazzaville, Congo)

nsonsissa_auguste@yahoo.fr

Résumé :

On ne peut pas se livrer à l’apprentissage ou à la recherche scientifique en contexte universitaire en Afrique, particulièrement sans prendre conscience de l’enseignement de l’Intelligence Artificielle qui est devenue l’horizon indépassable de notre temps. La particularité de notre position dans le débat contemporain sur l’apport de cette nouvelle intelligence dans le développement de l’intelligence chez les apprenants tient dans le fait que les chercheurs en Intelligence Artificielle ont développé « la robotique développementale ». Mais, il existe d’autres formes d’intelligence à prendre en compte : « intelligence émotionnelle », « intelligence de la complexité », « intelligence des limites » ; quand bien même elles seraient manifestement équivoques. Quoi qu’il en soit, l’enseignement de l’intelligence artificielle dont nous visons l’instauration dans les voies qui mènent à la réforme éducative au cœur d’Internet par exemple n’est pas l’apparence de la didactique des disciplines classiques. Plutôt, il rend possible la robotisation comme processus pédagogique, d’abord, comme une des pratiques émergentes aujourd’hui à l’école, ensuite, comme un des savoirs nécessaires pour l’éducation du futur. La complexité de l’intelligence qui en découle est en rapport avec la notion de « post-humanité » recouvrant ainsi un caractère didactique par l’avènement de l’homme « augmenté », « modifié et émancipé » moyennant les « machines intelligentes ».

Mots clés : Artificielle, Complexité, Enseignement, Équivocité, Intelligence, Machine, Philosophie, Université.

Abstract:

One cannot engage in learning or scientific research in a university context in Africa particularly, without being aware of the teaching of Artificial Intelligence, which has become the indisputable horizon of our time. The particularity of our position in the contemporary debate on the contribution of this new intelligence to the development of intelligence in learners lies in the fact that Artificial Intelligence (AI) researchers have developed «developmental robotics». But there are other forms of intelligence to be taken into account: «emotional intelligence», «intelligence of complexity», «intelligence of limits», even if they are clearly equivocal. Be that as it may, the teaching of artificial intelligence that we are aiming to introduce in the paths leading to educational reform at the heart of the Internet, for example, is not the appearance of the didactics of traditional disciplines. Rather, it makes robotization possible as a pedagogical process, firstly, as one of the emerging practices in schools today, and secondly, as one of the skills needed for the education of the future. The resulting complexity of intelligence is linked to the notion of «post-humanity», which has been given a didactic character by the advent of «augmented», «modified and emancipated» humans through «intelligent machines».

Keywords : Artificial, Complexity, Teaching, Equivocity, Intelligence, Machine, Philosophy, University.

Introduction

Cette réflexion s’inscrit dans un contexte de « post-vérité » pour reprendre une expression de Myriam d’Allonnes Revault (2021, p. 28) qui révèle « ce que la post-vérité fait à notre monde commun ». Dans le dispositif conceptuel des philosophes de la technoscience prennent corps les bruissements des réseaux dits sociaux qui consacrent en quelque manière quelques « réflexions philosophiques sur notre temps » (Jean Yves Zarka, 2023, p. 45). Dans ce sens, on peut évoquer « le langage SMS ». Ce langage technico-logique est en tension pour ainsi dire, parce qu’il est à la lisière entre « la destruction des mots » et la simplification du discours qui serait « une belle chose ». Est-ce que technique peut rimer avec langage ? Quel type de langage (Cassan, 2023, p. 57) ?

Le problème que vise à résoudre notre communication est celui des réflexions philosophiques sur « les limites du langage » (Hadot, 2010, p. 23) dont on trouve les sources dans le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein. Il est évident que dans la nouvelle optique philosophique de Jean Michel Besnier, c’est la question du langage qui est mise au goût du jour. De même qu’il se propose de reformuler la question kantienne : « qu’est-ce que l’homme ? » à partir d’autres mots : « quel type d’homme nous allons construire demain » ? Il inscrit le renouvellement de cette thématique dans l’optique du langage : « Pour un autre : un autre langage » (J.-M. Besnier, 2010, p. 47). Cela veut dire qu’il est de bon aloi de lui accorder le crédit technologique qui légitime en quelque manière langage humain dans l’axe programmatique technique et scientifique du devenir ontologique de l’être humain (Le Moigne, 1990, p. 5).

1. Le langage technicisé : changement de signification ou simplexité humaine ?

C’est bien cette approche prospective dont notre réflexion cherche à mettre en avant. Mais la question qui resurgit en tout état de cause est celle de savoir si on peut en finir avec le langage technicisé. Jean-Michel Besnier (2011, p. 48) avertit : « Étrange destin que celui des modernes que nous sommes et que révèlent les fantasmes générés par la technoscience contemporaine : après avoir voulu être tout, nous pourrions aspirer à n’être plus rien. Ou, en tout cas, à être autres, radicalement autres ».

Pour caractériser cet état de fait (A. Gras, 2023, p. 9), l’image révélatrice de l’esprit de notre temps est aussi provocatrice en ce qu’elle permet de penser la situation de crise d’écriture dans laquelle se trouvent les « réseaux sociaux » mis en question ici par les normativistes, est celle du « lit de Procuste ».

La référence au fameux « lit de Procuste » est plausible pour caractériser l’homogénéisation des comportements imposée par l’extension des techniques (qui) dramatisent à l’excès notre situation contemporaine. Procuste était le surnom d’un brigand qui allongeait ses victimes sur un lit à dimension variable : tantôt trop petit, tantôt trop grand, Procuste coupait les membres qui dépassaient dans le premier cas ou les étirait pour les ajuster au cadre dans le second cas. Puissions-nous conserver de ce supplice la seule représentation de l’horreur du formatage appliqué aux hommes, fût-ce pour la louable ambition de contribuer à en égaliser la condition (J.-M. Besnier, 2012, p. 200).

Autant le lit de Procuste nous condamne à l’emprise simplificatrice des technologies sur l’humain, autant ce type de lit nous expose à la complexité de cerner avec raison et en toute logique les ambivalences du futur incarné par l’avènement des réseaux sociaux. Cela fait dire à Jean Michel Besnier : « demain les post-humains, le futur a-t-il encore besoin de nous ? » (Ibidem)

Dans cette prospective ainsi envisagée, la question du langage se pointe en termes de remodelage, c’est-à-dire que la posthumanité intéresse aussi la problématique du langage telle qu’elle se pose aujourd’hui à partir du SMS. Qui plus est, alors que l’homme est à « remodeler », le langage aussi s’y prête. Il est au nombre des « expressions prises par ce désir de métamorphose ». De plus, le SMS en transmuant le langage humain est « une aspiration à transgresser la nature humaine » (2012, p. 49). Jean-Michel Besnier (2017, p. 49) aborde le sujet du langage à remodeler dans le contexte de la approches historiques et sémantiques du discours : « Parmi elles, l’ambition de réformer le langage, ce propre de l’homme qui conditionne notre compréhension de la nature qui peut aussi la pervertir. Les philosophes, critiques de la tradition métaphysique inaugurée par Platon, connaissent bien cette tentation d’incriminer le langage ».

Enrichie par cette difficulté à laquelle l’esprit humain est exposé, le devenir ontologique de notre humanité est en jeu.  Pour le dire autrement, je ne sais s’il nous est arrivé de penser qu’en l’année 2050, au plus tard, « il n’y aura pas un seul être humain vivant, capable de comprendre une seule conversation comme celle que nous tenons maintenant », moyennant le SMS. Pareille interrogation pointée par George Orwell, en 1984, croise l’assentiment de Jean Michel Besnier, philosophe français, qui constate à sa manière, que notre temps s’expose à une sorte de maladie intellectuelle devenue symptômale, dont nous souffrons tous, inconsciemment qui s’appellerait « le syndrome de la touche ».

Sa cause spécifique tiendrait dans l’avènement d’un autre homme : « l’homme simplifié » (2012, p. 57). Ce que la sociologue Catherine Lejeall a cru utile de nommer « vivre branché ». De homo sapiens, à homo ethicus, qui plus est, de homo economicus à homo ludens, l’humain a basculé vers « homo labyrinthus » selon la belle expression de Frédéric Neyrat (2015, p. 11). L’auteur s’exclame : « Voici que s’avance Homo labyrinthus. Ni sapiens, ni faber, ou pas seulement, pas exactement. Ce labyrinthe est sombre, plus noir parfois et porteur aussi bien de nuances dans les tons obscurs ». Il s’agit là des « médiations technologiques » entre l’humanité et l’émergence des « nouveaux personnages » qui sont excellemment de l’hybridation des intelligences l’intelligence artificielle, l’intelligence humaine, l’intelligence émotionnelle, et l’intelligence de la complexité à partir de la complexité de l’intelligence.

Il est de bon ton aussi de voir dans ce tournant du langage humain, un avènement de la « conscience artificielle ». Car langage et conscience sont liées là où s’impose de toute nécessité la connexion entre langage et connaissance, quand bien même « l’imitation du système nerveux par la machine » aurait permis d’obtenir l’adaptation de notre conscience à un environnement essentiellement virtuel ou artificiel. Sur ce point d’importance Jean-Michel Besnier a eu recours à l’ouvrage d’Alain Cardon qui s’appelle : « conscience artificielle et systèmes adaptatifs » publié en 1999.

Chemin faisant, on lira l’article de Laure Belot, « l’intelligence à l’épreuve de Google, le QI des adolescents stagne » ; « la faute d’Internet ? » in Le Monde, du 4 octobre 2010. Les penseurs de la technique qui discutent la portée de ces « figurants » ont été amenés à constater qu’« en 2004, un Comité de lutte contre le langage SMS et les fautes volontaires sur Internet a été créé par un Jeune homme de 17 ans, suivi aujourd’hui, à ce qu’on dit, par environ 20.000 personnes ». À tout prendre, « son combat s’est dirigé contre le SMS en tant que tels, car écrire est aussi susceptible de recourir aux abréviations et autres stratagèmes graphiques ».

Comment ne peut-on y relever la transformation des langages humains qui donnent lieu paradoxalement à « des compagnons, des doubles, des revenants qui obligent à reconsidérer les rapports des êtres humains aux animaux et des animaux aux médiations technologiques et langagières, ces existences singulières » (F. Neyrat, 2018, p. 11).

À l’arrière-plan philosophique de ce point de vue du langage métamorphosé par la technologie, se trouve le fait que le langage ainsi technicisé serait la cause, à notre avis, de la modification négativement prononcée de notre rapport à l’environnement.  Surtout cela tient à la réduction simplement techniciste, c’est-à-dire une réduction à sa seule dimension utilitaire.

De la sorte, on a sacrifié sur l’autel du sens commun la portée sémantico-logique et surtout l’exigence logico-syntaxique de la cohérence du discours produit par l’être humain. Notre rapport au langage n’est plus sain. Son caractère malsain se révèle à nous lorsque l’écriture du SMS tient dans son arbitraire et tout au plus dans la liberté de ce que nous y mettons. (D. Andler, 2004, p. 12).

Notre prise du monde par le langage participe de cette « contingence du monde ». Mais, il reste que « ce Comité s’inquiète de l’extension du recours à pareil langage sur les forums et les sites qui ne limitent pourtant pas, sur Internet la longueur des messages. Le codage des mots raccourcis est », à mon sens, non seulement un pur « déni de communication », mais aussi et surtout la rectitude du raisonnement, et le sérieux de l’écriture. Écrire est caractéristique de l’ontologie de l’être humain, et même de son engagement.

Son devenir ontologique et son avenir devant un monde basculant et bousculé par les réseaux sociaux, qui exigent de nous la constance de l’esprit, la consistance du raisonnement, et la démarche « concordataire » des temps qui enveloppent le discours. J’allais dire, l’écriture prise au sérieux est le dévoilement de notre taille intellectuelle et la reconnaissance par autrui de notre excellence.

A contrario, elle peut participer à la cassure ontologique de notre cursus universitaire, la trahison publique de notre profil littéraire, et la mise à nu de notre manque de sérieux de la vérité sacrifiée ainsi par la légèreté de notre personnalité scientifique. C’est une forme de rupture avec la raison qui veut que l’esprit humain suive l’ordre qui convienne dans la mise au jour d’un discours. L’homme est non seulement un être raisonnable et sociable, mais aussi un être de langage. Celui-ci participe on ne peut plus des qualités et des facultés proprement humaines qui permettent à l’homme de voir le monde et de le dire avec les mots. La logique aristotélicienne est éloquent pour nous apprendre à ne pas nous contredire par pure caprice du langage. En témoigne « la logique sur laquelle reposait l’ontologie des philosophes depuis les Grecs » (J.-M. Besnier, 2012, p. 51).

Il se trouve que les apprenants pour ainsi dire, en particulier s’exposent ainsi au piège de la « simplification » du langage par la technique que Jean Michel Besnier (2012, p. 23) qualifie de « honte prométhéenne ». « Déjà, écrit-il, de nombreux indices suggèrent que la désacralisation de la syntaxe et de l’orthographe est consommée », dans un monde où « peu parle bien » et « peu écrivent maintenant bien ». Dans ce sens, une autre question se pointe : « en cherchant le bon mot, comme font tous les écrivains, peut-on mieux dire combien l’attachement au langage qui transfigure la réalité et proclame la supériorité de l’esprit n’est pas obsolète, combien il est requis dans un monde de violence et de barbarie ? » (J.-M. Besnier, 2012, p. 201). Pareille interrogation conduit inexorablement à relever un paradoxe existential. En quoi consiste-t-il ?

Ce paradoxe laisse entrevoir le danger de la déshumanisation du langage logique, et la déchéance des belles lettres, travaille, malheureusement, à sacrifier le sérieux de la vérité scientifique sur l’autel de l’arbitraire de la connaissance du sens commun. Pour ce faire, Jean Michel Besnier (2012, p. 45) s’adosse à « une récente enquête menée par le Cabinet de recrutement Robert Half qui signale que « 18 pour cent des entreprises n’attachent aucune importance à l’orthographe dans les CV » sélectionnés. Ce constat n’est pas exhaustif. Par contre, il met à nu la misère de notre attachement au langage technicisé. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, ce constat empirique mais non moins signifiant montre que « la France paraît sur ce point plus laxiste que l’Allemagne, l’Irlande, ou les Pays Bas » (J.-M. Besnier, 2012, p. 6).

2. Peut-on enseigner le langage SMS en Afrique ?

Cela étant posé, quel est notre souci majeur ? Qui plus est, comment peut-on affronter ces défis, nombreux, grands et ouverts » qui s’annoncent devant nous ? Le souci qui nous anime en contexte technoscientifique est de revenir autant que possible à « la logique et les catégories d’Aristote » si l’on veut effectivement être à la hauteur de la logique du raisonnement, malgré ses limites. Jean-Michel Besnier montre, en plus, que l’aristotélisme a connu ses limites dès l’instant où « la sémantique générale met d’abord en évidence l’incapacité constitutive du langage à décrire le réel de manière constitutive du langage à décrire le réel de manière univoque, ce qui constitue une sorte d’objection pour les scientifiques et métaphysiciens qui ont rêvé de créer une langue parfaitement transparente, dont pourrait résulter un pouvoir technique intégralement contrôlable » (J.-M. Besnier, 2011, p. 51).

Quoiqu’il en soit, « la tendance est nette : les fautes d’orthographe dans un CV, un devoir de classe, une simple correspondance, ou une lettre de motivation apparaissent de plus en plus anecdotiques et ne pas concerner les compétences que l’on cherche (réellement) à identifier » (J.-M. Besnier, 2012, p. 61). Tant il est vrai qu’à « l’ère du tout-Internet, on admet que les Candidats à l’emploi, rédigent au diable et qu’ils simplifient leur expression écrite pour aller à l’essentiel ».

Mais, attention, on est supposé le savoir, « le diable se trouve dans le détail », et en confondant vitesse et précipitation, voire la confusion entre la « marche » et la démarche » dans la construction du discours, nous font encourir le risque de partir de l’urgence à l’essentiel, plutôt, de l’essentiel à l’urgence » (E. Morin, 2021, p. 12). Autrement dit, l’urgence peut trahir l’essential, c’est-à-dire ce que nous sommes, ce que nous avons et donc ce que nous avons à être ou bien ce que nous disons quand parlons à partir de ce que nous y mettons dans nos conversations et représentations (Morand, 2004, p. 56).

Nous assistons à la montée de l’insignifiance : on consultera le beau titre de Castoriadis Cornélius : La montée de l’insignifiance (Paris, 1996, p. 45). En substance, on retiendra que l’insignifiance caractérise les sociétés modernes où la menace par l’élimination de la vie intérieure est très prononcée. Ce faisant, l’intériorité est bémolisée au profit de l’extériorité. Alors que c’est de l’intérieur que l’homme pense à ce qu’il est, à ce d’où il doit venir et surtout à ce vers quoi il va.

Il se trouve que l’une des causes de la transfiguration du langage, moyennant les SMS, n’est rien moins ce que l’on a cru être la vertu épistémologique, c’est-à-dire « la simplicité ». Ce paradigme a ceci de classique qu’il tient dans l’effort des atomistes grecs qui entendaient bien rendre compte du monde grâce à l’hypothèse du jeu d’atomes par définition insécables et indécomposables ». Chemin faisant « Descartes associe aussi son nom à cet idéal de simplicité dont la recherche justifie le privilège épistémologique de l’analyse, qui décompose les difficultés et prémunit contre l’erreur résultant toujours du non-respect des niveaux analysés » (J.-M. Besnier, 2012, p. 67).

Pourtant, l’erreur a conduit à oublier que « rien n’est simple dans la nature ». C’est nous qui simplifions. Là encore, la vertu de la simplification qui tend à conduire à la découverte de ce qui est simple, trouve ses limites dans le fait que le simple est toujours le simplifié, et que pareille procédure est loin d’épuiser la complexité du réel. (D. Andler, 2023, p. 34) Le réel a des niveaux au point où l’intelligence artificielle ne suffit pas. Il faut de l’intelligence émotionnelle. (Goleman, 1997, p. 66.)

À partir des réseaux dits sociaux, et en vertu du déploiement du langage des SMS, Besnier estime qu’il est « étrange de s’attacher à décrire la simplification de l’humain à laquelle les technologies nous exposent, alors même qu’on ne cesse de parler, aujourd’hui, de l’homme « augmenté » qu’elles devraient rendre possible ». L’homme simplifié, « l’homme augmenté » et « le langage technicisé » vont de pair. Ce qui les caractérise c’est l’éloge de la simplification du réel par le langage quand il dit le monde. (G. W. Leibniz, 2018, p. 49)

Cependant, Jean-Michel Besnier (2012, p. 51) oppose à cette démarche à caractère simplifiant une approche de la complexité dont il trouve les sources dans la « formule de Korsybski : « la carte n’est pas le territoire ». Autrement dit, les « sciences de la complexité réfractaires aux prétentions analytiques du cartésianisme et qui expérimentent la sous-détermination des phénomènes par les théories supposées les expliquer ».

Ensuite, « l’homme simplifié doit tout à la sophistication des techniques, à commencer par son insertion dans un monde qui n’attend de lui rien de plus que de s’abandonner à la tyrannie des machines » (J.-M. Besnier, 2012, p. 189). La machination du langage ou son approche techniciste est caractéristique d’un paradigme qui a dû avouer ses insuffisances. C’est l’image de « la carte qui ne fait pas le territoire » (J.-M. Besnier, 2012, p. 52).

Conclusion

Pour ne pas conclure, cette communication est partie d’un constat clair, qui plus est d’un problème spécifique : il n’y a pas de problème de langage SMS, il n’y a que le problème de ce que nous y mettons, du nouveau code illogique de l’écriture, sorti de la canonique du langage, c’est-à-dire « suivre la règle » pour parler comme Wittgenstein. Sur le fond, nous avons plaidé « pour une éthique du numérique » en général (Cf. Magazine, Philosophie, 2023, p. 8). Pourquoi y’a –il un problème ? Parce que nos attentes raisonnables « à l’égard de ce que nous avons-nous-mêmes crée » devient étrange. Notre communication a dénoncé pour ainsi dire les inélégances verbales et les monstruosités qui s’approprient à la fois la syntaxe, la sémantique et la pragmatique de notre discours (R. B. Brandom, 2022, p. 55).

Nous avons dégagé un enjeu social, sociétal et même sociologique actuel des nouvelles technologies, pour ainsi dire. (Dominique Boulier, Sociologie du numérique, Paris, Colin, 2016, p. 81). En d’autres mots, « notre rapport aux technologies » (L. Bibard, 2023, p. 43). Analysé à deux voix, le bon usage de celles-ci nous laisse interrogatif sur « notre vision de réseaux sociaux » en tant qu’espace et indice ontologique de la confusion savamment entretenue par les usagers entre le conflit d’idées à bas étage et la critique rationnelle (K. Popper, 2011, p. 45).

Du langage des SMS (L. Steels, 2013, p. 77) on pourra bientôt faire table rase de la politesse du langage qui ne va pas sans politesse des manières. En effet, « la pénétration (peu réfléchie) des ressources pourtant expressives du SMS sur Internet, de provocatrice qu’elle est encore et toujours, dictera-t-elle bientôt la norme » tant recherchée par le maître de l’école primaire ? « Peut-être le langage SMS tournera-t-il court et n’aurait-il pas plus d’avenir ?

La déshumanisation redoutée aujourd’hui (dans les bruissements du monde scandée par le tintamarre des réseaux sociaux « passera peut-être par-là » (J.-M. Besnier, 2010, p. 52). Les réseaux sociaux ont accouché « d’un homme simplifié qui est la dernière conquête d’une conception technoscientifique du monde. Affecté du syndrome de la touche étoile, serait-il capable d’éprouver la nostalgie de la profondeur dont les machines le soulagent avec complaisance, en même temps qu’elles lui ferment « les yeux intérieurs » ?  (A. Nsonsissa, 2022, p. 60).

Il ne faut pas non plus confondre les univers du discours ; si « l’informaticien sait ce que fait ou ne fait pas la machine, le philosophe interroge, par sa position (non positionnelle) délibérément « curieuse » vis-à-vis de la technologie, le sens et la pertinence des usages que nous en faisons sur tous les plans : personnel, économique, commercial, social, politique, etc. », cette nuance hypothétique introduite par le philosophe Bibard (2023, p. 48). Donc, s’il y a un sujet, ajoute-t-il, il n’est pas tant relatif aux technologies elles-mêmes, mais bien aux usages que nous en faisons, à ce que nous en attendons, et à ce dont nous rêvons ». 

Alors, au cœur des réseaux sociaux, à la faveur des « yeux intérieurs » qui permettent de réveiller en nous la cause juste des humanités, et à mesure que l’homme postmoderne appuie sur la touche étoile, répétant mécaniquement le serveur vocal, « écrivons peu, écrivons bien » et j’allais dire « écrivons juste », pour « parler vrai ». Quand bien même l’intelligence artificielle n’existerait pas. (L. Julia, 2019, p. 23).

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LA PHILOSOPHIE DU DOS OU COMMENT PHILOSOPHER AUTREMENT À PARTIR DE FACEBOOK

Thiémélé L. Ramsès BOA

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

boathie@yahoo.fr

Résumé :

Du samedi 14 septembre 2019 au vendredi 16 octobre 2020, sans autre contrainte que le plaisir de partager des réflexions sur mon mur du réseau social Facebook, ont été publiées des chroniques portant sur le dos. Au total, 52 chroniques furent publiées sous le titre générique La Philosophie du dos. Elles ont fait l’objet de publication de deux livres. Le tome 1 avait pour sous-titre : « Mentalités et diversité culturelle du dos » ; le tome 2 : « Derrière soi, l’ombre et la lumière ». Les deux livres se présentent sous trois aspects.

D’abord la chronique, toujours illustrée par des photos, dans un format global de 390-400 mots.

Ensuite, la rubrique « Pour aller plus loin », une mise à la disposition du public des textes prolongeant les problématiques de la chronique.

Enfin, la rubrique « Débats » : les interventions d’amis réels ou virtuels, connus ou inconnus en lesquelles subsistent des vérités susceptibles de nous éclairer sur la diversité d’approche du dos.

Les chroniques et les débats sont un précieux indicateur des mentalités de notre culture, de notre jeunesse, de notre société de manière générale. C’est une coupe diachronique des idées de notre époque, nos attentes, nos malheurs, nos traditions désuètes, nos espoirs et nos espérances. Certaines chroniques, datées, tiennent compte des circonstances du moment : le confinement consécutif à la pandémie de la Covid-19 ; la candidature, contre toute attente, du président sortant, M. Alassane Ouattara, à l’élection présidentielle d’octobre 2020. D’autres, renvoient à l’histoire comme l’accaparement du Congo en 1885 par un individu et l’odieux assassinat les mains liées dans le dos, de Lumumba, le premier Premier ministre du Congo indépendant ; l’étouffement de l’Africain-Américain George Floyd. Mentionnons comment le bébé porté au dos découvre le monde à hauteur d’humain et se rend disponible pour l’apprentissage. Dans quelques années, les historiens, les sociologues des mentalités, les politistes sauront ce qui constitua l’essence de nos rêves et angoisses, la racine de nos utopies. Mon secret désir fut enfin de montrer comment philosopher à partir de soi, des choses simples de l’existence, en prenant pour sujet et objet le dos.

Mots clés : Corps, Dos, Philosophie Du Dos, Philosophie Du Ventre.

Abstract:

From Saturday September 14, 2019 to Friday October 16, 2020, without any other constraint than the pleasure of sharing thoughts on my wall on the social network Facebook, columns on the back were published. In total, 52 chronicles were published under the generic title The Philosophy of the Back. They were the subject of the publication of two books. Volume 1 had the subtitle: “Mentalities and cultural diversity of the back”; volume 2: “Behind you, the shadow and the light”. The two books present themselves in three aspects.

First the chronicle, always illustrated by photos, in an overall format of 390-400 words.

Then, the “To go further” section, making available to the public texts extending the issues of the column.

Finally, the “Debates” section: the interventions of real or virtual friends, known or unknown, in which there remain truths likely to enlighten us on the diversity of approaches to the back.

Chronicles and debates are a valuable indicator of the mentalities of our culture, of our youth, of our society in general. It is a diachronic cross-section of the ideas of our time, our expectations, our misfortunes, our outdated traditions, our hopes and our hopes. Some dated chronicles take into account current circumstances: the confinement following the Covid-19 pandemic; the candidacy, against all expectations, of the outgoing president, Mr. Alassane Ouattara, in the presidential election of October 2020. Others, refer to history such as the monopolization of the Congo in 1885 by an individual and the odious assassination with his hands tied behind his back of Lumumba, the first Prime Minister of the independent Congo; the suffocation of African-American George Floyd. Let us mention how the baby carried on the back discovers the world at human level and makes himself available for learning. In a few years, historians, sociologists of mentalities, political scientists will know what constituted the essence of our dreams and anxieties, the root of our utopias. My secret desire was finally to show how to philosophize from oneself, from the simple things of existence, by taking the back as subject and object.

Keywords : Body, Back, Philosophy of the Back, Philosophy of the Stomach.

Introduction

Avec les réseaux sociaux numériques comme Facebook, Instagram, Tik Tok, LinkedIn, l’humanité est passée à une autre étape de ses relations à soi, à autrui, à l’éducation, etc. On peut penser que l’ère du numérique, plutôt que d’améliorer l’intelligence humaine, est susceptible de se muer paradoxalement en une forme d’abêtissement collectif. Ce n’est point ma thèse. Je soutiens que le numérique peut être un cadre formidable de socialité pédagogique, éducative et scientifique.Je vais montrer, au moyen de mon expérience avec la notion de la « Philosophie du dos », comment le réseau social numérique a servi à deux objectifs: d’abord faciliter la circulation des idées produites par la recherche universitaire, ensuite illustrer ma conception de la philosophie en tant que discipline non point détachée du vécu, mais éminemment ancrée dans la réalité concrète. En somme, comment du ludique, peut-on migrer, par la médiation du numérique, vers une intentionnalité scientifique et informationnelle ? Je vais d’abord faire la genèse de l’idée de la philosophie du dos. Ensuite, je vais exposer les résultats de la pratique numérique en montrant l’infinie richesse des occurrences du dos. Enfin, je vais exposer les résultats obtenus et montrer l’influence de la chronique « La philosophie du dos » à travers l’émergence des autres formes de philosophie comme la philosophie des cheveux, la philosophie du sourire, la philosophie du Kpêtou, la philosophie du ventre (qui a fait du reste de faire l’objet d’une publication (B. D. Djandué, 2023, 222 p.) aux Éditions Kamit, la philosophie de l’anus. Les résultats expriment le gain retiré de l’utilisation positive du réseau social numérique Facebook dans la production des savoirs. Quels sont les éléments de la discussion :

1. Les RS peuvent-ils contribuer à la formation des individus et à la transmission des savoirs par-delà les frontières nationales ?

2. Comment mettre à la disposition des RS comme Facebook une panoplie d’informations et de savoirs susceptible de capter l’attention ?

3. La pratique philosophique peut-elle tirer profit des RS ?

1. Philosopher autrement

Le 7 septembre 2019, le département de philosophie de l’université Félix Houphouët-Boigny organisa un voyage d’étude à Bécédi-Brignan. Bécédi-Brignan est un chef-lieu de commune du département d’Adzopé, dans la région de l’Agnéby, en Côte d’Ivoire. Ce fut l’occasion pour des individus habitués à manier les concepts, les philosophes, d’expérimenter l’éthique environnementale basée sur les traditions endogènes et inspirée par des perspectives écologiques.

Nous fûmes séduits par la beauté du site du Mafa-Mafou ou les montagnes jumelles. Parmi les photos prises lors de cette randonnée et publiées sur mon mur Facebook, celles montrant les dos eurent le plus de succès. Les commentaires à la fois amusés et sarcastiques traduisaient la fascination culturelle et esthétique du dos mais également la transcendance fantasmatique de la photographie. Pourquoi le dos captive tant le regard ? Que voyons-nous quand nous regardons le dos ? Le dos masculin fascine-t-il autant que le dos féminin ?

Au fil des recherches, le dos est apparu dans plusieurs expressions, bien souvent négatives comme : « en avoir plein le dos » ; « Tourner le dos à quelqu’un ou quelque chose » ; « Faire froid dans le dos » ; « casser du sucre sur le dos de quelqu’un » ; « faire le dos rond », l’expression populaire ivoirienne « faire taper dos/doh à quelqu’un », « donner une tape dans le dos », etc. Taper dos est construit à partir du nom d’un personnage connu de la vie politique ivoirienne Tapé Doh. « Taper dos » signifie, tromper quelqu’un, trahir la confiance placée en quelqu’un, être infidèle à…

Au départ, notre intention était simple : plaisanter sur la beauté du dos, sur l’attrait exercé sur nous grâce aux cadres esthétiques et moraux de nos différentes cultures. La plaisanterie a laissé la place à d’autres interrogations : puis-je reconnaître mon dos parmi tant d’autres dos photographiés ? Les fesses font-elles partie du dos ? Le dos, du point de vue de l’anatomie, est-il le dos du poète ? Comment profiter du réseau social numérique pour philosopher avec des amis connus ou inconnus ?

En effet, l’anatomie désigne par le dos la partie du corps humain située au-dessus du postérieur, depuis le cou jusqu’aux reins. En toute rigueur anatomique, les fesses ne font donc pas partie du dos. Elles constituent la frontière. Mais les Africains dont le regard est culturellement déterminé par une espèce singulière de valorisation esthétique fantasment sur la callipygie des femmes stéatopyges. En somme, le dos renvoie non seulement au plan anatomique à ce qui est derrière, mais il signifie également l’envers, le dehors, le passé, la fragilité, la délation.

Le dos est à la fois négatif et positif comme dans l’expression bien connue des Agni/Akan, « se tenir debout derrière quelqu’un, dans le dos de quelqu’un » pour montrer son soutien, son assentiment, le fait de pouvoir compter sur autrui. Les Agni appartiennent à la grande famille anthropologique et linguistique Akan de la Côte d’Ivoire. L’Agni est un sous-groupe de cette famille anthropologique et linguistique. Mais « se tenir debout derrière quelqu’un » peut également signifier prendre parti contre autrui. Ainsi, selon le contexte, se tenir debout derrière quelqu’un peut renvoyer à la trahison, à la traîtrise. 

Pourquoi jadis les mères africaines conseillaient à la jeune fille en âge de se marier de se souvenir de ce que le lit étant un lieu sacré, la femme n’y doit jamais tourner le dos à son mari ? Mais est-ce vrai que tourner le dos à son ou sa compagne, dans le lit conjugal, est toujours un refus de satisfaire au devoir conjugal ? Que dire d’un homme ayant en horreur la position dite Andromaque où l’homme, couché sur le dos est chevauché par la femme ? N’est-il pas victime du préjugé religieux qui, jadis, condamna cette position d’une femme dominant l’homme, d’une femme libre de creuser l’inclinaison de son buste afin de trouver à la fois l’angle idéal de pénétration du pénis et le rythme du mouvement de frottement ? L’orgueil de l’homme dominateur ne peut supporter un dos qui choit.

Au total, du samedi 14 septembre 2019 au vendredi 16 octobre 2020, librement, sans autre contrainte que le plaisir de partager des réflexions sur mon mur du réseau social Facebook, 52 chroniques furent publiées.

Comment est présentée la chronique ? D’abord, la chronique publiée sur le réseau social Facebook, en général le vendredi nuit, dans un format global de 390-400 mots au maximum. Le souci de la réduction des mots obéissait aux désirs de ne pas ennuyer les lecteurs. Les textes longs rebutent les lecteurs.

Ensuite, la rubrique « Pour aller plus loin ». Choix d’un texte pour approfondir les idées partagées dans la chronique. C’est une manière pour moi de mettre à la disposition du public enseignant, étudiant et élève, des textes prolongeant les problématiques de la chronique. Ces textes peuvent constituer des bases de données pour les enseignants ou les chercheurs.

Enfin, la rubrique « Débats ». Ce sont les interventions d’amis réels ou virtuels, connus ou inconnus. J’ai dû revoir, dans la version papier, à la publication des chroniques, certaines expressions triviales ou ivoirismes, sans trahir la pensée des auteurs. Chaque auteur est en définitive responsable de ses paroles.

Dans ces deux œuvres issues de l’expérience numérique se profile une coupe diachronique des idées de notre époque, nos attentes et malheurs, les traditions désuètes, les espoirs et espérances. Certaines chroniques, datées, tiennent compte des circonstances du moment : le couvre-feu du confinement consécutif à la pandémie de la Covid-19 ; la candidature, contre toute attente, du président sortant, M. Alassane Ouattara, à l’élection présidentielle d’octobre 2020. D’autres renvoient à notre histoire proche ou lointaine comme l’accaparement à titre personnel du Congo, en 1885, par la volonté d’un individu, Léopold II, le roi de Belgique et l’odieux assassinat les mains liées dans le dos de Lumumba, le premier d’Oh ministre du Congo indépendant ; l’introduction de la fausse monnaie par la France dans l’économie de la Guinée de Sékou Touré, nouvellement indépendante ; le KO par Mohamed Ali du boxeur George Foreman à Kinshasa en 1974 ; l’étouffement de l’Africain-Américain George Floyd, etc. Dans quelques années, les historiens, les sociologues des mentalités, les politistes sauront ce qui constitua l’essence de nos rêves et angoisses, la racine de nos utopies. Alors, ils mesureront le chemin parcouru par ceux qui donnèrent à l’humanité sa splendeur originelle, les Négro-Africains, descendants de l’Egypte antique, de la Nubie et de Koush. Ils rappelleront l’extraordinaire capacité d’adaptation de l’être humain au moment du passage de L’Homo naturalis à L’Homo numericus.

2. La fécondité de la philosophie du dos : la philosophie du ventre

Grâce au réseau social numérique Facebook, une nouvelle communauté s’est édifiée autour de la philosophie du dos. Des amitiés sont nées, les anciennes ont été entretenues. Il y eut certes de l’inimitié relativement au contenu de certaines chroniques jugées blasphématoires ou libertines. Mais, dans l’ensemble, les intervenants adhérèrent à l’esprit des échanges. Cette adhésion poussera à l’émergence d’autres types de philosophies : la philosophie du Kpêtou, la philosophie des cheveux, la philosophie du visage, la philosophie des fesses, la philosophie du sourire. Il y eut même une tentative qui fit long feu, d’une philosophie du WC et de l’anus. Je voudrais m’étendre plus longuement sur la philosophie du ventre, puisqu’elle a fait l’objet d’une publication.

L’auteur, Dr DJANDUÉ Bi Drombé n’est pas philosophe de formation. Spécialiste en didactique de l’Espagnol Langue Étrangère, il a jeté son dévolu sur une autre partie du corps, le ventre. Dès le départ, l’envie d’équilibrer une équation dont la principale inconnue lui semblait être le ventre, le poussa vers le ventre, car selon lui, toute philosophie du dos appelle d’abord une philosophie du ventre, le dos et le ventre apparaissant dans l’imaginaire comme les deux grandes faces d’une même médaille. Le proverbe baoulé l’illustre si bien : « Si tu ne veux pas que le soleil frappe ton dos, la lune ne brillera jamais sur ton ventre ». Soleil/dos, lune/ventre : deux polarités pour illustrer les polarités travail/loisir, corps célestes/corps humains. Par ailleurs, dit un autre proverbe, si quelqu’un lave ton dos, fais un effort pour laver ton ventre. L’écho de la langue et de la culture gouro de l’auteur se fait entendre avec les concepts de bondinron (réfléchir, penser) et bondiwi (la parole dans le ventre). Le Gouro place la cavité abdominale (bondi) au cœur du langage et de l’activité cognitive. Penser et dire l’étant dans le ventre en reviennent presque à rendre à la pensée ce qui est à la pensée et au ventre ce qui est du ressort de la pensée. Le ventre et la tête sont deux cavités qui renferment des objets précieux.

Ses réflexions ont fait l’objet d’une publication. Ce livre regroupe en onze (11) chapitres une série de chroniques, soixante-huit (68) au total, publiées sur le site www.attougblan.net et partagées sur le réseau social Facebook au cours de l’année 2020. Dans ces réflexions qui impliquent la Création, le ventre renvoie tantôt à la cavité ou à la paroi abdominale, tantôtà l’appareil digestif ou à ses extensions vers le haut (les seins) ou vers le bas (le sexe) pour en interrogerles fonctions, les significations et les représentations dans différentes cultures, à différentes époques et dans des domaines de connaissance variés : médecine, sport, littérature, psychologie, mathématiques, etc.

Les langues et les cultures se trouvent pour cela au cœur du livre, à commencer par celle même de l’auteur. C’est à la fois le Gouro et le spécialiste en enseignement-apprentissage de langues étrangères qui écrit. Le retour incessant aux sources irrigue ainsi sa pensée à travers des ressources telles que les concepts plus haut évoqués de bondinron ou de bondiwi (B. D. Djandué, 2023, p. 29) ou celui du bondiba (B. D. Djandué, 2023, p. 160). Les significations et représentations du ventre font voyager le lecteur dans la langue-culture japonaise ou française, ainsi que d’autres langues locales ivoiriennes : dioula, baoulé, agni ou bhété. Le tout apparaît dans un style inspiré de la structure de mes chroniques de « La philosophie du dos ». Ce faisant, il actualise dans sa discipline, cette manière que j’ai toujours défendue : rendre la philosophie accessible en parlant de sujets ordinaires, sur un ton à la fois badin et profond. Le Dr. Djandué Bi Drombé, le didacticien qui s’essaie à la philosophie, s’illustre ainsi en parfait représentant de la philosophie pour tous. Il a su allier le plaisir de l’écriture au bonheur de l’immersion culturelle. Une formation scolaire et universitaire qui éloigne de soi prive l’individu d’une grande part du savoir. L’humanité est ainsi sevrée de cette part d’intelligence culturelle ignorée. Notre devoir est d’enrichir ce fonds universel des savoirs par notre apport. Maîtriser sa langue et sa culture, en connaître les structures d’énonciation et d’expression, savoir nommer les différentes parties du corps dans sa langue maternelle, sont les rudiments de l’éveil de l’intelligence. La diversité d’approche et les différentes références culturelles rendent ces chroniques plaisantes à lire.

Ces chroniques nous font voyager physiquement et mentalement dans les différents espaces de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique et du monde. Elles participent à l’amour de soi. Plus nous nous connaissons, mieux nous nous aimons. Le mouvement physique et cognitif vers autrui devient facteur d’amour. S’enfermer en soi, dans ses propres et uniques certitudes, appauvrit. S’ouvrir aux autres formes d’expression de la vie enrichit en faisant participer à des valeurs partagées. Les frontières des espaces disciplinaires sont également franchies au moyen de référents philosophiques, sociologiques, historiques, géographiques, anthropologiques, linguistiques, etc.

Le principe de la puissance de l’homme, peut donc être trouvé dans le pouvoir de comprendre. Parce que l’homme produit sa vie selon la norme du vrai, il lui appartient de rechercher le savoir vrai. L’art de savoir et l’art de vivre font une seule et même chose. C’est dans la mesure où les hommes auront combattu les préjugés et les connaissances fausses que la concorde pourra régner dans le monde. Si nous vivons le plus souvent sous la conduite de la connaissance voire de la raison, au lieu de nous laisser guider par les préjugés, nous réussirons, à notre manière, à atténuer la discorde.

En somme, notre véritable puissance d’exister est augmentée par la recherche de ce qui nous accorde aux autres. Comment rechercher ce qui nous accorde aux autres si nous ne développons pas notre capacité d’attention, d’écoute et de réflexions, ce que veut dire proprement comprendre ? Prendre avec soi ce que les autres disent, sentent, aiment et détestent nous fait participer à leur univers mental, culturel et affectif. En un sens plus large, je puis soutenir que la connaissance peut aider à la concorde ; l’ignorance divise davantage.

La valeur libératrice du savoir n’est pas prônée uniquement par la philosophie. Elle est partagée par tous ceux que la concorde intéresse. Je la retrouve en ces chroniques de Dr. Djandué Bi Drombé qui invite à sa manière à faire de la connaissance le principe du rapprochement des êtres humains. Si tout le monde faisait l’effort de connaître l’autre, ses habitudes alimentaires, ses manières de danser ou de penser, ce qu’il aime mettre dans son ventre, les relations humaines seraient moins brutales. Le vivre-ensemble passe aussi par une amélioration des connaissances. Bien connaître pour mieux vivre ensemble, tel est le sens d’une invitation à la découverte des occurrences du ventre. Au total, l’art de vivre se fonde ainsi sur l’art de penser son ventre ou de le panser.

Quiconque garde dans son ventre les paroles de sagesse se fait le complice de la déchéance de la société. Mais quiconque ne sait quand parler, constitue une menace pour la société. Dr Djandué Bi Drombé a su trouver le juste milieu du permis et de l’interdit. Comme le disent les Senoufo, un autre peuple de la Côte d’Ivoire, c’est en relevant avec intelligence le bec du Calao posé sur le ventre que l’homme accompli enseigne avec perfection. Il a su distiller une somme de savoirs nécessaires à la compréhension du ventre dans ses états et dans ses sens. Il a été fidèle sur ce point à la sagesse ancestrale du calao. Le calao, symbole récurrent de l’institution Poro, est représenté avec son long bec fermé délicatement posé sur le ventre proéminant. Le bec fermé symbolise le savoir gardé secret et le gros ventre signifiant également que celui qui en sait beaucoup doit savoir en garder suffisamment dans le ventre. Dr Djandué Bi Drombé donne suffisamment à réfléchir à partir du ventre.

Conclusion

À partir de mon expérience personnelle, j’ai voulu montrer que le réseau social numérique peut être utilisé par la philosophie et pour la philosophie, au moment où les plus pessimistes parlent de crise de l’éducation. Un nouveau type d’humanité façonné par les activités électroniques, les technologies de l’information, le web, etc., bouleverse habitudes, façon de consommer, de travailler, de se fréquenter, de se connaître. En somme, elle crée de nouvelles relations anthropologiques et sociales.

Dr Djandué Bi Drombé, avec sa philosophie du ventre, est la preuve que le ventre du réseau social numérique Facebook peut permettre de tisser de nouvelles et fructueuses relations. Ce ventre contient d’infinis possibilités de faire société, comme le numérique. Avec les réseaux sociaux numériques, la Philosophie du dos a pu enfanter d’autres philosophies portant sur le corps. Elle a créé une communauté de penseurs unie par le désir de philosopher autrement, alliant le sérieux et la dérision.

Références bibliographiques

DJANDUÉ Bi Drombé, La philosophie du ventre. Le ventre dans tous les sens. Abidjan Les Éditions Kamit, 2023, 222 p.

https://www.beauxarts.com/grand-format/pourquoi-les-scultureségytiennes-ont-si-souvent-le-nez-cassez
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh

http://www.lisapoyakama.org/non-les-nez-des-statues…/

Annexe

1. La philosophie du Kpêtou ou du sexe de la femme

De la dignité du Kpêtou au respect de la femme. (14 avril 2020) Ernest SEKA dit Ernesto Galàn La Legende.

Je tiens tout d’abord à féliciter les autres philosophies déjà dispensées sur les réseaux sociaux telles que la philosophie du dos (Maitre Boa), la philosophie des cheveux (Disciple Lopoa), la philosophie du Visage (Doctorant Signo), la philosophie de l’esthétique (Doyen Kouakou Anicet) et la philosophie des fesses (Destin Koné). En effet, toutes ces philosophies tentent de rendre hommage au corps humain dans sa totalité. Elles exhortent les hommes à respecter leur corps. Ainsi, comme le corps humain n’est pas constitué que du dos, des cheveux, du visage, des fesses, avons-nous décidé de parler du kpêtou, pardon, du sexe féminin. Pourquoi parler du kpêtou ? Pourquoi en dégager une philosophie de la dignité ?

Au sens strict du terme, la dignité renvoie à l’idée de considération et de respect à l’égard d’une personne ou d’une chose. Comme le dit l’ermite de Königsberg, la dignité implique l’impératif selon lequel la personne humaine ne doit jamais être traitée comme un moyen, mais comme une fin en soi. Par-là, le Prussien pose tout être humain comme une valeur au-dessus de tout prix, c’est-à-dire un être qui est pour lui-même sa propre fin. Or, ce qui est sa propre fin est sacré, digne de respect inconditionnel. En ce sens, parler de la dignité du sexe de la femme ou Kpêtou, c’est parler du respect, de la considération, des égards qu’il mérite. En effet, par son caractère sacré, le kpêtou est digne d’un respect inconditionnel. Puisqu’il fonde et engendre le monde, il doit être considéré comme une chose respectable et à respecter. Il n’est ni un objet ni une machine. Il est plutôt un principe de vie. En cela, il existe en vue d’une fin : la vie. C’est pourquoi toute atteinte au Kpêtou ou à la partie génitale de la femme, mérite une sanction voire une punition ou une condamnation.

En Ouganda, par exemple, dix policiers ont été maintenus en détention jusqu’au 07 mai 2020 pour avoir porté atteinte aux sexes des femmes ougandaises. En fait, pour n’avoir pas respecté le couvre-feu instauré en raison de la lutte contre le Covid-19, des femmes ougandaises ont été forcées par des policiers à mettre de la boue sur leurs parties génitales. Selon le média local « Uganda Radio Network », ces femmes brutalisées étaient des péripatéticiennes. Qu’elles soient des prostituées ou pas, elles méritent au moins le respect. Toute personne mérite un respect inconditionnel, quel que soit l’âge, le sexe, la santé physique ou mentale, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, le statut social, etc.

Face aux différentes formes de violence que l’on inflige trop souvent aux femmes et à leurs corps, des actions ont été menées au nom de leur dignité. C’est dans cette perspective que le médecin gynécologue de la RDC Denis Mukwege s’est donné corps et âme pour réparer le sexe des femmes violées pendant la guerre au Congo. Au cours de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), des milliers de femmes ont été victimes de violences sexuelles. Cette seconde guerre congolaise que Denis Mukwege nomme “guerre sur le corps des femmes” constitue un fléau à combattre pour ne pas qu’elle s’étende à la société. À ce propos, estime-t-il, « lorsqu’on ne se bat pas contre un mal, c’est comme un cancer, il se diffuse dans la société et détruit la société entière. »

Le kpêtou a une valeur. Il est digne d’être respecté. Respecter le kpêtou, c’est élever la femme au degré de perfection. Il faut dès lors célébrer la beauté du sexe féminin. 

Si le kpêtou c’est ce qui fait la femme ce qui la distingue de l’homme, ne l’oublions pas, il est l’origine du monde. Car, c’est de là que naît toute vie et, c’est ce qui fait de l’acte sexuel, l’origine de toute chose. De cette manière, la philosophie du kpêtou n’est pas une philosophie de la perversité. Mais, elle est une philosophie par excellence tentant non seulement de redécouvrir la femme mais aussi de la redéfinir. C’est une philosophie qui tente de célébrer la femme et de la respecter. Le sexe de la femme, c’est la vie, le bonheur par excellence. Vive le kpêtou. 

2. La philosophie du visage

Le nez cassé des sculptures égyptiennes. Le visage de l’africanité déchiré par les rois revanchards, le vandalisme chrétien et l’iconoclastie musulmane. 2 avril 2020. Par Arts Philosophie Sciences (Signo Signo)

Qu’il s’agisse du Sphinx de Gizeh, des bustes de Toutankhamon ou d’autres mythiques pharaons, un détail vous a forcément déjà frappé : il leur manque souvent le nez ! Cette partie du visage entre la bouche et le front sert très souvent à identifier le caractère anthropologique d’une personne. Mais alors, où est donc passé leur nez ?

Le nez cassé des statues égyptiennes fait croire à première vue à une volonté raciste des égyptologues européens de cacher au monde l’origine africaine de l’Égypte antique. Certes, ce vandalisme relève d’actes délibérés, mais la motivation de ces actes semble être plus religieuse que raciste, bien que nous ne niions pas pour autant que le racisme fut à l’origine de nombreuses falsifications des vérités historiques sur l’Égypte antique.

L’égyptologue Dimitri Laboury souligne que ce vandalisme pur a commencé depuis l’Antiquité. Cependant, pour comprendre ces destructions, il faut d’abord saisir l’importance des statues dans la croyance des anciens Égyptiens. Contrairement à la vision dualiste (l’homme est âme et corps) de l’être humaine, les Égyptiens de l’Antiquité ont une conception de l’homme beaucoup plus complexe. Pour eux, au moment de mourir, le bâ (l’esprit), sous la forme d’un oiseau, vient s’incarner dans la statue qui a été façonnée à l’image du défunt. Ces statues deviennent pour ainsi dire vivantes ! Ainsi, les dégrader revient à s’en prendre directement à la personne. Et pourquoi casser le nez ? Casser le nez c’est couper la respiration, c’est tuer définitivement la personne qui est représentée par la statue.

C’est exactement la tactique adoptée après le règne du pharaon Akhenaton, dont la réforme religieuse en faveur d’un dieu unique a conduit son pays au fiasco. Même chose avec Hatchepsout, lorsque ses successeurs voudront asseoir leur légitimité sur le trône.

D’ailleurs, à l’époque post-pharaonique, au moment où émerge le christianisme, les chrétiens persécutent les Égyptiens « païens » et s’en prennent aux statues pour empêcher leurs cultes (https://www.beauxarts.com/grand-format/pourquoi-les-scultureségytiennes-ont-si-souvent-le-nez-cassez/).

En 1980, l’historien allemand Ulrich Haarmann a révélé que le visage du Sphinx fut endommagé en 1378 par Mohammed Sa’im al-Dahr, un soufi iconoclaste qui voulait détruire ce qu’il considérait comme idole païenne, s’attaquant en particulier au nez et aux oreilles. Cet homme fut pendu pour vandalisme et sa dépouille sera brûlée par les Égyptiens anciens, devant le Sphinx (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sphinx_de_Gizeh).

Ce sont donc souvent les Égyptiens eux-mêmes, à l’époque pharaonique, qui cassaient les nez, sans compter les pilleurs de temples et de tombes. Les envahisseurs étrangers commettaient des crimes et détruisaient les statues.

Les Européens chrétiens de l’époque romaine et les Arabes musulmans, dans leur guerre contre la Spiritualité africaine en Égypte, détruisirent beaucoup de statues, aussi bien les nez que toute la statue.

D’ailleurs, le christianisme romain n’a-t-il pas blanchi certaines représentations égyptiennes, notamment celles d’Osiris (père), Isis (mère), Horus (fils) ? Bref, tant que nous sommes vivants, apprécions positivement et réciproquement nos visages, car à notre mort nous ne savons pas vraiment si nos visages résisteront à l’usure. Peut-être seront-ils entaillés et marqués par du vernis blanc ? On ne sait jamais !

3. Une esthétique de la main

La main, cet organe de sens précieux à l’Artiste et dans nos Civilisations du contact. (Kouakou Melaine-anicet) 29 mars 2020.

En général, tout artiste pour produire un objet d’art ou une œuvre d’art ne travaille pas ex – nihilo, c’est à dire en dehors de la sphère sensible. En effet n’ayant pas d’intuition réalisante, l’artiste, afin de donner un corps à son objet – idée a besoin de travailler par le biais de la technique, un matériau tiré de la nature. Par exemple, comme le décrit Serge Carfantan (Quelques Leçons d’Esthétique), il taillera la pierre, sculptera du bois, polira du fer, manipulera de l’argile, de la terre, etc. Toutes ces choses sont possibles, à condition de posséder des mains.

La Main occupe par conséquent une place importante dans la création artistique, en sorte que si elle venait à être supprimée chez l’artiste, il n’y aurait probablement pas de création. À dire vrai, l’architecte, le sculpteur, le peintre, le céramiste, ne peuvent créer sans leurs mains ; tout comme le pianiste, le guitariste, le violoniste, le batteur, le saxophoniste, etc., ne le peuvent également. C’est dire la nécessité toute particulière de cet organe de sens pour l’Artiste. Cela même est rappelée par Rembrandt à travers ses peintures à savoir Résurrection de Lazare et Leçon d’anatomie.

Si comme tel, la Main de l’Artiste, à l’image des Mains de la Sage-femme qui font naître un enfant, est celle qui fait entrer l’œuvre d’art au monde, cela peut par extension vouloir traduire que la Main est au cœur de la Vie des Hommes, de l’Humain, qu’il soit artiste ou pas.

De fait, dans nos civilisations du contact, la Main est ce qui permet de témoigner une amitié à son alter-égo. On en veut pour exemple, la salutation par la poignée de main, parfois utilisée comme symbole de renouvellement du serment d’amitié après une bagarre ou une querelle.

La Main, c’est aussi cette partie du corps qu’on utilise très souvent pour marquer notre complicité. À preuve lors d’un match de foot, après un but, deux supporters peuvent se taper dans les mains. Et par ce geste, ils renvoient l’image d’être ensemble en tant que complices de tribunes.

Au surplus, la Main est ce médium par lequel les humains expriment la plupart du temps, leurs émotions et sentiments les plus profonds. Au vrai, il n’existe pas d’humain qui n’ait jamais été pris dans les mains d’un être qui l’a aimé ou qui l’aime si chèrement, comme papa, maman, époux, enfant, ami, etc.

La Main est donc d’une manière ou d’une autre, que l’on soit artiste ou simple humain, rattachée à la Vie. On comprend ainsi mieux en ces temps si sombres avec la pandémie du Covid – 19, l’importance de les garder saines afin de préserver nos vies respectives.

Merci et à Dimanche prochain pour une autre aventure sur les Chemins de L’Esthétique.

4. La philosophie du sourire (N’Dré Sam Beugré. 11 mai 2020)

Au Moyen Âge et à la Renaissance, les choses sont devenues plus difficiles. Des gens de la stature de Jean Baptiste De La Salle, fondateur d’un collège bien connu, et d’Albucasis se sont proclamés contre l’exposition des dents aux autres. Le premier disait que “la nature nous a donné des lèvres pour cacher nos dents” car, selon lui, les montrer allait à l’encontre du respect d’autrui. Pour le second, une dent mal alignée était “une déformation particulièrement désagréable chez les femmes”.

Dans la période allant de la Renaissance au néoclassicisme, les sourires dans l’art sont très rares et timides. La raison ?  Les soins dentaires étaient alors très limités. Rappelons que le premier document descriptif sur la dentisterie a été rédigé en 1728 par le chirurgien-dentiste de Fauchard. De plus, comme il n’y avait pas de dentistes généralistes et encore moins de spécialistes, les sourires à l’époque n’étaient pas moins horribles. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le sourire était encore censuré par la société. Aux États-Unis, à l’époque victorienne, il était interdit aux employés de maison de sourire devant leurs maîtres. Grover Cleveland, qui était président des États-Unis en 1885, est considéré comme l’un des premiers à avoir fait du sourire en public une chose courante. À l’époque, le sourire public était encore tabou, mais les électeurs l’associaient à un sentiment de sincérité de la part de l’homme politique en question, ce qui en faisait une stratégie politique de langage corporel très efficace. Son impact a été tel qu’il a créé un précédent pour les présidents suivants : Theodore “Teddy” Roosevelt et Woodrow Wilson. Les dirigeants européens ont expliqué à Teddy à quel point son sourire était esthétique, bien que ce ne soit clairement pas le cas pour Wilson. Une fois que les gens ont remarqué l’impact positif du sourire, l’inquiétude va concerner l’esthétique dentaire. Les stars de cinéma, les politiciens et les célébrités n’auront de cesse de montrer des sourires alignés d’une oreille à l’autre.

5. Philosophie des fesses

LES FESSES DES FEMMES ET LE REGARD SEXUÉ DES HOMMES (11 avril 2020) Destin Koné

Souvenez-vous des Vénus callipyges de la Préhistoire, qui fascinaient déjà les hommes. Ceux-ci rendaient hommage à leur beauté sensuelle en les dessinant sur les parois des grottes, ou en les sculptant. Les fesses ont toujours été le symbole de la fertilité et de la sensualité.

Si certain(e)s adorent les caresses fessières, d’autres sont gêné(e)s ou ne les apprécient pas. Tout est question de goût et d’habitude.

La majorité des hommes sont excités à la vue de fesses voluptueuses : dans l’inconscient masculin, elles témoigneraient de la capacité de leur propriétaire à porter un enfant. Les femmes, quant à elles, craquent volontiers sur un « postérieur » bien musclé. La musculature évoque une puissance et une force de la gent féminine.

Le mâle est attiré par les grosses fesses de la femme. Cela se voit dans le regard. Mais une fois derrière elle, l’homme contemple leurs fesses autant qu’il les désire. Regarder les fesses d’une femme, rappelle inconsciemment la tendresse et le plaisir du sein de la maman. En tout cas, la femme n’est pas responsable si on la désire dans le dos (Voir la philosophie du dos de Boa Thiémélé).

“Et mes fesses, tu les aimes mes fesses… ?” demandait sensuellement Brigitte Bardot en 1963 dans “Le Mépris”, un film de Jean-Luc Godard. Adorées ou détestées, exposées ou cachées, les fesses ne laissent pas indifférent. On les désire musclées, volumineuses et sensuelles, et leurs courbes arrondies incitent aux caresses, parfois très intimes, ainsi qu’à des désirs souvent inavoués.

Pourquoi les femmes veulent avoir de grosses fesses ? N’est-ce pas parce que, inconsciemment, elles se sentent en sécurité d’avoir ce qui peut représenter la féminité mais aussi la capacité maternelle et induire le désir chez l’homme ? En somme, n’est-ce pas parce qu’elles veulent être désirées ? L’être humain a besoin d’être désiré mais aussi d’être capable de désirer. Les femmes ont conscience que leur postérieur est un objet de désir sexuel masculin. Les fesses sont comme le maquillage : depuis la nuit des temps, les fesses et le maquillage servent à mettre en valeur la femme au regard masculin.

Le philosophe et artiste Jean-Paul Sartre n’avait-il pas raison quand il affirmait : « La patrie, l’honneur, la liberté, il n’y a rien : l’univers tourne autour d’une paire de fesses, c’est tout…’ »

Ça se voit, certains risquent leur vie au prix d’un regard sexué. Et le regard pointu des Présidents en dit aussi.

À Samedi prochain…

6. Philosophie de l’anus et du wc #phaduwc_001. 4 août 2020

Par Don El Migno Charminov

… La philosophie dont je suis le promoteur, …place l’anus dans la centralité qui lui est due. Elle promeut le WC en tant qu’institution à part entière foncièrement humaine et pose l’anus, les fèces et le WC comme un haut lieu de réflexions savantes.

Aux puristes et autres incapables de dépasser les idées reçues et les conceptions dominantes pour se laisser aller, au hasard de la réflexion et de la quête de sens et d’objectivité, la philosophie de l’anus et du WC (en abrégé la #PhAduWC) vous fera « chier » ! Peut-être vous permettra-t-elle, je l’espère, d’inaugurer en vous l’amour de la remise en question et du doute philosophique.

Saisissant l’homme, la femme, la culture, Dieu, la religion et l’ensemble des institutions humaines sous le prisme de l’anus, des fèces et du WC, la PhAduWC met en doute les certitudes, dé-forme les aprioris et inaugure le champ de nouvelles u-topies. Foncièrement iconoclastes, la #PhAduWC marche à rebours et aime à inverser les choses. La déconstruction, au sens derridien du concept, est une méthodologie ici dictée par la nécessité d’opérer le mouvement vertical en sens inverse, en remontant de l’anus au cerveau, afin de prendre pour ainsi dire de la hauteur. Cette inversion marque le caractère inédit d’une philosophie nouvelle de la condition humaine.

L’anus, les fèces et le WC, représentent, pour reprendre les mots de Paul Valéry au sujet du corps, « ce qu’il y a de plus profond dans l’homme et que ce n’est pas dans ce qu’il-s cache(nt) qu’il faut chercher sa vérité, mais dans ce qu’il-s exhibe(nt) ». En cela, la PhAduWC pourrait bien constituer le lieu de la quête de cette authenticité.

Parce que l’anus, les fèces et le WC révèlent la vérité de l’homme/femme, la PhAduWC nous permettra à termes d’inventer du nouveau, mais aussi et surtout de nous émanciper des approches mêlant à la fois négligence, fascination et dégoût de l’anus et des fèces et qui ne peuvent qu’aboutir à des raccourcis de pensée et faire miroiter la surface et non le fond des phénomènes observés.

Conformément aux activités principales de l’anus, qui chie, mais aussi pète, les interventions de la PhAduWC seront de deux ordres : un numéro hebdomadaire plus structuré, chaque dimanche et un autre intitulé #PETS_PHILOSOPHIQUES qui regroupe des aphorismes et/ou citations sur le sujet.

A très bientôt pour le prochain numéro…

7. La philosophie des cheveux

De l’Afro. 18 décembre 2019

Lopoa Bi Kouamé

Nous avons soupçonné une philosophie des cheveux, parce qu’en Afrique les coiffures correspondent à des étapes de la vie : la naissance, l’initiation, le mariage et le deuil.

L’Africain et tous ses attributs physiques ont longtemps été disqualifiés de la course à l’humanité et au Beau. Sa peau, son anatomie, son sexe, son nez, ses lèvres, sa mâchoire et ses cheveux ont été qualifiés de sauvages, de diaboliques, de grotesques et de laids par des ethnologues et philosophes ethnocentriques. Car, sa beauté était jugée selon une valeur qui ne lui correspondait pas, à savoir les canons esthétiques européens. Pour être beau ou belle, pour être accepté, reconnu en qualité d’homme puis d’homme civilisé, il fallait souscrire aux critères de beauté de l’Occident, en s’éclaircissant la peau ou en lissant ses cheveux.

Le mouvement culturel « Black is beautiful » en français le « Noir est beau », né dans les années 60 aux USA avec les Afro-américains dont Malcom X, va justement s’insurger contre cette vision du beau qui implique le mépris de soi et le cautionnement du mépris de l’autre. Ainsi mettra-t-il, pour résister, en avant la fierté des racines africaines qui passe par l’acceptation de sa propre culture, de la couleur noire de sa peau et de ses cheveux crépus. En somme, il fallait revendiquer une identité propre. La coiffure tendance sera « L’Afro » ou pour ceux qui n’ont pas beaucoup de cheveux, des cheveux naturels tout simplement. Nous sommes en plein esthétique noire pour parler comme Garvey.

L’Afro est une coiffure volumineuse de cheveux crépus retenant l’humidité et protégeant l’homme en climat chaud. Une opinion la fait dater de Ramsès II sous son khépresh (couronne guerrière et royale) une autre la date de la tentative de pénétration des Italiens en Éthiopie. En effet c’était la coiffure des guerriers. Ils résistaient contre les Italiens qu’ils vainquirent du reste. Leur victoire fit de l’Éthiopie une Nation qui n’a pas été colonisée. Mais, historiquement et sociologiquement, elle appartient à l’histoire des Afro-américains qui résistait ainsi à l’aliénation et à l’assimilation de la culture européenne. Ils le firent au nom d’une identité africaine sublime.

Tout le parcours de cette coiffure met en exergue une philosophie de l’identité et de la résistance. Par l’Afro, on assume son appartenance à la communauté africaine ; on s’identifie à elle. Par l’Afro on est un résistant, un fier guerrier. Par elle on accepte le naturel, on en fait la promotion.

Nb : il faut utiliser le shampoing au lieu du savon pour l’entretien des cheveux en style afro.

CONTRIBUTIONS PAR AXES D’ANALYSE

AXE 1 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DÉMOCRATIE

LES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES ET LA GOUVERNANCE DÉMOCRATIQUE EN AFRIQUE

1. Oi Kacou Vincent Davy KACOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kacoudavyoi@yahoo.fr

2. Neuba Serge N’DRIN

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

serge.neuba@gmail.com

Résumé :

Se présentant à la fois comme un lieu communicationnel et informationnel, les réseaux sociaux numériques tendent à favoriser une très forte opinion publique ou une citoyenneté de parole qui constitue le gage d’une nouvelle forme de société civile émergente en Afrique. Dès lors, par l’entremise de la méthode analytique, nous tâcherons de voir si les réseaux sociaux numériques peuvent véritablement favoriser la gouvernance démocratique en Afrique dans la mesure où ils prônent sans cesse la désinformation, les atteintes à la vie privée, affectant ainsi la qualité du débat démocratique. Ne faut-il pas alors une éducation aux médias et à la littératie numérique susceptible de permettre aux citoyens de naviguer de manière critique et responsable dans cet environnement numérique constamment en évolution ?

Mots clés : Démocratie, Information sociale, Médiation sociale, Nouvelles intelligences collectives, Réseaux sociaux numériques.

Abstract:

At both a place for communication and information, digital social networks tend to foster a very strong networks tend to foster a very strong public opinion or citizen voice that is the guarantee of a new form of civil society emerging in Africa. So, using the analytical method we shall try to see whether digital social networks can really promote democracy in Africa, insofar as they constantly advocate misinformation privacy, thus affecting the quality of democratic debate. So isn’t there a need for media literacy and digital to enable.

Keywords : Democracy, Social information, Social mediation, New collective intelligences, Digital social networks.

Introduction

Le projet épistémologique qui nous habite est déterminé par deux considérations théoriquement distinctes mais pratiquement imbriquées, à savoir, d’une part les réseaux sociaux et d’autre part la démocratie en Afrique. Les réseaux sociaux numériques relèvent du virtuel alors que la démocratie est de l’ordre du concret. En effet, les réseaux sociaux numériques, souvent simplement appelés « réseaux sociaux », sont des plateformes en ligne qui permettent aux utilisateurs de créer des profils personnels, d’établir des connexions avec d’autres utilisateurs et de partager du contenu, des informations, des médias et des interactions en ligne. Quant à la démocratie, elle est un système de gouvernance dans lequel le pouvoir politique est exercé par le peuple, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants élus.

Notre démarche est guidée par la conviction que les réseaux sociaux numériques, tels que Facebook, Twitter, WhatsApp, Instagram, LinkedIn, Snapchat, TikTok et d’autres, ont transformé la manière dont les Africains s’engagent dans la politique et influencent la démocratie sur le continent. C’est dire que les réseaux sociaux numériques ont un impact significatif sur la démocratie en Afrique.

Dès lors, il y a lieu de se demander si les réseaux sociaux numériques peuvent véritablement favoriser la démocratie en Afrique dans la mesure où ils prônent sans cesse la désinformation, les atteintes à la vie privée, affectant ainsi la qualité du débat démocratique. Favorisent-ils la participation citoyenne, et renforcent-ils la transparence politique ? Comment les gouvernements et les acteurs politiques réagissent-ils à la dynamique des réseaux sociaux dans le champ politique ? Ne faut-il pas alors une éducation aux médias et à la littératie numérique susceptible de permettre aux citoyens de naviguer de manière critique et responsable dans cet environnement numérique constamment en évolution ?

Partant, la toile de fond de cette réflexion est que les réseaux numériques tendent à favoriser une très forte opinion publique ou une citoyenneté de parole qui constitue le gage d’une nouvelle forme de société civile émergente. Il convient d’explorer le sujet sous différents angles afin de saisir sa complexité. Dans cette optique, notre analyse sera articulée autour de trois axes majeurs : tout d’abord, nous examinerons l’état des lieux de la question des réseaux sociaux numériques dans la gouvernance démocratique, puis nous nous pencherons sur la relation entre la démocratie et les réseaux sociaux numériques pour enfin aborder l’incontournabilité des réseaux sociaux numériques dans l’expression actuelle de la gouvernance démocratique.

1. De l’état des lieux de la question des réseaux sociaux numériques dans la gouvernance démocratique

1.1. Les réseaux sociaux numériques : un lieu d’abus contre la liberté d’expression et d’atteinte à la vie privée des personnes

On le remarque dans bien de pays du continent noir, avec l’inexistence de frontière qu’ils favorisent, les réseau sociaux numériques constituent aussi le lieu de plusieurs abus significatifs répétés contre la liberté d’expression et l’atteinte à la vie privée des personnes qui, dans une importante mesure, sont des paramètres pertinents de la démocratie depuis la lutte pour la dignité humaine qui a abouti à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) en ces termes : « Tout individu a le droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Dans plusieurs posts d’images, de vidéos et de messages, on note des injures et des calomnies des gouvernés à l’endroit des gouvernants, des propos agressifs et humiliants entre des adversaires politiques qui peuvent même appartenir à une même famille, à un même groupe social, à une même communauté religieuse parfois. Des humiliations et des diffamations qui, malheureusement, constituent du pain béni pour les utilisateurs de ces nouveaux médias. Sur les réseaux sociaux numériques, on peut le dire sans risque de se tromper, il est devenu commun d’assister au déferlement médiatique d’une opposition très tranchée entre deux ou plusieurs personnes à la suite soit d’un soutien d’une action ou d’une idéologie, soit pour la manifestation d’un désaccord sur un fait ou un mouvement. Une opposition surtout marquée par des injures et des propos diffamatoires avec atteinte à la vie privée, comme en témoignent les images ci-dessous.

Photographie 1 : Exemple de publication relative à la libre expression, tiré des échanges sociopolitiques entre internautes (Côte d’Ivoire). Source: Facebook, 2020

Photographie 2 : Exemples de publication concernant la libre expression des gouvernés à l’encontre des gouvernants ou des hommes politiques. Côte d’Ivoire Source : Phoenix, 2020

Ces propos ne vaudraient certainement rien, s’ils ne s’articulaient pas dans une logique relationnelle qui pose, nécessairement, la question de l’altérité. Et en la matière, il est fort certain, voire fondamental, que l’autre soit, avant tout, respecté, et donc ne soit, en aucun cas et au nom d’une quelconque idéologie, même la plus certaine, inquiété pour ses idées et pour ses opinions. Ce qui laisse entendre que la différence entre les citoyens ne doit, en aucune manière, constituer un obstacle à la promotion de la démocratie. Malheureusement, ces réseaux sociaux numériques sacrifient la démocratie sur l’autel des ambitions personnelles et partisanes. Cela est d’autant vrai que les internautes constituent entre eux des communautés qui se sentent souvent touchées par des propos diffamatoires, des images, etc. et donc ne se retiennent pas de réagir, faisant ainsi de ces plateformes un lieu d’incitation à la haine.  

1.2. Les réseaux sociaux numériques : un lieu d’incitation à la haine

Dans l’expression de la démocratie, les réseaux sociaux numériques donnent d’assister bien souvent aussi à des incitations à la haine. Ils peuvent être utilisés pour diffuser des discours de haine dirigés contre des groupes ethniques, religieux, raciaux, ou d’autres minorités. C’est le cas en Côte d’Ivoire où un certain Youssouf Kamagaté avait publié le 25 janvier 2020 de massacrer les chrétiens, quand l’archidiocèse d’Abidjan a annoncé dans le cadre du programme de ses activités annuelles, une marche pour la paix : « Le 15 février, ça sera à chacun son catholique, on va verser un peu leur sang comme pour leur Jésus là ». On voit apparaître clairement ici que les réseaux sociaux numériques peuvent être le lieu des incitations à la violence et à des déclarations haineuses sans crainte de répercussions directes sur sa vie. Les réseaux sociaux numériques pourraient être des plateformes pour la propagation de discours de haine, de racisme, de xénophobie et d’autres formes de discours nuisibles. À cela s’ajoutent des groupes extrémistes qui utilisent parfois les réseaux sociaux pour recruter de nouveaux membres ou inciter à la violence. De même, la désinformation et les fausses nouvelles peuvent être rapidement diffusées sur les réseaux sociaux ; ce qui peut alimenter la haine envers certains groupes ou individus.

Ce qui fait penser que les plateformes numériques sous les cieux africains ne sont pas réglementées ou du moins que la loi est loin d’être efficace pour les empêcher ou que les chargés de la règlementation en la matière sont de vrais corrompus, laissant croître une liberticide en Afrique. Même si ces propos sont en ligne, il est bien possible qu’ils puissent avoir des conséquences bien réelles, notamment au niveau psychologique, d’une part, et au niveau de la société, d’autre part. Ce, d’autant plus que tout discours comportant des germes de la haine, cible, nécessairement, « des personnes en raison des caractéristiques des groupes auxquels elles appartiennent. » (UNESCO, 2015, p. 4) Et plus encore, tout message est susceptible de « devenir viral en quelques heures, voire quelques minutes. » (Ibid.) Toutes ces querelles numériques susmentionnées sont loin d’être profitables à la démocratie numérique. La démocratie numérique, également appelée démocratie électronique ou e-démocratie, fait référence à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour renforcer et améliorer les processus démocratiques. Au lieu de faciliter le dialogue et le débat démocratique, les réseaux sociaux peuvent perturber et même ébranler les principes fondamentaux de la démocratie.

2. De la relation entre la démocratie et les réseaux sociaux numériques

2.1. La préalable question de la relation entre gouvernés et gouvernants

La relation entre gouvernants et gouvernés constitue cette dynamique qui, par le jeu de ces deux acteurs, reconfigure les modèles de fonctionnement des institutions de la société elle-même. Ce, d’autant plus que cette relation trouve ses racines dans les mouvements et les comportements sociaux, les paroles citoyennes et les circonstances politiques, dans des espaces publics. L’on remarque avec P. Bréchon (2006, p. 7) qu’à l’ère des réseaux sociaux numériques, « les gouvernants sont aujourd’hui de plus en plus observés et critiqués » par les gouvernés et « se voient obligés d’expliquer leurs actions, légitimer leurs orientations ». (Ibidem). Mais alors, qui est le gouvernant, et qui est le gouverné ?

De manière générale, la pensée collective oppose les gouvernants et les gouvernés, et leurs présences, bien que permanentes, ne sont évoquées que pendant les moments très cruciaux, généralement emprunts de conflictualité comme les campagnes électorales, les grèves ou les crises sociopolitiques, etc.

Les gouvernants aussi appelés dirigeants forment la classe des acteurs institutionnels ; une classe subdivisée en deux catégories : les acteurs institutionnels publics et les acteurs institutionnels privés comme le montre P. Thomé (2014, p. 4). Ici, les gouvernants concernés sont ceux de la classe des acteurs institutionnels publics. Ils ont pour eux, par la Loi, le pouvoir et la puissance nécessaire pour agir au nom de tous, voire envers et contre tous. Tout citoyen est tenu de respecter la Loi, sinon il y sera contraint en vue de garantir le salut de la société. Ce sont, dans bien des contextes étatiques : le Président de la République ou le Chef de l’État, le vice-président, le chef du Gouvernement, les membres du Gouvernement, les Présidents d’institutions, les élus des Collectivités Territoriales, les Préfets et Sous-préfets. Ayant le pouvoir d’État, ils sont ceux-là qui, logiquement, établissent les lois et en assurent l’application par la gouvernance. Des lois que ces derniers eux-mêmes ne respectent pas toujours dans leur volonté manifeste de conserver le pouvoir à tout prix.

Les gouvernés, quant à eux, prenant appui sur les principes et idéaux nouveaux (Démocratie et Alternance politiques, etc.) reçus du grand bouleversement géopolitique mondial survenu à la suite de la chute du Communisme en 1960 et à la lumière des démocraties populaires de 1989, sont ces citoyens qui, aujourd’hui, « ne veulent plus être gouvernés comme avant » (C. Thuderoz, 2006, p. 185), c’est-à-dire vivre sous le joug d’un régime qui les conduirait, dans la dictature, à la famine et à la ruine plutôt qu’au salut. En effet, être gouverné, dans le siècle présent, « consiste de moins en moins à accepter ou subir « une verticale du pouvoir. » » (P. Verjans,et al., 2011, p. 54). Les gouvernés sont loin d’être ceux qui font la loi même si la Loi fondamentale les reconnaît comme des citoyens au même titre que les gouvernants. On peut citer, entre autres, les contestations populaires de grande ampleur qui se sont produites dans de nombreux pays du monde arabe entre 2010 et 2012 dont la Tunisie, l’Égypte et la Lybie et qualifiées de « Printemps arabe », les manifestations qui ont conduit à la destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff en 2016, l’effet et le succès du mouvement espagnol « Podemos » (nous pouvons) en 2014, qui rappellent, à bien des égards, le « Yes, we can » de Barack Obama.

2.2. De la nécessité du changement social

La relation entre la démocratie et les réseaux sociaux numériques ne peut pas ne pas s’articuler, fondamentalement et objectivement, autour du besoin d’un changement social, au profit, en premier lieu, des gouvernés. En effet, selon son étymologie cambiare, propre au bas latin de l’Antiquité tardive, le verbe changer renvoie à l’idée soit de modifier une façon de faire, soit de remplacer quelqu’un par un autre ou quelque chose par une autre. Ainsi, le changement constitue une variation par rapport à un état ou un mode d’existence antérieure ou, en d’autres termes, « le passage d’un état x, défini à un temps t, vers un état x1 à un temps t1 ». (J. Réhaume, 2002, p. 65). C’est dire qu’il concerne, à la fois, les ruptures et les nouveautés apportées à une situation mauvaise ou anormale ou alors moins bénéfique qui perdure.

En lien avec la société, le changement désigne « toute transformation observable et vérifiable dans le temps qui affecte d’une manière qui n’est pas provisoire la structure ou le fonctionnement d’une collectivité et qui en modifie le cours de son histoire. » (G. Rocher. (1968, p. 22). Dans cette logique, le changement social est alors et sans aucun doute différent de l’événement, de l’action historique et du processus social qui, cependant, peuvent l’intensifier ou le freiner. Il s’agit de mettre en avant les « conditionnements sociaux qui déterminent le déroulement d’une action. ». (H. Dorvil, R. Mayer, 2001, p. 66). Il convient alors que l’on comprenne les changements sociaux, en analysant toujours les fonctions propres ou spécifiques que remplissent les différentes institutions, les structures et/ou les organisations mises en place dans la société, par la société et pour la société : « À tout élément de toute culture correspond une fonction et à toute fonction correspond un élément. » (O. Aktouf, 1987, p.23). C’est bien l’enjeu de la démocratie qui tend à mettre face à face les gouvernants et les gouvernés. En tant que telle, elle est une culture ; celle du respect du choix du peuple souverain. Elle est également une fonction de la bonne gouvernance qui, justement, implique le respect du choix du peuple souverain. Partant, le changement social convoque le principe de l’acteur et du système qui, lui, pose la question de la dynamique sociale, et en filigrane, celle de la participation citoyenne en tant que réalité sociale et principe de la démocratie. Ce qu’imposent aujourd’hui les réseaux sociaux numériques.

2.3. L’inévitable question de la participation citoyenne et son actualité

Suivant les réformes institutionnelles, sociales et politiques initiées respectivement par les athéniens, Solon (https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Solon/144767/, consulté le 16 octobre 2023), Clisthène (https://www.universalis.fr/encyclopedie/clisthene-570-508/, consulté le 13 octobre 2023) et Périclès (https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Périclès/137626/, consulté le 3 octobre 2023) à partir desquelles est né l’État de droits, la citoyenneté est apparue comme une réalité sociale active qui a fait du citoyen, un être qui a la faculté de participer aux fonctions judiciaires et publiques. (Aristote, 1995, p. 167). Dès lors, pour parodier C. R. Abolou, (2016, p. 18), la participation citoyenne est devenue un véritable outil de médiation sociale par le biais de la citoyenneté qui a pour principe premier la cité. À cet égard, tous sont appelés à vivre et à partager les mêmes valeurs dans un corps social, à se construire et à se maintenir durablement, comme l’atteste D. B. G. Naécia Maciel. (1999, p. 61). Bien que considérée comme une qualité par opposition à la non-liberté, la citoyenneté, ou dans l’autre sens, la participation citoyenne, n’est aucunement un privilège telle que le montre Aristote dans sa réflexion sur l’État : « Nous appelons État la collectivité des citoyens ayant la jouissance de ce droit, et en nombre suffisant pour assurer à la cité, sil’on peut dire, une pleine indépendance. » (Aristote, 1995, p. 171).

Aussi importe-il de considérer la participation citoyenne comme une réalité sociale faisant référence à un ensemble de pratiques permettant au citoyen de participer activement à la vie de sa communauté, d’autant plus que le citoyen contemporain se définit singulièrement en relation avec l’idée de la souveraineté de l’État dont il est un corrélat. Ici, retentissent en écho les propos du président américain Fitzgerald John Kennedy : « Ask not what your country can do for you—ask what you can do for your country », c’est-à-dire « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays ». (https://www.archives.gov/ National Archives Museum Washington, DC, and Presidential Library museums Discours inaugural de John F. Kennedy, 20 janvier 1961, Washington, D.C., États-Unis).

Dans son discours à la Nation du 7 décembre 1979, à l’occasion de la célébration de la fête nationale d’indépendance à Katiola, le président Félix Houphouët-Boigny dira à son tour : « il est temps, grand temps, que chacun, à tous les niveaux s’interroge. Ai-je fait, bien fait, pour mon pays, ce que je dois ? ». (F. Houphouët-Boigny, 2013, p. 217)

L’aujourd’hui de la citoyenneté ou de la participation citoyenne qu’expriment ces deux assertions se rapporte, justement, à l’idée des libertés, des droits et devoirs du citoyen en lien avec l’idée de la souveraineté par la démocratie comprise comme le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. De nombreux débats et échanges sur les réseaux sociaux numériques n’occultent pas ces questions. Bien plus, ils les rendent actuelles. Ce qui fait de ces réseaux, à la fois un moyen et un lieu véritables et inévitables de l’expression actuelle de la démocratie.

3. De l’incontournabilité des réseaux sociaux numériques dans l’expression actuelle de la gouvernance démocratique en Afrique

3.1. L’apport des réseaux sociaux numériques dans la gouvernance démocratique

Les réseaux sociaux numériques se présentent comme une agora ou alors un espace de libres expressions et opinions où chacun peut dire ce qu’il pense tout bas, à travers des messages, des vidéos et/ou des images. Dans ce cas, les réseaux sociaux numériques se laissent saisir comme un outil social ouvrant la porte à la participation citoyenne ou à la démocratie. En tant qu’outil, ils se font un moyen de changement social positif puisqu’ils favorisent un élan d’engagement social ou alors un certain militantisme. C’est ainsi que le Sénégal a vu l’émergence de campagnes en ligne qui ont influencé l’opinion publique et le vote. En effet, les élections présidentielles sénégalaises de 2012 ont été marquées par une utilisation significative des médias sociaux et des campagnes en ligne qui ont eu un impact sur l’opinion publique. Ces élections ont vu la réélection du président sortant, Macky Sall. L’utilisation des réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter, a été remarquée pour son rôle dans la mobilisation électorale, la diffusion d’informations politiques et la stimulation du débat public. Les réseaux sociaux numériques promeuvent l’éveil des consciences en Afrique où la démocratie est en souffrance du fait de certaines réalités comme le tribalisme, le népotisme et surtout l’ignorance (R. G. Blé, 2010, p. 2-23).

En 2013, le Kenya, par exemple, a vu l’utilisation intensive de réseaux sociaux lors des élections générales pour surveiller le processus électoral et encourager la transparence. Par ailleurs, dans ses reportages sur les élections et la politique en Côte d’Ivoire, Hervé Djébé, un journaliste ivoirien laisse poindre l’utilisation des médias sociaux par rapport aux événements politiques survenus en 2020. Il met en évidence le rôle des médias sociaux dans la mobilisation politique et la diffusion de l’information.

En tout état de cause, les plateformes offrent un espace pour la participation civique et la mobilisation autour de causes importantes. Il en découle que les réseaux sociaux permettent aux citoyens africains de s’exprimer plus librement, de partager leurs opinions et de dénoncer les injustices. Dans cette perspective, les réseaux sociaux numériques ont l’avantage de construire une importante communauté ou un groupe social dont les membres ont au moins un intérêt en commun. Ils permettent aux citoyens africains de communiquer facilement et rapidement entre eux. Ce qui peut renforcer la participation civique et politique. À l’aide des réseaux sociaux numérique, les individus peuvent discuter de questions politiques, partager des informations et organiser des mouvements sociaux en ligne. Il appert que les réseaux sociaux créent un espace pour un débat public plus ouvert et diversifié. Ils permettent aux citoyens de suivre les progrès et les régressions de la démocratie dans leur pays et dans la région. Ce qui peut encourager les réformes et la consolidation de la démocratie.

Avec les réseaux sociaux numériques, les citoyens peuvent partager des informations sur les élections, les droits de l’homme, la corruption, etc., et mobiliser d’autres personnes pour soutenir leurs causes.  Les réseaux sociaux offrent une voix aux groupes minoritaires et marginalisés qui peuvent avoir été exclus du processus politique traditionnel. Cela peut contribuer à une plus grande inclusivité et diversité dans la sphère politique. Ils permettent aux citoyens de surveiller les actions du gouvernement et des responsables politiques. Les réseaux sociaux rendent plus difficile pour les gouvernements de dissimuler la corruption et les violations des droits de l’homme. Désormais, les scandales de corruption et les abus de pouvoir peuvent être exposés au grand jour. Ce qui peut mettre la pression sur les autorités pour qu’elles agissent de manière plus responsable. Par exemple, les vidéos et les photos partagées en ligne documentent ces abus, incitant à l’action et à la responsabilité. Ils favorisent la transparence politique. C’est dire que les réseaux sociaux peuvent rendre les activités politiques plus transparentes en permettant aux citoyens de suivre les actions de leurs représentants élus en temps réel.

Il convient de noter aussi que les réseaux sociaux peuvent favoriser l’innovation dans le domaine de la démocratie en permettant l’émergence de nouvelles formes de participation citoyenne, telles que les consultations en ligne, les pétitions numériques et les plateformes de gouvernance participative. À cet effet, les politiciens et les partis politiques peuvent utiliser les réseaux sociaux pour atteindre un large public et promouvoir leurs plateformes politiques. Cela peut favoriser une plus grande participation électorale et un meilleur accès à l’information politique. C’est pourquoi, il convient d’éduquer les citoyens. Les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour éduquer les citoyens sur les principes démocratiques, les droits de l’homme et les processus électoraux. Cela peut contribuer à renforcer la compréhension de la démocratie et à encourager la participation politique informée. Les réseaux sociaux numériques offrent de nombreux avantages pour la démocratie en Afrique, mais ils sont également associés à plusieurs défis et risques.

3.2. Les réseaux sociaux, une voix sonore au service de la gouvernance démocratique

Les réseaux sociaux numériques jouent aujourd’hui un rôle très important dans les sociétés humaines, notamment au niveau de la démocratie. Ils sont mêmes comme un instrument à son service. En effet, ces nouveaux médias sociaux se présentent davantage comme les moyens les plus utilisés aussi bien par les partis politiques que par les candidats aux élections pour la diffusion de leurs messages, la mobilisation de leurs partisans et la sensibilisation des électeurs à les voter. En donnant ainsi à de nombreux citoyens la possibilité de s’engager activement dans le processus démocratique de leur pays, ces plateformes ont l’avantage de renforcer manifestement la participation au débat démocratique et électoral, d’autant plus qu’elles sont fondamentalement un lieu communicationnel et informationnel.

À travers des partages d’informations et d’opinions relatives à la corruption, aux abus de pouvoir et d’autres problèmes de gouvernance, les réseaux apparaissent comme un moyen certain de mettre la pression sur les dirigeants politiques pour rendre compte de leur gestion. Nonobstant ces nombreux avantages qui marquent une évolution du processus démocratique en Afrique, il n’en demeure pas moins que les réseaux sociaux numériques engendrent d’autres défis tout aussi significatifs comme la désinformation et les discours haineux qu’il importe de relever dans la perspective de la culture de la paix et de la cohésion sociale dans de nombreux pays en Afrique. Dès lors, ne faut-il pas une éducation aux réseaux sociaux numériques susceptibles de permettre aux citoyens lambda de naviguer de manière critique et responsable dans cet environnement numérique constamment en évolution ?

3.3. L’éducation aux réseaux sociaux pour une authentique gouvernance démocratique en Afrique

L’éducation aux réseaux sociaux numériques constitue en elle-même une exigence de ce temps en numérique, en ce sens qu’elle correspond à une forme de participation citoyenne ou d’engagement citoyen faisant de la critique, l’écriture et la lecture sociales des moyens d’émancipation sociale, de progrès social et de culture de la paix. Autrement dit, l’éducation aux réseaux sociaux numériques constitue un acte citoyen actif ou alors qu’elle s’imbrique dans la citoyenneté en tant que principe positif dans la perspective de l’intérêt commun ou général. De ce point de vue, cette éducation critique des contenus médiatiques ne sera rien d’autre qu’un renforcement de la citoyenneté par le développement de la conscience politique, ainsi que Gonnet présente l’éducation aux médias de manière générale : « une exceptionnelle initiation aux pratiques démocratiques en vue de l’enrichissement des différences. » (J. Gonnet, 2001, p. 6).

Ce faisant, en tant que forme évidente de la participation citoyenne, l’éducation aux réseaux sociaux numériques aura à jouer un rôle de promotion de la démocratie qui n’est nullement la liberté de dire ce que l’on veut, comme l’on veut et quand l’on veut. Le faisant, elle ne sera, finalement, qu’un instrument démocratique fondamental, puisque l’éducation comprise comme moyen de socialisation implique dans son essence la prise en compte indissociable de la citoyenneté et de la démocratie. Et offrir à tout citoyen le moyen d’être un esprit critique ou une conscience sociopolitique de sorte à différencier l’opinion de l’information, repérer les préjugés et le manque de logique, et reconnaître les hypothèses déclarées et cachées, c’est déjà forger en ce dernier un élan, mieux un esprit citoyen et démocratique. Cela s’avère un défi à relever et à consolider pour faire de la démocratie en ligne une conviction personnelle chez chaque africain pour le respect de la dignité humaine, loin des sentiments partisans et diffamatoires.

Conclusion

Les réseaux sociaux numériques constituent objectivement, aujourd’hui, un espace médiatique offrant à chaque citoyen la possibilité de prendre activement part au processus démocratique de son pays. Ils renforcent la participation citoyenne au débat démocratique et électoral au travers des échanges (messages, vidéos, images, etc.). Pour la plupart du temps, les internautes passent par ces réseaux sociaux numériques pour se faire entendre.

Il importe, cependant, de noter que ces technologies constituent à bien des égards un danger au nom de la liberté d’expression des citoyens qui sont les utilisateurs de ces réseaux numériques. Dès lors, il s’impose une prise de conscience citoyenne et un engagement responsable à tous les niveaux. Face aux abus qu’ils favorisent, il importe de créer les conditions susceptibles de permettre aux citoyens de naviguer de manière intelligible et responsable, d’autant plus que la démocratie vise le meilleur ou le bien de la majorité du peuple.

Pour ce faire, une éducation aux réseaux sociaux numériques est indispensable, non comme un enseignement visant prioritairement l’acquisition d’un certain nombre de compétences en vue de la maîtrise des outils techniques. Mais il s’agit plutôt de favoriser un regard critique sur les contenus de ces réseaux de sorte à contribuer à l’éco-citoyenneté. Une telle approche implique non seulement un véritable engagement social des hommes de paix et des politologues, mais demande d’inclure l’éducation aux médias numériques dans les programmes éducatifs des pays africains. Du reste, les réseaux sociaux numériques doivent contribuer à une culture de la paix, préalable à tout développement quand on sait que le continent africain a encore beaucoup à faire à ce niveau.

Références bibliographiques

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RÉSEAUX SOCIAUX ET DÉMOCRATISATION DE L’INFORMATION DANS L’ESPACE PUBLIC SUBSAHARIEN : ENTRE LIBERTÉS D’EXPRESSION ET COMMUNICATIONNELLE

Faloukou DOSSO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

faloukou@hotmail.com

Résumé :

Aujourd’hui, les réseaux sociaux prennent activement part à la gestion de la société par la démocratisation de la communication et de l’information en influençant les décisions étatiques. Ainsi, les réseaux sociaux vont fertiliser l’espace public subsaharien en pleine mutation socio-politique et économique, en flexibilisant considérablement la liberté d’expression comprimée dans les canaux conventionnels ou traditionnels de communication et d’information. Il s’agit de briser la main basse sur la communication et l’information pour éradiquer toute monarchisation de la gestion de l’État grâce aux réseaux sociaux qui font effectivement obstacle à toute mutilation de la liberté en faisant barrage aux activités communicationnelles et informationnelles étriquées. Dans cette logique, ce texte se fixe l’objectif de démontrer que, bien que les réseaux sociaux distillent de vibrantes toxines communicationnelles et informationnelles, c’est en oscillant nécessairement entre les libertés d’expression et de communication que la dynamisation de toute vie sociétale subsaharienne sera une réalité.

Mots clés : Communication, Espace public, Information, Libertés, Réseaux sociaux.

Abstract:

Today, social networks take an active part in the management of society through the democratization of communication and information by influencing state decisions. Thus, social networks will fertilize the sub-Saharan public space in the midst of socio-political and economic change, by considerably flexing freedom of expression compressed in conventional or traditional channels of communication and information. It is a question of breaking the control over communication and information to eradicate any monarchization of the management of the State thanks to social networks which effectively obstruct any mutilation of freedom by blocking narrow communication and informational activities. In this logic, this text sets itself the objective of demonstrating that, although social networks distill vibrant communicational and informational toxins, it is by necessarily oscillating between freedoms of expression and communication that the dynamism of all societal life sub-Saharan Africa will be a reality.

Keywords : Communication, Public space, Information, Freedoms, Social networks.

Introduction

Les réseaux sociaux, sites Internet accessibles aux internautes via un navigateur Web, aux grands espaces de communication, de partage d’information, offrent la possibilité aux professionnels, aux particuliers d’être interconnectés, sans tenir compte de leur situation géographique. Dans ce monde virtuel, qui ne fait que se virtualiser de plus en plus, les médias sociaux, l’autre nom des réseaux sociaux, vont faciliter l’accès à l’information et à la formation, dynamiser la communication permettant aux citoyens de prendre part à la gestion de leur société. Ainsi, la gestion de la société n’est plus l’affaire de la société politique, l’élite au pouvoir.

À vrai dire, « la digitalisation du monde, accélérée par les réseaux sociaux, entraîne des mutations dans les conduites humaines qui font sauter définitivement un certain nombre de barrières, dont celle qui sépare la vie publique d’avec la vie privée » (R. Redeker, 2021, p. 15). Ainsi, le centre de gestion de la cité se déplace. La liberté d’expression ne parvient plus à faire barrage aux diverses activités communicationnelles, informationnelles sous l’épineuse bannière des canaux conventionnels de communication et d’information.

Bien qu’ils distillent de véritables toxines communicationnelles et informationnelles, les réseaux sociaux influencent les décisions de l’État et révolutionnent tout espace public. L’espace public subsaharien, en n’étant pas épargné par cette “virtualisation” du monde, est sans doute exposé au courroux de la gestion de l’État qui contrôle les canaux de diffusion de la communication et de l’information. Il se pose le problème de l’impact des réseaux sociaux sur le processus de démocratisation de la communication et de l’information dans un spécifique cadre où la liberté d’expression est, de plus en plus, étriquée. Comment les réseaux sociaux parviennent-ils à influencer les décisions de l’État dans la gestion de la société ?

En saisissant les réseaux sociaux dans leur volonté de dynamiser l’espace public, l’on comprend la nécessité de redimensionner le cadre de promotion de la liberté d’expression, de parole. Ainsi, pour influencer les décisions des États subsahariens dans leur espace public, n’est-il pas approprié que la démocratisation de l’information oscille entre les libertés d’expression et communicationnelle ? Ce qui importe, c’est la nécessité de se défaire du « politiquement correct » ventilé par la liberté d’expression en vue de faire la promotion de la liberté communicationnelle.

C’est dans les interstices des réseaux sociaux et dans leur capacité à révolutionner la communication et l’information dans la gestion de la société (1) que l’on peut dénoncer l’absolutisation de la gestion de l’État qui se déploie dans les réquisits de la liberté d’expression. C’est à la suite de la conceptualisation des termes du sujet que l’on évoquera l’influence des réseaux sociaux dans la dynamisation de l’espace public subsaharien (2). Il s’agit donc d’obstruer toute gestion absolutisante de la société pour la démocratisation de la communication, de l’information qui doit osciller impérativement entre les libertés d’expression et de communication. Les réseaux sociaux viennent dynamiser la vie sociétale subsaharienne (3).

1. Les réseaux sociaux et la gestion de l’espace public subsaharien

Les réseaux sociaux sont en constante évolution. De nouvelles tendances dans le monde de la communication et de l’information sont promues. Leur essor favorise la communication digitale, l’autre nom de la communication numérique qui prend de l’ampleur et pose le problème de la mainmise sur la communication et l’information, la question de la liberté d’expression. Cette situation vient bouleverser la communication et l’information, désorganiser franchement les canaux conventionnels et/ou traditionnels de déploiement de la société. Les réseaux sociaux ont leur mot à dire dans la gestion de tout espace public puisqu’ils arrivent à modifier, influencer toute prise de décision pour organiser la société. Il est question d’user des plateformes appropriées pour établir une stratégie de social média efficace.

1.1. Le monde de la communication et de l’information à l’ère des réseaux sociaux

Jamais sans doute, depuis l’avènement de la télévision et, plus récemment, au lendemain de l’implosion du système soviétique, les relations réciproques entre les médias et les sociétés n’avaient été aussi perceptibles. Jamais les influences réciproques n’étaient apparues avec une telle évidence entre les médias, anciens et nouveaux mêlés, et la nature du lien social, la façon dont la société se désigne elle-même, comme un Tout ou comme une association, comme unité organique (Gemeinschaft ou Corporate), ou bien comme Societas (Gesellschaft) ou (Partnership). (F. Balle, 2005, p. 617).

Le monde de la communication et de l’information a une influence perceptible sur la société à telle enseigne que l’on ne peut évoquer le terme de sociabilisation hors des médias qui déterminent la nature du lien social. Ce monde désigne la société comme un Tout, du Tout comme association, comme unité organique, comme Societas.

À vrai dire, « les médias constituent un pouvoir de gestion de la société (le quatrième dans les démocraties modernes). Leur déploiement communicationnel et informationnel obéit à de rigoureuses règles dépassant les prérogatives des discours médiatiques » (F. Dosso, 2021, p. 157) qui s’effritent là où « les conseillers en communication contrôlent aujourd’hui l’image des gouvernants comme des grands patrons et sont passés maîtres dans l’art de manipuler les journalistes et l’opinion » (A. Gorius et M. Moreau, 2013). Du coup, le monde de la communication et de l’information se constitue en un véritable espace de manipulation où tout est mis en place pour ventiler tout ce qui peut aider à contrôler monarchiquement la gestion de la société.

Les médias suivent ce que leur imposent leurs bailleurs de fonds et les conseillers en communication pour toujours engranger des intérêts et contrôler le monde de la communication et de l’information. Ainsi, ces “gourous”, l’autre nom des conseillers en communication, fonctionnent en oscillant entre les manipulations politiques et économiques en vue de contrôler les gouvernants et les patrons de presses. Aussi, « quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots » (A. Gorius et M. Moreau, 2013, p. 5). En effet, ce sont les réseaux sociaux qui mettent à nu la supercherie communicationnelle et informationnelle, promeuvent une manière de communiquer et d’informer qui ne respecte pas toujours les règles et les prérogatives des discours médiatiques. 

Avec les réseaux sociaux, le monde de la communication et de l’information traverse des zones de turbulence puisque les médias dits conventionnels et tout ce qui se rapporte à la communication sont mis en minorité dans l’obéissance aux règles et les prérogatives des discours médiatiques. La rapidité ou réactivité dans la diffusion ou rediffusion de l’information et la nécessité de communiquer facilement avec les autres de l’autre côté du monde sont des puissants éléments dans la balance communicationnelle, informationnelle, déployés en vue de concurrencer les médias conventionnels.

[À vrai dire,] les réseaux sociaux sur Internet sont des réseaux communautaires ; il s’agit d’infrastructures en ligne permettant de relier des personnes physiques et/ou morales entre elles afin de créer des échanges et d’engendrer des interactions. Les réseaux sociaux sont une forme particulière de médias sociaux, qui comprennent également les blogs, par exemple. Ces réseaux sociaux peuvent être de grande envergure, avec un espace personnalisé (un profit ou compte d’utilisateur sur une plateforme de médias sociaux) permettant de mettre en ligne à peu près tout ce que l’on souhaite, notamment ce qui relève de la sphère privée : MySpace, Facebook. (S. Montévrin, 2019, p. 8).

Les réseaux sociaux, médias sociaux ou réseaux communautaires, sont des espaces d’échanges en ligne, une interaction numérique entre des personnes physiques, morales pour communiquer, former, informer commercer, sociabiliser. Ces plateformes des médias sociaux vont mettre en ligne ce que l’on souhaite, l’on veut faire, ce que l’on veut entendre. Il existe plus d’une soixantaine (60) de réseaux sociaux dont les dix les plus usités sont : Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, WeChat, TikTok, Messenger, Snapchat, Douyin, Telegram.

Loin d’évoquer l’importance des utilisateurs afin d’un classement qui évoque ceux qui sont les plus usités, il faut s’en tenir à leur force de frappe, de diffusion qui vient mettre en grande difficulté les médias d’État sur la voie de la monopolisation de la communication et de l’information.

1.2. Les médias d’État et la monopolisation en question

L’État désigne les institutions de décisions qui fonctionnent sur un territoire donné en vue de le contrôler et assujettir tout sous son autorité. L’État affiche son autorité au-dessus de toute autorité en imposant ses appareils répressifs (Police, Tribunal, Armée, Prison, Administration) et idéologiques (l’École, l’Université et les Institutions d’État qui assurent la reproduction principielle de la société bourgeoise au pouvoir). Il s’agit d’obstruer toute velléité d’insoumission et d’éviter qu’aboutisse l’attitude fondamentalement révolutionnaire de la classe ouvrière qui est soumise à l’idéologie bourgeoise.

[Sans doute,] l’État est, entièrement quant à son origine, et presque entièrement quant à sa nature pendant les premiers stages de son existence, une organisation sociale imposée par un groupe vainqueur à un groupe vaincu, organisation dont l’unique but est de réglementer la domination du premier sur le second en défendant son autorité contre les révoltes intérieures et les attaques extérieures. Et cette domination n’a jamais eu d’autre but que l’exploitation économique du vaincu par le vainqueur. (F. Oppenheimer, 1913, p. 6).

Le meilleur fonctionnement de l’État doit aller de pair avec celui des médias d’État et/ou les médias gouvernementaux. Aucun État ne se déploie sans des médias, à son entière disposition, qui, en réglementant sa domination, font passer les informations qui épousent sa dynamique, s’assurent que tout est sous son contrôle. Les médias gouvernementaux s’approprient la télévision et le cinéma, la presse écrite, la radio, Internet, l’affichage, ces cinq supports pour assurer la bonne marche de l’État sans omettre les technologies de l’information et de la communication. L’État détient les moyens de communication et d’information nécessaires pour imposer son autorité, diffuser les informations et avoir une emprise sur la cité. Sans doute, il est question d’accompagner sa gestion du territoire et imposer son emprise sur tout ce qui se passe dans sa zone d’influence ; d’où la nécessaire promotion d’une liberté d’expression qui se déploie dans les méandres du politiquement correct. 

1.3. La liberté d’expression dans les méandres du « politiquement correct »

« La liberté d’expression n’a pas le caractère d’évidence qu’elle avait auparavant, parce que nous sommes conscients du rôle qu’ont joué les journaux, les caricatures et les stéréotypes dans la préparation du pire ». (D. Ramond, 2018, p. 16). En effet, la liberté d’expression, dans les limites du « politiquement correct », est un « objet juridique » qui occupe une place prépondérante dans les systèmes juridiques qui favorisent sa dynamique puisqu’elle ne conteste pas les normes, ni ne les discute.

La liberté d’expression n’est pas seulement une liberté fixée par le droit, mais également un principe et un ensemble de pratiques qui, souvent, précèdent le droit existant, le bousculent et contribuent à le faire évoluer. Son histoire, faite d’à-coups et de coups de force, est tout sauf pacifique et linéaire ; elle est le fruit de procès et de conflits violents. Chaque fois surviennent des questions que les lois seules ne peuvent trancher : quelles sont les limites du dicible et du représentable ? Que faire des formes d’expression qui ne sont pas encore autorisées, mais pourraient le devenir ? (D. Ramond, 2018, p. 9).

En effet, la liberté d’expression oscille entre le droit et les pratiques qui précèdent le droit existant. Sa fonction politique la maintient dans les limites « déterminées par la loi ». L’article 11 de la Déclaration stipule ceci : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La liberté d’expression se tient sur la crête de l’acceptable et de l’inacceptable en limitant ce qui peut être dit et représenté. « Longtemps pensée comme une limite au pouvoir de l’État afin de garantir le pluralisme, cette liberté est dorénavant brandie pour lutter contre les prétentions des minorités à obtenir de la reconnaissance sur la scène publique » (D Ramond, 2018, p. 11). Ce qui importe avec la liberté d’expression, c’est d’amener de la sérénité là où règne le pathos. En effet, les propositions à défendre pour révéler qu’il est difficile de parler de liberté d’expression sont :

1. On peut concevoir des limites claires et cohérentes à la liberté d’expression.

2. Défendre la liberté d’expression au nom de ses conséquences positives est inutile, voire contre-productif.

3. La seule raison valable de limiter la liberté d’expression réside dans ses conséquences négatives éventuelles.

4. Ces conséquences s’évaluent toujours sur un récepteur hypothétique.

5. Il est justifié de punir les atteintes aux personnes, en particulier à leurs appartenances, il est injustifié de punir les atteintes aux préférences.

6. On peut distinguer les stéréotypes, d’un côté, et le fait de désigner des ennemis, de l’autre. (D. Ramond, 2018, p. 11-12).

Les pensées dissidentes qui sont en faveur du progrès et le crédit qu’il faut accorder à une opinion vraie sont des raisons qui vont pousser à défendre la liberté d’expression autour du “politiquement correct“. En effet, « parler de « politiquement correct » fait moins peur que parler de « moralement correct ». La vérité, bien entendu, est qu’il n’y a pas à choisir entre politique et morale. Nous avons besoin des deux, mais la morale est toujours plus exigeante que la politique ». (A. Feertchak, 2016, p. 47).

[Le politiquement correct ne peut qu’être] la tyrannie des bons sentiments, de la morale qui prétend s’appliquer hors de son ordre. Le politiquement correct, toutefois, n’est pas l’expression de la majorité. C’est l’un de ses paradoxes. Le politiquement correct relève de la pensée dominante, mais celle-ci est le fait d’une ou de plusieurs minorités qui ont réussi à s’imposer, notamment dans les médias. Le politiquement correct, pour le dire autrement, ce n’est pas la doxa, l’opinion courante, mais la paradoxa dominante, le contraire de ce que pense la majorité, érigé en position dominante. (A. Feertchak, 2016, p. 11).

Pour éviter de s’enfermer dans une définition plus rigide, l’« on appellera « liberté d’expression » le fait de diffuser un message au sens large (théorique, artistique, satirique, littéraire, descriptif) par des mots, des images, des symboles ou des attitudes. En somme, les comportements qui injectent du sens et des formes dans le monde » (D. Ramond, 2018, p. 46). La liberté d’expression se soucie de donner du sens et des formes dans le monde. Parler, discourir, communiquer ou s’exprimer et opter pour le bien public assurent l’échange d’idées, privilégient les diverses formes d’expression les plus vulnérables à la censure. Il est question donc d’offrir un mécanisme approprié de limitation de la liberté d’expression.  

« Dans l’histoire de la pensée politique, la liberté de parole n’est pas une liberté comme les autres ; elle aurait déclenché le mouvement grâce auquel les sociétés modernes sont sorties de l’obscurantisme ». (D. Ramond, 2018, p. 34). La liberté d’expression fait partie de la liberté de parole qui n’est pas comme les autres puisqu’elle se déploie entre « parler, discourir, communiquer ou s’exprimer ». (D. Ramond, 2018, p. 34). La posture de libération de la parole prend une autre tournure à l’ère de la floraison des réseaux où les agences étatiques de régulation du monde audio-visuel ne parviennent plus à cerner la vitesse de diffusion de la communication et de l’information. L’espace public, subsaharien, est attiré par une diffusion communicationnelle et informationnelle flexible faisant profiter ses citoyens de tout ce qui se passe de l’autre côté de la planète dans les plus brefs délais. Tout est rapidement connu et su par les citoyens d’un bout à l’autre du monde.

À vrai dire, la dynamisation de tout espace public, y compris celui subsaharien, doit assurer la défense de la liberté d’expression des autres. La liberté d’expression se déploie dans les méandres du “politiquement correct” et prend une autre tournure à l’ère de l’essor des réseaux sociaux. En oscillant entre la pluralité, la conflictualité et la pratique autoritaire, la liberté d’expression fait la promotion de la civilisation occidentale, de l’occidentalisation de la liberté. Ainsi, « la liberté d’expression court le risque d’être de plus en plus perçue comme déséquilibrée et hypocrite, et de ne plus susciter l’enthousiasme de quiconque » (D. Raimond, 2018, p. 191) à l’ère de l’essor des réseaux sociaux qui arrivent à influencer tout espace public.

2. Les réseaux sociaux et l’espace public, subsaharien

[Les réseaux sociaux permettent] aux gens de se rencontrer et de rompre avec l’isolement social. Mieux, [ils favorisent] le désenclavement. Dans certaines localités du monde rural, loin des grandes agglomérations ou des pôles urbains, les utilisateurs voient les limites géographiques s’effacer grâce aux nouvelles technologies. Le temps est également réduit. Immédiateté, instantanéité, on peut contacter quelqu’un ou se tenir informé d’un événement dans la minute. On gagne également du temps car les réseaux sociaux permettent la centralisation des informations. (S. Montévrin, 2019, p. 15).

En effet, l’espace public subsaharien est devenu celui de la rupture avec l’isolement social en favorisant le désenclavement informationnel et communicationnel. Cela sous-entend que les limites géographiques vont s’effacer grâce aux nouvelles technologies de la communication et de l’information. C’est ainsi que les réseaux sociaux vont permettre à tout espace public d’aller immédiatement et instantanément à l’information en servant de contrepoids à la monopolisation de la communication et de l’information qui est assurée par les autorités étatiques de régulation de l’information et de la communication. Du coup, la fin, en tant qu’objectif, des réseaux sociaux, réside dans la fin, en tant qu’achèvement, de l’État pour la diffusion de la communication et de l’information.

2.1. Les réseaux sociaux et la nouvelle diffusion des informations et de la communication

Avec les réseaux sociaux, un pan de fonctionnement de l’État va être en grande difficulté dans sa volonté de faire profiter à sa population, à la société sa capacité communicationnelle et informationnelle. Il est question de cette initiative de l’État qui tue toute individualité, fait perdre le sens de l’individu.

La perte du sens de l’individu, en obstruant le jeu des possibles à tous dans la compétition de la vie et la mise en place d’une société fermée à tout épanouissement des individualités, n’est qu’un réel indicateur d’enfermement « dans les communautarismes et autres collectivismes verts, rouges ou bruns qui détruisent la liberté et la responsabilité et mènent volontiers au terrorisme » (J.-P. Delsol, 2015, p. 42) ou bien à la profusion des usagers des réseaux sociaux. Du coup, les médias sociaux vont envahir communicationnellement le monde de la communication de l’information et handicaper le fonctionnement des canaux conventionnels et/ou traditionnels de diffusion en posant l’épineux problème de la liberté d’expression. L’avènement des réseaux sociaux permet ainsi de sortir « de la parole unique et unilatérale » (J.-P.- Delsol, 2015, p. 47). Cela sous-entend que les réseaux sociaux font naître l’autre catégorie de diffusion des informations où des fonctions prennent forme et/ou agissent sur les prises de décision de la société politique, l’élite au pouvoir.

Les réseaux sociaux influencent les manières de penser et d’agir des citoyens en les modelant. Ils imposent leurs dictas à l’espace public, y compris celui subsaharien. En effet, « les réseaux sociaux portent en eux un potentiel social qui est utilisé par les jeunes pour tester leurs identités, les affermir ou s’en écarter » (P. Adico, 2018, p. 211). L’on comprend la floraison d’influenceurs, selon leur ligne éditoriale, de cyber-activistes selon leur appartenance aux partis politiques qui ont un impact considérable sur l’espace public subsaharien. « Le danger d’une fuite de la réalité est ici à souligner et peut conduire à une exposition de l’identité à d’autres phénomènes qui ne laissent pas indifférents » (P. Adico, 2018, p. 216). En effet, une posture déviationniste des réseaux sociaux voit le jour et expose l’identité à des phénomènes, à ce qui ne se lasse pas, ne laisse pas indifférent. Les réseaux sociaux ne font que favoriser un type d’exhibitionnisme qui est récompensé par le nombre de vues.

Une logique de récompenses liée au nombre de vues cristallise la volonté de se faire entendre. Les questions de pudeur et de sociabilisation vont entrecroiser celles de liberté d’expression, de parole. Un monde des réseaux sociaux se crée et rend difficile la posture régalienne de l’État de vouloir contrôler les acteurs qui influencent l’espace public subsaharien. « Les réseaux, dans leur logique de tout mettre à nu, dépossèdent l’intime de ce qu’il comporte de personnel pour en faire un conformisme ». (A. D. Agbessi, 2018, p. 227). En effet, les réseaux sociaux, bien qu’ils distillent des toxines, vont actionner la démocratisation de la communication et de l’information.

2.2. Les réseaux sociaux et la démocratisation de la communication, de l’information

Le monde de la communication et de l’information connaît une côte de popularité à l’ère de l’émergence des réseaux sociaux qui le poussent à se donner les meilleurs moyens de se faire entendre et d’influencer la société politique. Cela sous-entend que les réseaux sociaux bouleversent les données communicationnelles et informationnelles dans l’optique de promouvoir la communication numérique. Ainsi, bien qu’ils distillent des toxines communicationnelles, les réseaux sociaux vont démocratiser la communication et l’information en générant « de nouvelles façons de communiquer, de se parler, d’écrire » (O. Goré, 2018, p. 25), d’informer et de s’informer. L’on parle de nouvelles transparences où tout se révèle à une vitesse éclaire, rapidement. Ce sont les réseaux sociaux qui vont alimenter le monde de la communication et celui de l’information, en faisant la promotion de nouvelles transparences.

À vrai dire, « les nouvelles transparences facilitent l’accès et la diffusion de l’information dont on sait qu’elle est au centre d’importants enjeux de pouvoir, fragilisant ainsi la posture des « chefs » qui en étaient les détenteurs quasi exclusifs » (C. Arouna, 2018, p. 121). Avec plus d’une soixantaine de réseaux sociaux dans le monde de la communication et de l’information, il est difficile pour des « chefs » d’avoir l’exclusivité de l’information et de la communication au centre d’importants enjeux de leur pouvoir. Sans doute, la puissance de pénétration des réseaux sociaux laisse entrevoir la vive volonté de contourner les canaux conventionnels d’information et de communication qui manifestent l’intention de détenir l’exclusivité de la communication et de l’information.

Avec les réseaux sociaux, l’on peut parler de la naissance d’une gestion communicationnellement ouverte de la société, de l’espace public, y compris l’espace public subsaharien. « Les réseaux sociaux forment des parcs humains, certes; mais des parcs où l’égalité règne ». (R. Redeker, 2021, p. 186). Bien qu’ils présentent un visage bouillant et/ou brouillant où tout est ignoré, « les différences de richesses, d’éducation, de culture, de compétence, d’intelligence, de maturité, de race » (R. Redeker, 2021, p. 186), les réseaux sociaux promeuvent des standards d’égalité et de légitimité qui sont des filtres à censure. Ils ne prônent que des aptitudes de dynamisation de la gestion de la société puisque « supprimer la misère, alléger [fondamentalement] l’exploitation des hommes les uns par les autres, n’est aucunement leur affaire. Non économique et non sociale, cette conception de l’égalité est avant tout biologique ». (R. Redeker, 2021, p. 188). Les réseaux sociaux sont loin d’être des vecteurs d’éradication de l’exploitation de l’homme par l’homme. La question de la misère, de la lutte contre la misère n’est pas leur élément constitutif. En effet, le social des réseaux sociaux tourne autour du comment développer l’interaction sociale, se constituer un réseau de connaissances, d’amis ou de relations professionnelles en vue d’interagir en temps réel.

Toutefois, il est bon de retenir que les réseaux sociaux représentent « une chance encore mal exploitée : entre représentation, désincarnation, entre-soi et autopromotion, le sens de la communauté est sans doute à peaufiner » (S. Montévrin, 2019, p. 22). Ils ont encore quelque chose à donner dans la dynamisation de tout espace public.

3. Pour un espace public subsaharien plus dynamique : de la liberté d’expression à la liberté communicationnelle

Les réseaux sociaux sont de l’ordre de « cette « nouvelle modernité » [qui] croit au progrès, au marché et à la liberté. L’avenir de l’avenir, c’est alors l’expression de la liberté de commencer, de penser, de posséder, d’échanger, de voter » (J. Attali, 2015, p. 13). Une ère d’expression voit le jour, au-delà de la liberté d’expression. La dynamique de l’espace public subsaharien ne peut se déployer qu’entre les libertés d’expression et communicationnelle.   

3.1. Les réseaux sociaux entre la liberté d’expression et la liberté communicationnelle

La liberté d’expression, sur la sellette à l’ère des réseaux sociaux, demande que l’on s’ouvre à la liberté communicationnelle. Il faut lier la notion de publicité à l’espace public pour obtenir un monde de liberté où c’est la raison qui éclaire les hommes, le monde jusqu’aux strates les plus reculées. En démocratie, la voix de la majorité compte en tenant compte de celle des minorités. Toutefois, les réseaux sociaux vont se constituer en le porte-flambeau des minorités. Cela sous-entend que les réseaux sociaux sont, non seulement pour les minorités, mais surtout « un outil proprement démocratique, créateur de démocratie » (S. Montévrin, 2019, p. 46). Les réseaux sociaux sont un outil de démocratisation parvenu à étouffer la liberté d’expression étant donné que cette dernière s’apparente à une pratique autoritaire.

Ce qui importe, c’est « de faire échapper la liberté d’expression au triste sort qui lui est réservé dans l’actualité politique et médiatique » (D. Ramond, 2018, p. 190). Il s’agit donc de garantir et rendre compatibles les libertés subjectives en vue de recourir à la liberté communicationnelle qui est comprise « comme la possibilité, mutuellement présupposée dans l’activité orientée vers l’intercompréhension, de prendre position sur les énoncés d’un vis-à-vis et sur les exigences de validité ainsi émises, qui dépendent de la reconnaissance intersubjective » (J. Habermas, 2012, p. 136).

La liberté communicationnelle intègre une attitude performative entre les citoyens en leur permettant de se déployer sur la base du respect des actes de paroles entre la vérité, la sincérité et le consensus. La liberté communicationnelle exige des acteurs d’avoir recours aux énoncés qui constituent simultanément les actes auxquels ils se réfèrent. Il faut créer une relation interdépendante et/ou intersubjective liant les acteurs de la sociabilisation consensuelle de la société à des obligations illocutoires. Elle favorise ainsi une relation intersubjective entre les médias légitimés par une autorisation à usage public et leurs divers champs d’influence.

[En effet,] de la même manière que la liberté communicationnelle est, avant toute institutionnalisation, référée aux conditions d’un usage du langage orienté vers l’intercompréhension, l’autorisation quant à un usage public de la liberté communicationnelle dépend des procédures et des formes de communication assurées par le droit dans lesquelles les processus de délibération et de décision peuvent se dérouler. (J. Habermas, 2012, p. 145).

En effet, la liberté communicationnelle améliore l’espace public en cautionnant les acteurs à favoriser une attitude performative les uns avec les autres. Il faut leur permettre de s’entendre, d’attendre l’un de l’autre des prises de position en vue d’une intercompréhension réciproquement émise. C’est dans une interaction consensuelle entre les réseaux sociaux et la société politique que les décisions vont dynamiser la gestion de la société subsaharienne. Cela sous-entend que la quête du consensus doit favoriser une interaction entre les réseaux sociaux et la société politique.

3.2. L’interaction consensuelle entre les réseaux sociaux et la société politique

[L’Afrique noire] progresse par petites touches une conception de l’avenir où le progrès matériel est reconnu comme projet d’avenir ; la raison y impose peu à peu deux mécanismes de gestion de la rareté dans la liberté : le marché et la démocratie. L’un pour les biens privés, l’autre pour les biens publics. S’impose doucement l’idée que l’homme naturellement bon, qu’il a droit au progrès matériel, et que, s’il ne suit pas le chemin de la vertu, c’est qu’il est victime d’une mauvaise organisation de la société. (J. Attali, 2015, p. 81).

L’Afrique noire est loin d’être à la traine civilisationnelle à l’ère des réseaux sociaux puisque l’occasion lui est donnée de se faire entendre et d’attendre le son de socle de la révolution pour profiter de son printemps qui n’est pas encore effectif. Loin de demeurer la victime d’une mauvaise organisation de la société, l’Afrique noire va se donner les moyens de juguler les crises communicationnelles et informationnelles, d’améliorer les autonomies privée et publique. C’est sur la base d’autonomisation communicationnellement maîtrisée que l’espace public subsaharien va emprunter le chemin de la vertu favorable au printemps subsaharien qui sera alimenté par l’essor des réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux permettent de fédérer une partie du peuple autour d’une cause commune et de générer des mobilisations, voire des révolutions. Si tout ce qui se passe sur la Toile est virtuel, l’impact peut-être bien réel ! Les réseaux sociaux ont donc un effet levier sans précédent aujourd’hui, comme le furent en leur temps le livre imprimé, les journaux, la radio ou la télévision. Les médias jouent un rôle puissant dans la société en diffusant les informations et en délivrant leurs idées (ce n’est pas pour rien que les dictatures musellent tous les organes de presse). Dans un monde 2.0, les réseaux sociaux sont incontournables. (S. Montévrin, 2019, p. 46).

Ce qui importe à l’espace public subsaharien, c’est la nécessité de stimuler une interaction communicationnellement consensuelle aux fins de lui donner les aptitudes à la consolidation de sa société citoyenne. C’est avec les réseaux sociaux que des balises d’actions ou de réactions vont attirer l’attention de la société politique qui n’aura d’autres choix que de rationaliser ses prises de décisions. C’est ainsi que les piliers juridiques de discussion vont préserver les droits des citoyens, sociétaires juridiques légitimés par les droits politiques fondamentaux. Cela sous-entend que la liberté communicationnelle se forme, consolide la volonté et l’opinion publiques. Il s’agit de préserver les droits des citoyens.

Autrement dit, les droits politiques fondamentaux égaux pour tous résultent d’un accès symétrique à la juridicité de la liberté communicationnelle de tous les sociétaires juridiques ; or celle-ci exige, de son côté, que la formation de la volonté et de l’opinion au moyen de la discussion s’effectue sous des formes telles qu’elle permette un exercice de l’autonomie politique préservant les droits des citoyens. (J. Habermas, 2012, p. 145).

Conclusion

En définitive, les réseaux sociaux, en accélérant cette digitalisation du monde qui entraîne de profondes mutations dans la conduite des êtres humains, font sauter des barrières de sociabilisation rapprochée faisant qu’il est très difficile de faire passer l’espace public subsaharien hors de l’espace privé et vis-versa. La gestion n’est plus une affaire de minorité, de société politique, l’élite au pouvoir.

Les réseaux sociaux influencent considérablement l’État, la société politique en rationnalisant leurs prises de décisions. Il est sans doute impératif que la liberté d’expression fusionne raisonnablement avec la liberté communicationnelle en vue de faire des sociétaires juridiques des citoyens aguerris à l’argumentation, à la discussion. Ce qui importe ici, c’est la nécessité d’aboutir au consensus raisonnable en désorganisant les canaux conventionnels de communication et de l’information, en modifiant les décisions et/ou les prises de décisions de la société politique dans une société où tout citoyen n’est qu’un sociétaire juridique. Ainsi, l’usage des plateformes discursives va permettre d’établir une stratégie de social média efficace.

Les réseaux sociaux permettent de rompre avec l’isolement social pour le désenclavement puisque les limites géographiques vont s’effacer grâce aux nouvelles technologies de la communication et de l’information. C’est ainsi que les réseaux sociaux vont parvenir à influencer l’espace public subsaharien en servant de contrepoids à la monarchisation de la communication et de l’information par les autorités de régulation qui sont assignées à la tâche. Ainsi, la fin des réseaux sociaux va résider dans l’achèvement des médias d’État. D’où leur mise à jour dans la diffusion de la communication et de l’information.

Avec les réseaux sociaux, la « nouvelle modernité » croit au progrès, au marché, à la liberté, à la liberté de commencer, de penser, de posséder, d’échanger, de voter. Une ère d’expression va voir le jour au-delà de la liberté. La dynamique de tout espace public doit se déployer entre les libertés d’expression et communicationnelle où des sociétaires juridiques optent pour le consensus rationalisant dans un cadre d’argumentation, de discussion.

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LA DÉMOCRATIE BURKINABÈ À L’ÉPREUVE DES RÉSEAUX SOCIAUX : CAS DES CHANGEMENTS DE RÉGIMES DE 2014 À 2022 AU BURKINA FASO

Sidibeouendin SAOUADOGO

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

benoitsaouadogo79@gmail.com

Résumé :

Au Burkina Faso, les réseaux sociaux ont connu un développement spectaculaire avec l’insurrection populaire de 2014. Il est indiscutable qu’ils ont participé à la diffusion et à la propagation rapide de l’information mais, force est de reconnaître que les réseaux sociaux ont toujours été un moyen de déstabilisation de régimes au Burkina Faso. Par cela, les réseaux sociaux jouent un double rôle dans la démocratie en Afrique et au Burkina Faso en particulier.

L’objectif du présent article est d’analyser l’impact des réseaux sociaux sur la démocratie Burkinabè. Autrement, c’est de montrer comment la communication sur les réseaux sociaux participe à l’enracinement de la démocratie au Burkina Faso mais, aussi comment ils contribuent au bouleversement de l’ordre démocratique. C’est pourquoi, pour l’élaboration de notre problématique, nous nous sommes posés les questions suivantes : En quoi les réseaux sociaux renforcent-ils ou affaiblissent-ils la démocratie au Burkina Faso ? Quels sont les acteurs de la communication sur les réseaux sociaux ? Quel est le code et le message de cette communication ? Quels sont les fonctions de cette communication des réseaux sociaux ?

Pour aboutir aux résultats escomptés, nous avons procédé par des enquêtes sur trois grandes villes du pays (Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Ouahigouya) où nous avons pu interroger plusieurs personnes et une recherche documentaire sur les événements qui se sont déroulés dans notre pays de 2014 à 2022. Ces méthodes seront utilisées à travers la théorie de la communication de Roman Jakobson.

Mots clés : Burkina Faso, Changement, Communication, Démocratie, Réseaux.

Abstract:

In Burkina Faso, the social networks have had a great infatuation since the uprising of 2014. It is indisputable that they played a great role in the diffusion and the rapid flow of information, but we must also recognize that the social networks have always been the means by which governments have been overthrown in Burkina Faso. Because of (those) / (the above) reasons, the social networks play a dual role in African countries democracy and particularly in Burkina Faso.

The objective of this document is to analyze the impact of the social networks on the democracy of Burkina Faso. Otherwise, it is to show how social networks are of great help for democracy in Burkina Faso, but also how they contribute to the upheaval of democracy. That is why, to deal with the problem, we asked ourselves the followings questions: At what extent do social networks strengthen or weaken democracy in Burkina Faso? Who are the communicators on the social networks? What is the code and the message of this communication? What are the objectives of this communication?

To succeed in answering the questions, we proceeded by surveys on three large cities of the country (Ouagadougou, Bobo Dioulasso, and Ouahigouya) where we interviewed many people and conducted a research on the events that happened (occurred) in our country from 2014 to 2022. These methods will be used with respect to the communicative theory of Roman Jakobson.

Keywords : Burkina Faso, Changes, Communication, Democracy, Networks.

Introduction

De l’histoire du Burkina Faso, le pays a connu plus de régimes militaires que de régimes civils. Les seuls régimes civils que le pays a connus sont celui de Maurice Yaméogo de 1960 à 1966, de Michel Kafando en 2014 et Rock Marc Christian Kabore de 2015 à 2022.

Notons que c’est à partir de 2014, que le phénomène des réseaux sociaux a pris de l’ampleur dans notre pays et a contribué énormément à la réussite de l’insurrection populaire.

L’avènement des réseaux sociaux dans le paysage démocratique présente un couteau à double tranchant ; car, si l’utilisation des réseaux sociaux enrichit la démocratie burkinabè, notons aussi que sa mauvaise utilisation déstabilise les régimes démocratiques.

En rappel, au Burkina Faso, c’est 1,6 millions d’utilisateurs actifs des médias, 34% des utilisateurs internet et en croissance de+414 mille utilisateurs d’une année à l’autre ; soit 7,8% de la population selon le rapport de la CIL de janvier 2020. Ce système de communication a pris de la forme et souvent est auteur de déstabilisation des régimes avec la mauvaise communication de certains utilisateurs.

La mauvaise communication des réseaux sociaux dans notre pays constitue un frein à l’ancrage de la démocratie. Le présent article a pour objectif de montrer la place et le rôle des réseaux sociaux dans l’ancrage démocratique au Burkina Faso. Pour parvenir aux résultats, nous procèderons par des enquêtes qualitatives dans trois villes du Burkina à savoir Ouagadougou, Bobo Dioulasso et Ouahigouya. Mais avant, élucidons quelques concepts clés qui participeront à la compréhension de notre travail.

Étymologiquement, le mot démocratie vient du grec ancien démos, peuple, population d’un pays (mais aussi le territoire appartenant à une communauté), et kratos, pouvoir, autorité. La démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu’il y ait de distinctions dues à la naissance, la richesse, la compétence… (principe d’égalité). En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s’exerçant par l’intermédiaire de représentants désignés lors d’élections au suffrage universel.

Autrement, la démocratie désigne à l’origine un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques par le vote. Elle est un système politique dans lequel la souveraineté est attribuée aux citoyens qui l’exercent de façon directe. Pour dire tout simple, la démocratie est la gouvernance du peuple par le peuple.

Abordant le terme « réseaux sociaux », c’est l’anthropologue australien John Arundel Barnes qui a introduit le mot « réseaux sociaux » pour la première fois en 1954. Un réseau social est un site internet ou une application mobile permettant de développer des interactions sociales, de se constituer un réseau de connaissances, d’amis ou de relations professionnelles, avec lequel on interagit en temps réel.

En sciences humaines et sociales, l’expression réseau social désigne un agencement de liens entre des individus ou des organisations constituant un groupement qui a un sens : la famille, les collègues, un groupe d’amis, une communauté.

Dans l’usage habituel « réseaux sociaux », renvoie généralement à celle de « médias sociaux » qui recouvre les différentes activités qui intègrent technologie, interaction sociale entre individus ou groupes d’individus, et la création de contenu. Au Burkina Faso, les réseaux sociaux les plus utilisés sont Facebook, WhatsApp, Instagram et Twitter.

1. Méthodologie

Pour aboutir aux résultats, nous avons adopté la méthode d’enquête quantitative appuyée d’une recherche documentaire.

Comme zone d’étude, nous avons choisi les villes de Bobo-Dioulasso, Ouagadougou et Ouahigouya. Le choix de ces trois villes est motivé par plusieurs raisons. Ouagadougou et Bobo-Dioulasso sont les deux plus grandes villes du pays où le plus grand nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux y résident. Pour la ville de Ouahigouya, son choix est motivé par le fait qu’elle est une ville politique qui a connu d’éminents hommes politiques de notre pays.

Pour notre travail d’enquête, nous nous sommes intéressés aux jeunes, aux personnes âgées, tout sexe confondu. Le travail d’enquête a consisté à recueillir les avis des uns et des autres sur l’apport des réseaux sociaux dans la démocratie aux Burkina Faso. Pour cela nous avons interrogé 20 personnes par villes soit un total de 60 enquêtés.

1.2. Approche théorique

Roman Jakobson fait partie des premiers linguistes à suggérer un schéma de la communication. Il a proposé un schéma dans lequel toutes les variétés de fonction du langage sont étudiées.

Contexte

Destinateur message Destinataire

Canal

Code

À partir du schéma de la communication de Roman Jakobson, nous constatons qu’un aperçu sommaire porte sur les facteurs constitutifs de tout « procès linguistique », de tout acte de communication verbale.

Le destinateur envoie le message au destinataire. Pour être opérationnel, le message requiert premièrement un contexte auquel il renvoie, un contexte saisissable par le destinataire, et qui est, soit verbal ou susceptible d’être verbalisé ; ensuite, le message requiert un code, commun, en tout ou au moins en partie. Enfin, le message requiert un contact, un canal physique et une connexion psychologique entre le destinateur et le destinataire, contact qui leur permet d’établir et de maintenir la communication (Roman Jakobson, 1963, p. 213-214).

Roman Jakobson va plus loin en montrant que chaque facteur de la communication est rattaché à une fonction. Il y a selon lui six fonctions que nous allons voir sous l’angle de la communication des réseaux sociaux. Nous analyserons la communication sur les réseaux sociaux en nous basant sur le plan de communication établi par Roman Jakobson.

2. Présentation des résultats

2.1. Historique des réseaux sociaux

Mark Zuckerberg, patron de Facebook dont la fortune s’élève à 112 milliards en 2021 est souvent désigné comme le père fondateur du concept de réseau social. Pourtant ce n’est pas lui qui l’a inventé. La chronologie de création des réseaux sociaux s’est déroulée comme suit :

1997 : Création de sixdegrees.com, considéré comme le premier réseau social. Sur ce site on peut créer une page profil, se constituer un réseau et envoyer des messages à ses contacts.

1999 : Naissance de MSN (outil de discussion entre internautes rebaptisé Windows, live Messenger) et de bloggeur (une plateforme de blog sur laquelle chacun peut poster ce qu’il veut : textes, article, photos, vidéos).

2000 : Création du site hot or not hot qui était un site ou les internautes pouvaient noter les photos d’autres utilisateurs.

2002 : Création de Friends ter et de Myspace.

2003 : Mark Zuckerberg crée Facemash qui deviendra ensuite Facebook en 2005 pendant que 2 autres sites de partage de photos Flickr et Photobucket sont lancés.

2005 : YouTube publie sa première vidéo.

2006 : Twitter, plateforme de microblogging sur laquelle on publie des micro-messages appelés « tweets » est lancé ; la même année, la plateforme de mise en relation entre professionnels Linkedlin connaît enfin le succès bien que lancé en 2002.

2010 : Un Américain et un Brésilien fondent Instagram, réseau social, dédié au partage des vidéos et de photos.

2011 : Snapchat, application créée par deux jeunes étudiants de Stanford, apparaît dans le catalogue de l’Apple store (puis en 2012 Sur Android).

2017 : Tiktok arrive sur les marchés situés en dehors de chine. Cette application dédiée au partage de vidéos est déjà utilisée par les Chinois depuis 2016 sous le nom de Douyin.

2.2. Les acteurs des réseaux sociaux

Sur Facebook, on a longtemps parlé de fan, en référence aux fans d’une page. On parle de plus en plus de followers dorénavant. Un terme qui est également appliqué sur Instagram et Twitter. Youtube parle lui, d’abonnés ou « suscribers » en anglais. Chez LinkedIn, on est un contact lorsqu’on a une relation directe avec le compte concerné mais l’on peut aussi être un abonné ou followers lorsqu’on suit juste un contact. Cependant, pour notre cas d’étude, nous prendrons les utilisateurs des réseaux sociaux en deux groupes : les activistes et les amateurs. Les activistes sont les lanceurs d’alertes qui sont plus connus et les amateurs qui ne font que suivre les informations. Selon le rapport de Burkina Digital Report (BDR) sur les Médias sociaux de 2022, le pourcentage des utilisateurs de Facebook est de 94,31% ; Twiter 3,29% ; Youyube 1,15% ; Instagram 0,29% ; Pinterest 0,82% ; Linkedln 0,05%.

2.3. Les activistes

Un activiste est quelqu’un qui pratique l’activisme. C’est un engagement privilégiant l’action directe, pouvant aller jusqu’à braver la loi. Les activistes dénoncent les injustices, la mauvaise gouvernance, la corruption etc. Au nom de la liberté d’expression, ils occupent les réseaux sociaux avec des informations tous azimuts. Ils sont aussi des désinformateurs et de propagandistes de fausses informations.

Au Burkina Faso, il existe une multitude d’activistes. Mais les activistes les plus reconnus sont Ibrahim Maiga, Aminata Rachow, Naim Touré, Wendpouire Charles Sawadogo. Ce sont des activistes très suivis sur les réseaux sociaux.

2.4. Les amateurs

Les amateurs sur les réseaux sociaux sont ceux qui s’abonnent sur les pages des activistes ou des médias en ligne pour suivre les informations. Ils sont les plus nombreux sur la toile. Généralement ils réagissent souvent suite aux publications des activistes pour donner leur point de vue ou pour rétablir une vérité.

3. Les systèmes de manipulation

3.1. Avec les fakes news

Le phénomène des fake news ou fausses informations n’est pas nouveaux. Sous la forme de rumeurs ou d’informations montées de toute pièce, il a toujours existé dans l’horizon socio politique burkinabè. Les fausses informations peuvent influencer l’issue d’une élection. Par exemple, en 2O14 dès les premiers moments de l’insurrection populaire, une fausse rumeur courait sur les réseaux sociaux que les militaires ont tué une dizaine de personnes dans la cour de François Compaoré. Cette rumeur à révolté la population qui est allée vandaliser toute la maison. Tout récemment, Alassane Conombo, un activiste burkinabè vivant aux USA postait ceci sur sa page Facebook : « Vous êtes tous assis entrain de laisser IB vendre le pays aux maliens ! il a quelle légitimité pour signer des alliances avec le Mali ? Est-il un président élu ? Est-il le choix du peuple ?? » (Alassane Conombo, page Facebook, 17 /09/2023 à 11h 30mn).

Ce poste est une fausse information qui vise à manipuler la population afin qu’elle se lève contre le pouvoir en place. Ces genres de fausses informations ont été à l’origine des changements de régime dans notre pays depuis 2014.

3.2. Les buzz

Sur les réseaux sociaux, un phénomène nouveau est en vogue en ce moment. Il s’agit du buzz, c’est-à-dire la course au partage d’une information inédite. Cette technique a le bénéfice de toucher en un laps de temps un nombre important de personnes et susciter une réaction. Mais cette technique est désastreuse. Il permet de relayer de fausses informations. Au Burkina Faso le buzz n’est pas trop développé. La preuve en est que tout récemment la soirée dansante qui a fait le tour du monde avec l’histoire de « Aissa trembler » a été l’œuvre d’influenceurs ivoiriens.

3.3. Création de faux comptes

De faux comptes sont créés pour nous influencer. Ces faux comptes ne correspondent pas à une personne réelle. Ils peuvent avoir une image unique créée qui ne correspond à personne de réel. Avec les deux coups d’États c’est-à-dire celui du 24 janvier 2022 avec le lieutenant-colonel Paul Sandaogo Henri Damiba et celui du 30 septembre 2022 avec Ibrahim Traoré, les faux comptes ont contribué au pourrissement de l’environnement pour faciliter les changements de régime.

3.4. Les fausses images générées

Les fausses images sont nombreuses sur les réseaux sociaux. C’est là que nous allons voir un profil dont l’image est celle d’une femme mais en réalité c’est un homme qui en est l’auteur. Ces fausses images induisent les internautes en erreur à travers les messages qu’elles véhiculent. De même nous allons voir un activiste qui publie une information et qui illustre avec de fausses images dans le but de choquer les populations afin d’atteindre son but qui est la déstabilisation du régime.

3.5. La manipulation politique

Au Burkina Faso, il n’est pas rare de voir une information vraie détournée pour servir une cause politique malsaine. Le 22 novembre 2021, le gouvernement de Rock Marc Christian Kabore acculé par la pression populaire sur le passage du convoi militaire français s’est vu obligé de couper l’internet au Burkina Faso. Cela est un exemple concret de la désinformation car sur les réseaux sociaux il se disait que l’armée française en partance pour le Mali serait le principal fournisseur d’armes aux terroristes.

4. Analyse

Sur les réseaux sociaux, la communication va du verbal au non verbal. La communication verbale se manifeste sur les réseaux sociaux avec le post de textes ou de vidéo publiés et partagés sur la toile. La partie non verbale se caractérise par une publication de symboles qui constituent des messages bien codés.

4.1. Analyse de la communication

4.1.1. La fonction expressive

La fonction expressive ou émotive est centrée sur l’émetteur ou destinateur. Elle désigne tout ce qu’un émetteur veut transmettre ou faire connaître à son destinateur : des idées, des émotions, des désirs, des jugements de valeurs. À l’oral, les indices de reconnaissance de la fonction expressive sont perçus dans les intentions, le débit, le rythme, les gestes, les mimiques, etc. En général, sur les réseaux sociaux, les internautes utilisent les expressions. À l’écrit, elle se limite aux jugements personnels exprimés par le lecteur.

Pour exemple en 2014 quand les voix ont commencé à monter contre la révision de l’article 37 de la constitution au Burkina Faso, le balai citoyen qui est un mouvement très reconnu, postait ce message sur Facebook :

oui, le 30, que chacun sorte avec un djembé, une boite, un sifflet, ou tout autre instrument pour se faire entendre. Seule la lutte paie. Que ceux qui passent leur temps à critiquer ce régime dans les salons feutrés ou dans d’autres lieux de débats soient sur le terrain maintenant. (Le faso.net, 28 octobre 2014 à 02h 34mn).

Le message du balai citoyen posté sur les réseaux sociaux s’adresse à ses militants mais aussi à ses sympathisants. En relayant ce message sur les réseaux sociaux, il compte atteindre le maximum d’internautes et cela pourra donner une forte mobilisation pour empêcher la révision de l’article 37 qui est l’objectif principal de la création du mouvement.

Dans la même perspective, l’opposition burkinabè à travers son chef de file déclarait ce qui suit en conférence de presse :

De l’examen de la situation nationale, cette situation reste marquée par la volonté affichée du pouvoir en place d’ignorer les aspirations profondes du peuple burkinabè. En effet, au cours de sa conférence de presse le 12 décembre 2013 à Dori, le président Blaise Compaoré a fait deux déclarations hautement provocatrices, insultantes et méprisantes vis-à-vis de notre peuple (Faso.net, 16 décembre 2013).

Pour inciter les populations à la révolte, l’opposition termine sa conférence en déclarant ceci : « L’opposition qui initiera des actions d’envergure, invite de ce fait ses militants, ses sympathisants, les organisations de la société civile, tous les patriotes et l’ensemble des citoyens burkinabè à se mobiliser autour des mots d’ordre de lutte à venir. » Toutes ces déclarations relayées sur les réseaux sociaux par l’opposition et la société civile ont pour seul objectif d’inviter les populations à les aider dans leur lutte contre le pouvoir en place.

4.1.2. La fonction conative

La fonction conative ou impressive est centrée sur le récepteur ou destinataire. Elle s’occupe de cet impact que laisse le langage sur le destinataire et permet de l’impliquer ou de l’interpeller. Elle peut être d’ordre « psychologique » comme une conviction, une satisfaction, une prière ou un désir dans les propos dressés à l’interlocuteur. « À l’oral comme à l’écrit, la fonction conative se reconnaît à l’emploi de la deuxième personne du singulier ou du pluriel (tu, vous), de l’impératif, des questions. Dans l’image, la fonction conative apparait lorsqu’un personnage semble nous regarder, nous faire signe, nous solliciter » (C. Peyroutet, E. Pouzalgues-Damon, 1990, p. 7).

À titre illustratif, l’activiste Ibrahim Maiga écrivait ceci sur sa page Facebook : « Si tu portes atteinte à la sécurité du pays en conspirant avec des pays étrangers contre ton propre pays, tu te mets indéniablement en danger. L’armée, ce n’est pas l’armoire. » (Ibrahim Maiga, page Facebook consulté le 13 septembre 2023 à 12h08mn). À travers ce message, l’activiste met en garde toutes les personnes mal intentionnées qui voudraient déstabiliser le régime de la transition burkinabè. En utilisant, la deuxième personne du singulier, il les interpelle sur les dangers qu’ils courent en prenant cette option. Il continue dans une de ses publications en postant ceci : « Pendant que des femmes se font enrôler VDP, c’est sur les plateaux télé et les réseaux sociaux que tu viens avec des boules froissées pour juger le travail de ceux qui donnent leur vie pour la patrie. Vive nos forces combattantes ! » (Ibrahim Maiga, page Facebook, consulté le 12 septembre 2023 à 12H 23mn). Dans ce message l’activiste interpelle les hommes de médias qui n’apprécient pas positivement le travail des forces de défense sur le terrain de la reconquête du territoire.

Nous constatons avec les messages de l’activiste Ibrahim Maiga qu’il soutient les autorités actuelles du pays. Donc, tous ses messages vont dans la droite ligne avec les actions du régime. Ses publications donnent plus de visibilité non seulement aux actions du gouvernement mais aussi constituent un soutien communicationnel à la transition. Sur ce point, 75% des enquêtés estiment que les publications de Ibrahim Maiga ont un impact positif sur la gouvernance de l’État, car elles permettent aux populations de connaître la réalité. Cependant, 25% des enquêtés disent que les publications sont souvent erronées et participent à la manipulation des populations.

Cependant, il existe des activistes qui passent le message contraire de ceux qui soutiennent le pouvoir en place. C’est le cas d’un autre activiste du nom de Alassane Conombo qui vit aux USA qui postait ceci : « Toi tu as une arme malgré tout tu fuis le front pour te cacher à Ouaga et tu veux envoyer un agent de santé avec une seringue à la main là où tu n’as pas pu tenir avec tout un bataillon ! Qui est le conseiller de Mr tout est urgent. » (Alassane Conombo, page Facebook, posté le 9 septembre 2023). En effet, ce message est interpellateur, mais dans une logique de propagande contre le régime du Président Ibrahim Traore. La réalité est qu’il est contre la réquisition du Dr Arouna Louré qui en fait est réquisitionné par l’armée pour porter secours aux forces de défenses blessées à Koumbri, un département situé à 25km de la ville de Ouahigouya. Sur ce point, 99% des enquêtés ne sont pas d’accord avec les publications qui tendent à dénigrer le pouvoir en place dans le but de le renverser. Ils estiment que des mesures doivent être prises pour encadrer l’utilisation des réseaux sociaux.

4.1.3. La fonction référentielle

Elle est centrée sur le référent, le contexte même du message. Elle vise sur l’indication donnée sur un état de chose qui se trouve décrite (que cet état se localise dans le monde réel ou imaginaire). La fonction référentielle est considérée comme la fonction primordiale de la communication car elle constitue l’objet principal de nombreux messages : le discours est orienté vers ce qu’il évoque, de manière à le rendre plus compréhensible. À l’oral comme à l’écrit, la fonction référentielle peut se reconnaître à l’emploi de la troisième personne (elle, il, elles, ils) et du pronom neutre (ça, cela), dans les images : une toile figurative, un plan ressemblant au réel (C. Peyroutet, E.Pouzalgues-Damon, 1990, p. 7).

Au Burkina Faso, depuis 2016, le contexte sur lequel, les internautes s’appuient pour déstabiliser les régimes est le contexte sécuritaire. En effet, les activistes pro-régime ou anti-régime focalisent leurs interventions sur les réseaux sociaux sur la situation sécuritaire du pays. Ainsi, l’activiste Ibrahim Maiga (posté le 9 septembre 2023 sur sa page Facebook) dans un post dit ceci : 

Celui qui aime ce pays ne suggérera jamais de négocier avec les terroristes qui, de manière unilatérale, ont choisi de faire souffrir des populations et de plonger nos familles dans le deuil. Celui qui aime ce pays ne devrait pas accuser ceux qui défendent notre patrie d’exactions en faisant croire que des chefs terroristes sont des civils. Lorsqu’on aime son pays, on rappelle aux citoyens que cette guerre est une agression contre chaque individu, et chacun doit faire preuve d’orgueil et de patriotisme pour montrer que nous ne serons jamais soumis au dictat d’un groupe terroriste. Critiquer l’enrôlement des citoyens pour se défendre et appeler à négocier avec des bandits qui endeuillent nos familles, c’est faire un choix.

Le message posté par l’activiste fait référence à la situation sécuritaire du pays pour interpeller tous les citoyens à l’union sacrée pour faire face à l’ennemi commun. En tout, il veut dire que la lutte contre le terrorisme est l’affaire de tout le monde. À ce sujet, presque tous les enquêtés sont unanimes que tous les Burkinabès doivent s’unir et parler le même langage du moment où le pays est en proie à l’hydre terroriste. Ils soutiennent que le pays étant en guerre, il ne devrait pas avoir une place à la politique politicienne car, c’est parce qu’il y a un pays qu’on parle.

4.1.4. La fonction poétique

La fonction poétique se centre sur le message même, transmis d’un partenaire à un autre dont chacun s’efforce à l’expliquer et à le comprendre. Elle intervient lorsque le rythme, le son ou les effets visuels du message deviennent aussi importants que le contenu du message. Le niveau de langue, le ton, la hauteur de la voix construisent aussi la fonction poétique d’un message oral. Cette fonction donne au message une valeur esthétique. Le journaliste Ahmed Newton Barry, devenu de nos jours un acteur très actif sur Facebook, postait ce message : « La kutba de l’imam de ma mosquée ce vendredi a porté sur le mensonge. Le mensonge ne construit rien. Il amorce la destruction ! Bon mois de Qunut dans la vérité. ». (Ahmed Newton Barry, posté le 1er septembre 2023 à 13h 09mn).

Le message posté est une parabole que beaucoup d’internautes ne comprennent pas. C’est un style propre à lui qui complexifie la compréhension de son message. Mais, en réalité, il s’adresse à une autre classe de la société que sont les intellectuels ; et à travers ce message, il voudrait dire que le chef de la transition raconte des mensonges. Il assimile l’imam de la mosquée au chef de l’État. Cependant tout le monde sait qu’il n’est pas en bon rapport avec les autorités actuelles.

4.1.5. La fonction métalinguistique

La fonction métalinguistique est centrée sur le code c’est-à-dire le moyen utilisé pour délivrer le message. Il s’agit de s’assurer que ce qui est dit est bien compris. Roman Jakobson (1963, p. 217-218) dit ceci : 

Une distinction a été faite dans la logique moderne entre deux niveaux de langage, le langage-objet, parlant des objets, et le métalangage qui parle du langage lui-même (…) chaque fois que le destinateur et /ou le destinataire juge nécessaire de vérifier s’ils utilisent bien le même code, le discours est centré sur le code : il remplit une fonction métalinguistique.

La fonction métalinguistique est manifeste sur les réseaux sociaux à travers les postes de vidéo dans la plupart en français. L’utilisation des langues nationales est moins quand il s’agit d’un message écrit. Cela explique que la majorité des internautes est alphabète dans les langues nationales. Donc pour que le message passe et soit compris par les internautes, les activistes utilisent la langue nationale quand il s’agit des messages vidéo. Cela permettra d’atteindre le plus grand nombre de personnes. Sur ce point, plus de 95% des enquêtés ne sont pas satisfaits de la langue de transmission des messages sur les réseaux sociaux. Ils estiment que la langue devrait être la langue locale et les messages vidéo. Cela devrait permettre à une grande partie des utilisateurs des réseaux sociaux qui sont analphabètes, de mieux comprendre les messages.

4.1.6. La fonction phatique

Elle est le canal qui permet l’établissement, le maintien, voire l’interruption du contact physique ou psychologique entre destinateur et destinataire. À l’oral, les expressions comme allo, n’est-ce pas, vous m’entendez, relèvent de la fonction phatique. Il faudra ajouter que les formules de politesses comme « Bonjour », « Comment ça va ? » sont admises dans la fonction phatique. À l’écrit, les ponctuations, les variations typographiques, mises en pages, équilibres des pleins et des vides, etc. sont aussi des techniques révélatrices. S’agissant de l’image, tout ce qui est susceptible d’attirer ou de retenir l’attention se retrouve dans sa globalité. Il s’agit entre autres des couleurs, la lumière, l’échelonnement des plans, des lignes, etc.

Dans la tradition africaine, pour avoir la confiance de quelqu’un, il faut le respecter. Voilà pourquoi même sur les réseaux sociaux lorsque les gens publient des messages, ils commencent toujours par un bonjour ou bonsoir. C’est très nécessaire pour avoir les internautes avec toi. Si nous entrons dans la page du célèbre activiste Ibrahim Maiga que nous avons évoqué plus haut, il commence ses messages par dire bonjour ou bonsoir à ses followers. Cette manière de faire maintient le contact entre l’activiste et ses abonnés.

Nous remarquons aussi que les principales activistes reconnus aux Burkina quand ils publient, leurs pages sont rouges. La couleur rouge attire l’attention des internautes qui se pressent pour en savoir le contenu. Cela permet le maintien du contact entre les activistes et leurs abonnés.

5. Discussions

5.1. La démocratie et les réseaux sociaux au Burkina

Depuis l’avènement des réseaux sociaux, la gouvernance des États est de plus en plus un exercice difficile. Si, dans le moindre des cas, les réseaux sociaux ont contribué au renforcement de la démocratie à travers la liberté d’expression, l’arbre ne doit cependant pas cacher la forêt car dans d’autres cas ils ont contribué a déstabilisé l’ordre démocratique dans beaucoup de pays dont le Burkina Faso.

5.1.1. Apport des réseaux sociaux dans le renforcement de la démocratie burkinabè

Le Burkina Faso a connu une instabilité institutionnelle depuis son indépendance. Plusieurs chefs d’État se sont succédés à la tête du pays. Cependant, ces régimes qui se sont succéder jusqu’en 1991 sont qualifier de régime non démocratique, car issues de plusieurs coups d’État. C’est 1991, avec l’adoption de la constitution de la quatrième république, qui a vu l’avènement de la démocratie au Burkina Faso. Mais jusque-là cette période n’a pas connu le développement des réseaux sociaux.

L’utilisation des réseaux sociaux a vraiment pris son envol au Burkina Faso à partir de 2014. Comme la liberté d’expression est un des principes de la démocratie, nous pouvons dire que les réseaux sociaux ont participé à la formation et à l’information de l’opinion publique nationale et internationale. Ce qui garantit une véritable démocratie. Sur ce point, 90% des enquêtés estiment que les réseaux sociaux sont un véritable tremplin de la démocratie, car ils permettent aux populations d’exprimer leurs opinions et de proposer des solutions aux problèmes liés à la vie de la nation.

5.1.2. Démocratisation de la parole

Les réseaux sociaux ont libéré la parole. Ils ont permis au citoyen, quelle que soit sa position géographique ou son rang social de participer au débat public, de partager ses opinions, d’exprimer ses idées au-delà des clivages partisans et ainsi d’aider au jeu démocratique dans son pays. Dans tous les domaines de la vie de la nation, le citoyen a la possibilité de faire entendre sa voix pour qu’elle soit prise en compte. Ainsi, un cultivateur qui est à Falagountou peut donner son point de vue sur un sujet à travers les réseaux sociaux comme un autre citoyen qui se trouve à Ouagadougou. Il peut aussi se prononcer sur les conditions de vie sociale, la gouvernance locale, l’alternance, etc. À ce point presque tous les enquêtés sont unanimes que les réseaux sociaux sont véritablement un espace de libre expression.

5.1.3. Rôle d’éveil des consciences et de mobilisation sociale

Les réseaux sociaux de par leur utilisation de plus en plus répandue et leur dimension planétaire, participent à l’éveil des consciences. Par exemple depuis que la crise sécuritaire est survenue au Burkina Faso en 2015, seules les populations des zones concernées se souciaient de cette crise. Mais, grâce aux réseaux sociaux, les habitants des grandes villes comme Ouagadougou et Bobo ont pris conscience de la gravité de la crise et ont commencé à mobiliser des fonds pour venir en aide aux populations désespérées.

Les groupes marginalisées ou opprimés peuvent, par le biais de ce canal, comparer leur situation sociopolitique avec celle d’autres peuples et réagir en conséquence. L’exemple du mouvement des gilets jaunes en France a été un cas d’école pour beaucoup d’acteurs de la société civile qui ont organisé des marches et meetings au cours du premier mandat du Président Rock Marc Christian Kaboré. Sur ce point, 99% des enquêtés disent que les réseaux sociaux éveillent les consciences, car aujourd’hui rien ne peut être caché.

5.1.4. L’interaction avec les politiques

Les réseaux sociaux offrent aux acteurs et aux institutions politiques, ainsi qu’à la population, des possibilités d’interaction novatrice. Grâce aux médias sociaux, la communication est horizontale. Les politiciens le considèrent comme un moyen privilégié de diffusion de leurs messages politiques. Ainsi, avec l’avènement des réseaux sociaux, nous remarquons que les messages postés sont suivis par les hommes politiques.

5.1.5. Une réponse à la crise de la représentation

La politisation des débats même sociaux économiques, a conduit les populations à se rebeller contre les autorités publiques burkinabès à l’endroit de qui elles ont perdu confiance. Désormais, les populations cherchent à se faire entendre à travers les réseaux sociaux. Par exemple en 2019, le mouvement « Ugulmu Fi » à mobiliser toute la population de la région de l’Est pour se faire entendre sur la question de la dégradation avancée de la route Ouaga-Fada. Ils servent désormais de canal pour remonter directement leurs préoccupations au plus haut niveau.

5.2. Les réseaux sociaux comme source de déstabilisation de la démocratie

Les réseaux sociaux sont de nos jours, un puissant moyen d’éducation et d’information. Ils contribuent à l’ancrage démocratique des pays et au développement. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Au Burkina Faso, nous pouvons dire que les réseaux sociaux en plus d’être promoteur de l’expression plurielle, donc de la démocratie, sont une source de déstabilisation des régimes. Ils déstabilisent les régimes, car c’est un canal où tout est manipulable. Avec ce que nous appelons « fake news » en français, les activistes arrivent à manipuler les opinions pour faire tomber un régime. Par exemple, en 2014 une information qui passait sur les réseaux sociaux, montrant que le président Blaise Compaoré voulait se faire remplacer par son frère cadet, a contribué à la révolte populaire. Or, en réalité, Blaise Compaoré voulait modifier l’article 37 de la constitution pour se représenter et non pour placer son frère.

Aussi, le 15 septembre 2015, quand le Général Gilbert Guenguéré a fait son coup d’État, c’est sur les réseaux sociaux que la résistance a pu être organisée pour contrer cette forfaiture.

Sous le régime de Rock Mark Christian Kabore, les activistes comme Marcel Tankoano du M21 et Mamadou Drabo du mouvement sauvons le Burkina, les Naim Touré et Aminata Rachow ont contribué à la manipulation de la population en diffusant de fausses informations. Ce qui a valu la chute du régime le 24 janvier 2022.

En décembre 2010, lors du printemps arabe les manifestations et les soulèvements populaires ont notamment pu prendre de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux. Sur ce point, 55% des enquêtés pensent que les réseaux sociaux sont effectivement nuisibles à la démocratie et surtout quand ils sont mal utilisés. Ils justifient leur point de vue par la contribution des réseaux sociaux à la réussite de l’insurrection populaire de 2014 et au coup d’État de janvier 2022 et celui de septembre 2022. Les 45% estiment que les réseaux sociaux ne peuvent pas participer à la déstabilisation d’un régime. Au contraire, il revient aux autorités en place de prendre des mesures pour encadrer l’utilisation de ces réseaux sociaux.

6. Perspectives

Il devient urgent que les États et les citoyens reprennent la main sur leurs environnements numériques, et régulent les réseaux sociaux. C’est pour cela nous proposons trois pistes de solutions. D’abord, nous suggérons qu’il y ait une grande campagne de sensibilisation au profit des populations sur l’utilisation des réseaux sociaux. À travers nos enquêtes, plus de 90% des enquêtés ignorent ou négligent les conséquences des publications qu’ils font sur les réseaux sociaux. Aussi, beaucoup ne savent-ils pas faire la différence entre les fake news et les messages authentiques.

Ensuite, il faut que les autorités compétentes élaborent des lois qui encadrent l’utilisation de ces réseaux sociaux. C’est bien vrai qu’au Burkina Faso beaucoup de lois ont été votées dans ce sens, mais beaucoup reste à faire. Par exemple dans le cas du Burkina, les activistes manipulateurs ou producteurs de fake news vivent à l’extérieur du pays. Cette situation ne permet pas à la justice de les entendre. Donc il faudra que l’état signe des protocoles avec les pays frères pour permettre une extradition de ces indélicats pour qu’ils viennent répondre de leurs actes.

Aussi faudra-t-il alourdir les peines afin de dissuader les mauvais utilisateurs des réseaux sociaux. Pour le cas du Burkina Faso, les peines encourues en cas de diffamation ou de diffusion de fausses informations sont minimes. Elles vont de trois à douze mois. Et cela n’effraie pas beaucoup d’internautes qui n’hésitent pas à poster des messages mensongers sur les réseaux sociaux. Sinon dans la lutte contre la cybercriminalité, les forces de défenses et sécurités font de leur mieux mais au niveau juridique les choses piétinent toujours. Enfin, nous proposerons la limitation du nombre de carte Sim à quatre par personne. Cela permettra de mieux contrôler les utilisateurs et sanctionner les contrevenants.

Conclusion

La marche démocratique au Burkina Faso rencontre des difficultés avec l’avènement desréseaux sociaux. En réalité, les réseaux sociaux interfèrent négativement et/ou positivement dans la vie de la société. Si dans bien des cas les activistes qui les animent conscientisent le peuple, il faut aussi regretter la part de manipulation dont ils font montre. Pour preuve, en 2014, ce sont les réseaux sociaux qui ont amplifié la crise qui a conduit à l’insurrection populaire. C’est avec les réseaux sociaux que les associations de la société civile ont pu mobiliser les populations contre le régime de Roch Marc Christian Kabore qui a valu le coup d’État du 24 janvier 2022 avec à sa tête, le lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba. De même, les mêmes activistes de la société civile ont contribué à l’avènement du coup d’État du 30 septembre 2022 qui a porté le capitaine Ibrahim Traore au pouvoir.

Sur les réseaux sociaux, un système de communication se déroule. Les destinateurs sont les activistes qui sont chargés d’émettre le message. La réception du message est assurée par les internautes qui sont généralement les plus nombreux. Ils consomment la communication sans participer à son élaboration. Si une minorité de cette masse arrive à faire une analyse approfondie de ces publications tendancieuses, force est de reconnaître que beaucoup n’ont pas cette capacité et se laissent emporter par la manipulation. Les activistes élaborent leurs communications sur les réseaux sociaux en fonction du contexte du moment.

Pour conclure, nous dirons que les réseaux sociaux participent à l’ancrage de la démocratie burkinabè. Ils contribuent à la liberté d’expression qui est l’un des principes fondamentaux de la démocratie. Cependant, la mauvaise utilisation de ceux-ci constitue un véritable danger pour la stabilisation de nos États.

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JAKOBSON Roman, 1973, Question de poétique, Paris, Minuit.

LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LA PROBLÉMATIQUE DE LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE EN AFRIQUE

1. Kouamé Hyacinthe KOUAKOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kouakou_h@yahoo.fr

2. Kadio Mathieu ANGAMAN

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

angamankadio@gmail.com

Résumé :

Les réseaux sociaux, espaces d’échanges et de partage, sont aussi des espaces de revendications, de contestation et de mobilisation populaires. Dans une atmosphère mue par les aspirations démocratiques, sans cesse croissantes des peuples d’Afrique, les réseaux sociaux promeuvent la démocratie participative qui constitue une alternative à la démocratie représentative. Mais, leur mauvais usage se heurte bien souvent à la censure du pouvoir politique, d’où le durcissement de la législation. La censure n’est pas toujours l’effet des travers de l’usage des réseaux sociaux. Elle procède également de la volonté des États de restreindre le champ des libertés individuelles et collectives, en récusant toute opinion contraire au sienne. Dans une civilisation numérique où les réseaux sociaux rythment au quotidien la vie des citoyens, il incombe à l’État de faire de l’éducation aux réseaux sociaux une priorité. Toute chose qui permettrait non seulement de réguler le rapport des citoyens, des pouvoir politiques aux réseaux sociaux, mais également de donner une orientation nouvelle à la pratique démocratique en Afrique.

Mots clés : Afrique, Censure, Démocratie participative, Démocratie représentative, Liberté, Pouvoir politique, Réseaux sociaux.

Abstract:

Social networks, spaces for exchange and sharing, are also spaces for demands, protest and popular mobilization. In an atmosphere driven by the ever-growing democratic aspirations of the people of Africa, social networks promote participatory democracy which constitutes an alternative to representative democracy. But their misuse often comes up against censorship from political power, hence the tightening of legislation. Censorship is not always the effect of the shortcomings of the use of social networks. It also stems from the desire of States to restrict the scope of individual and collective freedoms, by rejecting any opinion contrary to its own. In a digital civilization where social networks punctuate the daily lives of citizens, it is up to the State to make education about social networks a priority. Anything that would not only make it possible to regulate the relationship between citizens, political powers and social networks, but also to give a new direction to democratic practice in Africa.

Keywords : Africa, Censorship, Freedom, Participatory democracy, Representative democracy, Political power, Social networks.

Introduction

L’avènement – ou la réinstauration – de la démocratie – en Afrique subsaharienne, au début de la décennie 1990 – consacre – à la faveur du discours de La Baule prononcé par le président français François Mitterrand – le passage du parti unique au multipartisme. Celui-ci se caractérise par le pluralisme politique, qui voit éclore une multitude de mouvements, d’organisations, d’associations à caractère politique, et même de tendances diverses.

Le multipartisme se traduit par la pluralité d’ambitions et d’aspirations, voire de visions idéologiques, en ce sens que tous les partis politiques sont animés par un ensemble d’idées à valoriser, à appliquer, suivant des moyens et des méthodes qui varient d’un parti à l’autre. Au nom de la liberté et de l’égalité que promeut la démocratie, les citoyens participent à la gestion de la chose publique, res pulica à travers le libre choix de leurs représentants.

Mais, il arrive trop souvent que l’exercice du pouvoir législatif trahit l’esprit même de la démocratie. La réalité est que les élus agissent de plus en plus pour le compte du pouvoir ou se bornent à défendre les intérêts de leur parti ou groupement politique. Il y a comme un fossé qui se creuse entre le peuple et ses représentants. On assiste ainsi à la marginalisation des citoyens puisqu’ils ne peuvent donc pas participer au jeu démocratique. De ce fait, ceux-ci trouvent dans l’avènement des réseaux sociaux le moyen idéal pour émettre leurs opinions sur les questions ayant trait à la vie de la nation.

De par leur facilité d’accès, les réseaux sociaux permettent aux citoyens de porter directement leurs revendications, d’échanger et de partager des idées. Au regard de ce qui précède, émerge la présente problématique : Les réseaux sociaux constituent-ils un atout pour la démocratie participative en Afrique ? Ne sont-ils pas un espace de liberté, contribuant ainsi au rayonnement de la démocratie participative ? Par ailleurs, ne concourent-ils pas au dévoiement de la démocratie ? En fin de compte, comment créer les conditions d’une véritable contribution des réseaux sociaux au débat démocratique en Afrique ?

Notre réflexion sera circonscrite autour de trois axes majeurs. Dans le premier axe, nous montrerons que les réseaux sociaux participent à la dynamique de la démocratie participative en Afrique. Dans le second axe, nous mettrons en relief le dévoiement de la démocratie du fait du mauvais usage des réseaux sociaux par les citoyens. Et dans le troisième axe, nous déclinerons les conditions pour une réelle contribution des réseaux sociaux à la consolidation de la démocratie. Pour y parvenir, nous entendons user d’une approche analytico-critique, qui s’inspire des expériences concrètes, relatives à l’usage des réseaux sociaux en Afrique, dans le cadre de l’expression des aspirations démocratiques. L’objectif visé est de montrer l’impact des réseaux sociaux sur le processus démocratique en Afrique.

1. De l’avènement des réseaux sociaux à l’éveil de la démocratie participative

L’avènement des réseaux sociaux, en Afrique, contribue sans conteste au dynamisme de la démocratie participative, dans un écosystème politique basé fondamentalement sur le règne de la démocratie parlementaire ou représentative.

Une approche comparative du « réseau social traditionnel » et du « réseau social numérique » révèle que

le réseau social traditionnel, dans une conception africaine est une organisation sociale qui rassemble des individus ayant des objectifs communs, des valeurs communes et généralement basée sur le respect de ces valeurs avec une possibilité de contact physique. Tout à fait le contraire du numérique qui rassemble des individualités, établit essentiellement des liens faibles, dans une organisation souvent égalitaire et non hiérarchique. (…) Les réseaux numériques se présentent ainsi comme le nouvel espace de gestion des activités sociales et communautaires ; une sorte de transposition des interactions traditionnellement dynamisées dans un univers où l’individualisme s’articule au communautarisme dans une dynamique d’échanges. (G. B. Dagnogo, 2018, p. 2). 

Les réseaux sociaux numériques s’inspirent de la conception traditionnelle de la communauté, de la solidarité et du partage. Ils prennent sens et fondement sur des valeurs communes véhiculées par le biais d’une communication interactive.

La forme de démocratie la plus pratiquée, de par le monde en général, et en Afrique en particulier, reste incontestablement la démocratie représentative. O. Dia justifie la priorité accordée, dans nombre d’États du monde, à la démocratie représentative au détriment de la démocratie directe ou participative, qui se pratiquait dans la Grèce antique, par le fait qu’à l’opposé d’Athènes, qui était une cité de petite taille, et qui comptait peu de citoyens – à l’exclusion des femmes, des étrangers et des esclaves – les grandes républiques modernes ne sauraient se payer le luxe d’une consultation directe des citoyens, au regard de leur taille. S’inspirant, en cela, de Rousseau, O. Dia (2023, p. 3) fait remarquer ceci :

Conscient à juste raison de ce type de contrainte, Jean Jacques Rousseau avait estimé au dix-huitième siècle qu’une authentique démocratie, c’est-à-dire une démocratie directe sur le modèle de la démocratie athénienne était impossible dans les grandes républiques modernes. Le moindre mal pour ce type de républiques, serait donc la démocratie représentative où des représentants élus dans le cadre de mandats clairement délimités se voient confiés la responsabilité et le droit de décider pour toutes et tous de questions importantes pouvant même toucher à leur vie intime.

Il y a une marginalisation légitime des citoyens dans le processus de prise de décisions au sein de la République. Par souci d’efficacité, ils ne sauraient être directement consultés lorsqu’il s’agit de définir les grandes orientations de la politique nationale, même si par moments des scrutins référendaires sont organisés, requérant ainsi une consultation directe du peuple.

Fort heureusement, l’avènement d’Internet, et des réseaux sociaux, présente une configuration nouvelle de la participation des citoyens au processus démocratique en Afrique, comme partout ailleurs, dans le monde. En effet, la fracture numérique, constatée il y a de cela deux à trois décennies entre les pays du Nord et ceux du Sud, semble se réduire sensiblement ces dernières années. Même s’il est admis que

l’influence occidentale en général, et celle des États-Unis en particulier, reste prédominante sur le fonctionnement du Réseau. D’abord pour des raisons techniques et historiques, puisqu’il a été inventé en 1969 par des informaticiens américains, dans le cadre d’un programme militaire de défense (réseau Arpanet). Ces derniers lui ont donné un format, une configuration, des appellations, un mode de gestion nécessairement imprégnés de la culture anglo-saxonne, jusqu’à imposer l’alphabet latin pour la rédaction des noms de domaine, ou à éliminer les accents, mal gérés par des serveurs largement anglophones. Malgré la montée des revendications concernant l’installation d’une « gouvernance mondiale de l’Internet, la gestion du Réseau reste encore largement centralisée, au bénéfice des États-Unis. (P. Türk, 2013, p. 6).  

Malgré tout, en Afrique, les politiques publiques nationales œuvrent en permanence pour l’accès des citoyens aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), favorisant ainsi une plus grande accessibilité à Internet, cumulée à la possibilité pour tout citoyen de s’offrir plus facilement un téléphone portable. En fait, il y a, en Afrique, une extraordinaire révolution numérique qu’on ne saurait passer sous silence. Aussi, l’intérêt des politiques africains pour le numérique se matérialise-t-il, de plus en plus, par la création, au sein des gouvernements de plusieurs États, d’un ministère des Technologies de l’Information et de la Communication, de l’Économie numérique ou de toute autre dénomination, faisant explicitement allusion aux Technologies nouvelles en matière de communication, ou au numérique.

Cette montée en force d’Internet en Afrique, associée à l’émergence des réseaux sociaux – Facebook, Instagram, Telegram, WhatsApp, X (anciennement Tweeter), etc., apparaît comme une aubaine pour les citoyens. En effet, par le canal de ces réseaux, ils peuvent dorénavant faire entendre leur voix afin de participer au débat démocratique, étant entendu que « la démocratie, tant vénérée par les sociétés modernes ne peut véritablement s’exercer sans la distribution de la parole, sans la diversité des opinions ». (S. Diakité, 2014, p. 37).

Ce qui est fort remarquable, estime M.-A. O’Reilly (2013), c’est la présence des hommes politiques africains sur Internet. Cette présence constitue l’occasion pour eux d’informer en permanence leurs concitoyens sur leur programme politique, en même temps qu’elle rend possible une communication interactive. Pour les politiques africains, les réseaux sociaux apparaissent comme des plateformes de dialogue et d’échanges avec leurs concitoyens.

M.-A. O’Reilly révèle que la création de plateformes citoyennes, par la jeunesse, constitue l’une des caractéristiques de la participation de la population au jeu politique et démocratique, à travers les réseaux sociaux. Elles se déclinent, par exemple, sous la forme de plateformes de consultations populaires, comme ce fut le cas au Maroc, en 2011, lors des préparatifs de la réforme constitutionnelle. Grâce à « Reforme.ma » une plateforme mise en place, plusieurs milliers d’internautes marocains ont pu apporter leur contribution à l’élaboration de la nouvelle constitution. C’est que la Commission consultative, chargée de la réforme de la Constitution, a pris en compte presque 40 % des commentaires et propositions des internautes qui lui ont été soumis.

Le cas marocain est loin d’être isolé. C. Richaud (2017) fait état, à ce propos, de la contribution décisive des réseaux sociaux à la révolution tunisienne ou « révolution du jasmin » entre décembre 2010 et janvier 2011, qui a abouti au départ du président de la République de Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987, consacrant ainsi l’ouverture démocratique, suscitée par le « Printemps arabe ». En somme,

la « révolution de Jasmin » ou « révolution 2.0 » comme il est d’usage de la nommer est sans doute l’illustration la plus significative de l’impact des réseaux sociaux en tant qu’ascenseurs contestataires ayant conduit à la chute d’un ordre juridique. Si l’origine des mouvements contestataires est différente pour chacun des pays, leurs déploiements ont tous été portés par les réseaux sociaux. Spontanés et imprévus, les rassemblements tunisiens, égyptiens, libyens, turcs ont tous été structurés via les réseaux sociaux. Contournant la censure et les blocages Internet, les mouvements ont pu voir le jour en un clic et offrir aux citoyens un espace virtuel de contestation commune. Donnant ainsi une portée collective aux contestations, les réseaux sociaux sont devenus les supports matériels de l’expression de cette liberté. (C. Richaud, 2017, p. 36).

Force est de constater que les réseaux sociaux concourent à la démarginalisation des citoyens, favorisant ainsi leur intégration et leur participation active au jeu politique. Ce faisant, ils peuvent influencer à distance la vie politique au sein des États africains. Dès lors, l’écart entre les citoyens et leurs élus se trouve considérablement réduit. Les réseaux sociaux contribuent donc à « réenchanter la démocratie », (S. de Vos, 2021), en donnant ou en redonnant la parole au citoyen, parole dont le monopole n’appartient plus désormais au pouvoir. Il convient, de ce fait, de les appréhender comme « l’outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen pourrait intervenir très régulièrement dans le débat public ». (P. Flichy, 2008, p. 161). Si les réseaux sociaux permettent aux citoyens d’être des acteurs du jeu démocratique, d’où le sens de la démocratie participative, toutefois, il reste que leur usage tend à court-circuiter cette forme de démocratie.

2. Du dévoiement de la démocratie participative : les réseaux sociaux en question

Il faut comprendre qu’aussi bénéfique et profitable qu’elle puise être, les technologies de l’information et de la communication en général comportent des limites qui sont dommageables lorsqu’elles sont mal utilisées. La démocratie tout comme les réseaux sociaux ne sauraient échapper à cette réalité. Comme toute œuvre humaine, l’usage des réseaux sociaux conduit, comme on peut s’en douter, à des travers. Ceux-ci ont pour conséquences les restrictions des libertés individuelles et collectives, toutes choses qui sapent les fondements de la démocratie.

Les réseaux sociaux relèvent des Technologies de l’Information et de la Communication. Or, la technique en elle-même est une aventure. C’est ce que Platon a savamment mis en relief, à travers le mythe d’Icare. Celui-ci est le fils de Dédale, qui est lui-même sculpteur et architecte, et constructeur du Labyrinthe du Minotaure, symbole même de l’ingéniosité technique.

En effet, emprisonné en Crète avec son fils Icare, Dédale confectionna pour tous deux des ailes qu’il fixa avec de la cire, et grâce auxquelles ils s’envolèrent. Dédale, en homme sage et prudent, vola de façon modérée, et alla se poser en Sicile. Mais l’imprudent Icare, ayant voulu s’élever trop haut, s’approcha du soleil, qui fit fondre la cire, et il tomba dans la mer Égée qui l’engloutit, non loin de l’île qui porte son nom, Ikaria (île grecque de la mer Égée orientale). L’enseignement de ce mythe platonicien est que toute technique est aventureuse et que l’aventure technique peut déboucher sur la libération (à l’image de Dédale) ou sur l’anéantissement de l’humanité (comme ce fut le cas son fils Icare).

C’est justement sous cette forme ambivalente qu’il convient d’appréhender l’usage des réseaux sociaux. Certes, ils contribuent à la libération de la parole, participant en cela du dynamisme de la démocratie participative. Mais, on ne saurait passer sous silence le mauvais usage que les citoyens en font bien souvent. La liberté d’expression se transforme, dans ce cas, en libertinage, c’est-à-dire en un recours immodéré au discours, au point où, aux offenses et outrages aux autorités, se mêlent diffamation, entorses aux bonnes mœurs et appels injustifiés au soulèvement populaire ou à l’insurrection.

E. Gyimah-Boadi (2021, p. 22) se fait l’écho de cet usage ambivalent des réseaux sociaux lorsqu’il écrit :

Dans le même temps, les progrès réalisés dans le domaine des technologies de l’information ont permis aux Africains de l’Ouest d’accéder à l’information et de la consulter plus facilement, mais ces technologies numériques ont également largement renforcé les possibilités de propager la désinformation, d’alimenter la polarisation et de manipuler les citoyens au travers de la création et de la dissémination de fake news. Les plateformes cryptées peer-to-peer telles que WhatsApp et autres réseaux sociaux ont été utilisés pour répandre des rumeurs et attiser la violence, et certaines désinformations ont été diffusées auprès de communautés ciblées intentionnellement afin de provoquer des conflits et de tenter d’influer sur les élections.

Réfugiés derrière l’écran de leur ordinateur ou de leur tablette et autres smartphones, certains n’hésitent pas à dire au-delà de l’indicible sur les réseaux sociaux. Ils oublient, de ce fait, que tout ce qui est pensé ne doit et ne peut être dit.

Le langage n’a de sens que de par sa relation à la pensée. Toujours est-il qu’il n’est pas en mesure de traduire la totalité des idées, des pensées de l’homme, parce que la pensée humaine est à la fois vaste, diverse et variée. Elle porte sur une multiplicité de choses. À contrario, le langage se trouve extrêmement limité, et ne saurait, par conséquent, prétendre à l’étendue de la pensée. Il est donc clair que « nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage ». (H. Bergson, 1946, p. 124).

La conséquence logique d’une telle constatation est que l’être humain n’est pas à même de trouver des termes adéquats pour exprimer convenablement tout ce qu’il pense, tout ce qu’il éprouve. Tout ne peut donc être nommé, faute de mots, ce dont D. Diderot (1877, p. 77) en est conscient : « Je crois que nous avons plus d’idées que de mots. Combien de choses senties, et qui ne sont pas nommées ! (…). On ne retient presque rien sans le secours des mots, et les mots ne suffisent presque jamais pour rendre précisément ce que l’on sent ». L’échec du langage à véhiculer, dans toute son étendue, la pensée humaine, atteste incontestablement de sa pauvreté, de sa finitude.

Certes, tout ne peut être dit, mais également tout ne doit être dit. Loin d’une incapacité du langage à traduire la pensée, il s’agit plutôt de sa volonté d’adaptation aux règles et normes sociales, dans le sens du respect de la dignité d’autrui, en vue du vivre-ensemble. Au nom du vivre-ensemble, l’individu doit s’abstenir de tout dire, s’inspirant, à ce propos de l’adage qui recommande de « tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler » ; car les mots ont un tel pouvoir qu’ils peuvent aussi bien construire que déconstruire, structurer comme déstructurer, faire comme défaire le monde.

Le pouvoir nocif des mots se traduit par l’atteinte à la dignité et à l’honorabilité des individus, et des pouvoirs publics, à travers ceux qui les incarnent. La propagation de la désinformation, tout comme la manipulation des citoyens, au travers de la création et de la dissémination de fake news, dont fait état Gyimah-Boadi, ne peuvent que concourir à l’instauration du désordre, de l’anarchie. En effet, certains utilisateurs des réseaux sociaux ignorent, ou semblent ignorer que certaines informations sensibles ne doivent être diffusées, soit pour « raison d’État », soit par respect des personnes qui en sont victimes. Aussi, les réseaux sociaux, par le canal d’internet se présentent comme un instrument aux mains du pouvoir. Celui-ci peut à tout instant, soit limiter, soit interdire leur accès aux citoyens, au nom de la fameuse « raison d’État ».

Malheureusement, au nom de la démocratie, des utilisateurs des réseaux sociaux arborent de plus en plus le manteau de « lanceur d’alerte ». C’est, en effet, aux sociologues D. F. Chateauraynaud et D. Torny (1999) que l’on doit la paternité du terme français « lanceur d’alerte ». Sous cette appellation, se révèle, à partir de faits réels et vécus, la manière dont des alertes sont signalées, au regard de certaines attitudes vigilantes, hors de tout processus institutionnalisé. La saisie et l’analyse des situations de risque et des procédures d’alerte, dont la montée en puissance est incontestable, à la fin de la décennie 1990 – dans la presse notamment – conduisent ces deux auteurs à donner à cette notion sociologique une connotation politique.

Chateauraynaud se fait plus explicite dans la caractérisation du lanceur d’alerte, à travers la distinction qu’il établit entre celui-ci et le dénonciateur. Le dénonciateur, qui est un délateur, se préoccupe de porter à l’attention du public des actes jugés illégaux, tout en étant intéressé. C’est tout le contraire du lanceur d’alerte qui œuvre dans le sens de « l’anticipation de menaces ou de risques qu’il s’agit d’éviter en réagissant à des signes précurseurs », (D. F. Chateauraynaud, 2020, p. 70), et ce, de manière désintéressée. Ce que vise le lanceur d’alerte, c’est de déclencher un processus de régulation en suscitant la mobilisation collective. Ce qu’il recherche, c’est le bien commun, l’intérêt général. Et pourtant, on ne saurait ignorer qu’il peut révéler des scandales au sommet de l’État, ou tout autre agissement de quelques particuliers ou groupes d’intérêts, susceptibles de nuire à l’intérêt général.

Dans ces conditions, l’État, garant de l’harmonie sociale, et donc des libertés individuelles et collectives, ne saurait se dérober à ses missions régaliennes. Pour contraindre les citoyens à préserver l’harmonie sociale, tout comme les libertés, l’État ne peut qu’activer les mécanismes juridiques. C’est en cela qu’il recourt à la censure, à travers la limitation de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, voire à leur interdiction, ou encore à l’interpellation de certains usagers par la justice afin que ceux-ci répondent de leurs multiples dérapages. Ces interpellations peuvent conduire à des peines privatives de liberté.

Mais la censure n’est pas toujours l’effet des dérapages et des excès des utilisateurs des réseaux sociaux. Elle procède également de la volonté des États de restreindre le champ des libertés, en récusant toute opinion contraire aux siennes, toute critique ou encore des révélations jugées dérangeantes, à travers les réseaux sociaux. En effet, « pour les élites politiques habituées à manipuler les messages électoraux dans l’objectif d’obtenir des votes, ces plateformes contestent leur position de privilège, bien qu’il arrive que ces mêmes élites les exploitent ». (A. Olojo, K. Allen, 2021).

Tout individu, investi du pouvoir de diriger est, dans bien des cas, allergique à toute forme de critique, convaincu de la légitimité, de la pertinence et de la justesse de ses décisions et de ses choix. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’interdiction de Tweeter au Nigéria, en juin 2021 – et ce, sept mois durant – ; il s’agit d’une interdiction condamnée par la Cour de justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Les modérateurs du contenu de Twitter, n’ayant pas apprécié un tweet publié du compte du président Muhammadu Buhari (Président du Nigéria, du 29 mai 2015 au 29 mai 2023, après l’avoir été du 31 décembre 1983 au 27 août 1985), qui violaient, selon eux, les règles relatives aux comportements abusifs, l’ont alors supprimé. Toute chose qui a suscité l’ire des autorités nigérianes qui ont décidé de la suppression du réseau social, comme le rapportent A. Olojo et K. Allen (2021).

Dans la tradition africaine, il est admis généralement que le chef ne se trompe pas parce qu’il ne parle pas. Celui qui parle c’est son porte-canne. Mais, nombreux sont les dirigeants africains qui soutiennent mordicus, contre vents et marées, que le Chef ne saurait se tromper même quand il s’exprime sur une question donnée. Il a toujours raison, et ne saurait être contredit. Dès lors, toutes les fois que les décisions et les options politiques des dirigeants en place se trouvent remises en cause, et ce, de manière légitime, le pouvoir ne se fait point prier pour limiter l’accès des citoyens aux réseaux sociaux, les excluant de ce fait du débat contradictoire censé contribuer à l’édification et à la consolidation de la démocratie. Les réseaux sociaux apparaissent ainsi comme des instruments aux mains des pouvoirs africains pour exercer un pouvoir sans partage sur le peuple. Dans ce contexte, comment créer les conditions d’une véritable contribution des réseaux sociaux au débat démocratique en Afrique ?

3. Repenser la démocratie en Afrique au prisme des réseaux sociaux

Le reggaeman ivoirien, Tiken Jah Fakoly ne croyait pas si bien dire lorsqu’il chantait, au tout début de la décennie 2000, ces mots tirés de son album « Caméléon » :

Le pays va mal

Le pays va mal

Le pays va mal

De mal en mal

Mon pays va mal.

Il mettait ainsi à nu les tares de la société ivoirienne, et au-delà, de toutes les communautés africaines, victimes d’un mal pernicieux : la fracture sociale. Celle-ci se manifeste, aux dires de l’artiste, par l’injustice, la xénophobie ou encore le tribalisme.

Plus de six décennies après les indépendances, nombre de promesses n’ont pas encore été tenues, les espérances se sont muées en désespérances, les espoirs en désespoirs, les rêves sont devenus de vaines illusions comme l’exprimait déjà Amadou Kourouma dans son célèbre roman Les soleils des indépendances. Il nous faut alors abonder dans le même sens que Kourouma et Tiken Jah pour clamer, à qui veut l’entendre, qu’à quelques exceptions près, les pays africains vont mal, à la fois au plan socio-politique qu’économique.

Il est temps de repenser la démocratie en Afrique, à l’ère où, par le biais des réseaux sociaux, chaque citoyen, pourvu qu’il en ait les possibilités, peut apporter sa pierre de touche à son édification et à sa consolidation. Car, il faut reconnaître que « les réseaux sociaux ont profondément changé le rapport des internautes à la politique ». (C. Richaud, 2017, p. 29). Ils concourent à la démarginalisation du citoyen qui, de la périphérie où il se trouvait logé, intègre le centre du système. Être au centre du système, c’est être à même d’user de sa liberté d’expression, reconnue à tout citoyen.

Mais, pour parvenir à une réforme de la démocratie, il appartient, en premier lieu, aux pouvoirs politiques africains de poser les jalons d’une démocratie nouvelle. Il s’agit de donner une orientation nouvelle à la pratique démocratique sur le continent.

Même si la démocratie se veut foncièrement la reconnaissance et la consécration de la souveraineté du peuple, sa gestion au quotidien relève, d’abord, et avant tout de l’autorité politique et de ses démembrements. Elles ont reçu mandat du peuple souverain pour décider et agir en son nom. Le sort de la démocratie incombe, à cet effet, au pouvoir politique. Dans une civilisation numérique où les réseaux sociaux n’ont de cesse d’impacter le quotidien des pouvoirs publics comme celui des communautés, la responsabilité des États africains est incommensurable.

À tout point de vue, les réseaux sociaux se révèlent comme un atout pour la démocratie participative. Il s’agit in fine de créer un environnement socio-politique idoine qui puisse garantir à chacun la pleine jouissance de la liberté d’expression, fondement de toute démocratie. C’est le sens de la constante interpellation du pouvoir politique qui ne saurait se réfugier derrière des artifices ou des justifications fallacieuses pour renoncer à sa mission régalienne. Il y va du bonheur des citoyens, et partant, de la stabilité de l’État, condition de l’harmonie sociale.

Les pouvoirs publics devraient faire de l’éducation aux réseaux sociaux une priorité. La possession d’un ordinateur ou d’un téléphone portable, cumulée à l’accès à Internet, sont des conditions d’accès aux réseaux sociaux. Elles en sont des conditions basiques, mais non suffisantes. Parce qu’ils instaurent « une conception horizontale de l’espace public », (C. Richaud, 2017, p. 29), les réseaux sociaux créent en permanence des liens, à la fois professionnels et affectifs entre les individus, en dehors de leur traditionnel cadre d’existence. Et comme toute existence collective requiert la saisie, la compréhension et l’application des règles de la sociabilité, il importe alors d’inculquer aux utilisateurs des réseaux sociaux une formation, une instruction, susceptibles de leur permettre de cerner les règles du vivre-ensemble virtuel, sur le modèle du vivre-ensemble concret.

La dimension éthique du rapport à l’outil informatique doit, de ce fait, prendre le pas sur la simple initiation à l’informatique, qui est enseignée dans les Lycées et Collèges, et dont le volume horaire hebdomadaire dépasse rarement une heure de cours, et dont la programmation relève plus d’une contrainte que d’une nécessité pour l’Administration. La responsabilité du Ministère en charge de l’Éducation nationale se trouve alors engagée. C’est à lui que revient la mission de définir les curricula de formation et les contenus des programmes d’enseignement.

C’est avec stupéfaction que nous relevons le peu d’intérêt accordé à l’éducation aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), à Internet et aux réseaux sociaux, au sein des Lycées et Collèges, quand on sait le taux de pénétration de plus en plus élevé de l’utilisation de ces Technologies en milieu scolaire. C’est donc à la base que l’instruction aux réseaux sociaux doit prendre forme, et se décliner sous la forme d’une sensibilisation permanente des populations.

L’adoption de la « Charte des Réseaux Sociaux », en octobre 2023, par la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), en Côte d’Ivoire, dont la loi avait été préalablement votée par le Parlement en décembre 2022, participe, à notre sens, de cette politique de sensibilisation, en vue d’une responsabilisation accrue des utilisateurs des réseaux sociaux. L’objectif visé est de veiller au respect de la dignité humaine et à l’ordre public. La HACA, faut-il le souligner, est une Institution étatique, chargée de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la communication audiovisuelle dans le cadre de la loi.

De même que l’instruction aux réseaux sociaux, il convient d’éduquer la masse au respect de la chose politique, dans une atmosphère de démocratie ambiante. Nombreux sont les citoyens qui ne voient pas la nécessité qu’il y a à s’intéresser à la politique vue, le plus souvent comme étant l’affaire des autres. Elle relèverait plus d’une activité ludique que d’une véritable occupation. C’est ainsi que par dépit ou par choix personnel, des citoyens – les jeunes surtout – se détournent de la politique, au sein des États africains. Ce désintérêt pour la politique va également de pair avec le manque de compétence politique. Tous ceux qui interpellent et invectivent de tout temps les pouvoirs publics, ou des politiques, sur les réseaux sociaux, n’ont pas toujours le sens de la mesure politique. Ils ne sont pas toujours aptes à élaborer une argumentation rigoureuse et pertinente, dans le cadre d’un débat politique.

Pour P. Bourdieu (1972, p. 1295), « Cette compétence politique n’est pas universellement répandue. Elle varie grosso modo comme le niveau d’instruction. Autrement dit, la probabilité d’avoir une opinion sur toutes les questions supposant un savoir politique est assez comparable à la probabilité d’aller au musée ». C’est justement au regard de la relativité de la compétence politique qu’il convient de donner aux citoyens des rudiments de base à même de rationaliser, de « civiliser » le débat politique.

Mais la démocratie participative, via les réseaux sociaux, ne saurait effectivement prospérer que si les politiques africains se rendent de plus en plus visibles et disponibles à l’égard des internautes ; car, ils se font le plus souvent adeptes de « la mauvaise foi », au sens sartrien du terme. Chez Sartre, la mauvaise foi consiste en la pratique de la politique de l’autruche qui, sentant le danger s’approcher, préfère se dissimuler la tête sous le sable plutôt que l’affronter. Le faire, ce n’est pourtant pas remédier au danger, encore moins l’éviter.

Par crainte des réactions et des interventions des internautes, certains leaders politiques préfèrent se détourner des réseaux sociaux. Le rôle du pouvoir central est donc de les inciter, et même de les contraindre à instaurer des débats interactifs permanents avec les citoyens sur les réseaux sociaux, à l’image des débats parlementaires qui s’imposent à eux. En somme, repenser la démocratie en Afrique au prisme des réseaux sociaux, c’est interpeller en permanence l’État sur le rôle prépondérant qu’il a à jouer, tant à l’égard des politiques qu’à l’endroit des citoyens.

Conclusion

Trois idées majeures ressortent de notre analyse sur la démocratie et les réseaux sociaux. La première met en avant la contribution notable des réseaux sociaux à l’éveil et au dynamisme de la démocratie participative. Même si la démocratie consacre la souveraineté du peuple, elle semble le marginaliser au regard de la pratique en vigueur, qui accorde la priorité aux élus, censés agir pour le compte du peuple. Dans ces conditions, l’avènement des réseaux sociaux constitue une aubaine pour les citoyens, qui peuvent directement interpeller les pouvoirs publics sur la gestion de la cité. Ils instaurent avec eux des espaces d’échanges et de partage, convaincus que « la démocratie négociée par le « haut », du seul point de vue institutionnel, relève du mirage », (F. Akindès et O. Zina, 2016, p. 84), d’où la nécessité d’une permanente implication des citoyens dans le jeu démocratique.

La seconde idée, quant à elle, insiste sur le dévoiement des fondamentaux de la démocratie, à l’ère des réseaux sociaux. La liberté d’expression que les réseaux sociaux mettent en avant, finit par se muer en libertinage, en foire aux invectives, aux diffamations et aux fréquentes atteintes à la dignité et à l’honorabilité des personnes censées incarner l’autorité de l’État. En réaction à de telles attitudes, au-delà du tolérable, l’État n’a d’autre moyen de répression que le recours à la censure. Celle-ci concourt à la restriction des libertés tant individuelles que collectives. Aussi les réseaux sociaux apparaissent-ils comme un instrument aux mains de l’État, pour réprimer toute opinion contraire aux siennes, allant jusqu’à punir ses auteurs, sous forme d’amendes ou de peines de prison.

Il est donc plus qu’urgent, dans ces conditions, de repenser la démocratie à travers l’usage des réseaux sociaux. C’est ce à quoi s’est attelée la troisième partie de cette réflexion. Elle met l’accent sur la double nécessité de l’instruction aux réseaux sociaux, d’une part, et à la culture politique et démocratique d’autre part, le défaut de connaissance étant présenté comme source de perdition. N’est-ce pas là le sens de ces mots du Prophète Osée dans La Sainte Bible : « Mon peuple est détruit, parce qu’il lui manque la connaissance » ? (La Sainte Bible, Osée 4, 6). Par conséquent, pour éviter que les réseaux sociaux ne concourent davantage à la perversion de la démocratie, il est plus que jamais nécessaire de remédier au défaut de connaissance, tant dans leur usage que dans la saisie des mécanismes de la démocratie. D’où la responsabilité de l’État dont la mission régalienne est d’œuvrer au bonheur des citoyens.

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RÉSEAUX SOCIAUX ET LUTTE CITOYENNE

Boubakar MAIZOUMBOU

Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger)

boubakarmah@gmail.com

Résumé :

Conçus comme un nouvel espace d’expression et d’application de certains droits fondamentaux (Brozeck Kandolo Wa Kandolo, 2018), les réseaux sociaux Twitter, Messenger, WhatsApp, etc., constituent, depuis ce qu’il est convenu d’appeler le printemps arabe, le facteur le plus utilisé pour passer les mots d’ordre des luttes sociales prônées par les mouvements sociaux. Les organisations de la société civile africaine, qui n’ont pas toujours l’autorisation de manifester pour leurs revendications, font de ces réseaux le canal alternatif opportun pour relayer les informations. Alors que le droit de manifester est reconnu par les régimes démocratiques africains, le refus de son application par ces mêmes régimes est immédiatement relayé et dénoncé par l’usage des réseaux sociaux. Ces réseaux sociaux peuvent-ils être la cause de l’infléchissement des autorités politiques pour le respect des principes démocratiques ? L’objectif visé, à travers cette question, est d’examiner l’implication des réseaux sociaux dans les débats et luttes pour l’effectivité des pratiques démocratiques en Afrique. L’analyse de cette question nous permettra d’évaluer aujourd’hui la portée de ces réseaux sociaux sur les pratiques politiques de nos pays qui peinent à assoir la démocratie.

Mots clés : Afrique, Lutte citoyenne, Mouvements sociaux, Réseaux sociaux.

Abstract:

Conceived as a new space for expression and the application of certain fundamental rights (Brozeck Kandolo Wa Kandolo, 2018), social networks – Twitter, Messenger, WhatsApp, etc. – are now, since the so-called Arab Spring, the most lauded factor for passing on the watchwords of social struggles advocated by social movements. African civil society organisations, which do not always have the right to demonstrate for their demands, are using these networks as an opportune alternative channel for relaying information. While the right to demonstrate is recognised by African democratic regimes, any refusal by those same regimes to apply it is immediately relayed and denounced through the use of social networks. Can these social networks be the cause of a change in the political authorities’ attitude towards respect for democratic principles? The aim of these questions is to examine the involvement of social networks in the debates and struggles for the effectiveness of democratic practices in Africa. An analysis of these issues will enable us to assess the impact of social networks on political practices in our countries, which are struggling to establish democracy.

Keywords : Africa, citizen Struggle, social Movements, social Networks.

Introduction

De prime abord, pour introduire notre réflexion, nous proposons la définition générale, d’après V. Lemieux (2000, p. 18.), des réseaux sociaux :

Les réseaux sociaux sont faits de liens, généralement positifs, forts ou faibles, tels qu’il y a une connexion directe ou indirecte de chacun des participants à chacun des autres, permettant la mise en commun des ressources dans le milieu interne. Il arrive que les connexions servent aussi à la mise en ordre des ressources par rapport à l’environnement externe, ce qui est caractéristique des appareils.

L’analyse des réseaux sociaux est menée dans les sciences sociales depuis les années 1930, d’après J. Breslin et D. Stefan (2007). L’analyse des réseaux sociaux vise, selon ces auteurs, d’une part, à identifier les structures sociales distinctes dans les réseaux et, d’autre part, à expliquer le comportement des individus au sein de ces structures sociales. Avec l’avènement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), l’Internet est devenu, depuis longtemps, un outil de diffusion de l’information ouvert à tout le monde. À ce titre, l’Internet garantit largement la liberté d’expression. Les premiers usages d’Internet ont été la mise à disposition d’informations dans des sites (le worldwideweb par exemple) longtemps considérés comme des bibliothèques virtuelles. Ensuite, dans les années 2000, les médias et réseaux sociaux sont venus modifier ces premiers usages, en devenant le lieu de « l’expression généralisée » et celui de « la coordination des amis » (H. L. Crossier, 2018). Facebook, WhatsApp, Twitter, devenu X, etc., donnent aujourd’hui l’occasion à la création de différents espaces publics virtuels, réunissant, selon le contexte, plusieurs catégories de personnes.

Ainsi, l’arrivée de ces réseaux sociaux, appelé encore Web social ou Web 2.0 (D. Tchuente et al, 2011) a énormément favorisé le développement des réseaux socionumériques. D’après D. Tchuente et al. (2011), en 2010, près de trois quarts des internautes en Europe consultent ces nouvelles plateformes quotidiennement. Très visités et comportant des applications diversifiées (mails, chats, photos, tags, groupes, événements, pages…), les réseaux socionumériques sont devenus de véritables systèmes d’exploitation d’informations. Des masses de données, riches par leur diversité, et importantes par leur quantité, sont désormais disponibles sur la toile. Ces potentialités communicationnelles suscitent alors la question de possibilité de dénoncer, en Afrique, avec les réseaux sociaux, les remises en cause des droits fondamentaux (comme les manifestations) par les dirigeants eux-mêmes.

En ce sens, nous nous posons la question de savoir si les réseaux sociaux peuvent être la cause de l’infléchissement des autorités politiques africaines pour le respect des principes démocratiques. Quels sont, en effet, les impacts des réseaux sociaux sur la lutte des organisations de la société civile africaine pour l’effectivité du respect des principes démocratiques ?

L’objectif que nous poursuivons, à travers cette question de recherche, est de montrer que les réseaux sociaux sont aujourd’hui des facteurs de mobilisation dans la lutte des mouvements sociaux en Afrique. Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes basés essentiellement sur la recherche documentaire.

Pour analyser la question ci-dessus posée nous dégageons trois axes à explorer. Premièrement, nous étudierons le rapport réseaux sociaux et mobilisation social (1). Deuxièmement, il s’agira pour nous de montrer que les réseaux sociaux constituent désormais desespaces publics virtuels et alternatifs dans la lutte citoyenne (2). Et troisièmement, nous verrons dans quelle mesure les réseaux sociaux jouent-ils un rôle déterminant aujourd’hui dans la quête de l’effectivité des droits fondamentaux (3).

1. Réseaux sociaux et mobilisation sociale

Les réseaux sociaux sont devenus aujourd’hui, plus que jamais, des outils de mobilisation sociale. Ils garantissent aux mouvements sociaux la facilité dans la mobilisation, l’instantanéité et une large couverture dans leur communication. On peut dire qu’ils dépassent désormais les voies traditionnelles de communication que sont la radio, la télévision, les lettres, caractérisées par la lenteur et l’étroitesse de couverture dans la mobilisation des militants. Or la grandeur, la crédibilité et la puissance d’un mouvement social se mesurent par sa capacité à mobiliser un grand nombre de militants. Dans ce sens, il est reconnu aujourd’hui que les réseaux sociaux sont incontournables. Facebook, Tweeter ou X, Tik Tok, etc., sont des véritables véhicules de partage instantané des mots d’ordre dans le cadre des actions collectives. Comme le souligne P. D. Grosbois (2018, p. 180-181),

il faut reconnaitre que Facebook comporte de nombreux avantages à des fins organisationnelles : d’abord, son utilisation est très répandue, ce qui permet de rejoindre beaucoup de membres dans leur quotidien, sans parler de la population en général. De plus, la création de groupes de discussion, tant pour un syndicat ou une fédération que pour un regroupement autonome ou parasyndical, y est très facile.

L’actualité que nous vivons aujourd’hui en Afrique est édifiante de ce point de vue. Nous assistons à des bouleversements sociopolitiques nourris par des manifestations populaires, des débats sur des renversements des régimes, sur l’insécurité, etc. Malgré la difficulté d’accès aux grands médias étrangers, des images et des informations sur ces situations sont communiquées à partir des pays de grands médias « au moyen de l’outil de réseau social et de diffusion directe « Twitter » (J. Borrero, 2013, p. 10).

En effet, en Afrique, la grande partie de la population n’a pas accès aux grands médias étrangers qui sont réputés dans l’investigation et la révélation des informations. Ce sont des chaines, des journaux, payables, donc difficiles d’accès pour les populations africaines constituées des couches sociales majoritairement pauvres. Pour ces couches sociales, les médias sociaux leur permettent de contourner le cryptage des informations. Il faut cependant relever ce qui fait la spécificité de la mobilisation sociale par les réseaux par rapport aux canaux traditionnels de mobilisation notamment le communiqué radio-télévisé, les lettres, etc. Cette spécificité s’explique à travers deux aspects au moins.

Le premier aspect est le fait qu’à travers les réseaux sociaux, on peut être mobilisé par quelqu’un dont on ignore l’identité. Pourtant, être mobilisé pour la lutte sociale, c’est partager l’opinion de quelqu’un, d’un leader, c’est adhérer à sa cause qu’on juge légitime. Cette adhésion, ce partage d’opinion, se fait à travers les réseaux sociaux sans cependant connaître forcément l’identité des mobilisateurs, des leaders. Cela peut, au fond, s’expliquer par le fait que dans le contexte des réseaux sociaux, c’est moins l’opinion ou la cause elle-même qui mobilise que l’outils technologique qui devient de plus en plus dominant. Dans ce cas la mobilisation devient motivation, impactant positivement les luttes sociales. Dans le cadre des échanges via réseaux sociaux, on est plus motivé, voire passionné, à faire fonctionner son appareil, à faire partie d’un groupe WhatsApp, que de s’intéresser fondamentalement au contenu des messages. Ainsi, comme pour donner raison à Y. Akakpo (2019, p. 17) qui parle de domination technologique comme appropriation par la « science et la technique » de « tout potentiel d’opérativité » concernant l’action, les mouvements sociaux sont aujourd’hui favorisés par le dispositif technologique même dans la mobilisation des adhérents aux luttes citoyennes.

Ce premier aspect lié à ce que nous pouvons appeler mobilisation-motivation n’est pas loin du second aspect. En effet, dans la mobilisation par les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement l’affichage du grand nombre qui est mis en exergue. Il y a non seulement ce grand nombre concrètement observable, mais aussi d’autres militants qui, sans être dans les rues, adhèrent à la cause en échangeant, en publiant les images, emblèmes, pancartes, du mouvement, et en « likant » toute information entrant dans le cadre de la lutte. « Liker» la publication ou le « post » d’un acteur du mouvement, c’est s’engager activement à son côté, c’est être mobilisé tout simplement pour la lutte sociale ou citoyenne. « Liker » sur les réseaux sociaux c’est aimer ce qui est partagé. « Post » veut dire message publié sur les réseaux sociaux notamment Facebook. C’est en ce sens que F. Granjon (2003, p. 142) souligne que le mouvement altermondialiste partage avec « les plus récents réseaux télématiques, un imaginaire social dont les principes fondateurs sont réglés sur le mythe de l’auto-organisation de la société civile (que l’on imagine planétaire) et de la participation active des acteurs qui la constituent ».

Cette idée de mobilisation sociale par les réseaux sociaux peut être conclue avec G. Eric (2000, p. 184) qui souligne que « les services d’Internet peuvent en effet être considérés comme des catalyseurs de l’action collective ». Cet auteur a bien noté le fait qu’avec les médias sociaux « le message peut être diffusé de façon exponentielle à un vaste public ».

2. Réseaux sociaux comme espace public virtuel et alternatif dans la lutte citoyenne

Toujours dans la perspective de facilitation de la mobilisation sociale, les réseaux sociaux constituent aujourd’hui des véritables espaces publics virtuels qui offrent de nouvelles dimensions aux luttes citoyennes. Les espaces publics virtuels sont à l’image des espaces publics traditionnels qui sont généralement connus comme des places publiques servant des lieux de rassemblement des manifestants. Du point de vue conceptuel, c’est Jürgen Habernas qui a évoqué la question de « l’espace public » pour montrer l’importance de la communication dans le processus de démocratisation. Il décrit l’espace public comme un espace de médiation entre l’État et la société où la puissance de la raison et la richesse des échanges permettent la formation d’une opinion éclairée, qui assure de sages décisions collectives. On les situe généralement dans des pays qui ont connu des révolutions citoyennes ou des « actions collectives », pour reprendre l’expression du philosophe burkinabé, Mahamadé Savadogo. C’est l’exemple de la « Place de la Concertation » à Niamey au Niger, de la « Place de la Nation » ou « Place de la Révolution » à Ouagadougou au Burkina Faso, de la « Place Taksim » à Istanbul en Turquie, etc.

L’aspect le plus important qui distingue les espaces publics virtuels des espaces publics traditionnels est lié à la participation et à la prise de parole. Dans les espaces publics traditionnels, le droit à la participation et à la prise de parole est limité. Seuls quelques citoyens indiqués, désignés ou sélectionnés, ont accès aux espaces publics. Par contre les espaces publics virtuels offrent aux citoyens, sans exclusion, la possibilité de participer et de prendre la parole à l’occasion des rencontres, des réunions, des forums, etc., sur des questions sociopolitiques engageant pourtant les autorités publiques.

Lorsqu’il s’agit de l’espace public virtuel, toutes les voies sont autorisées à s’exprimer. Elles ont la possibilité de révéler ce qu’elles pensent, de commenter, d’apprécier, de discuter même les propositions des dirigeants de leur mouvement. Ainsi, la dépendance à la parole des dirigeants du mouvement dans l’espace public traditionnel est remplacée par l’accès pour chacun à la parole dans l’espace public virtuel. C’est parce que, comme dit C. Richaud (2017, p. 29), « les réseaux sociaux opposent à l’inertie, à la verticalité et à la hiérarchisation de la politique une conception horizontale de l’espace public ».

Cette nouvelle forme d’espaces publics est d’autant plus importante en Afrique qu’elle favorise l’élargissement de l’espace public traditionnel qui n’est pas favorable à l’expression libre de la diversité d’opinions. Désormais la crainte, la restriction ou l’interdiction même de s’exprimer, est contournée par ce qu’on peut appeler aujourd’hui l’autosaisine par les citoyens de la situation sociopolitique de leur pays à travers les espaces publiques virtuels. D’où la double importance de l’espace public virtuel que souligne D. Gardon (2010, p. 11) : « D’une part, le droit de prendre la parole en public s’élargit à la société entière ; d’autre part, une partie des conversations privées s’incorpore dans l’espace public. »

Autant dire que les espaces publics virtuels sont devenus des alternatives à la restriction des droits et libertés de participation et de prise de parole dans les espaces publics traditionnels. À travers « Le numérique : de nouveaux espaces pour la démocratie », le titre évocateur de la première partie de son ouvrage (p. 21-100), H. Oberdorff (2010) s’attache à montrer comment les technologies de l’information ouvrent des espaces de plus grande liberté pour l’épanouissement de la démocratie. Il y va de la liberté de s’informer, de la liberté de communiquer, des possibilités grandissantes en termes de participation et d’interaction. En quelque sorte, l’usage adapté des nouveaux outils du numérique fondé sur la circulation des informations et du partage, annonce, dit H. Oberdorff (2010, p. 75), l’avènement d’une « e-démocratie » beaucoup plus participative et complémentaire avec la démocratie représentative. Partant de ce constat, H. Oberdorff (2010, p. 186) conclut sur le fait que « l’homo numéricus est avant tout un être humain et un citoyen ». Autrement dit, pour Henri Oberdorff, l’être numérique est d’abord un homme, et vit dans une société politique, donc encadrée par des lois et règlements.

Avec les réseaux sociaux, il y a sans doute la tendance à l’ouverture de l’espace public pour tout citoyen désireux d’exprimer son opinion dans la quête de la démocratie. C’est pourquoi E. George (2008) situe l’importance du web dans « la possibilité d’échanger de façon plus horizontale et donc de révéler des capacités de la part de personnes qui n’auraient pas forcément bénéficié d’un espace pour s’exprimer. » H. Le Crosnier (2018) pense même que c’est à cela que doit servir ce qu’il appelle la « culture numérique », c’est-à-dire former les citoyens du XXIe siècle à avoir « la tête dans le cyberespace ».

Dans ce cas, il n’y a pas de doute que les espaces publics virtuels favorisent l’émancipation des citoyens en quête de la démocratie. Leur caractère illimité dans le temps et dans l’espace donne aux citoyens des pays africains la possibilité de s’informer, de comparer des situations sociopolitiques au-delà de leurs frontières. En ce sens, G. Fleury (2008) souligne que « l’Internet est donc porteur de promesses d’émancipation et d’innovation en ce qu’il fait miroiter l’idée d’une démocratie plus transparente, plus participative, où des citoyens mieux informés pourraient investir un espace public virtuel » (G. Fleury, 2008, p. 84-85).

3. Les réseaux sociaux et l’effectivité des droits fondamentaux

La question de l’effectivité des droits fondamentaux dans l’exercice des pouvoirs démocratiques est toujours d’actualité en Afrique. Théoriquement, il est paradoxal de parler des États démocratiques et, en même temps, se soucier du respect des textes qui régissent les règles qui encadrent et protègent les actions collectives des citoyens. Pourtant il est fréquent de constater que des organisations nationales et internationales de défense des droits humains fustigent la remise en cause, par les autorités publiques elles-mêmes, de certaines dispositions légales garantissant les libertés fondamentales des citoyens.

Désormais, avec les nouveaux espaces publics virtuels, on peut dire que la liberté d’expression, le droit de manifestation, le droit à l’information, etc., deviennent de plus en plus effectifs. En effet, dans le contexte des réseaux sociaux, les citoyens, étant instantanément informés par les activistes, descendent, souvent spontanément, dans les rues. L’exemple des rassemblements des citoyens pendants le printemps arabe et les récentes mobilisations citoyennes au sahel (Burkina Faso, Mali, Niger) en est l’illustration.

Il est certes vrai que ces genres de mobilisation spontanées dépendent de la gravité de la situation qui nécessite les rassemblements des citoyens. Mais c’est pour ainsi dire que les demandes d’autorisation de marche sont en train d’être dépassées par la force de mobilisation des réseaux sociaux garantie par l’accès facile à l’information. Dans ce cas, de la restriction ou de l’interdiction à manifester, à marcher, on passe à ce que D. Cardon (2010, p. 8) appelle « formes inédites de partage du savoir, de mobilisation collective et de critique sociale ».

Les États africains tiennent désormais compte de la capacité des réseaux sociaux à permettre aux mouvements sociaux de jouir, sans grande difficulté, des droits fondamentaux garantis par nos constitutions. En effet, grâce aux réseaux sociaux, les mouvements sociaux peuvent désormais se passer des recours infinis devant les tribunaux pour être autorisés à manifester. C’est d’ailleurs partant de la reconnaissance de cette force des réseaux sociaux à contourner la restriction ou l’interdiction à manifester et à s’exprimer librement que certaines autorités africaines n’hésitent pas souvent à interrompre le réseau internet dans leur entité. Ce sont des mesures draconiennes que les autorités justifient par la menace de troubles à l’ordre public. Mais en vérité, cela ne peut freiner la tendance vers l’effectivité des droits fondamentaux en Afrique dans la mesure où les autorités elles-mêmes n’ont pas intérêt à prolonger dans le temps l’interruption du réseau internet.

On peut ainsi dire qu’aujourd’hui, en Afrique, les autorités n’ont plus d’autre choix que de rendre les droits fondamentaux, comme ceux d’expression, de manifester, d’opinion, etc., effectifs au regard de la possibilité qu’ont les citoyens de participer directement aux débats publics autour des grandes questions et décisions politiques engageant la vie de leur nation. C’est une forme de démocratie directe et participative que rendent désormais possible les réseaux sociaux. Comme le souligne T. Vedel (2017, p. 73), « l’internet peut révolutionner la politique et favoriser une évolution vers une démocratie plus participative, voire directe, dans laquelle les citoyens seraient devenus un cinquième pouvoir ». P. Levy (2002, p. 36) parle, dans le même sens, de « la cyberdémocratie » qui annonce « l’avènement d’une démocratie nouvelle, généralisée (…) une véritable société civile planétaire ».

Les réseaux sociaux peuvent ainsi être considérés comme des facteurs qui permettent de combler les insuffisances de la démocratie jusque-là connue sous ses formes de représentation ou de délégation du pouvoir. La possibilité de l’expression libre des opinions par les réseaux sociaux permet aux citoyens de participer à la démocratie avec les dirigeants. La cyberdémocratie offre un espace favorisant la participation citoyenne grâce aux outils des technologies d’informations et de communications. Dans son article, A.-M. Gingras (1999, p. 40) a souligné cette idée qu’elle qualifie de valorisation de démocratie directe :

La valorisation de l’idée de démocratie directe par l’intermédiaire des médias et des NTIC n’est pas nommée, mais elle s’est insérée insidieusement dans nos représentations de la politique. Plusieurs éléments associés à la démocratie directe ont acquis une grande popularité depuis environ vingt-cinq ans ; les sondages, les vox populi et autres moyens de connaître l’opinion de la population sur des sujets variés ont remis à l’honneur l’idée de la participation directe des citoyens et des citoyennes à la vie politique. 

Mieux encore, Anne-Marie Gingras (1999) a noté la capacité des réseaux sociaux à « combler les lacunes du système démocratique occidental en augmentant et en diversifiant les formes de participation politique et en démocratisant la gestion gouvernementale ». Anne-Marie Gingras va même jusqu’à considérer que les réseaux sociaux peuvent être pensées comme un catalyseur de l’action politique, en instaurant une dynamique nouvelle dans la société civile et entre celle-ci et l’État. Et on parle ainsi, selon elle, de décentralisation ou concertation accrues, de délibération plus étendue, de réseautage plus intense, d’acquisition d’appuis d’envergure internationale, etc.

Ce qui nous permet de dire que la souveraineté des peuples et des citoyens reconnus théoriquement, mais occultée pratiquement par les États africains, est en train d’être reprise avec l’usage des réseaux sociaux. En ce sens D. Cardon (2010, p. 100) dit qu’« Internet est un instrument de lutte contre l’infantilisation des citoyens dans un régime qui est censé leur confier le pouvoir ». Donc avec les réseaux sociaux où « une partie des conversations privées s’incorpore dans l’espace public » (D. Cardon, 2010, p. 11), les droits fondamentaux des citoyens africains finiront par devenir effectifs, malgré la réticence de certains régimes.

Il faudrait cependant tenir compte du fait que concevoir la démocratie directe par les réseaux sociaux ou « par les NTIC », comme le souligne Anne-Marie Gingras, pose des problèmes. Anne-Marie Gingras a identifié deux problème majeurs liés à la démocratie électronique directe. L’auteur dit d’abord que cette forme de démocratie est tributaire d’un « déterminisme technologique » tout à fait obsolète, mais aussi elle suppose que les citoyens soient politiquement actifs. Ce qui, dans le contexte africain, est plus difficile dans la mesure où, en dehors des périodes électorales, les populations africaines s’engagent moins politiquement.

De plus, pour Anne-Marie Gingras, la démocratie directe par les NTIC fait l’impasse sur les processus constitutifs de la gestion politique et des logiques sociétales qui pèsent sur les choix des décideurs publics, telles que la mondialisation et la libéralisation des échanges. La démocratie directe électronique doit prendre appui sur le déterminisme technologique qui imprègne encore souvent la vision du développement des NTIC que se font une partie de la communauté scientifique et les décideurs publics ; il ne semble exister aucune distinction entre les possibilités offertes par la technologie et l’usage qui en sera fait. Or, l’histoire du développement technologique démontre que les applications technologiques prévues par les concepteurs et les promoteurs sont souvent « détournées » par les utilisateurs. Ce qui pose aujourd’hui, en Afrique comme ailleurs dans le monde, tout le problème de la législation par rapport à l’usage des réseaux sociaux ou des NTIC de façon générale. Par rapport à ce problème de législation, A.-M. Gingras (1999, p. 37) a souligné le caractère anarchique des réseaux sociaux. Elle pense que le cyberespace serait une manifestation de « la société postmoderne anarchique, fragmentée et sans frontières déterminées ». On peut, selon elle, comparer l’anarchie des réseaux à la difficulté croissante pour les États « de légiférer et réglementer dans un monde global », menacé par la porosité des frontières et la multiplicité des enjeux de nature supranationale.

Dans cette même logique faisant cas des inconvénients des réseaux sociaux, G. Tremblay (1994, p. 255) a déjà évoqué la marchandisation des domaines de l’information qui risque de renforcer les inégalités sociales. Il l’affirme clairement en ces termes :

Le rattachement de la plupart des projets d’autoroutes électroniques et de leurs promoteurs à la sphère marchande ne fait aucun doute, il suffit d’aligner leur nom et de retenir les usages qu’on met en exergue pour en convenir. L’extension de la marchandisation dans le champ de la culture et de l’information (…) risque de renforcer l’inégalité sociale, voire la dualisation de la société, ce qui représente (…) un sérieux problème pour la démocratie.

Conclusion

À l’issue de cette réflexion sur les réseaux sociaux comme facteur des luttes citoyennes à l’occasion du colloque international de Bouaké (Côte d’Ivoire) sur les « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines » du 05, 06 et 07 octobre 2023, nous pouvons conclure qu’avec les réseaux sociaux, les changements en faveur de la démocratie sont plus que jamais en marche dans nos pays. La communication, l’information et la mobilisation par les réseaux sociaux sont, en effet, une affaire planétaire, et les pays africains, même s’ils trainent les pas, ne peuvent pas être en marge de cette dynamique générale des sociétés. Les États africains, comme les autres États du monde d’ailleurs, ne peuvent plus échapper à cette nouvelle donne du domaine de l’information et de la communication longtemps restés l’apanage des groupes restreints (essentiellement constitués des décideurs politiques, journalistes d’investigation et des lobbys). Les acteurs et militants des luttes citoyennes ont désormais, avec les réseaux sociaux, accès aux informations et aux espaces publics virtuels. Les rassemblements citoyens, les manifestations, bref, les actions collectives citoyennes font aujourd’hui des réseaux sociaux les meilleurs canaux alternatifs contre les interdictions, souvent systématiques, des pouvoirs publics.

Le plus important, dans ce cas, est de circonscrire ce qui peut être considéré comme raté dans cette dynamique, afin de permettre à nos sociétés de tirer les meilleurs avantages des réseaux sociaux, devenus, dans tous les cas, incontournables, dans notre existence. Donc, pour une meilleure internalisation de ces réseaux sociaux qui engagent, sans doute, la dynamique de nos sociétés, les États africains doivent emboiter le pas aux autres États du monde (les États Unies d’Amérique, l’Angleterre, les pays de l’Union Européenne) qui sont déjà avancés dans la législation des usages des réseaux sociaux. Légiférer sur les réseaux sociaux suppose impérativement un suivi et contrôle permanents des différentes plates-formes des réseaux sociaux par des spécialistes, « une veille », comme le souligne B. L. Seguin (2015) en ces termes :

Instaurer une veille sur les réseaux sociaux s’impose donc désormais. Mais pour qu’elle soit efficace, il faut savoir se détacher des usages ludiques et des messages égocentriques qui sont légion sur ces plateformes. Toutefois, un contrôle de la qualité et de la quantité d’informations diffusées par de vrais comptes permet assez rapidement de démystifier le vrai du faux. Ainsi, même s’il est très facile d’écrire n’importe quoi sur les réseaux sociaux, la confrontation avec l’esprit critique des internautes (grand public, public averti, journalistes, professionnels de l’information, etc.), permet très souvent de dénoncer les fausses informations.

Références bibliographiques

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USAGES DES RÉSEAUX SOCIAUX ET GOUVERNANCE EN AFRIQUE

Odilon YAO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

odailyao@gmail.com

Résumé :

Le réseau social est une organisation sociale formée de personnes en relation directe ou indirecte entre elles. La dénomination « réseaux sociaux » renvoie, quant à elle, aux entreprises de réseautage social via Internet et à leurs usagers, qui utilisent des identités virtuelles, à travers le monde. En tant que tels, les réseaux sociaux occupent une place importante dans la socialisation de l’homme moderne. Hier, ils étaient destinés à de simples sites de rencontres. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus des canaux référentiels en matière d’information, de désinformation, de formation, de propagande, d’investigation, d’intimidation, d’influence, voire de gouvernance. Ainsi, à partir d’une méthode sociocritique et analytique, cette communication se propose de dénoncer les usages pluriels et controversés des réseaux sociaux. Précisément, elle a pour intention fondatrice d’affirmer l’idée selon laquelle les médias sociaux sont des moyens efficaces pour jauger la démocratie dans un État. Cependant, pour atténuer ses influences néfastes sur les consciences individuelle, collective et sur la politique, ses usages doivent être encadrés par des principes juridiques et des valeurs basées sur les normes culturelles, voire coutumières.

Mots clés : Démocratie, Gouvernance, Morale, Réseaux sociaux.

Abstract:

The social network is a social organization made up of people in direct or indirect relationship with each other. The term “social networks” refers, for its part, to social networking companies via the Internet and their users, who use virtual identities, throughout the world. As such, social networks occupy an important place in the socialization of modern man. Yesterday, they were intended for simple dating sites, but today, social networks have become reference channels for information, disinformation, training, propaganda, investigation, intimidation, influence, even governance. Thus, using a sociocritical and analytical method, this communication aims to denounce the plural and controversial uses of social networks. Precisely, its founding intention is to affirm the idea that social media are effective means of gauging democracy in a state. However, to mitigate its harmful influences on individual and collective consciences and on politics, its uses must be framed by legal principles and values based on cultural, even customary, norms.

Keywords : Democracy, Governance, Morality, Social networks..

Introduction

L’usage de Internet s’est invité dans la vie de l’homme moderne et, est prééminent dans tous les domaines de son existence. Son hégémonie se ressent dans la sphère sociale, culturelle, économique et politique. À partir de là, Internet a engendré des réseaux sociaux virtuels, notamment Facebook, X, WhatsApp etc. Aujourd’hui, avec ces réseaux sociaux, les sujets relatifs au sport, à l’emploi, à la santé, à la sécurité et à la politique ne sont plus réservés aux seuls experts, mais ils sont l’apanage de tout le monde. Tout y est scruté, dans les moindres détails, et plus rien ne passe inaperçu ou incognito grâce aux réseaux sociaux. Concrètement, Internet a rapproché les extrémités et biffé le fossé qui existe entre les dirigeants et les employés, les gouvernants et les gouvernés. A contrario, il existe dorénavant une sorte de cogestion, voire de gouvernance participative à partir de la jonction entre le monde virtuel et le monde réel. Ainsi, incorporés et indispensables dans le quotidien des hommes, quel rôle concéder aux réseaux sociaux pour une meilleure gouvernance en Afrique ? Tel est le problème central auquel nous tenterons de répondre. De ce problème central découlent des questions subsidiaires : les réseaux sociaux ne seraient-ils pas des moyens en vue de contrôler, voire jauger certaines gestions déviantes des gouvernements africains ? Par ailleurs, la superpuissance octroyée aux réseaux sociaux n’est-elle pas à l’origine du dépérissement de l’État ? Finalement, n’est-il pas indéniable d’éthiciser l’usage déviationniste des réseaux sociaux pour une démocratie consciente ?

Cela dit, l’hypothèse centrale de ce travail consiste à montrer que les réseaux sociaux sont des moyens efficaces pour juger la démocratie dans un État. Mais, leur usage incontrôlé est l’une des principales causes de la dérive morale et un fardeau pour la gouvernance en Afrique. En un mot, l’usage des réseaux sociaux influence la morale et la politique dans les États africains. De cette hypothèse centrale, découlent trois hypothèses spécifiques. La première gravite autour de l’idée selon laquelle les réseaux sociaux apparaissent comme des baromètres pour une gestion efficiente de l’État. La deuxième hypothèse stipule que la prépondérance accordée aux réseaux sociaux est la cause de la déchéance et de la fragilité des États africains. La troisième hypothèse à vérifier est celle de l’éthicisation de l’usage démesuré des réseaux sociaux, pour une démocratie plus stable.

À partir de ces hypothèses, les méthodes analytique et critique nous semblent appropriées pour bien mener notre réflexion. La méthode analytique permettra d’analyser la mainmise des réseaux sociaux sur les politiques africaines, dans l’optique de montrer leur importance pour la consolidation de la démocratie. Quant à celle dite critique, elle permettra de remettre en cause la superpuissance des réseaux et leurs impacts sur les consciences tout en proposant des alternatives éthiques.

Concrètement, il s’agira, dans un premier temps, d’indiquer que les réseaux sociaux sont devenus incontournables dans la démocratisation des États africains. Dans un deuxième temps, l’analyse portera essentiellement sur les conséquences des usages inappropriés des réseaux sociaux qui fragilisent l’État et ses valeurs. Enfin, dans un troisième temps, l’analyse gravitera autour des perspectives éthiques, susceptibles de conforter l’humain dans la recherche d’une démocratie plus consciente.

1. Réseaux sociaux et gouvernance participative

Les réseaux sociaux sont au cœur de la gouvernance des États dans le monde en général, et en l’Afrique en particulier. Que faut-il entendre fondamentalement par gouvernance ? C’est Lacroix et al. (2012, p. 26) qui nous fournissent une définition qui semble abonder dans le même sens que nous. Selon eux, la gouvernance est

l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir.

Autrement dit, la gouvernance est l’ensemble des lignes directrices, écrites ou non, conjointement élaborées, à partir desquelles les acteurs choisissent leurs modes de vie. Les décisions qui en découlent sont le fruit de négociation permanente des différentes parties prenantes. Ainsi, les choix opérés conduisent les décisions et autonomisent les différents acteurs impliqués. C’est dire que la gouvernance est participative et les réseaux sociaux facilitent cette participation.

De prime abord, les réseaux sociaux occupent une place de choix dans toute sorte de gestion. Que ce soit en entreprise comme dans les États, leurs influences sont palpables. Dorénavant, ils impliquent le fait que la gestion des institutions soit devenue l’apanage de tous et pour tous. En effet, au nom de la liberté d’expression instituée par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, la démocratie, à partir des réseaux sociaux, se retrouve à un point culminant de son évolution. Les articles 10 et 11 de cette déclaration stipulent que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Ces articles démontrent explicitement la participation de tous et le droit à contribuer, par ses opinions, à l’essor des institutions démocratiques, sans être inquiétés.

Dans son élan de gouvernance inclusive, les réseaux sociaux constituent désormais la continuité des services étatiques. J.-B. J. Vilmer et al (2018, p. 129), dans un rapport intitulé Les manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties, affirment :

Certains États permettent à leurs citoyens de dénoncer les fausses informations sur un site gouvernemental. En Italie, (…) un portail permet à tout un chacun, (…) d’attirer l’attention de la Polizia Postale, l’unité de la police en charge de la cybercriminalité. Le gouvernement thaïlandais, via le ministère de la Santé publique, a lancé une application mobile, Media Watch, (…) par laquelle chacun peut signaler une fausse nouvelle. L’armée chinoise a aussi mis en ligne un site permettant à la population de signaler de fausses nouvelles.

Ces affirmations montrent, sans ambages, l’apport significatif des réseaux sociaux dans les institutions de l’État. Pour être plus précis, Jean-Baptiste Vilmer et ses pairs soutiennent que certains pays tels que l’Italie, la Thaïlande et la Chine impliquent leurs citoyens dans la dénonciation des fausses nouvelles. Simplement, cette gestion participative entre l’État et les populations, à travers Internet, démontre explicitement qu’il existe désormais une passerelle, voire une relation intrinsèque entre les deux entités.   

Par ailleurs, cette passerelle entre l’État et les populations trouve son point d’achèvement, encore plus, dans la politique. En effet, les réseaux ont généré une gouvernance inclusive à travers le virtuel qui s’entremêle avec le réel, dans les décisions et les choix politiques. A. Minc (2016, p. 2) exprime parfaitement cette corrélation lorsqu’il affirme : « Internet n’est plus un simple segment de la réalité. Il est la réalité ». En d’autres termes, il ne faut plus penser que Internet ou les réseaux sociaux sont distants de la réalité. Mais, plutôt, il faut les accepter comme étant la réalité elle-même.

Ensuite, l’on retient que la gestion des États actuels ne peut se départir de l’influence des réseaux sociaux, car ils ont créé le trait d’union entre le virtuel et le réel. À partir de là, les réseaux sociaux dessinent l’avenir des États. Pour C. Stener (2016, p. 85), « les réseaux sociaux sur Internet sont aussi des compléments aux réseaux sur le terrain. L’association du virtuel et du réel est indispensable comme l’a montré l’élection de Barack Obama en 2008. Il n’y a pas d’opposition mais plutôt une complémentarité entre les deux ». Selon lui, il existe factuellement une corrélation entre les relations qui existent sur Internet et celles des sociétés physiques et morales, grâce à l’élection du président Barack Obama. Cela prouve clairement que les réseaux sociaux représentent une force de décision.

Encore, l’une des originalités des réseaux sociaux, dans l’élan de démocratisation de nos États, c’est qu’ils ont clairement biffé l’ossature des systèmes gouvernementaux, le mystère autour de la personnalité politique est désacralisé. Déjà, Akinola Olojo et Karen Allen (2021, p. 2) le faisaient remarquer lorsqu’ils soutenaient : « Les plateformes digitales permettent aux citoyens d’exprimer leurs préoccupations et d’interagir plus directement avec ceux qui gouvernent ». Autrement dit, les réseaux sociaux ont brisé le complexe entre l’État et ses administrés. Immédiatement, à travers les réseaux sociaux, les citoyens identifient leurs préoccupations, contentements ou mécontentements et les communiquent directement aux dirigeants.

Par conséquent, ce processus de communication, souvent sans filtre, conditionnent certaines décisions importantes au niveau de la haute sphère politique. Désormais, les réseaux sociaux sont une force de décision indéniable, voire de pression sur les États. D’ailleurs, cette force serait certainement au fondement, dans un premier temps, des limogeages de Koné Mariam, directrice de l’Office National du Sport ivoirien et de son directeur administratif et financier. Ses limogeages sont intervenus après la grogne populaire, sur les réseaux sociaux, se rapportant au match amical qui opposait la Côte d’Ivoire au Mali, au stade Alassane Ouattara d’Ebimpé. Dans un second temps, cette grogne serait probablement à la base de la non-présence, dans le nouveau gouvernement de Robert Beugré Mambé, de Danho Paulin, alors ministre des sports. C’est dire que les réseaux sociaux ont un impact sur les prises de décisions étatiques.

Derechef, le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly a tort de banaliser les réseaux sociaux lorsqu’il déclare : « Je ne m’informe pas sur les réseaux sociaux, ce sont les lieux d’expression d’émotion et où malheureusement tout le monde est expert » (https://fb.watch/n-fFHh7330/?mibextid=Nif5oz, consulté le 13 septembre 2023 à 20h15min). En d’autres termes, des réseaux sociaux, l’on ne peut rien savoir qui soit rationnel, parce qu’ils sont les lieux d’expression des émotions. Pire, il sous-entend que les réseaux sociaux expriment simplement des opinions issues des émotions. Pourtant, nous le savons avec G. Bachelard (1938, p. 14) que « l’opinion pense mal. Elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance ». Alors, d’après le porte-parole, il n’y a rien de sérieux que l’on puisse tirer des réseaux sociaux, parce que les opinions qui y sont exprimées sont mal élaborées par des pseudo-experts qui n’ont aucune qualification. Pourtant, force est reconnaître la prépondérance de ces instruments dans l’orientation de la vie sociale et politique.

Il est important de préciser que les réseaux sociaux contraignent les États à une meilleure gouvernance. C’est O. Ezratty (2016, p. 86) qui trouve les mots justes pour l’exprimer. Pour lui, « les réseaux sociaux sont aussi de puissants contre-pouvoirs et outils de dissémination de l’information dite “citoyenne”. Ils menacent les régimes politiques non démocratiques qui en bloquent parfois le fonctionnement ». Il faut comprendre, à partir de cette affirmation, que les réseaux sociaux sont des outils privilégiés, que les peuples utilisent, pour diffuser des informations susceptibles de s’opposer aux décisions arbitraires de l’État. Les réseaux sociaux se comportent désormais comme une force vive de l’opposition, indépendante et de contre-pouvoir. C’est pourquoi, il arrive très souvent que les populations en soient privées, comme cela a été le cas au Gabon, l’hors des élections générales du 26 août 2023.

En sus, les réseaux sociaux sont des jauges pour contrôler la gouvernance des institutions et des pays ; dans la mesure où ils aiguiseraient ou métamorphoseraient la démocratie, alors sous les auspices des seuls gouvernants.  Dorénavant, les réseaux sociaux obligent les politiques à plus de transparence, de cohérence et de compétence, car leurs déclarations sont visionnées, discutées, analysées et traitées méticuleusement. B. Thieulin (2016, p. 32) voit juste lorsqu’il affirme : « Internet modifie également structurellement la manière dont le pouvoir s’exerce à travers des consultations publiques en ligne. (…) Le pilotage des politiques publiques est également rendu plus efficace ». D’après cette affirmation, le mode de gestion des pouvoirs publics, grâce aux analyses et critiques des réseaux sociaux, a foncièrement modifié la structuration de l’État et rendue efficace sa gestion.

Finalement, les réseaux sociaux ont permis de décentraliser le pouvoir. En un mot, ils ont démocratisé les pouvoirs et donné un véritable sens au pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Désormais, « les politiques doivent gérer un équilibre délicat : être soi-même, mettre en avant leurs collaborateurs (peuples), faire preuve d’un maximum de transparence, gérer les crises en temps réel », (O. Ezratty 2016, p. 87). C’est dire que la pression populaire, à travers les réseaux sociaux, est importante et nécessaire pour une gestion optimale des démocraties africaines. Cependant, cet important rôle que jouent les réseaux sociaux, dans l’expression démocratique, ne serait-il pas au fondement du dépérissement des États africains ?

2. Les réseaux sociaux et le dépérissement de l’État : vers la crise des valeurs morales

Les réseaux sociaux ont accentué la crise de la démocratie et la perte des valeurs morales. En effet, au nom des libertés d’expression et de communication, tout sur Internet n’est plus net à entendre et à voir. La superpuissance concédée aux réseaux sociaux entraine peu à peu l’affaiblissement des États, car ils ne sont plus toujours souverains et crédibles. À propos, E. Bernays (2007, p. 46) soutient :

Nous avons donc volontairement accepté de laisser à un gouvernement invisible le soin de passer les informations au crible pour mettre en lumière le problème principal (…). Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse (…) désignent les questions dites d’intérêt général ; nous acceptons qu’une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons.

Autrement dit, les autorités ont laissé aux réseaux sociaux, ce pouvoir virtuel, la latitude de décider et de choisir les priorités des sociétés et des États. Facilement, nous avons laissé libre cours aux influenceurs, de ces médias, de désigner les problèmes dits d’intérêt général. Sans aucune inquiétude, ces influenceurs, quels qu’ils soient (guide moral, pasteur, web-humoriste, artiste etc) sont les nouveaux portevoix du peuple. Ils sont, très souvent, invités par des autorités publiques dans les prises de décision, parce qu’ils représenteraient l’opinion publique. Précisément, ce sont eux qui dictent les règles de conduites sociales, applicables à tous avec ses lots de dérives qui l’accompagnent.

Il est évident que la déclaration des droits de l’homme accorde la prééminence à l’expression, mais force est de constater qu’au nom de ces droits, l’intégrité de l’État est entamée. L’État ne peut qu’être fragilisé et mis à nu du fait de certains activistes qui le déconstruisent et projettent de le détruire. L’on se souvient des déclarations du cyberactiviste Pierre Assalé Niangoran, plus connu sous le pseudonyme de Peter 007, faisant l’apologie de coup d’État contre le président ivoirien, Alassane Ouattara. Il disait :

Je suis prêt pour un coup d’État, (…) j’ai fait onze ans de servie au près, je fus partie de la force spéciale du GSPR pendant onze ans, on a fait la guerre jusqu’au dernier auprès de Gbagbo. Le président Alassane Ouattara aime la force, ce monsieur-là, il est Mazo, c’est un menteur. Il aime la force (https://www.koaci.com, consulté le 02 octobre 2023 à 09h04 min ).

Ces propos gravissimes, tenus à partir des réseaux sociaux, montrent à quel point nos États sont exposés. Selon les dires de ce cyber-activiste, il serait apte à détruire son propre pays avec les institutions qui l’incarnent, notamment la destitution forcée du chef de l’État.

Il faut noter que les réseaux sociaux sont visiblement les lieux où se développe la propagande. En effet, les propagandistes utilisent ces canaux de communication pour manipuler les informations dans le but d’influencer les consciences et de les mener à leur guise. J.-B. J. Vilmer et al(2018, p. 45) reconnaissent que « ce sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l’opinion publique, exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d’autres façons de relier le monde et de le guider ». Autrement dit, les influenceurs, propagandistes sont les nouveaux maîtres de l’agora. Ils manipulent et conduisent l’opinion publique en exploitant les ressources sociales et en surfant sur les difficultés existentielles.

De plus, la propagande orchestrée sur les réseaux sociaux a impacté les grandes démocraties et engendré des clivages et le déchirement du tissu social. J.-B. J. Vilmer et al (2018, p. 25) constatent :

Les manipulations de l’information, toutes virtuelles qu’elles peuvent paraître, ont de nombreux effets bien réels, et parfois physiques (…). Elles ont divisé les opinions publiques, semé le doute quant à la véracité des informations délivrées par les médias de référence, renforçant le rejet dont ces derniers peuvent faire l’objet. Elles ont joué un rôle dans des crises diplomatiques majeures (Ukraine, Syrie, Golfe).

La manipulation de l’information par les propagandistes, via les réseaux sociaux virtuels, peut avoir des conséquences graves et réelles. Pour se rendre à l’évidence, rien que ces dernières années, ses conséquences se sont ressenties dans les élections de plusieurs pays dits démocratiques. Ses effets sont palpables, car ils ont créé des dissensions, suscité le doute, nourri les clivages et seraient au fondement de l’amplification des crises en Ukraine, en Syrie et dans le Golf.

L’un des reproches majeurs adressés aux réseaux sociaux, c’est qu’ils ont contribué valablement à l’expansion du terrorisme. Les djihadistes ont trouvé un terrain propice pour se développer et impacter les consciences. Selon C. S. Liang (2015, p. 2), le virtuel a offert des opportunités pour mener des opérations terroristes. Cette idée se fonde sur la déclaration d’Ayman al-Zawahiri, ancien chef du réseau terroriste Al-Qaïda de 2011. Pour s’en rendre compte, écoutons ce qu’il dit, à travers ce compte rendu de Vilmer Jean-Baptiste Jeangène (2018, p. 44) : « Nous sommes dans une bataille, et plus de la moitié de cette bataille s’effectue dans les médias. Dans la bataille médiatique, nous luttons pour conquérir les cœurs et les esprits de notre Oumma ». En d’autres termes, le terrorisme est une guerre aussi médiatique et les réseaux sociaux sont les lieux de prédilection pour conquérir les cœurs et justifier les actes terroristes.

Dans cette même perspective, les réseaux sociaux ont servi de canaux de recrutement de nouveaux adhérents à Daech ; et cela, les États impuissants n’ont pu les freiner. C. S. Liang (2015, p. 2) renchérit sur l’usage controversé des réseaux sociaux, quand il affirme : « La campagne de Daech sur les médias sociaux lui avait permis d’attirer plus de 18 000 soldats étrangers, venant de plus de 90 pays ». Cela veut dire que les réseaux sociaux sont des outils très efficaces pour recruter des terroristes, dans tout le monde entier.  

Par ailleurs, les réseaux sociaux ont encouragé l’explosion des théories complotistes ou conspirationnistes contre des régimes dans l’optique de dénigrer, voire déstabiliser le pouvoir. K. Popper (1966, p. 67) déclare :

Il existe une thèse, que j’appellerai la thèse du complot, selon laquelle il suffirait, pour expliquer un phénomène social, de découvrir ceux qui ont intérêt à ce qu’il se produise. Elle part de l’idée erronée que tout ce qui se passe dans une société, guerre, chômage, pénurie, pauvreté, etc., résulte directement des desseins d’individus ou de groupes puissants.

Karl Popper considère que tous ceux qui utilisent comme alibi, les phénomènes sociaux, notamment la guerre, le chômage, la pénurie et la pauvreté pour inciter les populations vulnérables à la révolte, sont des complotistes. Pourtant, ces cas sont légions sous nos tropiques. En Côte d’Ivoire, il y a quelques années, l’on a connu le cyber-activiste Christ Yapi qui n’hésitait pas à divulguer des informations de l’État qui étaient sensées tenues secrètes. Avec lui, l’État était nu, parce que sa confidentialité était à découvert.

Encore, l’usage incontrôlé, parfois inapproprié des réseaux sociaux a abouti à la crise de l’autorité. En effet, il n’est plus rare de voir des individus, dissimulés derrière leurs claviers, adresser des propos acerbes à des autorités de tout ordre. Ce constat ne laisse pas indifférent Umberto Eco ; c’est pourquoi il affirme :

Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel (https://citations.ouest-france.fr/citation-umberto-eco/reseaux-sociaux-donne-droit-parole-125389.html, consulté le 05 octobre 2023 à 11h57min).

En d’autres termes, à cause des réseaux sociaux, tous les ignares ont le droit de parler et de se prononcer sur tout type de problème qui nécessitait, auparavant, un minimum de connaissance ou une expertise. Umberto se désole de savoir que les érudits ne sont plus écoutés, ni suivis. Contrairement aux ignorants qui, par le passé, ne s’exprimaient que dans les bars. Nullement, ils n’avaient droit à la parole. Justement, c’est parce que des légions d’imbéciles ont droit à la parole, grâce aux réseaux sociaux, que nos mœurs se sont perverties, qu’il devient plus qu’impérieux d’éthiciser l’usage des réseaux sociaux.

3. La gouvernance face aux doubles usages des réseaux sociaux : quelles alternatives ?

L’usage des réseaux sociaux est ambivalent et controversé. Alors, il mérite qu’on lui prête attention en le canalisant à l’effet d’amoindrir ses effets néfastes sur les consciences et son implication démesurée sur la démocratie. Pour se faire, il nous faut convoquer les principes juridiques et établir une éthique qui s’adosse sur certaines normes culturelles africaines. 

D’abord, au plan juridique, il faut l’admettre, la liberté d’expression est un droit fondamental pour l’individu. Mais, il faut savoir raison garder, ce droit n’est pas absolu. Alors, on ne peut pas tout dire sur Internet sans être inquiété par la loi. En effet, l’article 4 de la déclaration universelle des droits de l’homme confère certes à l’individu son droit à la parole, mais il précise également que ce droit doit être encadré par la loi et ne doit pas nuire à autrui. En France, par exemple, c’est la loi Léotard relative à la communication, qui donne l’explication la plus aboutie. Il s’agit de la Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (telle que modifiée jusqu’au 6 août 2018). Cette loi stipule :

La communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propreté d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale.

Cette loi traduit l’idée selon laquelle la communication via les réseaux sociaux est libre. Cependant, cette liberté doit être régie par des lois qui l’encadrent.   D’abord, cette communication doit respecter la dignité humaine. En aucun cas, cette dignité doit être assujettie au nom d’un prétendu droit à l’expression. Ensuite, cette communication doit tenir compte de la diversité des opinions et doit veiller à la sauvegarde de l’État.

De plus, si l’on veut sauvegarder la dignité humaine, il faut nécessairement punir sévèrement les propos diffamatoires qui sont en cours sur les réseaux sociaux. En effet, la loi du 29 juillet 1981 relative à la liberté de la presse, en son article 29, définie la diffamation comme :

Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.  

La diffamation consiste à dire ou attribuer des propos désobligeants qui portent atteinte à l’honneur ou au respect d’une personne ou d’une institution. Aussi, toute information diffusée intentionnellement ou partagée par ignorance, à propos d’un individu qui l’indigne, doit être punie. C’est à ce seul prix que les réseaux sociaux pourraient être assainis.

Ensuite, il faudrait durcir les lois relatives aux images obscènes sur les réseaux sociaux. Le récent cas de la blogueuse, la dénommée Lolo Beauté, laisse à désirer. En effet, cette influenceuse a diffusé sur son compte Meta, des vidéos la montrant dans des postures totalement indécentes avec une exhibition de son intimité. Après avoir pris connaissance de ces actes à caractères pervers, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) a pris des dispositions qui, d’ailleurs nous semblent très flexibles, vu l’impact que cet acte pourrait avoir sur les consciences et la jeunesse particulièrement. Entre autres dispositions, comme le rapporte le site Koaci.com, l’on peut citer « le retrait immédiat de ces vidéos, abjectes tant par les images que par les commentaires ; la restriction du compte Meta de la dénommée Lolo Beauté pour une période de 30 jours ; la non-certification (monétisation) du compte, en lien avec les vidéos incriminées » (https://www.koaci.com, consulté le 02 octobre 2023 à 14h15 min).

Par ailleurs, la nécessité d’instaurer un cadre éthique, applicable sur les réseaux sociaux, pourrait contribuer efficacement à restaurer la morale, à consolider la démocratie participative et à donner un sens à l’existence humaine. En clair, parler d’éthique dans l’usage des réseaux sociaux, c’est admettre, d’après A. G. Legault et al (2000, p. 20), que la

vie humaine est tributaire du sens autant que de l’efficience. L’agir humain ne peut se réduire, si ce n’est en réduisant l’humain, à la seule motivation de maximiser son intérêt personnel. Réhabiliter la sphère du sens, du sens de l’agir, du sens des affaires privées ou publiques, du sens des agirs et des décisions de vie, tel est le projet audacieux de toute parole éthique.

L’existence humaine, en tant que réalisation de soi, ne saurait être restreinte. Elle trouve justement son sens dans l’affirmation de soi et son rapport aux autres. Cependant, son intérêt est d’être au centre des attentions, en piétinant souvent les valeurs existentielles préétablies. Alors, réhabiliter la dignité humaine, face aux tentations matérialistes, tel est l’objet de l’éthique.

Qui plus est, pour éthiciser les réseaux sociaux, il nous faut obligatoirement vulgariser et adopter des principes tels que le respect de la vie privée, le respect d’autrui, la tolérance, le pardon et la prudence. À juste titre, la Fédération Française de Tennis (FFT) (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min) énumère quant à elle plusieurs suggestions. D’abord elle invite à une protection individuelle sur les réseaux sociaux à partir de ces termes : « Vos propos vous engagent. Pensez à l’image que vous donnez de vous à travers vos publications. Préservez votre vie privée et vos données personnelles. Veillez à ne pas trop passer de temps sur les réseaux sociaux » (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min). L’idée sous-jacente de cette invitation est de responsabiliser l’usage des réseaux sociaux pour ne pas prêter le flanc aux détracteurs et chasseurs d’information sur Internet.

Par la suite, elle invite à la courtoisie et à la politesse sur les réseaux sociaux. À propos, elle affirme : « La forme des messages sur les réseaux sociaux est importante. Comportez-vous comme si vous étiez en face de la personne. De manière générale, ne prenez pas le réseau social comme un paravent pour faire ce que vous ne feriez pas lors d’une conversation réelle » (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min). Cela dit, les réseaux sociaux ne doivent pas être un meuble derrière lequel, l’on se terre pour dire des paroles injurieuses, discourtoises et répandre des invectives.

Aussi ajoute-t-elle, il faut toujours prendre le temps de passer les informations aux cribles de la raison ou les vérifier avant de les relayer. Pour être plus précis, elle intime l’ordre suivant : « Ne relayez pas aveuglement les messages d’autrui. Autant que possible, vérifiez et citez vos sources. Ne partez jamais du principe que tout ce que vous trouvez sur internet est vrai et à jour » (https://www.Fft.fr, consulté le 30 octobre 2023 à 19h36 min). En d’autres termes, il faut se garder de partager les messages publiés par autrui. En dehors de cela, il faut toujours vérifier la source des informations avant de les publier. Surtout, il faut savoir tout ce qui se trouve sur Internet n’est pas vrai et juste, donc il est important de citer l’origine des informations que l’on veut publier.

Enfin, il faut recourir à certaines valeurs traditionnelles pour éthiciser les réseaux sociaux. Entre autres valeurs, l’on doit recourir au fait de ne pas injurier ses aînés. Le droit d’ainesse est une institution africaine qui permet de préserver le respect d’autrui, de ne pas appeler les personnes âgées par leurs noms, de céder la place aux personnes âgées. Si l’on a recours à ce principe traditionnel, cela aidera à moraliser la jeunesse.  

Derechef, comme autres valeurs essentielles il s’agira d’inculquer aux usagers des réseaux sociaux le fait de ne pas prendre la parole publiquement sans y être autorisé ; de considérer la sacralité de la nudité ; le sens du respect de l’autorité ; la solidarité ; l’honneur, l’obéissance etc. Ainsi, si l’on veut amener l’Afrique à être la référence des autres continents, il lui faut contrôler et restreindre l’usage d’Internet en impliquant les parents dans la surveillance des données mobiles de leurs enfants. Aux opérateurs de téléphonies mobiles, il est proposé de restreindre l’usage des réseaux sociaux aux mineurs, parce que facilement influençables. Il est aussi proposé de conditionner l’usage des réseaux aux utilisateurs analphabètes. Pour le législateur, il est proposé de légiférer et contraindre les fabricants d’appareils à intégrer un système de blocage automatique pour les diffuseurs de contenus obscènes et tendancieux.

Conclusion

Pour finir, il convient de retenir que l’usage des réseaux sociaux a une double conséquence. Certes, il permet de consolider la démocratie, mais a contrario ses intentions démesurées fragilisent l’État et ont un impact considérable sur les valeurs morales. Pour réduire ses apports néfastes, il est nécessaire de l’éthiciser en associant les normes juridiques aux valeurs culturelles.

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IMPACTS DES RÉSEAUX SOCIAUX ET DYNAMIQUES DÉMOCRATIQUES EN AFRIQUE ENTRE EXCENTRICITÉS                 ET ESPÉRANCES LÉGITIMES !

1. Séa Frédéric PLÉHIA

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

sfplehia@gmail.com

2. Nanou Pierre BROU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

nanoupierre@yahoo.fr

Résumé :

La célérité avec laquelle se diffuse aujourd’hui l’information par le biais des réseaux sociaux et leurs impacts sur l’existence des citoyens du monde en général et des Africains en particulier, démontrent largement que les moyens de communication connaissent une expansion vertigineuse eu égard à une digitalisation accrue des données techniques mobilisées. Et du fait de cette « révolution copernicienne » qu’accomplit la presse sociale, et ce contre les contrôles tentaculaires des politiques réactionnaires, la promesse d’une espérance démocratique en Afrique, se trouve de plus en plus manifeste tant l’espace communicationnel n’est plus hermétiquement clos mais plutôt prodigieusement ouvert. Nonobstant cette dynamique séduisante des médias numériques, la question de recherche qui interpelle raisonnablement, pourrait s’énoncer ainsi qu’il suit : la presse digitale peut-elle contribuer à la consolidation méliorative de la démocratie ou à son délitement irréversible en Afrique ? C’est à proposer une réplique valide à cette problématique que les méthodes analytique, sociocritique et heuristique seront diligentées dans la présente étude en vue, d’une part, de juger de l’utilité avérée ou non des réseaux sociaux dans l’implémentation des dynamiques socio-culturelles, pour à terme en évaluer les apports bénéfiques indéniables ou dommageables à l’émergence d’une Afrique plus démocratique, d’autre part. Quitte à paraître trop exigeant vis-à-vis des réseaux sociaux, il s’agira ici de proposer une réforme sans équivoque de la presse sociale. Cela requiert notamment de la part des gouvernants, un remède de cheval qui se déclinerait en termes de normes éthico-juridiques à mettre en œuvre en vue de corriger, de façon pérenne, tous les dysfonctionnements observés jusqu’ici.

Mots clés : Communication,Démocratie, Digitalisation, Espace virtuel, Turbo-communication.

Abstract:

The speed with which information is disseminated today through social networks, and their impact on the existence of citizens of the world in general and Africans in particular, testify that the means of communication are experiencing a dizzying expansion in view of to increased digitalization of the technical data used. And because of this “Copernican revolution” that the social press is carrying out, and against the sprawling controls of reactionary policies, the promise of democratic hope in Africa is becoming more and more evident as the communication space is more hermetically closed but rather prodigiously open. Notwithstanding this attractive dynamic of digital media, the research question which raises reasonable questions could be stated as follows: can the digital press contribute to the meliorative consolidation of democracy or to its irreversible disintegration in Africa? It is to propose a valid response to this problem that the analytical, sociocritical and heuristic methods will be carried out in the present study with a view, on the one hand, to judging the proven usefulness or not of social networks in the implementation of socio-cultural dynamics, to ultimately assess their undeniable beneficial or damaging contributions to the emergence of a more democratic Africa, on the other hand. Even if it means appearing too demanding with regard to social networks, it will be a question here of proposing a reform of the social press which requires in particular from those in power a horse remedy which would be declined in terms of ethical-legal standards to implemented with a view to permanently correcting all the dysfunctions observed to date.

Keywords : Communication, Democracy, Digitalization, Virtual space, Turbo-communication.

Introduction

Si le suffrage universel apparaît sans contexte comme le levier politique en considération duquel se juge la vitalité démocratique au point d’en constituer son palladium, son pendant naturel l’accompagnant, c’est la ferveur de la liberté d’expression à l’œuvre dans les médias numériques. Dans cette perspective dynamique, la presse digitale au travers du grand village planétaire qu’elle interconnecte, propose des fora d’interactions virtuelles qui propagent l’information en temps réel. En matière de gouvernance aussi, sa contribution à l’expansion démocratique, notamment en Afrique, s’apprécie en termes de sensibilisation de l’opinion publique sur des sujets d’intérêts comme la scolarisation de la jeune fille, les Droits de l’Homme, les violences basées sur le genre, la justice sociale, etc. Or, en dépit de cette part importante que prennent les réseaux sociaux dans l’existence factuelle des citoyens du monde, ils incarneraient autant de tares répulsives et criardes qui nuisent incontestablement à leur réputation. 

Dès lors, la question de recherche qui pourrait être mise en lumière, eu égard au développement dynamique des réseaux sociaux en matière de communication, se libellerait de la manière subséquente : la presse sociale peut-elle impacter positivement les dynamiques démocratiques en Afrique ? Dit autrement, la presse digitale participe-t-elle activement au processus de démocratisation des États africains ? Dans quelle mesure, y favoriserait-elle une expression libre, plurielle, équilibrée et bénéfique de l’information ? Toutefois, et ce au regard de l’usage incontrôlé et distrait qui en est souvent fait, ne peut-on pas en dénoncer ses nocuités, au point d’en appeler à un contrôle législatif minimal, si tant est que la volonté politique de rigueur, c’est de faire en sorte que la communication numérique incarne la clé de voûte de la consolidation des acquis démocratiques en Afrique ? Somme toute, c’est à coordonner l’inventaire des esquisses de solution à cette problématique d’ensemble que vont se consacrer les analyses à venir.

1. Le boom du passage de la communication classique à la communication numérique

L’essor fulgurant du numérique incline le nomothète moderne à inventer un florilège de néologismes, pour décrire de nouvelles conjonctures de communication. Mais dans la multitude non exhaustivement inventoriée, il s’agira de réinvestir le sens à donner aux « médias sociaux ». Et répondant à ce souci de clarification, voici ce qu’en disent A. Olojo et K. Allen (2021, consulté le 30/03/2023) : « (…) Un réseau social, ou média social, est tout simplement un site internet qui consiste et permet aux utilisateurs d’échanger entre eux, de partager des contenus (…), ou de s’informer sur des sujets ». Nés, d’une part, de la volonté de diversifier les moyens de communication, et de rendre l’information accessible à une frange importante de la population, d’autre part, « les réseaux sociaux appartiennent à la famille des médias sociaux » (Idem), et ont pour vocation de se soustraire à la mainmise des politiques despotiques.

En effet, la triste vérité dans les pratiques politiques, c’est que « pour des raisons évidentes, les gouvernements ont toujours cherché à conserver à leur bénéfice exclusif l’usage des moyens d’information. C’est un fait qui n’est pas particulier à l’Afrique ». (J. Atangana, 1973, p. 45). Sauf que, les nouveaux médias sociaux vont inaugurer une nouvelle ère de communication qui trancherait absolument avec l’influence des médias traditionnels. Jadis soumise à l’autoritarisme des pouvoirs politiques et des magnats de la presse qui ne donnaient l’information que sous le prisme déformant de leur vision du monde et au bénéfice exclusif de leurs intérêts, la presse sociale va affranchir les Africains du joug pesant d’une information univoque et polémique. Comme telle, toute l’existence concrète des citoyens africains semble aujourd’hui, et ce à tous les niveaux de responsabilité, impactée par les médias digitaux.

Aussi, la tranche d’analyse à venir s’attèlera-t-elle à démontrer, d’une part, comment la « turbo-communication » apporte en temps réel une valeur ajoutée en matière de fluidité de l’apprentissage, du développement du commerce virtuel et de la diffusion de l’information, non sans en dénoncer les avatars qui liquéfieraient la culture africaine.

1.1. L’avènement d’Internet en Afrique comme l’acclimatation d’une « turbo-communication » via les réseaux sociaux

« Portée par la téléphonie mobile et les technologies de l’information et de la communication, la révolution numérique bouleverse l’Afrique » (É. Peyroux et O. Ninot, 2018, consulté le 30/03/2023), tant elle y occupe de nos jours une place charnière. Au-delà, elle laisse aisément présager l’avènement d’une “turbo-communication” qui disposerait le monde entier sous l’emprise totale du virtuel. Et, eu égard à cette ferveur passionnée qui se déploie partout, on pourrait à la limite alléguer que « la société de la communication ou du « turbo-savoir » se caractérise par l’accès virtuel, l’accès rapide » (M. Hermans, 2011, consulté le 27/03/2023) à l’information. Sous ce registre, les réseaux sociaux assurent parfaitement une mobilité des news (pour se permettre cet anglicisme) en matière d’information.

Seulement, comparativement aux médias traditionnels, il s’observe avec les médias numériques une différence abyssale en matière de communication. Tous les codes déontologiques semblent exploser sous l’activité en plein essor des réseaux sociaux. À mettre les chiffres en parallèle, déjà en 2013, on note que les statistiques exposant les vues et les activités sur les nouveaux médias restent effarantes tant ils donnent le tournis. En témoigne que, sont échangés en continu 192 milliards de sms par jour dans le monde, 181 milliards de mails envoyés en une journée dans le monde, 4 milliards de vidéos regardées sur YouTube quotidiennement et 25% des internautes actifs, 3,5 milliards de recherches sur Google en une journée dans le monde, 1,15 milliards d’utilisateurs de Facebook et 50% des internautes actifs, 546 millions de tweets envoyés en une journée dans le monde et 22% d’internautes actifs. (M. Hermans, 2011, consulté le 27/03/2023).

Si nous osons des analogies encore aujourd’hui, ces données seraient largement hors d’atteinte. Au plan politique singulièrement, tout semble sous l’emprise de nouvelles donnes qui entrent en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir. « L’impact des TIC est considérable dans la formation et le renforcement de la société civile, et plus généralement en matière de liberté d’expression. Dans les médias en ligne, les forums et les réseaux sociaux existent des espaces entièrement ouverts et échappant très largement au contrôle des pouvoirs en place ». (É. Peyroux et O. Ninot, 2018, consulté le 30/03/2023). Les médias sociaux, en interconnectant une large palette de panélistes diversifiés, offrent entre autres opportunités la possibilité, quand bien même elle soit simplement virtuelle, de se rapprocher, de maintenir le contact malgré les distances, et de favoriser après coup les échanges très enrichissants d’idées.

Dans les agoras en ligne qui se créent au quotidien, les citoyens se comportent comme de vrais acteurs ou sujets politiques qui ne sont plus de simples laissés-pour-compte qui subiraient le joug des informations. Les avis sur les sujets d’actualité, même s’ils ne sont pas toujours pris en compte par les décideurs, sont néanmoins donnés par les internautes, puisque de plus en plus de démocraties en tiennent compte pour légiférer. Ainsi, se maintient-il l’élargissement des horizons et la diversification des connaissances à tous égards. En sus, les gains en matière de postures politiques s’avèrent colossaux. Et pour cause,

Cass Sunstein rappelle à juste titre que le principe de la souveraineté politique est fondamentalement différent. « Les citoyens ne pensent pas et n’agissent pas comme des consommateurs ». La démocratie politique est le résultat d’un gouvernement de la délibération. Les choix politiques ne correspondent pas toujours aux intérêts personnels de l’individu, mais à ceux de la collectivité. L’opinion publique se construit par le débat, l’échange et la délibération. (P. Flichy, 2008, p. 163).

Outre les avantages fort notables à l’actif des réseaux sociaux, il ne faut guère perdre de vue leurs inconvénients que C. R. Sunsteindépeint bien en ces propos:« Vous allez croire beaucoup de choses qui sont fausses et vous allez manquer d’apprendre quantité de choses qui sont vraies. Et c’est terrible pour la démocratie. D’autant que ceux qui ont des intérêts spécifiques – y compris des politiciens et des nations (…), cherchant à perturber le processus démocratique – peuvent utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir leurs intérêts ». (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023). En clair, l’ouverture démocratique sous-jacente que promeuvent les réseaux sociaux, contribue éloquemment à sensibiliser l’opinion publique sur des sujets de société d’intérêts cruciaux. Et, c’est à inventorier cet ensemble non-exhaustif des désagréments imputables au recours abusif aux réseaux sociaux que va maintenant se livrer le point d’analyse subséquent.

1.2. Les carences et excès des réseaux sociaux dans l’implémentation de la démocratie

Si l’appétence pour les réseaux sociaux continue encore à surfer sur des discours accommodants, cependant des velléités de critiques opportunistes mettant en relief leurs nuisances, deviennent de plus en plus audibles tant les vérités qu’elles indexent s’avèrent alarmantes. Et pour cause !

Le premier écueil auquel doivent faire face les médias sociaux, c’est que nul n’est sans savoir que les politiques réactionnaires ont en horreur la contradiction, surtout lorsqu’elle émane des objecteurs virtuels. C’est cela qu’élucident ces élocutions de B. Voyenne (cité par J. Atangana, 1973, p. 63) : « Ceux qui détiennent quelque part dans le monde un atome de pouvoir (…) ne peuvent pas supporter d’autre image que la leur, d’autre voix que la leur ou celle du parti qui les prolonge, d’autre jugement que la louange démesurée autant qu’intéressée de leurs flatteurs à gages (…). Le politique est si peu sûr de son autorité qu’il ne peut supporter la moindre remise en question ».

Également, les données publiées par les médias numériques à des fins de partages ou d’échanges d’expériences professionnelles, sont utilisées pour cibler des politiques publicitaires et influencer des choix de consommation. Pis, l’intrusion inélégante des médias sociaux dans la sphère intime des citoyens soulève des inquiétudes quant à la protection des données personnelles et à l’exposition ostensible de la vie privée. Et paradoxalement, ce serait sous prétexte d’anticiper les périls sécuritaires auxquels exposent les réseaux sociaux que la vie privée des citoyens serait prise en étau. La vérité qui fâche dès lors, c’est qu’Internet en tant que« réseau mondial où transitent des centaines de millions de messages en une fraction de seconde pose un problème de confidentialité : vos messages peuvent être espionnés à votre insu et des pirates malveillants peuvent utiliser les données ainsi glanées pour vous nuire ». (D.-J. David, 2013, p. 262). Visiblement, tout semble prospérer sous le règne impétueux du numérique, même les pires arnaques !

De plus, sous la houlette des internautes ayant subitement voix au chapitre, la manipulation de la vérité opère sans aucune once de gêne. Désormais dans la presse, la quête du sensationnel prend l’ascendant sur la diffusion de l’information juste. Ceci explique aussi que « (…) le numérique est maintenant vivement critiqué. Internet et les réseaux sociaux peuvent desservir la démocratie, en polarisant plus encore les opinions, en facilitant les manipulations, en exacerbant les tensions » (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023) et en vidant la vérité de sa véritable substance.

À rebours de tout le bien qu’on pourrait penser d’eux, les réseaux sociaux entretiennent l’illusion factice d’être des fora à discussions, alors qu’ils promeuvent en vérité le pullulement de pseudo-débats dans lesquels les débateurs n’ont, ni l’expertise scientifique, ni la dignité sociale requises pour. Toute chose qui incline P. Flichy à écrire (2008, p. 162-163):« (…) les débats en ligne ne correspondent pas aux caractéristiques de l’espace public, à savoir un débat entre égaux où les arguments rationnels prévalent et où on cherche à élaborer une position commune ». Les internautes, sous couvert de l’impunité induite par la liberté d’expression, se croient détenteurs d’une parcelle de savoir, et invectivent sans gêne des contradicteurs qui se trouveraient souvent être des doctes du domaine indexé. Si l’impertinence caractérisée et la malséance publique y sont les lignes de conduite en vigueur, « (…) l’échange argumenté est loin d’être toujours la règle. (…) Comme le dit bien Michaël Dumoulin, on [y] rencontre en fait des « monologues interactifs ». (P. Flichy, 2008, p. 163).

Plus grave encore, derrière des faux profils, et sous le voile d’un anonymat fluctuant et bien protégé, se cachent généralement des intentions des plus malveillantes. L’omniprésence accrue de la communication numérique dissimule des pièges qui exposent à toute sorte de graves risques. Autant insinuer que, « le caractère virtuel des messages qui circulent sur Internet est la source du problème. (…) Outre commettre des infractions qui sont attribuées à la victime de l’usurpation, il y a les achats faits » (D.-J. David, 2008, p. 263) sur Internet qui exposent également à toute sorte d’escroquerie. Plus qu’alarmant, le semblant d’anonymat qu’offre internet et derrière lequel se cachent les méchantes personnes, favorise la reproduction et la multiplication des discours distillant à tour de bras la haine, la désinformation à outrance, la dépravation visuelle des mœurs à travers un exhibitionnisme sexuel outrancier, la cybercriminalité et le cyber-harcèlement.

Même les États les plus développés n’échappent guère aux intrusions criminelles des hackers piratant tout qui se trouve à découvert souvent par le biais d’« un point d’entrée sur un système informatique, le plus souvent à partir d’un accès distant, en découvrant une identité et un mot de passe. Tous les systèmes informatiques connectés au réseau Internet ont un ou plusieurs » talons-d’Achille (S. Lohier et D. Présent, 2004, p. 158). Dès lors, si on n’y prend garde en imposant un Rubicon à ne guère franchir, tous ces travers mettraient irréversiblement en péril le vivre-ensemble, voire l’existence des États du fait du caractère supranational que revêt Internet. Grossomodo, tout serait à refaire, pour utiliser l’expression bien en usage chez les internautes africains.

Eu égard à cette forme de débauche numérique qui se développe, généralement sous le regard impuissant et désabusé des pouvoirs publics, les « (…) chercheurs contestent également l’hypothèse de l’émergence d’un nouvel espace public en ligne. Ils constatent que les forums sont souvent le siège de ces guerres d’injures où les internautes défendent violemment des opinions dont ils ne veulent plus démordre ». (P. Flichy, 2008, p. 162). Au lieu d’être des fora enrichissants et constructifs d’échanges pour une société civile responsable, les espaces virtuels deviennent des foires aux injures et autres obscénités.

Enfin, les réseaux sociaux sont cloués au pilori au motif qu’ils dissimuleraient des carences qui nuisent aux dynamiques sociétales. Du constat fait par M. Hermans (2011, consulté le 27/03/2023), « les dangers des réseaux sociaux se déclinent en termes de « repli sur soi : individualisme (la démocratie nécessite la solidarité), confusion entre monde réel et monde virtuel, surtout chez les plus jeunes, cerveau émotionnel ou reptilien : choc et oubli rapide, utilisation superficielle et ludique des nouveaux médias, rejet du « politique » par des citoyens désabusés ». Les réseaux sociaux sont ostracisés pour leur capacité funeste à créer des dépendances. Dans la nomenclature approximative de ces excès, l’addiction aux réseaux sociaux se décline en termes de cyberdélinquance, cybercriminalité, cybersexualité qui sont de loin les plus graves dangers dont il faut tenter de réduire les influences.Une autre façon dissimulée de dire que, la quête de reconnaissance et d’approbation des autres, peut conduire à des déviations telles que les postures compulsives, pouvant conduire jusqu’à l’altération de la santé mentale. Malheureusement, « (…) les réseaux sociaux peuvent créer une dépendance et prendre beaucoup de temps. Ils peuvent également être une source d’anxiété et de stress, car les utilisateurs comparent leur propre vie à celle, apparemment parfaite, des autres. En outre, les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour la cyberintimidation et d’autres formes de harcèlement ». (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023). Ce qui expliquerait manifestement le « développement de la criminalité virtuelle via TOR et les Bitcoins ». (M. Hermans, 2011, consulté le 27/03/2023).

Ainsi, au lieu de servir les nobles causes de la démocratie, les réseaux sociaux ont-ils fini par l’asservir en la vidant de toute sa substantifique moelle.Et, c’est très amer contre tous ces caprices au passif de la démocratie que P. Flichy décrète (2008, p. 179) :« La démocratie réticulaire est en somme une contre-démocratie ». Pis, si rien n’est fait pour expurger la longue liste des vices qui viennent d’être inventoriés, l’agonie de la démocratie s’annonce irréversible. En clair, le fait est que les « (…) réseaux sociaux (…) donnent à chacun le sentiment fallacieux qu’il sait mieux que quiconque ce qu’il faut faire (…). Tout a concouru à la lente décrépitude de la démocratie représentative ». (D. Strauss-Kahn, 2020, consulté le 16/04/2020). Tout bien considéré, le pessimisme induit par les réseaux sociaux s’avèrerait très inquiétant pour un vivre-ensemble sain et harmonieux en régime démocratique.

Seulement, malgré toutes ces défectuosités réelles ou présomptives imputables aux réseaux sociaux, ils n’en demeurent pas moins des vecteurs fiables à l’équilibre de l’information en Afrique. Sans leurs apports incommensurables, la démocratie africaine s’en trouverait davantage muselée.

2. Les réseaux sociaux : la panacée alternative à la dictature d’une presse aux ordres en Afrique

Outre la notoriété à la fois lumineuse et désastreuse dont jouissent les réseaux sociaux dans l’existence des citoyens du monde, ils étendent également ces influences similaires à l’acclimatation de la démocratie en Afrique. Autant le monopole de la diffusion de l’information appartient, comme pouvoir souverain et inaliénable, à l’État qui en jouirait comme bon lui semble, autant il faut convenir, comme l’avers de la médaille que « la vérité d’État a toujours pour revers l’imposture d’État ». (J. Rostand cité par J. Atangana, 1973, p. 47). À la vérité, l’État en collectant l’information, la traite au préalable avant de la divulguer sous l’angle d’approche qui lui serait favorable. La vérité politique à intégrer, c’est que l’information se travaille avant d’être divulguée.

Partant de ce postulat qui admet la dualité de la vérité dans la presse depuis Mathusalem, on pourrait aussi noter que les médias sociaux en tant qu’alternative à la presse traditionnelle, rencontrent un réel engouement auprès des populations, notamment jeunes. Et, toutes les commodités qu’ils proposent, participent d’une façon ou d’une autre à impacter qualitativement la démocratie en instituant une assemblée non-close, mais ouverte et où les débats virtuels s’opèrent sans mandat préférentiel préalable. Comme tel, « (…) Internet est souvent présenté comme une nouvelle agora électronique. (…) Howard Rheingold compare longuement Internet à l’espace public habermassien, il y voit un dispositif capable de revitaliser la démocratie » (P. Flichy, 2008, p. 162), de la stimuler.

Par contre, pour des analystes ayant un jugement suspect à l’égard des médias sociaux, il se développe de façon insidieuse une démocratie numérique qui défère tout le pouvoir de décision aux internautes qui pensent ainsi détenir la part la plus importante de l’exercice du pouvoir politique au point où P. Flichy trouve judicieux d’alerter en ces termes (2008, p. 162) : « (…), l’objectif de la cyberdémocratie devient l’hyperdémocratie » puisque le numérique a tendance à vouloir supplanter la démocratie classique. Par ailleurs, si « informer (…), c’est tout le contraire de faire de la propagande », (J. Atangana, 1973, p. 64), autant se demander, comment permettre à la fois aux réseaux sociaux de servir de substrat à la démocratie chancelante en Afrique, tout en se gardant de tomber dans les travers pernicieux de l’hyperdémocratie qui pourraient contribuer à dégoûter de par leur influence ? Aussi, cette séquence analytique à venir se donnera-t-elle pour impératif de révéler en quoi les réseaux sociaux aident à asseoir une liberté d’expression non-embastillée.

2.1. L’explosion d’une nouvelle liberté d’expression à l’œuvre dans la presse digitale

Le débat corrélatif à la liberté d’expression n’est pas d’avènement aussi récent comme pourraient le penser les maniaques d’une modernité politique qui rechignerait à investiguer sérieusement les vestiges du passé. Déjà dans l’Empire romain, « on avait le droit de traiter de tyran un empereur défunt, de l’accuser d’avoir voulu supprimer le franc-parler (parrhèsia libertas) de l’opinion noble ». (P. Brown et al, 1999, p. 163). C’est sans doute cette quête avant-gardiste de la libertas romana qui aurait séduit des politiques les plus téméraires depuis l’Antiquité, qui a fait son bout de chemin dans les périodes médiévale et moderne, qui continue encore tant bien que mal de tisser sa toile pour l’atteinte d’une équité plus hardie dans la manifestation des opinions publiques.

À l’inverse des médias traditionnels, la presse sociale bouleverse radicalement tous les codes du journalisme. Entre autres approches qui changent fondamentalement, l’espace en présentiel habermassien naguère dévolu aux seuls dépositaires des savoirs, fait dorénavant place à un espace virtuel dans lequel tout citoyen lambda, qui le désire, peut bien intervenir dans le débat politique. « Larry Diamond, (…) qualifia alors le numérique de « technologie de la libération ». Non seulement, il permettait d’exprimer les opinions dans leur diversité, mais aussi de mobiliser des manifestants, de surveiller le déroulement des élections et d’interpeller les dirigeants corrompus ou incapables ». (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

Dans ce nouveau monde informationnel en perpétuelle création, il n’existe plus de domaine réservé à quelques privilégiés. Bien plus, « (…) Internet s’inscrit également dans un contexte de large diversification des médias, où le récepteur est face à une offre beaucoup plus étendue qu’auparavant ». (P. Flichy, 2008, p. 163). L’information alléchante s’offre sans filtre à l’internaute et échappe pour ainsi dire au pouvoir coercitif en amont que s’imposait le journaliste de métier. La palette diversifiée des sources d’information à l’ère du numérique est telle que, l’existence du citoyen ordinaire s’en trouve bonifiée. Entre autres bonus, « Internet propose une information riche et abondante, quantitativement très importante. (…), contrairement à la presse ou à la télévision, l’information sur le web reste disponible de façon permanente. Il est suffisant d’indiquer ici qu’Internet est devenu aujourd’hui un média majeur » qui jouit d’un grand prestige. (P. Flichy, 2008, p. 163).

En régime démocratique, le digital fait une percée remarquable au point où ses thuriféraires ne s’embarrassent guère d’inférer :

(…) Internet n’a pas en lui-même d’effet négatif sur la délibération démocratique. Il s’est en partie moulé sur les caractéristiques de notre société, mais il offre aussi de réelles opportunités pour de nouvelles formes démocratiques multiples et réticulaires où le citoyen ne se contente pas d’élire ses représentants, mais où il peut faire connaître son opinion, débattre, surveiller et évaluer les actions de ceux qu’il a élus ». (P. Flichy, 2008, p. 163).

Avec les médias sociaux, apparaît un nouveau type de citoyen épanoui sous les auspices d’une existence débarrassée de certaines pesanteurs sociétales qui encellulaient autrefois son vécu. La société, naguère close en Afrique, joue aujourd’hui sur le modus operandi de l’ouverture aux autoroutes de l’information qui ont un impact indéniable sur son modèle démocratique. Mais comme « en Afrique, les réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook et WhatsApp se transforment de plus en plus en une scène sur laquelle la tension entre l’État et la dissidence (…) » s’observe, (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023), alors c’est à vouloir contrôler le monopole de cette nouvelle presse que se livrent désormais les régimes en place et leurs oppositions.

2.2. Les pouvoirs dictatoriaux à la croisée des chemins sous l’autorité dynamique des réseaux sociaux

Le déficit et l’absence de liberté dans la presse traditionnelle justifient largement toute la mésestime que les modernes lui vouent. Pour rappel, d’après le rapport de F.-X. Verschave, sur le génocide rwandais, les organes français d’information ont donné dans l’intoxication et la désinformation, entendu que « les deux tiers de la presse écrite appartiennent à des marchands de canons, Dassault et Lagardère. Un certain nombre de journalistes sont tenus individuellement, par de vieux mécanismes de pression, les divers chantages et corruptions classiques par l’argent, le sexe, l’alcool, tous ces ressorts humains, trop humains ». (Cité par S. Smith, 2003, p. 97). En vérité, les tuteurs de tout acabit tiennent en laisse les hommes de presse et les contrôlent au point souvent de les transformer en banals propagandistes qui ne peuvent nullement agir librement.

C’est en réaction contre cette nébuleuse mafieuse que va naître la presse sociale pour définitivement sortir les médias des oripeaux du mensonge et des artifices afin de leur conférer une liberté qui ne serait plus sous l’emprise exténuante des mécènes de la presse. Le dire, c’est reconnaître comme A. Olojo et K. Allen (2021, consulté le 30/03/2023) qu’

au-delà de la portée des médias traditionnels, les réseaux sociaux sont certainement en train de changer la relation entre les gouvernements et les citoyens. Ils remettent en question l’idée que le débat public peut être exclusivement modéré par la puissance institutionnelle de l’État. Ainsi, plutôt qu’une approche descendante ou hiérarchique pour définir des règles de liberté d’expression, ces plateformes accélèrent l’émergence d’une approche ascendante ou en réseau afin que les masses ne ploient sous les jougs pesants des détenteurs du pouvoir qui voudraient toujours contrôler à la fois le débat public et le lieu de son expression, et centraliser les pouvoirs de décision.

D’une part, les nouveaux médias numériques ont désintermédié l’information comme tout le reste : les journalistes ont été dépouillés de leur ancienne fonction de gatekeepers (intermédiaires). Tout un chacun peut émettre un avis, annoncer une information dont il a été témoin, lancer une rumeur. D’autre part, le « public » d’autrefois a éclaté en une myriade de bulles. (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

En matière d’organisation des élections, avec les médias sociaux, un véritable gain substantiel normatif s’opère et offre de réelles garanties d’efficacité et de succès. Ainsi, les manipulations des résultats par le bourrage des urnes sont-elles jugulées ou à tout le moins maîtrisées dans des proportions plus acceptables.

Dans The Filter Bubble (2011), Eli Pariser, l’un des organisateurs de la campagne électorale d’Obama en 2008, a montré que la personnalisation des résultats proposés par Google et les autres moteurs de recherche, via des algorithmes, allait enfermer chaque utilisateur dans une « bulle de filtre ». En sélectionnant les informations proposées à partir de ses préférences connues, les moteurs de recherche ont tendance à confirmer chacun dans ses opinions. (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

Les béquilles de la démocratie représentative longtemps apprivoisées par un espace sanctuarisé et aux mains d’une poignée d’élites technocrates, sont à l’ère du numérique troquées par des espaces virtuels créés et modérés par des spécialistes qui en assurent la censure dont les règles d’autoréglage ne sont pas clairement définies. Sur ce, avec les réseaux sociaux, l’organisation des élections transparentes et équitables est scrutée par une masse importante d’observateurs libres et variés. Mais, malgré cette ouverture fort enrichissante, les pouvoirs politiques conservateurs font de la résistance en restreignant l’accès à Internet ou en tentant d’en contrôler le monopole.

Pour les élites politiques habituées à manipuler les messages électoraux dans l’objectif d’obtenir des votes, ces plateformes contestent leur position de privilège, bien qu’il arrive que ces mêmes élites les exploitent. L’interdiction de Twitter au Nigeria vise à refuser l’accès des Nigérians à une plateforme que le gouvernement affirme être utilisée pour menacer « l’existence (…) » du pays. (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023).

Afin de pouvoir réduire radicalement l’influence de moins en moins contenue des réseaux sociaux dans le relais des informations politiques très sensibles, des pays africains affichent nettement leur antipathie. Clairement, « le Nigeria fait partie des pays africains qui cherchent à introduire des lois que les groupes de défense des droits humains considèrent punitives, pour imposer des réglementations strictes sur l’espace virtuel dans le but de criminaliser toute critique visant le gouvernement ». (A. Olojo et K. Allen, 2021, consulté le 30/03/2023). Partout sur le continent africain, les hostilités à la percée numérique se font jour, intruses et audibles au point d’interpeler les organisations des Droits de l’Homme.

Or, à ériger un mécanisme de régulation de la presse sociale, la démocratie risque fort gros. Et pourtant, la quête de la vérité devrait inciter l’État à aseptiser ledit milieu sans davantage chercher à l’embrigader par des lois trop contraignantes, parce que « (…) sans journalistes qui écrivent en fonction de la vérité, (…) n’importe quel pouvoir trouvera plus facile de s’arroger quelque chose qui ne lui revient pas. Et l’arrogance [d’une presse numérique qui jouit d’une liberté illimitée] signifie le déclin de la démocratie ». (P. Fl. d’Arcais, 2003, p. 137). D’où l’urgence de légiférer sur l’impact socio-politique des réseaux sociaux en vue d’en atténuer l’influence délétère.

3. La nécessité d’un encadrement normatif des réseaux sociaux en Afrique pour une démocratisation résiliente

Si les positions des laudateurs et détracteurs des réseaux sociaux se tiennent en balance, l’opinion médiane à promouvoir in fine pour couper la poire en deux, c’est de veiller à ce que les plateformes virtuelles créent des mécanismes d’autocensure en renforçant leurs politiques de pondération qui viseraient à combattre les posts délibérément venimeux, le harcèlement et la manipulation impudente de l’information. Par voie de fait, ils assureraient ainsi la mise en place de dispositifs de balisages d’une vigilance soutenue en vue de garantir un climat politique paisible et surtout respectueux de la dignité publique. « Dans notre société de sur-information, l’information, la plupart du temps fabriquée », (E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023), il s’avère impérieux, afin de tirer pleinement parti des avantages des médias sociaux, d’encourager une assiduité en ligne circonspecte, limitée et justifiée, et de prioriser la qualité des informations à diffuser au détriment de leur quantité. Toutes ces légitimes appréhensions au sujet des réseaux sociaux font justement dire à K. Philippe : « (…) le développement d’Internet a tantôt nourri l’espoir d’une solidarité planétaire, tantôt fait redouter une uniformisation culturelle ou, à l’inverse, une dissolution du lien social dans une multitude de micro-communautés virtuelles ». (P. Cabin et J-F. Dortier, 2008, p. 81).

Si l’information s’appréhende depuis toujours comme un domaine privilégié de l’exercice de la souveraineté de l’État, alors laisser ce privilège à la charge exclusive de quelques privés fortunés au motif de vouloir promouvoir la démocratie, c’est commettre sans le savoir un crime de lèse-démocratie. En tout état de cause, « l’État, qui se dit soucieux du bien commun, ne devrait pas abandonner le vaste domaine des communications au libre jeu du marché et des intérêts privés. (…) L’État ne peut se permettre d’abandonner le quatrième pouvoir à des intérêts privés. Mais non ! L’État a sa part de pouvoir, et il n’y renonce pas si vite ! » (E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023). Sinon, il court le risque de son dépérissement inéluctable et irréversible, pour parodier Karl Marx.

En vue de juguler la lancinante question de la désinformation persistante et les méfaits sur Internet, et ce au lieu de mettre en avant une méthode d’homologation quasi-mécanique et permanente des informations, il faut plutôt s’en tenir à celles plus importantes et décisives en vue d’encourager des échanges mélioratifs à même de booster la solidarité, l’apprentissage et la paix sociale. Les informations en ligne devraient pouvoir être passées par des filtres ou passoires en vue de sélectionner celles qui sont nécessaires, pour en éliminer celles qui pourraient prêter à querelles. Dans cette dynamique, « selon Philip N. Howard, (…) environ soixante-dix gouvernements dans le monde se sont dotés de services d’influence sur Internet » (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023), pour contrer efficacement les moyens tentaculaires de la cyberguerre.

Pour ce qui est de la protection des données informationnelles liées à la vie privée, une certaine législation coercitive devrait être prise afin de contraindre les internautes à prendre conscience que les informations qu’ils divulguent à bout de bras sur la toile, pourraient avoir des conséquences blessantes, si elles s’immisçaient dans l’intimité de leurs concitoyens. Le contrôle assidu à exercer sur les paramètres de confidentialité et la limitation des données personnelles à publier devraient pour ainsi dire constituer un arsenal préventif ayant pour but de ne pas violer l’intimité des tiers. C’est en bonne logique que, « (…) de nombreux observateurs bien informés estiment qu’il est temps d’imposer des limites au pouvoir des plateformes ». (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023). Conséquemment, dans notre village devenu planétaire, où circule un flot inouï d’informations trop souvent contradictoires et attentatoires à l’honorabilité des citoyens, et où l’intrusion injustifiée dans la vie privée des individus est devenue monnaie courante, « on devrait mettre au point des stratégies pour échapper à la surveillance continuelle des médias »,(E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023) au voyeurisme effronté des paparazzis toujours en quête de sensationnel. En vue de contrôler tous ces dysfonctionnements au passif des réseaux sociaux, les pouvoirs publics devraient jouer un rôle éminemment décisif en vue de leur assurer une meilleure régulation. Des initiatives légales et des décisions plus strictes de justice devraient être décrétées pour à la fois protéger les internautes et garantir une utilisation éthique optimale des données numériques à disposition. Ceci expliquant cela, « (…) des voix de plus en plus nombreuses réclament à présent que l’oligopole qui domine l’Internet soit démantelé en vertu des lois visant les monopoles » abusifs (B. Couturier, 2022, consulté le 21/03/2023).

La transparence à la mise en œuvre des algorithmes et des récoltes de données reste également capitale, pour instaurer la confiance entre les utilisateurs et les plateformes. « Si les échanges sont donc en principe équilibrés, les experts jouant un rôle de médiation entre les développeurs et les novices, il y a néanmoins un risque de congestion de la communauté. Ces communautés ne peuvent se maintenir que si elles sont régulées ». (P. Flichy, 2008, p. 164). Pour finir, et ce en s’inspirant du modèle de résilience de l’Empereur Vespasien dont l’« ingéniosité n’était jamais à court lorsqu’il s’agissait d’instituer une redevance, une taxe, des droits, un péage » (L. Jerphagnon, 2008, p. 304) pour rendre l’économie romaine davantage performante, quand bien même ses initiatives draconiennes pressuraient durement ses administrés, il va falloir résolument implémenter des mesures correctives, mais incitatives visant à contrôler les nombreuses dérives nuisibles à la bonne réputation des réseaux sociaux. Dans cette optique à la fois réparatrice et coercitive, il s’agira au plan personnel d’apprendre à « (…) communiquer avec notre environnement social, avec les règles de persuasion, les conventions stylistiques et les codes de politesse » (G. Kawasaki et P. Fitzpatrick, 2015, p. xx) propres audit domaine. Également, au plan législatif, d’énormes défis urgents restent à relever. Concrètement, lesdits « besoins concernent l’authentification, autrement dit la protection contre le piratage des identités, la confidentialité, c’est-à-dire l’impossibilité d’écouter une conversation, l’intégrité de la conversion et la défense de la vie privée ». (L. Ouakil et G. Pujolle, 2008, p. 400). Mieux, sans une législation répressive et/ou canalisatrice minimale, l’apport des réseaux sociaux s’avèrera vain et stérile d’autant que leurs inconvénients équilibreraient principiellement leurs portées réelles. Notre intime conviction, c’est que « (…) la communication ne pourra jamais être totalement neutre et sans ombre », (P. Cabin, J-F. Dortier, 2008, p. 12).

Conclusion

Au terme de cette passionnante odyssée dans l’univers des médias sociaux, ce serait un véritable truisme d’inférer que les réseaux sociaux modèlent une double facette de notre modernité. D’une part, ils offrent indéniablement un éventail d’opportunités qui visent à rapprocher des hommes d’opinions éclectiques en favorisant entre eux des échanges d’expertises, selon les champs épistémologiques. Nonobstant ces bienfaits de la presse numérique en vue de l’édification d’une société africaine plus démocratique, concurrentielle et ouverte sur le monde, il serait tout aussi judicieux d’en invalider les nuisances qui seraient imputables à son utilisation irresponsable, d’autre part.

En définitive, si « le droit à l’information est de ces droits reconnus à l’homme en tant que membre responsable d’une société », (J. Atangana, 1973, p. 43), alors ce droit devra être continuellement protégé et entretenu de sorte à sans cesse chercher à l’améliorer. C’est tout l’intérêt qu’il y a à confier le plein exercice du métier de journaliste aux seuls professionnels assermentés.

Toutefois, l’ère irréversible de la dématérialisation et/ou de la digitalisation accru(e)s des services traditionnels s’imposant, en matière de communication notamment, il serait utopique d’entrevoir la possibilité d’une marche-arrière en abandonnant la presse virtuelle au profit de celle traditionnelle. Si « le bon côté de l’explosion planétaire des médias [sociaux], c’est la possibilité de transmettre des informations utiles, des savoirs susceptibles d’améliorer la qualité de vie de toute une tranche de la population » (E. Ungureanu, 1994, consulté le 29/03/2023), alors les journalistes professionnels africains, en tant que labels référentiels, devraient davantage s’investir au cœur du projet numérique afin de ne guère abandonner ce domaine trop sensible aux mains des novices ne jouissant d’aucune expertise journalistique requise. Partant du postulat qu’« Internet soulève beaucoup de problèmes dans lesquels la technologie et la législation interviennent conjointement » (A. Tanenbaum, 2007, p. 886), alors le rôle régulateur des États africains pour l’édification d’un cadre législatif régulateur du numérique, s’avère certes incessible, mais il faut veiller à ce que ce dispositif normatif ne soit trop liberticide.

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RÉSEAUX SOCIAUX ET IDENTITÉ NUMÉRIQUE : QUELLE LIBERTÉ DANS l’ESPACE AFRICAIN ?

Agoussi Alphonse MOGUÉ

Université Peleforo GON COULIBALY (Côte d’Ivoire)

alphonseagoussi@gmail.com

Résumé :

Au nombre des principes fondamentaux des systèmes démocratiques, il faut compter la liberté de la presse qu’hébergent les libertés d’opinion et d’expression. C’est à l’intérieur de ce principe démocratique majeur que s’inscrit l’irruption des plateformes sociales dans la longue histoire des canaux de communications et des médias. Les canaux traditionnels de communication tels que la radio et la télévision, très souvent à la remorque de la classe politique dominante et des capitalistes, restreignent l’espace public au point d’occulter les libertés politiques des individus. Cette communication vise à montrer que le progrès démocratique, au moyen des réseaux sociaux, est loin d’être assuré. Ces réseaux, censés apporter un nouveau souffle à la dynamique démocratique, ont transformé cette dernière en un lieu de manifestation de haine et de violence qui sont au fondement des crises sociales. Toutefois, il s’impose l’idée d’une humanisation des réseaux sociaux au regard de leur usage tous azimuts à l’écart des réglementations de l’État. Cette humanisation aura sa quiddité dans l’éducation à la culture numérique pour éviter les dérives sociales et morales.

Mots clés : Crise sociale, Démocratie, Humanités numériques, Liberté d’expression, Réseaux sociaux.

Abstract:

One of the fundamental principles of democratic systems is freedom of the press, which is enshrined in freedom of opinion and expression. It is within this major democratic principle that the irruption of social platforms in the long history of communication channels and media is inscribed. Traditional channels of communication such as radio and television, very often in the wake of the dominant political class and capitalists, restrict public space to the point of obscuring the political freedoms of individuals. This communication aims to show that democratic progress, by means of social networks, is far from assured. These networks, which are supposed to breathe new life into the democratic dynamic, have transformed it into a place where the hatred and violence that are at the root of social crises can be demonstrated. However, there is the idea of a humanization of social networks with regard to their all-out use away from state regulations. This humanization will have its quiddity in education in digital culture to avoid social and moral abuses.

Keywords : Social crisis, Democracy, Digital Humanities, Freedom of speech, Social media.

Introduction

Les technologies numériques sont indispensables à la révolution sociale. Elles sont une véritable culture qui impose de nombreuses mutations dans les dispositifs médiatiques associés au débat public dans l’espace civil. Considérés comme des médias, les réseaux sociaux font office de délibération ou d’agora libre. Ils présentent un style politico-médiatique qui s’accompagne de rêves d’une société meilleure. Si la liberté d’expression est promise et garantie à tous en démocratie, elle constitue un concept fondamental dans la conjonction média et démocratie. Car, la naissance de la liberté d’expression s’appuie sur la logique d’une souveraineté populaire, contrairement aux lois divines, et fonde l’État moderne. De ce point de vue, on pourra dire que la source de la légitimité de l’État réside dans la volonté populaire traduite par la discussion publique et le processus électoral. La discussion publique offre aux citoyens la connaissance de divers points de vue et un jugement éclairé sur des sujets d’intérêt public. Puisque dans cet échange d’idées la rationalité prévaut sur les statuts, les traditions et les hiérarchisations. 

La transformation numérique a bouleversé tous nos repères sociaux et ethniques à travers une profusion inquiétante d’opinions sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, avec la révolution numérique, on peut dire, comme le clame Sertorius dans la tragédie de Pierre Corneille (1989), « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis ». De fait, les réseaux sociaux deviennent le terrain d’exercice d’un raisonnement dans une sphère publique, pour parler comme J. Habermas, permettant l’expression de la société civile appelée opinion publique. Cet exercice d’un raisonnement public change l’attitude des citoyens au regard de l’information et permet d’aiguiser leur curiosité. Malheureusement, on y trouve un foisonnement d’informations qui échappent au contrôle de l’autorité ou du régulateur. Ces informations grisaillent l’idée de transparence lorsqu’on examine les différentes publications sur les plateformes sociales. Les réseaux sociaux présentent une vie publique qui s’apparente à un véritable pandémonium où cohabitent une certaine part de demi-vérités, de silences, de mensonges, de manipulation, d’usage de fausse identité et de tentatives de séduction. Les réseaux sociaux seraient devenus tout-puissants et leur emprise sur la société rendrait l’exercice de la démocratie impossible en enchâssant des défauts rédhibitoires.

Ce corpus vise à montrer que l’influence des réseaux sociaux, dans le sens du renforcement démocratique, est loin d’être assuré. Si la liberté d’expression, à travers les réseaux sociaux, n’est pas rassurante, il convient donc de s’interroger sur les formes de déviances que ces plateformes numériques occasionnent sur les dynamiques sociales en Afrique. Alors, quels sont les impacts sociopolitiques des réseaux sociaux dans la démocratie en Afrique ? Les réflexions à ce sujet s’articulent autour de deux grandes questions. La première est celle de l’élargissement de l’espace public : quelle fiabilité accordée à l’espace public avec les nouveaux modes de participation politique en ligne lorsqu’on sait que ces données sont falsifiables ? La seconde est relative aux effets délétères sur la vie démocratique et l’engagement des citoyens : l’usage des réseaux sociaux dans le jeu démocratique n’est-il pas une entrave à l’émancipation politique dans une Afrique où la démocratie peine à décoller ? À travers la méthode analytico-critique, il s’agira de montrer le caractère ambivalent des médias numériques dans le jeu démocratique en Afrique (1), puis d’exposer les risques qu’encourt la démocratie au regard des contenus excessifs à partir d’un voilement identitaire (2), et de poser le concept des humanités numériques comme levier d’un espoir retrouvé dans le jeu démocratique en Afrique (3). 

1. Émancipation et manipulation à travers l’usage des technologies numériques en Afrique

La nouveauté a toujours suscité deux sentiments mitigés au sein de la société : l’enthousiasme et la méfiance. C’est le cas des nouvelles formes de participation politique qu’offrent les technologies de l’information et de la communication. L’usage des technologies numériques implique une diversité de dispositifs aux commodités sans cesse fluctuantes et plus ou moins sophistiquées. L’Internet a modifié de nombreux aspects de notre vie quotidienne, et la politique n’a pas échappé à ces transformations. Cette nouvelle variante de la démocratie participative autrement appelée la « démocratie électronique » constitue un ensemble de dispositifs et de procédures mobilisant les technologies de l’information et de la communication visant à favoriser la participation des citoyens au contrôle, à la discussion ou à l’élaboration des décisions publiques. « La démocratie électronique » est un concept développé par Stefano RODOTÀ et qui désigne une réflexion sur l’avenir de la démocratie alors que les technologies de l’information et de la communication redessinent les lieux où se joue la politique, abattent les frontières, nient les contraintes mêmes de l’espace et du temps.

Les technologies numériques, en infestant le monde politique, ont finalement réussi à produire un citoyen nouveau : le « citoyen électronique ». La nouvelle dynamique du numérique en politique encourage des formes de citoyenneté très actives qui font évoluer la manière de nous informer, de nous exprimer, de débattre et d’interagir avec nos gouvernants. Grâce aux réseaux sociaux, un citoyen lambda peut se permettre de s’adresser directement à une autorité politique en rompant avec les barrières protocolaires d’usage. En outre, il est à observer que la révolution des plateformes numériques, les réseaux sociaux plus particulièrement, a considérablement intensifié la vitesse de propagation de l’information. Alors qu’il « il a fallu quasiment quatre ans au KGB pour diffuser globalement la rumeur selon laquelle le virus du sida était une création du Pentagone (la fausse nouvelle est plantée dans un journal indien en 1983 mais n’atteint la presse soviétique qu’en 1985 puis les médias occidentaux en 1987) » (J.-B. J. Vilmer et al., 2018, p. 41). Les réseaux sociaux ont cette capacité de réduire ce temps à quelques minutes ou quelques heures comme on peut le constater avec l’affaire « Macron Leaks » le 5 Mai 2017.

L’influence des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et whatsapp, pour ne citer que ceux-là, en Afrique plonge dans une sorte de visibilité et de contre-pouvoir vis-à-vis de l’exécutif. Les actions en ligne sont devenues monnaie courante dans la mesure où elles offrent des possibilités d’interpellation sans commune mesure grâce aux effets des pétitions. Pour C. Chatelanat, la pétition est initiée pour faire régner la volonté du peuple au sein d’une société démocratique. À ce propos, il écrit : « La e-pétition est un outil de démocratie électronique qui s’ouvre à un public plus large. Comme celles sur papier, les pétitions électroniques visent à rassembler de nombreux citoyens autour d’une position sur un enjeu public, dans le but de peser sur les choix des gouvernants en la matière » (C. Chatelanat, 2011, p. 29). Par l’action conjuguée de l’Internet et des réseaux sociaux, tout le monde a le loisir de s’exprimer et de lancer un mouvement sur n’importe quel sujet en conformité avec les restrictions étatiques.

Ce vent d’activisme numérique en démocratie a des résultats très satisfaisants en Afrique. C’est le cas au Nigeria où la pétition mise en ligne sur la plateforme « Change.org » pour réclamer la libération des lycéennes enlevées par Boko Haram ne faiblit pas et atteint le million de signataires en moins d’un mois. Au nombre des pétitions à grand succès, nous citerons la pétition contre l’éviction de la communauté Masaї de Tanzanie et la pétition appelant à la justice après le viol de l’adolescente kényane de 16 ans, avec 1.700.000 signatures chacune en 2013. Les réseaux sociaux ouvrent une alternative de libre expression aux citoyens marginalisés et aux producteurs de médias. De plus, l’analyse des réseaux sociaux révèle des indices exceptionnels en termes de statistique dans la mesure où elle permet de détecter des mouvements artificiels (nombre d’abonnés, impressions, taux d’engagement, etc.) et coordonnés, de déterminer le nombre de personnes atteintes, y compris en filtrant les comptes automatisés (bots). À en croire J.-B. J. Vilmer et al (2018, p. 24), « le nombre de personnes atteintes ne dit pas exactement si elles sont ou ont été convaincues et si la fausse information reçue va les faire passer à l’acte (donner ses coordonnées ou de l’argent, manifester, etc.) ». Ce qui revient à dire que les données que fournissent les réseaux sociaux ne reflètent toujours pas la réalité des faits. 

Les réseaux sociaux représentent des instruments influençant directement les raisons prises par le pouvoir et en constituent des foyers de haines et de violences nées des manipulations à la fois civiques et politiques. Les exemples sur la révolution tunisienne en 2011 et, plus récemment, le cas de Durban à l’Est de l’Afrique du Sud où des appels à manifestation violentes et xénophobes ont eu lieu via les réseaux sociaux en septembre 2019. Ces événements démontrent que les réseaux sociaux sont des canaux importants de diffusions d’informations et de mobilisation. La montée en puissance des nouvelles technologies d’information et de la communication amène à s’interroger avec C. Mabi (2021) en ces mots : « quel numérique pour la démocratie ? ». Cette interrogation est un aveu sur la fragile collaboration entre la démocratie et les réseaux sociaux en Afrique. Au-delà du renforcement des liens sociaux envers les plus vulnérables grâce à une assistance médicale en ligne ou lors de la pandémie Covid-19, la démocratie numérique suscite des formes plus inquiétantes. C’est à juste titre que C. Mabi (2021) pense que les réalités du numérique sont très variées et accompagnent des dynamiques hétérogènes, voire contradictoires, et à tout le moins ambivalentes.

Ces dynamiques plurielles que suscite la participation politique en ligne « ont tendance à équiper des visions démocratiques plus inquiétantes : démocratie d’opinion, peu transparente et instrumentalisée, avec des débats de plus en plus polarisés comme ceux que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux où prolifèrent les fausses nouvelles » C. Mabi (2021, p. 90). Il y a de quoi à prendre du recul sur les effets notoires qu’impose la révolution du numérique dans l’arène démocratique. Lesquels effets font preuves de déviations d’usages qui peuvent entraîner, selon L. Boily et M. A. Chartrand (2016, p. 29), sur « les phénomènes de désinformation, d’anonymat sur les sources utilisées et de propagande ainsi que ceux de manipulation de données, d’images et d’idées que les procédées techniques viennent faciliter ». L’étrangéité de ces plateformes numériques est un souci crucial pour tous les pays africains. Cela dénote un manque de maîtrise de ces instruments qui ne peuvent qu’en toute liberté pulluler l’atmosphère politique en Afrique. Dans un contexte où les plateformes numériques sont des produits importés avec des algorithmes susceptibles de manipulations, on pourrait dire qu’il y a un déguisement hégémonique occidental qui s’exprime au cœur de ces outils de communication. Face à cette impuissance des africains dont les bases de données sont stockées en Occident, le risque de manipulations de données personnelles devient encore très grand de la part des propriétaires des réseaux sociaux. L’ouverture vers un monde très peu contrôler ou la manipulation est fréquente laisse présager un monde asocial et fragile. Cette fragilité est bien justement la source de crises sociales dans une Afrique ou le processus de démocratisation s’est fait ennemi des réalités socio-économiques (A. A. Mogué, 2017). L’usage de fausses identités, la publication de fake news, et la manipulation des images des citoyens ou des personnalités politiques ou administratives sont autant de perversités qui viennent grimer les libertés fondamentales en Afrique. La société de l’information se présente comme une illusion d’harmonie sociale. 

2. Internet et réseaux sociaux : quelle forme de libéralisme informationnel ?

« La liberté politique se révèle indispensable à l’épanouissement de l’individu tout en présentant des impedimenta à son bonheur qui, en dehors de lui, peut émaner de la société ou du groupe auquel il est membre » (A. A. Mogué, 2017, p. 208).

Partant du fait que la démocratie a pour ressort vital la liberté d’expression, l’on est en droit de dire que c’est la souveraineté populaire, par opposition aux lois divines, qui fonde l’État moderne. Et cette souveraineté populaire se manifeste à travers le droit à l’expression et de participation des citoyens au débat public. Ce droit à la liberté d’expression est inaliénable à tout citoyen et universel. On peut trouver les fondements de cette universalité dans les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) :

Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions […] ».

Article 11 : « La libre communication de ses pensées et de ses opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Les médias de communication, les réseaux sociaux en particulier, ont un lien étroit dans les fondements actuels de la démocratie. De fait, la liberté constitue pour chacun d’entre nous une expérience, ou tout au moins une représentation aussi familière qu’indiscutable. Être libre, cela signifie tout d’abord ne pas être empêché de faire ce que l’on veut ou dire sans crainte ce que l’on pense. Elle peut être considérée comme l’absence de toute contrainte étrangère. C’est l’image que nous donne l’impact des réseaux sociaux dans le jeu des démocraties modernes. De façon consciente ou inconsciente, tout se publie et se partage sans se soucier des conséquences que cela pourrait susciter dans la société.

Ces réseaux sociaux présentent un caractère d’innovation majeure pour la démocratie au sens où la liberté qui sous-tend la participation politique en ligne est encadrée par la neutralité du réseau pour garantir l’égalité de traitement des données. Cette forme communicationnelle transcende toutes les frontières politiques et atteint un large public. Selon F. Balle (1980, p. 88) : « le Siècle des Lumières change l’attitude des citoyens vis-à-vis de l’information publique en même temps que s’aiguise leur curiosité pour les affaires publiques ». Avec les réseaux sociaux, tout se passe comme si un individu serait membre de plusieurs communautés dans lesquelles il peut donner son opinion de façon directe ou indirecte sur divers points de vue d’intérêt public ou privé. Il y a une forme de libéralisme qui se déguise progressivement en libertarisme quant à nos façons d’utiliser les plateformes sociales numériques. Les réseaux sociaux sont bien devenus un espace de vulnérabilité pour la jeunesse africaine qui devient très accrocs aux réseaux sociaux.

Si la question de vulnérabilité des individus n’est pas nouveau dans nos sociétés, force est d’affirmer que les réseaux sociaux les ont encore amplifié par l’importance de l’audience qu’ils leur accordent (G. Macilotti, 2019). Pourtant, l’exercice du pouvoir qui suppose la mise en place du contrôle social destiné à prévenir la violence ou les mécontentements est en souffrance dans nos États africains. Ces formes de victimisation sont abordées sous l’angle du cyberharcèlement qui fait l’objet de plusieurs travaux au niveau académique et institutionnel. « Cyberagression », « cyberintimidation », « cyberhumiliation », « flaming » sont autant de termes employés par les chercheurs et les médias (Grigg, 2010 ; Watts et al., 2017 ; Dilmaç, 2017). En ce sens, le cyberharcèlement désigne toute forme d’agression via le cyberespace.  Pour en dire plus, G. Macilotti (2019, p. 302), en citant Smith et al. (2008), fait du cyberharcèlement « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ». En dehors du cyberharcèlement, cet auteur utilise le concept du cyberviolence pour faire référence aux violences en ligne qui n’ont pas un caractère répétitif et ne s’inscrivant pas forcement dans la durée.

Les réseaux sociaux sont les canaux par lesquels les auteurs du cyberharcèlement et du cyberviolence parviennent à s’adresser à leurs victimes potentielles en utilisant de fausses identités numériques (avatars), rendant ainsi difficile l’autoprotection de ces dernières. Cette forme d’agressivité et d’arnaques est légion en Afrique, et principalement chez les jeunes qui les embrasent comme un métier à part entière. Les cyberviolences se présentent sous plusieurs formes à savoir : diffusion de messages textes, d’images, de photographies commentées, le tout agrémenté de son. Elles peuvent être l’expression de moqueries, menaces, insultes, agressions à caractère sexuel, ostracisme, rumeurs, diffusion d’images humiliantes, lynchage, dissémination de documents privés sans l’autorisation de la personne impliquée ou encore consister en une usurpation d’identité ou un usage frauduleux d’un mot de passe (Blaya, 2018, p. 424). Selon Price et Dalgliesh (2010), cités par Blaya (2018) le sentiment d’anonymat qu’offrent internet et les autres outils électroniques de communication est l’un des facilitateurs clés du cyberharcèlement.

Le libéralisme informationnel sur les réseaux sociaux contraste avec l’idée de libertés qu’offrent les démocraties en Afrique. Cette liberté d’expression en ligne remet en question la réputation de sa victime, la plongeant dans un mal-être profond. Certes, l’usurpation d’identité n’est pas un phénomène nouveau en Afrique comme partout au monde ; mais, le plateau d’exposition de l’humiliation de la victime devient de plus en plus important avec les réseaux sociaux. C’est avec stupéfaction que nous pouvons trouver en ligne les photographies ou des vidéos détournées de leur contexte mettant en scène l’intimité (quelques fois montées de toutes pièces), les applications au nom de la victime pointant du doigt un comportement jugé indécent, les menaces, les agressions verbales et violences psychologiques visant à discréditer la personne représentée. Le caractère ambivalent des réseaux sociaux est mis en exergue dans un sentiment relativement nuancé.

Quoique les réseaux sociaux contribuent à la mise en relation de l’individu avec l’altérité, ils sont aussi des plateformes de « mise à mort » de la réputation. Au regard des formes de déviances sur les réseaux sociaux, il convient à chaque citoyen de pratiquer la vigilance et la prudence. Dans cette forme de transformation numérique, on observe des périodes de stabilité suivies par des perturbations et des changements rapides dont ressortent des gagnants et des perdants (T. M. Siebel, 2022, p. 27). Pour ceux qui y perdent, on ne peut nier l’importance des conséquences négatives du cyberviolence qui sont vérifiables du point de vue psychologique, social et scolaire. Ces manigances notoires sur les réseaux sociaux peuvent ouvrir des fenêtres sur l’organisation de crimes, du banditisme, du djihad ou du terrorisme. Il convient donc de recourir à une éducation numérique à même de permettre la réappropriation de la culture des techno-sciences mise en évidence par les réseaux sociaux.

3. Réseaux sociaux et démocratie numérique : quelle culture face au regain de caporalisme numérique

Dans son ouvrage intitulée Les humanités numériques, D. Vinck (2016) affirme que le numérique nous plonge dans une nouvelle civilisation. Contre tout soupçon, il considère le numérique comme une civilisation numérique en opposition à toute idée de révolution numérique. Pour comprendre la préférence qu’il fait de la civilisation numérique au détriment de la révolution numérique, il écrit :

Lorsqu’émerge une nouvelle technologie, les médias s’emballent en parlant de révolution technologique c’est-à-dire une transformation de l’ensemble de la société, son économie et son fonctionnement social et politique comme ce fut le cas avec la machine à vapeur, le développement avec les mines de charbon et de l’industrie et du surgissement d’une nouvelle classe sociale (les prolétaires) (…). Généralement, l’intérêt d’une nouvelle technologie tient aux transformations déjà à l’œuvre dans la société avant son invention, tandis que la capacité de la technologie innovante à transformer le monde dépend de l’invention de nouvelles pratiques, compétences et métiers, formes d’organisation du travail, de démocratie, de commerce, de sociabilité, etc. (D. Vinck, 2016, p. 17).

Parler de civilisation numérique présume que cette culture n’est pas l’exclusivité d’un groupe social distinct mais qu’elle prend en compte l’état technique, intellectuel, politique et moral de toute une société. Cependant, faire des réseaux sociaux un nouvel espace de partage et de libre circulation des idées et des informations produites par ces innombrables utilisateurs est une utopie. Les formes de déviance constatées sur ces plateformes numériques sont des éléments probants à la nécessité de l’éducation à la culture et à la citoyenneté numérique. Cette culture est un enjeu majeur pour permettre à chacun d’exercer une citoyenneté éclairée dans un monde foncièrement dominé par le numérique. Partant du principe que tout part de l’homme comme le stipule la célèbre formule du sophiste Protagoras, « l’homme est la mesure de toute chose ».C’est bien en sa direction que nous chercherons d’éventuelles solutions et par la suite porter un regard sur le rôle décisif que doit jouer le politique. Pour atteindre ce résultat, il faut humaniser le numérique comme le pense D. Vinck (2016). Pour lui, on parle des « humanités numériques » lorsque des sciences et technologies informatiques sont à la croisée de chemin avec des sciences humaines et sociales. On pourrait parler des « Humanités digitales » dans les pays Anglo-saxons. Par ricochet, il appelle humaniste numérique la personne qui conçoit, fabrique, théorise et/ou évalue les outils numériques et les mutations associées à leurs usages.

Nos activités quotidiennes ne peuvent se soustraire des humanités numériques. Elles nous accompagnent dans la mesure où elles « traitent nos patrimoines et nos identités au point de se retrouver à certains drames récents comme le massacre de populations au nom d’arguments religieux façonnés et diffusés par les technologies numériques » (D. Vinck, 2016, p. 13). C’est pourquoi, il faut faire du numérique un espace d’émancipation et d’inclusion. Ce qui permettra à chaque individu d’exercer sa citoyenneté dans une société inclusive. Cela part d’une prise de conscience de l’impact du numérique sur l’environnement, le développement de la connaissance et en appelle a des pratiques écocitoyennes et d’usages responsables et sobres. En outre, l’éducation à la culture du numérique participera à l’augmentation du pouvoir d’agir et de la confiance en soi des individus en permettant justement l’engagement, la créativité et la réflexion critique sur le traitement des informations sur les réseaux sociaux. À travers les humanités numériques, c’est « la formation humaine des membres de nos sociétés et l’évolution de l’offre éducative » (D. Vinck, 2016, 13). La culture des communs numériques pourra favoriser la cocréation et le partage des ressources pérennes et accessibles que les individus, interconnectés via les réseaux sociaux, pourront librement utiliser et modifier.

Contrairement à l’usage désinvolte des réseaux sociaux, l’éducation à la culture du numérique vise à faire des réseaux sociaux un espace de droit. Elle invite les décideurs (pouvoir, les organes régulateurs, etc.) à renforcer l’application du droit dans le monde numérique. Réguler les droits de chaque individu sur les réseaux sociaux revient à les connaître, les respecter, les protéger et favoriser leurs mises en œuvre. Car, chaque individu a droit au respect de sa vie privée et à la protection de ses données personnelles. Cette mesure sur la protection des droits des individus dans l’espace numérique se précise chez D. Vinck (2016) avec l’idée que les humanités numériques nourrissent aussi des revendications d’autonomie et de justice. Autrement dit, faire des réseaux sociaux un espace de droit revient à informer et à sensibiliser les individus sur leurs droits et devoirs de manière adaptée à leur âge vu qu’ils ont tous droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles.

En revanche, la culture numérique, dans son déploiement doit pouvoir aider l’individu à comprendre que toute forme d’expression discriminatoire constitutive d’harcèlement ou d’incitation à la haine est un délit qui doit être signalé pour le respect d’autrui. Conformément à l’article 9 de la Déclaration Africaine des Droits et Libertés d’Internet (2014), il est écrit :

Toute personne a le droit de jouir de la sécurité, stabilité et résilience de l’Internet. En tant que ressource publique globale universelle, l’Internet devrait être un réseau sécurisé, stable, résilient et fiable. Les différentes parties prenantes devraient continuer à coopérer en vue d’assurer l’effectivité de la lutte contre les risques et les menaces pesant sur la sécurité et la stabilité de l’Internet. La surveillance illégale, le contrôle et l’interception des communications en ligne des utilisateurs par des acteurs étatiques ou non étatiques, portent fondamentalement préjudice à la sécurité et à la fiabilité de l’Internet.

Ce qui sous-entend que les libertés d’expression de tous les utilisateurs des réseaux sociaux doit être garanties dans le cadre fixée par la loi et les règles élémentaires de communication. Cette mesure doit se compléter avec l’article 2 qui garantit l’égal accès au numérique et à ses usages à tous. De ce point de vue, un travail doit être mené à l’intérieur des États africain par des acteurs à l’effet de faire comprendre les subtilités de la Déclaration et les mener à prendre des textes spécifiques.

Aussi, faudrait-il qu’aboutisse l’éducation à la civilisation numérique, dans la dynamique des sociétés africaines, à la vigilance des utilisateurs, de leurs âges et respectueux de leurs rythmes de vie et leurs santés. Cette vigilance doit conduire chaque individu à la lutte contre les manipulations de l’information et à la pratique de la vérification de l’information et à son analyse critique, notamment dans la détection des fausses informations, de leur diffusion et de leur impact sur la vie personnelle et dans une proportion plus grande sur la société. De même, la compréhension et l’application des principes fondamentaux de la sécurité numérique collective et individuelle, en l’occurrence celle des systèmes d’information, devient pour l’individu un moyen de préservation d’identité et de la réputation numérique pour les utilisateurs.

Au nombre des objectifs des humanités numériques, nous retenons qu’ils sont un processus de dématérialisation du patrimoine culturel qui marque le passage du support physique des objets de civilisation (livres, musiques, images etc.) à une phase de numérisation. En plus de la phase de numérisation, les humanités numériques visent la quantification des sciences humaines de sorte à saisir les phénomènes culturels et sociaux en les transformant en série de données numériques. En outre, ils projettent la coopération interdisciplinaire entre sciences humaines, sciences sociales et informatique et l’invention de méthodologies hybrides. Ces différentes phases des humanités numériques qui intègrent le social sont pour D. Vinck (2016, pp. 25 ; 39 et 63) la preuve de l’indispensabilités des technologies, créant ainsi une nouvelle écologie sociotechnique et un humanisme numérique.

Conclusion

Au terme de ce parcours réflexif, il convient de retenir que le basculement démocratique auquel nous assisterons à travers l’usage des réseaux sociaux comme monde de participation au débat public se loge dans un autoritarisme dont les seuls et nouveaux maîtres restent les géants du numérique. Désormais, à travers Internet, Smartphones et objets connectés, la prise de contrôle de notre existence s’opère au profit d’une nouvelle oligarchie mondiale. Quoique les réseaux sociaux facilitent la communication et brisent toutes formes de barrières entre les individus, ils constituent des nids de fabrique identitaire à la solde des utilisateurs véreux et manipulateurs. Ainsi, pour avoir fait des réseaux sociaux, des réseaux de plus en plus asociaux, les politiques sont parvenus à retourner la liberté d’expression contre la démocratie elle-même. Ces réseaux, censés apporter un nouveau souffle à la dynamique démocratique, ont transformé cette dernière en un lieu de manifestation de la haine et de la violence qui sont au fondement des crises sociales. Il faut donc humaniser les réseaux sociaux à travers une éducation culturelle de leur usage en politique. Ce qui pourrait contribuer à la réduction considérable de l’influence toxique des réseaux sociaux.

Références bibliographiques

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MACILOTTI Giorgia, 2019, « Violence et humiliation à l’ère numérique : une étude en milieu scolaire », in Déviance et Société (Vol. 43), Éditions Médecine et Hygiène, p. 299-328, https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-3-page-299.htm.

MOGUÉ Agoussi Alphonse, 2017, « La volte-face de la démocratie : entre enthousiasme et désenchantement des pays du tiers-monde », in Revue Échange, volume 1, N°008, pp. 203-215.

SIEBEL Thomas M., 2022, La transformation numérique, Paris, Fayard.

VILMER Jeangène Jean-Baptiste et al, 2018, « Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties », in Rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) du ministère des Armées, Paris.

VINCK Dominique, 2016, Humanités numériques, Paris, Éditions Le Cavalier Bleu.

Usages illicites des réseaux sociaux : cyber menaces, pratiques d’agences de désinformation et risques               sur la démocratisation en Afrique

Ange Bergson LENDJA NGNEMZUE

Université d’HARVARD (États-Unis)

ablendja@yahoo.fr

L’enquête « Story Killers » a montré la participation potentielle d’une agence israélienne de désinformation à la cybercriminalité électorale par le détournement de la technologie des réseaux sociaux. Cette agence crée de faux profils et diffuse la peur à l’avantage de ses clients qui manipulent ainsi les opinions publiques en vue de gagner des élections majeures. De plus en plus de secteurs impliqués dans les élections sont touchés par ces entrepreneurs criminels de la toile. Comme le marketing de produits et l’incitation d’achat, la publicité politique et les stratégies de persuasion et de dissuasion sont attaqués par les agences de désinformation payés au prix fort. À l’évidence, l’Afrique semble désarmée face à de telles agences qui se déploient autour et sur ce continent marqué par un retard important en cyber sécurité. Dès lors, que nous apprend cette facilité qu’ont les agences de la désinformation à manipuler les données des réseaux sociaux à des fins criminelles ? Quelles méthodes seraient mobilisées par les cybercriminels dans cette nouvelle fabrique artificielle du consentement électoral en Afrique ? Quels sont les vecteurs globaux et locaux de ces nouvelles offres de trucage rationnel et planifié des élections et des opinions ? Peut-on y faire face, et comment ?

Mots clés : Agences de désinformation, Cybercriminalité, Élections Africaines, Réseaux sociaux.

Abstract:

The ‘Story Killers’ investigation recently highlighted the potential participation of an Israeli disinformation agency is playing in electoral cybercrime trough the misuse of social media technology. This agency creates fake profiles, manufacturate dominant ideas or figures and spread fear to the advantage of clients who thus manipulate public opinion to win major elections. More and more sectors involved in the elections are affected by these criminal web entrepreneurs. Like product marketing and incitement to purchase, political advertising and persuasion and deterrence strategies are under attack from paid disinformation agencies. Obviously, Africa seems disarmed in the face of such tools which are developing and deployed around and on this continent marked by a significant delay in mastering counter-expertise to neutralize the attacks of these agencies. So what does this ease with which disinformation agencies manipulate social media data for criminal purposes ? What methods are used by cybercriminals in this new economy of the artificial factory of electoral consent in Africa? What are the local and global vectors of this springs and local networks (technical relays and customers) of these new offers of rational and planned rigging of elections and opinions? Can we deal with it, and how?

Keywords : African elections, Cybercriminality, Disinformation Agencies, Social Networks.

Introduction

Cet article émerge d’un contexte marqué par le développement de l’industrie de la cybercriminalité, que l’on peut caractériser comme une forme de capitalisme immoral et délinquant reposant sur l’idée que des systèmes informatiques et de communications institutionnalisées peuvent être pénétrés, déstabilisés et détournés à des fins d’enrichissement ou de manipulation des normes et des institutions démocratiques, conventionnelles et socialisées. Nurse et Bada (2019, p. 1) pensent qu’après avoir été longtemps considérée comme une activité de hackers isolés, la criminalité en ligne « est devenue de plus en plus une activité de groupe, avec des réseaux à travers le monde ». Ces entreprises cybercriminelles s’emparent de nouveaux objets manipulés et détournés pour développer ce capitalisme criminel mondialisé.

Récemment, cette activité de groupe a décidé de se saisir des compétitions électorales des régimes démocratiques comme d’une opportunité inédite d’affaires. La cybercriminalité électorale s’exprime au travers des procédés complexes qui font peser une série de risques inédits sur la sincérité du processus de sélection des élites politiques. L’élection présidentielle américaine de 2016 était à la fois le premier coup d’éclat électoral des cybercriminels et un tournant pour la sécurité informatique des démocraties libérales à l’ère du numérique. Selon D. Fidler (2017, p. 3), l’angoisse de ce cycle électoral américain était que «des acteurs étrangers pourraient exploiter les cyber-technologies pour falsifier l’inscription des électeurs, accéder aux machines à voter, manipuler le stockage et la transmission des résultats et influencer les résultats des élections ». James B. Come, ancien directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI) a affirmé devant la commission judiciaire du Sénat que la Russie était le principal foyer d’origine de ces cyberattaques, qui ont largement favorisé l’implication des « complotistes » et la diffusion de leurs théories dans la campagne victorieuse de Donald Trump (Berghel, 2017). L’année suivante, les campagnes d’Emmanuel Macron en France et des candidats déplaisant au Kremlin dans les élections générales allemandes étaient les nouvelles cibles de cette ingérence cybercriminelle russe (Stelzenmüller, 2017). Les cybercriminels s’emparent aussi des réseaux sociaux pour détourner l’information ou fabriquer de faux profils qu’ils injectent dans la communication politique et le processus électoral (Gercke, 2017). La cybercriminalité électorale est un facteur de désordre mondial qui heurte la non-ingérence, marque de civilité et de respect dans la société internationale (Trifunovska, 2017). Les entrepreneurs cybercriminels s’emparent des techniques du marketing de produits et d’incitation d’achat pour détourner le vote des citoyens au profit de leur clientèle.

Cette contribution porte sur la place stratégique qu’occupent les réseaux sociaux dans le développement de la nouvelle économie de la cybercriminalité électorale. L’analyse s’enracine dans les transformations de la criminalité numérique pour mettre en lumière, à une échelle plus basse, la portée des réseaux sociaux dans les pratiques des agences de désinformation qui détournent les processus électoraux. Ceux-ci sont de nouvelles cibles d’attaques pour des agences de désinformation payées au prix fort par des entrepreneurs économiques et politiques peu scrupuleux. Nous montrerons en première partie comment la cyberattaque électorale a récemment été éclaircie d’un nouveau jour par « Story Killers », du nom de code des projets d’un consortium de journalistes d’investigation qui enquêtent librement, au prix de leurs vies, sur des histoires interdites (« forbidden stories ») (https://forbiddenstories.org, consulté le 22 septembre 2023). L’irruption des agences de désinformation fait apparaître trois préoccupations qui seront ici examinées en rapport aux processus africains de démocratisation : quels sont les éventuels points d’impact sur une Afrique à la cybersécurité précaire ? En quoi l’industrie de la désinformation est-elle un vecteur nouveau de l’insécurité collective ? Comment faire face à cette nouvelle menace sur la sécurité sociétale, qui instrumentalise les réseaux sociaux dans des opérations criminelles  ?

1. La « Team Jorge », agence de désinformation mondiale

Cette section explore les conditions de la naissance et la nature du développement d’une agence de désinformation mondiale qui manipule et instrumentalise les données des réseaux sociaux à des fins criminelles, comme dans le cas de la déstabilisation des processus électoraux. Ici, nous reprenons l’essentiel des conclusions d’une enquête publiée le 15 février 2023 et signée de Cécile Andrzejewski (https://forbiddenstories.org/story-killers/team-jorge-disinformation/, consulté le 22 septembre 2023), qui a poursuivi avec ses collègues le travail de la journaliste indienne Gauri Lankesh, tuée par balles à 55 ans au pied de son immeuble de résidence à Bangalore au Karnataka (Inde) le 5 septembre 2017. Pour rappel, Lankesh enquêtait sur la désinformation et les « usines à mensonges ». Après sa mort, des journalistes d’investigation réunis au sein du collectif « Forbidden Stories » ont révélé qu’une agence israélienne ultrasecrète réalisait un gigantesque travail de manipulation à l’échelle mondiale en fabriquant des fausses informations pour le compte de ses clients déterminés à influencer des élections. 

Dans sa généalogie, la « Team Jorge » est une excroissance de Cambridge Analytica (CA), du nom de cette société britannique qui a fait scandale en 2018 en manipulant les données de plus de 87 millions d’abonnés Facebook à leur insu et à des fins de ciblage politique. CA a commencé à exploiter ces données en 2014 et développé une plateforme logicielle du nom de « Ripon » via AggregatelQ pour influencer des votes à l’avantage d’entrepreneurs politiques ayant sollicité ses services (Rehman, 2019, p. 1-11). La « Team Jorge » suit le même parcours et se définit comme une entreprise de désinformation mondiale, travaillant notamment sur le vol des élections par des usages criminels du cyberespace et spécialement des réseaux sociaux. La « Team Jorge » est sans morale ni scrupules et poursuit les mêmes objectifs que CA, qui fut impliqué dans la manipulation de nombreuses élections, « contribuant à la victoire de Donald Trump en 2016 aux États-Unis et au vote en faveur du Brexit en Angleterre » (C. Andrzejewski, « Team Jorge » : au cœur d’une machine de désinformation mondiale », Op. cit.). Mais cette filiation serait encore plus directe : Jorge est probablement le chef de file de ces hackers israéliens aux méthodes brutales, sous-traitants de CA en 2018 qui débarquaient « dans les locaux de l’entreprise avec des clés USB chargées de mails d’hommes politiques piratés » (Ibidem).

En clair, les agences de désinformation constituent « une industrie usant de toutes les armes à sa disposition pour manipuler les médias et l’opinion publique, aux dépens de l’information et de la démocratie » (Ibidem). Dans le cas précis de la cybercriminalité électorale, l’Afrique est mal partie. Deux facteurs conjoncturels clés qui confinent à l’inquiétude seront ici décryptés : d’une part, l’interaction irréductible entre cybersécurité et cybercriminalité, qui est pour l’instant défavorable aux institutions africaines de contrôle du cyberespace. D’autre part, les points d’impacts ou d’appui éventuels de la cybercriminalité électorale, dont l’inventaire et la cartographie dessinent un continent-passoire.

2. Cybersécurité et cybercriminalité en Afrique

Le cyberespace ne se confine plus au virtuel et s’ouvre à « une nouvelle forme de conflictualité qui va de l’espionnage à l’appui des opérations militaires conventionnelles en passant par les opérations d’influence » (Germain et Massart 2017, p. 45). Cette section montre la forte corrélation entre cybercriminalité et cybersécurité et en fait un facteur-clé de la pénétration africaine de ces évolutions malveillantes du cyberespace. 

2.1. Régime de cybersécurité en Afrique

En système d’information, la cybersécurité est le métier de ceux qui trouvent des solutions techniques pour contrer les cyberattaques lancées pour « obtenir un accès non autorisé à des systèmes informatiques, interrompre des opérations d’entreprise, modifier, manipuler ou voler des données, réaliser de l’espionnage industriel, extorquer de l’argent aux victimes » (Onelogin.com). À ce titre, la cybersécurité consiste en une série d’actions de protection et de sécurisation de la navigation dans le cyberespace, pensées et implémentées par les experts informatiques pour contrer la montée en puissance de la cybercriminalité. Selon L. Yang et al (2019, p. 1), la cybersécurité travaille contre les attaques cybercriminelles et vise « à protéger les infrastructures informatiques et de réseau, les systèmes d’exploitation, les programmes logiciels exécutés sur les infrastructures, et toutes les données stockées ou transmises par l’intermédiaire des infrastructures ». La problématique africaine de la cybersécurité se pose en termes de voies et moyens pour établir et relever le niveau de sécurité des systèmes informatiques existants et concevoir ceux à prévoir pour travailler derrière ces actions en réseaux que sont la prise de décision politique et entrepreneuriale ou les processus de connexion et de communication à distance. Ces actions impliquent la circulation des données sensibles qui peuvent, à chaque instant, intéresser les cybercriminels. La cybersécurité implique aussi la fabrique des moyens politiques et techniques offensifs, notamment pour authentifier l’information lorsque des cybercriminels inondent les réseaux sociaux et numériques de data d’origine douteuse, et sévir contre ces entrepreneurs criminels.

Sur ces différentes exigences aux enjeux à la fois techniques, stratégiques et politiques, l’Afrique est à la traine. À l’échelle du continent, la cybersécurité est précaire, au moment où ce segment devient une lame de fond de l’action politique africaine. Certes, un début de solutions panafricaines de la cybersécurité existe. Des cadres institutionnels favorisant le développement de la cybersécurité ont ainsi été créés au niveau de l’Union africaine (UA) suite à la Déclaration de Syrte du 9 septembre 1999 actée par les Chefs d’État et de gouvernements, alors réunis en Lybie pour créer l’UA. Pour concrétiser cette volonté de pourvoir le continent d’« un dispositif habile à gérer les défis politiques et socioéconomiques du nouveau millénaire », des sommets successifs des Chefs d’État (Lusaka 2001, Durban 2002) ont inscrit à l’objectif douzième de l’Acte constitutif de l’UA la coordination et l’harmonisation des politiques régionales en vue de l’Union. Les technologies de l’information (TI) font partie des nombreux secteurs concernés par cette décision. Allant encore plus loin, un Cadre de référence en matière de télécommunications et de TI pourvu des orientations d’harmonisation clairement formalisées a été adopté en 2008 par la Conférence des Ministres de l’UA en charge de ces domaines : « Promis comme une « plateforme catalytique, le document prescrit l’élaboration de « lignes directrices de politique et de réglementation » en tant que stratégie normative nécessaire à l’émergence d’un environnement ouvert à l’investissement et « au développement durable » des marchés africains des TI » (Kablan et al., 2016, p. 267).

La Déclaration Oliver Tambo de 2009 proclame le recours à l’instrument conventionnel et recommande au Secrétariat de l’UA de soumettre à l’attention des États membres de l’UA et au plus tard en 2012 « une convention sur la législation en ligne basée sur les besoins du continent et qui respecte les critères juridiques et mesures de règlementation requis pour les transactions électroniques, la sécurité numérique et la protection des données personnelles » (cité par Kablan et al, 2016, p. 267). Au début des années 2010, le « Projet de Convention de l’Union africaine sur la confiance et la sécurité dans le cyberespace » a été élaborée, conjointement par la Commission de l’UA et la Commission pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). La Conférence des Chefs d’État et de gouvernement des 26 et 27 juin 2014 décidait au cours de la 23ème session ordinaire de l’Assemblée de l’UA tenue à Malabo d’adopter ce projet et d’en faire une convention ouverte officiellement à la ratification, sous le nom de « Convention de l’UA du 27 juin 2014 » (Kablan et al., 2016, p. 267).

En dépit de cette volonté affichée de construire un dispositif panafricain de cybersécurité, des contraintes cumulées dans la réalité continuent de faire de ce domaine le parent pauvre des stratégies proactives du continent. La première des contraintes est cette Convention du 27 juin 2014 elle-même, qui n’est toujours pas entrée en vigueur, faute du « nombre requis de ratifications » (Hlomani et Ncube, 2023, p. 4). Cela est d’autant plus dommageable que

La Convention de Malabo est le seul instrument juridique continental actuel qui se concentre sur la protection des données personnelles et la cybersécurité. Elle est pertinente pour la gouvernance des données dans la mesure où elle se rapporte à ces deux aspects, qui font partie intégrante de la gouvernance des données (Hlomani, Ncube, 2023, p. 20-21).

En outre, les pays africains semblent se détourner de la cybersécurité au profit de la seule protection des données personnelles sur un modèle importé. En effet, environ 24 des 55 États africains sont sous réglementation, encouragés par la promulgation du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), « qui a été adopté en 2016 et qui est très influente en raison de sa réglementation des flux des données transfrontalières, et qui a eu un impact sur un certain nombre de modèles de protection de données à l’échelle mondiale » (Hlomani et Ncube, 2023, p. 2). Si des efforts sont en cours au sein des États et des organisations sous régionales et panafricaines pour améliorer la protection des données, on doit constater la précarité du régime cybersécuritaire africain, tant en matière d’infrastructures de surveillance que de la protection des données. La faiblesse de ces moyens technicoinstitutionnels de contrôle du cyberespace explique très largement la forte pénétration de la cybercriminalité sur le continent africain.

2.2. Typologie et explosion de la cybercriminalité en Afrique

Pour les experts, le phénomène mondial de la cybercriminalité est accentué en Afrique par la fracture numérique :

« L’hypo connexion » des régions du Sud et l’ignorance des usagers vont de pair avec l’absence d’un dispositif approprié de lutte contre la cybercriminalité et transforme les États en paradis pénal pour les cyber délinquants qui y trouvent des proies faciles et l’utilisent comme base de travail pour porter atteinte aux réseaux internationaux (Cissé, 2010, p. 4).

D’autres facteurs aggravants de nature beaucoup plus conjoncturelle et globale contribuent à l’essor de la cyberdélinquance en Afrique. Le premier de ces facteurs est le développement récent des relations à distance, avec des structures de contrôle qui n’ont pas toujours eu les moyens de suivre. Stephen Kavanagh, Directeur exécutif des services policiers de cette organisation à INTERPOL a noté que la cybercriminalité a été exacerbée « par la « carence » en cybercapacités des services chargés de l’application de la loi au sein des différentes régions et entre celles-ci. Cette carence est un facteur clé de facilitation des opportunités, des infrastructures et des réseaux criminels » (Interpol, 2021, p. 3). À sa suite, Tarek A. Sharif, le Directeur exécutif d’AFRIPOL, ajoute d’autres facteurs spécifiques, dont le premier est la jeunesse de la population africaine. En effet, en 2020, plus de 60% d’Africains avaient moins de 25 ans : « Ce facteur génère une forte croissance dans l’utilisation des nouvelles technologies (…) Sur ce continent jeune, chaque défi économique est relevé par une solution innovante qui, malheureusement, frôle parfois les limites de la légalité » (Interpol, 2021, p. 3). Le second groupe de facteurs est constitué des effets de la pandémie de la Covid19 : « Les destructions d’emplois dues à la pandémie et l’anémie de la croissance économique ont ouvert la voie à de nouvelles opportunités pour les organisations criminelles » (Interpol, 2021, p. 4). Le troisième facteur est le sous-développement du secteur bancaire : « le faible nombre d’installations bancaires à la disposition des populations africaines a favorisé l’émergence de nouveaux services financiers comme la banque mobile, mais aussi la résurgence de nouvelles formes d’escroquerie liées à ces nouvelles technologies » (Interpol, 2021, p. 4).

Sur la typologie de la cybercriminalité qui pèse sur l’Afrique, le rapport d’Interpol identifie cinq groupes de menaces prééminentes : les escroqueries en ligne, les extorsions en ligne, les escroqueries aux faux ordres de virement, les rançongiciels et les Botnets. Selon Interpol (2021), les escroqueries en ligne représentent la cybermenace la plus fréquemment signalée et la plus pressante dans la région. Cette menace cible et exploite les peurs, les insécurités et les vulnérabilités des victimes en recourant aux hameçonnages, aux campagnes d’envoi massif de messages électroniques et à l’ingénierie sociale. Les pays membres ont signalé « une hausse accentuée du nombre d’escroqueries bancaires en ligne, et notamment de cas de fraude bancaire et de fraude à la carte de crédit » (p. 7). Ce type de cybercriminalité « cible les particuliers, soit en alléguant de la détention d’images sexuellement compromettantes, soit par des campagnes de chantage direct » (Interpol, 2021, p. 7). Dans ce cas précis, « la transformation numérique de la société – en particulier au sein de la région africaine – a créé de nouveaux vecteurs d’attaque pour les malfaiteurs pour à la fois brouiller leur identité et cibler de nouvelles victimes » (Interpol 2021, p.7). Dans ce sillage, les escroqueries aux faux ordres de virement (FOVI) sont une menace forte à laquelle sont vulnérables « les entreprises et les organisations qui dépendent lourdement des transactions par virement (…) la pandémie de COVID-19 a favorisé cette forme de cybercriminalité » (Interpol, 2021, p. 7). Quant aux rançongiciels, il s’agit d’une cybermenace récente. Selon Interpol, en 2020, « plus de 61 % des entreprises de la région auraient subi des attaques par rançongiciel. Ces attaques ont ciblé les infrastructures essentielles de certains pays africains, notamment dans le secteur de la santé et le secteur maritime » (Interpol, 2021, p. 7). Enfin, « Les botnets sont des réseaux de machines infectées utilisées pour automatiser des campagnes à grande échelle comme des attaques par déni de service distribué (DDoS), des campagnes d’hameçonnage, etc. » (Interpol, 2021, p. 7).

Un expert africain cité par la journaliste digitale Christelle Houetto a récemment indiqué que toutes les formes de cyberattaques ont explosé sur le continent africain : l’année 2022 « a été mouvementée par différents types d’attaques cyber, des ransomwares, le botner en passant par le piratage des systèmes numériques, la compromission de messagerie professionnelle, l’extorsion numérique ». (C. Houetto, 2023, https://en.cybersecuritymag.africa.com, consulté le 30 octobre 2023). La nouveauté est que les grandes organisations sont de plus en plus les cibles de ces attaques criminelles, avec un bilan plutôt inquiétant : « Le nombre de cyber menaces ciblant les organisations en Afrique est plus élevé que dans le reste du monde. Environ 1848 attaques par semaine ciblant une organisation en Afrique, contre 1164 dans le monde » (Ibidem).

3. La question africaine de la cybercriminalité électorale

Ces figures d’assauts des cybercriminels sur les institutions, les organisations africaines et les citoyens ordinaires du continent sont un nouveau niveau de développement de l’économie numérique du crime. L’agenda économique et stratégique des agences de désinformation décuplera les sites de nuisance des cybercriminels contre les institutions africaines. Quels sont les enjeux et les vecteurs de la cybercriminalité électorale qui menace l’Afrique ?

3.1. Faible résistance et hypothèse du coup d’État électronique

L’hypothèse d’une faible capacité de résistance des systèmes informatiques et des réseaux sociaux africains aux assauts cybercriminels est réaliste.  Au vu des moyens sophistiqués des agences de désinformation et de la haute qualité de leurs ressources humaines, il est même quasi-certain qu’en l’état actuel de la sécurité informatique et des réseaux sociaux en Afrique, les organisations africaines feraient peu le poids en cas d’agression. Toute attaque cybercriminelle d’envergure sur les processus électoraux majeurs des pays du continent débouchera probablement sur une crise majeure de la sécurité informatique dans ces États. L’acteur cybercriminel est un passager clandestin qui perturbe gravement le système électoral et exige une analyse conjoncturelle et prospective des points d’impacts de ce facteur X sur la plupart des démocraties africaines. Les analystes ont en effet tort de se focaliser uniquement sur les coups d’État militaires, orchestrés ou non suite à des coups d’État électoraux, dont la sociogenèse reste à faire pour cerner les racines locales de certains régimes perpétuels en démocraties africaines de l’après-guerre froide. Mais l’irruption de l’acteur cybercriminel pose un tout autre problème aux sciences sociales africanistes : elle élargit le spectre et la liste des risques et menaces qui pèsent sur les régimes politiques africains. Dans les scrutins africains majeurs, l’accès illicite de ces agences de désinformation aux ressources techno-légales est un péril d’un nouveau genre. Désormais, il faut prendre au sérieux la possibilité d’un coup d’État électronique, orchestré et mené par une maîtrise fine de l’outil technologique, alors détourné et criminalisé via des plateformes numériques et des réseaux sociaux (fabrication des faux profils et diffusion des fake news). Des manœuvres illicites sur les termes et les outils de l’élection, avec quelques complicités internes, rendraient l’hypothèse d’un coup d’État électronique falsifiable.

L’un des facteurs à la fois de constitution et d’accélération d’un tel scénario criminel est interne et culturel. Il s’agit de la tentation tacticienne de certaines élites africaines, candidates ou non aux compétitions politiques, de recourir à la force et à la puissance technologique de ces outils de l’économie transnationale du crime numérique pour perturber sérieusement et à leur avantage des processus électoraux qui leur seraient autrement défavorables. Ce recours, qui amène à faire des usages détournés et illicites des réseaux sociaux, est d’autant plus dangereux que la cybercriminalité électorale n’impacte pas que les processus de sélection des gouvernants : elle sème le doute dans les esprits quant à la capacité des institutions publiques à tenir face aux agressions cybercriminelles. Pire, la cybercriminalité électorale menace lourdement la sécurité collective en contribuant directement aux émeutes et aux désordres postélectoraux. Les agences de désinformation sont des fauteurs de guerre sur tablette et claviers. Comme pour toutes les guerres de pouvoir, leurs victimes ne sont pas digitales : en fabriquant de faux leaders élus plébiscités par des faux sondages, en brassant de faux profils sur les réseaux sociaux, les agences de désinformation fournissent du combustible pour de nouvelles crises postélectorales meurtrières en Afrique. Ces stratagèmes cybercriminels pourraient parvenir au même bilan ensanglanté des mercenaires et autres seigneurs de guerre dictant la loi des kalachnikovs durant des décennies en Afrique (Testot, 2008).

On sait désormais que l’ampleur des domaines illicitement touchés par les cyberattaques est considérable et va des systèmes sécurisés et sensibles aux interactions sociales et techniques ordinaires (Sudres, 2017). Agissant par-delà le contexte global dominé, d’une part, par les rivalités entre les États et divers acteurs criminels du cyberespace (Boulanger, 2014) et, d’autre part, des enjeux de domination et de puissance à l’échelle locale et globale (Arpagian, 2018), la cybercriminalité électorale orchestre un trouble sociétal qui menace la survie des sociétés africaines.  L’absence de l’Afrique de ces tensions créatrices du monde de demain l’expose aux affres de cette « nation technologique » qu’est le cybercrime (Bochoidze, 2017). En s’emparant des processus électoraux africains, les agences de désinformation affectent au cœur la démocratisation, déjouant la solidité de cette institution démocratique que sont les élections.

3.2. Vecteurs de la cybercriminalité électorale en Afrique

La probabilité du risque d’une pénétration africaine de la cybercriminalité électorale repose sur deux groupes de vecteurs, internes et externes. Dans cette sous-section, les vecteurs externes seront analysés comme globaux, les vecteurs internes étant considérés comme locaux. Les vecteurs globaux sont issus de la nature et du fonctionnement du cyberespace lui-même. Au moins trois éléments étroitement imbriqués figurent au compte de ce groupe de vecteurs. En premier lieu, la formation et la disponibilité d’un groupe stratégique composé d’initiés et de plusieurs réseaux d’intervenants techniques du cyberespace ayant travaillé comme ingénieurs ou consultants dans des agences de la désinformation ou dans l’ingénierie de la cybersécurité. La naissance de « Team Jorge », dont des cadres ont été des sous-traitants chez Cambridge Analytica à la fin des années 1990, manifeste ce type d’évolutions observées dans ce groupe stratégique pour créer des agences de la désinformation.  Sans devenir la norme, la montée en grade des consultants pourrait conduire à la création de plus en plus de PME du cybercrime électoral, qui vont s’organiser pour agir en réseau de sous-traitance en cascade, conquérir de nouveaux marchés cybercriminels, ou tirer des coûts vers le bas afin d’inciter de nouvelles commandes. En second lieu, il est nécessaire pour ces agences de désinformation de reconvertir des agents de la sécurité du Web aux emplois de l’économie numérique criminelle, ainsi présentés comme plus stimulants ou plus lucratifs. Ce basculement dans l’économie de la cybercriminalité électorale concernerait une foule de professionnels du cyberespace : agents mis sur la touche, en fin de contrat ou retraités, militaires et policiers ou autres ingénieurs civils et juristes expérimentés ou en fin de carrière, et qui connaissent les rouages de la cybersécurité pour y avoir travaillé ou pour en être des spécialistes de divers domaines ou niveaux. La cybercriminalité électorale ne recruterait donc jamais loin des milieux de la cybersécurité. En troisième lieu, la cybercriminalité électorale apparaît au moment où l’Intelligence Artificielle (IA) augmente les chances opérationnelles de la cybercriminalité en même temps que l’inquiétude sur l’avenir de la cybersécurité institutionnelle en Afrique. Les deepfakes et le clonage vocal sont des méthodes assistées par l’IA qui révolutionnent l’ingénierie sociale et alertent « sur la diffusion à large échelle de solutions d’IA générative comme ChatGPT qui menacent de démocratiser le cybercrime et de saper toute confiance, voire d’exacerber l’instabilité politique » (SoSafe, 2023, https://sosafe-awareness.com, consulté le 19 novembre 2023).

Les vecteurs locaux émergent de l’économie politique et numérique africaine, soumise à des caractéristiques particulières. Le premier de ces vecteurs est la ruée des Africains vers Internet : avec 500 millions d’internautes (soit 38% de sa population), l’Afrique est la première région connectée du monde. Faute de bancarisation, la population est consommatrice des services financiers en ligne, via les applications sur téléphones connectés : « Cette situation induit une menace future non négligeable, avec la montée en puissance des applications malveillantes exploitant les vulnérabilités croissantes des appareils mobiles » (Interpol 2021, p. 8). Le second vecteur est l’absence d’infrastructures numériques fiables. Celles qui existent ne sont pas intégrées aux infrastructures publiques, bancaires et commerciales : « 90 % des entreprises africaines n’utilisent pas les protocoles de cybersécurité nécessaires. Sans ces derniers, les acteurs des menaces exploitent sans peine les vulnérabilités croissantes en inventant de nouveaux vecteurs de cyberattaques » (Interpol, 2021, p. 8). Les incidences locales de la pandémie de la COVID19 sont le troisième vecteur. Le système de santé sud-africain a été attaqué et le continent « a vu la croissance de l’écosystème de la cybercriminalité, avec une fracture numérique persistante et des vulnérabilités de cybersécurité croissantes dans toute la région » (Interpol, 2021, p. 9). Enfin, « la transformation numérique accrue » du continent « facilite l’émergence de nouveaux vecteurs d’attaque et de nouvelles opportunités pour les cybermalfaiteurs » (Interpol, 2021, p. 9).

3.3. Désorganisation des élections démocratiques africaines

La cybercriminalité électorale pourrait pénétrer l’Afrique en s’appuyant sur tous ces vecteurs. Ici, nous rappelons et discutons quelques solutions récemment présentées pour la cybersécurisation des élections majeures (présidentielles et législatives) (C. Houeto, 18 septembre 2023, in https://en.cybersecuritymag.africa, consulté le 10 novembre 2023). La clé de la cybersécurité du processus électoral serait « le respect du « Privacy by design », et le « Security by design » qui implique de suivre les bonnes pratiques et l’état de l’art tout au long du développement des solutions et des processus » (C. Houetto, 18 septembre 2023, op.cit, consulté le 10 novembre 2023). Cette journaliste digitale recense quatre enjeux du numérique électoral qui intéressent les cybercriminels et sur lesquelles concentrer la cybersécurité : disponibilité, intégrité, authentification, confidentialité.  Selon elle, ces quatre enjeux sont « combinés et indissociables ». Pris ensemble, « ils participent à établir et garantir la confiance dans les résultats » (C. Houetto, 18 septembre 2023, Op. cit., consulté le 10 novembre 2023).

Néanmoins, notons que pour de telles élections majeures, l’irruption des agences de désinformation fait changer de dimension aux enjeux du numérique électoral. Cette irruption booste ces « occasions d’altérer les résultats » et installe une industrie de la falsification électorale, avec des moyens à la fois violents et colossaux pour torpiller les règles établies et les résultats attendus.  À la différence des hackers qui agissent de manière sporadique et ciblée, les agences de désinformation déploient des paradigmes entiers pour s’emparer du processus électoral, cloner des informations et inventer des deep fakes qui stimulent ou font douter l’électorat sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. Au-delà de ce que décrit Christelle Houeto, la cybercriminalité électorale ratisse large et incorpore une série d’actions rationnelles et planifiées à des fins de déstabiliser voire de renverser l’ordre établi et les prédictions technico-institutionnelles.

Conclusion

Le projet de cet article était d’analyser la cybercriminalité électorale comme une forme d’usage criminel des réseaux sociaux, avec des risques majeurs pour l’Afrique en cours de démocratisation. La première partie de l’article a situé le contexte de l’étude en présentant l’émergence et l’agenda d’une agence de désinformation : la « Team Jorge », récemment approchée par les journalistes d’investigation du consortium « Stories killers » qui se sont présenté comme des clients demandeurs de fake news et de faux profils sur les réseaux sociaux au profit d’un prétendu candidat à une élection présidentielle dans un pays africain francophone. La deuxième partie a présenté l’état des lieux de la cybercriminalité et de la cybersécurité sur le continent africain. La troisième partie a montré les points de dégâts que les entreprises du profil de « Team Jorge » peuvent causer sur les processus électoraux et les élections africaines.  Les enjeux vitaux de la cybercriminalité électorale en Afrique nous amènent à formuler quelques recommandations en prévision des rudes batailles qui attendent les institutions nationales et panafricaines dans les années à venir. Six actions concrètes sont requises pour contrer ce nouveau terrorisme technologique qui menace la survie même des organisations et des institutions :

1) Sortir du mythe de la souveraineté numérique pour régionaliser, voire communautariser le traitement africain de la question du cyberespace. Pour cela même, il faut accélérer la ratification de la Convention de Malabo et mettre en place d’autres outils qui relaient les bonnes pratiques en matière de cybersécurité.

2) Faire un état des lieux global des faiblesses techniques des systèmes nationaux et régionaux de défense digitale pour se mettre aux standards internationaux.

3) Faire dialoguer les divers acteurs de la cybersécurité et de la lutte contre la cybercriminalité. Dans ce dialogue, les spécialistes du droit et de la sociologie numérique apprendront des ingénieurs et des experts de la cybercriminalité, et inversement. Au bout de ces échanges, une charte commune de défense et de protection du cyberespace africain contre les cybercriminels peut être élaborée en vue d’une application immédiate et de la mise en place des normes politiques communes pour la sécurité en réseau en Afrique.

4) Criminaliser plus sévèrement la cybercriminalité électorale dont les conséquences ultimes peuvent détruire la paix sociale et saborder les institutions africaines démocratiques. À ce titre, les candidats aux élections confondus de recourir aux agences de désinformation ou à leurs seules méthodes doivent être passibles de la peine maximale dans le cadre d’une nouvelle législation répressive applicable à l’échelle des communautés régionales (CR).

5) Éduquer le citoyen africain à la cybervigilance et à la détection des agissements de la cybercriminalité électorale. Ceci permettrait d’avoir des comportements adaptés devant les fausses informations en circulation, et des précautions pour dénoncer les partisans des méthodes cybercriminelles.

6) Mettre la cybercriminalité électorale à l’agenda de la diplomatie des pays membres de l’Union africaine pour exiger des États hébergeant les agences de désinformation de les fermer ou tout au moins de coopérer à toute initiative répressive de leurs victimes africaines.

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RÉSEAUX SOCIAUX ET CRISES DES SOCIÉTÉS AFRICAINES

Zlankouapieu Romuald Icanor SANKO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

sankoromuald@gmail.com

Résumé :

Le questionnement en direction des réseaux sociaux ne peut en aucun cas être mis à côté de l’intellection des crises qui paralysent l’Afrique. Cette exigence est due au fait que depuis plus d’une décennie l’utilisation des réseaux sociaux occupe une place de choix en Afrique. Force est de remarquer que l’utilisation de ces réseaux n’est pas de plus en plus faite de manière éclairée. De ce fait, les réseaux sociaux sont perçus comme des virus qui gangrènent les crises en Afrique. Cet effort réflexif s’interrogeant sur les impacts possibles des réseaux sociaux en Afrique et se focalisant sur les méthodes analytique et critique, s’exerce à faire entendre que les réseaux sociaux ne sont pas en soi mauvais. Tout dépend de ce que l’on en fait.

Mots clés : Afrique, Crise, Mauvaise utilisation, Réseaux sociaux, Responsabilité.

Abstract:

The questioning of social networks can in no way be placed alongside the intellection of the crises which are paralyzing Africa. This requirement is due to the fact that for more than a decade the uses of social networks has occupied a prominent place in Africa. It must be noted that the use of these networks is not increasingly being made in an informed manner. As a result, social networks are seen as viruses that plague crises in Africa. This reflective effort, questioning the possible impact of social networks in Africa and focusing on analytical and critical methods, strives to make it understood that social networks are not in themselves bad. It all depend on what you do with it.

Keywords : Africa, Crisis, Bad use, Social networks, Responsibility.

Introduction

Il y a quelques années en arrière, l’utilisation des réseaux sociaux en contexte africain était non seulement chose rare, mais aussi, elle était réservée à un cercle fermé, c’est-à-dire limité à une catégorie de personne. Cette restriction a volé en éclat. Qu’on le veuille ou pas, l’utilisation des réseaux sociaux durant cette dernière décennie traverse notre temps et l’Afrique n’est pas en marge de ce fait. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au fur et à mesure que ces réseaux gagnent en hospitalité, nous assistons à une amplification des crises des sociétés africaines comme nulle autre pareille. L’ampleur de la crise des familles (couple LGBT), la perte des valeurs, la dépendance numérique, le développement du dégoût de l’Afrique au bénéfice des autres continents, le déni de la dignité humaine, la tricherie, la vie facile (…) sont autant de phénomènes que suscite l’usage des réseaux sociaux. Antoine Bayet de dire : « Les réseaux sociaux dévorent tout sur leur passage, même… notre santé mentale » (2021, p. 10).

Dans ce contexte et dans une Afrique en quête de repères, il convient de convoquer les réseaux sociaux au tribunal de la raison afin de sonder leurs impacts sur les populations africaines et surtout rendre leur utilisation serviable. Comment l’utilisation des réseaux sociaux favorise-t-elle les crises en Afrique ? La réponse à cette question suscite trois autres questions subsidiaires. D’abord, quel est l’état des lieux des sociétés africaines ? Ensuite, en quoi les réseaux sociaux assombriraient-ils les sociétés africaines ? Et enfin, qu’est-ce que les réseaux sociaux ? Les réponses à ces questions seront le creuset de notre prochaine analyse.

1. État des lieux en Afrique : Un continent en crises

Du grec krisis « décision », la crise désigne selon le dictionnaire Petit Larousse, un « changement subit, souvent décisif, favorable ou défavorable, du cours d’une maladie » (1989, p. 278). Nous pouvons comprendre à partir de cette approche que donne Larousse, que le concept de « crise » est un concept médical. Il désigne l’évolution d’un état de santé d’une personne en bien ou en mal selon la circonstance.

Mais, force est de reconnaître que l’usage du concept de crise a connu une grande extension. La crise ne se limite plus au domaine médical. Elle est presqu’utilisée dans tous les domaines d’activité intellectuelle et même par tous. Cette amplification de la crise nous fait passer de son univocité à sa pluralité vocale. Dans cette pluralité, la crise renvoie à une période périlleuse de l’existence, une phase difficile traversée par un groupe social. C’est dans ce sens que Traoré Grégoire, dans son allocution pendant le colloque sur la crise des Universités organisé par le département de philosophie de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, les 9, 10 et 11 juin 2022, l’a appréhendée comme un « moment de rupture et de malaise ». C’est pour ainsi dire, que la crise dans sa manifestation, indique un moment dans lequel tout s’effondre et où rien ne marche à la convenance du normal.

À propos, nous voulons nous servir de ce que Jean Gobert Tanoh dit en ces termes : « Aucune société humaine ne peut s’accomplir dans l’histoire si elle n’apprend pas, dans un élan critique et objectif, à s’analyser » (2019). En d’autres termes, pour sortir de son mal être, chaque peuple a besoin d’un regard critique et objectif qui dénonce et met à découvert tout ce qui l’empêche de se tenir et maintenir comme un peuple enviable. En dehors de ce fait, le développement resterait un leurre. Si cette approche est digne d’attention et révélatrice, l’Afrique, dans sa lieutenance, mieux dans son être-là véritable, ne se donne-t-elle pas à apercevoir comme un continent en proie à une kyrielle de crises ?

En dépit de tout afro-pessimisme, depuis près d’un siècle, l’Afrique traverse un déséquilibre inégalé. Ce fait est d’autant plus affranchissant que lorsqu’on entend le nom Afrique d’une oreille, résonne dans l’autre crise politique, crise éducative, crise sanitaire et crise économique. Ces crises ne datent pas de maintenant.

Depuis plus de cent ans de souffrance, elle subit stoïquement et platement la sénescence et la sénilité de ses entités biologiques sans espoir de guérison. Les différentes crises économiques, politiques et sociales en sont les preuves. Autant de conjonctures malheureuses qui continuent d’engourdir son élan vers l’évolution (Yao, 2014, p. 17).

Le disfonctionnement alarmant de l’Afrique amène Louis-Marie Bambu à la saisir comme le « continent où la vie ici-bas se présente essentiellement comme une traversée de la vallée de larmes et de souffrances, où l’on fait quotidiennement l’expérience de la précarité de la vie, où la mort est devenue une réalité banale » (2020, p. 72). Les propos de Bambu sont révélateurs d’une clarté affranchissante. Deux réalités propres à l’Afrique siègent dans ses propos. Il s’agit de l’Afrique comme le lieu où l’existence est une traversée de souffrances indéterminées et de la banalisation de la mort. En d’autres termes, la vie en Afrique est la manifestation de la misère démesurée et de conflits incessants. Dans ce contexte, la mort pourrait devenir chose banale dans la mesure où elle est partout présente. Les guerres, les conflits armés et les génocides sont des lots quotidiens en Afrique. Or, il n’y a pas de guerre sans morts. Cela fait qu’en Afrique, l’on est toujours en contact direct avec les morts. Cette régularité banalise la mort car elle la démystifie. Autrefois, elle était perçue comme chose sacrée parce qu’elle est l’expression de la volonté divine.

La cause de cette triste réalité, réside dans cette belle analogie qu’a fait le clergé lors du synode de l’Église Catholique sur l’Afrique en 1994. Pour les synodaux, l’Afrique est comparable à l’homme de l’Évangile tombé dans les mains des brigands qui l’ont roué de coups et dépouillé de ses biens dans Luc 10, 25-37. Prêtons à nouveau frais la parole à Saïdou Pierre Ouattara :

L’Afrique, c’est l’histoire d’un continent qui a mal tourné parce que partagé entre des fils qui ont le culte d’un passé à jamais révolu, entre célébration d’un passé et le culte du progrès, d’un progrès sans âme parce qu’oublieux de notre être propre (2006, p. 27).

En partance de l’allégation de Pierre Ouattara, nous saisissons que l’Afrique éprouve une difficulté alléchante à se défaire de son passé nostalgique. L’Africain présente partout et à tout moment la colonisation comme un trophée d’honneur. La colonisation n’est en ce sens une source de déshonneur et de mépris. Par contre, elle est partout brandie pour tout justifier qu’elle passe pour ainsi dire comme l’argument d’excuse. Ainsi, nous pouvons dire, derrière « le culte de la colonisation », se hisse une justification honteuse des compétences manquées et des responsabilités mal-assumées.

En plus du culte d’un passé jamais révolu, s’ajoute l’éloge du progrès sans âme. En Afrique comme partout dans le monde dit moderne, le progrès matériel se donne à saisir comme l’unique versant de la sauvegarde humaine. Un tel progrès pour l’Afrique est un danger. Car, mettant uniquement l’accent sur la croissance économique, il vide l’homme de son fond intérieur. Un progrès sans âme ne peut aider l’homme à s’assumer et s’appartenir soi-même. En vérité, le développement est éducatif avant d’être économique. L’évangéliste Marc (8,38, 2004, p. 1451) de se questionner dans cette perspective : « Et quel avantage l’homme a-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? » Selon la logique du progrès sans âme, le développement est économique tout en se moquant de l’éducation. Il va sans dire que la santé du corps prend le pas sur celle de l’âme.

Sous l’hospice du progrès sans âme, l’Africain voit en Occident la terre promise. « Le tiers-monde ne peut voir les plaies de l’Europe, les siennes l’aveuglent ; il ne peut entendre son cri, le sien l’étourdit » (F. Diome, 2002, p.44). Cette affirmation laisse apparaître en toile de fond que l’Occident n’est pas exempt des problèmes liés à l’existence humaine. Penser que les occidentaux n’ont pas de soucis est une erreur. Ils ont des défis à la taille de leur mode de vie. Mais, dans une comparaison mal articulée, l’africain pense l’Occident comme la terre promise. Ainsi, s’en remettant à la persuasion des sens et au mépris de toute intégrité les ébénistes fuient l’Afrique vers l’Occident dans l’espoir de retrouver un environnement tant rêvé. Dans cette volonté, se réalise la négation de soi. Car, au détriment d’un ailleurs objectivé, les africains sacrifient leur être, c’est-à-dire ce qu’ils ont de propre. Si chez soi, on est soi-même, il va aller de soi que chez l’autre, on soit l’autre et non soi-même. Allant du concept de crise, nous sommes parvenus à saisir l’Afrique comme un continent en proie à une légion de crises. Catégorisées, elles sont d’ordre politique, éducatif, économique et sanitaire. En quoi les réseaux sociaux auraient-ils un impact d’amplificateur sur la quaternité crisogiques de l’Afrique ?

2. Réseaux sociaux comme présupposés amplificateurs des crises en Afrique

Les réseaux sociaux désocialisent et désolidarisent. L’un des grands dangers liés aux réseaux sociaux, c’est qu’ils éloignent les personnes les unes des autres. Aujourd’hui en général, personne avec son smartphone ou son ordinateur ne prête attention soutenue à ce qui se passe dans son entourage. Le monde numérique agrandi en individu la préoccupation d’un supposé ailleurs dans la mesure où il s’éloigne considérablement des vrais amis, des membres de la famille avec qui il vit dans le monde concret. Ainsi, avec les réseaux sociaux, il n’y a plus de société à proprement parler en tant que lieu d’échange d’attention et de préoccupation. Pour entamer notre enquête, optons pour l’idée que si les réseaux sociaux pouvaient avoir un impact amplificateur dans les crises en Afrique, c’est en effleurant en direction de son impact sur l’éducation que deviendra tout à fait intelligible leurs limites. Pour y parvenir, qu’appelle-t-on éduquer ?

Pour entendre le dire qui parle en substance dans le concept d’éduquer, veillons à le saisir dans son étymologie. Éduquer vient du latin educare ce qui veut dire « conduire, mener ». En tant que conduire ou mener, l’éducation est ce qui permet à celui qu’on éduque de parvenir à destination en tant que lieu fondamental. Elle guide sur le droit chemin. Éduquer, c’est, nourrir, élever au sens d’instruire, d’aider l’enfant à s’élever à la compréhension de la vie et de son monde tout en l’incitant à la responsabilité de soi et d’autrui (Ouattara, 2006, p. 8). Autrement dit, l’éducation présuppose l’aide d’un premier venu qui a fait l’expérience de la destination où il veut en humanité conduire celui qu’il éduque.

En plus de son dévoilement latin, éduquer parle grec. Et en tant qu’héritier de la romanisation du grec, il faut dans un élan assoiffé de savoir, écouter le concept d’éduquer de manière grecque. Parménide nous sert de témoin à travers ses fragments 22 et 25 : 

Et la déesse en toute bienveillance m’accueillit et prit, de sa main, ma main droite : elle prononça alors et m’adressa cette parole : homme, qu’accompagnent d’immortels auriges, grâce aux cavales qui t’emportent parvenant à notre demeure, réjouis-toi ! Car ce n’est pas un destin mauvais qui t’a envoyé parcourir ce chemin – lui qui est en vérité loin des hommes, hors de leur sentier (battu) (Parménide par Heidegger, 2002, p. 18-19).

Parménide en effet, dit simplement les cavales qui l’emportent. Il ne dit pas qui conduit les cavales. Dans cette non indication réside la vocation de la pensée. Si l’auteur des fragments a pris le soin de ne pas indiquer qui conduit les cavales, cela ne serait pas un manque de sa part. Mais au contraire, cela est une invitation à la pensée en ce sens qu’il revient au penseur de découvrir l’identité du conducteur des cavales. Pour notre part, en tant que tard-venus à la parole de Parménide, pour entendre quelque chose de révélateur dans cette parole, il nous revient de la méditer à partir de l’accointance entre l’étymologie latino-grecque d’éduquer. Elle dévoile qu’éduquer dans son essence désigne montrer, accompagner donc mener ou emporter.

Au vu et au su de la destination et l’hospitalité de la déesse (Aléthéia), cette image pour nous être serviable renverrait à un enfant qui à son bas âge est accompagné par ses parents à l’école dans la mesure où l’école dans son concept se donne au tribunal de la raison comme le lieu d’initiation à la contemplation et à l’acheminement vers la vérité. Autrement dit, l’apport et l’implication des familles dans l’éducation de leurs enfants y vont de l’avenir de ceux-ci car il revient aux familles de prendre la difficile décision d’accompagner et de suivre leurs enfants dans le cheminement sur la route qui s’écarte du commun des mortels. Mais qu’est-ce que la famille ?

« La famille est le lieu par excellence de la socialisation de tout individu. C’est le lieu où tous nous avons appris à vivre en humain sous le regard bienveillant de nos pères et de nos mères » (A. P. Yao, 2023, p.4). Cette allégation du Chargé des Vocations du Diocèse de Bouaké montre que la famille est le lieu où l’être humain apprend à séjourner dans le monde sous la protection de Papa et Maman. Cette précision est évocatrice. Elle veut enseigner que la famille authentique est celle où les enfants grandissent sous le regard du père (homme) et de la mère (femme). Cette précision se veut une mise en garde dans un contexte où les modèles de famille proposés par les sociétés modernes préconisent les familles homosexuelles. « La cellule familiale se trouve aujourd’hui touchée par « les transformations, larges, profondes et rapides, de la société et de la culture » (Kassi, 2023, p. 5).

La famille a une très grande responsabilité dans la réussite des enfants. Elle montre la voie à suivre. Les pères et les mères accomplissant leur devoir, ils font de leurs enfants les héritiers du lendemain. « Demain sera fait par des hommes dont les parents auront montré les voies à suivre pendant leur enfance ; c’est pour cela qu’il faut préparer nos enfants à Affronter l’Avenir, qu’il faut leur montrer la voie, afin qu’ils tracent leur propre voie et fassent entendre leurs voix » (S. Diakité, 2016, résumé).

Si telle est l’essence de la famille, que donne le constat de l’actualité de nos jours ? Nous constatons une démission notoire des parents dans le processus de l’éducation des enfants. Devant cette démission, les enfants sont sans repères et sans guide. Devenus autodidactes, l’internet à travers les réseaux sociaux devient un moyen de ressource. Dans ce sens, l’internet a pris la place des parents dans l’éducation de leurs enfants. L’internet peut réellement et convenablement assumer consciemment et moralement le rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants ? Quand l’humanité en arrive là, il est clair qu’au lieu des enfants éclairés, ce sera des objets qu’on aura programmé et déposé en société. Ces enfants ignorent tout ce qui émane du devoir. Ils n’ont que des droits. Pierre Ouattara reprenant Ortega Y. Gasset affirme : « La société moderne tend, en Afrique comme ailleurs, à faire de l’individu « un enfant gâté » un être par définition étranger au sens de l’obligation » (2006, p. 5).

Un enfant gâté certes vit en société, cependant n’existe que pour soi. Au cœur de cet individualisme, la culture de la super consommation s’adossant à la facilité reste une vertu cardinale. Si selon l’écriture sainte, celui qui ne travaille pas ne doit pas manger, avec l’enfant gâté, celui qui ne travaille pas doit manger plus que celui qui travaille. Mieux, si la santé de l’âme vaut mieux que la santé du corps, pour l’enfant gâté, l’inverse est la vérité infaillible. Ce renversement des valeurs est dangereux pour nos sociétés africaines en quête de repère pour la réalisation de leur effectivité. Elle finira par abrutir tous les Africains à la recherche du gain facile dépourvu de l’avenir et d’une politique pérenne. « L’on a fini par courir le risque de faire des membres de la société (africaine) des scientifiques sans consciences, des matérialistes, irrespectueux des valeurs qui fondent une société » (Conférence des Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, cité par Kassi, 2023, p. 22). Tel est l’impact que suscitent les influenceurs des réseaux sur la société. Qui sont-ils ?

« Les influenceurs sont des personnes qui disposent des comptes sur les réseaux sociaux et qui drainent des audiences » (Idem, p. 23). Sur ces pages boostées donc vues et suivies par plusieurs personnes, plusieurs sujets sont abordés. On y trouve, le sexe, la politique, le développement personnel (…). Cependant, il est rare de trouver des influenceurs de ressources avérées capables de traiter adéquatement les thématiques qu’ils se proposent. Plus clairement, selon l’Abbé Laurent Kassi, ils racontent de façon régulière leur mode de vie, à telle enseigne que ceux qui les suivent les prennent pour leurs « idoles », repères et finissent par vouloir faire comme eux. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer Makosso, Lolo Beauté. Malgré leur niveau d’étude, les influenceurs sont, de nos jours, les nouveaux éducateurs de la société tandis que ceux qui ont reçu des formations adaptées et appropriées à cet effet, sont méprisés. Dans ce sens, convient-il de soutenir que ses personnes influencent vraiment ?

L’influence est à la convenance de son concept lorsqu’il aide l’influencé à se rendre à l’évidence de ses obligations et devoirs. C’est quand il apporte un supplément d’âme à celui qui est en quête du repère qu’il mérite le titre d’influenceurs. Dans ce sens, il faut avoir le courage de le dire, les soi-disant influenceurs ne sont pas, à proprement parler les influenceurs. L’authentique influence élève et conduit celui ou celle qu’on influence à un plus et à un mieux-être. Ils sont des mauvais accompagnateurs. « Si les influenceurs semblent être des nouveaux « éducateurs » au sein de la société (africaine), il faut le dire, c’est parce que, la famille a démissionné à être le lieu de la première socialisation » (Ibidem). C’est à la lumière de ce fait qu’Umberto Eco dit ce qui suit : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le droit de parole qu’un prix Nobel ».

Dans ce même canevas, Bénédicte Flye Sainte Marie (2020) parle des sept péchés capitaux des réseaux sociaux. Pour elle en effet, les réseaux sociaux provoquent en l’être humain, l’overdose à l’information, la fabrique de la haine et de l’instinct grégaire, la sociabilité mise en danger, la paresse au bout du clavier, la mort de l’intimité, l’avènement de l’hyper-narcissisme, la culture de la dépendance et on finit par devenir esclaves de ces réseaux. Devenir esclave, c’est être arraché à soi, en ce sens qu’on ne s’appartient plus. On vit pour l’autre. En d’autres mots, c’est une manière de vider un être humain de son être profond. Augustin Dibi est plus éloquent lorsqu’il questionne en ces termes : « La meilleure manière de vider un être humain de toute substantialité, n’est-ce pas de le tirer indéfiniment vers l’avant, dans un mouvement dont la logique lui demeure incompréhensible, sans lui laisser le temps de se retirer en soi ? » (2018, p. 27).

Le manque de culture scientifique que favorisent les réseaux sociaux crée ce que Luc Ferry a nommé « les citoyens de seconde zone ». Les citoyens de seconde zone renvoient aux citoyens dépourvus de la culture scientifique, et incapables de comprendre l’origine et le sens des principales évolutions de notre temps. Un tel être humain n’est pas à différer des animaux. Peut-on soutenir à bon droit l’équation réseaux sociaux égale déroute de la société ? Les réseaux sociaux, dans leur nom même qui leur donne étance, ne célèbrent-ils pas la vie communalement sociale ? Qu’est-ce que les réseaux sociaux ?

3. Acheminement vers le sens des réseaux sociaux au service de l’Afrique

L’expression réseaux sociaux résonne régulièrement dans la quotidienneté de notre être-là qu’on est tenté de souscrire à l’idée que nous la connaissons suffisamment. Les réseaux sociaux sont pour la doxa compréhensible. Ils vont de soi. Mais, quand nous passons en revue ce qui précède, il va sans dire que nous ne les connaissons pas. Hegel dit à propos que ce qui est bien-connu en général, justement parce qu’il est bien connu, n’est pas du tout connu.

Dans l’expression « réseaux sociaux », il apparaît clairement deux mots à savoir : réseau et social. Le réseau, dans son concept, fait signe vers une interconnexion entre les membres d’un corps, d’un système ou d’une organisation. Il expose dans sa splendeur explose même la liaison de deux ou plusieurs personnes. Le social est ce qui émane de l’intérêt commun, donc de la société. Il est le lieu qui accueille et abrite l’individu. La société est le lieu qui donne forme, corps et délimitation spéciale à un individu dans la mesure où, c’est en société qu’un individu devient manifestement intelligible à la conscience. En d’autres termes, elle permet de saisir l’homme dans son appartenance ethnique, régionale, nationale, continentale et enfin mondiale.

S’inscrivant dans cette perspective relationnelle, les réseaux sociaux numériques sont la forme libéralisée des relations humaines. Ils rendent aisé la rencontre, la découverte et l’ouverture au monde. Dans un dossier monté le 1er février 2012 en pour l’obtention des bourses en vue de privatiser Facebook, Mark Zuckerberg y a joint une lettre dans laquelle il a expliqué les visions de Facebook le top un des réseaux sociaux mondiaux.

Zuckerberg affirme que l’objectif général de Facebook est de « rendre le monde plus ouvert et plus connecté ». Continuant, il ajoute que chez Facebook, ils utilisent les nouvelles technologies. « En rendant la communication plus efficace, elles ont conduit à de profondes transformations de la société. Elles ont donné aux gens une voix. Elles ont encouragé le progrès. Elles ont changé la manière dont la société est organisée. Elles nous ont rapprochés » (Zuckerberg par Bayet, 2021, p. 61). Dans l’économie de ce qui précède, on pourrait réaliser qu’à travers les nouvelles technologies, les réseaux sociaux ont donné à la société un nouveau visage. En plus de rendre les uns proches des autres, ils permettent aux utilisateurs de communiquer facilement.

L’homme aime à découvrir de nouvelles personnes et de nouveaux horizons. C’est en cela qu’il témoigne vivement de son humanité. À propos, Pierre Ouattara affirme : « Le lieu d’une rencontre véritable ne peut se situer ailleurs que dans une vulnérabilité risquée (…). Grandir en humanité exige d’oser la rencontre. Le salut ne se produit qu’au prix d’une vulnérabilité risquée dans la rencontre » (2015, p. 19). L’authentique rencontre réside dans le cheminement vers l’inconnu. Cet inconnu implique la rencontre de l’autre. Les réseaux sociaux à travers leur éternelle ouverture rendent aisé cette disposition humaine. Car par le biais des réseaux sociaux, on peut rester dans son pays et faire la connaissance de nouvelles personnes qui vivent à l’autre bout du monde.

Les réseaux sociaux sont des ferments d’une nouvelle forme de citoyenneté. Il s’agit non de se replier « sur les frontières nationales resserrées mais ouverte sur les nouveaux horizons qui se profilent » (Haigneré, 2003, p. 172). Les réseaux sociaux ne sont pas des monades fermées sur soi. Les réseaux sociaux ne sont pas programmés à ordonner à qui que ce soit, ce qu’il doit faire. En ces termes, l’utilisateur de ces réseaux l’utilise librement. Quand on vient à commettre les sept péchés capitaux qu’énumère Bénédicte Flye Sainte Marie dans son ouvrage Les sept péchés capitaux des réseaux sociaux, il faudrait que l’on ait le courage de reconnaître et d’assumer sa responsabilité. Sur les réseaux sociaux en vérité, rien n’est apostériori donné. Tout est construit. Autrement dit, c’est l’usage que l’on fait des réseaux sociaux qui pervertit ces réseaux et non ces réseaux en eux-mêmes qui sont pervers. « L’on peut avoir du Facebook, l’usage que l’on veut » (Sainte Marie, 2020, p. 116). Si cette allégation est révélatrice d’une cohérence indiscutable, comment rendre l’utilisation des réseaux serviable et utile en contexte africain ?

La réponse à ce questionner nécessite que l’on se remémore le sens de l’utilisation. L’utilisation se dévoile comme emploi, application et usage. Intuitionnant utilisation à partir du verbe utiliser, elle désigne le fait de « recourir (à quelque chose » pour un usage précis » (Larousse, 1989, p. 1003). En clair, dans la véritable utilisation l’on fait ce pourquoi la chose est faite. Une telle utilisation se méfie de toute subjectivité car elle est la commémoration manifeste de l’être de cette chose. Selon Heidegger, « l’essence de l’agir est l’accomplir » (1983, p. 27). Accomplir signifie, « déployer une chose dans la plénitude de son essence » (Idem). Ainsi, utiliser les réseaux sociaux revient à les maintenir dans leur contexte originel, lequel contexte se veut la facilitation de la rencontre.

Pour que l’Afrique devienne ce qu’elle veut être, elle doit à travers les réseaux sociaux oser la rencontre. L’ouverture au monde et aux autres est un moyen fondamental pour l’Afrique dans la réhabilitation de son système éducatif. Un peuple ne peut jamais s’affranchir des maux qui le gangrènent sans une base d’échange avec l’autre. L’ouverture favorise le brassage du savoir être et du savoir vivre. L’Afrique en proie à une kyrielle de crises, gagnerait à privilégier la coopération avec les autres peuples dans l’espoir heureux d’endiguer les erreurs du passé afin de sereinement se projeter dans l’avenir. « Pour être à la hauteur de son histoire tout en demeurant contemporaine du monde dont elle est partie intégrante, l’Afrique se doit d’instruire au moins un double champ théorique : celui de l’occident et le sien propre » (Y. Konaté, 2010, p. 8).

Dans ce sens, l’utilisation des réseaux sociaux en Afrique doit connaître une adaptation. L’adaptation doit prendre en compte l’écoute responsable. Certes, tout le monde a droit à la parole sur les réseaux sociaux. Mais, tout n’est pas bon à écouter et tout n’est aussi pas bon à dire. Sur ce chemin, l’origine de « la philosophie du dos » de Boa-Thiémélé Ramsès (2021, p. 14) s’impose avec une force scientifique. Mais que dit-il à propos ?

La richesse de l’occurrence du dos a conduit à la rédaction de ces chroniques. Du samedi 14 septembre 2019 au vendredi 16 octobre 2020, librement, sans autre contrainte que le plaisir de partager des réflexions sur mon mur du réseau social Facebook, ces chroniques relatives au dos ont été publiées.

Comme le souligne l’auteur, « la philosophie du dos » prend sa source à partir d’une publication sur Facebook. Et pour ceux qui ont vu l’ouvrage, il est une organisation logique des quelques cinquantaines de commentaire d’internautes de l’auteur sur sa page Facebook. Force est d’admettre qu’à partir de cet exemple, l’on peut philosopher à partir de Facebook.

C’est comme pour ainsi dire, qu’« il faut oser la science » (Haigneré, 2003, p.170). L’internet à bien des égards, a cette vocation de fédérer science et éducation. L’éducation scientifique s’adonnant comme le levain qui élève et fonde la consistance profonde d’un État, il serait plus avantageux pour les États africains de ne point se priver ou priver leurs citoyens de l’usage des réseaux sociaux dans le cadre éducatif. « L’internet représente une possibilité extraordinaire d’accès au savoir » (L.-M. Bambu, 2022, p. 58). L’Afrique, dans son élan vers l’affirmation et la conservation d’elle-même en tant que peuple du monde, a besoin d’un savoir fondamental qui la maintient ouvert-au-monde. Car, c’est au prix de ce savoir qu’elle pourra briller au flamboyant.

Conclusion

Le monde actuel est à l’ère du numérique et personne ne peut ignorer cette réalité. L’utilisation des réseaux sociaux est plus que jamais d’actualité. Leur actualité ne va pas sans ambivalence. D’une part, les réseaux sociaux se dévoilent comme le point focal du dévalement, de la désocialisation et de l’émiettement des familles. D’autre part, les réseaux sociaux tendent à s’avérer comme un authentique moyen de socialisation, de rencontre et d’éducation. Mais à regarder de plus près l’ambivalence des réseaux sociaux, force est de reconnaître qu’en réalité, les réseaux sociaux dans leur concept même ne sont pas déplorables. La dangerosité de ceux-ci réside dans leur mauvaise utilisation. Ainsi, loin d’interdire l’utilisation des réseaux sociaux, il serait convenable d’adapter leur utilisation aux contextes africains, afin de jouir pleinement des avantages que renferment ces réseaux car « là où il y a danger, là aussi croît ce qui sauve » (Hölderlin par Heidegger, 1958, p. 38).

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RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES ET ÉTHIQUE                              DE L’ESPACE PUBLIC À PARTIR D’HANNAH ARENDT

1. Bi Zaouli Sylvain ZAMBLÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

bizaoulisylvain@gmail.com

2. Amidou KONÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

koneyhamid@yahoo.fr

Résumé :

Les réseaux sociaux numériques sont des espaces publics virtuels accessibles à tous. À ce titre, ils constituent des canaux de publicité et de vulgarisation des informations publiques et privées. C’est malheureusement dans ces espaces d’interactions sociales et publiques que se trouvent souvent exposés certains contenus de la vie intime, tels que la sexualité, la nudité, les querelles familiales et amicales. La publication de ces données fondamentalement secrètes accentue la confusion de l’espace public et de l’espace privé dans la modernité que dénonçait Hannah Arendt. Face à une telle confusion, il est nécessaire d’examiner les conditions d’un usage adéquat et décent des réseaux sociaux numériques. Cet usage peut relever de l’éthique de l’espace public qui pose, à la suite d’Arendt, la nécessité de séparer l’espace public de l’espace privé de sorte que les réseaux sociaux ne rendent visibles que les informations publiables. Cette éthique de l’espace public suppose également une éthique de la communication et de la publicité car, comme le dit la philosophe, certaines choses sont destinées à demeurer dans le monde du caché tandis que d’autres peuvent être publiées. Ainsi, cette étude vise à utiliser, à l’aide de la méthode analytique, la pensée politique d’Arendt pour déterminer les conditions de publicité des informations dans l’espace public ainsi que celles de la préservation de la vie privée des individus.

Mots clés : Éthique, Espace public, Espace privé, Publicité, Réseaux sociaux.

Abstract:

Digital social networks are virtual public spaces accessible to everyone. As such, they are channels for advertising and popularizing public and private information. Unfortunately, it is in these spaces of social and public interaction that certain contents of intimate life are often exposed, such as sexuality, nudity, family and friendly quarrels. The publication of these fundamentally secret data accentuates the confusion of public space and private space in modernity that Hannah Arendt denounced. Faced with such confusion, it is necessary to examine the conditions for an adequate and decent use of digital social networks. This use can come under the ethics of public space which poses, following Arendt, the need to separate public space from private space so that social networks only make publishable information visible. This ethics of public space also presupposes an ethics of communication and advertising because, as the philosopher says, some things are destined to remain in the world of the hidden while others can be published. Thus, this study aims to use, with the help of the analytical method, the political thought of Arendt to determine the conditions of publicity of information in the public space as well as those of the preservation of the private life of individuals.

Keywords : Ethics, Public space, Publicity, Private space, Social networks.

Introduction

Le développement des réseaux sociaux numériques a accentué la confusion de l’espace public et de l’espace privé que dénonçait déjà Hannah Arendt. Pour la philosophe, la distinction entre le privé et le public « correspond au domaine familial et politique, entités distinctes, séparées au moins depuis l’avènement de la Cité antique » (H. Arendt, 1983, p. 65). C’est la disparition de cette distinction qui se serait manifestée dans la modernité par l’apparition du domaine social, lequel a « trouvé dans l’État-nation sa forme politique » (H. Arendt, 1983, p. 66). Bien qu’Arendt soit souvent évoquée dans les réflexions sur les réseaux sociaux numériques (ADES, 2018 ; P. Dahlgren et M. Relieu Marc, 2000 ; D. Cardon, 2010), l’implication de ces réseaux sociaux sur la séparation entre l’espace public et l’espace privé n’est pas encore suffisamment explorée. Néanmoins, Charlotte Groulx voit dans les Réseaux Sociaux Numériques (RSN) le triomphe du domaine social. Elle révèle que l’intrusion des réseaux sociaux dans l’intimité des individus « serait problématique, selon Arendt » (C. Groulx, 2022, p. 5). Si cette chercheure a bien vu le rapport entre la pensée d’Arendt et les réseaux sociaux numériques, elle n’est pas parvenue à montrer les implications éthiques du triomphe du domaine social. C’est pourquoi, la présente étude se propose de soumettre les réseaux sociaux numériques à l’épreuve critique de la conception arendtienne de l’espace public afin d’en dégager les implications éthiques.

Au fond, les réseaux sociaux numériques sont des espaces publics virtuels accessibles à tous. À ce titre, ils constituent des canaux de publicité et de vulgarisation des informations publiques et privées. C’est malheureusement dans ces espaces d’interactions sociales et publiques que se trouvent souvent exposés certains contenus de la vie intime, tels que la sexualité, la nudité, les querelles familiales et amicales. Cette émergence de l’intime dans le public tout comme l’extension du public au privé rend quasi-impossible la préservation de la vie privée et dénature l’espace public. Dès lors, une question fondamentale se pose : Quels rapports doivent entretenir l’espace public et l’espace privé dans les réseaux sociaux numériques ? Cette question fondamentale en appelle aux questions secondaires suivantes : comment peut-on concevoir le statut philosophique des réseaux sociaux numériques à partir d’Hannah Arendt ? Le développement des réseaux sociaux numériques ne renforce-t-il pas la confusion entre le privé et le public ? L’éthique de l’espace public ne peut-elle pas garantir la préservation de l’espace privé ?

Face à ces interrogations, il est possible de supposer que le développement des réseaux sociaux numériques renforce la crainte d’Arendt selon laquelle l’émergence du social dans le public peut entrainer la confusion entre l’espace privé et l’espace public de sorte à rendre impossible une vie authentiquement humaine sur terre. La formulation d’une telle hypothèse implique un objectif général : montrer que les réseaux sociaux numériques ont confirmé les craintes d’Arendt sur les difficultés de séparation de l’espace public et de l’espace privé dans la modernité. Cela signifie, d’une part, que le social engloutit désormais l’espace public et l’espace privé et, d’autre part, qu’une éthique de l’espace public est nécessaire afin de garantir l’authenticité de la vie humaine sur terre. Pour atteindre ces objectifs, la méthode analytique s’avère nécessaire. Elle consiste à utiliser la pensée politique d’Arendt pour faire ressortir le sens du développement des réseaux sociaux sur la séparation des domaines d’existence. Il s’agit d’une étude documentaire dont la collecte des données s’est effectuée tant dans les œuvres d’Arendt et de ses commentateurs que dans celles relatives aux réseaux sociaux numériques et à l’espace public. Ainsi, à partir d’une analyse critique du statut philosophique des réseaux sociaux numériques à la lumière de la pensée d’Arendt, nous examinons le rôle des réseaux sociaux dans la séparation des domaines d’existence. Un tel examen aboutit à dégager les exigences éthiques pour un meilleur usage de l’espace public numérique ainsi qu’une préservation de la vie privée.

1. Hannah Arendt et le statut philosophique des réseaux sociaux numériques

Les réseaux sociaux numériques sont-ils des espaces publics ou des espaces privés ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir à l’aide de la pensée d’Arendt ce que sont un espace public et un espace privé. C’est à la lumière de cette définition qu’il sera aisé de dire si les réseaux sociaux numériques sont des espaces privés ou des espaces publics.

1.1. Les concepts d’espace public et d’espace privé chez Arendt

Si l’espace public a émergé politiquement avec les cités gréco-romaines de l’antiquité, il a fait son apparition sociale avec l’avènement de la société bourgeoise sur la scène politique. Kant se présente comme le premier penseur moderne à tenter une conceptualisation de cette dimension sociale de l’espace public. Et c’est dans son concept d’« usage public de la raison » que J. Habermas (2008, p. 28) trouve cette source théorique de l’espace public moderne. À ce titre, E. Kant (1947, p. 48) affirme : « J’entends par usage public de notre propre raison celui que l’on en fait comme savant devant l’ensemble du public qui lit ». Il s’agit au fond du rassemblement des personnes privées, c’est-à-dire des individus, qui n’occupent aucune fonction officielle de l’État, réunis dans un lieu public tant pour discuter des questions relatives à la vie de la cité que pour critiquer la gestion du pouvoir politique. Ainsi, à la suite de Kant, Habermas conçoit l’espace public comme un idéal de discussion d’intérêt général fondé sur l’usage public de la raison en vue de la production des opinions. Un tel espace se matérialise par « l’opinion publique qui s’oppose directement au pouvoir » (J. Habermas, 1993, p. 14). Cela signifie que l’espace public chez Habermas se distingue de l’espace de la gestion des affaires publiques.

Il s’agit, au fond, d’une conception sociale de l’espace public qui n’est pas celle d’Arendt. Cette dernière voit plutôt dans l’espace public un domaine de maniement des affaires politiques.  Chez la philosophe, l’espace public est un entre-deux qui sépare et relie « les hommes entre eux » (V. Lefebve, 2010, p. 31). C’est un élément constitutif et fondamental de la politique, étant le lieu de réalisation et d’expression effective de la liberté humaine. Celle-ci s’expérimente à travers la parole et les actions dans le monde de l’apparence. C’est en réalité, selon E. Tassin (1992, p. 28), « un espace de distanciation, de dispersion, de diffusion et de nivellement. Espace d’impropriété où se dévoile et s’épanche l’inauthenticité de l’être ». Cet espace arendtien est à l’image de la polis grecque dans laquelle le domaine privé et le domaine public étaient séparés. Il y avait, d’un côté, le domaine privé, l’idion, ledomainedela vie individuelle et familiale. C’est le domaine de la maisonnée, l’oikos (F. Moreault, 1999, p. 176), caractérisé par une absence de droit et d’égalité. Il s’agissait d’un domaine de domination et d’inégalité à l’intérieur duquel le chef de famille assujettissait les autres membres de la famille à sa volonté. Sa femme, ses enfants et ses esclaves étaient tous à son service. Dans cet ordre hiérarchique où dominait le père de famille, la femme commandait à ses enfants et à ses esclaves. Ceux-ci étaient au service de toute la famille.

De l’autre côté, il existait l’espace public, le domaine de la vie politique, le koinon. C’est le domaine de l’action – la praxis (l’agir), et de la parole – la lexis. C’est en ce sens que la polis grecque qui, selon H. Arendt (1983, p. 259), ne se réduit pas à une simple cité en localisation physique est « la localisation du peuple qui vient de ce qu’on agit et parle ensemble ». Elle est un espace qui « s’étend entre les hommes qui vivent ensemble dans ce but, en quelque lieu qu’ils se trouvent » (H. Arendt, 1983, p. 259). Cela signifie que la politique, qui n’a rien de permanent, naissait par la réunion des hommes libres et prêts à agir ensemble pour disparaitre lorsqu’ils se dispersent et retournent chez eux. C’est uniquement par et lors de cette rencontre des hommes qu’existait l’espace public, la raison d’être de la politique. C’est dans cet espace que se réalise la citoyenneté qui, selon P. Türk (2022, p. 2), « renvoie au statut de celui qui est admis à participer à la vie de la cité, à la gestion des affaires publiques ». En un mot, l’espace public est le lieu d’exercice de la politique et de la liberté humaine, et l’espace privé est celui de la maisonnée, l’espace qui est privé de la visibilité. C’est au regard de cette distinction conceptuelle entre l’espace public et l’espace privé que nous sommes appelés à déterminer le statut philosophique des réseaux sociaux numériques.

1.2. Le statut philosophique des réseaux sociaux numériques à la lumière du concept d’espace public d’Arendt

Interroger le statut philosophique des réseaux sociaux numériques revient à déterminer si ces réseaux sont des espaces privés ou des espaces publics. Cela requiert un exercice préalable de définition. Au fond, techniquement, le réseau social désigne, à en croire Y. Salmandjee-Lecomte et P. D. Degranges (2017, p. 11), « un site Web ou une application mobile offrant à ses membres des outils pour créer, gérer et fédérer leur réseau, c’est-à-dire interagir, communiquer, partager du contenu ». Cette définition qui met en évidence les échanges et la communication réciproque sans autre spécification nous amène à dire que les réseaux sociaux numériques sont des espaces hybrides, à la fois publics et privés. Ils constituent des espaces publics lorsqu’ils sont accessibles à tous. Ils sont vus et disponibles pour tous. C’est le cas de Facebook, TikTok, Twitter, Instagram, etc. Sur ces espaces, il existe des profils, des pages des personnalités et des groupes d’amis et d’associés. C’est en ce sens que « le net peut élargir, au moins chez ses utilisateurs, les marges politiques de l’espace public » (P. Dahlgren et M. Relieu, 2000, p. 175). Cet élargissement de l’espace public se traduit en ces termes : 

Non seulement l’internet offre à ses utilisateurs de vastes espaces de communication dans lesquels on peut voyager, visiter et participer, mais ils leur permettent aussi de produire collectivement de nouveaux espaces, en créant des sites web, des newsgroups, des salles de dialogue interactif, des réseaux, des groupes militants etc. (P. Dahlgren et M. Relieu, 2000, p. 175).

En agrandissant ainsi l’espace public, l’internet contribue à la promotion de la démocratie, étant donné qu’il offre à tous une possibilité d’accéder aux informations publiques, mais aussi de donner son point de vue sur la gestion de la cité. Mais, ils sont des espaces privés lorsqu’ils sont destinés à des discussions privées. C’est en ce sens qu’ils sont souvent appelés « in box » qui traduit littéralement « à l’intérieur de la boite » pour dire « en privé », « entre nous ». Ce sont Messenger, WhatsApp, Telegram, etc. Toutefois, les concepteurs des réseaux sociaux numériques pourraient bien avoir accès à ces contenus dits privés. L’actualité récente dans certains pays occidentaux marquée par la nécessité de protéger les “données personnelles” notamment en France et les protestations réciproques des États-Unis et de la Chine qui s’accusent d’espionnage mutuel via des marques célèbres de téléphone que sont respectivement « Apple » et « Huawei » ne font que confirmer ces soupçons. Il est alors clair que les réseaux sociaux numériques sont à la fois des espaces privés et des espaces publics. Ils ne sont ni l’un ni l’autre, ils sont les deux à la fois. Ce qui ne fait que complexifier la séparation entre l’espace privé et l’espace public, tant revendiquée par Arendt. Une telle séparation est-elle encore possible ?

2. Les réseaux sociaux et la confusion des domaines d’existence humaine

L’avènement des réseaux sociaux numériques intervient après celui du domaine social dans l’espace public. Pour comprendre leur impact sur la séparation des domaines d’existence, il faut rappeler l’histoire de l’émergence du social dans la modernité, le triomphe du social dans le monde contemporain et la misère morale que cette confusion des domaines nous impose.

2.1. L’émergence du social dans la modernité

Il importe de rappeler ici que ce qu’Habermas nomme espace public revient chez Arendt à une sorte d’espace social. Ainsi, ce social serait apparu dans la modernité avec l’avènement des bourgeois sur la scène politique. Si Arendt est d’accord avec Habermas qu’il s’agit là d’un véritable bouleversement, la philosophe y voit une involution, une dépravation de la politique. D’abord, la philosophe indique que l’émergence du social dans le domaine public est un phénomène moderne. C’est dans la période moderne, notamment avec la Révolution française, inspirée de la philosophie sociale de Rousseau, que les questions sociales se sont mêlées aux questions politiques. Au fait, affirme-t-elle,

Quand les malheureux firent leur apparition dans les rues de Paris, il dut sembler que l’« Homme Naturel » de Rousseau, avec ses « besoins réels » dans son « état originel » s’était soudain matérialisé, et que la Révolution n’avait en fait été rien d’autre que cette expérience nécessaire pour parvenir à (le) connaître. (H. Arendt, 1967, p. 161).

Elle entend traduire que la Révolution française a changé l’histoire de la politique, de sorte que les pauvres – y compris les bourgeois, les habitants des bourgs très intéressés par l’amélioration de leur condition sociale – ont émergé dans le domaine politique. Ainsi, au lieu de venir discuter, comme dans l’espace public de la Grèce antique, de la vie de la Cité et des affaires de la République, ils ont voulu résoudre les questions sociales par des moyens politiques. Ces questions sont notamment celles relatives aux logements, à l’alimentation, au travail et toutes les questions relatives aux droits sociaux, économiques et culturels. C’est à partir de ce moment que la résolution des questions sociales se pose comme la fin ultime de tout gouvernement.

Or, ajoute H. Arendt (1967, p. 161) « toute tentative pour résoudre la question sociale par des voies politiques mène à la terreur, et que c’est la terreur qui conduit les révolutions à leur perte ». Ce serait les idées de Rousseau qui auraient entraîné la Révolution française à sa perte. C’est la conséquence d’un écrasant pouvoir de la majorité, c’est-à-dire d’une démocratie de masse, d’une masse misérable, telle que conçue par Rousseau. On comprend pourquoi la Révolution française a fini par dévorer ses propres enfants en instaurant la terreur et la barbarie. Elle a été un évènement calamiteux. En effet, elle s’est malheureusement retournée contre ces initiateurs en chassant du pouvoir les principaux artisans de la Déclaration. Mounier, Mirabeau, La Fayette, Sieyès, et bien d’autres ont fini par passer aux ennemis (G. Libreton, 2003, p. 79). C’est la conséquence, selon Arendt, lorsque la politique ne parvient pas à s’émanciper de la nature et des questions sociales. Cette émergence du social dans l’espace public, initialement réservé au politique et au maniement des affaires publiques, marque la fin de la séparation entre le privé et le public. Cela entraine la confusion des deux domaines ainsi que le triomphe du social, accentué par l’avènement des réseaux sociaux numériques.

2.2. Le triomphe du social à travers les réseaux sociaux numériques

L’émergence du social dans le domaine public s’est aujourd’hui accentuée. C’est bien ce que C. Groulx (2022, p. 5) affirme en ces termes :

En effet, la vocation de ces réseaux justement dits « sociaux » illustre le triomphe du domaine social, qui englobe désormais les deux autres espaces confondus. D’une part, les possibilités de diffusion et la visibilité qu’offrent les réseaux sociaux en font l’un des lieux modernes de prédilection pour la prise de parole et l’action politique. D’autre part, les informations divulguées sur ces réseaux sont en partie personnelles : photos de soi, de la famille, des proches, partages de goûts et d’histoires personnelles. C’est ainsi que la notion d’intimité s’immisce dans la réalité de ce phénomène virtuel. Or, c’est cette intrusion dans l’intimité, propre à l’espace privé et désormais diffusée dans la sphère sociale dominant l’espace public, qui serait problématique, selon Arendt.

Cela signifie que le combat entre le politique et le social dénoncé par Arendt est finalement remporté par le social qui avale aujourd’hui aussi bien le domaine public que le domaine privé. Ces deux domaines n’existent plus que de nom, étant envahis par le social. Il ne s’agit pas pour autant de dire qu’Arendt a eu tort de vouloir séparer le social du politique. Bien au contraire, elle avait clairement vu que le mélange de ces deux domaines allait rendre difficile une existence humaine authentique. C’est effectivement ce qui se passe actuellement avec les réseaux sociaux numériques, devenus le lieu d’exhibition de l’intimité.

Les réseaux sociaux numériques favorisent l’intrusion de la vie privée dans l’espace public. Cela se traduit par le fait que les internautes exposent leur vie privée sur les réseaux sociaux. Pis, certains vont jusqu’à y exposer leur nudité. En tout cas, ce n’est pas sans raison que C. Groulx (2022, p. 1) soutient que « la sphère sociale avale l’intimité ». C’est également ce que Y. Marry (2020, p. 95) rappelle comme reproches adressés à Facebook et à son chef, Mark Zuckerberg, en ces termes : « Remise en cause de l’intimité et quasi-disparition de la « vie privée », isolement social, hystérisation des débats publics, avec hausse du complotisme et de la haine en ligne, enfermement dans des bulles algorithmiques ». Non seulement l’intimité se trouve exposée sur les réseaux sociaux, mais aussi les réseaux sociaux pénètrent dans le domaine privé et intime des individus, au point qu’il ne leur reste plus rien de secret ni de sacré.

L’exposition de la vie privée peut entrainer plusieurs dégâts. Ainsi, en Chine,

Yang Dacai, un cadre local surnommé « l’oncle montre », a été limogé après que des internautes ont affiché sur Sina Weibo des photos de lui portant des montres de luxe qui ne correspondaient pas à son revenu ; Cai Bin, un fonctionnaire de la gestion urbaine à Guangdong, a été démis de ses fonctions après qu’il fut révélé en ligne qu’il possédait 22 maisons ; Lei Zhengfu, un chef de district de Chongqing, a été limogé seulement 63 heures après qu’une vidéo le mettant en vedette ayant des rapports sexuels avec une femme fut divulguée sur le réseau (T. Tao, 2018, p. 45).

Si ces exemples révèlent que les réseaux sociaux sont un moyen de lutte contre la corruption, l’enrichissement illicite et le désordre sexuel, ils traduisent également une absence de sécurité pour la vie privée. Cette dernière n’est plus sacrée de sorte à être protégée contre le regard et les ingérences de la société. Outre ces expositions qui peuvent se faire en toute conscience, il existe des cas de vol de données personnelles. Celles-ci sont soutirées par des moyens frauduleux pour faire du chantage aux personnes concernées. Aussi, existe-t-il la possibilité de publier par erreur les données ou les images de la vie intime. C’est le cas d’une femme qui s’épile avec la lampe de son portable, et qui constate des réactions de ses abonnés (ses followers). Une telle situation invite à une prudence particulière dans l’usage des réseaux sociaux. De toutes les façons, le monde entier est aujourd’hui sous les projecteurs au point que le caractère caché de la vie privée a perdu son sens. Face à ces désastres liés à la confusion de l’espace public et de l’espace privé, la séparation de ces deux domaines devient obligatoire et requiert une éthique de l’espace public.

3. L’éthique de l’espace public et la préservation de la vie privée

L’éthique de l’espace public est nécessaire pour une réorganisation des réseaux sociaux numériques ainsi qu’une garantie des domaines d’existence humaine. Sa meilleure compréhension requiert l’éclairage de son contenu conceptuel et de sa portée dans la préservation de la vie privée.

3.1. Le concept d’éthique de l’espace public

Pour définir l’éthique de l’espace public, il faut d’abord éclairer le concept d’éthique. Depuis l’antiquité jusqu’aujourd’hui, ce concept continue d’être confondu à la morale. Cette confusion s’explique par l’étymologie commune de ces deux mots. En effet, si le mot « morale » vient du latin « mores » et que le mot « éthique » vient du grec « ethos », ils se « réfèrent tous les deux aux mœurs, à la conduite de la vie, aux règles de comportement » (P. Gaudette, 1989, p. 23). Ils expriment la quête de la vertu de l’individu pour une vie meilleure dans la société. Toutefois, à la différence de la morale, qui est caractérisée par une somme de règles sociales coutumières guidant le comportement des individus d’une communauté particulière, l’éthique intervient lorsqu’il n’existe aucune règle ou lorsque les règles existantes sont défaillantes au point de ne pas être en mesure de garantir la justice. Elle est au-delà de toutes les règles sociales et se présente chez Arendt comme une exigence humaine de penser nos actes, de les évaluer, indépendamment de toutes les normes en vigueur, et d’évaluer leurs conséquences avant de les poser. En ce sens, l’éthique est donc la voie de la conscience, l’exigence de la justice qui existe dans la profondeur de la conscience humaine. Elle est donc une réflexion sur la morale et les autres normes sociales. C’est pourquoi H. Kelsen (1962, p. 79) soutient que l’éthique est la discipline qui entreprend de connaître et d’analyser les normes morales.

Cette définition de l’éthique se manifeste dans le cadre de l’espace public comme une obligation pour chaque citoyen de penser ses actes publics de sorte à prendre en compte les intérêts des autres, les conséquences de ses actions ainsi que les exigences de la justice. Autrement dit, l’éthique de l’espace public exige de chacun de respecter d’une part, le principe de séparation du privé et du public. Il s’agit de respecter les bornes de chaque domaine de sorte que les choses privées, restent privées de la visibilité et des menaces externes, et que les affaires publiques soient accessibles à tous sans aucune discrimination. L’éthique de l’espace public exige d’autre part, le respect des règles et principes de justice. En réalité, l’éthique n’est pas contre les règles morales ou juridiques. Bien au contraire, elle est une invitation à respecter ces règles tant qu’elles conduisent à la justice et à l’ordre social. Mieux, c’est l’application consciente, réfléchie et équitable des règles lorsqu’elles existent, ou le recours à sa propre conscience et aux principes de justice lorsque les règles sont défaillantes.

3.2. L’éthique de l’espace public et la préservation de la vie privée

L’éthique de l’espace public suppose plusieurs exigences. D’une part, elle exige de mettre chaque chose à sa place, l’expression de la justice selon Platon. Ce qui signifie à la suite d’Arendt que certaines choses, tout simplement pour exister, ont besoin d’être cachées tandis que d’autres ont besoin d’être étalées en public. C’est le cas des actes sexuels et de toute la vie intime, et même privée. C’est pourquoi, il n’est pas éthique d’exhiber son intimité sur la place publique.

D’autres choses, pour exister, ont besoin d’être exposées à la place publique. C’est le cas des opinions politiques. Une opinion politique non exprimée n’en est pas une. Les réseaux sociaux numériques, les réseaux publics tels Facebook, twitter et Instagram, sont des lieux privilégiés d’expression des opinions politiques. C’est un droit à la liberté d’expression qui doit, bien sûr, s’exercer dans le respect des normes en vigueur. C’est cela qui donne sens à la citoyenneté numérique, définie par P. Türk (2022, p. 2), comme « la situation d’un individu connecté et prétendant exercer des droits et bénéficier de libertés dans un espace numérique ». En ce sens, les réseaux sociaux numériques présentent un espoir pour la démocratie, dans la mesure où ils offrent, même dans des périodes difficiles, un cadre d’expression des citoyens numériques. Par exemple,

à l’annonce de la candidature du Président Alassane Ouattara à un troisième mandat à l’élection présidentielle du 30 octobre 2020, des partis de l’opposition et une partie de la société civile, ayant jugé cette candidature d’anticonstitutionnelle, se sont saisis de ces espaces numériques pour s’opposer à cet énième mandat (A. F. Agney et B. P. S.  Akregbou, 2023, p. 721).

Toutefois, l’effet sur le terrain politique est encore négligeable en Afrique, car « les médias numériques sont des outils nécessaires, mais ne sont pas encore arrivés, à eux seuls, à faire changer un pouvoir » (A. F. Agney et B. P. S.  Akregbou, 2023, p. 730). D’autre part, l’éthique de l’espace public requiert de protéger les données personnelles. À ce niveau, il faut noter ceci :

L’effacement de la frontière entre espace privé et espace public est encore plus visible lorsque surgissent des scandales concernant la vente de données à des tiers. Cela n’est pas sans rappeler la fuite de données Facebook-Cambridge Analytica de 2018 qui a dévoilé qu’au-delà de l’utilisation commerciale de ces données, celles-ci pouvaient être utilisées à des fins politiques afin de manipuler l’opinion publique, avec succès (C. Groulx, 2022, p. 6).

Ces problèmes dénotent une faillite morale qu’Arendt craignait dans la confusion des différents domaines d’existence. Il est interdit de les partager, quel qu’en soit l’auteur de la publication. Qu’il s’agisse du propriétaire des données, d’une entité morale ou d’une autre personne physique, nul n’a le droit de les partager. Le public n’en a pas besoin, vu qu’il s’agit de données propres à une ou des personne(s) donnée(s). Il est néanmoins possible de partager les données personnelles dans les discussions privées. Ces données doivent y demeurer cachées. Cette éthique exige également de protéger le public de l’intimité de nos familles ; il n’en a pas besoin à moins de vouloir faire la promotion d’une forme de voyeurisme social qui ne peut qu’être indécent et contrevenir à l’éthique. Il s’agit tout simplement de ne pas montrer aux autres ce qu’ils ne doivent pas voir. À ceux qui seraient tentés, E. Kant (1994, p. 50) à la clairvoyance de les ramener à ceci : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ». Cet impératif catégorique dont la connotation éthique apparait manifeste devrait habiter chaque utilisateur des réseaux sociaux. C’est en ce sens qu’une vie authentiquement humaine est possible sur cette terre.

Conclusion

Il ressort de cette étude que les réseaux sociaux numériques traduisent le triomphe du social sur la politique et la vie privée, au point qu’il n’existe plus rien qui ne dépendent de son apparition sur ces réseaux sociaux. Plus que jamais, pour être, il faut publier sur les réseaux sociaux. Il en résulte une sorte de culte de l’apparence au détriment et en violation de l’être qui veut que pour être, il faille publier en ramenant tout au bout des doigts et à un clic. Loin d’une simple confusion des domaines dénoncés par Arendt, c’est la disparition de ces domaines et de la vie authentique de l’homme qui s’annonce. C’est pourquoi il faut une éthique de l’espace public pour garantir la séparation entre la vie privée et la vie publique, et surtout pour garantir la possibilité d’une vie paisible et soustraite des regards incommodants des tiers. Tout cela dépend de l’intérêt qu’il est possible d’accorder à l’authenticité de la condition humaine.

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NOUVELLES FORMES DE MILITANTISME SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX : UNE PRISE DE PAROLE POLITIQUE ENTRE PATRIOTISME ET INCIVISME VERBAL

Mamadou Diouma DIALLO

Université Gaston Berger Saint Louis (Sénégal)

mddiallo@ugb.edu.sn

Résumé :

L’article analyse la place singulière de l’incivisme verbal dans le discours militant de certains activistes présents sur les réseaux sociaux. La focale est mise sur les lives Facebook et les prises de parole politiques en liens avec le Sénégal. L’étude révèle que l’engagement sur les réseaux sociaux s’adosse sur un fort attachement patriotique, associé à des valeurs morales. Cependant, ce militantisme est parfois exprimé de manière peu raffinée voire agressive. La violence verbale étant justifiée, par les personnes interrogées, comme un moyen de se démarquer et donc d’asseoir davantage une « identité numérique rebelle ». L’article souligne l’impact de l’incivisme verbal sur la qualité du débat public en ligne. La recherche met également en lumière la complexité de l’engagement militant, considéré à la fois comme une valeur mais pouvant aussi constituer un risque pour la sécurité des personnes exprimant leurs opinions avec un verbe caractérisé par l’incivisme. L’usage d’insultes et de discours peu courtois soulèvent des questions sur le nécessaire équilibre à trouver entre la liberté d’expression et le respect des normes sociales en ligne pour garantir un espace public ouvert et constructif. Au-delà du discours des acteurs, l’article souligne effectivement la dynamique changeante des motivations qui sous-tendent l’engagement politique en ligne. L’étude qualitative s’appuie sur des entretiens avec cinq acteurs politiques influents, représentant différentes perspectives.

Mots clés : Cyberactivisme, E-militantisme, Incivisme numérique, Réseaux sociaux, Violence verbale.

Abstract:

The article deals with online activist engagement in Senegal with a focus on “Facebook lives” and online political speeches. The study reveals that activist speeches on social networks are based on a strong patriotic attachment, associated with moral values. However, this political activism is sometimes expressed aggressively, with activists recurrently using vulgar language to mark their presence in the public sphere. Verbal violence is justified, by the activists interviewed, as a way to stand out and therefore further establish a rebellious digital identity. The article highlights the impact of this verbal incivility on the quality of public debate online, weakening the free expression of ideas and civic spirit. The use of insults and discourteous speech raises questions about the necessary balance to be found between freedom of expression and respect for social norms online to guarantee an open and constructive digital public space.

Keywords : Cyberactivism, Digital incivility , Online activism, Social networks, Verbal violence.

Introduction

Dire que l’avènement de l’internet a entraîné une reconfiguration de l’espace public est devenu un lieu commun. En donnant la possibilité à chaque citoyen de participer au débat démocratique, les réseaux sociaux numériques ont contribué à l’élargissement des horizons de l’agir communicationnel (Habermas, 1962). En effet, nous assistons depuis quelques années à une revitalisation de la parole citoyenne qui, en s’appuyant sur les médias sociaux, bouleverse les modalités d’accès au débat public. Alors que les médias traditionnels conservent leur statut d’espaces réservés à une élite, l’Internet demeure, comme une évidence, une alternative voire un contre-pouvoir (Rosnay, 2006; Poulet, 2009; Perrier, 2018).

À l’heure du délitement de l’engagement politique classique, l’Internet s’impose comme un espace d’expression propice à l’émergence et à l’épanouissement d’un discours de contestation offrant l’espoir d’une nouvelle forme de communication faite par et pour le citoyen. Ce faisant, nous assistons à une recomposition des modes d’engagement où les plateformes sociales servent de tremplin à l’action militante. Á en croire le sociologue allemand, Ulrich Beek (1994), la diminution progressive, dans le champ politique, des normes de participation traditionnelle doit être comprise comme une variation de ses modalités en dehors des cadres conventionnels de l’action politique ou des structures institutionnelles classiques que sont les partis politiques. Les concepts d’engagement distanciés, par opposition à l’engagement total, pourraient être convoqués, selon certains auteurs (Ion, 1997; Sommier, 2003; Granjon, 2005) pour expliquer cette nouvelle donne qui pourrait potentiellement contribuer à affaiblir les partis politiques traditionnels.

L’érosion de la confiance des électeurs envers ces derniers a été mis en lumière par diverses études (Manin, 1995; Lipovetsky, 1998) et amène Rosanvalon (2006, p.12) à parler : «  d’enchevêtrement de pratiques, de mise à l’épreuve, de contre-pouvoir sociaux informels, mais également d’institutions, destinés à compenser l’érosion de la confiance par une organisation de la défiance »

 La première conséquence directe de cette situation est la difficulté pour les partis à mobiliser leurs électeurs dans des dynamiques politiques. Dans ce contexte, l’Internet s’est révélé un bon levier pour lutter contre la démobilisation, promouvoir les idées politiques, mobiliser les militants, lever des fonds et renforcer la participation civique. Les réseaux sociaux se présentent ainsi comme une opportunité nouvelle pour les partis politiques de moderniser leur communication mais aussi de renouveler les formes de la participation citoyenne.

Dans l’absolu, l’Internet reste un outil pour promouvoir une forme de démocratie participative voire délibérative. En instaurant une relation de proximité plus soutenue entre citoyens, les réseaux sociaux impulsent des formes de participation politique en ligne que certains appellent « connectives actions » par opposition au « collective action ». En effet, dans ces espaces du dire, prendre la parole revient le plus souvent à s’engager immédiatement et activement sur les problématiques actuelles, agir efficacement dans un cadre qui s’affranchit des contraintes d’un parti politique classique pour inscrire l’action dans le temps de l’immédiateté et du registre pragmatique. Il est possible d’y voir une nouvelle forme de militance qui s’affranchit des pesanteurs des cadres conventionnels de l’action politique.

En s’exprimant ainsi, l’engagement citoyen devient un acte hautement politique ; une façon de participer à faire l’histoire (De Certau, 1975). À l’évidence, les nouvelles formes d’engagements citoyens sur les réseaux sociaux modifient notre relation à la politique et, par extension, aux acteurs du champ politique. En tant que produit d’une réalité sociale, les métamorphoses de l’action citoyenne ne peuvent être comprises en dehors du cadre et du contexte qui les ont vus naître. En d’autres termes, l’engagement militant doit être situé dans son contexte sociopolitique. Dire cela, c’est réaffirmer la dépendance des formes d’engagement citoyen vis-à-vis de l’environnement, soulignant ainsi l’influence des contextes spécifiques sur les pratiques et les formes d’action des citoyens.

L’Afrique a connu une croissance significative de l’accès à Internet au cours des dernières années, favorisée, en grande partie, par la démocratisation de l’accès aux smartphones. L’essor rapide de la connectivité à Internet a créé de nouvelles opportunités pour l’expression et la mobilisation politiques. L’Afrique, en tant que continent dynamique sur le plan numérique, a donc connu une montée significative de l’activisme en ligne au cours des dernières années. Les militants ont trouvé dans le cyberespace un moyen puissant de partager des idées, de coordonner des actions et de susciter des changements sociaux et politiques.

Sur la toile sénégalaise, se développe actuellement un discours de contestation très dynamique et mobilisateur en raison du contexte lourd d’enjeux politiques. C’est un espace où les prises de parole publiques, particulièrement celles sur les réseaux sociaux lors des lives, sont marquées par la dualité entre l’engagement civique et la violence verbale. Comprendre comment cette dernière affecte la qualité du débat public est essentiel pour promouvoir des échanges sains et constructifs et favoriser l’avènement d’une démocratie numérique inclusive et informée.

Nous proposons dans cet article d’examiner les différentes facettes de l’engagement politique en ligne au Sénégal, en mettant en lumière les facteurs clés qui alimentent ce phénomène et les dérives singulières de la violence verbale qui contribuent à fragiliser le débat démocratique. Nous avançons l’hypothèse que les mises en scène de soi (Goffman, 1959) durant les lives Facebook participent au marketing de soi où l’incivilité verbale est de plus en plus considérée comme un marqueur d’identité et un levier de l’engagement militant.

1. Les réseaux sociaux : une arène politique de la verve et du verbe militant

L’internet, plus singulièrement les réseaux sociaux sont des espaces de socialisation où se jouent des enjeux hautement politiques. En effet, les réseaux sociaux se présentent de plus en plus comme des arènes où s’affirment des dynamiques politiques majeures, influençant la participation, la mobilisation et le débat public.

Pour Michel De Certeau (1994), « prendre la parole, c’est prendre le pouvoir ». Outre le fait d’être un acte d’affirmation de soi, une façon de prendre pied dans la sphère d’existence, toute prise de parole correspondrait selon l’auteur à une prise de pouvoir aussi modeste soit-elle. Dans cette perspective, on peut convoquer les travaux de Castels (2013) dans « Communication Power » qui soulignent la capacité des individus à utiliser les réseaux sociaux comme des espaces d’expression et d’action, influençant ainsi la dynamique sociale et politique.

De même, l’étude de Papacharissi (2010) explore les interactions en ligne et le potentiel des médias sociaux en tant qu’outils d’expression individuelle, mettant en lumière la manière dont ces plateformes permettent aux individus de s’approprier l’espace public numérique pour partager des idées et des opinions. Dans la même perspective, une étude de Tufekci (2017) a mis en évidence le rôle des réseaux sociaux dans la construction d’une forme d’activisme en ligne, soulignant leur impact sur la sensibilisation, la collecte de fonds et la mobilisation des masses. Ces plateformes ont également été étudiées par Tarrow (2021), entre autres, pour leur capacité à assurer la diffusion d’information et la coordination des mouvements sociaux, modifiant ainsi la dynamique de l’engagement politique.

Tous ces travaux reflètent un processus d’autonomisation des individus dans l’espace public en ligne ayant permis, à chaque personne qui le souhaite, de pouvoir prendre la parole pour s’exprimer ou s’engager dans des causes (Greffet, Wojcick, 2008). Cette conscience politique en ligne a influencé la sphère politique traditionnelle en poussant les politiciens à interagir avec les électeurs via les réseaux sociaux, à s’adapter aux préoccupations du public en ligne et à réagir aux pressions citoyennes.

L’évolution rapide des réseaux sociaux a donc engendré un changement significatif dans la manière dont les individus s’engagent politiquement et militent pour des causes sociales. Les formes d’engagement citoyen ont beaucoup changé ces dernières années avec l’avènement du web social. Ce dernier a entrainé une reconfiguration de l’espace public se manifestant par la multiplication des lieux de production du discours et du sens politique par des citoyens, jadis marginalisés dans le débat public.

Traditionnellement, l’engagement militant était caractérisé par des discours politiques directs et des formes de participation collective telles que les manifestations. Les réseaux sociaux ont introduit une dimension nouvelle en permettant une mobilisation rapide et une diffusion étendue des messages militants. Les campagnes en ligne, les pétitions numériques et les discussions politiques ont ainsi pris une ampleur sans précédent. Les travaux de Manuel Castels (2013) soulignent comment ces plateformes numériques ont transformé la nature de la communication politique à l’ère du web 2.0. En effet, l’avènement du web social a indéniablement remodelé les schémas d’engagement politique et d’activisme pour des causes diverses. Bennett et Sergerberg (2014) ont démontré, dans leur étude relative à la mobilisation politique, que les médias sociaux offrent des opportunités pour l’organisation, la diffusion d’information et la coordination des actions collectives. Castels (2013) a mis en lumière l’appropriation des plateformes sociales par les activistes, lors du printemps arabe pour organiser et amplifier leurs revendications.

Aujourd’hui, les militants africains utilisent Internet pour sensibiliser aux questions locales et nationales. Des plateformes telles que Twitter, Facebook et WhatsApp sont devenues des espaces clés pour le partage d’opinions, la coordination des actions et la mobilisation. Des cas d’activisme numérique en Afrique ont conduit à des changements tangibles, notamment des réformes politiques et sociales. Ils illustrent la capacité des plateformes numériques à influencer et à jouer le rôle de catalyseur des changements sociaux et politiques. Ils témoignent également de la faculté des mouvements en ligne à engendrer des changements substantiels et des réformes dans la société. Par exemple, au Zimbabwe, le mouvement #ThisFlag, mené par le pasteur Evan Mawarire, a utilisé les médias sociaux pour mobiliser la population contre la corruption et les difficultés économiques, incitant ainsi des milliers de personnes à manifester. Cette mobilisation a exercé une pression considérable sur le gouvernement, conduisant à des discussions sur les réformes économiques et politiques.

Au Sénégal, le mouvement « Y’en a marre » lancé par un groupe de rappeurs et de journalistes, principalement sur les réseaux sociaux, rassemble des milliers de jeunes ; il a contribué à la mobilisation contre le président Abdoulaye Wade, participant ainsi à un changement politique significatif lors des élections de 2012. Les réseaux sociaux, en particulier Facebook et, dans une moindre mesure, Twitter ont été des espaces majeurs de l’activisme en ligne et ont joué un rôle déterminant dans la mobilisation citoyenne.

L’évolution des formes d’engagement en ligne témoigne d’une diversification des modes d’expression et d’action des individus sur Internet, comme le souligne les nombreuses études relatives à l’impact des médias sociaux sur la politique. L’utilisation de divers outils en ligne, tels que les pétitions électroniques, les publications (posts) sur les réseaux sociaux et les diffusions en direct (lives) contribue à élargir le répertoire des modalités d’action en ligne facilité par la nature participative et interactive du média Internet. Ce panorama renforce la panoplie des actions et outils mobilisables dans le cadre d’une action militante Greffet F., et al. 2014) dont les lives Facebook qui nous servent de format d’étude sur la thématique du militantisme en ligne. En effet, les diffusions en direct sur la plateforme Facebook, très prisés par certains militants ayant une forte audience en ligne, se distinguent en tant qu’outils d’action politique, mais restent souvent une modalité propice aux dérives verbales. La verve et le verbe deviennent des modalités du « dire militant ».

Ainsi nous avons cherché à comprendre dans quelle mesure l’incivisme verbal pourrait relever de l’agir politique pour ces militants actifs sur le web. Quelles stratégies d’égo branding, du marketing de soi, sont développées par ces activistes, à partir de leurs interventions sur les réseaux sociaux, et quelles sont leurs perceptions de leurs propres pratiques ? C’est à ces questions, entre autres, que nous avons essayé de répondre à travers une démarche heuristique.

2. Méthodologie

Dans le cadre de cette étude, la méthode qualitative a été adoptée pour mieux cerner les dynamiques de l’engagement politique en ligne. La collecte des données s’est appuyée sur des entretiens semi-directifs auprès de cinq acteurs influents dans le domaine de l’activisme politique sur les réseaux sociaux.

Pour constituer un panel représentatif et équilibré des diverses perspectives politiques, une sélection minutieuse des interviewés a été réalisée. Nous avons choisi de consulter deux activistes qui se positionnent fortement dans l’opposition et disposent d’une forte communauté en ligne. En parallèle, deux autres activistes engagés politiquement, et plutôt perçus comme proches du pouvoir en place, ont été intégrés à l’échantillon. Cette diversité d’opinions devrait permettre d’appréhender une variété de visions et d’expériences. Afin d’obtenir une vision élargie des dynamiques politiques et des interactions sur les réseaux sociaux, un cinquième acteur, connu comme journaliste avec une présence médiatique affirmée et des prises de position politiques assumées, a été sollicité pour partager son expérience et ses perspectives sur l’engagement citoyen en ligne. Ces entretiens semi-directifs, menés individuellement, ont permis d’explorer en profondeur les expériences, les motivations, les pratiques et les perceptions de ces acteurs clés en matière d’engagement politique sur les plateformes numériques. Les questions posées lors de ces entrevues visaient à comprendre les mobiles de l’engagement politique, les enjeux et dérives associés à l’engagement politique sur Internet.

Les données recueillies lors de ces entretiens ont été soumises à une analyse thématique, visant à dégager les points saillants et les considérations propres à l’action militante des acteurs interrogés. Cette analyse a permis de dégager des thématiques pertinentes pour la compréhension des formes actuelles d’engagement politique en ligne. Il est important de noter que les participants ont été sélectionnés en raison de leur notoriété et de leur influence dans le domaine de l’activisme politique en ligne, et que leurs commentaires ont été collectés de manière confidentielle et anonyme, préservant ainsi leur identité et la confidentialité des échanges. Ce protocole méthodologique a permis de rassembler des informations riches et variées pour éclairer les mécanismes de l’engagement citoyen dans le contexte des réseaux sociaux.

3. Le patriotisme au cœur du discours sur l’agir politique en ligne

La focalisation du discours, par les personnes interrogées, autour du référentiel patriotique se présente comme un aspect clé dans la compréhension des logiques militantes sur les plateformes numériques. Elle met en évidence une convergence entre les valeurs morales individuelles et l’attachement patriotique à des idéaux nationaux, ayant un impact direct sur la nature et l’orientation de l’engagement en ligne. En effet, l’analyse des transcriptions des entretiens met en lumière l’importance des valeurs personnelles, révélant la fréquence des termes associés à la justice et la responsabilité individuelle comme fondements de l’engagement politique en ligne.

Parallèlement, la dimension patriotique évoque un attachement fort aux principes qui fondent une république et favorise un commun désir du vivre ensemble pour faire nation. Ces valeurs patriotiques peuvent s’étendre à l’amour de son pays, à la solidarité ou encore à la justice sociale. Ce constat met en évidence une forme d’alignement entre les motivations personnelles et l’engagement militant, permettant ainsi de dresser une passerelle entre les valeurs individuelles et l’intérêt général. L’utilisation du discours moral et patriotique pourrait ainsi servir de catalyseur pour mobiliser les individus autour de causes communes, renforçant ainsi le militantisme en ligne. Ainsi, cet ancrage du discours dans le référentiel moral et patriotique souligne, entre autres, la complexité des motivations individuelles dans les interactions numériques. Il permet également de révéler l’importance de ces valeurs comme moteurs potentiels de l’engagement citoyen sur les plateformes numériques.

Je n’ai besoin de rien. Dieu merci! Si je prends autant de risques en m’attaquant au pouvoir et à des intouchables de la République, c’est parce que j’aime mon pays. Je veux que les choses changent. J’ai choisi de faire partie de ceux qui agissent au péril de leur vie pour un Sénégal meilleur (entretien 05).

L’exploitation du verbatim issu de nos entretiens permet de mettre en avant la notion de risque et le courage nécessaire pour s’opposer au pouvoir en place et à des acteurs influents au sein de l’État. L’action est justifiée par la mise en avant de l’amour pour le pays, exprimant le désir d’un changement positif et manifestant une volonté d’être parmi ceux qui agissent pour changer les choses même au péril de leur vie.

En définitive, les résultats montrent une forme soutenue de militantisme politique basée sur des prises de parole (lives) fréquentes. C’est une conscience militante qui s’adosse sur des valeurs patriotiques et un fort sentiment de responsabilité envers la nation. L’analyse de contenu nous permet de relever un haut degré d’implication exprimant un dévouement profond à la cause, nonobstant les risque encourus, sur le plan personnel, pour lutter contre les injustices et les abus au sein de la société.

Cependant, cette perception des mobiles du militantisme en ligne soulève des questions sur les limites et les conséquences de cette forme d’engagement. Alors que cet acte est perçu comme une contribution pour un Sénégal meilleur, il peut également être contesté en raison des risques encourus par l’individu et de l’impact potentiel sur sa vie et sa sécurité personnelle.

Cette perspective met en évidence la complexité de l’engagement politique, où les individus, motivés par un fort sentiment patriotique, prennent des risques personnels pour défendre des valeurs et idéaux au sein de la société. Elle suscite également des questions sur les stratégies alternatives pour influencer positivement le changement sans compromettre la sécurité personnelle des acteurs politiques.

Contrairement à beaucoup d’activistes qui sont dans la Diaspora, je n’ai qu’une seule nationalité. Je n’ai pas un autre pays autre que le Sénégal. Si je suis souvent très dur avec le régime, c’est juste parce que j’aime mon pays et je pense que nous méritons mieux que ces fils de p*te (entretien 2).

Nous constatons que le fait de mettre l’accent sur son attachement exclusif au Sénégal est une manière de se distinguer des activistes de la Diaspora possédant, potentiellement, une double nationalité. La critique véhémente du régime serait justifiée par l’amour porté au pays d’origine et d’un sentiment de déception face aux dirigeants actuels qui sont considères comme incompétents pour régler les problèmes du pays.

Il est possible de lire, à travers les données collectées, l’impact profond des enjeux de nationalité sur l’engagement politique. La perception de la citoyenneté et de l’identité nationale peut influencer la manière dont un individu s’engage et critique les dirigeants politiques de son pays. Le fort attachement à une seule nationalité est présenté comme un moteur de l’implication et de la passion pour le changement, motivant ainsi la critique sévère du régime en place.

Toutefois, l’utilisation de termes peu élégants pour désigner les dirigeants en place soulève des questions sur la forme de l’expression de l’engagement politique. Bien que l’amour pour le pays puisse être le moteur de la critique, l’emploi de termes vulgaires et le manque de civilité dans le verbe et dans le ton pour caractériser les dirigeants interpellent sur l’impact de la rhétorique incendiaire dans le discours politique.

4. L’incivisme verbal : un marqueur de l’identité numérique

La prolifération de l’incivisme verbal en ligne s’est graduellement transformée en une composante inhérente à l’identité numérique contemporaine. Notre recherche permet de mettre en lumière la manière dont les lives de militants politiques sur les réseaux sociaux restent de plus en plus façonnés par un verbe agressif, violent, peu respectueux définissant ainsi, en partie, l’identité et le comportement des individus sur Internet. Elle souligne la transition de l’incivisme verbal vers une caractéristique prédominante et même parfois valorisée dans certaines communautés politiques en ligne. L’usage récurrent de discours irrespectueux, insolents, voire de menaces, s’est banalisé au point de contribuer à forger l’image et la réputation des individus dans ces espaces numériques.

L’insulte pour moi est une manière de marquer mon territoire […] Elle me permet de me démarquer des autres acteurs de la société civile qui ont un langage policé. Moi je suis un roots, je dis les choses telles que je les sens et beaucoup de ceux qui me suivent sur ma page m’aime aussi pour ça (entretien 3).

Cette affirmation d’un des activistes en ligne soulève une perspective intéressante sur l’utilisation de l’insulte comme une forme de distinction et d’affirmation de soi au sein de la sphère publique. L’insulte est perçue comme un moyen de marquer son territoire, de se différencier des autres acteurs de la société civile et ainsi de se singulariser dans cet espace social. Cette approche reflète une perception de l’incivisme verbal non seulement comme un moyen de communication ou d’expression, mais également comme un levier stratégique pour se démarquer dans un contexte de web social concurrentiel caractérisé par la rareté de l’attention. Elle souligne la dimension symbolique de l’insulte en tant que marqueur d’identité, destinée à établir une certaine position ou image dans un contexte politiquement marqué aussi par des dérives autoritaires du pouvoir et d’appels à la résistance de l’opposition politique. Cette situation révèle une dynamique où l’incivisme verbal devient un attribut clé de l’identité numérique, influençant non seulement les comportements individuels, mais également les normes sociales en ligne.

Les insultes, les insanités, le langage ordurier font partie de ce qui me définissent sur les RSN. Je me considère comme un exutoire pour ces millions de Sénégalais qui souffrent de l’injustice de ce régime et qui ne peuvent vider leurs biles publiquement. J’insulte, par procuration, pour tous ceux qui, par peur ou par pudeur s’interdisent de verser dans les insanités verbales (entretien 1).

Cette affirmation soulève la question complexe de l’utilisation de l’incivisme verbal comme moyen de protestation ou d’expression sur les réseaux sociaux. L’individu exprime son identification à un rôle d’exutoire pour la frustration et le mécontentement d’une partie de la population qui se sent injustement traitée par le régime en place. Il justifie ainsi l’usage d’insultes et de langage grossier en tant que moyen de donner une voix à ceux qui se sentent étouffés ou incapables de s’exprimer publiquement. Ici, l’incivisme verbal est utilisé comme une forme de catharsis pour exprimer la colère et le désarroi d’une frange importante de la population face à des injustices ou des restrictions. Cependant, elle soulève également des questions sur les limites du verbe. Bien que l’on puisse considérer ces propos comme une forme d’expression de la voix des opprimés, cela peut également contribuer à normaliser des comportements irrespectueux et nuire à un débat civilisé et constructif.

Dans la même perspective, elle pose un dilemme éthique complexe : d’un côté, la nécessité de donner une voix à ceux qui se sentent réprimés, et de l’autre, le risque de promouvoir des formes d’expression irrespectueuses et contre-productives. En définitive, c’est une approche de l’engagement politique en ligne qui soulève des questions sur la manière de canaliser ces frustrations légitimes de manière plus constructive c’est à dire en maintenant des normes de respect et de civilité dans les discussions en ligne.

L’acceptation ou la promotion de l’incivisme verbal comme partie intégrante de l’identité numérique risque d’avoir des répercussions négatives, favorisant des environnements toxiques et impactant la qualité des échanges sur les réseaux sociaux. Elle soulève des questions fondamentales sur les conséquences et l’impact de l’utilisation de l’insulte dans le discours public. Alors que cela peut être perçu comme une stratégie pour se distinguer, cela peut aussi être perçu comme une approche risquée, car l’utilisation d’un langage irrespectueux peut compromettre la crédibilité et l’acceptation sociale, outre le fait qu’elle peut brouiller le message ou les revendications exprimées au sein de la société civile.

Sur un autre plan, la violence verbale, observée dans le champ politique, surtout lors des diffusions en direct (lives), se présente comme un sujet d’inquiétude majeur. Les réseaux sociaux, ont contribué à accentuer la polarisation et l’agressivité dans les discours politiques, créant un environnement où les échanges sont souvent teintés de propos injurieux, de menaces et de discours empreints de haine. Cette violence verbale affecte la qualité du débat public en ligne, fragilise la libre expression des idées et met à mal l’esprit d’engagement civique et la discussion constructive (Cardon, 2010). La récurrence de cette forme de violence verbale peut restreindre la variété des opinions et des angles de vue, parfois dissuadant des individus, en particulier des minorités ou des voix moins représentées, de s’impliquer dans les discussions politiques de peur d’être insulté ou intimidés en ligne (Whitson, Greene, 2015).

Cette prolifération de l’incivisme verbal a des conséquences sur la confiance des utilisateurs à l’égard des plateformes en ligne, car peut limiter l’efficacité des espaces de dialogue politique. De plus, la polarisation excessive peut entraver la recherche de consensus et la résolution des problèmes, éloignant ainsi les chances de parvenir à des compromis et à des solutions partagées.

Cette perspective interpelle sur le nécessaire équilibre à trouver entre l’expression individuelle et le respect des normes sociales de civilité et de respect, ainsi que sur les diverses interprétations de l’incivisme verbal dans le discours public. Elle met en évidence la complexité des motivations individuelles qui sous-tendent l’utilisation de l’insulte dans un contexte social et politique, ainsi que ses implications pour l’identité et la reconnaissance dans la sphère publique.

5. Dynamiques changeantes de l’engagement politique en ligne

L’idée selon laquelle les motivations liées à l’engagement politique ne sont pas statiques, mais peuvent évoluer au fil du temps, offre un aperçu significatif sur la dynamique de l’engagement politique en ligne. Elle souligne la nature changeante des mobiles qui sous-tendent l’engagement, et comment ceux-ci peuvent influencer la position de l’individu sur l’échelle de l’engagement politique. Ces motivations peuvent évoluer et montrent que la perception, la compréhension et les raisons pour lesquelles les individus s’engagent politiquement ne sont pas immuables. Les motivations peuvent changer en cours de route et s’adapter, conduisant ainsi à des ajustements dans le niveau d’implication et les modalités de l’engagement politique.

Une telle grille de lecture du militantisme en ligne nous interpelle sur la nécessité de prendre en considération la diversité des facteurs de motivations des personnes impliqués dans l’engagement politique en ligne. Il est difficile de lire la problématique du militantisme en ligne sans intégrer la perspective individualiste des incitations sélectives qui contribuent à renforcer l’engagement ou à l’inscrire sur la durée.

Les gains matériels ou symboliques tirés de l’engagement politique ou les coûts supportés en termes de pertes découlant d’une absence d’engagement seraient déterminants dans le choix des acteurs (Olson, 1978). La multiplication des lieux de prise de parole, sur les réseaux sociaux, ne peut être déconnectée du contexte politique et pré-électorale au Sénégal. Cette situation rend donc pertinent la lecture de la dynamique de l’engagement militant en ligne à partir de la théorie de la structure des opportunités politiques.

Conclusion

L’avènement de l’Internet a considérablement remodelé l’espace public, ouvrant des perspectives nouvelles pour l’expression citoyenne et l’engagement militant. La prise de parole, à travers les lives sur les réseaux sociaux, est considéré comme un acte politique favorisant le changement. Cette forme de militantisme marquée par des prises de paroles fréquentes, matérialisées davantage par les lives facebook, s’appuie sur des valeurs patriotiques et un profond sentiment de responsabilité envers la nation. La notion traditionnelle d’un engagement politique désintéressé sous-entend une participation purement basée sur des motivations altruistes ou idéalistes, déconnectées de tout bénéfice personnel ou intérêt direct. Aujourd’hui, le constat est que les valeurs sous-jacentes à cet engagement peuvent varier en fonction des postures politiques des acteurs impliqués ou être considérablement affectés par des considérations bassement économiques. L’analyse met donc en évidence le fait que les déterminants de l’engagement ne sont pas statiques mais peuvent évoluer au fil du temps.

Notre étude montre également que l’incivisme verbal, parfois valorisé dans certaines communautés politiques, est devenu un marqueur d’identité numérique de certains activistes, généralement hors de l’appareil des partis politiques. Dans un espace numérique saturé et aux prises des logiques d’acteurs qui s’inscrivent dans l’économie de l’attention, l’incivisme verbal qui banalise l’insulte public devient un levier stratégique pour se démarquer.

Lutter contre cette violence verbale en ligne demeure un défi complexe, car les plateformes doivent trouver l’équilibre entre le nécessaire exercice de la liberté d’expression et l’impératif d’un discours respectueux des règles de civilité et de bienséance dans la prise de parole politique.

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IDÉOLOGIE DE LA TRANSPARENCE, RÉSEAUX SOCIAUX                      ET DÉMOCRATIE CONTEMPORAINE

Ouandé Armand REGNIMA

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

regnima@yahoo.fr

Résumé :

La démocratie contemporaine s’est cristallisée autour de la notion de transparence avec l’émergence de l’espace public au XVIIIe siècle. Fille de la pensée du philosophe Rousseau qui rêvait d’une société sans opacité et sans conflit, l’idéologie de la transparence a le propre de traquer les apparences et de placer sous le coup de la présomption de faute tout ce qui s’écarte de la norme, parce que soupçonné a priori de chercher à échapper au regard de la société. Aussi, les politiques de transparence et de lutte anti-corruption, souvent associées aux notions de bonne gouvernance, sont-elles devenues des conditions indispensables à la gestion du bien public. Cette évolution résulte également des demandes de transparence publique d’une société civile qui a, elle aussi, évolué quant à ses attentes par rapport à l’État. La révolution numérique et la liberté d’expression qu’elle postule au travers des réseaux sociaux a fini par faire du citoyen « un chien de garde » de l’action gouvernementale en renouvelant les inquiétudes intellectuelles à ce sujet. Quel impact le besoin de transparence à outrance à l’ère des réseaux sociaux a-t-il sur la démocratie contemporaine ? Ce texte se propose d’analyser l’utilité de la transparence dans l’exercice de la démocratie en attirant l’attention sur les revendications non éclairées de la transparence qui constituent un malaise dans la démocratie contemporaine.

Mots clés : Démocratie, Liberté, Réseau, Social, Transparence.

Abstract:

Contemporary democracy has crystallized around the notion of transparency with the emergence of public space in the 18th century. Daughter of the thought of the philosopher Rousseau who dreamed of a society without opacity and without conflict, the ideology of transparency has the characteristic of tracking down appearances and placing under the presumption of fault all that deviates from the norm, because suspected a priori of trying to escape the gaze of society. Also, the policies of transparency and the fight against corruption, often associated with the notions of good governance, have become essential conditions for the management of the public good. This development is also the result of demands for public transparency from civil society, which has also evolved in terms of its expectations of the state. The digital revolution and the freedom of expression that it postulates through social networks has ended up making the citizen “a watchdog” of government action by renewing intellectual concerns on this subject. What impact does the need for excessive transparency in the era of social networks have on contemporary democracy? This text proposes to analyze the usefulness of transparency in the exercise of democracy by drawing attention to the unenlightened claims of transparency which constitute a malaise in contemporary democracy.

Keywords : Democracy, Freedom, Network, Social, Transparency.

Introduction

« Qu’il serait doux de vivre parmi nous, si la contenance extérieure était toujours l’image du cœur ! » s’exclamait J. J. Rousseau (2011, p. 9). Ce désir de transparence lié, chez Rousseau, à l’hypothèse de l’état de nature, renvoie à la vision nostalgique d’une époque d’innocence imaginaire, où l’être intime de chaque être s’exprimerait sans détour dans son apparaître et où, les actes ne seraient pas différents des intentions.

Cette fiction littéraire de Rousseau a malencontreusement engendré chez les révolutionnaires français du XVIIIe siècle et chez les maîtres marxistes du soupçon, dans un même mouvement, l’utopie d’une société sans opacité et sans conflits. C’est ainsi que naquit l’idéologie de la transparence. Celle-ci a le propre de traquer les apparences et de placer sous le coup de la présomption de faute tout ce qui s’écarte de la norme, parce que soupçonné, a priori, de chercher à échapper au regard de la société.

Depuis lors, les politiques de transparence et de lutte anti-corruption, souvent associées aux notions de bonne gouvernance, sont devenues des conditions indispensables à la gestion du bien public. Cette évolution résulte également des demandes de transparence publique d’une société civile qui a, elle aussi, évolué quant à ses attentes par rapport à l’État. La révolution numérique et la participation accrue des citoyens à la vie publique qui la caractérise au travers des réseaux sociaux a rendu encore plus exigeant cette participation. Depuis le début du XXIe siècle, en effet, les réseaux sociaux et la liberté d’expression qu’ils postulent ont fini par faire du citoyen « un chien de garde » (J. P. Villeneuve, 2018, p. 10) de l’action gouvernementale en renouvelant les inquiétudes intellectuelles au sujet de l’utopie de la transparence. Dès lors, quelle place occupe la pratique de la transparence dans la démocratie ? Comment les réseaux sociaux renforcent-ils l’exigence de la transparence ? Cette idéologie de la transparence poussée à son extrême, ne constitue-t-elle pas un malaise dans la culture démocratique ?

Adossé à une démarche analytique et critique, ce texte, en tentant de répondre à ces interrogations, se propose d’examiner l’impact du besoin accru de transparence sur la démocratie contemporaine en attirant l’attention sur les revendications non éclairées qui pourraient constituer un malaise dans la démocratie.

1. Idéologie de la transparence : point d’ancrage de la démocratie contemporaine

Héritée des Grecs, la démocratie se définit à la fois comme un régime politique et un idéal normatif. Du grec demos « peuple » et kratos « pouvoir » ou « souveraineté », c’est le gouvernement du peuple par le peuple. En tant que régime politique, « en démocratie, la souveraineté appartient au peuple qui est la source légitime du pouvoir » (C. Doganis, p. 73). En tant qu’idéal normatif, la démocratie promeut un ensemble de valeurs dans la conquête du pouvoir et la gestion des affaires publiques.

À sa naissance, la démocratie athénienne repose sur trois principes fondamentaux : le droit de tous les citoyens à la parole, que ce soit à l’assemblée du peuple ou devant les tribunaux ; l’accès de tous les citoyens aux fonctions publiques (par élection ou tirage au sort) ; l’égalité de tous devant la loi (P. Lévêque, 1969). Si les sociétés modernes issues des Lumières, des indépendances des États-Unis et de la France révolutionnaire ont gardé le principe de l’égalité de tous devant la loi, elles y ont ajouté les principes de la séparation des pouvoirs ; du respect des libertés ; du pluralisme politique ; etc. Les enjeux actuels du débat démocratique portent sur divers sujets tels que le cumul des mandats électifs ; la corruption dans la gestion des affaires publiques ; le trucage des élections ; l’indépendance des juges face au pouvoir politique ; la représentation des femmes et des jeunes dans la vie politique des nations, etc.

Si l’équation primaire à résoudre dans le choix de l’adoption d’un régime politique réside dans la justification du devoir d’obéissance au commandement, la démocratie semble avoir résolu le problème en visant fondamentalement l’émancipation du genre humain et la transparence dans la gestion des affaires publiques. Aussi depuis sa naissance dans la cité grecque d’Athènes, la transparence se veut-elle le point d’ancrage de la démocratie en faisant du débat publique un terreau favorable au partage de la parole – donc du pouvoir – entre l’élite et le peuple (demos).

Dans son ouvrage intitulé Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, J. Starobinski (1971) montre que la transparence fut un rêve de Rousseau. En effet, dans le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau (2011) exprime son regret de la perte d’une époque d’innocence où, le paraître et l’être coïncidaient. Nos malheurs ont commencé quand le vide a commencé à se creuser derrière les surfaces mensongères. « Car cette fêlure, qui empêche la « contenance extérieure » de correspondre aux « dispositions du cœur, écrit Starobinski, fait entrer le mal dans le monde » (Starobinski, 1971, p. 13). De fait, la dialectique de la vie sociale et la mondanité ayant rendu les hommes mauvais, dangereux et coupables, le pouvoir, par l’organisation et le contrôle social, les forcera à devenir prévisible et donc inoffensifs en contraignant les dirigeants à être surveillés par le peuple. Il s’agit de les mettre en permanence dans l’obligation de prouver en toute circonstance leur vertu et leur innocence grâce à la multiplication des codes et à l’encadrement des conduites. C’est ainsi qu’à travers l’histoire, s’est dessiné autour de la préoccupation de transparence, le réseau qui relie entre elles les notions de contrôle, de prévention et de sanction. Mais que poursuit-on à travers la transparence politique ?

Dans sa thèse de doctorat intitulé « Transparence et démocratie : analyse d’un principe de gouvernement », J. Pitseys (2010) explique qu’en fonction des objectifs qui lui sont assignés, la transparence revêt deux dimensions : une négative et une positive. Pour Pitseys, dans sa dimension négative, la transparence agit comme une lampe fixée sur les excès du gouvernement. Les lois n’exigent pas le consentement des gouvernés sur leur contenu pour être légitimes. Elles demandent, par contre, un accord social sur la procédure menant à leur formation, ainsi que l’assurance qu’elles seront appliquées correctement. Dans ce cadre, la transparence permet de contrôler les abus et manquements de la sphère exécutive. Elle exerce ainsi une fonction de sécurité et de prévisibilité juridique. Elle limite par ailleurs, et plus fondamentalement, la latitude des autorités publiques à juger indépendamment du peuple ce qui constitue son meilleur intérêt.

Dans sa dimension positive, la transparence est chargée de promouvoir activement un certain nombre de vertus. Il s’agit notamment de contribuer à la rationalité du processus politique ; permettre de tenir compte des préférences des citoyens dans la formation de ce processus ; contribuer à l’efficacité de la décision, c’est-à-dire sa capacité à produire l’effet normatif souhaité. La transparence peut tout d’abord veiller à ce que les autorités publiques agissent de manière rationnelle. « Une décision n’est justifiable que si elle passe le cap d’un auditoire universel » écrit Pitseys (2010, p. 110).

En outre, la transparence s’affirme comme un outil de management contribuant à améliorer l’action de l’administration. Elle permet l’apport d’idées nouvelles en provenance de l’espace social. Elle suscite davantage de coopération et d’émulation au sein des différentes entités de l’autorité publique. Il faut ajouter qu’elle remplit certaines fonctions instrumentales. En effet, en rassurant les entreprises sur le contexte politique de leurs engagements financiers, elle favorise les investissements privés dans l’économie; elle assiste par ailleurs les citoyens dans leurs choix en matière de santé, d’environnement, de consommation, etc.

Finalement, pour Pitseys, la « transparence » apparaît non seulement comme la condition du fonctionnement responsable des institutions de la démocratie, mais aussi, comme le garant du respect de la conduite éthique et comme l’outil le plus efficace pour lutter contre la corruption et pour assurer le strict respect des règles déontologiques. « Transparence internationale » est le nom donné à l’organisation non gouvernementale qui se consacre à la lutte contre la corruption au niveau mondial. En France, la « Commission pour la transparence financière de la vie politique », créée en 1988, procède au contrôle des déclarations de patrimoine de six mille personnalités. En Côte d’Ivoire la Haute autorité pour la bonne gouvernance, fait partie des instruments mis en place dans le cadre de son plan national de lutte contre la corruption et la transparence dans la gestion des finances publiques.

Au regard des nombreuses fonctions qui lui sont assignées, l’on comprend pourquoi, ces dernières années sont caractérisées par l’obsession de la transparence comme leitmotiv du politiquement correct. La révolution numérique a vite fait d’accentuer cette obsession grâce aux possibilités qu’elle offre aux citoyens de participer directement aux débats publics. Comme l’ont si bien remarqué S. Gallot et L. Verla (2016, p. 50) : « Force est de constater que le terme « transparence » a le vent en poupe, à l’instar des médias, en témoignent ses évolutions sémantiques qui ont pris des tournures intéressantes en particulier depuis l’avènement d’Internet et du cyberespace ». Quel impact réel l’avènement des réseaux sociaux a-t-il sur cette idéologie de la transparence ?

2. Révolution des réseaux sociaux et éclatement de la notion de transparence

Depuis les années 1990, l’évolution des techniques informatiques et de la télécommunication a vu naître un espace cybernétique qui, avec les travaux de Berners-Lee, a pris la forme d’une toile qui rassemble toute la planète. Désigné par Internet, ce cyberespace peut être défini comme l’ensemble de réseaux mondiaux interconnectés qui permet à des ordinateurs ou smartphones et à des serveurs de communiquer efficacement au moyen d’un protocole de communication commun (IP). Internet Protocol Address, abrégée en « adresse IP » ou tout simplement « IP », est basée sur le protocole Internet qui constitue également la base du réseau Internet. Il s’agit de l’adresse clairement identifiable d’un équipement (par ex. d’un ordinateur, d’un serveur Web, d’une imprimante) au sein d’un réseau interne ou externe. Initialement issu du réseau militaire américain Arpanet (conçu en 1969), Internet permet le partage de messagerie, d’images, de sons, de vidéos, etc.

De la révolution d’Internet et des objets connectés sont nés les réseaux sociaux : un ensemble d’applications permettant de développer des interactions sociales, de se constituer un réseau de connaissances, d’amis ou de relations professionnelles, avec lequel on interagit en temps réel. Les plus importantes de ces applications, selon les données du Statista research department sont Facebook (2,910 milliards d’utilisateurs), YouTube (2,600 milliards d’utilisateurs), WhatsApp (2 milliards d’utilisateurs), TikTok (1 milliard d’utilisateurs), etc. Les réseaux sociaux sont devenus un modèle de savoir universel, sans frontières et sans obstacles à la communication et aux relations. Lieux de divertissement, de commerce, de publicité, d’informations, de dénonciation et de contrôle populaire, les réseaux sociaux rassemblent la somme de tous les désirs individuels et collectifs en portant en son paroxysme l’idéal de transparence. Selon S. Gallot et L. Verla (2016, p. 206) :

Le concept de transparence s’est institutionnalisé dans les usages et pratiques pour s’établir comme une norme de l’information et de la communication érigée en utopie, voire en symbole du Web et de la transparence de la Toile dont l’idéal de vérité, la culture ouverte de l’information, la responsabilité citoyenne, la participation et l’information démocratique ou encore la gouvernance ouverte constitue désormais les concepts-clés.

Ce qui se joue ici, pour Gallot et Verla, c’est l’érection du réseau social en symbole d’un idéal démocratique, une sorte d’« imaginaire Internet » nourrit d’idéaux politiques, démocratiques et culturels.

Très stimulante de ce point de vue est aussi la réflexion de Aïm (2006) pour qui, dans nos sociétés, l’utopie de la transparence doit être appréhendée comme « double » : premièrement via la transparence supposée du support numérique, qui fait référence à une dimension strictement technique ; deuxièmement via une « transparence active » des acteurs, «  qui s’inscrivent dans une volonté politique affichée, celle de l’engagement et de la publicité » faisant de leur communication, une action, une « maxime de la transparence » qui ne serait autre qu’une forme renouvelée et contemporaine d’une « maxime de la vérité ».

Ce que la révolution des réseaux sociaux opère comme changement, c’est fondamentalement la redéfinition de l’espace public. La notion d’espace public naît avec la démocratie grecque et établit la démarcation d’avec l’espace privé qui est relative à la maison, l’oikos. Considérées comme le laboratoire de l’espace public, les Lumières en feront un Öffentlichkeit c’est-à-dire « un cadre social dans lequel s’effectue sans les entraves de la censure une communication libre, qui prend pour sujet tout ce qui concerne la culture et la collectivité et le met ouvertement en débat » (N. Birkner et Mix, 2014, p. 285).

Dans De la révolution, H. Arendt (1963) pousse la réflexion plus loin en associant espace public et politique. Elle mettra ainsi en avant la dimension de la sphère publique d’être aussi « ce qui est montré », donc « au vu et au su de tout le monde ». Or, chez la philosophe, cette notion « d’apparition » publique est essentielle car apparaître a, pour elle, toujours à voir avec l’expression, le surgissement, le jugement par les pairs, les raisons données, la gloire aussi, et l’excellence. Elle fait ainsi une abstraction de la notion substantivée d’« un public » spectateur comme le public d’une pièce connoté de manière passive (celui qui reçoit le spectacle). Le public chez Arendt se pose et s’affirme, il n’est pas déposé là, dans la morne tristesse des choses inertes : le terme « public » rencontre chez Hannah Arendt un sens inverse et dynamique, car il caractérise l’action, le lieu où les choses et les êtres adviennent, en même temps que la liberté elle-même. L’espace public, chez Arendt, rejoint ainsi celle d’Habermas (1986) au sens d’un lieu accessible à tous au sein duquel l’échange discursif permet de formuler une opinion publique.

Pour Gallot et Verla, en rendant accessible le politique et la société aux internautes, en offrant des lieux de paroles, des informations et des analyses publiques, en permettant l’échange et les débats directs, l’espace virtuel peut en effet répondre à cette définition de l’espace public. Car, plus que tout autre média, les réseaux sociaux « alimentent la culture civique et participent à l’espace public » (Dahlgren, Relieu, 2000, p. 16) comme support démocratique à la « société de l’opinion ». Gallo et Verla (2016, p. 208) écrivent :

Cet espace virtuel porte ainsi les « promesses de transparence, de démocratie, générateurs de connexions qui brisent l’atomisation de la société de masse » (Neveu 2006), il redéfinit les frontières entre l’individu, la société et les organisations : il devient le symbole d’un idéal démocratique, d’un idéal de transparence.

Mais au-delà d’une cité politique plus transparente, les réseaux sociaux, conduisent à un éclatement des champs de la transparence. Aussi, tendons-nous vers une cité marchande qui se veut de plus en plus transparente. Il y a désormais, un bouleversement du mode de communication entre les entreprises et les clients. Les entreprises investissent les réseaux sociaux et sont dorénavant contraintes de rentrer dans des logiques de « services directs » relationnels, en inscrivant leur stratégie globale dans une perspective durable établie sur une relation qui se veut de confiance. L’avis du consommateur prend du poids face à des stratégies mercantiles de plus en plus défiées.

La vie publique, professionnelle et privée ne sont pas épargnées par ce désir de transparence. Les individus possèdent aujourd’hui une identité sociale stable et une identité numérique construite qui sont en permanente tension. L’identité numérique conçue comme l’extension de l‘identité sociale est constituée par l’ensemble des données qu’un individu publie en ligne au travers desquels celui-ci façonne la perception que les autres ont de lui. Sur les réseaux sociaux, chaque individu possède un compte lié à son profil. Il affiche au travers de ce profil une forme de transparence stratégique. Il sait qu’en exposant sa vie sur Internet, il la soumet au regard des autres, de ses proches, de ses collègues, de son patron, de l’administration, l’information et sa transparence bien que voulues maîtrisées lui font prendre un risque pour sa vie privée. Il se donnera donc une image façonnée, taillée sur mesure pour occuper « son espace virtuel » et participer au réseau, se différencier, se faire « entendre », voir, séduire, plaire, manipuler, etc. (Wolton, 1997, page).

Il est indéniable qu’avec la révolution des réseaux sociaux, la notion de transparence connaît un éclatement spectaculaire. De la politique à la vie privée en passant par la vie professionnelle et publique, la transparence, en s’infiltrant dans les interstices de l’existence, devient pour nos sociétés en quête de valeurs démocratiques, une idéologie qui s’emploie à occuper insidieusement les grands systèmes idéologiques du XXe siècle. Cette obsession de la transparence, loin des idéaux d’une société sans opacités et sans ombres dans laquelle l’individu se trouve en adéquation avec lui-même, n’engage-t-elle pas la société contemporaine dans un processus de dissociation et de divorce entre les valeurs républicaines et les valeurs démocratiques inaugurées par la modernité ? Autrement dit, l’idéologie de la transparence ne constitue-t-elle pas un malaise dans la démocratie ?

3. Mythe de la transparence et crise de la démocratie contemporaine

« La lumière du soleil est le meilleur désinfectant », disait Louis D. Brandéis, juge à la cour suprême des États-Unis d’Amérique de 1916 à 1939. Qui voudrait moins de transparence ? Personne en effet ! Tout semble tellement aller de soi. Il s’agit de tout mettre sur la table ; en finir avec les secrets, les ruses, les fourberies, les cachotteries, les manipulations, les dissimulations, les coups bas et les coups fourrés. Car comme le note S. Dieguez (2021, p. 1) : « La transparence est quasiment devenue synonyme de – démocratie : un peuple libre est, un peuple éclairé et correctement informé, donc plus, il aura d’informations brutes à sa disposition, mieux, il sera en – mesure de se déterminer ». L’absence de transparence signifie ipso facto opacité, conflits d’intérêts, jeux d’influences, propagande et corruption. Mais cette attirance de la transparence ne prépare-t-elle pas le lit de la mort de la démocratie ?

Dans un des récits les plus étranges et les plus beaux que le romantisme allemand ait engendrés (L’homme qui a perdu son ombre), A. V. Chamisso (1984) raconte l’histoire de Peter Schlemihl, l’homme qui a vendu son ombre au diable contre la bourse de Fortunatus – bourse magique qui reste pleine en toutes occasions.  S’étant réveillé un matin avec le sentiment désagréable que quelque chose lui manque, Peter s’avise alors de l’importance que son ombre revêt à ses yeux et aux yeux des hommes, lesquels prennent maintenant grand soin de l’éviter. Il y a chez P. M. Defarges (2013, p. 1), dans ce récit, sans nul doute, une similitude avec la condition de l’homme contemporain avide d’anéantir toute part d’ombre.

H. Arendt a le mérite d’avoir été l’une des premières intellectuelles à avoir porté contre la transparence une critique acerbe.  Sa critique, dirigée contre le totalitarisme, fustige l’usage de la transparence comme l’alibi des dérives totalitaires. En effet, à la dérive de la pensée rousseauenne, l’utopie totalitaire, à défaut de retrouver l’homme à l’état de nature, veut fabriquer un homme nouveau. Pour y parvenir, elle érige la règle, la surveillance et l’aveu comme moyen de réinvention du « communisme primitif », c’est-à-dire l’idéal des relations sociales sans malentendus, sans conflits et sans nuisances. Ce constructivisme en quête d’une vision panoptique de l’ordre social (Betham, 2002), loin d’apparaître comme la mise en place d’un système de contraintes destiné à peser sur les libertés, se donne au contraire comme un mode d’organisation fonctionnelle de la société visant préventivement, à rendre le mal impossible, à éviter la sanction et à garantir les droits de ceux qui n’ont rien à se reprocher.

Comme hier, aujourd’hui, la part prépondérante que l’on confère à l’objectif de transparence dans le processus de démocratisation des sociétés appelle de la part de la réflexion intellectuelle une vigilance accrue. Il est urgent que l’on comprenne que le refus de l’opacité et du secret n’autorise pas à demeurer sourd et aveugle au danger que représente l’idéologie de la transparence pour les principes républicains qui garantissent les libertés.

Pour K. Niamkey (1988, pp. 290-292) dans le contexte actuel marqué par la crise de la souveraineté et de l’autorité de l’État, la logique de l’idéologie de la transparence épouse en apparence, le mouvement de remise en cause de la raison d’État. En réalité, reposant sur la prévention qui lui donne des allures non répressives d’un régulateur social permanent, l’idéologie de la transparence privilégie la non-conflictualité, récuse les modalités contraignantes de l’exercice de la tutelle de l’État sur la société civile. Aussi K. Niamkey croit-il que la logique du refus du conflit caractéristique de l’idéologie de la transparence induit, pour l’État, la nécessité de faire sa mue en abandonnant sa figure d’État providence pour devenir un État préventif.

Défini littéralement comme un État qui a pour fonction d’empêcher que se produise le mal, l’exigence d’un État préventif dérive d’une idéologie de l’absence de conflit qui suppose, d’une part, qu’aux rapports de civilité empreints d’intérêts, de choix contradictoires, et d’affrontement inévitables, il faut substituer ou préférer la transparence de l’organisation, la transparence du cadre réglementaire ou législatif ; d’autre part, que la tutelle de l’État sur la société civile ne s’exerce plus par la contrainte parce que, l’État est désormais dans l’obligation de se substituer comme un partenaire de droit commun, de s’astreindre à respecter les mêmes lois que le citoyen et de donner lui-même de la transparence et de la vertu. La conséquence inévitable est que cette dilution du pouvoir, dans la société civile, conduit à penser le pouvoir comme une activité privée parmi d’autres, au lieu de le percevoir comme étant au service de la société. « Désormais on ne voit plus nulle part des hommes d’État, mais des hommes de pouvoir. Le soupçon devient le lot indissociable de leur action qu’on ne juge que pour dévoiler les arrières-mondes et les arrière-pensées » écrit K. Niamkey (1998, p. 295).

Inversement, dans une sorte d’ironie du sort, l’idéologie de la transparence est devenue une stratégie du pouvoir entre les mains des responsables politiques au même titre que l’opacité d’hier avec en prime l’alibi de la satisfaction morale après l’acte. L’on assiste, pour ainsi dire, de manière planifiée, chez les acteurs politiques, l’indiscrétion, la fuite calculée, la déclassification et la divulgation des archives interdites, la divulgation des délibérations des conseils de ministres, etc. Le fait est que, l’idéologie de la transparence, en supprimant la différence entre le paraître et l’être, fait croire que le paraître dit l’être qu’il livre à bout portant du voir.

On comprend donc l’importance qu’elle confère aux médias et tout particulièrement les médias sociaux en ligne, ces dernières années, comme hier, la radio, le cinéma et la télévision furent ses cibles. Tribune mondiale d’échanges, les réseaux sociaux s’apparentent faussement à l’agora des Grecs et provoquent la confusion entre l’exigence moderne de transparence et la vertu démocratique antique du franc-parler « parrhésia » exigée de ceux qui gouvernent ou qui sont destinés à le faire.

P. Flichy (2008, p. 10) a vite fait de dénoncer le simulacre des débats que semble rendre possible ces réseaux sociaux. Pour lui, les débats sur Internet en général et sur les réseaux sociaux en particulier, concourent à une multiplication des points de vue sans partage ni débats d’idées profond. Il s’agit ni plus ni moins simplement d’échanges d’informations de manières sectorisées en communautés et produisant, de ce fait, des structures sociales « clôturées » qui au fond balkanisent le discours politique. La proximité que les réseaux sociaux créent entre les politiques, les organisations, les acteurs sociaux et les citoyens, loin d’être un rapport du franc-parler constitutif de la démocratie, n’est enfin de compte qu’un rapport superficiel sans enjeux notables. Comme l’ont si bien vu Gallo et Verla (2016, p. 214) :

L’exposition des opinions domine, mais les débats et discussions sont peu poussés, les formats de rédactions sont peu propices aux longues argumentations (ex. nombre de caractères imposés dans les Tweets). Les débats en ligne ne sont qu’un simulacre (guerres d’injures) et ne correspondent en rien à la définition de l’espace public : les arguments sont souvent irrationnels, une importante inégalité biaise les débats et la recherche de consensus quasi-inexistante.

Dans une analyse consacrée à la « parrhésia », la pratique grecque du franc-parler à laquelle veut aujourd’hui s’assimiler les débats sur les réseaux sociaux, Foucault (2009) montre que, dans la Grèce antique, la vertu démocratique du franc-parler s’inscrit dans la constellation des rapports de la subjectivité à la vérité. La vérité elle-même requiert, pour sa production, un parcours initiatique fondé sur le gouvernement de soi et le courage (courage de dire la vérité). Car, le souci de véridiction qu’implique la « parrhésia » suppose l’accord du vivre et du dire qui culmine dans la constance pour fonder la crédibilité. (F. Gros, 2012). La dimension morale de cette exigence est aux antipodes de l’idéologie de la transparence. Celle-ci tue la vérité en banalisant l’état d’esprit d’inquisition. Ainsi, tout devient matière à enquête et à procès d’intention car pour mener à bien sa tâche de démystification, elle a besoin de voir partout de l’ombre.

Conclusion

Il y a, sans nul doute, que la mission de transparence s’impose aujourd’hui comme le centre d’intérêt le plus préoccupant pour garantir la démocratie. À l’heure où la corruption, les mensonges, les manipulations et la tricherie sont devenues des gangrènes pour les sociétés, le besoin de transparence apparaît comme une urgence pour faire la lumière sur les zones d’ombre qui polluent la vie politique, économique et sociale, qu’il s’agisse de corruption, de chantages ou d’abus de pourvoir. Il s’agit d’éliminer, avant qu’ils ne se produisent, les petits arrangements et les grands scandales. Les réseaux sociaux ont inauguré une ère nouvelle en faisant du citoyen un acteur incontournable à la fois demandeur et juge de cette transparence.

Mais, le besoin de plus en plus accru de transparence a fini par opérer une révolution : la transparence, pensée comme un moyen d’exercice du pouvoir et de son contrôle, s’est muée en une fin en soi. G. Carsonne (2001, p. 23) qualifie ce chantage à la transparence et à la vertu du paraître de « névrose de la transparence » qui au lieu d’être « la quintessence de la démocratie » devient plutôt son « antipode ». Comme il écrit :

Or, à ne pas la ramener à ce qu’elle doit être – un moyen, dont l’utilité comme la légitimité se mesurent à l’aune des objectifs qu’elle sert -, la transparence est une menace. Devenue une fin en soi, elle s’imposera d’elle-même, n’aura nul motif à s’arrêter ici ou là, s’insinuera partout, irrésistiblement, sous le masque fallacieux d’une exigence démocratique. Au terme de l’évolution se révélera son paradoxe : la démocratie aura réalisé le rêve du totalitarisme.

Dès lors, l’heure d’une transparence rationnelle n’a-t-elle pas sonné ?

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AXE 2 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ÉDUCATION

DE LA RESPONSABILITÉ DES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES DANS L’INCONDUITE DES ADOLESCENTS EN CÔTE D’IVOIRE

Koffi Jacques Anderson BOUADOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

bouadou80@yahoo.fr

Résumé :

Les réseaux sociaux numériques sont apparus dans notre quotidien comme des moyens d’informations, de formation, de communication et d’apprentissage. Ils ont conquis les cœurs de toutes les catégories d’âge, plus particulièrement les adolescents. Ceux-ci s’en servent pour diverses tâches. La chercheuse britannique Sonia Livingstone (2010) les qualifie, à cet effet, de « Digital Natives » ou « natif digital ». Mais aujourd’hui l’usage des réseaux sociaux suscite de nombreux commentaires. En Côte d’Ivoire l’usage de ces outils constitue une préoccupation pour les autorités et les ménages car ils modifient profondément le comportement des adolescents.

Notre recherche évalue le problème suivant : quel est l’impact de l’usage des réseaux sociaux numériques sur la conduite des adolescents ivoiriens ? L’hypothèse de l’étude révèle que les réseaux sociaux numériques ont entrainé les adolescents dans des dérives comportementales. Nos enquêtes ont ciblé 175 personnes au moyen de l’échantillonnage de commodité et également de la méthode boule de neige. L’étude s’inscrivant dans une approche mixte, a le mérite d’examiner les usages que les adolescents ivoiriens réservent aux réseaux sociaux en vue de comprendre leurs implications dans la mauvaise conduite de ces adolescents ; lesquelles implications apparaissent sous diverses formes : cyberharcèlement, cybercriminalité, pornographie, partages de nudes, vol d’identité d’autrui.

Mots clés : Adolescents, Dérives, Éducation, Inconduite, Réseaux Sociaux Numériques.

Abstract:

Digital social networks have appeared in our daily lives as means of information, training, communication and learning. They have won the hearts of all age groups, especially teenagers. They use it for various tasks. British researcher Sonia Livingstone (2010) describes them, for this purpose, as “Digital Natives”. But today the use of social networks gives rise to many comments. In Ivory Coast, the use of these tools constitutes a concern for the authorities and households because they profoundly modify the behavior of adolescents.

Our research evaluates the following problem: what is the impact of the use of digital social networks on the behavior of Ivorian adolescents? The study’s hypothesis reveals that digital social networks have led adolescents into behavioral excesses. Our surveys targeted 175 people using convenience sampling and also the snowball method.  The study, which is part of a mixed approach, has the merit of examining the uses that Ivorian adolescents reserve for social networks with a view to understanding their implications in the misbehavior of these adolescents; which implications appear in various forms: cyberharassment, cybercrime, pornography, sharing of nudes, identity theft of others.

Keywords : Adolescents, Excesses, Education, Misconduct, Digital Social Networks.

Introduction

Depuis le début du XXIe siècle, selon St-Pierre Marjolaine (2022) les réseaux sociaux électroniques (e-RS) et les médias sociaux électroniques (e-MS) constituent des moyens de communication incontournables. Cette réalité virtuelle a incontestablement transformé nos États et modifié les rapports entre les individus. Les réseaux sociaux ont conquis les cœurs de toutes les catégories d’âge, plus particulièrement les adolescents. Ceux-ci s’en servent pour diverses tâches. La chercheuse britannique Sonia Livingstone (2010) les qualifie, à cet effet, de « Digital Natives » ou « natif digital.

Les usages juvéniles des médias sociaux s’inscrivent dans une dynamique éminemment relationnelle (Susannah Stern, 2008). Mais cet outil révolutionnaire peut avoir un impact néfaste sur le développement de l’adolescent. Conçus initialement pour faciliter les rapports entre les individus, décomplexifier la communication, ils sont aujourd’hui sujets à critique. Les réseaux sociaux se sont développés à un rythme effréné et sont apparus dans notre quotidien comme des moyens d’information, de formation, de communication. Les relations y sont davantage fondées sur les possibilités d’échange et d’apprentissage (Olivier Le Deuff, 2011). Mais il est important de relever que leurs usages ont été dévoyés par certains utilisateurs notamment par des adolescents qui s’en servent pour des activités peu catholiques, les entrainant ainsi sur le chemin de la dérive ; ignorant que certains actes sont constitutifs d’infraction et donc entrainent des sanctions. La problématique de l’usage des réseaux sociaux est au cœur des préoccupations du gouvernement et des ménages au regard de leurs impacts négatifs sur la conduite des adolescents. Bien que certains les utilisent dans un cadre purement scientifique et commercial, d’autres par contre les utilisent pour des activités délictueuses, détournant ainsi les finalités originelles de la création des réseaux sociaux numériques. Ils apparaissent dans leurs nouveaux rôles comme des vecteurs de criminalité moderne. Notre recherche évalue donc le problème suivant : quel est l’impact de l’usage des réseaux sociaux numériques sur la conduite des adolescents ivoiriens ? De ce problème découle une question principale : Comment les réseaux sociaux impactent-ils au plan moral le comportement des adolescents ?

Cette question principale fait naître des interrogations : quels sont les différents impacts des réseaux sociaux numériques dans le comportement des adolescents ivoiriens ? Quels usages ces adolescents réservent-ils aux réseaux sociaux numériques ? Quels sont les réseaux sociaux numériques qui influencent les comportements de ces adolescents ?

L’hypothèse principale de l’étude révèle que les réseaux sociaux numériques ont entrainé les adolescents dans des dérives comportementales. Quant aux hypothèses subsidiaires, la première relève que les adolescents ivoiriens ont personnalisé l’emploi des réseaux sociaux numériques. La deuxième hypothèse relève qu’ils utilisent les réseaux numériques à des fins de prostitution, de cybercriminalité, de vol d’identité, de dénonciations calomnieuses, de diffamation d’autrui. La troisième hypothèse quant à elle fait savoir que Facebook, Whatsapp, Tik Tok, Instagram influencent leurs comportements.

Notre étude s’inscrivant dans une approche mixte, a le mérite de montrer les différents impacts des réseaux numériques dans le comportement des adolescents ivoiriens ; relever les différents usages que ces adolescents réservent aux réseaux sociaux ; identifier les réseaux sociaux numériques impactant leurs conduites en société et proposer des solutions en vue d’un usage responsable de l’internet par les adolescents ivoiriens.

1. Méthode et matériels

Notre étude s’inscrit dans une approche mixte (quantitative et qualitative). Elle s’est déroulée durant un mois à Abidjan plus précisément à l’Institut Universitaire d’Abidjan (IUA) et à Bouaké au campus 2 de l’Université Alassane Ouattara (UAO). Les données de l’étude recueillies auprès de 175 personnes au moyen de l’échantillonnage de commodité, de la méthode boule de neige sont réparties comme suit : 60 étudiants adolescents au campus 2 de l’UAO, 40 à l’IUA, 50 profils d’utilisateurs Facebook et 25 parents qui ont répondu à notre questionnaire alors que nous en avons ciblé 100, correspondant au nombre d’adolescents rencontrés sur les deux espaces. Aux adolescents interrogés, nous leur avons remis un questionnaire pour leurs parents. Seulement 25 parents ont réagi au questionnaire à eux transmis. Concernant les internautes, nous avons pu recueilli 50 réactions par rapport aux questions posées sur deux fora de discussion Facebook : « Gbairai Ivoirien » (166809 followers) et « J’aime ma Côte d’Ivoire » (493000 followers). Ces deux fora sont beaucoup visités par de nombreux profils d’adolescents. Nous avons recueillis 28 réactions sur « Gbairai Ivoirien » et 22 sur « J’aime ma Côte d’ivoire ». Les réactions correspondent au nombre de personnes ayant commenté notre publication sur les deux espaces virtuels d’échanges. Il faut reconnaitre que notre publication n’a pas suscité d’engouement sur les deux fora. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la majorité des sujets débattus sur ces espaces d’échanges revêt rarement un caractère scientifique.

Le choix des deux établissements d’enseignement supérieur comme terrain de recherche est motivé par le fait que ces établissements abritent un grand nombre d’adolescents utilisateur et friand de réseaux sociaux numériques. Ces adolescents ont un usage très varié des réseaux sociaux et sont inscrits dans des communautés ou groupes de discussions en ligne. Ils sont régulièrement présents sur Facebook, Whatsapp, Instagram, Tiktok et ont pour la plupart développé des activités de vente de produits cosmétiques ou de vêtements en ligne.

Notre enquête a été réalisée aux moyes du questionnaire, d’entretiens semi directifs et de documentation. Le questionnaire adressé aux adolescents a tourné essentiellement autour des types d’usages qu’ils font des réseaux sociaux numériques et des probables influences que ces outils exercent sur eux. Les parents ont été invités à se prononcer sur l’usage des réseaux sociaux par leurs enfants et l’impact de ces outils sur le comportement de ceux-ci. Au niveau des fora virtuels de discussion, les questions ont eu les mêmes centres d’intérêts que celles posées aux adolescents.

Nous avons convoqué deux théories pour atteindre les objectifs de la recherche. Il s’agit de la théorie de l’appropriation des TIC et celle de l’impact des TIC. La théorie de l’appropriation stipule que l’usager s’approprie l’objet technique en le personnalisant à des buts autres que le fabricant destinait son objet (Guillaume Latzko-Toth et Serge Proulx, 2015). Quant à la théorie de l’impact des TIC elle se présente comme une évaluation des effets d’une cause ou d’une série de causes (évènements, processus) qui provoquent un changement. Cette notion est d’un usage courant en Sciences de Gestion, pour souligner notamment les aspects négatifs d’un effet (Daniel Bonnet, 2012). Ces deux théories nous ont permis de cerner d’une part les différentes finalités que les adolescents donnent aux réseaux sociaux et d’autre part, les influences que ces outils exercent sur leurs conduites en société.

2. Résultats

2.1. Statistiques concernant l’utilisation d’internet en Côte d’Ivoire en janvier 2023

Selon le site Digital Mag-Côte d’Ivoire, la Côte d’Ivoire jusqu’en janvier 2023 comptait 12.940.000 internautes, soit un taux de pénétration de 45,4 %. Par ailleurs à la même date (Janvier 2023), elle comptait également 5.100.000 d’utilisateurs de médias sociaux soit 17,9 % de la population totale. Le réseau social Facebook comprend 4.650.000 utilisateurs. Instagram 708700 d’utilisateurs. Facebook Messenger 1.500.000 utilisateurs LinkedIn 1.100.000 membres et Twitter 244.900 utilisateurs.

2.2. Types de réseaux sociaux numériques influençant le comportement des internautes adolescents et leurs usages

Tableau 1 : des réseaux sociaux numériques influençant les comportements des internautes adolescents interrogés et leurs usages

Nombre d’internautes adolescents interrogésRéseaux sociaux numériquesDifférents usages des réseaux sociaux chez les enquêtésPourcentage
      30      Facebook-Échanger avec des proches -Partager et commenter des informations -Publier des stories    30%
    26     WhatsappÉchanger avec des correspondants -Publier des photos et vidéos en statut  26%
      22      Tick tok-Publier des photos et vidéos visibles par le public -Répondre aux challenges Tick tok en imitant des artistes  22%
  14  InstagramPublier des photos et vidéos visibles par tous14%
8LinkedinMettre mon CV en ligne -M’informer sur le monde professionnel8%
Total : 100   Total : 100%

Source : Données de l’enquête.

Le tableau ci-dessus met en relief les différents réseaux sociaux numériques impactant les conduites des adolescents interrogés et leurs usages. Les adolescents interrogés au nombre de 30, soit 30% utilisent Facebook pour échanger avec des correspondants, commenter des publications et poster des stories. Pour 26% des enquêtés, Whatsapp apparait comme leur hobby. Ils y sont régulièrement connectés pour des discussions de groupe, des publications de statuts.

Le réseau social Tick tok est utilisé par 22% des adolescents. Ils s’y connectent pour des partages publics de vidéos, répondre aux challenges tick tok, réaliser des vidéos les mettant en scène et destinés à leurs followers. Concernant Instagram, 14 utilisateurs soit 14%, affirment qu’ils se connectent pour créer des contenus et diffuser leurs photos et vidéos. Linkedin est le réseau social le moins utilisé par les adolescents Seulement 8% s’y intéressent. La majorité des enquêtés soutiennent que LinkedIn étant un réseau social de professionnels, il leur est impossible de se divertir sur cet espace. Mais à l’opposé, ceux des adolescents qui s’y abonnent, assurent vouloir nouer des contacts avec des responsables d’entreprises et des travailleurs du secteur public et privé. De ce qui précède, nous retenons que l’intérêt des enquêtés pour les réseaux sociaux réside dans le divertissement. Peu, sont portés sur leurs usages scientifiques.

2.3. Différents usages dévoyés des réseaux sociaux numériques par les adolescents

Tableau 2 : des différents usages dévoyés des RSN par les adolescents

  Implications des réseaux sociaux numériques dans les dérives comportementales des adolescents en Côte d’Ivoire-Favoriser la recherche du gain facile  -Permettre la tricherie à l’école -Rendre les adolescents irrespectueux envers leurs parents -Favoriser la cybercriminalité -Créer des cyberharceleurs -Engendrer la Prostitution et le proxénétisme en ligne -Créer des déviants sexuels -Occasionner l’exhibitionnisme -Favoriser le vol d’identité d’autrui   -Contribuer aux dénonciations calomnieuses et à la diffamation d’autrui      

Source : Données de l’enquête.

Les données portées dans le tableau sont issues des différents entretiens semi directifs réalisés dans le cadre de la recherche. De ces entretiens, il ressort que les réseaux sociaux numériques sont fortement impliqués dans les dérives comportementales observées chez les adolescents. Les étudiants rencontrés assurent ne pas poser d’actes délictueux sur les réseaux sociaux, mais par contre, ils connaissent des personnes qui s’adonnent à des actions répréhensibles sur l’internet. Ainsi l’usage personnalisé des réseaux sociaux déteint sur le quotidien des adolescents. Ils s’approprient tout ce qu’ils voient sur Internet, les intègrent à leurs comportements et les reproduisent. Leurs agissements sont donc influencés par ce qu’ils ont vu ou lu sur l’internet. Les enquêtés nous ont confié que bon nombre de leurs amis s’adonnent à l’arnaque, au vol d’identité d’autrui et à la prostitution sur Facebook. « L’un de mes condisciples a une correspondante européenne sur Facebook, il lui demande constamment de l’argent à travers des supercheries » (D.F, 19 ans, étudiant en licence 2 Lettres modernes, UAO). Aussi les réseaux sociaux numériques renferment-ils des fonctionnalités qui poussent les utilisateurs à la dérive. Par conséquent, certains usagers adolescents ivoiriens apparaissent comme des individus ayant perdu toute valeur morale.

2.4. Différents impacts des réseaux sociaux numériques sur les adolescents interrogés

À la question de savoir si les réseaux sociaux impactent leurs comportements en société, 77 adolescents sur les 100 enquêtés dans les deux établissements de l’enseignement supérieur (UAO, IUA) ont répondu oui. En revanche 23 adolescents ont répondu par la négation. Ces impacts sont positifs d’une part et négatifs d’autre part. A ce sujet, 15 étudiants ont reconnu que leurs attachements aux réseaux sociaux numériques ont occasionné des conflits familiaux. « Mes parents m’ont arraché mon téléphone parce que je passais assez de temps sur facebook » (M. K., 19 ans, Licence 1 SLC, Université Alassane Ouattara, Bouaké).

Selon 10 adolescents interrogés, les réseaux sociaux numériques ont tué en eux l’engouement pour la révision des cours.. « Parfois j’oublie que je dois bosser tellement captivée par Tick-tok » (A. E., 18 ans, étudiante en licence1 Communication, Institut Universitaire d’Abidjan). Par ailleurs, 75 étudiants soutiennent que certains de leurs amis s’adonnent à des pratiques délictueuses sur les réseaux sociaux : arnaque, prostitution, exhibition, publication de fausses informations. « Ma camarade se prostitue en ligne » (K.F, 20 ans, étudiante en Licence 2 Sociologie, Université Alassane Ouattara, Bouaké.)

Les 25 parents interrogés ont unanimement reconnu que les réseaux sociaux, hormis leurs avantages, ont des effets dévastateurs sur la conduite des adolescents. « Les réseaux sociaux présentent des impacts plus négatifs chez les jeunes, car beaucoup d’entre eux passent la plupart de leur temps à publier des photos, des vidéos obscènes ». (A. T., 53 ans, électricien, Bouaké). « Les adolescents s’inscrivent dans des groupes qui ne parlent que de la sexualité ». (B. Y., 49 ans, Enseignant, Cocody, Abidjan).

Parmi les 50 internautes qui ont réagi à nos publications, 35 ont démontré l’ascendance des réseaux sociaux sur les adolescents. De tous les commentaires reçus suite à la question : « Les réseaux sociaux impactent-ils négativement votre comportement en société ? », les 35 profils adolescents ont proféré des injures plutôt que de répondre à la question posée. Par contre 15 ont répondu qu’ils se connectent pour échanger et s’informer.

2.5. Contributions en vue d’un usage responsable des réseaux sociaux numériques par les adolescents ivoiriens

Que faire face aux nombreuses dérives comportementales chez les adolescents, consécutives à l’usage dévoyé des réseaux sociaux ? Avant toute ébauche de solutions, il faut reconnaitre la responsabilité des parents dans l’usage abusif et détourné des réseaux sociaux numériques chez les adolescents. En effet pendant nos enquêtes certains parents ont reconnu avoir offert des smartphones à leurs enfants. Ils se chargent également de leur payer des datas. Pis, ils n’exercent aucun contrôle sur la manière dont ces datas sont utilisés. Cela donne l’impression que ces parents veulent occuper leurs enfants afin qu’eux-mêmes s’occupent librement à d’autres choses. Il faudrait donc sensibiliser les ménages sur les dangers d’une mauvaise utilisation des réseaux sociaux par les enfants. Au niveau familial, les parents devront exercer un contrôle sur ‘’ce que leurs enfants font sur les réseaux sociaux’’. Au plan académique, le Ministère de l’Éducation Nationale se doit d’élargir les cours d’éducation aux médias à tous les apprenants en milieu scolaire. Pendant les cours, les enseignants devront sensibiliser les adolescents sur les dérives des réseaux sociaux numériques. Une synergie d’action entre l’’État et les ONG protectrices de l’enfant s’impose afin de sensibiliser les usagers adolescents à un emploi rationnel et responsable de l’internet. Les médias publics et privés doivent diffuser des émissions et téléfilms sur le bon usage des réseaux sociaux numériques. Par ailleurs une vulgarisation du cadre normatif régissant ces outils virtuels, s’avère nécessaire, afin de persuader pour leur bon usage. L’État devrait permettre aux ingénieurs en réseau et télécommunication de trouver un mécanisme favorisant l’utilisation raisonnée des réseaux sociaux.

3. Discussion

Initialement conçu pour rapprocher les individus et favoriser des rapports fraternels et professionnels, les réseaux sociaux ont subi une profonde mutation, et certains usagers pervertissent leurs finalités originelles. De nos travaux, il ressort que l’usager adolescent a personnalisé l’emploi de ces outils à des finalités qui paraissent avantageuses indépendamment du destin primordial de l’objet. Mais force est de constater que les réseaux sociaux numériques ont un impact véritable sur les adolescents ivoiriens. Ce qui amène Monique Dagnaud (2013) à considérer les adolescents comme des acteurs sociaux dont le rapport au monde est impacté par les mutations des modes d’expression identitaire, par la médiation des outils numériques et par la mise en réseau des savoirs.

La puissance des réseaux sociaux multiplie les risques et les dérives constatées dans la conduite des adolescents en société. Leurs mauvaises utilisations brisent les barrières entre vie publique et vie privée. Les adolescents publient tout, partant des vidéos à des photos obscènes sans tenir compte du fait que ce n’est pas tout qu’on expose sur les réseaux sociaux. Des étudiantes adolescentes interrogées pendant nos enquêtes, nous ont confié qu’elles publient parfois des photos un peu obscènes sur Tiktok et Instagram dans le but d’accroître leurs followers. Ainsi donc, ce sont des images d’adolescentes qui devraient relever de l’intimité qui pullulent sur l’internet. En outre, faut-il signifier que ces images et vidéos publiées sont majoritairement des données sensibles au sens de l’article 1 de la loi ivoirienne n°2013-450 du 19 juin 2013 relative à la protection des données à caractère personnel. Elle vise à protéger la vie privée des personnes physiques (et même les intérêts des personnes morales) à l’égard du traitement de leurs don- nées personnelles par des tiers. Ces données sont strictement encadrées par l’article 10 du Règlement Général de Protection des Données RGPD. Les réseaux sociaux, bien utilisés constituent des moyens d’apprentissage et d’intégration à un groupe. Ils constituent une forme spécifique de coordination entre acteurs et une forme de sociabilité c’est-à-dire réseaux internet, associations d’anciens élèves, etc. (Pierre Merckle, 2011). Depuis plusieurs années, les médias sociaux numériques ont bouleversé les pratiques communicationnelles des organisations (Florence Millerand et al, 2010), lesquelles font désormais face à des publics à la fois éclatés, actifs et exigeants. Ils renferment des atouts en matière de formation si l’on sait les utiliser. Facebook prolonge les relations entre les individus en dehors des lieux physiques. Twitter par exemple, permet de nouveau types d’échanges. A contrario, leur mauvais usage précipite les adolescents dans des comportements délictueux, tels que la cybercriminalité, la prostitution, le vol d’identité (procédé par lequel certains adolescents créent des profils à la place de certaines personnes et se font passer pour elle sur internet), les injures, les diffamations publiques ou privées, les troubles sexuels dus à l’accès facile à la pornographie sans filtre et sans contextualisation. Pendant les entretiens, certains adolescents nous ont confié être délaissés par leurs parents. Sans repères fiables, ils se sont donc tournés vers les réseaux sociaux numériques pour expérimenter certaines pratiques. L’usage du numérique prend donc place dans un contexte de distanciation des jeunes vis-à-vis de la référence parentale (Claire Balleys, 2017).

Les résultats de l’étude ont montré que les réseaux sociaux numériques extrêmement chronophages, ont rendu l’adolescent ivoirien oisif et ont contribué à son mauvais résultat scolaire. En effet, l’enfant y consacre plus de temps qu’à la révision de ses leçons. De ce qui précède, nous nous interrogeons avec Robert Larose (2010) qui se demande si aller sur Internet, peut conduire l’usager à une dépendance ou à une addiction au sens pathologique du terme ? À ce sujet Émilie Potin et al (2020, p. 9) assurent : « Incontournable, l’internet offre de multiples potentialités mais bouleverse l’organisation de la famille, de l’école… Il oblige les adultes à s’interroger sur la manière d’accompagner les adolescents dans l’usage qu’ils en font. » Pour Monique Dagnaud (2016), les réseaux sociaux reposent sur un paradigme à trois points : « free, free speech, free of charge ». Ce paradigme postule qu’un individu autonome possède de multiples capacités d’agir grâce à la puissance de la connectivité. Cela expliquerait donc l’usage libertin que certains adolescents font des réseaux sociaux numériques. Ils reproduisent le plus souvent dans leur quotidien, tout ce qu’ils découvrent sur internet. Aussi faut-il reconnaitre que les réseaux sociaux sont les terreaux fertiles des dérives de tout genre car ils renferment des fonctionnalités qui favorisent leur manifestation.

Conclusion

En guise de conclusion, nous retiendrons que les réseaux sociaux numériques initialement créés pour rapprocher les individus et décomplexifier la communication, sont aujourd’hui soumis à d’autres types d’usages par certains adolescents ivoiriens. Le mauvais usage de ces outils a fait perdre aux adolescents l’essentiel des valeurs morales ; a modifié considérablement leurs comportements en société et les a transformés en des cybercriminels, cyberharceleurs, prostituées, proxénètes, diffamateurs, voleurs d’identité en ligne, etc.

Les réseaux sociaux numériques ont donc leur part de responsabilité dans les dérives comportementales observées chez les adolescents en Côte d’Ivoire. Pour pallier ces différentes dérives, Il faudrait donc sensibiliser les ménages sur les dangers d’une mauvaise utilisation des réseaux sociaux par les enfants ; les parents devront exercer un contrôle sur ‘’ce que leurs enfants font sur les réseaux sociaux’’ ; les médias publics et privés doivent diffuser des émissions et téléfilms sur le bon usage des réseaux sociaux numériques.

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USAGE JUVENILE DES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES            ET EXPÉRIENCE DES DILEMMES MORAUX CHEZ LES MÈRES D’ADOLESCENTS À BOUAKÉ (CÔTE D’IVOIRE)

Yogblo Armand GROGUHÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

groguhearmand@gmail.com

Résumé :

Une recension des écrits révèle qu’il existe peu de connaissances sur les dilemmes moraux vécus par les mères et leurs solutions entourant l’usage des réseaux sociaux numériques par les adolescents. Le but de cette étude est de décrire ces dilemmes rencontrés par les mères et les façons dont celles-ci procèdent pour les résoudre. Une recherche exploratoire a été utilisée pour répondre à cet objectif. Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées auprès de 12 mères d’adolescents sélectionnées à partir de la technique d’échantillonnage du choix raisonné à Bouaké. L’analyse qualitative à visée phénoménologique des principaux résultats montre que toutes les mères mentionnent avoir rencontré des dilemmes moraux, et ce, en moyenne quatre fois par année et, ceux-ci leur ont fait vivre une certaine détresse. Ces dilemmes ont deux causes principales : les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents et les divergences d’opinions avec des membres de la famille. Pour résoudre ces dilemmes, les participantes affirment consacrer du temps à des discussions en famille et à de l’aide de partenaires externes comme les travailleurs sociaux. Les résultats de la recherche rejoignent en général ceux documentés dans les écrits sur les dilemmes moraux. Plus d’attention devrait être portée à ces dilemmes moraux en vue de développer des ressources éducatives et psychologiques susceptibles d’aider les mères d’adolescents à surmonter ces situations avec aisance et efficacité.

Mots clés : Adolescent, Dilemme moral, Parents, Réseaux sociaux numériques, Usage.

Abstract:

A literature review reveals that there is little knowledge about the moral dilemmas experienced by mothers and their solutions surrounding adolescents’ use of digital social networks. The purpose of this study is to describe these dilemmas faced by mothers and the ways in which they resolve them. Exploratory research was used to address this objective. Semi-structured interviews were conducted with 12 mothers of adolescents selected using the reasoned choice sampling technique in Bouaké. The qualitative phenomenological analysis of the main results shows that all mothers report having encountered moral dilemmas, on average four times a year, and these have caused them to experience some distress. These dilemmas have two main causes, partial follow-up to parental recommendations by adolescents and differences of opinion with family members. To address these dilemmas, participants report spending time in family discussions and seeking help from external partners such as social workers. The results of the research are generally consistent with those documented in the literature on moral dilemmas. More attention should be paid to these moral dilemmas with a view to developing educational and psychological resources that can help mothers of adolescents to overcome these situations with ease and effectiveness.

Keywords : Adolescent, Moral dilemma, Parents, Digital social networks, Usage.

Introduction

En Côte d’Ivoire, selon le rapport du CAIDP et de l’UNESCO (2017), 61% des 11-18 ans ont un appareil numérique en permanence avec eux, 31% se réveillent la nuit pour consulter leur appareil numérique. Les adolescents évoluent au rythme de ces réseaux sociaux et s’engouffrent rapidement dans ces outils qui leur permettent d’exprimer leurs désirs,

celui de pouvoir se cacher aux yeux des autres, qui définit la création d’une intimité, à la fois territoriale et psychique ; celui de pouvoir montrer certaines parties de soi aux autres; celui de n’être jamais oublié, autrement dit qu’un autre humain pense toujours à moi ; celui de contrôler la distance relationnelle qui m’unit aux autres tout en me séparant d’eux ; et enfin le désir de valoriser l’expérience réflexive qui fonde la perception de soi comme humain (S. Tisseron, 2011, p. 120).

Or, le numérique n’est qu’un outil, avec ses limites et ses travers. En effet, s’ils constituent de fabuleux moyens de rester en contact à travers le monde et de déployer la créativité, les réseaux sociaux numériques sont cependant vecteurs de nombreuses questions aiguisées par la réalité de la période de l’adolescence. Comme le soulignent d’abord plusieurs auteurs (S. Jehel, 2011 ; C. Balleys, 2022) sur la thématique du harcèlement scolaire et surtout de son dérivé, le « cyber-harcèlement » constituent aujourd’hui des marronniers médiatiques. Ensuite, la question de l’exposition à la pornographie notamment sur les sollicitations sexuelles non souhaitées expérimentées par les adolescents sur Internet (J. Lachance, 2019). Enfin, en ce qui concerne les usages du numérique, la thématique récurrente au sein des discours médiatiques, institutionnels et scientifiques est celle de l’addiction (S. Martin, 2010).

C’est pourquoi, dès l’acquisition du premier téléphone portable pour leur enfant ou à l’occasion d’un premier évènement, les parents choisissent de mettre en place des règles.  De nombreux adultes se sentent en responsabilité et en droit de l’encadrer, de le « recadrer », c’est-à-dire de le délimiter, et parfois de l’accompagner (F. Singly De, E. Ramos, 2010). Cependant, la complexité de la régulation parentale des pratiques numériques et médiatiques des adolescents peut engendrer des problèmes moraux au sein des familles (S. Démanceaux, F. Boudokhane-Lima, 2023 ; N. Dupin, 2018). Cette situation interroge les représentations que les adultes ont de l’adolescence, et participe d’une certaine manière à la dualisation dans les représentations entre ceux qui en soulignent les opportunités et ceux qui se focalisent sur les risques, voire les dangers qu’elle fait encourir aux processus habituels de transmission et d’éducation (J. Lachance, 2019 ; F. Barbara, G.-L. Agnès, M. Mickael Le, 2018). La période de l’adolescence est une période de développement moral « accéléré » et met en évidence la problématique de la crise identitaire. Elle se caractérise par le passage d’une logique de filiation à une logique de l’affiliation, qui marque la culture numérique des adolescents (A. Barrère, 2015). Plusieurs auteurs n’hésitent pas à qualifier les représentations des adultes face aux usages juvéniles du numérique comme une forme de panique morale (S. Coyne et al., 2014). Dans ces différentes recherches, les dilemmes recensés sont analysés comme des situations ambivalentes qui se manifestent chez les parents sous forme d’un conflit de devoir ou d’obligations et difficiles à gérer (S. Jehel, 2011 ; A. Barrère, 2015).

Qui dit « dilemme » dit choix entre des propositions contradictoires (S. Berthoz, J. Grèzes, 2011). Or, la morale agit comme un ensemble de repères pour un individu lorsqu’il se questionne sur les décisions à prendre (P. Fortin, 1995b). Ce dernier (1995a, p. 28) définit la morale comme « un ensemble de règles qui guident les êtres humains dans leur appréhension du bien et du mal et qui régissent leurs conduites individuelles et collectives » Selon notre définition, un dilemme devient moral lorsque des personnes sont impliquées dans une situation réelle et qu’il faut tenir compte des conséquences qu’une mise en œuvre d’actions amènerait dans leur vie. Le dilemme moral propose deux issues sans que l’une ou l’autre ne soit bonne ou juste a priori, où l’on essaie de prendre une décision qui fasse le plus de bien ou le moins de mal. Dans un dilemme moral, on ne vous demande pas ce que vous feriez mais ce que devriez faire (C. Piller, 2010).

Dans le contexte de cette recherche, nous nous intéressons à la relation dyadique mère-enfant, dans la mesure où selon des travaux de recherche, la gestion familiale des écrans connectés reste une « affaire de femme » répondant à l’injonction sociétale d’être une good mother sachant regarder les pratiques des écrans de ses enfants (C. Balleys, O. Martin S. Jochems, 2018 ; B. Havard-duclos, D. Pasquier, 2018). Cependant, des recherches menées auprès de parents ont montré à quel point les jugements moraux pesaient dans la relation aux usagers adolescents des réseaux sociaux numériques (A. Barrère, 2015 ; Démanceaux & F. Boudokhane-Lima, 2023). Les acteurs institutionnels transmettent aux familles une « injonction contradictoire » : « Ayez de l’autorité mais ne soyez pas autoritaire » (Frauenfelder, Delay, 2013, p. 186). Ces recommandations en matière de régulation de l’usage des réseaux sociaux numériques ne sont pas sans paradoxes et sans dilemmes pour les individus, en particulier pour les familles dans un contexte de transformation profonde des normes de la parentalité, des valeurs familiales et de la gestion des ménages (C. Balleys, 2022). Toutefois, à l’état actuel de nos connaissances, les dilemmes moraux vécus précisément par les mères entourant l’usage des réseaux sociaux numériques par les adolescents ne sont pas documentés et il en est de même des solutions pouvant être mises en avant afin de les résoudre.

À Bouaké, des mères ont fait remarquer auprès des intervenants sociaux dans des organismes communautaires, les maisons de famille et les services de l’assistance sociale, leur difficulté à décider de ce qui était bien ou juste dans la pratique numérique de leur adolescent. Nous intervenons en tant que personne-ressource dans les services de l’assistance sociale et dans les organismes communautaires à Bouaké sur les problématiques éducatives familiales. C’est à l’occasion de ces interventions que nous avons fait ce constat. Notre recherche s’inscrit donc dans la perspective d’une étude de cas. Elles étaient ainsi partagées entre le devoir de protection contre les dangers du numérique et la possibilité d’épanouissement offerte à l’enfant par ce canal dans l’écologie relationnelle au sein du foyer. Advenant une telle situation, les mères doivent-elles permettre à leur adolescent de s’ouvrir au monde et de déployer leur créativité, mais en risquant de le voir s’exposer à la pornographie, à l’harcèlement, à l’addiction et à la cybercriminalité ? Comment perçoivent-elles le dilemme moral ? Dans quelles situations éprouvent-elles de la difficulté à prendre des décisions concernant l’usage du numérique par leurs adolescents ? Comment font-elles face à ces moments de doutes décisionnels ?  Les hypothèses qui découlent de cette recherche sont les suivantes :

(1) Les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents conduisent à l’émergence des dilemmes moraux chez les mères. (2) Les divergences d’opinions avec des membres de la famille favorisent l’expression des dilemmes chez les mères. (3) Les discussions en famille et le recours aux travailleurs sociaux contribuent à résoudre les dilemmes vécus par les mères.

L’objectif de cette recherche est d’explorer, voire de décrire, les perceptions des mères des dilemmes moraux qu’elles rencontrent lors de la régulation de l’usage des réseaux sociaux numériques chez leurs adolescents, de même que des manières dont elles les solutionnent, le cas échéant.

1. Matériels et méthodes

1.1 Procédures de recrutement et d’analyse des données

Des critères d’inclusion et d’exclusion ont été préalablement définis avant de débuter le recrutement des participantes. Ceux-ci impliquaient que les participantes devaient : être volontaires à participer à cette de recherche, vivre présentement ou avoir vécu des dilemmes moraux en lien avec les réseaux sociaux numériques par leurs adolescents, avoir au moins un enfant dont l’âge est compris entre 12 et 16 ans, possédant un smartphone, une tablette, ou un ordinateur, parler et comprendre le français, elles devaient fréquenter au moins un organisme communautaire, les maisons de famille ou un service de l’assistance sociale à Bouaké. La notion de dilemme moral avait été définie dans la lettre de recrutement des participantes qui a été remise aux travailleurs sociaux dans les organismes communautaires et des services sociaux à Bouaké. Le seul critère d’exclusion était que les mères ne devraient pas présenter des difficultés d’élocution. Ceci se justifie par le fait que ce handicap pouvait perturber la communication et rendre inintelligible les propos de la participante. De là, l’idée qu’il était important qu’elles expriment clairement leurs expériences des dilemmes moraux. Au total 23 mères répondaient à nos critères d’inclusion. Cependant, seules 12 mères ont accepté de participer à l’enquête.

Ce travail emprunte ainsi une démarche qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs individuels auprès de ces 12 mères d’adolescents, ayant lieu en face à face, en Visio et par téléphone d’une durée variant entre 25 et 35 minutes selon les participantes. L’analyse du corpus a été assistée par le logiciel Nvivo 12. Ce dernier a permis de créer des nœuds thématiques contenant les extraits de verbatim en lien avec le sujet abordé. Le schéma de l’entrevue comprenait trois sections : une première recueillant des données descriptives sur les participants et leur perception du dilemme moral, une seconde abordant les dilemmes moraux et une dernière dédiée aux solutions mises de l’avant par les participantes pour les résoudre. Les entrevues étaient essentiellement constituées de questions larges permettant ainsi aux enquêtées de s’exprimer librement.

Un formulaire de consentement écrit a été signé par toutes les participantes à la recherche qui étaient libres d’y prendre part ou non. La confidentialité des participants a été assurée en leur assignant un numéro et en évitant de donner des informations précises à leur sujet lors de la diffusion des résultats.

1.2. Description des participantes

Douze mères ont participé à la recherche, toutes des femmes ayant des adolescents à leur charge éducative. Au moment de la collecte des données, celles-ci étaient âgées entre 28 et 49. Parmi les participantes, trois étaient des agents de santé, trois enseignantes, deux cadres de banque, deux commerçantes, deux femmes au foyer. Entre celles-ci, quatre participantes habitent seules avec leurs adolescents (deux enseignantes, une femme au foyer et un agent de santé), cinq participantes habitent avec leurs adolescents et leur conjoint (une enseignante, une commerçante, une femme au foyer et une cadre de banque) et enfin trois participantes habitent avec leurs enfants et certains membres de la famille (mère et tante) dont deux agents de santé et une commerçante. Nos interlocutrices vivent dans différents quartiers dans le district de Bouaké.

1.3. Approches théoriques mobilisées

Dans le cadre de cette étude, deux approches théoriques ont été mobilisées. La première concerne la phénoménologie et la seconde s’appuie sur la théorie des usages de Serge Proulx.

1.3.1. Approche phénoménologique

L’approche phénoménologique se définit comme étant « une élucidation de la signification qui se trouve de manière implicite dans l’expérience sans que soit posé le dilemme entre les conditions de légitimité ou de possibilité de l’expérience et les conditions de réalité. » (C. Deschamps, 1993, p. 13). Plus précisément, elle a pour but de saisir l’expérience liée à un phénomène telle que rapportée et vécue par les personnes qui en ont fait ou en font l’expérience (M-F. Fortin et J. Gagnon, 2010). Autrement dit, elle permet de laisser paraître le phénomène et l’auto-explication de ce qu’il signifie pour les participants. Afin de saisir le phénomène tel qu’il se présente dans la démarche d’exploration, le chercheur doit mettre de côté ses jugements et ses connaissances théoriques et refuser de tenir pour acquis les connaissances qu’il possède concernant le phénomène étudié. À ce jour, il y a très peu d’études scientifiques portant sur les dilemmes moraux exprimées par des mères ou qui s’intéressent à leur expérience en lien avec l’usage des réseaux sociaux numériques par leurs adolescents. Dans le but de compléter les connaissances scientifiques sur ce sujet, l’on a choisi de réaliser une étude exploratoire ayant pour objectif de décrire leur expérience des dilemmes et leur stratégie de gestion.

1.3.2. La théorie des usages

Dans le contexte des études sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’usage renvoie à l’utilisation d’un objet à des fins particulières. On pense ici aux usages sociaux d’un bien, d’un instrument, d’un objet pour mettre en relief les significations culturelles complexes de ces conduites de la vie quotidienne (S. Proulx, 2004). Par ailleurs, certaines controverses se font jour sur la fonction des TIC. Des chercheurs postulent que les membres des audiences utilisent « activement » les médias pour en retirer des satisfactions spécifiques répondant à des besoins psychologiques ou psychosociologiques (« ce que font les gens avec les médias »). D’autres en revanche, décrivent l’action des médias exclusivement en termes d’effets (« ce que les médias font aux gens ») (B Philippe et S Proulx, 2006). Les deux perspectives sont envisageables dans le cadre de cette recherche, car il s’agit de mettre en évidence les interactions entre « ce que font les adolescents avec les TIC » et « ce que cet usage fait à leurs mères ».  L’étude porte ainsi sur les dilemmes moraux exprimées par des mères en lien avec l’usage des réseaux sociaux numériques par leurs adolescents.

2. Résultats

2.1. Perception des dilemmes moraux chez les participantes

Pour amorcer chacun des douze entretiens, l’on a demandé aux mères d’adolescents de définir les concepts de « dilemme » puis de « moral ».  Il apparaissait essentiel que les participantes définissent le dilemme qui est une notion centrale à cette recherche. En demandant aux participantes de décrire le dilemme dès le début de l’entretien, l’on a pu certifier que les réponses aux questions subséquentes, notamment celles portant sur la description des dilemmes moraux et leurs façons de les résoudre étaient conformes à la définition initiale fournie par chacune des participantes, lors de la phase de recrutement effectués par les travailleurs sociaux dans les organismes communautaires et les services des centres sociaux.

2.1.1. Concept de « dilemme »

Les douze interviewées partagent des définitions quasi semblables du concept de dilemme. Le dilemme s’entendait comme une situation où l’individu est confronté à des choix contradictoires. Ainsi, pour cinq participantes, ce concept renvoie aux symptômes de « malaise », « inconfort », « désaccord », « tension », « pression », « mal à l’aise », « manque de confiance », « impuissance », insatisfait », « résistance », « démotivé ». L’analyse du contenu des discours révèle chez sept participantes, une série de mots évoquant directement ou indirectement des « problèmes », des « oppositions » ou des « conflits » et à de nombreux dérivés se référant aux incertitudes mettant en jeu des devoirs, des obligations et des valeurs.

Nous avons également pu relever quelques contradictions et demander davantage d’explications aux participantes lorsque cela était nécessaire. Ainsi, la synthèse des informations recueillies révèlent que les mères d’adolescents perçoivent le dilemme comme une situation dans laquelle elles doivent faire un choix difficile entre deux ou plusieurs options qui apparaissent toutes comme étant également regrettables. Les options peuvent être regrettables en soi ou elles peuvent être regrettables parce que si l’on essaie l’une des options et que l’on échoue, cela élimine la possibilité d’essayer l’autre option. C’est donc pour elles, un temps de réflexion individuelle durant lequel, elles peuvent réfléchir seule à la situation mise en jeu.

2.1.2. Concept de « moral »

Dans le même ordre d’idées, il fallait trouver une liste de mots-clés permettant de définir le concept de « moral » lors des entrevues avec les douze mères d’adolescents sans que celui-ci ne soit nécessairement explicite dans leurs propos (à cause de la relativité du concept). Le matériau d’informations recueillies montre que ce concept se rapporte chez neuf répondantes à des notions fondatrices comme « bien », « juste », « vertu » « mal » et à leurs corollaires comme « injuste » « devoir » Ce sont des mots qui font référence aux manifestations des problématiques morales.

Une analyse thématique de l’ensemble du corpus montre que le concept de « moral » désigne chez trois participantes, un ensemble de principes qui façonnent notre comportement et nous permettent de distinguer le bien du mal, ou ce qu’il faut faire ou pas. Pour elles, faire la bonne chose, c’est faire preuve d’esprit critique, d’honnêteté par rapport à nos intentions et nos motivations envers les autres, de prévenance et d’empathie. Cela signifie selon les interviewées aussi faire la bonne chose pour la bonne raison : non pas pour une récompense ou pour attirer l’attention, mais parce que c’est la bonne chose à faire.

En somme, dans le cadre de cette recherche, toutes les répondantes s’accordent à dire que le dilemme moral, c’est le fait de ne pas savoir à un moment donné ce qui est bien ou mal lorsqu’on est confronté aux comportements des autres, c’est un moment de doute concernant l’action à réaliser. Le dilemme moral s’inscrit dans la perspective d’un ensemble variés d’interactions (de soi à soi, de soi aux autres), c’est-à-dire qu’il peut être personnel ou impersonnel. Toutes les participantes rencontrées en entrevue affirment vivre des situations de doutes entourant l’usage du numérique par leurs adolescents. La fréquence moyenne estimée par les interviewées est d’au moins quatre dilemmes moraux par année. Bien que ces situations soient peu fréquentes, lorsque vécues, les répondantes mentionnent vivre une certaine détresse.

2.2. Description des dilemmes moraux vécus par les mères d’adolescents

Selon les répondantes, ces situations de grands doutes quant à la décision et à l’action à réaliser ont deux sources principales : 1) les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents, 2) les divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’usage du numérique par les adolescents.

2.2.1. Les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents

Des situations quotidiennes sont rapportées par plusieurs mères d’adolescents comme des sources de conflits de devoir ou d’obligation. Il s’agit des situations où les adolescents suivent seulement en partie les recommandations de leurs mères en ce qui concerne l’usage du numérique pour diverses raisons. Les mères estiment que ces suivis partiels des recommandations de l’adolescent sont susceptibles de l’exposer aux dangers liés à internet. En s’appuyant sur leurs propos, elles ont du mal à prendre des décisions suite à un conflit entre leurs raisonnements et leurs émotions. Bien qu’elles valorisent quelque peu l’autonomie décisionnelle de leurs adolescents, elles ont parfois de la difficulté à comprendre les motivations de ceux-ci qui semblent s’exposer à des risques par le refus de s’accommoder aux injonctions des mères. Les paragraphes qui suivent donnent quatre exemples de situations familiales ayant engendré ce genre de dilemmes moraux.

Une participante rapporte une situation vécue avec son fils de 14 ans qui semblait être addictif à internet. Par exemple, cet extrait de celle-ci ayant pour objet le temps passé sur internet : « Mon fils est tout le temps sur son smartphone. Il consulte plusieurs sites de téléchargement des jeux vidéo. Je voudrais intervenir pour qu’il marque des pauses. Mais, je ne sais pas trop » (Marie, 42 ans, mère d’un adolescent). Le fils de cette participante passait plus de temps sur son smartphone alors qu’elle lui avait fait l’injonction de passer moins d’une heure sur son cellulaire. Face à cette situation, elle était partagée entre lui retirer son smartphone ou le lui laisser en espérant lui donner quelques moments d’épanouissement. Cette mère craignait de marginaliser son enfant par ses interdits. C’est une réelle nécessité, d’autant plus que la société d’aujourd’hui laisse peu d’espaces de vraie liberté aux adolescents, la participante étant également partagée entre la crainte de laisser traîner son enfant en rue et le souci de programmer pour lui des sorties extra ou parascolaires visant à limiter la zone d’inconfort adulte.

Une participante fait état du cas de sa fille âgée de 14 ans et demi à qui, il était formellement déconseillé de consulter les pages érotiques sur internet. Elle s’exprime ainsi : « Elle écrit des messages érotiques à des personnes inconnues sur le net. Ça m’exacerbe, je me questionne » (Florence, 31 ans, mère d’une adolescente). En consultant le téléphone de sa fille, elle a fait le constat que celle-ci fréquentait ces sites.  Dans ses propos, elle était partagée entre le bon usage de ces sites et les risques de dérapages. Cette participante soutenait l’idée que les services en ligne sont aussi, à leur manière, éducatifs. Ils apprennent aux adolescents à découvrir les codes, les manières de communiquer ensemble, à réguler les relations interpersonnelles et de groupe. Plus encore, ils permettent selon elle, aux jeunes d’entamer des recherches documentaires, de se questionner sur ce qui peut les concerner de manière personnelle, par exemple sur les relations sexuelles et affectives, et bien d’autres questions qu’ils peuvent juger trop intimidantes à poser au monde des adultes. À cet égard, il y avait opposition entre deux obligations de protection et d’épanouissement de l’adolescent.

Une mère rapporte une situation qui concerne sa fille âgée de 16 ans ayant reçu la consigne de ne disposer de son portable qu’après avoir fait ses devoirs de classe. Mais l’adolescente ne respectaient pas les recommandations de sa mère et utilisait son smartphone après quelques dizaines de minutes de révision : « Je lui demande sans cesse de finir ses devoirs scolaires. Mais, elle ruse juste pour reprendre son téléphone portable. Je ne sais trop comment faire » (Kady, 32 ans, mère d’une adolescente). Dans cette situation, cette mère estimait que la protection de sa fille, en phase de crise d’adolescence était en tension avec le respect de l’autorité parentale. Cette mère se situait dans une situation d’inconfort dans la mesure où elle appuyait son raisonnement suivant l’idée selon laquelle, l’entourage a le plus souvent la tâche ingrate de chercher la bonne distance et d’essayer de rendre acceptable aux adolescents ce dont ils ont besoin pour pouvoir réellement se passer de ces adultes qui leur prennent la tête et se désagripper d’eux. C’est toute la question de la bonne distance relationnelle qui se posait avec sa fille : ni trop près, ni trop loin.

Une participante mentionne le cas de ses enfants, un fils de 13 ans et une fille de 16 ans. Ces deux enfants possédaient des smartphones, mais ils ne respectaient pas les recommandations de leur mère d’une part quant aux contenus des informations et sites visités, et d’autre part quant au temps passé sur leur smartphone.  Elle s’exprime ainsi : « Je ne sais pas quoi leur dire, ils m’écoutent peu et s’investissent autant sur les réseaux sociaux. Je m’inquiète pour eux. Je suis très embarrassée » (Françoise, 28 ans, mère de deux adolescents). Cette mère estimait protéger ses enfants en diminuant le temps passé sur leur cellulaire, ce qui favoriserait, pensait-elle l’amélioration de la qualité de vie familiale et l’inclusion sociale de ses adolescents. Dans cette situation, la participante considérait que la santé mentale de ses enfants était en conflit avec l’inclusion sociale, voire la notion de normalité des pratiques numériques chez les adolescents. Bien que cette mère utilise Internet pour obtenir des informations et des réponses à certaines questions, il semble être des sources d’informations peu crédibles à ses yeux. Elle ne se fie pas beaucoup aux informations qu’elle y trouve et se questionne parfois sur la véracité de celles-ci. Elle est donc embarrassée à propos de l’usage du numérique par ses adolescents en phase de développement moral.

Somme toute, ces cas où des adolescents suivent partiellement les recommandations entourant l’usage du numérique sont source de dilemmes moraux chez les répondantes, car elles estiment que leurs enfants semblent prendre des décisions qui mettent en péril leur vie. Leur degré de tolérance au risque est en général inférieur à celui de leurs mères. L’enquête de terrain montre que les participantes appréhendent ces dilemmes moraux différemment en fonction de la situation. Les sentiments qu’elles ressentent varient entre 1 anxiété, la peine, la colère, la culpabilité, le stress, le sentiment d’être inadéquate, le chagrin, la honte et la frustration. Elles ont aussi tendance à se sentir responsables des situations et à prendre les choses sur leurs épaules, qu’il s’agisse de veiller au contenu des informations des sites numériques et au bien-être de leurs enfants. Lorsqu’elles ne peuvent pas agir sur la situation, elles ressentent de la frustration et de l’impuissance. Elles acceptent difficilement d ‘être impuissantes dans les situations de doute décisionnel.

2.2.2. Divergences d’opinions avec des membres de la famille

Trois participantes discutent des dilemmes moraux liés à des divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’utilisation du numérique par leurs adolescents. Les paragraphes suivants donnent quatre exemples de ce genre de conflits de devoir ou d’obligation.

Une participante à l’enquête rapporte des divergences de points de vue avec sa propre mère. Elle donne l’exemple de sa fille de 17 ans pour laquelle un usage raisonnable du smartphone avait été recommandé en raison du haut risque d’addiction et de son impact sur son rendement scolaire. Cet extrait est expressif de son état de doute : « Ma mère prenait toujours parti pour ma fille en dépit de mes injonctions concernant internet. Elle était plus présente que moi dans l’univers de ma fille. C’était difficile pour moi de décider de ce qu’il fallait faire » (Catherine, 33 ans, mère d’une adolescente) Cette participante mentionne que sa mère était favorable pour que sa petite fille dispose de son smartphone en tout temps parce que cela contribuait à son équilibre mental en tant qu’adolescente.  Alors que l’opinion de la participante s’appuyait sur le risque pour sa fille d’être exposée à des contenus choquants sur internet et ne désirait pas trop de temps passé sur son smartphone, la mère de la participante approuvait l’usage illimité du smartphone de sa petite fille.  Advenant cette situation, l’interviewée avait du mal à prendre une décision parce qu’elle considérait sa mère comme une éducatrice expérimentée.

De même, un couple discute d’une situation qui concerne leur garçon de 15 ans à qui on a acheté un smartphone. En dépit des recommandations de sa mère, le déconseillant les jeux d’argent sur internet, son père l’a tout de même autorisé à pratiquer ces jeux d’argent en ligne sans échanges préalables avec son épouse. Pour le conjoint, ces jeux d’argent permettraient à son fils d’acquérir la culture de l’autonomie financière. La participante exprime son désarroi et sa crainte pour son fils : « Comment mon époux peut-il encourager notre fils aux jeux d’argent ? J’ai peur pour mon fils. Je ne veux pas qu’il s’endette auprès d’une tierce personne. Ces jeux-là sont très addictifs. Je ne comprends pas l’attitude de son père » (Fanta, 45 ans, mère d’un adolescent) Dans cette situation, la participante estimait que les divergences d’opinions pouvaient affecter les repères identitaires de l’adolescent. Il était en effet difficile pour la mère de comprendre les motivations de son conjoint qui semblaient prendre des décisions risquées pour son fils : exposition au racket, endettement et addiction aux jeux d’argent. La mère était partagée entre l’obligation de fidélité à son époux et le maintien de sa position.

Une participante donne l’exemple vécu lors de l’utilisation du numérique par sa fille de 15 ans et demi qui partageait ses images avec ses amies sur internet :

Ma fille diffuse un peu trop ses images sur Instagram. En revanche, ma tante qui partage quotidiennement notre vie de famille la suit dans cette entreprise. Je n’apprécie pas sa position, mais je suis partagée. Ma tante a peut-être raison ! j’ai du mal à me décider. Il faut que je protège ma fille des risques liés à internet  (Mariam, 27 ans, mère d’une adolescente)

Pour cette participante, il y avait des différences d’opinions avec sa tante qui approuvait de telles attitudes de sa fille. Or, quelques mois plus tard, sa fille a été victime de moquerie sur le net à cause d’une tenue jugée rétrograde par ses amies. Malgré ces faits, la tante continuait d’encourager sa fille à poster ses photos et invitait également la mère à beaucoup plus de tolérance à l’égard de sa fille. Cette différence de points de vue entre la mère et sa tante suscitait des dilemmes moraux. Selon cette participante, elle était partagée entre être fidèle à sa position, interdire à sa fille de poster ses images sur internet ou s’inscrire dans l’optique des recommandations de sa tante. Autrement dit, la mère était déchirée entre l’allégeance envers sa tante et l’attachement à sa position.

Une participante discute de son garçon âgé de 14 ans l’allure efféminée et qui postait ses photos sur Instagram et Facebook :

Mon fils a des traits féminins, mais je l’aime et je ne voudrais pas qu’il soit la proie de certains pervers sur internet. Il est constamment sur des plateformes recherchant des opportunités amicales. Son père ne fait rien pour l’en dissuader. Au contraire, il encourage à s’y étaler. Malheureusement, il est très souvent harcelé sur internet par des utilisateurs et cela le déprime. Cela me préoccupe mais je ne sais quoi faire à cause de la position de son père. (Cécile, 35 ans, mère d’un adolescent)

Le contact de son enfant avec des inconnus était un des motifs prioritaires d’inquiétude de sa mère. Elle lui a déconseillé en conséquence la publication de ses photos sur les réseaux sociaux. Son époux, cependant encourageait son fils à le faire au motif que ceci l’aiderait à accepter son physique. Malheureusement, le garçon s’est fait harceler et invectiver sur internet par des jeunes de son âge qui le considérait comme un homosexuel. On se rend compte ici que les deux prescriptions parentales étant en conflit, la mère de l’adolescent était partagée entre l’attachement à ses idées ou le ralliement à la vision de son époux.

En somme, les divergences d’opinions avec des membres de la famille sont également source de dilemmes moraux chez les répondantes. L’enquête de terrain révèle que plusieurs participantes vivent de petits tiraillements quotidiens qui se traduisent, la plupart du temps, par des discussions au sujet de l’exposition à des risques chez leurs adolescents. Étant donné que les participantes vivent des dilemmes moraux, leurs réactions ne sont pas très émotives. Elles vivent de légers malaises, mais pas de grandes frustrations par rapport au traitement de la situation, principalement parce qu’’il y a place à la discussion. Par cette discussion, les mères prennent conscience que le juste et la justice, s’il est facile de s’en réclamer, ne sont pas toujours aisés à déterminer dans une situation concrète. Elles considèrent néanmoins que le dilemme moral entourant l’usage du numérique par leurs adolescents se passe davantage à un niveau intellectuel.

2.3. Stratégies de résolution des dilemmes moraux par les participantes

Comme mentionné plus haut bien que rares, les dilemmes moraux sont vécus difficilement au point où les mères d’adolescents rapportent vivre une certaine détresse. Devant ce constat, plusieurs participantes identifient des outils qui pourraient faciliter, à leur avis, la prise de décisions dans ces genres de situations et réduire, ce faisant, la détresse associée à ces situations.

2.3.1. Discussions en en famille

Toutes les participantes mentionnent la pertinence et même la nécessité des discussions avec tous les membres de la famille pour résoudre les dilemmes moraux rencontrés. Ces discussions sont utiles pour partager leurs émotions, réduire leur stress ainsi que pour valider ou invalider leurs perceptions des situations et leurs solutions. De fait, l’appui, la vision et les conseils des membres de la famille s’avèrent une aide précieuse dans ces situations de détresse morale. La clarification des valeurs familiales visait à faire des choix intellectuellement éclairés, émotionnellement satisfaisants et activement engageants. Les participantes affirment ne pas soutenir leurs échanges par un modèle de délibération éthique (comme l’instauration d’un comité familiale d’éthique qui déciderait de ce qu’il faut faire ou ne pas faire). Certaines parmi elles mentionnent parler régulièrement avec leur enfant de ce qu’il aime et de ce qui le dérange en ligne quand d’autres échangent sur les conséquences des choix opérés par le conjoint, la tante, la sœur etc. sur l’usage du numérique chez les adolescents de la famille.

2.3.2. Recourir à de l’aide externe

Plusieurs participantes mentionnent avoir eu recours à de l’aide externe à la famille pour résoudre les dilemmes moraux que soulève l’usage du numérique par des adolescents. Par exemple, cinq participantes indiquent avoir occasionnellement impliqué des personnes spécialisées dans le domaine de l’aide à l’enfance et à la famille pour faire état de leur expérience, ce qui est souvent pertinent, estiment-elles, car les parents d’adolescents se sentent ainsi compris par des personnes qui vivent ou connaissent des situations similaires à la leur. Celles-ci affirment qu’elles trouveraient pertinent de discuter des dilemmes moraux qu’elles rencontrent avec des experts de différentes disciplines. Par exemple, trois participantes mentionnent aussi que la présence de travailleurs sociaux tels que les assistantes sociales et éducateurs spécialisés pourrait être pertinente à la résolution des dilemmes moraux, car elles s’estiment parfois démunies et peu outillées sur le plan de la gestion de certaines problématiques éducatives. Des participantes sont d’avis que l’accès à une personne spécialisée en psychologie, en sociologie et en criminologie, serait utile.

3. Discussion des résultats

L’objectif de cette étude était d’explorer les dilemmes moraux rencontrés par les mères en lien avec l’utilisation du numérique par leurs adolescents et les façons dont celles-ci procèdent pour les résoudre, le cas échéant. À la suite de la présentation des résultats, il est important de les discuter afin de les faire signifier.

3.1. Usages des réseaux sociaux numériques par les adolescents et fracture de la cellule familiale : Quelle responsabilité des parents ?

Bien que la fréquence des dilemmes moraux soit peu élevée selon les participantes, soit en moyenne au moins quatre dilemmes par année, les résultats de la recherche révèlent que ceux-ci sont inhérents aux suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents, et les divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’usage du numérique par les adolescents. S Jehel (2011) fait le même constat sur les dilemmes moraux, en général, rencontrés par les personnes occupant une responsabilité dans diverses sphères de la vie quotidienne. S. Démanceaux, F. Boudokhane-Lima (2023) font un constat similaire lorsqu’ils mentionnent que les enjeux moraux inhérents au statut et au rôle sont source de tensions importantes, notamment l’anxiété, la peine, la colère, la culpabilité et de détresse chez les personnes tenant des responsabilités sociales ou professionnelles. Relativement à la faible fréquence des dilemmes moraux, les résultats de la recherche sont semblables à ceux de C. Balleys, O. Martin, S. Jochems (2018) qui affirment aussi que ces situations de conflit de devoir ou d’obligation relatifs à l’usage du numérique par les adolescents sont vécues difficilement par les parents. Certaines familles expriment leur difficulté à gérer les temporalités. Les résultats montrent que les parents se sentent démunis mais néanmoins conscients de leur rôle éducatif. Entre contrôle et négociation, le dialogue entre parent-enfant et entre certains membres de la me famille autour des questions numériques fait émerger de nouveaux enjeux relationnels (N. Dupin, 2018).

3.2. Résolution des dilemmes moraux

Toutes les intervenantes mentionnent avoir fait appel aux discussions en famille et à de l’aide externe pour analyser et résoudre les dilemmes moraux qu’elles rencontrent dans l’écologie relationnelle au sein du foyer. La description de ces stratégies utilisées par des mères pour surmonter précisément les dilemmes moraux entourant l’usage du numérique par les adolescents constituent un élément nouveau, en ceci que celles-ci n’ont pas été documentées dans les écrits antérieurs, à l’exception des discussions en famille (F. Singly de & E. Ramos, 2010 ; J. Lachance, 2019). Les résultats de ce travail reflètent chez les mères d’adolescents un état d’esprit généralisé. Les répondantes trouvent que leurs adolescents passent trop de temps sur leurs écrans particulièrement. Ce qui semble réellement les agacer, c’est le fait que le numérique prenne le pas sur d’autres pratiques qu’elles estiment notamment, la lecture et le sport. De même, des participantes interviewées s’entendent sur le besoin de moyens supplémentaires pour les aider à résoudre les dilemmes moraux que pose l’usage juvénile du numérique. Les moyens supplémentaires suggérés varient toutefois selon les participantes bien que certaines s’entendent sur certains de ceux-ci (éducateurs spécialisés et les assistants sociaux). La résolution de ces dilemmes permettra éventuellement aux individus d’agir de manière éthique, ce qui signifie, de situer leurs décisions par rapport aux valeurs qu’ils désirent actualiser pour ensuite les mettre en action. (S. Berthoz, J. Grèzes, 2011).

3.3. Limites et perspectives de la recherche

Avec ces résultats, il est possible de mieux comprendre les dilemmes moraux et les besoins de certaines mères dont les adolescents s’emploient à passer du temps sur les réseaux sociaux numériques. Mais, il faut faire observer que l’échantillon n’est pas représentatif de la population à l’étude. En effet, la majorité des participants sont des femmes. Il aurait donc été intéressant de pouvoir mener une étude sur les dilemmes moraux rencontrés par les hommes dont les adolescents font usage du numérique. Par ailleurs, vu le nombre limité de participantes, d’autres participantes ne fréquentant pas des organismes communautaires pourraient apporter des visions différentes. Il serait donc intéressant que les futures recherches impliquent un échantillon plus large des mères d’adolescents afin d’approfondir ou de nuancer les résultats obtenus dans notre recherche et de mieux comprendre l’effet de l’usage des réseaux sociaux par leurs adolescents sur l’exercice de leur rôle parental. Par ailleurs, recruter des participantes provenant de milieux urbains et ruraux de la région de Bouaké permettrait de tenir compte des différences sociodémographiques pouvant avoir une influence sur les résultats. De ce fait, les résultats pourraient être différents de ceux obtenus dans cette recherche puisque le thème d’étude de celui-ci s’inscrit dans un domaine qui évolue rapidement : l’usage des réseaux sociaux numériques.

De même, des limites de ce travail sont liées à la méthodologie : la complexité associée à la réalisation d’entretiens semi-dirigés basés sur l’approche phénoménologique. En effet, des thèmes imprévus sont ressortis en entrevue et auraient pu être davantage approfondis, puisqu’il s’agit d’une étude exploratoire, il est tout à fait normal qu’une multitude de thèmes soient ressortis lors des entrevues et qu’il n’ait pas été possible de tous les approfondir. Plusieurs entretiens avec la même personne, auraient été pertinents ou même faire des entretiens avec leurs adolescents ou des membres de la famille au sein du foyer.

En somme, bien que ce travail présente des limites, les résultats obtenus permettent d’apporter une contribution importante au sein de la littérature scientifique à propos des dilemmes moraux vécues par les mères entourant l’usage du numérique par des adolescents. Notre contribution empirique tente de compléter les connaissances actuelles dans ce champ de recherche. Il s’agit de saisir des situations concrètes rapportées par des mères d’adolescents afin d’appréhender leur état d’esprit en rapport au dilemme vécue et de voir de quelles façons elles gèrent ces situations problématiques.

Conclusion

Cette étude exploratoire a décrit les dilemmes moraux que soulève l’usage du numérique par les adolescents ainsi que les stratégies pouvant être mises en avant afin de résoudre ces dilemmes, et ce, à partir des perceptions des mères d’adolescents habitant à Bouaké. Les situations susceptibles d’occasionner des dilemmes moraux sont les suivis partiels des recommandations parentales par les adolescents et les divergences d’opinions avec des membres de la famille concernant l’usage du numérique par les adolescents. Bien que la fréquence des dilemmes moraux rapportés par les participantes soit somme toute assez faible, toutes les interviewées sans exception estiment que ces dilemmes leur occasionnent de la détresse. Pour résoudre ces dilemmes moraux, celles-ci utilisent principalement les discussions en famille et le recours à l’aide de travailleurs sociaux et d’experts. Cette recherche convie d’autres chercheurs à réaliser des recherches supplémentaires dans ce domaine encore peu exploré à ce jour. Plus d’attention devrait être portée à ces conflits de devoir en vue de développer des ressources psycho-éducatives susceptibles d’aider les mères d’adolescents à surmonter ces situations avec aisance et efficacité.

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SHORT MESSAGE SERVICE (SMS) :                                        NAISSANCE D’UNE NOUVELLE FORME D’ÉCRITURE

Kouassi KPANGUI

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kouassikpangui@gmail.com

Résumé :

Le Short Message Service appelé texto est une nouvelle forme de communication écrite faite à l’aide du clavier d’un ordinateur ou à partir d’un téléphone portable. Cette option est disponible sur tous les téléphones portables ou sur tout autre appareil de communication muni d’un clavier ou des touches alphanumériques. L’écriture SMS permet de rendre d’énormes services à la population. Elle suscite également une nouvelle forme d’écriture qui dénote de l’ingéniosité de ses usagers. Le constat général qui se dégage est que les SMS concourent à l’essor de la communication. Désormais, on peut transmettre des messages en quelques mots pour ne pas dire en quelques lettres, et en une fraction de seconde. Outrepassant la plupart du temps les règles de l’écriture traditionnelle, cette nouvelle forme d’écriture surprend par sa créativité. Elle laisse place à une nouvelle forme de communication qui en observant pas les règles de la grammaire traditionnelle a, tout de même, un brin de créativité et d’ingéniosité. Elle suscite la curiosité. Elle mérite même qu’on y jette un coup d’œil.

Mots clés : Créativité, Écriture texto, Ingéniosité, Naissance, Service, Short Message.

Abstract:

The Short Message Service called texting is a new form of written communication made using a computer keyboard or from a mobile phone. This option is available on all mobile phones or any other communication device equipped with a keyboard or alphanumeric keys. SMS writing makes it possible to provide enormous services to the population. It also gives rise to a new form of writing which demonstrates the ingenuity of its users. The general observation that emerges is that SMS contributes to the growth of communication. From now on, we can transmit messages in a few words, if not a few letters, and in a fraction of a second. Most of the time going beyond the rules of traditional writing, this new form of writing surprises with its creativity. It leaves room for a new form of communication which, while not observing the rules of traditional grammar, still has a touch of creativity and ingenuity. It arouses curiosity. It’s even worth taking a look at.

Keywords : Creativity, Text writing, Ingenuity, Birth, Service, Short Message.

Introduction

Le Short Message Service ou SMS, option disponible sur tous les téléphones portables, est une méthode de communication qui permet aux détenteurs d’un téléphone portable ou de tout autre appareil de communication muni d’un clavier ou des touches alphanumériques d’envoyer rapidement desmessages courts à leurs interlocuteurs.C’est cestyle de communication qui est en vogue de nos jours. On parle même de syndrome SMS. Ce nouveau moyen de communication a un vocabulaire propre à ses utilisateurs qui relève du génie et de l’ingéniosité de ceux-ci. La remarque ; nombre de personnes reprouvent et condamnent l’écriture texto parce qu’elles estiment que celle-ci est nuisible à la maîtrise des édits grammaticaux de la langue française. Tout cela nous amène aux interrogations suivantes : Quel est le mode de fonctionnement de cette nouvelle forme d’écriture ? D’où vient le caractère ingénieux de cette nouvelle forme d’écriture et de ce nouveau mode de communication ? La méthodologie s’appuie sur la recherche documentaire et l’enquête de terrain. Nos sources se présentent sous deux formes : écrite et orale. Nous nous fonderons sur la méthode descriptive analytique en nous inspirant surtout de la théorie structurale.

1. Quelques types de claviers alphanumériques

    de portables et d’ordinateurs

Les touches de téléphones portables et les claviers d’ordinateurs varient d’un pays à l’autre. Ils sont également fonction des langues parlées dans les différents pays du monde entier. Ainsi, on a des claviers dont les chiffres et les lettres sont en arabe, en grec, en chinois, en japonais, en hébreu et, désormais, dans certaines de nos langues endogènes, en l’occurrence le baoulé et le dioula. Aussi avons-nous les portables munis de touches alphanumériques ci-après.

1.1. Portables munis de touches alphanumériques

Parus en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire à partir des années 90, les premiers portables étaient munis d’un écran et d’une surface où figurent des touches sur lesquelles sont écrits des lettres et des chiffres. D’autres signes et symboles propres au monde de la communication y figuraient également. On pouvait donc y voir « #, *, %, @ » pour ne citer que ceux-là. Les téléphones portables, à l’instar des fixes, sont des appareils de communication initialement conçus pour transmettre la voix humaine et pouvoir communiquer à distance. A cette première option va s’ajouter une seconde, celle de pouvoir échanger des messages écrits entre interlocuteurs. Et c’est qui a engendré la naissance des SMS.  Les téléphones mobiles, téléphones portables ou téléphones cellulaires sont des appareils électroniques de télécommunication portatifs offrant une fonction de téléphonie mobile et pouvant être utilisés sur de grandes distances sous réserve d’une couverture réseau. Certains de ces appareils se présentent comme suit :

A: Portable à touches visibles                   B : Portable à touches cachées

C : Portable à clapet              D : Portable avec écran tactile dit de nouvelle génération

1.2. Claviers alphanumériques d’ordinateurs

Les claviers des ordinateurs diffèrent les uns des autres selon les types d’alphabet dont ils sont dotés. Cette configuration se laisse aisément apercevoir sur un clavier où les écritures sont de l’alphabet russe, par exemple.

Un exemple de clavier avec l’alphabet russe

On distingue deux grandes familles de claviers avec l’alphabet que nous connaissons : les claviers « QWERTY », à l’exemple des claviers anglo-saxons et néerlandais, et les claviers « AZERTY » au nombre desquels on compte les claviers francophones.

 

Un exemple de clavier « QWERTY »

Un exemple de clavier « AZERTY » dit Azerty belge

Les claviers Azerty varient de certains pays à d’autres. Le clavier belge francophone n’est pas l’identique du clavier français : Il y a quelques nuances au niveau de certains caractères spéciaux et de signes. L’Azerty représenté ci-dessus est un Azerty belge. Celui qui est ci-dessous est dit français.

Un exemple de clavier « AZERTY » dit Azerty français

 

 

2. Une nouvelle écriture est née 

Nous assistons de plus en plus à l’émergence d’une nouvelle variété du français écrit, dont les objectifs évoluent vers une écriture immédiate, plus libre, et affranchie des normes orthographiques traditionnelles. Cette nouvelle écriture appelée aussi « texto » paraît « plus accessible, car liée à un moindre contrôle ; plus affective par l’expression des sentiments, des émotions, de la corporéité du langage, plus inventive (par l’invention de néographies, de jeu de mots et de signes) et plus socialisante (par la dominance de la fonction phatique liée à la multiplication des messages et au partage de codes communs) » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 46).

Des millions d’internautes ivoiriens échangent quotidiennement des messages. On voit donc transiter des milliers de courriels chaque jour entre les adeptes ivoiriens de ce nouveau mode de communication. Les écritures textos connaissent désormais un succès considérable en terre éburnéenne. Les SMS occupent désormais une part essentielle de la communication numérique. De milliers de minimessages échangés par texto à longueur de journée montrent que l’engouement va croissant. En quelques années, ces courts messages électroniques ont conquis la majorité des propriétaires de téléphones mobiles. La presque totalité des Ivoiriens en possèdent et se trouvent donc potentiellement émetteur ou récepteur de SMS.

Comme toute écriture, le SMS possède ses propres codes. Il existe aujourd’hui des dictionnaires de SMS. Aussi trouve-t-on quelques-uns aux adresses électroniques infra :

https://www.google.com/search?sca_esv=585061002&sxsrf=AM9HkKlJS8ycIBX1YcZ04KvOMcGQPL408g%3A1700831787510&q=Dictionnaires+SMS&oq=Dictionnaires+SMS&aqs=heirloom-srp..0l5 (mis en ligne le 22.11.2014, consulté le 10.02.2023).

https://www.dictionnaire-sms.com/ (mis en ligne le 22.11.2014, consulté le 10.02.2023).

https://www.internetmatters.org/fr/resources/text-dictionary/ (mis en ligne le 22.11.2014, consulté le 10.02.2023).

Zone de Texte: équivaut à







Le premier terme (https://www.dictionnaire-sms.com, consulté le 10.02.2023) (car, ici, on ne peut parler de mot en tant que tel) qu’on trouve est « Ab1to », le deuxième terme est « @2m1 », le troisième « @l’1di ». Voici la signification de ces termes propres aux SMS :

Zone de Texte: équivaut à







Ab1to                                               à bientôt

Zone de Texte: équivaut à







@2m1                                                à demain

@l’1di                                               à lundi

Comme l’on peut le constater, la particularité de ce dictionnaire des SMS réside dans le fait que les mots ne sont pas isolés les uns des autres comme dans les dictionnaires que l’on a l’habitude de consulter. On a plutôt affaire à des locutions toutes faites, à des séquences de phrases, dans lesquelles les phonèmes sont représentés par des lettres ou des chiffres. Aussi avons-nous les grands classiques suivants :

A plus tard@+C’estC
A demaina2m1C’est-à-direCad
As soon as possibleAsapSee youCU
BonjourBjrD’accordDak
J’aiGJe t’aimeJTM
CadeauKdoQu’est-ce que tu crois ?Kestu X
Quoi de neufKoi 2 9CatastropheKta
Mort de rireMDR / lolMercimr6
ÉnervéNRVOccupéOQP
Excuse-moiSQZTu esT

Tableau sommaire de l’écriture SMS

Tout ceci nous amène à l’interrogation suivante : Comment écrit-on les SMS ?

2.1. Mode de fonctionnement des SMS : Le fonctionnement global des graphies dans l’écriture texto

Le texte des SMS est très particulier. L’orthographe est variable ; la frontière des mots adaptable (liaisons, segmentation absente ou abusive). A l’inverse donc de la communication écrite habituelle, qui recouvre tout ce qui se transmet sur papier, l’écriture utilisée pour envoyer des SMS présente les attributs d’un codage aux propriétés et formes multiples. Cette nouvelle forme d’écriture puise dans des domaines divers. Elle combine l’utile et le ludique. Ces messages courts reposent sur

des créations spécifiquement graphico-scripturales tout aussi variées (phonétisation de graphies, valeur épellative ou phonosyllabique de certaines lettres et chiffres, inscription de pictogrammes ou de signes de ponctuation plus ou moins détournés), sans oublier les inépuisables smileys (ou émoticons) hérités des courriels, « chats », blogs… et autres écrits diffusés sur Internet. L’objectif majeur est dans cette perspective de tenter de pallier l’absence d’information gestuelle et prosodique, que la ponctuation du français ne parvient guère à restituer. Ce code hybride   associant des signes tantôt alphabétiques tantôt numériques s’applique indistinctement à des mots tantôt alphabétiques tantôt numériques s’applique indistinctement à des mots français ou anglais et constitue ce que Jacques Anis (2001) a identifié comme un « melting-script » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 41).

À la question de savoir si les SMS constituent un danger pour l’orthographe, Les chercheurs répondent « par la négative et affirment même que les textos sont une nouvelle occasion de pratiquer l’écrit » (S. Assoun, 2014, p. 1). L’objectif ultime de la démonstration infra est de passer en revue les principaux procédés utilisés pour cette forme d’écriture. Cette section de notre article permettra donc de décrire les différents phénomènes graphiques constatés dans l’écriture des SMS. Le langage texto est un langage qui s’apprend. L’écriture électronique possède donc son propre « codage (ortho) graphique » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 44) selon les termes de Jacques David et Harmony Goncalves. Et comme le souligne Laurent Cohen, « le nombre de textismes mesurés augmente au cours de l’année, ce qui signifie qu’il y a une acquisition progressive qui se fait, ce n’est pas juste une solution de facilité » (S. Assoun, 2014, p. 2). La chercheuse Josie Bernicot renchérit en affirmant que « le langage contracté des SMS est [même] devenu « une convention d’écriture » » (J. David, H. Goncalves, 2007, p. 44). La première compétence qu’il faut acquérir dans l’apprentissage de « l’orthographe » du cyberlangage est de savoir écrire sinon transcrire les petits sons que l’on entend, explique Laurent Cohen, neurologue et chercheur à l’ICM (Institut du cerveau et de la moelle épinière). « Quand on écrit un texto, on pratique justement de l’écriture phonétique et on cherche à retranscrire les sons de la façon la plus simple possible » (S. Assoun, 2014, p. 2), poursuit-il.

Sur les touches d’un téléphone portable, sont écrits des lettres et des chiffres. Pour un ordinateur, les lettres et les chiffres sont séparées, sauf sur certaines touches situées sur la partie supérieure du clavier comme le montrent d’ailleurs les illustrations des pages 3, 4, 5 et 6. Les lettres se trouvent donc à la partie centrale de l’ordinateur. Quant aux chiffres, ils sont souvent situés à droite et/ou en haut, selon les types d’ordinateurs. Écrire un texto, c’est retranscrire les sons de la façon la plus simple possible. L’écriture des SMS se résume en l’utilisation d’un langage phonétique des plus courts.

L’écriture SMS est constituée de procédés, d’inventions, de principes de codage. Un nouveau lexique écrit se constitue par la combinaison de plusieurs procédés extrêmement variables et parfois instables. On a d’une part les réductions graphiques. Elles concernent soit un abrègement, une simplification du nombre de caractères, soit une sélection de graphies supposées plus proches de la phonologie. Le langage SMS modifie les caractéristiques orthographiques ou grammaticales de la langue afin de réduire le nombre de caractères saisis, la longueur du message, et accélérer la saisie sur le clavier numérique d’un téléphone portable. Pour gagner du temps et dépenser moins, les jeunes ont, petit à petit, pris l’initiative de raccourcir les mots français pour ainsi économiser des caractères et ainsi écrire le maximum de SMS. Aussi distingue-t-on les occurrences suivantes : 

2.1.1.Réduction du phonogramme

La réduction du phonogramme se réalise dans les cas suivants :

« qu » dans « ki, ke, koi, kan, kel » (pour « qui, que, quoi, quand, quel [le] »)…

2.1.2.  Substitution

Dans les SMS, on substitue « k » à « c », et « z » à « s ». Cela qui provoque un effet de phonétisme. Aussi aura-t-on ce qui suit :

   (1) comme    pour      « kom ».

   (2) bise(s)     pour      « biz ».

2.1.3.  Chute des « e » instables

Dans l’écriture texto les « e » atones appelés aussi « e » instables situés à la fin d’un certain nombre de mots disparaissent. Cela s’aperçoit à travers les occurrences infra :

dir (dire), grav (grave), vit (vite).

2.1.4. Omission des morphogrammes et mutogrammes en finale de mot

À l’instar des « e » instables, les consonnes qui terminent la plupart des mots français disparaissent dans les écritures SMS. Les cas récurrents et représentatifs sont les suivants :

Flèche : pentagone: donne (1) pas                                    « pa ».

 (2) salut                                 « salu ».

2.1.5. Simplification des digrammes et trigrammes

Le langage SMS procède aussi par simplification d’un certain nombre de syllabes que nous rangeons sous l’appellation de digrammes et trigrammes. Avec les digrammes la simplification porte sur deux items ; dans le cas des trigrammes, il y en a trois. Les digrammes sont donc perceptibles à travers « vrè » (vrai). Quant aux trigrammes, on les rencontre.dans « bo » (beau), «fo » (faux), « jamè » (jamais), « forfè » (forfait).

2.1.6. Suppression ou simplification de la morphographie verbale

L’écriture SMS se fait également par la suppression de certains éléments caractéristiques des verbes que la grammaire française a coutume d’appeler morphèmes grammaticaux ; le morphème grammatical se définissant comme « l’unité grammaticale de première articulation qui se combine aux lexèmes suivant les règles de la morphologie » (Dictionnaire universel, 2002, p. 798). Cette réalité grammaticale s’aperçoit dans les occurrences ci-après :

   (1) « pe » pour « peux » dans « je, tu peux », voire « il peut ».

   (2) « ve » pour « veux » dans « je, tu veux », voire « il veut ».

   (3) « è » pour « es » dans « tu es », voire « il est ».

2.1.7. Transformation et déconstruction de phonogrammes

Le textisme SMS est aussi réalisé à partir d’un certain nombre de transformations et de déconstructions des phonogrammes, c’est-à-dire les caractères écrits qui, contrairement aux morphogrammes, idéogrammes et logogrammes, sont les transcriptions arbitraires des sons. Cela est perceptible à travers les constructions suivantes :

(1) «moa » ou « mwa » est utilisé au lieu et place du pronom personnel 

tonique de la premier personne du singulier « moi ».

(2) « twa » est mis pour le pronom personnel tonique de la deuxième

personne du singulier « toi ».

2.1.8. Réduction phonographique

Le cyberlangage se caractérise, en outre, par l’effacement phonique avec compactage d’éléments dans des séquences : mots ou phrases. Ce procédé dissout les segments de mots et évoque le mot ou le segment phonique. C’est ce qui justifie les constructions suivantes dans les SMS :

    (1) « keske »      pour     « qu’est-ce que »

    (2) « mapelé »    pour     « m’appeler » dans « il m’a appelé »

En un mot, nous disons que les rédacteurs des SMS recourent à des combinaisons successives de procédés pour des mots plus longs, voire des « phrases ».  L’exemple ci-après est loin de trahir nos propos. 

    (3) « Ok pr 14 h 30 2 tte manièr on se voi 2m1 mat1 ta fai le devoir moa

   jsui à la pis biz a++. »

La phrase n° 1 peut se traduire en français normatif de la façon suivante : « Ok pour 14 h 30. De toute manière, on se voit demain matin. Tu as fait le devoir ?  Moi, je suis à la maison. Bisou. A plus (tard).

La concaténation d’éléments et de divers procédés permet ainsi de générer des constructions comme celles qui suivent :

   (4) Salut, comment ça va.                      =   Slt komensava

   (5) Veux-tu aller au cinéma demain.      =    Vtu alé o 6néma 2m1

   (6) Qu’est-ce que le professeur a dit ?    =    Keske le prof a di ?

   (7) A lundi, je suis pressé.                      =   Al1di, j suis preC

   (8) Il y a du travail pour demain.            =   Ia du taf pr dm1

   (9) Bonjour, comment ça va ?                 =    Bjr komen ca va 

   (10) Tu es où ? Je t’attends en bas

        de chez toi ! Descends rapidement !   =   Tou jtatan  en ba, D100 vite         

   (11) Tu es énervé ?                                  =   T nrv 


        (12) J’étais au cinéma.                             =  GT o ciné 

   (13) J’espère que tu seras d’accord avec moi.  =  GspR ke tu sra dak

                                                                        avc moi 

La dernière phrase nous laisse pantois :

   (14) Le langage SMS nè vrémen pa bo, il gache notre bel langue, le francè.   

      Il sécri grace  à la fonétic dé mo san fèr atention à leur ortografe réel !!!

     Équivaut à

Le langage SMS n’est vraiment pas beau. Il gâche notre belle langue, le français. Il s’écrit grâce à la phonétique des mots sans faire attention à leur orthographe réelle !

Avouons ! Ces trouvailles ne sont-elles pas géniales ?

3. Les métaplasmes par suppression présents dans les SMS

Puisque nous examinons des unités lexicales, il convient de préciser, ici, que la suppression ne peut être que partielle. Nous nous focaliserons sur trois cas : l’aphérèse, l’apocope, la syncope.

3.1. L’aphérèse

L’aphérèse se compte au nombre des métaplasmes par suppression. Ici, la suppression est localisée au début du mot. Dans les SMS, l’aphérèse s’applique aussi bien aux morphèmes qu’à un certain nombre d’expressions et de locutions. On a ainsi ce qui suit dans les SMS :

   (1) coco              pour          noix de coco

   (2) compteur      pour          taxi à compteur

   (3) le primaire     pour          l’école primaire

3.2. L’apocope

L’apocope se classe aussi parmi les métaplasmes par suppression. Elle se définit comme la chute d’un ou de plusieurs sons, d’une ou de plusieurs syllabes à la fin d’un mot. La suppression a lieu donc à la fin du mot. Nombre d’internautes écrivent donc :

   « beau »  au lieu et place de  « beau-père » ou « beau-frère », et

   « belle » pour désigner la « belle-mère » ou la « belle-sœur ».

Les exemples infra indiquent davantage l’ampleur de ce phénomène linguistique chez les internautes ivoiriens. Les morphèmes en SMS sont à gauche, leurs formes en français normatif, à droite.

   (1) « bri »        pour     « brigand »

   (2) « compo »  pour     « composition »

   (3) « Ferké »    pour     « Ferkessédougou »

   (4) « lacry »     pour     « lacrymogène »

   (5) « tchêp »    pour     « tchêp djên »

   (6) « tchap »    pour     « tchapalo »

   (7) « palu »      pour     « paludisme »

A l’instar de l’aphérèse, l’apocope s’applique aussi bien aux morphèmes qu’à certaines expressions et locutions de la langue française usitées en Côte d’Ivoire. Les exemples qui suivent sont loin d’infirmer nos propos :

   (1) à plus tard     →      à plus

   (2) coca-cola        →      coca

   (3) charbon de bois     →     charbon

   (4) la première Chaîne de la Télévision ivoirienne  →   la première

   (5) prêt-à-porter          →    prêt-à            

   (6) terminus de bus     →    terminus  

3.3. La syncope

La syncope est l’une des formes de métaplasme par suppression. Avec elle, la suppression a lieu à l’intérieur du mot. Les adeptes des SMS ne s’en privent pas. Ils écrivent donc ce qui suit :

    Yakro [jakro]    pour   désigner « Yamoussoukro » [jamusokro]

4. Les réductions et transformations avec variantes phonétiques

Elles correspondent à des déformations de la langue standard, dans sa forme orale mais aussi écrite. Aussi constate-t-on les occurrences suivantes :

4.1. Écrasements phonétiques et squelettes consonantiques

L’écrasement phonétique se réalise dans la séquence suivante :

   (1) gsè (je sais).

Les squelettes consonantiques sont beaucoup prisés par les adeptes des SMS, car les consonnes écrites possèdent une valeur informative plus forte que celle des voyelles. Les exemples les plus pertinents sont :

  (2) tt (tout), ds (dans), tjs (toujours), lgtps (longtemps)

4.2. Syllabogrammes et rébus à transfert

Dans ces deux types de procédés, les lettres et les chiffres sont utilisés pour leur valeur épellative ou phonosyllabique. Les cas les plus pertinents sont :

l (elle), c (c’est, sait (s), ou encore s’est), d (des), g (j’ai), 1 (un), 2 (de),8 (ui), k(ka ), k7 (cassette), kko(cacao), oqp (occupé ),Ces procédés ne tiennent pas souvent compte des frontières de mots, Les exemples infra le démontrent de façon éloquente :

   (1) « 2m1 » (demain),

   (2) « koi 2 9 » (quoi de neuf),

   (3) « C bi1 » (c’est bien)

L’ampleur de ce phénomène linguistique est telle que les chaînes de télévision, et non les moindres, s’en servent. Ainsi, CANAL+ SPORTS3 (dimanche, 12 novembre 2017) pouvait-il écrire ce qui suit :

    (4)« Le k Benzema »

4.3. Logogrammes et paralogogrammes

Les Logogrammes et paralogogrammes sont généralement des signes-mots ou des séquences de signes-mots. Ainsi avons-nous comme exemples :

les logogrammes stricto sensu comme 1 (un), 2 (deux), + (plus),

et les mots réduits à l’initial, j (je), p (peux).

4.4. Les acronymes

On appelle acronyme un terme technique qui désigne un mot constitué à l’origine des initiales d’autres mots. Dans les SMS, on utilise les acronymes pour remplacer un syntagme ou une expression figée, une énumération standardisée, ou même un énoncé complet. Ces cas-ci se présentent :

lol (laughing out loud), asv (âge, sexe, ville), avs (à votre service),

ras (rien à signaler) ou encore mdr (mort de rire).

4.5. Étirements graphiques

Le procédé consiste à prolonger ou à répéter, sans aucune limite théorique un segment du mot ou de la phrase : Soit ce qui suit :

    (1) Ameeeeennnnnnnn,

   (2) lolllllllll

   (3) g taiiiiiiiiiime

4.6. Redoublement segmental

Le prolongement ou la répétition peut être uniquement focalisé sur la voyelle finale d’un morphème. Cette opération aboutit à une insistance. Nous en trouvons une illustration dans les exemples ci-dessous :

  (1) jusqu’ààà    se dit       [ʒyskaaa] : Pendant très longtemps.

  (2) depuiiis       se dit        [dəpɥiii] : Depuis fort longtemps.

  (3) voilààà !       se dit       [vwalaaa] : Justement !

4.7. Abréviation et verlan

L’abréviation est un procédé morphologique qui permet de raccourcir un mot pour gagner du temps et de la place. Dans les SMS des Ivoiriens, on voit ce procédé s’amalgamer avec le verlan, autre procédé linguistique d’origine française consistant en l’inversion des syllabes d’un mot. On note ce phénomène linguistique dans « Poy » qui dérive de « Yopougon ». Aussi aura-t-on l’exemple c- dessous :

« Ramsus, l’enfant de Poy » 

L’écriture SMS se combine souvent avec les smileys.« Unsmiley(de l’anglais smiley, « sourire »), une frimousse, utilisé en français correct et admis à l’Académie française ou une binette, est un dessin extrêmement stylisé de visage souriant coloré en jaune, exprimant l’amitié. Le terme est couramment employé pour désigner d’autres visages » → Cette flèche signifie « donne ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Smiley)

On parle aussi d’émoticône. « Une émoticône est une courte figuration symbolique d’une émotion, d’un état d’esprit » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Smiley).

Voici, en guise d’illustration, quelques smileys et leurs acceptions :

Les exemples avec insertion de smileys à travers des SMS sont pléthoriques sur les réseaux sociaux dont l’un des plus en vue est Facebook. En voici quelques-uns :

   (1) « Feu https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fab/1/16/2620.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fab/1/16/2620.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f53/1/16/1f605.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f53/1/16/1f605.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f34/1/16/1f914.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f34/1/16/1f914.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb7/1/16/1f917.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb7/1/16/1f917.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f38/1/16/1f918.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f38/1/16/1f918.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb9/1/16/1f919.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb9/1/16/1f919.png»

Plusieurs sentiments s’embrassent à travers ces représentations. La puissance et la force sont exprimées à travers les signes « https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f50/1/16/1f525.pnghttps://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f6c/1/16/1f4aa.png ». Le danger et l’étonnement par «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f4e/1/16/1f644.png https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fab/1/16/2620.png ».

Les smileys «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f53/1/16/1f605.png » «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f34/1/16/1f914.png » «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb7/1/16/1f917.png » « https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/f38/1/16/1f918.png» «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fb9/1/16/1f919.png » renvoient successivement à « la joie »,  à « la surprise »,  à « mort de rire (lol) » et  à « la sympathie ».

(2) « Drame https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png ». Ici, la situation est tellement catastrophique (drame) que seules des images peuvent l’exprimer. L’auteur amplifie cela en triplant l’émoticône incarnant l’effarement total, notamment «https://static.xx.fbcdn.net/images/emoji.php/v9/fad/1/16/1f632.png ».

Conclusion

L’écriture texto est en train de nous envahir. Le langage dit « des jeunes » est devenu un dialecte commun. Le fameux langage des textos est devenu une écriture à part entière. Elle possède ses procédés spécifiques. De façon générale, l’écriture SMS ne répond pas aux normes d’orthographe française classique. Le langage SMS modifie les caractéristiques orthographiques ou grammaticales de la langue. Avec les SMS, le lexique écrit s’élabore selon une orthographe certes détournée de ses normes habituelles, mais selon une orthographe toujours respectueuse de normes et possède indubitablement les mêmes fonctions de conventionalité et de lisibilité inhérentes à toute communication écrite. Il y a donc lieu de ne plus condamner systématiquement les mots SMS. De par son contenu et sa rapidité, l’écriture électronique surclasse presque tous les autres moyens de communications. Elle permet non seulement de sauvegarder la confidence, l’intimité et les secrets, mais elle coûte moins cher. Les populations et particulièrement les jeunes ne s’en privent pas.

En somme, « la communication électronique engage ses usagers dans un équilibre souvent relatif entre désir d’invention individuelle et respect de normes de communication partagées au sein d’une collectivité à géométrie variable » (J. David et H. Goncalves, 2007, p.42). Elle laisse libre court au génie créateur à ceux qui s’y adonnent. Le dialecte SMS se présente d’abord et avant tout comme une recréation mais aussi et surtout comme une invention de la part des texteurs. Mais, avant de terminer, posons-nous la question suivante : L’écriture texto ne peut-elle pas être utilisée pour une facilité de prise de notes ?

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RÉSEAUX SOCIAUX ET APPRENTISSAGE DU JOURNALISME 2.0

Antonin Idriss BOSSOTO

Université Marien NGOUABI (République du Congo)

wbossoto@gmail.com

Résumé :

Cette recherche vise à cerner l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux dans l’apprentissage du journalisme 2.0 dans le cadre du projet 242.News initié au parcours des Sciences et Techniques de la Communication de l’Université Marien Ngouabi (République du Congo), le seul assurant une formation universitaire aux métiers du journalisme, de la communication et de la documentation. L’enquête a été mené au 1er semestre de l’année académique 2022-2023, à partir d’un échantillonnage par choix raisonné des enquêtés. Les données ont été recueillies a) par le biais d’entretiens sémi-directifs avec 05 enseignants de journalisme et b) par un focus groupe avec 23 étudiants retenus pour le dit projet. Les résultats montrent que le projet 242.News à travers l’usage des réseaux sociaux tels que WhatsApp et Facebook donne la possibilité aux étudiants d’acquérir des compétences journalistiques.

Mots clés : Apprentissage, Formation, Journalisme 2.0., Projet, Réseaux sociaux.

Abstract:

This research aims to identify the impact of the pedagogical use of social networks in learning journalism 2.0 as part of the 242.News project initiated at the Communication Sciences and Techniques course of the Marien Ngouabi University (Republic of Congo), the only one providing university training in journalism, communication and documentation professions. The survey was conducted in the 1st semester of the 2022-2023 academic year, using purposive sampling. Data were collected a) through semi-directive interviews with 05 journalism teachers and b) through a focus group with 23 students selected for the said project. The results show that the 242.News project, through the use of social networks such as WhatsApp and Facebook, enables students to acquire journalistic skills.

Keywords : Learning, Training, Journalism 2.0., Project, Social networks.

Introduction

Les réseaux sociaux numériques (RSN) nous offrent aujourd’hui de multiples possibilités d’enseignement et d’apprentissage. Ils permettent l’expansion des pratiques pédagogiques, des échanges entre étudiants et enseignants au-delà de la salle de classe (Charnet, 2018). Ils font partie intégrante du quotidien des étudiants actuels qui correspondent à la génération des natifs du numérique (Prensky, 2001). Dans le cadre de leur formation, ceux-ci n’attendent pas que l’université leur propose des services ou des activités en ligne, ils les créent eux-mêmes en constituant, par exemple, des groupes numériques de travail, plus communément appelés « groupes Facebook » (Michaut et Roche, 2017).

Constituant une plateforme ancrée dans le quotidien des étudiants (Holo et Koné, 2022) et un outil essentiel aux études en contexte universitaire (Melot et al. 2014), le réseau social Facebook a été utilisé courant mars 2020 pour un projet de media distribué (242.News). Animé par un groupe de 23 étudiants en journalisme, inscrits au parcours des Sciences et Techniques de la Communication (STC) de l’Université Marien Ngouabi, le projet 242.news avait pour objectif de développer les compétences éditoriales et rédactionnelles des étudiants à partir des techno-compétences acquises de l’appropriation de Facebook. La mission des étudiants consistait à collecter et traiter de façon collaborative les faits de société les plus marquants et quelques faits d’actualité en version texte, image ou vidéo, à partir d’un groupe WhatsApp utilisé comme salle de rédaction virtuelle et de les publier sur la page Facebook après correction et validation par les pairs.

1. Problématique

Dans l’optique de faciliter l’apprentissage du journalisme 2.0, nous avons initié le projet de média distribué « 242.News » (https://m.facebook.com/242.news.online) avec un groupe composé d’étudiants de Master et de 3e année de licence en journalisme, sur les médias sociaux Facebook et WhatsApp en mars 2020. En effet, le journalisme 2.0 est une forme de journalisme utilisant les services et applications du web 2.0, telles que les blogs, les flux RSS et les réseaux sociaux numériques pour produire de l’information en ligne aux formats vidéo, audio, image, texte ou data (Ali et Kaur, 2015).

Le choix de ses catégories d’étudiants se justifie à deux niveaux. En premier lieu, les étudiants inscrits en Master ont été les premiers à participer au projet (deux ans plutôt), pendant qu’ils étaient en Licence 3. Ils constituent alors une importante source d’information sur le projet.  Par contre, le choix des étudiants de Licence 3 se justifie par le fait que ce niveau constitue la période de professionnalisation des apprenants aux métiers du journalisme et que certains d’entre eux ont été sélectionné pour prendre part au projet. Ce projet réalisé à partir d’un guide d’élaboration de projet pédagogique présenté par Sene et al (2009, p.145) vise à apporter aux étudiants la maîtrise et les compétences nécessaires à l’exercice du journalisme plurimédia. Il met l’accent sur les spécificités du journalisme sur Internet et plus particulièrement sur les réseaux sociaux, notamment en matière d’écriture, du choix des illustrations et de publication de contenus informationnel sous divers formats. Premièrement, cette démarche s’inscrit dans un contexte marqué par l’inexistence d’infrastructures adéquates à l’apprentissage pratique du journalisme, faute d’équipements et d’environnement numérique dédiés à l’apprentissage de ce métier au parcours type des Sciences et Techniques de la Communication. En second lieu, ce projet vient en complément à la formation en journalisme qui a pour objectif, excepté les compétences rédactionnelles et éditoriales de « préparer les étudiants en journalisme à s’adapter aux évolutions technologiques et aux autres changements qui ne cessent de modifier continuellement l’exercice de la profession (Unesco, 2009, p. 12).

Notre travail de recherche est dès lors guidé par les questions suivantes : Comment la création d’une page Facebook d’actualité, par le biais d’une pédagogie par projets, peut-elle contribuer à l’apprentissage du journalisme 2.0 chez les étudiants ? Dans quelle mesure les réseaux sociaux peuvent-ils être considérés comme des outils essentiels à l’apprentissage du journalisme 2.0 ? Quel est l’apport de l’approche par projet dans l’apprentissage du journalisme 2.0 ? Quels sont les obstacles à l’apprentissage du journalisme 2.0 par l’intermédiaire des réseaux sociaux dans le cadre du projet 242.News ?

L’objectif de ce travail est d’une part de cerner l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux sur l’apprentissage du journalisme 2.0, de comprendre l’apport de l’approche par projet dans ce type d’apprentissage et d’autre part, de circonscrire les obstacles et les contraintes à l’apprentissage pratique de ce métier dans le cadre du projet 242.news.

2. Cadre théorique

2.1. L’approche par projet

L’approche par projets constitue le fondement théorique de notre travail. Selon El Mouthi et al. (2012), elle consiste à regrouper par équipes des élèves pour réaliser un projet dont l’exécution nécessite l’utilisation des TIC comme ressources. Le projet vise l’apprentissage de nouveaux contenus disciplinaires du programme officiel et le développement de compétences technologiques, méthodologiques, sociales. Elle prépare ainsi les apprenants au monde professionnel actuel d’autant plus qu’elle repose sur le travail en équipe. En effet, il repose sur l’entraide, l’enrichissement mutuel par la confrontation et la validation des idées.

Cette approche privilégie la méthode active, participative. Celle-ci prend en compte la motivation, les besoins et les attentes des apprenants. Elle nécessite la définition de stratégies par lesquelles les apprenants sont amenés à produire, créer, chercher, s’informer et à communiquer à l’aide des TIC. Elle favorise donc la construction de connaissances par les élèves. L’accent est davantage mis sur l’apprentissage que sur l’enseignement. L’enseignant n’est plus le magister, l’unique détenteur de savoirs mais un facilitateur qui aide les élèves à construire leurs connaissances (Tardif, 1998). Il les accompagne afin de leur permettre de s’approprier le projet. Le projet doit être assez significatif et doit présenter des défis que les élèves devront relever. Il peut s’appliquer à un ou plusieurs domaines disciplinaires.

2.2. Réseaux sociaux : outils d’apprentissage

Le web 2.0 marque le passage de la communication « one to many » propre aux médias traditionnels, à la communication « many to many », de l’interactivité à l’interaction et du partage de l’information au partage des savoirs. L’internet et le web 2.0 ont permis l’émergence de ces réseaux socio-numériques définis par Boyd et Ellison (2007). Les réseaux et médias sociaux nous offrent aujourd’hui de multiples possibilités d’enseignement et d’apprentissage. D’après Charnet (2018), ils permettent l’expansion des pratiques pédagogiques, des échanges entre étudiants et enseignants au-delà de la salle de classe. Les travaux de Mélot et al. (2014) réalisés auprès de 168 étudiants inscrits au master en Sciences de l’Éducation à l’Université de Mons en Belgique, ont révélé que 96,8% de ces étudiants utilisent le réseau social Facebook dans le cadre de leurs études universitaires.

Dans une étude s’intéressant aux différentes utilisations de Facebook, comme support d’aide à l’apprentissage, par des étudiantsans le cadre de leur formation, Thivierge (2011) parvient à la conclusion que Facebook dépasse le simple cadre de réseau social personnel, de par la multiplicité de ses usages dans le domaine pédagogique. Kucuk et Sahin (2013) soutiennent que grâce à Facebook et aux nombreux outils de communication qu’il renferme, les étudiants développent leurs compétences à communiquer et peuvent donc s’ouvrir aux savoirs et partager l’information.

2.3. Les RSN : un impératif pour la formation en journalisme

Selon Carpenter (2009), de nombreux chercheurs ont tenté de justifier l’intégration du curriculum numérique dans les programmes de journalisme en analysant les tendances dans l’industrie de l’information. En raison de la croissance et de l’évolution rapides des médias, les chercheurs ont conclu que les compétences évoluent constamment, laissant par conséquent aux journalistes des « voies mal définies vers l’emploi par rapport à la plupart des professions » (Cooper et Tang, 2010).

D’après Diaf (2005, p. 17), le journalisme 2.0 est une pratique journalistique qui s’est développée en 2004 aux États-Unis, par la production et la diffusion d’informations en utilisant les réseaux sociaux comme medium (Tumblr, Over Blog, WordPress…). Vu les enjeux actuels en termes de mutation des métiers du journalisme, doter les étudiants de compétences liées à cette forme de journalisme s’avère un impératif. En effet, les travaux de Cochrane et al. (2012) démontrent que l’utilisation des outils du web 2.0 dans des cours de journalisme a un impact significatif sur la motivation et la compréhension des étudiants.

Une enquête menée par Hirst et Treadwell (2011) à l’Université des Technologies de Oakland sur les usages et attitudes des étudiants en journalisme vis-à-vis des médias sociaux dans l’actualité a révélé que les étudiants considèrent les médias sociaux comme de puissants outils de travail pour les journalistes.

Laru et al. (2012) précisent que l’intégration des médias sociaux dans la salle de classe en utilisant « des activités pédagogiques et des outils web 2.0 soigneusement élaborées » (Laru et al, 2012, p. 36) peut améliorer l’expérience d’apprentissage et être des outils précieux pour faciliter l’acquisition de connaissances par les étudiants. Cependant, il convient de préciser que la plupart des recherches sur l’intégration des médias sociaux dans un programme de journalisme préconisent de combiner les méthodes d’apprentissage traditionnelles avec les outils et plateformes de réseaux sociaux numériques (Schwalbe, 2009).

2.4. Le Modèle d’adoption du m-apprentissage

Le modèle théorique de cette étude s’est basé sur le modèle de recherche proposé par Kouakou (2019) sur l’intention d’adoption du M-apprentissage. S’inspirant de l’UTAUT de Venkatesh et al. (2003) et du TAM de Davis (1989), le modèle de Kouakou s’adapte au contexte de cette recherche dans le sens où « l’utilité perçue » du téléphone mobile n’est plus a démontré dans le contexte de l’enseignement et l’apprentissage. Le degré de facilité associé à l’utilisation du mobile, « la facilité d’utilisation perçue » et « l’influence sociale » due au succès des réseaux sociaux numériques jouent sur la motivation des étudiants à s’impliquer dans le projet du fait que l’usage du téléphone mobile est ancré dans les mœurs des adolescents (Fize, 1997). En effet, l’adoption du m-apprentissage repose sur le fait que l’utilisation des terminaux mobiles et des applications se fera sans effort cognitif (Kouakou, 2019, p. 7). De plus, les « conditions de facilitation » influencent significativement l’intention d’adoption de cette forme d’apprentissage. C’est-à-dire que les étudiants impliqués dans le projet 242.News seraient plus enclins à adopter le m-apprentissage que s’ils estiment l’environnement institutionnel, infrastructurel et financier favorable. Enfin, « l’enjouement perçue » apparait comme un facteur intéressant pour les apprenants dans la mesure où le plaisir résultant de l’utilisation du téléphone mobile et des réseaux sociaux exerce une influence sur l’intention d’adopter une technologie.

3. Méthodologie

Cette recherche de type qualitatif a été mené au 1er semestre de l’année académique 2022-2023, notamment entre le 10 novembre 2022 et le 05 février 2023. Nous avons fait recours à un échantillonnage non probabiliste (par choix raisonné), de commodité pour mener cette étude. La population d’enquête comprend le personnel enseignant assurant les enseignements de journalisme et une partie des étudiants responsables du projet 242.News. Le choix de ce type d’échantillonnage se justifie par le fait que les acteurs impliqués dans le projet (étudiants) constituent des personnes ressources dans le cadre de cette recherche. L’échantillon est composé de 28 personnes : 16 étudiants de licence 3 journalisme, 07 étudiants de Master journalisme et de 05 enseignants de journalisme en licence. Parmi les étudiants, il y a 13 garçons et 10 filles. Chez les étudiants, les critères d’inclusion retenus sont : le niveau, la spécialité, le sexe et le statut de participant au projet. Chez les enseignants le critère d’inclusion sont les niveaux dans lesquels l’enseignant intervient, la spécialité enseignée et le statut de participant au projet. 

Les données ont été collectées au moyen de 2 types techniques. Il s’agit des entretiens semi-directifs destinés aux enseignants et le focus groupe avec les étudiants impliqués dans le projet. Les entretiens avaient pour objectif de questionner les enseignants sur le rôle des réseaux sociaux numériques comme alternative au manque d’équipements pour la pratique journalistique, l’importance de la pédagogie par projet dans l’apprentissage du journalisme 2.0 au parcours STC et de déterminer les freins à ce type d’apprentissage. Ces entretiens ont été réalisés sur les lieux de la recherche et ont pris en compte l’environnement social personnel et professionnel de la personne enquêtée (Beaud, Weber, 2010, p. 155).

Pour sa part, le focus groupe a été structuré autour d’un item de quatre questions avec pour objectif d’identifier, de décrire et d’interpréter l’influence des réseaux sociaux numériques sur l’apprentissage du journalisme 2.0 par les étudiants. Le choix d’interroger les étudiants impliqués dans le projet est inévitable. En effet, seuls ces acteurs de terrain peuvent nous renseigner sur l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux numériques sur l’apprentissage du journalisme 2.0 dans un contexte de pédagogie par projet.

Le traitement des données a été réalisé à partir du logiciel de traitement des données qualitatives : QSR NVIVO 11. Cette démarche nous a aidé à cerner les représentations concernant la complémentarité du projet 242.News avec les notions et principes du journalisme abordées en classe. Une fois le processus de thématisation complété, nous avons poursuivi l’analyse en procédant à un examen discursif des thèmes et des extraits correspondants » (Paillé, Muchielli, 2003, p. 145).

4. Résultats

Nous nous intéressons dans cette partie à présenter et à analyser les propos des interviewés sur l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux numériques dans l’apprentissage du journalisme 2.0 et de circonscrire les freins à l’apprentissage pratique de ce métier dans le cadre du projet pédagogique 242.News.

4.1. Des enseignants convaincus de la valeur ajoutée des réseaux sociaux numériques

4.1.1. Réseaux sociaux numériques outils apprentissage du journalisme 2.0

D’après les déclarations des enseignants interrogés, il se dégage que l’utilisation des réseaux sociaux numériques dans l’apprentissage du journalisme 2.0 apporte un soutien très important à la formation des étudiants :

Les étudiants en journalisme de troisième année de licence et de Master sélectionnent les sujets de proximité et apprennent à les traiter sur le groupe WhatsApp qui s’apparente à une salle de rédaction virtuelle où les projets d’articles sont amendés par le collectif avant leur publication sur la page Facebook du journal (EE1 (Nomenclature des enquêtés – par exemple : EE4 (Entretien Enseignant numéro 4), EA12 (Entretien Apprenant numéro 12).

Les réseaux sociaux numériques comme WhatsApp permettent aux étudiants impliqués dans le projet d’améliorer la rédaction de contenus journalistiques en bénéficiant des remarques des enseignants ou d’autres étudiants impliqués dans le projet (voire illustrations n°1 et n°2). Un enseignant insiste sur le fait que « les étudiants gagnent d’un point de vue pratique car ils ont la possibilité de sélectionner une information en se référant aux règles éthique et déontologique de la pratique du journalisme enseigné en classe. L’apport est multiforme » (EE3).

L’analyse des propos des enseignants montre que les réseaux sociaux numériques contribuent largement à l’acquisition de compétences numériques et à une production de l’information de type collaborative. Cela s’explique par le fait que les récentes innovations éditoriales, en termes de contenu et de plateformisation se sont imposées de façon évolutive. D’après les enseignants,

Ces pratiques permettent aux apprenants d’intérioriser les exigences de la modernité à l’ère du numérique. En effet, le numérique a modifié la pratique journalistique dans le monde dans la mesure où la production de l’information doit tenir compte des impératifs de rapidité, l’interactivité, le caractère multimédia de l’information (EE4).

D‘autre part, il y a lieu de préciser que les réseaux sociaux numériques font partie intégrante du quotidien de la génération des étudiants enquêtés qui correspond aux Digitals natives et qui disposent des techno-compétences nécessaires à l’usage du web 2.0. De ce fait, le recours aux réseaux sociaux numériques pour l’apprentissage du journalisme 2.0 apparait comme une opportunité pour les apprenants.  C’est ce qu’un des enseignants de journalisme précise en ces termes :

C’est un apport qui est un plus par rapport à ce que les étudiants apprennent théoriquement car un journaliste ne peut pas se passer des réseaux sociaux numériques, notamment avec la pratique journalistique sur Twitter. Twitter est un réseau social d’une importance capitale car l’actualité se fait sur ce réseau social (EE5).



Illustration 1 : Enseignant recommandant de vérifier une information avant son traitement.               Source : Bossoto. AIllustration 2 :  Correction d’une proposition d’information à publier entre 2 étudiants. Source : Bossoto. A  

L’apprentissage du journalisme 2.0 s’avère plus dynamique pour les apprenants. Cela s’explique par le fait que les réseaux sociaux numériques sont des outils faisant partie de leur quotidien et que les fonctionnalités d’interaction et de publication sont ancrées dans leurs modes de vie.

L’illustrations n°1 montre un échange entre une étudiante et un enseignant sur la vérification d’une information avant son traitement et sa publication. On constate que l’enseignant recommande à l’étudiante de vérifier les faits, bien que l’information proposée paraisse être un scoop. Par contre, le cas suivant (Illustration n°2) met en exergue un travail collaboratif d’étudiants apportant au sein du groupe WhatsApp. On y constate la réaction d’un étudiant qui propose les corrections d’une proposition d’information à un de ses pairs.

4.1.2. La pédagogie par projet : une maïeutique au service de l’apprentissage du journalisme 2.0

D’après les enseignants interrogés, la pédagogie par projet offre plusieurs avantages dans la formation des étudiants en journalisme. Il se dégage que la mise en place de projets impliquant et responsabilisant les étudiants permet d’éclore le génie créatif de ceux-ci.

Ceux-ci ne sont plus considérés comme de simples récepteurs de connaissances transmises par les enseignants de manière unilatérale, mais ils deviennent des co-producteurs de projets. Cette démarche a pour but d’éveiller en eux l’esprit de collaboration, de créativité et d’innovation (EE3).

En effet, le projet 242.News constitue une forme d’apprentissage pratique du journalisme qui s’inscrit dans la continuité des notions théoriques du journalisme abordées en classe. En tant qu’outil complémentaire au cours magistral, la pédagogie par projet offre un avantage aux apprenants en journalisme, notamment à travers leur professionnalisation par l’intermédiaire des réseaux sociaux numériques utilisés pour le travail collaboratif (salle de rédaction virtuelle sur WhatsApp et plateforme de publication d’actualité sur Facebook).

À partir de ce type de projet, l’étudiant ou l’étudiante est à même d’avoir des bases sur le plan pratique de ce qu’ils ne font pas ici à l’école. Je crois qu’avec ce projet, c’est bien parti pour que les étudiants apprennent le métier de journaliste. Cette démarche est une opportunité pour leur employabilité. Ainsi, arrivés sur le terrain de l’emploi, ils ont déjà exercé à partir d’un projet (EE1).

On constate que l’approche par projet joue un rôle important dans la médiation entre la situation de formation et la situation professionnelle dans laquelle évolue les apprenants. Ceux-ci ont pu ainsi acquérir des connaissances pratiques débouchant sur une meilleure maîtrise de l’environnement de traitement et de production de l’information par le biais d’un apprentissage contextualisé et de nouvelles découvertes qui surviennent dans le processus du projet. Cette posture montre que la professionnalité ne se réduit pas aux enseignements formels, et encore moins au diplôme terminal. Elle rend compte de tous les épisodes professionnalisants, ou supposés tels, qui s’enchaînent ou se superposent dans des combinaisons variées au fil du parcours des étudiants.



Illustration 3 :  Rédaction par un étudiant d’une information relative à une évasion dans un commissariat. Source : Bossoto. AIllustration 4 :  Information sur l’évasion publiée sur la page Facebook par un étudiant. Source : Bossoto. A  

4.1.3. Des étudiants confrontés à des difficultés en termes de connectivité

L’utilisation des réseaux sociaux numériques pour l’apprentissage du journalisme 2.0 constitue est une opportunité en tant qu’outil pédagogique. Mais, ce type d’apprentissage est confronté à des obstacles qui peuvent être considérés comme des facteurs d’exclusion pour les étudiants. Sur cet aspect, un élève déclare :

C’est difficile pour nous de participer de façon quotidienne aux activités du groupe, car la connexion coûte chère. Pour être à l’affut des informations et intervenir dans le groupe, il faut avoir une connexion illimitée.  Les forfaits sont accessibles, mais les activer tous les jours, ce n’est pas évident pour nous, Ce sont de grosse dépenses… (EA5).

De même un autre poursuit :

Faute de crédits, je suis obligé de me connecter deux à trois fois par semaines. Ce qui fait qu’il m’arrive de manquer certaines activités réalisées dans le groupe. Il est impossible de participer aux activités du groupe sans connexion, c’est encore plus dur si tu perds ton téléphone, car il faut du temps pour trouver l’argent pour acheter un nouveau téléphone, ça coute cher, ce n’est pas évident (EA11).

Les entretiens réalisés avec les enseignants révèlent le même type d’obstacles à cette forme d’apprentissage. C’est le cas de cet enseignant qui explique ceci : « Le fait que les étudiants ne disposent pas de smartphones, avoir une batterie déchargée, le manque d’électricité peuvent être des obstacles. De plus, le coût de connexion aux forfaits Internet mobile peut être un obstacle à l’apprentissage » (EE4).

Au regard, des propos des étudiants et des enseignants, il convient de préciser que la fréquence de connexion à l‘internet mobile nécessaire pour participer quotidiennement aux activités de production d’actualité en ligne est un problème. Il ressort que les coûts d’accès à l’Internet mobile constituent un obstacle majeur à ce type de projet pédagogique. À cela s’ajoute l’acquisition d’un téléphone portable de type Androîd, dont le prix n’est pas accessible pour tous les étudiants.

4.2. Une opportunité pour l’apprentissage et la professionnalisation des étudiants

4.2.1. Des étudiants en journalisme formés au-delà de la salle de classe

Le focus groupe avec les étudiants a révélé que la mise en place du projet pédagogique 242.news offre de multiples avantages aux étudiants impliqués dans le projet de s’exercer, de se former et de collaborer. L’analyse des propos des apprenants nous a permis de dégager quatre catégories d’avantages au profit de leur apprentissage, à savoir : le complément des notions abordées en classe, le renforcement de la pratique journalistique, le développement des compétences rédactionnelles (tableau 1).

Tableau 1 : Avantages perçus du projet 242.News

ItemsEffectifs%
Complément des notions abordées en classe2191 %
Renforcement de la pratique journalistique1878%
Renforcement de l’apprentissage des bases du journalisme1669%
Développement des compétences rédactionnelles1460%

Source : Bossoto A.

Les résultats présentés dans le tableau N°1 montrent que pour une grande partie des étudiants (91%) le projet 242.News s’inscrit dans la continuité des notions théoriques de la pratique journalistique abordées en classe. À cet effet, un étudiant précise que :

C’est une bonne initiative pour les étudiants car à l’école, on fait la théorie et on a du mal à faire la pratique. À travers 242news, nous faisons de la pratique. C’est donc une initiative qu’on doit encourager et financer pour donner la possibilité à d’autres étudiants qui veulent bien se former en attendant la période de stage. C’est donc une bonne opportunité pour les étudiants (EA08).

Ainsi, ce projet confère aux apprenants des compétences et de l’expérience rédactionnelle par anticipation à la période de stage professionnel qui se déroule généralement à la fin du semestre 6 de niveau Licence.

Les étudiants reconnaissent que les réseaux sociaux numériques ont une grande incidence dans le cadre de l’apprentissage du journalisme 2.0 et de leur formation. Ces réseaux peuvent être utilisés à moindre coût pour une période indéterminée, comme l’affirme un étudiant :

Ça permet aux étudiants d’avoir une ouverture d’esprit en matière de journalisme c’est-à-dire savoir comment mettre en œuvre une ligne éditoriale car aujourd’hui, un journaliste 2.0 doit avoir des bases sur la conception de la ligne éditoriale qui permettra de définir une grille de programmes ou de publications. Donc les réseaux sociaux numériques jouent de beaucoup dans l’apprentissage (EA13).

4.2.2. Acquisition de compétences techno-rédactionnelles par les étudiants

Selon les propos des apprenants, le projet pédagogique 242.News a eu une incidence positive sur le volet pratique de l’apprentissage du journalisme 2.0 chez les étudiants. D’après l’analyse des déclarations des apprenants, on constate que ceux-ci ont pu bénéficier de savoir-faire et de compétences diverses. En fait, comme le montre le tableau n°2, la majorité des étudiants admettent avoir acquis des compétences journalistiques (95%) permettant de collecter des informations, de rédiger un article de presse pour les médias sociaux, de les diffuser et d’interagir avec ses abonnés.

Plus de 08 étudiants sur 10 (soit 86%) affirment avoir pu améliorer leurs compétences en termes de rédaction de contenus d’actualité pour les réseaux sociaux numériques. Les compétences acquises sont diverses, se situant à cheval entre la rédaction web, le community management et la veille informationnelle.

ItemsEffectifs%
Acquisition de compétences journalistiques2295%
Rédaction pour les réseaux sociaux2086%
Publication et gestion de la page Facebook1565%
Collecte d’information0939%

Tableau 2 : panorama des compétences acquises par les apprenants

Source : Bossoto A.

De plus, ils affirment également avoir pu développer des compétences techniques liées à la gestion des différentes pages de réseaux sociaux numériques utilisées pour publier l’actualité (65%). Sur ce sujet, un étudiant explique :

J’arrive maintenant à gérer une page Facebook, à rédiger un texte et l’annexer à une image ou une vidéo, ce sont entre autres compétences que j’ai acquises dans le projet, En plus, j‘ai découvert le travail en équipe et surtout à distance. Pour le projet 242.news, je travaille en virtuel sur notre groupe WhatsApp, depuis chez moi à la maison (EA02).

En revanche, le tableau N°2 révèle quelques difficultés au niveau de la collecte des informations. À peine 39% d’entre eux admettent avoir pu acquérir des compétences dans le choix de l’actualité à proposer au groupe. Cela peut s’expliquer par le fait que l’actualité locale est généralement marquée par des faits à caractère politique ou institutionnel. Ce qui impose aux apprenants à affiner leurs sources d’information afin de proposer une actualité pouvant générer du trafic (buzz : accidents, scandale…) et susciter d’importantes interactions avec les internautes.

Au-delà de l’acquisition de techno-compétences, il ressort que le travail collaboratif entre les étudiants est l’un des points forts de ce type d’apprentissage. En effet, les résultats du focus groupe réalisé avec les étudiants révèlent que le travail de groupe est très dynamique au sein du projet (Voir tableau 3).

Tableau 3 : Évaluation de la dynamique travail collaboratif

ItemsPas bonBonTrès bonEffectifs%
Travail de groupe051723100%
Motivation des membres2323100%
Collaboration entre pair03172086%
Collaboration avec les enseignants13121773%

Source : Bossoto A

On constate que la motivation (100%) et la collaboration (73%) entre les étudiants impliqués dans le projet est très bonne. Ces résultats sont confirmés par un étudiant pour qui « Ce projet a suscité en nous le désir de travailler en groupe, de mettre nos compétences au centre de l’évolution de cette page, de travailler dans la cohérence, dans l’unité, dans la cohésion » (EA02). De plus, les entretiens réalisés avec les étudiants révèlent l’existence d’un traitement de l’information de type collaboratif :

Parce que quand l’un d’entre nous détient une information, nous avons une plate-forme WhatsApp où nous discutons ensemble et une fois que le papier est approuvé on lance la publication notre page Facebook. Il y a des échanges entre nous, des corrections, des propositions pour essayer de trouver un terrain d’entente avant de diffuser l’information (EA11).

D’après les étudiants, le travail collaboratif bénéficie du mentorat des enseignants qui assurent la correction des articles et réorientent si possible l’angle d’attaque des contenus à publier.

4.2.3. Des étudiants exposés à une fracture numérique latente

Pour les apprenants interrogés sur les freins et obstacles liés à ce type d’apprentissage, la connectivité reste un problème majeur (73%). En effet, la logique de production de l’information en temps réel caractérisée par l’immédiateté de l’Internet impose aux apprenants d’être connectés en permanence. Cependant, ceux-ci ne disposent pas des revenus nécessaires à une présence en ligne permanente. Face au contexte socio-économique actuel, un étudiant souligne : « Nous avons du mal à être tous connectés au même moment, car tous, nous n’avons pas la connexion internet régulièrement. Il peut arriver que tu balances quelque chose dans le groupe, mais il n’y a pas interaction » (EA22).

Tableau 4 : Freins à l’apprentissage du journalisme 2.0 dans le cadre du projet 242.News

ItemsEffectifs%
Problème de connectivité1773%
Problème d’équipement en smartphone1356%
Difficultés liées aux coupures d’électricité1043%
Difficultés liées à la collecte d’information0313%

Source : Bossoto A.

Les difficultés en termes d’accès constituent pour eux un blocage dans leur volonté d’apprendre et de contribuer à la gestion et à l’animation de la page 242.news. En second lieu, disposer d’un smartphone reste encore un luxe pour beaucoup d’étudiants. L’acquisition d’un téléphone Android, d’un ordinateur ou d’un forfait internet est tributaire du capital (56%). L’un d’entre eux s’exprime en disant que « Les difficultés sont plus liées au matériel parce qu’il y a des collègues qui n’ont pas de téléphone sophistiqué. Aussi, la connexion internet coûte cher au Congo » (EA18).

Toutefois, nous relevons une fois de plus que la collecte d’informations reste un problème pour les étudiants (13%). Un apprenant réagit en précisant que :

Il y a des difficultés au niveau de la collecte de l’information car à certains moments, on avait que des informations à caractère politique, on n’avait pas des informations qui pouvaient accrocher nos abonnés. Pour contrecarrer cette difficulté, nous avons procédé à la modification de notre ligne éditoriale, c’est-à-dire au lieu de se baser sur l’actualité locale, nous avons opté pour les faits insolites, peoples et l’actualité internationale (EA13).

5. Discussion

Les résultats de la présente étude montrent que le projet 242.News donne la possibilité aux étudiants en journalisme de s’exercer, de se former, de collaborer et de gagner en expérience journalistique nécessaire à la professionnalisation et à l’employabilité des étudiants. Ces résultats vont dans le même sens que les travaux de Joannes (2010) qui utilise la notion “d’apprentissage productif” dans le cadre de la formation des journalistes face à l’innovation technologique. De même, l’étude de Hirst et Treadwell (2011, p. 14) révèle que l’apprentissage du journalisme doit s’adapter aux nouvelles exigences de l’industrie des médias.

La présente étude montre que l’usage des réseaux sociaux numériques dans le cadre d’un projet pédagogique dynamise le travail collaboratif. Le projet 242.News a permis aux apprenants de développer des pratiques collaboratives de production de l’information. À partir du réseau social WhatsApp, les étudiants soumettent des propositions de sujets d’actualité aux autres membres du groupe. Ceux-ci, sous la supervision des enseignants évaluent et corrigent les contenus rédactionnels pour une éventuelle publication sur la page Facebook du projet. Ces résultats vont de pair avec les travaux de F. Z. Mrabbi, K. Mgharfaoui, (2022) qui confèrent au réseau social WhatsApp la fonction d’espace communautaire virtuel d’apprentissage (p. 72). Dans la même perspective, les travaux de Tiemtoré (2022, p. 11) indiquent que WhatsApp apporte une contribution positive au processus d’apprentissage des étudiants en facilitant le partage de l’information (de nature pédagogique ou organisationnelle) et en offrant un cadre de discussion et d’apprentissage en dehors de l’espace physique de la classe.

La majorité des participants considèrent que le recours à la pédagogie par projet pour l’apprentissage du journalisme 2.0 par l’intermédiaire des réseaux sociaux numériques favorise l’enrichissement des enseignements transmis en classe et développe les compétences techno-éditoriales des étudiants. Ces résultats corroborent ceux de l’étude menée par Abdallâh et Boukthir (2016), pour qui les réseaux sociaux numériques évoluent au point de devenir de véritables outils d’échanges pédagogiques, satisfaisant ainsi les attentes des apprenants.

Dans le cadre de cette enquête, les enseignants ont notamment signifié que la pédagogie par projet est une opportunité pour la formation des étudiants. L’intégration des réseaux sociaux numériques dans le projet 242.News permet aux étudiants d’aller au-delà des notions théoriques abordées en classe et de collaborer dans le processus de collecte, de traitement et de publication de l’information.

Bien l’usage des TIC dans le processus d’apprentissage représente actuellement pour les étudiants faisant partie de la génération « digital native » une compétence-clé pour mieux s’adapter à une société en progression constante (Oulmaati et al., 2017), la présente étude révèle que la connectivité apparait comme l’obstacle majeur à l’apprentissage par projet médié par les réseaux sociaux numériques. La participation à un projet du type de 242.News impose aux étudiants d’être connectés en permanence. Cependant, de par leur statut, les apprenants ne disposent pas des fonds nécessaires pour une connexion mobile permanente et de qualité. De plus, le smartphone en tant qu’outil par excellence de l’apprentissage mobile, n’est pas à la portée de toutes les bourses et constitue un obstacle pour les apprenants, voire un facteur d’exclusion.

Conclusion

L’objectif de la présente recherche consistait à cerner l’impact de l’usage pédagogique des réseaux sociaux numériques sur l’apprentissage du journalisme 2.0 dans le cadre du projet 242.News. L’analyse des données qualitatives révèle que, les apprenants ont pu développer des pratiques collaboratives de production de l’information journalistique ayant une incidence positive sur leur professionnalisation. De plus, il ressort que la pédagogie par projet est une méthode adaptée à l’apprentissage du journalisme 2.0, qui répond à l’ambition de mettre sur le marché de l’emploi, des journalistes polyvalents répondant aux exigences des rédactions de type 2.0. La présente recherche montre que l’apprentissage avec les réseaux sociaux numériques peut être une alternative à l’absence d’équipements didactiques nécessaires pour un apprentissage pratique du journalisme. Cependant, la connectivité et l’acquisition de terminaux mobiles de qualité sont des freins au développement de ce type de projet. Les données recueillies à partir des entretiens sémi-directifs et des focus groupes font ressortir qu’il existe une double fracture numérique. La première est relative à l’inégalité d’accès à Internet et la seconde concerne le manque de terminaux nécessaires au processus d’apprentissage. La combinaison des réseaux sociaux numériques et de l’approche par projet dans l’apprentissage a pour conséquence d’exclure les étudiants non-connectés et non-équipés en téléphone mobile. Par conséquent, l’accès à Internet et le manque d’équipements dédiés pour la formation en milieu académique reste un problème majeur pour les universités d’Afrique subsaharienne.

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LES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF : ENTRE INNOVATION ET MODÈLE PÉDAGOGIQUE TRADITIONNEL

Rodrigue Paulin BONANÉ

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (Burkina Faso)

rodbonane@yahoo.fr

Résumé :

Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ont révolutionné le monde de l’éducation par des pratiques pédagogiques nouvelles. L’enseignement à distance s’est développé par le canal de e-learning permettant ainsi à plusieurs personnes de suivre des cours en dehors du temps et des espaces scolaires et universitaires. Les TIC favorisent un accès rapide des savoirs à un grand public. Certes, l’introduction des TIC dans le milieu éducatif ne date pas de nos jours, mais, le constat est que les technologies de l’information et de la communication, malgré leur niveau de perfectionnement et leurs variétés, ne sont pas parvenues à mettre fin à l’enseignement classique instituant, une relation entre maître et élève. En milieu scolaire, l’enseignant est toujours présent et ses interventions sont indispensables dans beaucoup de cas. La relation pédagogique unissant l’enseignant et l’élève est certes altérée mais elle demeure.  Il s’agit de savoir quel genre de pédagogie il faut adopter à l’époque actuelle des TIC. Si jadis, l’enseignant était la source incontestée du savoir, aujourd’hui son rôle a évolué en ce sens qu’il est appelé à aider les apprenants à accéder aux savoirs. Il demeure le médiateur indispensable entre les savoirs scientifiques et les apprenants. Le modèle pédagogique traditionnel, en dépit de l’avènement des TIC dans les milieux éducatifs, demeure une source indispensable de transmission du savoir.

Mots clés : Éducation, Enseignant, Relation pédagogique, Système éducatif, Technologie.

Abstract:

Information and Communication Technologies (ICTs) have revolutionized the world of education through new pedagogical practices. Distance learning has developed through the e-learning channel, allowing many people to take courses outside of time and school and university spaces. ICTs promote rapid access to knowledge to a wide audience. Although ICT has not been introduced into the educational environment for a long time, the fact is that information and communication technologies, despite their level of sophistication and variety, have not succeeded in putting an end to traditional education that establishes a teacher-pupil relationship. In a school environment, the teacher is always present and his interventions are essential in many cases. The pedagogical relationship between teacher and student is certainly altered, but it remains.  The question is what kind of pedagogy should be adopted in the current age of ICT. Whereas in the past, the teacher was the undisputed source of knowledge, today his role has evolved in the sense that he is called upon to help learners access knowledge. It remains the indispensable mediator between scientific knowledge and learners. The traditional pedagogical model, despite the advent of ICT in educational settings, remains an indispensable source of knowledge transmission.

Keywords : Education, Teacher, Pedagogical relationship, Education system, Technology.

Introduction

Les Technologies de l’Information et de la Communication couramment appelées (TIC) ont engendré des transformations profondes dans la manière d’enseigner et d’apprendre. Elles sont devenues des instruments pédagogiques inévitables dans le processus d’enseignement et d’apprentissage dans la mesure où elles permettent aux apprenants d’accéder aux savoirs, aux informations sans intermédiaire d’un enseignant. Par ailleurs, elles sont constitutives des moyens pédagogiques dont l’enseignant se sert dans le cadre des activités pédagogiques. Selon C. Solar (2008, p. 259-260), « tant en formation qu’en éducation, les TIC servent à la diffusion d’informations, à la production de documents ; utilisent des instruments et des outils de formation spécifiques ; s’intègrent dans le développement de la technologie éducative et celle des communications ».

L’introduction des technologies de l’information et de la communication dans le système éducatif conduit à penser la problématique de la relation pédagogique qui met en interaction les apprenants et l’enseignant autour du savoir. Les TIC permettant aux apprenants un accès direct aux savoirs semblent invalider la nécessité d’un enseignant dans le processus d’acquisition des connaissances à l’école. Or, dans la pratique des classes, l’enseignant demeure indispensable, ce qui atteste de la permanence du modèle de la pédagogie traditionnelle en dépit de l’intégration des TIC dans le système éducatif. La transmission des savoirs dans le cadre scolaire requiert une attitude critique que les apprenants ne peuvent assumer seuls sans l’intervention d’un enseignant. Les TIC conduisent à repenser ou à s’interroger sur la fonction de l’enseignant. Elles posent la problématique des savoirs scolaires et leurs implications didactiques. Les TIC menacent-elles la fonction enseignante ? Parviendront-elles à remplacer définitivement l’enseignant ? Quel type de formation pour les enseignants à l’ère des TIC ?

L’étude s’est faite sur la base des documents scientifiques relatifs au sujet. La réflexion s’articule autour de trois grands axes. Le premier axe traite de la pédagogie traditionnelle aux TIC dans le système éducatif. Le deuxième porte sur la nécessité de repenser la fonction enseignante à l’ère des TIC et enfin le troisième axe est une interrogation sur les TIC, une opportunité pour l’accès à l’éducation pour tous.

1. De la pédagogie traditionnelle aux technologies de l’information et de la communication dans le système éducatif

La pédagogie traditionnelle renvoie aux pratiques éducatives où un enseignant est chargé de transmettre des savoirs aux élèves. Il est l’initiateur et le concepteur des apprentissages dont il a la responsabilité. Ce qui institue entre lui et les apprenants une relation pédagogique instituant un rapport hiérarchique qui lui confère un pouvoir, une autorité sur eux. L’enseignant joue un rôle indispensable ainsi exprimé par J. Houssaye (2014, p. 121-122) : « L’enseignant aura donc une double action : du côté du savoir, il simplifiera et ordonnera le monde ; du côté des attitudes, il amènera l’enfant à se maîtriser (l’autorité) ». La fonction de l’enseignant étant de transmettre un savoir qu’il a lui-même élaboré aux élèves en situation d’apprentissage ne peut que conduire à limiter leur autonomie et les possibilités d’initiative. C’est en ce sens que L. Not (1988, p.24) écrit : « au total, l’élève est traité comme lieu d’une action qui, de l’extérieur s’exerce sur lui ; il a donc statut d’objet ».

Dans la transmission des connaissances, le « verbe magistral oral ou écrit » (L. Not, 1988, p. 24) sont les moyens couramment utilisés. En effet, le cours magistral est une caractéristique de la pédagogie traditionnelle qui met l’apprenant dans une passivité relative qui « doit suivre une démarche où tout a été prévu, ordonné et structuré d’avance sans qu’elle ait eu à participer à cette organisation, sans même qu’elle en ait eu connaissance » (L. Not, 1988, p. 29). Il est question d’une passivité relative chez l’apprenant, car il réagit au savoir de l’enseignant en l’assimilant, en le questionnant dans une certaine mesure. Les apprentissages engageant un processus cognitif, il ne saurait avoir un apprentissage sans activité du sujet.

La pédagogie traditionnelle n’exclut pas l’usage des moyens techniques rudimentaires tels que la photographie, la projection des images sur un écran pour faciliter la compréhension, l’assimilation des cours dispensés. Ces moyens appelés paléotechniques sont relativement stables comparativement aux TIC qui évoluent très vite comme le souligne H. Dieuzeide (1994, p. 13) « Les paléotechniques sont relativement stables. Les nouvelles techniques sont évolutives au point que nouveau semble souvent signifier susceptible de se renouveler encore… ». Ces moyens sont généralement utilisés dans la pédagogie traditionnelle par les enseignants qui n’ont pas bénéficié d’une formation relative à leur utilisation, fait remarquer G.-L. Baron (1994, p. 55) :

Qu’elle soit statique ou animée, véhiculée par des médias de masse comme la télévision ou par des supports traditionnels, l’image est depuis longtemps un élément important des situations d’éducation ; elle joue un rôle majeur dans la construction des connaissances. Mais, il faut bien convenir qu’il n’existe guère de tradition d’usage bien établies en matière d’utilisation pédagogique des images.

La quasi-totalité de ces « paléotechniques » ont connu une évolution considérable dans leur usage avec l’évolution technologique : « l’évolution technologique a permis aux images de devenir plus que des supports d’information inscrits de manière permanente sur une surface d’exposition » (G.-L. Baron 1994, p. 56).

Des divers moyens techniques à but pédagogique et didactique conçus spécifiquement pour l’enseignement, nous pouvons citer des diapositives, des films, des émissions de télévision en direct ou déjà enregistrées, les supports de visioconférence et des sites internet. Il peut s’agir aussi des CD-Rom permettant de stocker de grande quantité d’images et de sons. L’exploitation de ces ressources peut consister à se substituer complètement au professeur ou à le compléter.

Les machines introduites dans l’enseignement pour révolutionner les pratiques pédagogiques sont de natures diverses. En 1809, l’Américain H. Chard invente une machine pour apprendre à lire et dont le fonctionnement se fait à partir de deux rouleaux actionnés par des molettes qui font défiler des mots imprimés sur une bande de papier. À la suite de H. Chard, d’autres modèles au nombre de 600 virent le jour avant les systèmes d’enseignement programmé et géré par ordinateur. L’invention du « Scholar » dans les années 1970 par J. Carbonell, qui est un dispositif permettant d’acquérir des connaissances par soi-même est une étape importante dans la quête d’une grande autonomie dans les apprentissages (P. Mœglin, 2010, p. 40-41).

Diverses raisons justifient l’intégration des techniques dans le système éducatif. Le souci de renforcer l’efficacité des systèmes d’éducation, de faire face aux effectifs des élèves de plus en plus croissants a conduit à la recherche des solutions alternatives au modèle de la pédagogie traditionnelle. Cela a conduit à l’individualisation de l’enseignement, au travail autonome de l’élève et le recours aux technologies (G.-L. Baron et B. de La Passardière, 1991, p. 7).

Selon P. Mœglin, l’invention des premières machines à enseigner est suscitée par le manque d’enseignants pour assurer des enseignements diversifiés à des immigrés :

Si c’est aux États-Unis qu’ont lieu les premières tentatives de mécanisation de l’enseignement, c’est parce que, face à l’afflux des immigrants, le manque d’enseignants s’y fait plus sentir qu’ailleurs. La multiplication des projets accompagne celle des matières enseignées : calcul, orthographe, histoire, langues vivantes, dactylo et sténographie, solfège, pédagogie, cuisine, catéchisme, morale et même natation et escrime. (P. Mœglin, 2010, p. 40-41).

L’évolution des TIC en éducation est consacrée par le e-learning considéré, par A. B. Youssef et A. Rallet (2009, p. 9) comme « l’apprentissage à distance via un support électronique ou, plus largement, comme l’utilisation des TIC dans l’enseignement, y compris naturellement l’enseignement à distance ». L’enseignement à distance donne la possibilité d’organiser le milieu éducatif, l’enseignement et les apprentissages sur un mode différent de celui de la pédagogie traditionnelle. Il est, selon P. Mœglin, « une manière différente et plus complexe d’enseigner, d’apprendre et d’organiser l’environnement éducatif » (2010, p. 56). Il pallie les insuffisances du modèle d’enseignement classique qui met un enseignant et des apprenants face à face dans une classe. Il semble évident que la diversité des supports numériques dans l’enseignement offre une plus grande « variété des types de communication, interactive ou magistrale, individuelle ou collaborative, directe ou différée, le « tout distance » restant exceptionnel » (P. Mœglin, 2010, p. 75). Certes, l’enseignement à distance n’a pas commencé avec les TIC, mais, l’évolution technologique ayant favorisé le « développement des plates-formes numériques d’enseignement en a diminué le coût et en a considérablement enrichi les possibilités » (A. B. Youssef, A. Rallet, 2009, p. 13).

Le principe de l’enseignement programmé est que l’élève est appelé à manipuler lui-même l’ordinateur sans l’intervention directe d’un enseignant. Les questions sont présentées par l’ordinateur, les réponses de l’élève sont enregistrées, la correction se fait automatiquement et une nouvelle question tenant compte de la réponse de l’élève est présentée. L’enseignement assisté par ordinateur est beaucoup plus un « programme établi dans les moindres détails, sans rien laisser au hasard » (O. Reboul, 2001, p. 119-120). Les difficultés sont graduées et les réponses immédiates. L’enseignement est adapté au rythme de chacun, le système permet à chacun de contrôler ses progrès et de corriger ses erreurs. L’enseignement programmé exige de l’apprenant une grande vigilance et concentration. Il laisse croire que « tout ce qui revenait jusqu’ici à l’enseignant : l’information, la méthode, les contrôles, peut être assumé par des machines » (O. Reboul, 2001, p. 120). La critique que suscite l’enseignement par les machines est que la présence d’un enseignant est indispensable pour programmer les machines en aval, ce qui demande une grande compétence et exige une énorme activité. Les réponses sont aussi conçues par l’enseignant.

Les technologies sont devenues une composante de nos sociétés d’aujourd’hui. De ce fait, nous ne pouvons les ignorer. Vouloir aussi leur opposer une résistance paraît une tentative vaine d’autant plus que « Nos élèves sont devenus et resteront longtemps des digital natives » (P. Meirieu, 2012, p. 163). Il s’agit donc de se servir des TIC pour faire émerger la pensée rationnelle. Les machines ne sont pas autonomes, leur fonctionnement, programmation et suivi requièrent la présence humaine, en l’occurrence de l’enseignant. Cela revient à dire que l’intégration des TIC dans le domaine éducatif n’entraîne pas la fin de la fonction enseignante, mais engendre sa transformation.

2. La nécessité de repenser la fonction enseignante à l’ère des TIC

Les TIC entraînent une nouvelle approche de la relation pédagogique dans la mesure où, contrairement à la pédagogie traditionnelle, l’enseignant ne semble plus être le détenteur incontournable des savoirs. Elles offrent une plus grande possibilité aux élèves d’apprendre par eux-mêmes indépendamment d’un éducateur. C’est dire que la fonction de celui-ci qui consiste à transmettre des savoirs dont il est détenteur à des apprenants se trouve altérée profondément dans le recours aux TIC. Il devient impératif de repenser son rôle ne pouvant plus se contenter de cours magistraux à donner. Pour H. Dieuzeide (1994, p. 90) : « Le rôle de l’enseignant est d’orienter le travail, de distribuer entre tous les élèves les diverses tâches concourant à l’expression collective, et de constituer des équipes avec des tâches rigoureuses ».

L’impact des TIC sur la fonction de l’enseignant s’explique par le fait qu’elles ne sont pas de simples moyens usités en classe comme le tableau noir et les manuels scolaires. Interroger la fonction de l’enseignant dans le contexte de l’usage des TIC est une nécessité, pour mieux saisir et évaluer la portée de ces technologies sur la relation pédagogique. C’est en ce sens que P. Pelpel (2005, p. 259) écrit : « même si, l’école n’est pas une start-upi, le développement des TICE interroge l’enseignant dans sa fonction même ».

Les TIC ne peuvent mettre fin à la fonction de l’enseignant, sa présence dans le système éducatif demeure fondamentale et sa présence en classe une nécessité. Il demeure indispensable dans le système des apprentissages scolaires en dépit de l’évolution des technologies. Comme le dit P. Pelpel (2005, p. 284), « Même dotés de cartables électroniques et connectés à la demande, les élèves continueront de se rendre à l’école pour apprendre et si, de ce point de vue, le rôle de l’enseignant se transforme, il n’est nullement minoré ».

Il revient à l’enseignant d’orienter l’attention des apprenants sur ce qui lui semble être le plus important dans les apprentissages, d’organiser les enseignements et d’évaluer les apprentissages des élèves. En plus, l’institution scolaire est le lieu de la formation du citoyen qui traduit sa vocation socialisatrice. Cette formation à la citoyenneté qui repose sur un ensemble de valeurs considérées comme fondamentales dans une société peut être mise à rude épreuve par les TIC sans un enseignant pour l’assurer. Les TIC véhiculent une diversité de valeurs qui rentrent souvent en conflit avec celles d’une société donnée. De ce fait, l’éducation morale et à la citoyenneté s’impose davantage comme un impératif que, au contraire, le « développement technologique ne rend pas caduque, mais, au contraire, plus nécessaire encore » (P. Pelpel 2005, p. 284).

Lorsqu’il s’agit des machines à enseigner, il lui incombe d’organiser les différentes tâches à exécuter, d’en préciser les objectifs et de préciser le rythme qu’impose les machines. Tout cela suppose qu’il maîtrise les TIC. Cette fonction dévolue à l’enseignant est ainsi exprimée par H. Dieuzeide (1994, p. 171).

Une fois établi le rapport entre les élèves et l’outil, le maître anime l’utilisation ; il assume un rôle de guide, de conseiller (« médiateur des médias »). Sans rien abdiquer de ses responsabilités de conducteur des travaux, il se pose en personne ressource, disponible à tout instant pour accompagner l’élève dans son parcours (visionnement, exercice). Position qui n’est naturellement tenable que s’il apparaît que le maître a, sur le maniement de la technique, une maîtrise supérieure à celle de l’élève !

La relation qui s’institue entre l’enseignant et les apprenants est une relation de confiance qui permet à ceux-ci de faire des progrès personnels. L’éducateur rectifie le processus d’apprentissage s’il y a lieu, propose des exercices afin d’évaluer le degré de maîtrise des élèves. Lorsque les objectifs de l’apprentissage sont définis à l’avance, l’évaluation permet de mettre en « rapport les objectifs fixés initialement à l’emploi de l’outil et les modifications cognitives, affectives, motrices, que l’on peut considérer comme obtenues après cet emploi » (H. Dieuzeide, 1994, p. 172).

La nécessité de maîtriser les TIC n’incombe pas à l’enseignant seul, mais aussi aux élèves. Les TIC devenant de plus en plus complexes requièrent une adaptation constante aussi bien des apprenants que de l’éducateur. Lorsque les apprenants n’ont pas une maîtrise des TIC, les activités pédagogiques deviennent difficiles. L’acquisition et le développement des compétences relatives à la compréhension, à la maîtrise et à l’usage de ces technologies est une nécessité absolue dans la situation d’enseignement car, ils permettent une meilleure exploitation pédagogique de ces outils. Comme le souligne P. Pelpel (2005, p. 263), « enfin, l’utilisation des médias (fût-elle pédagogique) suppose l’acquisition de compétences sur le plan des langages et, dans une certaine mesure, des techniques ». La formation des enseignants aux TIC atteint son but lorsqu’ils sont capables de s’en servir pour enrichir leurs pratiques pédagogiques.

Former les apprenants aux TIC, c’est aussi les éduquer à en faire un usage responsable en formant leur jugement. Il est fondamental qu’ils soient capables de porter un jugement sur les programmes proposés, les informations véhiculées, d’en évaluer les valeurs instructives. Par exemple, la télévision propose des documentaires sur des thèmes variés qui ont une valeur instructive pourvu que, les élèves aient les aptitudes pour les apprécier. La formation et l’éducation des apprenants aux TIC relève d’une exigence de la réflexion qui est consubstantielle à l’institution scolaire. Comme l’écrit P. Meirieu (2012, p. 163), « Mais impossible aussi de renoncer à l’exigence de la pensée, constitutive du projet de la skholè, consubstantielle de l’idéal des Lumières –sapere aude ».

De façon générale, l’intégration des TIC dans les systèmes éducatifs pose des problèmes techniques et pédagogiques. Sous l’angle technique, l’institution scolaire doit disposer de matériel adapté pour dispenser des cours à partir de ces moyens technologiques. Lorsque, l’établissement scolaire ne dispose pas de matériel adapté, la formation suivie par les enseignants sur les TIC ne peut être réinvestie dans les activités pédagogiques. Sous l’angle pédagogique, les enseignants sont généralement formés pour leurs disciplines, ils apprennent la didactique de leurs disciplines. C’est pourquoi, il faut intégrer les TIC dans leur formation, car leur usage requiert d’autres compétences. Par exemple, projeter des images à des fins pédagogiques requiert des compétences en sémiologie de l’image. Aujourd’hui, il est une nécessité absolue d’« habituer tous les futurs enseignants à l’utilisation de ces technologies de telle sorte qu’elles deviennent pour eux, un outil de travail pratique et quotidien facilitant leurs tâches d’enseignement » (A. Bon, 1994, p. 48).

Les TIC, sans invalider la fonction de l’enseignant, imposent à celui-ci de nouveaux défis que sa formation doit prendre en compte. Face aux transformations du système éducatif, le rôle de l’enseignant doit aussi évoluer, afin qu’il puisse s’adapter aux nouvelles exigences que lui impose l’enseignement. La profession d’enseignant a une spécificité que les machines à enseigner, si performantes soient-elles ne peuvent pas assumer. Enseigner ne se réduit pas à « des tâches de transmission de contenus et de méthodes définies a priori » (A. Marguerite, 2001, p. 31). Il est un processus plus complexe qui requiert la gestion des situations d’apprentissage dans un contexte d’interactions entre l’enseignant et la classe d’une part, entre les apprenants eux-mêmes d’autre part. Comme le souligne A. Marguerite (2001, p. 31),

enseigner, c’est faire apprendre et, sans sa finalité d’apprentissage, l’enseignement n’existe pas ; mais, c’est faire apprendre par la communication et la mise en situation ; l’enseignant est un professionnel de l’apprentissage, de la gestion des conditions d’apprentissage et de la régulation interactive en classe.

L’acte d’enseigner conduit à une modification constante de la situation d’enseignement en fonction des interactions vécues dans la classe. L’enseignement conduit toujours à une prise de décisions en classe dans l’interaction avec les apprenants. Cela fait que, la dimension relationnelle de l’enseignement est très déterminante dans l’acquisition des savoirs et dans l’ambiance générale de la classe. Les compétences professionnelles de l’enseignant qui renvoient à « l’ensemble des savoirs, savoir-faire, savoir-être mais aussi, les faire et être nécessaires à l’exercice de la profession enseignante » (A. Marguerite 2001, p. 33) que lui garantit une formation adaptée aux mutations du système éducatif, le mettent dans des dispositions adéquates, pour faire face aux différents problèmes qu’il pourrait rencontrer dans la relation pédagogique.

La permanence du modèle de la pédagogie traditionnelle dans le contexte du recours aux TIC s’explique par le fait que, la pédagogie est conçue comme « relation humaine qui s’opposerait à une pédagogie de machines dont l’élève ne serait que le consommateur » (P. Pelpel, 2005, p. 263). L’apport de l’enseignant est déterminant dans la relation pédagogique en ce sens qu’il ne se contente pas des matériels didactiques tels que : les livres, le tableau, les images. Il invente constamment une manière d’enseigner adaptée à la réalité de la classe considérée comme un groupe vivant en donnant des exemples, en posant des questions qui peuvent susciter d’autres questions de la part des élèves. Il développe sa capacité à adapter le savoir aux capacités de compréhension de chaque apprenant. Pour O. Reboul, la fonction dévolue et assumée par l’enseignant est très complexe et justifie la difficulté à le remplacer dans la relation pédagogique. Quelle que soit sa discipline, son rôle est « avant tout de libérer l’élève, de le délivrer de ses erreurs, de sa timidité, de sa crispation, de sa présomption et de son désespoir. Il éduque en enseignant » (O. Reboul, 2001, p. 128). Si un individu peut apprendre seul, la présence d’un enseignant jouant le rôle de médiateur entre les savoirs véhiculés par les TIC et les savoirs construits qui ont une valeur scientifique est nécessaire. Le passage des savoirs véhiculés au savoir construit demande nécessairement des compétences que l’enseignant possède du fait de sa formation.

Poser la question de la compétence de l’enseignant revient à dire qu’enseigner requiert des savoirs et un savoir-faire. Il s’ensuit que, l’enseignement logiquement ne peut être dispensé que par des professionnels. Par conséquent, « l’idée que n’importe qui peut enseigner n’importe quoi est la négation de l’enseignement » (O. Reboul, 2001, p. 110). La profession d’enseignant implique une responsabilité qui lui impose des obligations vis-à-vis des apprenants et vis-à-vis de la société. La responsabilité de l’enseignant s’explique par le fait que « L’acte d’enseigner repose en effet sur un contrat moral » (J. M. Banner, Jr. H. C. Cannon, 2003, p. 21). En effet, la collectivité confie à l’enseignant la formation des apprenants sur les plans intellectuel, moral, social, voire spirituel. Cette responsabilité confiée à l’enseignant fonde la légitimité de son autorité sur les enseignés.

La nécessité pour l’enseignant d’avoir des compétences dans le domaine des TIC vient de ce qu’il ne doit pas les subir comme un simple phénomène de mode contre lequel, sa volonté est impuissante. Il lui appartient d’évaluer le bénéfice réel qu’il peut en tirer aussi bien pour lui-même, que pour les apprenants et d’opérer un choix dans la diversité des TIC en fonction des buts poursuivis.

Il peut lui-même concevoir des documents audiovisuels à des fins didactiques pour assurer l’enseignement. Par ailleurs, l’audiovisuel peut être l’objet d’enseignement, c’est-à-dire qu’il sera introduit dans l’enseignement comme une discipline à enseigner. Il s’agit là, de le considérer comme un langage spécifique qui mérite d’être étudié et maîtrisé, afin de permettre aux apprenants de saisir l’enseignement dispensé par ce moyen technologique au-delà des images.

Lorsque l’enseignant utilise, dans son cours, des documents audiovisuels comme les diapositives, des films court métrage, des vidéos enregistrées à des fins pédagogiques, ceux-ci ne remplacent pas le cours du professeur, mais contribuent à l’améliorer. Il revient au professeur d’intégrer ces documents dans une démarche pédagogique afin que, la séance du cours ne soit pas un simple moment récréatif. L’intérêt majeur de ces documents est qu’ils permettent d’enrichir le contenu du cours, de l’actualiser, de diversifier les sources documentaires. Pour que ces documents audiovisuels aient un intérêt éducatif, il faut que l’enseignant ait une maîtrise de ce type de document comme moyen d’enseignement. C’est la capacité de l’enseignant à susciter un intérêt pour le document audiovisuel chez les apprenants, à aiguiser leur imagination qui peut conduire ceux-ci à saisir le message instructif contenu dans ce document, « car utiliser un document audiovisuel, c’est proposer aux élèves un message. C’est donc à partir de leur perception qu’il convient de l’exploiter : si c’est le professeur qui, après la projection, raconte le film, on pourrait aussi bien en faire l’économie ! » (P. Pelpel, 2005, p. 269).

3. Les TIC, une opportunité pour l’accès à l’éducation pour tous ?

Les TIC permettent à un plus grand nombre de personnes d’avoir un plus grand accès à l’enseignement. De ce fait, de prime abord, nous sommes enclins à affirmer qu’elles favorisent la réalisation de la politique d’accès à l’éducation pour tous. L’accès à l’éducation est défini par R. Legendre (1993, p. 7) comme les « possibilités généralement offertes aux jeunes d’acquérir et de développer d’une manière systématique et harmonieuse, des connaissances intellectuelles, des qualifications, et de former leur personnalité ». Si avant l’avènement de l’essor des technologies numériques, la recherche documentaire, l’accès aux connaissances surtout livresques, n’étaient possibles que dans les bibliothèques, aujourd’hui, les différents moteurs de recherche tels que Google offrent une multitude de savoirs n’importe quand et n’importe où à toute personne qui le désire. Cette possibilité offerte par les moteurs de recherche « donne le sentiment que le savoir devient accessible à tous et que chaque élève est de plain-pied avec toute la culture des hommes » (P. Meirieu, 2012, p. 165). L’accès aux savoirs cesse d’être l’apanage d’une catégorie sociale donnée et rend effectif le droit à l’éducation.

En offrant la possibilité à plusieurs personnes d’accéder aux savoirs, à des ressources documentaires importantes, riches et variées, les TIC contribuent énormément à améliorer la qualité de l’enseignement, favorisent des « relations pédagogiques plus stimulantes » (A. B. Youssef et A. Rallet, 2009, p. 12) en permettant un modèle organisationnel du travail qui accorde plus d’autonomie aux apprenants dans la prise de décision.

Les technologies numériques favorisent l’autodidaxie chez les apprenants dans la mesure où, elles rendent possible des initiatives visant à s’autoformer, s’auto-instruire en accédant rapidement à une documentation abondante (des écrits numérisés, des archives, des dépêches d’actualité, des photos, des vidéos…). En cela elles partagent avec l’institution scolaire la fonction de transmettre des connaissances mais sur un mode différent que celle-ci, d’où le qualificatif d’« école parallèle ». Pour P. Pelpel (2005, p. 260), l’école parallèle « désigne l’ensemble des moyens socialement répandus qui permettent de produire et de diffuser l’information ». Les TIC en tant qu’école parallèle se distinguent de l’institution scolaire qui est contraignante, repose sur l’intention d’instruire qui implique le choix de contenus culturels à transmettre dans le cadre d’un enseignement didactisé assuré par un personnel spécialisé.

La particularité des TIC par rapport à l’institution scolaire dans la transmission des savoirs est ainsi exprimée par P. Pelpel (2005, p. 260) : « Qualifier d’école parallèle le développement de ces moyens de communication et leur pénétration sociale, c’est admettre qu’ils constituent, ensemble, quelque chose comme une école, et que cette école n’entretient aucune relation avec l’autre ». Si le mode de transmission des savoirs par les TIC diffère de celui de l’école, il est important de relever que la diversité des TIC fait que certaines remplissent une fonction similaire à celle de l’institution scolaire car, elles sont utilisées dans l’intention d’instruire. Elles sont conçues dans une intention didactique telles que certaines émissions de radios ou de télévision, de production de didacticiels, de CD-Rom, de sites Web.

Les TIC véhiculent une quantité impressionnante d’informations qui rend difficile leur traitement comme le note J. Perriault (2002, p. 72) : « Les procédures de traitement de l’information, de plus en plus nombreuses et de plus en plus complexes, posent un difficile problème de mémorisation ». Dans les médias, l’aspect ludique qui attire plus l’attention et la concentration des apprenants l’emporte plus sur les considérations pédagogiques, le souci de s’instruire. Si les TIC fournissent une quantité impressionnante d’informations, dans le principe l’acte « d’apprendre ne se ramène donc pas à un cumul d’informations, mais passe par le remaniement des conceptions, et surtout par un travail actif des obstacles » (J.-P. Astolfi, 2008, p. 18-19).

L’école parallèle est donc, une école sans maître, elle est le lieu où chaque personne est confrontée directement à une grande quantité de productions variées aussi bien dans la nature, que dans la qualité. La présence d’un enseignant dispensant les savoirs ou régulant les échanges présente l’avantage d’encadrer les apprentissages et de favoriser une acquisition progressive des savoirs. Au regard du mode d’acquisition des savoirs à partir des TIC, nous pouvons affirmer avec P. Pelpel (2005, p. 262) : « En tout état de cause, si école il y a, c’est une école sans maître, où chacun est confronté directement à des productions extrêmement diverses en nature et en qualité pour le meilleur et pour le pire, sans la compétence pédagogique ni la caution morale de l’enseignant ».

Dans le cas de l’école parallèle, l’individu reçoit beaucoup d’informations et d’images qui ne sont généralement pas intégrées dans une démarche méthodique. De ce fait, il est difficile de parler d’apprentissage, d’acquisition de connaissances rationnelles. Les images que véhiculent les TIC demeurent des sources de savoirs disparates non maîtrisés par l’individu, si elles ne sont pas accompagnées de commentaires qui les explicitent, les expliquant pour rendre leur compréhension possible. C’est cette difficulté que présente l’image qui est ainsi exprimée par O. Reboul (2001, p. 26) : « Il reste que l’image, par la passivité dans laquelle, elle laisse l’esprit et par son pouvoir d’envoûtement, est encore plus dogmatique que le cours magistral ; elle fait croire bien plus qu’elle ne fait comprendre ».

Recevoir des informations n’équivaut pas à un enseignement, car, il peut s’agir là d’« apprendre sans comprendre. En ce sens, l’information n’est pas une formation, mais, une déformation » (O. Reboul 2001, p. 27). L’information ne devient un savoir que si l’individu qui la reçoit l’assimile, la comprend et ne retient que ce qui est essentiel à son apprentissage. Pour O. Reboul (2001, p. 37), « Reste qu’apprendre n’est pas simplement enregistrer pour reproduire ; apprendre, c’est assimiler ». Apprendre implique une acquisition de savoirs qui permettent généralement d’acquérir d’autres savoirs. Ce qui revient à dire qu’apprendre ne consiste pas en une simple accumulation d’informations, comme le souligne O. Reboul (2001, p. 75) : « un apprentissage humain est celui où l’on apprend à apprendre et par là même à être ».

L’enseignement est un processus complexe qui consiste à transférer un contenu organisé que celui qui l’acquiert est susceptible de perfectionner parce que, le caractère organisé du contenu permet une meilleure assimilation. Or, la possibilité de perfectionner un savoir acquis dépend de la capacité de l’individu à l’assimiler. C’est dire qu’un savoir non assimilé ne peut ni être transféré ni être perfectionné. Enseigner, c’est transmettre des savoir-faire et des savoirs qui peuvent ne pas être utilisables dans l’immédiat mais qui permettent l’acquisition d’autres savoir-faire et savoirs. L’enseignant ne se consente pas de transmettre des savoirs et savoir-faire, il a aussi pour devoir de développer l’esprit critique des apprenants. Cela répond à la vocation émancipatrice de l’institution scolaire et évite qu’elle ne soit un lieu d’endoctrinement. Les informations données par les TIC ne favorisent pas le développement de l’esprit critique, par conséquent, elles peuvent conduire à l’endoctrinement comme le souligne O. Reboul (2001, p. 114) : « Comme il existe un enseignement programmé, il peut exister un endoctrinement programmé, et de même un endoctrinement audiovisuel ». La possibilité d’endoctrinement est plus élevée chez des personnes non averties des risques liés à l’usage des TIC.

Sur l’internet, par exemple, les connaissances de natures diverses offertes ne peuvent être assimilées que par une personne déjà instruite dans le domaine de ces connaissances. C’est pourquoi, dit P. Meirieu (2012, p. 166) : « Internet ne permet pas d’apprendre, il permet d’« apprendre que… » ». Pour des esprits non avertis, toutes les informations qu’offrent les technologies relèvent d’une évidence.

La didactisation des savoirs est très déterminante dans tout processus d’apprentissage, d’acquisition des savoirs. La didactique analyse le processus construisant le rapport au savoir, étudie les différentes étapes de l’acte d’apprendre. L’enjeu de la didactique réside dans l’incapacité de l’élève à transformer les informations en savoirs rationnels parce qu’il lui est difficile de disposer des concepts à cet effet, il n’en a pas les aptitudes nécessaires que possède l’enseignant de par sa formation. En ce sens, G. Vergnaud (2008, p. 278-279) écrit : « Dans la saisie et l’utilisation des informations, l’élève peut ne pas disposer des concepts et catégories les plus opératoires. Les actes de médiation de l’enseignant concernent donc aussi, et au premier chef, les formes de conceptualisation sous-jacentes à l’activité attendue de l’élève ». Ainsi, la didactique confirme « l’importance du rôle de l’enseignant, comme médiateur entre l’élève et le savoir » (G. Vergnaud, 2008, p. 273).

Si la didactique garantit le passage de la simple information aux connaissances rationnelles, il semble évident que l’école parallèle ne peut remplir cette fonction avec certitude. C’est pourquoi, elle apparaît comme le lieu de savoirs incertains, confus en s’inscrivant dans la perspective de M. Altet analysant le processus de construction et d’acquisition des savoirs en contexte scolaire :

Dans sa pratique en classe, tout enseignant remplit deux fonctions reliées et complémentaires d’articulation des processus enseignement-apprentissage : une fonction didactique de structuration et de gestion de contenus, et une fonction pédagogique d’aide à la construction du savoir par la relation fonctionnelle et l’organisation des apprentissages et des situations (M. Altet, 1997, p. 11).

Conclusion

Les technologies de l’information et de la communication dans le système éducatif posent à la fois des nouveaux défis aux enseignants et leur apportent des moyens nouveaux pour faire face aux problèmes pédagogiques, d’enseignement. En effet, elles contribuent énormément à l’amélioration du système éducatif, par la création de supports pédagogiques. Ces technologies permettent d’alléger les contraintes d’espace et de lieux qu’imposait la pédagogie traditionnelle en matière d’enseignement dans la mesure où, l’enseignement à distance est possible sans contrainte d’espace et de lieux. Elles permettent une plus grande facilité d’animation pédagogique chez les enseignants. Il revient toutefois aux éducateurs de s’interroger constamment sur les tâches à confier aux technologies et celles qui requièrent leur présence physique et qui les rend indispensables dans le processus enseignement-apprentissage. Les TIC ne valent que ce que les éducateurs font et feront d’elles.

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RÉSEAUX SOCIAUX, DE LA PERTE DE L’INDIVIDU À L’ÉDUCATION

1. Apolline Adjo NIANGORAN

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

niangoranapolline@yahoo.com

2. Magloire Kassi GNAMIEN

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

gnamienmagloire@yahoo.com

Résumé :

Cet article a pour objectif de dénoncer les effets pervers des réseaux sociaux sur l’africain et de monter qu’ils constituent des outils éducatifs essentiellement formidables. En effet, les réseaux sociaux (médias) font partie depuis un certain temps du quotidien de l’africain. Il nous faut, pour nous contemporains, nous intéresser à cette nouvelle forme de communication. Les réseaux sociaux jouent un rôle primordial en accélérant les échanges entre les africains mais aussi pervertissent l’individu. C’est la dépossession de l’individu, une perte de soi qui se traduit par une dimension édificatrice. En usant des méthodes analytique et critique, la présente réflexion, ambitionne de questionner justement les réseaux sociaux qui marquent notre vie individuelle et communautaire.

Mots clés : Éducation, Individu, Perte de soi, Réseaux sociaux.

Abstract:

This article aims to denounce the adverse effects of social networks on Africans and to argue that they are essentially formidable educational tools. Indeed, social networks (media) have been a part of the African’s daily life for some time. As contemporaries, we must take an interest in this new form of communication. Social networks play a crucial role in accelerating exchanges among Africans but also distort the individual. It is the dispossession of the individual, a loss of self that manifests in a reifying dimension. Using analytical and critical methods, this reflection seeks to question precisely the social networks that shape our individual and community life.

Keywords : Education, Individual, Loss of Self, Social Networks.

Introduction

Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Tic tok …) ou les mass médias numériques sont, aujourd’hui, omniprésents dans la société africaine et connaissent un développement exponentiel sans précèdent.  Ils ont largement pénétré tout le système politique, économique, industriel et éducatif. En effet, l’essor des outils et instruments de réseaux sociaux se réalisent en activant les importants changements de notre société africaine, et en rénovant entre autres notre rapport aux savoirs par l’intermédiaire de l’éducation. Les réseaux sociaux sont « non comme objet d’étude, mais comme support didactique au service des disciplines spécifiques », note Francis Barbey (2009, p. 37). Pourtant, ils se sont transformés en une véritable arène de perversion, d’arnaque, de manipulation, d’expropriation de désintégration et de perte de soi. L’individu se trouve alors en situation de dépossession de soi. Ces différentes remarques nous amènent à nous interroger : quelles incidences les réseaux sociaux ont-ils sur les africains ? Les réseaux sociaux ne sont-ils pas source d’éducation ? Trois axes serviront de fil d’Ariane à cet article. Dans le premier axe, nous montrerons que les réseaux sociaux sont un moyen d’échange et de communication entre les individus. Dans le deuxième axe, nous présenterons un ensemble de faits, concernant les réseaux sociaux, qui aboutisse à la perte de l’individu. Pour finir, nous montrerons que les réseaux sociaux sont source d’éducation dans la société africaine.

1. Réseaux sociaux : nouveau moyen d’échange et de communication

Les réseaux sociaux (médias sociaux numériques) ont connu un développement particulièrement important dans la société africaine. Il importe donc de nous intéresser à cet aspect.

1.1. Réseaux sociaux comme moyen d’échange

Les réseaux sociaux font partie du quotidien de millions d’utilisateurs en Afrique comme dans le monde. En permanence, où qu’ils soient et quoi qu’ils fassent, les utilisateurs des réseaux sociaux sont constamment connectés, échangeant instantanément. De façon très évidente, ils jouent un rôle important dans le quotidien des africains. Selon A. Dupin (2010, p. 14), ils représentent :

Un ensemble des plateformes en ligne créant une interaction sociale entre différents utilisateurs autour de contenus numériques (photos, textes, vidéos) et selon divers degrés d’affinités. Ils sont au centre de toutes les attentions, leur audience ne cesse de croitre…

Outils d’échange d’informations et de répartition de contenus, vecteurs d’interactions sociales, les réseaux sociaux élaborent en même temps et un espace de parole et d’expression identitaire. Les médias ou réseaux sociaux ont connu une évolution impressionnante. Au fil du temps, les médias ont évolué et sont diversifiés : la radio, la télévision, le cinéma, l’internet et les médias sociaux. Chaque nouvelle forme de média a apporté avec elle de nouvelles possibilités d’expression et de création. Ces médias ont permis à un large éventail, de créateurs, qu’ils soient écrivains, journalistes, artistes, blogueurs ou vidéastes, de partager leurs opinions, leurs histoires avec un public élargi.

On pourrait dire que les réseaux sociaux sont aujourd’hui de véritables médias de socialisation et permettent d’échanger. Ils ne font pas uniquement partie de notre monde par leurs messages et leurs commentaires, ils nous livrent le monde. La communauté est le point névralgique. Sans communauté, il n’y a pas d’échange ou partage d’information. Dans cette mesure, les réseaux sociaux sont un moyen de partage des informations. De la sorte, ils créent une présence virtuelle et mobilisent les africains, tout en permettant de se sentir plus proche de leurs amis et connaissances en favorisant l’ouverture, l’échange et l’amitié. Les réseaux sociaux sont un véritable opérateur de de territorialisation. Ils deviennent en ce sens, un espace familier et navigable.  Au demeurant, l’ouverture des réseaux sociaux vers la nébuleuse des proches ou vers des inconnus ayant des intérêts communs favorisent une exploration curieuse du monde et la communication.

1.2. Réseaux sociaux comme moyen de communication

Les réseaux sociaux sont des fenêtres ouvertes sur le monde. Ils sont des moyens de communication sociale au service de l’africain et de son bien-être.  Ils deviennent et déterminent les angles de vue du monde dans lequel nous vivons. À ce propos on peut lire Michel-Louis Rouquette (1998, p. 7) : « Les médias ne font pas seulement partie de notre monde ; par un message et leurs commentaires, Ils nous livrent le monde même, au point parfois de l’absorber – voire de s’y substituer ». La référence à la dimension culturelle, nous rappelle que la communication est une expérience anthropologique fondamentale. En réalité, aucune vie humaine n’est possible sans communication. À vrai dire, la communication est au cœur de l’expérience africaine, tant au niveau individuel que collectif. Elle est inextricablement liée à notre culture et à notre compréhension du monde.

Il est clair, l’essence de l’humanité réside dans notre capacité à nous exprimer, communiquer avec autrui et partager nos pensées et nos émotions.  De ce point de vue, la communication est le canal par lequel nous établissons une relation avec autrui. Plus la facilité de communication permet des interactions de n’importe où dans le monde et à tout moment, plus il devient apparent que les barrières de compréhension deviennent manifestes. Les réseaux sociaux permettent un système communicationnel, capable d’interconnecter des millions d’utilisateurs africains. Peu importe l’endroit, les utilisateurs des réseaux sociaux sont constamment reliés, que ce soit en temps réel ou non, et interagissent les uns des autres. C’est bien dans ce sens que Philippe Vion-Dury (2016, p. 9) souligne ceci : « En une poignée de siècles puis de décennies, continents et pays se sont mis à communiquer toujours plus rapidement, s’affranchissant des distances physiques et des contraintes temporelles ». Autrement dit, les réseaux sociaux ont permis aux africains d’échanger, de communiquer et de partager avec une tierce personne à travers le monde. Aujourd’hui, l’accès à la communication ou l’échange ne dépend plus du lieu et du moment. Il faut remarquer en un temps record, continents et pays se sont mis à communiquer de manière plus efficiente et plus promptement en débarrassant les distances physiques et les contraintes temporelles. Les réseaux sociaux permettent ainsi une communication non seulement mutuelle entre les africains mais également tous à tous à l’échelle planétaire.

Les médias sociaux sont omniprésents dans la vie des africains en permettant de communiquer, d’échanger. La communication met en évidence la place de l’autre et particulièrement de sa culture.  De ce fait, la communication joue alors un rôle important et a une dimension culturelle. À cet effet, Habermas (1987. p. 152) appelle « culture, le réservoir de savoir où les participants à la communication puisent leurs interprétations quand ils s’entendent sur la qualité quelconque du monde ». La communication permet d’établir une relation entre les individus. En tout cas, par les réseaux sociaux, l’africain échange avec l’extérieur. Il est, de manière claire, en relation /action avec le monde. C’est une ouverture à l’autre et non une fermeture. À l’évidence, les réseaux sociaux ont évolué en Afrique pour devenir de véritables plateformes de connexion social. Ils sont des plateformes qui, non seulement facilitent des connexions entre les utilisateurs, mais qui permettent également le partage d’une vaste gamme de contenus multimédias. Tout n’est qu’échange d’information. Comme le signale pertinemment Vion-Dury (2016, p. 9). Les réseaux sociaux ont tracé « de nouvelles frontières à l’intérieur du corps social. Le grand village global, le cyberespace de « pur esprit » tant annoncé, ressemble surtout à un supermarché planétaire ». De ce point de vue, en dépit de son utilité sociale, ils permettent de promouvoir continuellement les circulations entre les cultures, les échanges, les passerelles, les connexions et les partages.

2. Les réseaux sociaux, une perte de l’individu

L’usage des réseaux sociaux n’est pas dénué de conséquences sur l’individu qui représente ici l’africain.  En effet, nous assistons de nos jours à la cybercriminalité où des personnes arnaquent, font du chantage, exposent des sextapes sur Internet.

2.1. Nouveaux médias : exposition de soi

Les nouveaux médias ou réseaux numériques ont pris une telle proportion dans la société africaine, qu’il faut nous intéresser à cet aspect. Nous assistons au déploiement du privé sur l’espace public. À coup de cyber harcèlement, nous nous trouvons anéantis et assujettis à notre bourreau. L’Africain ; aujourd’hui, est dans une ère d’exposition/d’exploitation du privé sur les réseaux sociaux. Ils sont devenus des espaces de perversion. À cet effet, A, Klein (2015, p. 258), dépeint les réseaux sociaux qui :

seraient avant tout des lieux d’exhibition et de voyeurisme, la multiplication des profils chez une même personne représenterait autant de possibilités de mensonges, voire d’expression de dédoublement de personnalité, les sites de rencontres constitueraient le lit de diverses perversions.

Où allons-nous ? Que voulons-nous ? Il faudrait remarquer que les phénomènes de cyberharcèlement touchent de nombreux adolescents africains. L’extension de la sphère relationnelle par une prise de contact accéléré et communément anonyme (utilisation de pseudonyme) est une réalité pour l’adolescent. Certaines personnes utilisent des photographies ou vidéos compromettantes pour faire du chantage. La crainte de diffusion peut pousser l’adolescent au suicide. Pire, au lieu d’une seule image, nous avons une diffusion massive d’images téléchargées. Cette situation est déplorée par C. Crumière (2015, p. 214) :

La fixation du geste volatile en image immuable et l’utilisation des réseaux sociaux comme moyen de diffusion massive ont profondément dénaturé le geste, l’inscrivant dans une fixité temporelle et un accroissement de visibilité.

L’image de soi n’est qu’une perte de soi, car l’adolescent est dépossédé de son image par une pluralité d’images. L’incessante réactivation de l’image à chaque nouvelle publication n’est en réalité qu’une perpétuation des images. Les réseaux sociaux nous dirigent vers un état d’exposition, de dévoilement dont le résultat est ce que Marc Dugain et Christophe Labbé (2016, p. 7) mettent en exergue « La disparition de la vie privée et un renoncement irréversible de notre liberté ». L’intention des masses médias est de transformer totalement la société dans laquelle nous vivons et de nous rendre irrémédiablement dépendant. C’est un processus de mise à nu de l’individu une dépossession.

2.2. Réseaux sociaux, une forme de dépossession

Les réseaux sociaux ont bouleversé le quotidien de l’africain. Ce dernier en tant qu’individu est non seulement manipulé, mais obsédé /possédé par les réseaux sociaux. Qu’est-ce à dire ? La communication de l’africain via les réseaux sociaux, bouleverse son organisation familiale et sociale. Désormais, les réseaux sociaux nous détournent de la cellule familiale biologique et nous conduit vers un individualisme de réseaux. L’individu n’est plus centré sur le groupe mais sur le réseau. Il est en voie de devenir une sorte de panneau de commutateurs mettant en circuit ses relations et ses réseaux. Ce sont des relations à distance/méfiance avec les amis, la famille. Il est question d’une forme de dépossession, de déstructuration et d’éclatement de la cellule famille africaine. Dans cette crise de l’individu, P. Vion-Dury (2016, p, 11) « découvre peu à peu que bien lion d’une émancipation toujours plus étendue, c’est la perspective d’une nouvelle servitude volontaire qui s’avère la plus probable ». Les réseaux sociaux sont devenus de nouveaux monstres des esprits. À vrai dire, il y a un risque énorme de désinformation, de surinformation ou de cyberdépendance. L’information est reçue en continu à travers plusieurs canaux (radio, télévision, Internet ce qui conduit à une désinformation.

Par ailleurs, les réseaux sociaux entrainent la dégradation de la qualité de vie de l’individu. Nous avons affaire à une prison parce que l’individu est inconsciemment pris en otage, son vécu est dorénavant assisté. Il est clair « C’est une société où la majorité des aspects de nos vies seraient assistés ». (P. Vion-Dury, 2016, p. 25). Ainsi, nous avons affaire à une société répressive qui enferme/renferme l’individu. La vie de l’individu est contrôlée. C’est une dépossession de soi.  Il est fort probable que, « Nos existences sont déjà plongées dans les écosystèmes de la manipulation qui demain nous pousseront à consommer, influeront nos gouts ». L’africain est, de ce point de vue, sous la contrainte car dépendant des réseaux sociaux qui nous maintiennent comme le dit Platon au fond de la caverne.

En réalité, l’hyperconnexion donne l’impression d’être tous rapprochés au détriment des confins, des cultures, des langues. Mais en fait, nous sommes emprisonnés dans un univers virtuel qui n’existe pas.  C’est un monde virtuel qui supplante la réalité, d’un système de réseautage complexe dans lequel l’individu est embarqué. Tout se passe comme si l’individu ou l’africain se trouvait dans une bulle, enchainé, incapable de s’en sortir. Marc Dugain et Christophe Labbé (2016, p. 42) font remarquer à juste titre ceci : « Petit à petit l’individu se recroqueville, il s’effondre sur lui-même comme un trou noir où se désintégrerait l’empathie ». Autrement dit, progressivement, l’individu se replie sur lui-même, s’effondre comme un trou noir où l’empathie se désintègre.

Il est indéniable que dans nos sociétés africaines, nous sommes souvent soumis à diverses influences et pressions des réseaux sociaux. Ce fait crée la perte de la liberté individuelle. Nous découvrons petit à petit que les réseaux sociaux bien loin d’une émancipation toujours plus étendue, conduisent vers une société où de nombreux aspects de notre vie seraient assujettis. C’est une servitude totale et un enfermement de l’africain. Dans son fonctionnement, les réseaux sociaux, relève P. Vion-Dury, (2016, p. 79),

poussent dans des cases dont il est ensuite difficile de sortir.  Nos vies, toute notre intimité, nos habitudes, nos comportements sont enregistrés sur une fiche individuelle.  Ils quadrillent la société, quadrillent notre perception (…). En les laissant piloter toujours plus nos vies, nous les laissons pénétrer dans des ilots d’intimité encore relativement préservés.

En d’autres termes, les réseaux sociaux agissent de manière discrète pour orienter ou diriger le comportement de l’africain sans qu’il en soit directement conscient. Il est repéré comme un spectateur apathique, un être fragile, une victime exposée aux charmes tout puissants des réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux modifient aussi notre manière de vivre et de communiquer en dégradant notre cerveau par le picorage exagéré de l’information. Le cerveau est une proie facile. Le constat de cette situation est perceptible à travers cette citation :

Le flot continu d’alerte sur le téléphone portable provoque un stimulus artificiel qui induit une perte de contrôle, une forme d’hypnose numérique. Notre attention captée par une foule de choses souvent insignifiantes, ne parvient plus à se fixer. Elle s’éparpille come les pièces d’un puzzle. Nous perdons notre capacité à nous concentrer, à réfléchir. (M. Dugain et C. Labbé, 2016, p. 105).

Les réseaux sociaux favorisent l’appauvrissement du langage en colonisant nos vies. Progressivement, la lecture en profondeur disparait pour faire place désormais au Web. Les cours magistraux en ligne qui rassemblent simultanément plusieurs étudiants dématérialisent le professeur. Au demeurant, « l’humain source de créativité et de confrontation intellectuelle, est ainsi remplacé par un gavage et un contrôle automatisé des connaissances ». (M. Dugain, C. Labbé, 2016, p.107). De ce point de vue, l’université ne forme plus des citoyens mais des individus optimisés pour l’économie numérique. Nous sommes enfermés dans l’univers utilitaire et manipulable de la qualité. C’est la dépossession.

3. Réseaux sociaux source d’éducation

Comment percevoir les réseaux sociaux comme une source d’éducation ? Cette question nous amène à nous intéresser aux rôles que jouent les réseaux sociaux dans l’éducation de l’africain.

3.1. Éducation et reproduction du monde vécu

Auparavant, la famille était comme le premier lieu de transmission de savoirs, de cultures et de normes sociales. Elle constitue généralement et encore aujourd’hui le berceau de l’éducation de l’africain. Pour Émile Durkheim, l’éducation est l’acte évertuée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mures pour la vie sociale. Elle

a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné (1992, p. 9).

Cette définition de l’éducation est empruntée par Jürgen Habermas qui envisage le concept de monde vécu comme une théorisation de la reproduction culturelle qui se rattache à vrai dire aux finalités de l’éducation rationnelle par la famille.  Le monde vécu détermine les divers acteurs de la relation d’éducation et donne une base de dialogue et de discussion. Le monde vécu n’est pas naturellement un réservoir de certitudes culturelles mais un ensemble actif qui s’améliore dans la communication. L’éducation en tant que reproduction du monde vécu évolue extrêmement au fil de la rationalisation de celui-ci. Dans la proportion où, la culture, la société et la personnalité se distinguent, il y a un processus de pédagogie. Habermas le dit si bien (1987, p. 162), « l’éducation formalisée ne signifie pas seulement une adaptation aux professions, mais une réfraction réflexive de la reproduction symbolique du monde vécu ». L’éducation a trait à la transmission de normes sociales, de connaissances et de savoirs particuliers.

3.2. Réseaux sociaux, transmission de connaissance

Hier, les livres scolaires incarnaient le symbole de la propagation des connaissances. Aujourd’hui, c’est par les réseaux sociaux que l’on saisit le monde. Les réseaux sociaux ont eu pour fonction la médiation entre les êtres humains. Synonyme de médias, ils sont associés à l’éducation. Les médias ont constamment construit le monde, l’actualité et c’est un immense travail. Daniel Bougnoux (2010, p. 56) explique d’ailleurs à cet effet ceci :

Dans l’actualité il y a le mot acte. Construire l’actualité en un. Ce sont les citoyens qui rêvent et disjonctent, qui se replient dans le cocon domestique. Sans la presse, leur horizon serait moins ouvert, ils auraient moins de connaissances ».

En d’autres mots, les médias numériques permettent d’acquérir la connaissance et cela permet à l’évidence une ouverture au monde. Ceci contribue au développement de la personnalité africaine mais aussi de sa confiance en soi. Non seulement les réseaux sociaux ont été au service du changement social de l’Afrique et à cet effet de sa connaissance. Ils sont devenus le principe de la norme de connaissance qui structure la société africaine. Par sa profusion/infusion, ils participent au développement général de la conscience qui se produit partout. Les réseaux sociaux comme le note Kiyindou (2015, p. 15) :

ont utilisé des moyens très simples, mais tout aussi efficaces, pour enseigner la connaissance de l’homme, de la vie et de la nature qui l’entoure. Ils ont été dans les sociétés africaines notamment, au centre de l’éducation aussi traditionnelle que moderne.

Les réseaux sociaux permettent d’accéder aux informations. Comme partout ailleurs, en Afrique pareillement les sociétés se métamorphosent par le contrôle de leur système de communication sociale. Dans ce cadre, l’initiation aux moyens de communication n’a d’autre dessein que d’ouvrir les vrais espaces de savoir et de socialisation par la maitrise des logiques communicationnelles.  Il est question de proposer comme le note Gonnet :

Un projet de transmission de valeur, qui intègre (les nouveaux médias) à la fois comme base de développement) et comme savoir fondamental. Les nouveaux médias deviennent de fait des outils qu’il faut apprendre à utiliser (2001, p. 25).

L’enseignement, la formation et l’apprentissage qui sont les vecteurs importants de la société du savoir et de l’accès à la connaissance, font de plus en plus appel aux réseaux sociaux pour favoriser l’accessibilité et la propagation de l’information. De ce fait, Ils sont susceptibles de donner les clés pour mieux s’informer. Cela « implique un certain rapport au monde et une manière d’être en société ». (G. Marchessault, 2007, p. 19). Nous pouvons même dire que les réseaux sociaux inaugurent « l’ère de la Nouvelle Jérusalem » (E. Maigret, 2003, p. 21) en offrant à nos sociétés contemporaines les conditions d’une organisation et d’une vie totalement parfaite. Il y a une facilité d’accessibilité   de l’information. Les campus numériques et les offres de formation en ligne sont aussi des éléments fondamentaux de la transformation numérique de l’enseignement en Afrique.

Conclusion

Cette réflexion nous permet de conclure que les réseaux sociaux, moyen de communication, ne sont pas uniquement source de perte de l’individu mais aussi un kaléidoscope de connaissances, de compétences et d’éducation pour l’africain. Ils sont si importants que c’est un fait indéniable. La planète reconnait Luc Giroux (1996, p. 8) « se globalise, et elle le fait en se médiatisant. Qui donc peut nier l’importance des médias dans nos vies ? Qui peut donc peut prétendre que leur impact est négligeable ?». Il n’est pas question ici de prêcher l’enfermement dans un monde de plus en plus ouvert grâce aux mass médias numériques.  L’enseignement, l’initiation et la formation qui sont des vecteurs importants de la société de savoir et de l’ouverture à la connaissance, font appel aux réseaux sociaux. Le plus grand avantage pour l’africain, est certainement l’acquisition et la transmission de l’information.

Références bibliographiques

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DURKHEIM Émile, 1992, Éducation et sociologie, édition électronique, Québec, Les classiques des sciences sociales.

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MARCHESSAULT Guy, 2007, La foi chrétienne et le divertissement médiatique : essai de théologie pratique, Québec, Les Presses de l’Université Laval.

MAIGRET Éric, 2003, Sociologie de la communication et des médias, Paris, Armand-Colins.

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ROUQUETTE Michel-Louis, 1988, La communication sociale, Paris, Dunod.

VION-DURY Philippe, 2016, La nouvelle servitude volontaire, Paris, FYP.

CRITIQUE DU PHÉNOMÈNE D’INFLUENCEURS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX À PARTIR DE LA PENSÉE D’ARISTOTE

Djakaridja YÉO

Université Peleforo GON COULIBALY (Côte d’Ivoire)

djakyeo11@gmail.com

Résumé :

Ce travail est une analyse du phénomène des influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux. Il relève quelques similitudes entre ce genre d’influenceurs et les sophistes-rhéteurs dans la Grèce antique, ainsi que le danger d’immoralité auquel ils exposent la société. Aussi, s’appuyant doctrinalement sur la pensée aristotélicienne, rappelle-t-il l’utilité sociopolitique et les exigences d’éthique et de vraisemblance de l’influence. Cette réflexion conclut que l’acte d’influencer ou être influenceur n’est pas mauvais en soi, mais lorsqu’il est galvaudé, comme on l’aperçoit chez certains acteurs des réseaux sociaux, il devient un facteur de perversion dans la société.

Mots clés : Influenceur, Morale, Réseaux sociaux, Sophiste, Valeurs sociales.

Abstract:

This work is an analysis of the phenomenon of self-proclaimed influencers on social networks. It reveals some similarities between this type of influencer and the sophist-rectors of ancient Greece, as well as the danger of immortality to which they expose society. Based on Aristotelian thought, he reminds us of the socio-political usefulness and ethical and plausibility requirements of influence. This reflection concludes that the act of influencing or being influenced is not bad in itself, but when it is abused, as is the case with certain social network players, it becomes a factor of perversion in society.

Keywords : Influencer, Morality, Social networks, Sophist, Social values.

Introduction

« L’usage de la parole a été donné à l’homme pour exercer une influence : telle est la position de la Rhétorique d’Aristote » (R. Amossy, 2021, p. 14). Cette lecture faite par Amossy permet de comprendre que la rhétorique aristotélicienne est une théorie de l’art d’influencer par la parole. L’influence renvoie, dans la perspective aristotélicienne, à la persuasion qui est le but de la rhétorique. Le logos, le pathos et l’ethos sont, selon Aristote (2014, 1356a1-5), « les moyens » techniques de persuasion. Comme telle, la persuasion est le fruit d’un mécanisme discursif au cœur duquel il y a le souci de la vraisemblance (au sens de la plausibilité), de l’altérité et de l’éthique. La résurgence de la notion d’influence ou d’influenceur dans le contexte actuel des réseaux sociaux mérite une attention particulière.

L’on constate que les réseaux sociaux sont utilisés par certains acteurs dans le but d’obtenir de la visibilité. De tels acteurs sont généralement portés à accroître leurs audiences pour en tirer profit. Pour certains d’entre eux, tous les stratégies et stratagèmes de communication sont opportuns tant qu’ils sont facteurs de forte audience, et par conséquent, de consolidation d’un prétendu titre d’influenceur et d’accroissement de retombés, fût-ce au mépris des valeurs sociales. C’est à ce genre d’acteurs, qui s’autoproclament influenceurs et qui prolifèrent sur les réseaux sociaux, que s’intéresse la présente analyse au travers de lunettes aristotéliciennes.

L’une des questions que l’on peut, à cet effet, se poser est de savoir si de tels acteurs sont dignes d’être appelés influenceurs. Ou, comment les qualifier au regard de la conception aristotélicienne de l’influence ? En d’autres termes, le fait d’user de tous les moyens possibles pour se faire suivre et écouter sur les réseaux sociaux par une multitude de personnes, fait-il dire d’un tel acteur qu’il est un influenceur au sens aristotélicien du terme ? Mieux, quelle appréciation peut-on faire d’une telle attitude sur les réseaux sociaux quant au véritable sens de l’influence et ses exigences de vérité et d’éthique, en référence au philosopher aristotélicien ? Telle est la question nodale de la présente réflexion. La tentative de sa résolution suscite quelques interrogations subsidiaires : d’abord, en quoi y a-t-il similitudes entre une catégorie de soi-disant influenceurs sur les réseaux sociaux et les sophistes rhéteurs dans la Grèce antique ? Ensuite, en quoi, dans la perspective aristotélicienne, une influence digne de ce nom rime-t-elle nécessairement avec la vraisemblance et l’éthique ?

Avec une démarche à la fois démonstrative et comparative, le présent travail a pour objectif de dénoncer les pratiques dangereuses de certains influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux et de mettre en évidence le véritable sens de l’influence à l’aide du philosopher aristotélicien. En d’autres termes, il s’agit de montrer que certains acteurs des réseaux sociaux se font abusivement appeler influenceurs et sont nuisibles pour la société. Un des objectifs spécifiques est de montrer que les pratiques de certains acteurs des réseaux sociaux font écho à celles des sophistes rhéteurs dans la Grèce antique, et qu’ils mériteraient une condamnation semblable à celle que Platon adressait à ces derniers. Cet objectif spécifique consiste précisément à montrer que leur pratique, peu soucieuse des valeurs sociales, ne peut qu’avoir des impacts négatifs dans la société, notamment sur l’éducation des jeunes. Lié au premier, un autre objectif spécifique est de dégager, à l’aide du philosopher aristotélicien, le véritable sens de l’influence ou de l’acte d’influencer.

Ainsi, ce travail s’articule autour de deux axes. Le premier relève quelques similitudes entre une catégorie d’influenceurs sur les réseaux sociaux et les sophistes rhéteurs dans la Grèce antique. Le deuxième, en s’appuyant doctrinalement sur la pensée aristotélicienne, rappelle le sens et quelques exigences de l’influence, notamment la vraisemblance et l’éthique.

1. Similitudes entre une catégorie d’influenceurs sur les réseaux sociaux et les sophistes

Certains acteurs des réseaux sociaux se faisant appeler influenceurs, ont des similitudes avec les sophistes rhéteurs dans la Grèce antique. Ils méritent d’être dénoncés au même titre que leurs semblables que Platon et son disciple Aristote ont dénoncés. Mais avant, il convient de présenter brièvement les sophistes et leur pratique dans le contexte de l’influence qu’ils ont opérée à leur époque.

1.1. L’amoralité et l’immoralité chez les sophistes rhéteurs

Penseurs grecs du Ve siècle avant Jésus-Christ, les sophistes, écrit J. D. Romilly (2012, p. 21), « étaient des maîtres à penser et à parler ». Protagoras, Gorgias, Prodicos, Calliclès, Thrasymaque, Hippias sont quelques principaux sophistes. La rhétorique étant l’épicentre de leurs pensées, ils ont été à la base d’une profonde mutation intellectuelle et morale dans la Grèce antique du Ve siècle. Avec cette discipline, ils ont été des penseurs déterminants de l’histoire politique et culturelle de la Grèce de cette époque. Le progrès de la vie sociopolitique de la Grèce de leur temps, le miracle grec, permet d’affirmer cela. Leur influence, celle de la rhétorique, a été déterminante à cette époque. La nature de leur influence tient de l’art de la parole efficace dont l’enjeu est la pratique de la politique.

En effet, au lieu de s’attarder sur la quête traditionnelle de l’être, comme le requerrait la philosophie, ils se sont plutôt intéressés à l’efficacité du discours. Dans leur perspective, rien n’échappe au langage, pas même la philosophie dont l’histoire, aux dires de B. Cassin (2009, p. 16), sera influencée par la « régulation du langage », objet de la sophistique. Ces penseurs accordent une autonomie performative au langage, et ont même une perception discursive de l’ontologie. Ils « réfutent l’abstraction vide de l’être éléatique par la considération des choses effectives, de la réalité du monde sensible et vivant, pluralité, mouvement, subjectivité » (B. Cassin, 2009, p. 23). De fait, pour ces penseurs, notamment Protagoras, « l’homme est la mesure de toutes choses : pour celles qui sont, mesure de leur être, pour celles qui ne sont, mesure de leur non-être » (Protagoras, 2009, p. 128). De cet homme (au sens de l’individu ou l’humanité tout entière), de sa sensation, de sa subjectivité, de son jugement, dépendent le beau et le laid, le juste et l’injuste, le pieux et l’impie. Bref, de son opinion, dépend la vérité.

Avec ces penseurs, la priorité n’est plus accordée aux valeurs cardinales de la rationalité philosophique, mais plutôt à l’efficacité du discours et son intérêt politico-mercantiliste. En effet, « dans une société où l’enseignement était l’affaire de familles, sans que n’existent ni éducation civique publique ni non plus de formation rémunérée de semblable manière » (J.-F. Pradeau, 2009, p. 19), les sophistes étaient des savants qui se déplaçaient de cité en cité pour donner des enseignements moyennant rémunération. Ils étaient des éducateurs professionnels qui faisaient commerce de leurs compétences. Sur le but de leur enseignement, l’argent jouait de toute évidence un rôle important, c’est-à-dire que les sophistes-rhéteurs dispensaient leurs leçons chez des citoyens – généralement les riches – qui les payaient chèrement.

C’est pour ces raisons que, écrit B. Cassin (1995, p. 8), « la sophistique est ce mouvement de pensée qui, à l’aube présocratique de la philosophie, séduisit et scandalisa la Grèce entière ». C’est avec eux que la rhétorique s’est présentée sur la scène philosophique. Elle devenait ainsi un véritable « problème » pour la pensée, au travers de la condamnation sévère que Platon lui inflige. Chez ce dernier, la rhétorique sophistique, s’opposant aux valeurs morales et philosophiques, est indigne de l’homme et nuisible à la société. Platon condamne la sophistique, car, interprète É. Bréhier (1981, p. 72), elle substitue à la vérité « la recherche du succès, fondée sur l’art de convaincre, de persuader, de séduire ». Elle est la caractéristique d’une pratique qui s’exprime dans la flatterie et l’immoralité. Platon ne voit aucun intérêt associé à cette pratique. Pour lui, c’est une manœuvre oratoire qui n’apporte rien à l’homme qui puisse participer à son épanouissement véritable ou au salut de son âme.

Dans la perspective du sophiste Gorgias, par exemple, le discours poético-rhétorique façonne l’âme selon le souhait de l’orateur. C’est pourquoi, comme une contrainte qu’il exerce, dit-il ouvertement, « un seul discours charme et persuade une foule nombreuse, pourvu qu’il soit écrit avec art, même s’il ne dit pas la vérité » (Gorgias, 2009, p. 141). En fait, ce sophiste pense que la puissance du discours a le même rapport à l’ordonnance de l’âme que l’ordonnance des remèdes à la nature des corps. Il veut dire que, de la même manière que différents remèdes expulsent du corps différentes humeurs et mettent un terme, les uns à la maladie, et les autres à la vie, de cette même manière, parmi les discours, les uns affligent et les autres égaient les auditeurs, les uns effraient et les autres rendent audacieux, les autres enfin droguent l’âme et l’ensorcellent par l’éloquence. La vérité, la justice et la morale importent peu dans le déploiement de cette éloquence.

Ainsi, pour Platon, la sophistique articule le mensonge, l’immoralisme, l’injustice et est exempte de rationalité. Il la considère comme une manipulation par le verbe, un jeu du langage où il ne règne que le pathos, et non la vérité. Dans cette perspective, la pratique des sophistes est perçue comme un stratagème qui s’appuie essentiellement sur les sentiments et les émotions d’un auditoire pour le persuader, avec un raisonnement non valide, au mépris de la vérité et de la morale. À la lumière de cette lecture de Platon, il ressort que, même si l’on concède un raisonnement à la rhétorique sophistique, alors ce ne peut qu’être un usage fallacieux de la pensée argumentative. En bref, la rhétorique est conçue comme synonyme d’artifice et d’esthétique trompeuse, comme une mise en œuvre de techniques de séduction au moyen du langage.

Analysant les approches platonicienne, aristotélicienne et nietzschéenne de la sophistique, K. N. Yéo (2020, p. 21-22) constate :

Sans conteste, par le biais des écrits de Platon et Aristote, philosophes auxquels il est possible d’associer Nietzsche, les sophistes sont perçus comme des penseurs amoraux ou immoraux. Ils sont tenus pour les responsables de la crise des valeurs qu’a connu la société athénienne, dont les manifestations sont caractérisées par ce que J. Brun (…) nomme le triomphe du mensonge sur la vérité, du mal sur le bien, de l’illégal sur le légal, de la violence destructrice sur le pacifisme. Autant dire qu’en suivant Platon, Aristote ou Nietzsche, la conclusion sur le statut moral de la sophistique est sans appel : ce mouvement intellectuel rime avec l’amoralisme et l’immoralisme.

En somme, les sophistes sont des rhéteurs qui ont soutenu, développé et pratiqué des thèses apologistes de l’amoralité et de l’immoralité dans une perspective de quête de profit. Leurs stratégies ou stratagèmes discursifs accordent la priorité à l’efficacité du discours. La vérité, la justice, la morale et les autres valeurs sociales ne sont considérés qu’au regard de cette efficacité. C’est dans ce sens que, rapporte encore K. N. Yéo (2020,p. 34), Platon et Aristote « pensent que la sophistique repose essentiellement sur le faux, le mensonge, la tromperie, l’usurpation de titre et la recherche du profit ». Il est donc clair que Platon et son disciple Aristote ont dénoncé l’influence négative des sophistes sur leurs concitoyens et leur société tout entière. De nos jours, il y a lieu d’adresser une telle dénonciation à certains acteurs qui se font abusivement appeler influenceurs sur les réseaux sociaux. On peut légitimement qualifier ces acteurs d’influenceurs-sophistes.

1.2. Des influenceurs-sophistes sur les réseaux sociaux

Dérivée du latin influere qui signifie pénétrer, se glisser, s’insinuer, se répandre, l’influence est l’action, généralement lente et continue, d’une personne, d’une circonstance ou d’une chose qui agit sur une autre. Influencer, c’est donc avoir un ascendant sur autrui. En ce sens, l’influenceur peut être considéré comme un guide, un modèle, une référence. Il est celui qui montre le chemin à suivre, le choix à faire, l’attitude à tenir dans une situation donnée. Son influence répétée, voire permanente est susceptible de contribuer à forger l’être de l’influencé, de modeler sa conduite, de conditionner son comportement, voire ses idées et sa perception des choses. Il reçoit la confiance de ses influencés qui adhèrent généralement à ses thèses, à ses opinions et prennent plaisir à l’écouter, à lui obéir, à lui ressembler, à l’imiter. Autant dire que l’influenceur est un mentor, un éducateur. Tel est le sens originel de l’influence.

Dans les sociétés modernes et contemporaines, le qualificatif d’influenceur est reconnu à des célébrités, à des personnes dont la notoriété était connue et qui associent leurs images à des produits, à des marques, à des entreprises à l’effet d’en faire la publicité. Mais, le titre d’influenceur fait de nos jours l’objet d’une forte récupération sur les réseaux sociaux au point que l’on a du mal à le circonscrire. Aussi ce titre semble-t-il de plus en plus se définir en fonction des réseaux sociaux. C’est dire qu’on assiste à une sorte de « réseau-socialisation » de l’influence, de l’acte d’influencer ou de la qualité d’influenceur. L’on a tendance à croire que pour qu’une personne soit reconnue comme influenceur, il faut qu’elle se produise sur les réseaux sociaux ou qu’elle s’y expose. Lesdits réseaux deviendraient la condition et le moyen pour acquérir le titre d’influenceur.

C’est de cela que témoigne le fait que, de nos jours, un influenceur désigne une personne qui, grâce à son exposition médiatique, exerce une influence sur un public. Dans le cadre des réseaux sociaux, l’influenceur ou e-influenceur ou encore web influenceur est un créateur de contenus (vidéos, audios, commentaires, photos, etc.). Son degré d’influence se mesurerait à ceux de son audience, et donc, de sa notoriété. Ainsi se fait-il fort de communiquer et interagir avec un large public qu’il s’efforce à se fidéliser, d’une part, et d’autre part, de s’attirer davantage de followers ou abonnés.

À l’instar de la sophistique, considérée par Platon et Aristote comme « un mouvement intellectuel amoral parce qu’il a pour étoffe fondamentale le faux, le mensonge, la tromperie, l’usurpation de titre et la recherche du profit » (K. N. Yéo, 2020, p. 40-41), l’on pourrait, aujourd’hui, reprocher à certains acteurs sur les réseaux sociaux d’être des usurpateurs du titre d’influenceur. Aujourd’hui, comme au temps des sophistes-rhéteurs de la Grèce du Ve siècle avant notre ère, les discours et les agissements d’influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux se présentent comme des apologies du mépris des valeurs sociales et la promotion de l’avoir au détriment de l’être.

Espaces publics numériques, en effet, les réseaux sociaux font partie du quotidien d’une bonne partie de la population mondiale, notamment la jeunesse africaine. Ces espaces sont de plus en plus utilisés par certaines personnes pour se faire de la notoriété et en tirer profit. Sans entreprise (au sens classique du terme) ni activité “concrète”, il est possible pour un individu de se publiciser et se procurer des moyens financiers grâce aux réseaux sociaux. Cela est rendu possible par la possibilité de monétisation des comptes sur lesdits réseaux. La rentabilité de cette monétisation est fonction de l’audience du compte en question. Ainsi, la question que les acteurs-animateurs de tels comptes se posent, c’est celle du comment réussir à se faire une forte audience.

Dans leur quête effrénée de visibilité, certains acteurs desdits réseaux, étant dans l’incapacité de créer des contenus utiles, choisissent de s’attirer l’attention du public par des comportements ou des propos déviationnistes. De fait, les réseaux sociaux, en plus d’être des outils de réseautage relationnel, de publicité, de vente d’articles, sont aussi utilisés par certains acteurs pour ne proférer que du verbiage ou des grossièretés. Ce sont des stratagèmes oratoires qui ont pour but de maintenir et/ou attirer des internautes. Ces stratagèmes consistent généralement en des propos qui sapent ouvertement les valeurs sociales, notamment la morale. L’on assiste même à des pratiques d’extimité qui consistent à exposer une partie de sa vie et de son intimité. N’excluant rien de tout ce qui peut attirer l’attention ou captiver, ces acteurs parviennent à se donner une notoriété qui se joue dans le verbalisme, l’arrogance, l’extravagance, l’exhibitionnisme, etc. Quelques maîtres mots de ceux-ci sont le clash, c’est-à-dire une publication dans laquelle un blogueur s’attaque verbalement à une personne, et le buzz, c’est-à-dire une publication très rependue du fait de son caractère extraordinaire, surprenant ou choquant.

Toujours, dans la quête de visibilité, certains acteurs sur les réseaux sociaux se font passer pour des spécialistes dans certains domaines dans lesquels ils ne sont pourtant pas qualifiés. Sachant que l’esprit humain, comme le relève T. Sharot (2018, p. 18), « est programmé pour éprouver du plaisir face à l’information », ainsi que « l’ère du numérique constitue un festival pour l’esprit » (Idem), certains se font passer pour des omniscients, se prononçant sur tous les sujets. Cela fait écho à la prétention sophistico-rhétoricienne d’être plus sachant que n’importe quel spécialiste. Le sophiste Gorgias, par exemple, pense que quel que soit le genre de discours à prononcer, le rhéteur est le mieux compétent. Sa compétence rhétorique lui permet de savoir persuader en toutes circonstances. C’est dans ce sens que s’inscrivent ses propos suivants : « Je parle du pouvoir de convaincre, grâce aux discours, les juges au Tribunal, les membres du Conseil au Conseil de la cité, et l’ensemble des citoyens à l’Assemblée, bref, du pouvoir de convaincre dans n’importe quelle réunion des citoyens » (Platon, 2011, 452e). Ce que Gorgias souligne, c’est la capacité du rhéteur à l’emporter en tout lieu et sur tout spécialiste. Et, quel que soit le spécialiste avec lequel le rhéteur aurait une confrontation, il l’emporterait forcément sur lui. « Car, ajoute-t-il, il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste » (Platon, 2011, 456c).

En outre, on aperçoit dans les agissements de certains influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux une imitation de l’éristique protagorassienne. Du grec éris qui veut dire lutte, combat, l’éristique renvoie au dialogue contradictoire. Il s’agit de l’art de la controverse, l’art de la réfutation ou encore l’art de triompher dans une discussion contradictoire. Protagoras fut le premier à affirmer qu’à propos de toute chose, il y a deux discours opposés l’un à l’autre, c’est-à-dire qu’à tout discours s’oppose un autre discours. Mieux, à propos de toute thèse, il est possible de soutenir des propositions contraires avec autant de pertinence. Avec ce sophiste, la rhétorique devient une discipline capable de produire, sur un même sujet, deux discours antilogiques, c’est-à-dire deux discours, chacun en soi-même cohérent, mais l’un à l’autre incompatibles.

Protagoras s’appuie sur l’idée selon laquelle tout réel peut être dit en deux sens contraires, son dire peut confronter le langage à lui-même dans une insurmontable opposition de thèses contraires. Il soutient la possibilité de porter sur tout sujet à la fois deux discours antinomiques. Il s’agit de ce que, sur tout sujet, l’on peut soutenir à la fois le pour et le contre. Sur les réseaux sociaux, on constate souvent qu’à l’image de l’éristique protagorassienne, un même acteur prend position sur un sujet et bascule dans la position contraire selon ses intérêts, faisant croire qu’il est possible de tenir deux discours diamétralement opposés avec la même force de conviction. En somme, ce sont des acteurs qui, dans leurs désirs d’être dits influenceurs et en profiter, méprisent opportunément la vérité et la morale. Or, ces deux valeurs, c’est-à-dire la vérité et la morale, sont fondamentales au regard de la conception aristotélicienne de l’influence par le discours.

2. Utilité et exigences de l’influence chez Aristote

Le concept d’influence renvoie, dans la perspective aristotélicienne, à celui de la persuasion dont l’objet s’articule autour de trois couples antithétiques que sont l’utile et le nuisible, le juste et l’injuste, le bien et le mal. Ces couples sont symboliques du sens de l’influence qui doit avoir pour boussole les valeurs qui contribuent à une bonne éducation de l’homme et à la consolidation du vivre-ensemble harmonieux et épanouissant. C’est en cela que « la rhétorique aristotélicienne envisage la force de la parole comme moteur de l’action sociale » (R. Amossy, 2021, p. 15), d’où son utilité et ses exigences sociopolitiques.

2.1. L’utilité sociopolitique de l’influence chez Aristote

La pensée aristotélicienne stipule que l’influence est une nécessité sociopolitique. Selon Aristote (2014, 1278b, p. 18-25), en effet, « un homme est par nature un animal politique ». À cela s’ajoute le fait que « la nature ne fait rien en vain ; or, seul parmi les animaux l’homme a un langage » (Aristote, 2014, 1253a10-20). Il ressort de cette pensée aristotélicienne que l’homme est naturellement un être politique doué de langage. Mais, si la nature politique de l’homme, c’est-à-dire son inclination à vivre avec ses semblables, va de soi, le vivre-ensemble, quant à lui, est rendu possible, ou du moins, facilité par le langage. Le langage sert de moyen d’interaction, de communication, de socialité. Son but ultime est, dans la perspective aristotélicienne, la persuasion ou l’influence qui s’opère par le discours. Cela signifie que, chez le fondateur du Lycée, l’influence renvoie à la persuasion qui est le but de sa théorie rhétorique. En fait, la persuasion rhétorique a pour effet immédiat d’influencer. D’où ces deux concepts peuvent, par métonymie, se confondre chez le Stagirite.

C’est en référence à cette pensée aristotélicienne que R. Amossy (2021, p. 4) rappelle, à juste titre, que la façon dont la parole se dote « du pouvoir d’influencer son auditoire [est] au centre d’une discipline dont les racines remontent à l’Antiquité : la rhétorique. Chez les Anciens, elle était une théorie de la parole efficace doublée d’un apprentissage au cours duquel les hommes de la cité s’initiaient à l’art de persuader ».  Il faut donc comprendre que l’art de persuader n’a de sens que parce que, ajoute R. Amossy (2021, p. 4), « l’usage de la parole est nécessairement lié à la question de l’efficacité. Qu’il vise une multitude indistincte, un groupe défini ou un auditoire privilégié, le discours cherche toujours à avoir un impact sur son public ».

Le concept de persuasion, qui fait l’objet d’analyse minutieuse dans la Rhétorique (2014) d’Aristote, est polysémique. Il peut renvoyer, par exemple, à la dissuasion. Dans le cadre de sa rhétorique, la persuasion et la dissuasion ne doivent pas être considérées comme deux entités opposées. Elle ne doit pas être comprise, chez lui, comme antonyme de la persuasion. Car la dissuasion peut être une persuasion dans le sens où l’on persuade quelqu’un à se détourner de quelque chose de nuisible, d’indigne, d’immoral, d’injuste ou de négatif.

Analysant la pensée rhétorique du maître du Lycée, O. Reboul (1991, p. 1) soutient que la rhétorique, art de persuader ou influencer, est « constitutive de notre humanité ». Perçue ou inaperçue, elle est au cœur de la pratique sociale dans la mesure où elle désigne l’usage des techniques et stratégies (programmées ou spontanées, consciemment ou inconsciemment) de la parole efficace, de la parole destinée à avoir un impact sur l’auditoire, c’est-à-dire à le persuader ou à l’influencer. La persuasion, identité de la rhétorique, régit tous les domaines de la société. Par exemple, toute société met en place un mécanisme de persuasion éducative qui forge les personnalités et les conduites de ses membres. Même la science évolue par persuasions et contre-persuasions constructives. C’est de cela que témoigne l’histoire de la science, en général, et de la philosophie, en particulier.

Pour ce qui est de la rhétorique, cette discipline s’inscrit dans l’ordre de l’influence qui s’opère entre individus dans un espace de communication. Il ne sera pas sans intérêt de rappeler que cette discipline est née dans un contexte juridico-politique. M. Meyer (2014, p. 9) note, en effet, que « la rhétorique est née, dans les États-Cités de la Grèce ancienne, où les affaires se réglaient par la parole entre un nombre relativement restreint d’hommes libres ». Il ressort de ses propos que la rhétorique est née dans un contexte politique afin de répondre à un besoin de l’usage efficace de la parole en justice. Cela peut être justifié par le fait que la rhétorique est née au même moment que la démocratie. Elle s’origine dans l’avènement de la démocratie ; son but étant de permettre aux citoyens, jouissant désormais de la liberté démocratique, de savoir se prononcer en justice.

En fait, corrélativement à la démocratie qui rime avec la liberté et la loi, la rhétorique se présente comme le rempart de la parole devenue laïque. La naissance de cette discipline est donc corrélative à celle de la démocratie. Cela est d’autant plus évident que la maîtrise de la parole était la condition de la participation à la vie collective, notamment dans l’Athènes du temps de Périclès. Mais il convient d’insister sur le fait qu’à ses débuts, la préoccupation majeure de la rhétorique fut celle de rendre les citoyens aptes à intervenir en justice. Car, à cette époque, il n’était plus question de « maîtres de vérité » (poète, roi de justice et devin) comme il en était dans la Grèce archaïque, mais plutôt de la parole qui se laïcise. Si donc la naissance de la rhétorique fut concomitante de l’avènement de la démocratie, il faut noter que son but originel était prioritairement judiciaire. On peut résumer cette nature juridico-politique de la rhétorique aristotélicienne avec R. Amossy (2021, p. 14) en ces termes :

La rhétorique de la Grèce antique, fruit de la polis, de la cité libre où les décisions publiques appelaient un débat, permettait la bonne marche de la justice à travers le maniement de la controverse et le bon fonctionnement de la démocratie à travers la pratique de la parole en publique. C’est pourquoi elle s’est principalement donné comme objet le judiciaire et le délibératif (…). Elle y a adjoint l’épidictique, ou discours d’apparat prononcé au cours d’une cérémonie (…). Dans cette triple dimension, la rhétorique a été conceptualisée, formalisée et régulée dans la Rhétorique d’Aristote.

La rhétorique aristotélicienne épouse le caractère social et culturel de la rhétorique antique définie comme art de persuader. Située dans le cadre de la polis, c’est-à-dire dans un espace politique et institutionnel doté de lois et d’usages, « la parole efficace n’est pensable qu’à partir du moment où les groupes humains sont constitués autour de valeurs symboliques qui les rassemblent, les dynamisent et les motivent » (R. Amossy, 2021, p. 14). Dans le même ordre d’idées, il faut rappeler que l’art de persuader par la parole présuppose le libre exercice du jugement. La rhétorique n’a, en effet, de sens que là où l’auditoire peut donner son assentiment sans y être contraint par la force.

Dans cette conception issue d’Aristote, la rhétorique apparaît comme une parole destinée à un auditoire qu’elle tente d’influencer en lui soumettant des positions susceptibles de lui paraître raisonnables. Elle s’exerce dans tous les domaines humains où il s’agit d’adopter une opinion, de prendre une décision, non sur la base de quelque vérité absolue nécessairement hors de portée, mais en se fondant sur ce qui semble plausible (R. Amossy, 2021, p. 15).

C’est cette exigence de plausibilité (au sens du vraisemblable) et aussi celle d’éthique de l’art d’influencer que le Stagirite a consigné dans les concepts de logos, de pathos et d’ethos.

2.2. Vraisemblance et éthique comme exigences de l’influence chez Aristote

Dans la conception issue d’Aristote, la rhétorique apparaît comme une technique de la parole destinée à un auditoire sur lequel elle veut avoir une influence. Aussi est-elle présentée par celui-ci comme une discipline qui s’exerce dans tous les domaines humains où il s’agit d’adopter une opinion, de prendre une décision, non sur la base de quelque vérité absolue, mais en se fondant sur ce qui semble plausible, sur ce qui est persuasif dans un cas donné. Il peut s’agit, par exemple, d’une assemblée qui doit adopter une ligne de conduite face à un ennemi ; d’un avocat qui doit laver son client des soupçons qui pèsent sur lui. Ceux-ci ne peuvent miser sur des certitudes absolues. Le maître du Lycée situe bien la rhétorique dans le domaine des affaires humaines qui sont rarement de l’ordre de la vérité absolument démontrable ou démontrée. L’idée est donc bien accentuée, depuis Aristote, que le vraisemblable et l’opinable constituent l’horizon de la rhétorique.

Mais le Stagirite dote tout de même la rhétorique d’un instrument qui donne à celle-ci toute sa teneur rationnelle : la logique. Elle est l’instrument de la rationalité de la rhétorique aristotélicienne. Son discours rhétorique est un discours logique, ou du moins, un discours fondé sur la logique, laquelle consiste dans le concept de logos. Le logos signifie à la fois la pensée et le langage, la parole et la raison, ou encore les idées et les mots. Aristote garantit la rationalité à l’art de persuader en le fondant par la logique et précisément sur la méthode syllogistique. La syllogistique est la partie de la logique relative au syllogisme. Il s’agit de la logique formelle dont il est l’inventeur. Elle est, par définition, la partie de la logique qui donne des règles de raisonnement indépendantes du contenu des pensées sur lesquelles on raisonne. Selon Aristote (2014, 100a25-29), un syllogisme (syllogismos) ou « raisonnement déductif est une formule d’argumentation dans laquelle, certaines choses étant posées, une chose distincte de celles qui ont été posées s’ensuit nécessairement, par la vertu même de ce qui a été posé ». Il s’agit d’un raisonnement déductif dans lequel deux propositions ou prémisses (majeure, mineure) étant posées, on en tire une troisième (conclusion).  L’exemple de référence est le suivant : “Tous les hommes sont mortels ; or, Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel”. Cet exemple reflète bien le caractère dialectico-scientifique. Il répond à la logique aristotélicienne, comprise comme une démonstration qui s’appuie, en dernière instance, sur des prémisses vraies, premières, immédiates, indémontrables, mieux connues que la conclusion et antérieures à elle.

Chez le fondateur du Lycée, la logique, de par sa puissance de démontrer, est gage de crédibilité, de garantie de scientificité. C’est en elle qu’il loge la véracité du discours rhétorique. Étant un moyen de démonstration, c’est la logique qui confère à toute connaissance son caractère scientifique. Car « connaître scientifiquement c’est savoir par démonstration », dit Aristote (2014, 71b15-20). C’est dans ce sens que la logique peut être définie comme la science dont l’objet est de déterminer les règles de la pensée par lesquelles on peut atteindre (ou tendre à) la vérité. C’est dire qu’avec la logique, la conclusion à laquelle aboutit le rhéteur aristotélicien, même si elle est considérée comme une vraisemblance, s’éloigne tout de même de la fausseté, de la tromperie, et donc, de la sophistique.

En plus du logos, le moyen rationnel, lieu de la logique, le Stagirite reconnaît que, pour persuader, il se présente parfois la nécessité des moyens affectifs définis dans les concepts de pathos et ethos. Le pathos consiste dans la capacité de l’orateur à amener l’auditoire « à éprouver une passion » (Aristote, 2014, 1356a15). Le pathos désigne le moyen par lequel l’orateur met l’auditoire (un public, une assemblée, un juge, etc.) dans une disposition qui lui soit favorable, qui concourt à la réceptivité et à l’acceptation de ses dires. Si donc le logos concerne l’argumentation à proprement dite, le pathos concerne directement l’auditoire, c’est-à-dire que sa force persuasive se joue en dehors de l’argumentation.

En outre, la recevabilité du discours dépend aussi fortement du caractère de l’orateur qui consiste dans l’ethos. À son sujet, Aristote (2014, 1356a5) affirme : « Il y a persuasion par le caractère quand le discours est ainsi fait qu’il rend celui qui parle digne de foi ». Pour ce faire, l’orateur doit, par l’entremise de son discours, se présenter lui-même comme une personne honnête, et donc, digne de confiance. Le sens de l’ethos, chez Aristote, qui veut dire bonnes habitudes, renferme trois qualités qui permettent à l’orateur d’être digne de foi aux yeux de ses auditeurs.

Ce sont : la prudence, la vertu et la bienveillance. Car si les orateurs connaissent des déceptions dans leurs efforts pour défendre une position ou donner des conseils, c’est faute de ces trois qualités, soit de l’une d’elles (…). Il n’y a pas d’autres cas en dehors de ceux-là. Force est donc que celui qui paraît pourvu de toutes ces qualités reçoive la confiance des auditeurs (Aristote, 2014, 1378a5-20).

La prudence, la vertu et la bienveillance sont les qualités qui doivent transparaître de l’orateur, de son discours, comme preuves de son caractère moral, crédible, sincère, voire humain. Il s’agit de l’image que l’orateur donne de lui-même auprès de l’auditoire. Celui-ci doit se montrer honnête, bien disposé, compétent et, selon les cas, sévère ou bienveillant, agressif ou conciliant, austère ou amusant.

En fait, ce qu’il faut s’efforcer à comprendre – parce que difficilement défendable dans cette théorie aristotélicienne de l’ethos oratoire -, c’est la capacité de l’orateur, non à tromper, mais à s’adapter à son auditoire en essayant, du point de vue de la morale, d’imaginer aussi fidèlement que possible sa vision des choses. C’est à cette condition, qu’au-delà de son argumentation, il peut se faire accepter sinon faire accepter son message, son dire. Le fait est qu’il est difficile pour une personne d’adhérer à une vérité qui choque, par exemple, ses mœurs. On se laisse plus facilement persuader par un homme dont la probité est connue, ou du moins, dont la probité s’affiche ou transparaît (de son discours ou de sa tenue et même de sa gestuelle).

Au demeurant, il importe de souligner que l’ethos est le moyen qui donne à la rhétorique d’être une pratique éthique. Il désigne l’aptitude de l’orateur à se conformer aux mœurs de son auditoire, à se concilier avec ses valeurs. En fait, le terme éthique est dérivé de ethos qui signifie le caractère habituel, c’est-à-dire les mœurs. Cela fait de l’éthique l’équivalent étymologique du terme d’origine latine « morale ». Rappelons que le sens de l’ethos chez Aristote, qui veut dire bonnes habitudes, renferme trois qualités qui permettent à l’orateur d’être digne de foi aux yeux de ses auditeurs : la prudence, la vertu et la bienveillance.

Concernant la prudence, Aristote (2014, 1366b20-25) la définit comme suit : « La prudence est une vertu de l’esprit qui fait qu’on a la capacité de bien délibérer – en vue du bonheur – sur les biens et les maux dont il a été question ». La prudence fait du rhéteur aristotélicien un orateur qui est capable de délibérer dans le sens du bien, du bon, du meilleur. Les prudents sont, selon Aristote (2014, 140b), ceux qui « possèdent la faculté d’apercevoir ce qui est bon pour eux-mêmes et ce qui est bon pour l’homme en général ». L’art de persuader ou influencer, qui fait corps avec cette prudence, est une pratique éthique qui doit rechercher l’intérêt général. Ainsi, la vertu et la bienveillance, associées à la prudence, caractérisent l’éthicité de l’orateur aristotélicien. Même si ces qualités ne sont pas une garantie absolue de l’honnêteté de l’orateur, il n’en demeure pas moins que celui qui les possède est susceptible d’être de bonne moralité plus que celui qui ne les affiche aucunement. « Il est absurde que soient dignes de foi les discours de quelqu’un qui n’est pas lui-même digne de foi », dit Aristote (2014, 1415a25).

Dans la perspective aristotélicienne, « la rhétorique, synonyme d’argumentation, se confond ainsi avec une logique des valeurs et avec un exercice de la raison pratique qui possède une dimension éthique aussi bien que sociale » (R. Amossy, 2021, p. 5). Toute entreprise de persuasion qui fait fi de cette exigence éthique est condamnée par le maître du Lycée. Il pense que celui « qui en fait juste usage peut rendre les plus grands services, [celui] qui s’en sert injustement peut causer les plus grands torts » (Aristote, 2014, 1355b5-10). Dans cette mesure, certains influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux, à l’instar des sophistes qui ont fait un usage immoral et fallacieux de l’art de persuader ou d’influencer, doivent être condamnés.

Conclusion

La présente analyse est essentiellement une dénonciation du phénomène des influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux et son cortège de conséquences désastreuses pour les sociétés africaines, et notamment, pour la jeunesse. Elle ne condamne pas, en bloc, tous ceux qui se disent influenceurs, ni n’ignore le véritable sens et l’éthicité de l’influence ou de l’acte d’influencer. C’est justement pour mettre cela en évidence qu’elle convoque Aristote pour attirer l’attention sur la noblesse de l’influence, sur son enjeu sociopolitique, mais surtout sur son exigence morale, et donc, éthique. Cette nature de l’influence et de son mécanisme est théorisée par le Stagirite autour des concepts de logos, de pathos et d’ethos. Contrairement à cette conception aristotélicienne de l’influence, des acteurs des réseaux sociaux, qui font rimer influence et perversité, sont condamnables au même titre que les sophistes dans la Grèce antique que Platon et Aristote ont condamnés. Dans leurs pratiques exclusivement orientées vers la recherche du profit, ces acteurs, à l’instar des sophistes, accordent la priorité à la visibilité, à la forte audience, à la notoriété, à la popularité, si bien que la morale, la vérité, la dignité, bref les valeurs sociales, sont reléguées à un rang secondaire.

On ne le dira pas assez, leurs agissements sont lourds d’inconvénients sur la jeunesse. Le gain facilité, l’enrichissement rapide, les scandales de tous genres, le verbalisme grossier, l’arrogance, l’exhibitionnisme sont quelques maux causés ou amplifiés par le phénomène d’influenceurs autoproclamés. Au lieu d’être des références positives, des modèles, des éducateurs dans les sociétés africaines ontologiquement et fièrement attachées aux valeurs sociales, de tels acteurs sont plutôt un poison qui gangrène la jeunesse africaine. Le danger que Platon et Aristote ont perçu dans la pratique des sophistes de leur époque doit interpeller face à ce phénomène des influenceurs autoproclamés sur les réseaux sociaux. Et la conception aristotélicienne de l’influence ou de l’acte d’influencer peut aider à recadrer cette réalité. Le fondateur du Lycée, en montrant la méthode par laquelle l’on peut facilement persuader, met au cœur de celle-ci le souci de la morale, de l’éthique. La réhabilitation de l’art de persuader ou d’influencer par le discours, opérée par Aristote, l’a fortement été sur la base de la morale, de l’éthique. Et c’est à travers l’ethos, le moyen de persuasion par le caractère moral de l’orateur, que le Stagirite expose l’éthicité de cette discipline. Dans le domaine de la politique, l’éthicité de la rhétorique se manifeste dans l’engagement du rhéteur à rechercher les valeurs du bien-vivre-ensemble, de bien-être commun.

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RECOURS AUX RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES PAR LES ÉTUDIANTS DE L’UNIVERSITÉ JOSEPH KI-ZERBO POUR L’APPRENTISSAGE ET LA FORMATION ACADÉMIQUE

1. Belo ADIOLA

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

beladios89@gmail.com

2. Kibouga Alphonse DIAGBOUGA

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

diagkib@gmail.com

3. Bowendsom Claudine Valérie ROUAMBA/OUEDRAOGO

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

claudvale@yahoo.com

Résumé :

Depuis quelques années, le monde éducatif fait face à de nombreux défis suscités par les innovations et la diffusion des ressources technologiques. Avec ces technologiques, de nouvelles problématiques sont posées pour le monde de la recherche (S. Proulx, 2001 ; T. Karsenti, 2015). Les réseaux sociaux numériques (RSN) qui découlent de ces ressources, suscitent de plus en plus des interrogations surtout dans le secteur de l’éducation et la formation. En effet, la jeunesse, notamment celle estudiantine, s’organise désormais autour des ressources numériques particulièrement sur les RSN, comme moyens d’accès à la connaissance (N. Roland, 2018 ; É. Damome et al. 2020). Cependant, la préoccupation se pose de savoir comment ces RSN participent-ils à l’acquisition du savoir ? La présente réflexion a donc pour objectif de déterminer le lien entre l’usage des RSN par les étudiants et le processus d’apprentissages et de formation académique.

La réflexion a été conduite sous l’angle d’une approche méthodologique mixte (quantitative et qualitative). L’enquête quantitative s’est portée sur un échantillon représentatif (349 répondant.e.s) des étudiants inscrits à l’Université Joseph KI-ZERBO. Tandis que l’enquête qualitative a concerné des enseignants et des personnels de l’administration et quelques étudiants (21 répondant.e.s). La théorie des représentations sociales (S. Moscovici, 1961 ; É. Durkheim, 1898) et celles de la sociologie des usages et des gratifications (J. Jouët, 2000 ; É. Katz, J. Blumler et M. Gurevitch, 1974) sont les approches théoriques privilégiées L’analyse des données révèle une appropriation des RSN par les étudiants. Malgré les effets pervers signalés, cette appropriation leur offre diverses opportunités pour améliorer leurs recherches académiques.

Mots clés : Étudiants, Réseaux Sociaux Numériques, Université Joseph KI-ZERBO, Usage.

Abstract:

In recent years, the world of education has faced a number of challenges brought about by innovations and the dissemination of technological resources. These technologies raise new issues for the world of research (S. Proulx, 2001; T. Karsenti, 2015). The digital social networks (DSNs) that stem from these resources are increasingly raising questions, especially in the education and training sector. Indeed, young people, especially students, are now organizing themselves around digital resources, particularly on DSNs, as a means of accessing knowledge (N. Roland, 2018; É. Damome et al. 2020). However, the concern arises as to how these RSNs participate in the acquisition of knowledge? The aim of the present reflection is therefore to determine the link between students’ use of RSNs and the academic learning and training process.

The study was conducted using a mixed-method (quantitative and qualitative) approach. The quantitative survey was based on a representative sample (349 respondents) of students enrolled at Joseph KI-ZERBO University. The qualitative survey involved teachers, administrative staff and some students (21 respondents). The theory of social representations (S. Moscovici, 1961; É. Durkheim, 1898) and those of the sociology of uses and gratifications (J. Jouët, 2000; É. Katz, J. Blumler et M. Gurevitch, 1974) are the preferred theoretical approaches The data analysis reveals that students have appropriated RSNs. Despite the perverse effects reported, this appropriation offers them various opportunities to improve their academic research.

Keywords : Students, Digital Social Networks, Joseph KI-ZERBO University, Usage.

Introduction

Les innovations technologiques constituent l’un des faits les plus marquants des transformations du 21ème siècle. Elles ont connu un rythme exceptionnel de mutation à tel point qu’il est devenu banal d’affirmer que les technologies transforment les logiques de consommation, les pratiques et les usages depuis un quart de siècle (Credoc, 2008). Leur avènement a donné lieu à des espaces sociaux virtuels de discussion dans lesquels se déploient pour reprendre É. Durkheim (1894, p. 19), « …des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu » transformant ainsi le mode de production et de consommation des individus dans leurs rapports sociaux à travers le monde. De toute évidence, l’apparition des réseaux sociaux numériques (RSN), a créé des espaces de rencontre pour toutes les couches sociales de secteurs divers (économie, politique, éducation, culture, etc.). Dès lors, tous les secteurs de la vie quotidienne en particulier le monde éducatif, se trouvent au cœur des problématiques soulevées par ces technologies. Tandis que certains auteurs présentent ces ressources numériques comme des outils pouvant apporter un regain significatif quant à la qualité de la formation dans les institutions (N. Roland, 2015 ; S. Agostinelli, 2000 ; L. Philippe, 2008), d’autres voient en elles un obstacle à l’atteinte des objectifs d’éducation (R. Redeker, 2000 ; T. Karsenti, 2015 ; J. Gonnet, 2001). Selon N. Roland (2015, p. 13),

l’usage pédagogique des médias sociaux rend l’étudiant plus actif dans son apprentissage, en dépassant la simple acquisition de connaissances pour une mise en situation d’autonomie guidée et un encouragement à l’interaction entre étudiants, voire, par le biais de tels outils, avec des personnes extérieures.

Ce qui permettra aux étudiants d’approfondir leurs apprentissages par les techniques de recherche qui se développent dans les groupes sociaux contribuant ainsi à améliorer la qualité de la formation. En revanche, T. Karsenti (2015), soutiendra ouvertement que les RSN servent la plupart du temps pour certains à visualiser des vidéos à caractère ludique au lieu de s’en servir à but pédagogique. Dans cet univers des méfaits des TIC, la position de J. Gonnet (2001) est sans équivoque. Pour lui, l’introduction des médias à l’école inciterait les élèves à la facilité conduisant à une société qui abandonne progressivement le goût de l’effort. Selon cet auteur, l’intégration des TIC dans le système pédagogique n’aura pour effet que d’atrophier le quotient intellectuel des élèves, l’abandon de l’effort au profit de la facilité. Cependant, le paradigme de l’apprentissage évolue en s’enrichissant de nouvelles configurations du champ social (M. Arnaud, 2012). La production et la consommation du savoir s’enrichissent de cette configuration du champ social.

Pour assoir sa légitimité et son dynamisme au service de l’homme et de l’émancipation des sociétés dans ce contexte, le système de formation se doit d’actualiser ses pratiques pédagogiques pour les adapter à la réalité actuelle dominée par les technologies. C’est d’ailleurs l’une des forces du système Licence-Master-Doctorat (LMD) engagé depuis 1999 pour une véritable réussite de la formation académique (É. Batchana et al., 2012). Ces réformes mettent à profit entre autres, l’essor actuel de la révolution informationnelle afin de se donner toutes les chances de réussir aux étudiants. Cela implique une réforme des pratiques universitaires en termes d’administration, d’organisation et de pédagogie. Selon R. Nanéma, (2019, p. 2) « la révolution informationnelle remet en cause les manières de communiquer, de penser, d’apprendre, d’enseigner, d’agir et de produire ». C’est dire qu’aujourd’hui, avec l’émergences du Web 2.0 et de ses ressources, l’humanité est en train de basculer vers une société qualifiée par certains chercheurs de « société de l’information ». Le LMD, contrairement à l’ancien système, offre des paliers dans la formation universitaire qui devraient en principe aider à renforcer la mobilité des diplômés en s’appuyant sur les ressources numériques entre autres les RSN.

En effet, de nos jours, le processus cognitif s’accommode avec les innovations technologies.  S. Proulx (2005, p. 11) l’affirmait presque deux décennies plutôt en ces termes : « les technologies numériques participent à la transformation des modes de production, de consommation, de communication, de circulation des savoirs et d’acquisition des connaissances ». À cet effet, leur utilisation selon T. Karsenti et al. (2011) doit s’accompagner d’une réflexion constante sur leurs apports, leurs limites et leurs répercussions sur la qualité de la recherche en science de l’éducation. Comprendre l’environnement numérique et la maîtrise de toutes ses sources susceptibles d’influencer le processus d’apprentissage s’avèrent indispensable ; d’où la question principale : Comment les étudiants de l’Université Joseph Ki-Zerbo utilisent-ils les réseaux sociaux numériques pour soutenir leur apprentissage et leur formation académique ? De manière spécifique, nous interrogeons sur : comment les ressources consultées ou partagées sur les RSN sont-elles perçues par les étudiants de l’UJKZ dans le cadre de leur apprentissage et formation académique ? Ensuite, dans quelle mesure l’utilisation des réseaux sociaux numériques affecte-t-elle la performance académique des étudiants ? et enfin, quelles sont les principales compétences que les RSN contribuent-ils à développer chez les étudiants ? En explorant ces pistes, l’objectif général est de déterminer la place qu’occupent les réseaux sociaux numériques dans l’apprentissage et la recherche académiques des étudiants de l’Université Joseph KI-ZERBO. Plus précisément, il s’agit de : analyser la perception des étudiants sur les contenus de ces plateformes en lien avec leur formation académique. Ensuite étudier les usages pédagogiques des réseaux sociaux numériques faits par les étudiants en vue d’informer et d’enrichir leur documentation. Et enfin, explorer les compétences que les RSN contribuent-ils à développer chez les étudiants.

Pour atteindre ces objectifs, notre recherche s’est penchée sur le recours aux réseaux sociaux numériques par les étudiants de l’Université Joseph KI-ZERBO dans un contexte d’apprentissage et de la formation académique.L’intérêt d’étudier les « réseaux sociaux numériques », en tant que ressources technologiques dans une perspective d’apprentissage, est d’ouvrir une réflexion sur ce nouvel espace d’interaction sociale. Ce qui peut conduire à l’exercice de nouvelles pratiques d’organisation en termes d’accès à la connaissance comme voix d’innovation pédagogique dans les communications interpersonnelles et/ou collectives en milieux universitaires. Nous avons donc formulé une hypothèse générale selon laquelle : Le recours aux réseaux sociaux numériques par les étudiants de l’Université Joseph KI-ZERBO participe à améliorer leur apprentissage et leur performance académique. Pour vérifier cette hypothèse, trois hypothèses spécifiques ont été formulées à savoir : les RNS sont perçus par les étudiants comme source d’information et de documentation pour leur apprentissage et formation académique; ensuite, les interactions et les échanges collaboratifs entre étudiants et enseignants sur les réseaux sociaux numériques favorisent un meilleur partage de connaissances et une compréhension approfondie des sujets d’étude et enfin les compétences analytique, technique de recherche et communicationnelle sont les principales compétences que les RSN contribuent à développer chez les étudiants.

Pour ce faire, il est question tout d’abord d’évoquer, l’approche théorique et de la démarche méthodologique ayant servi pour la conduite de la collecte des données. Par la suite, les données ainsi collectées ont été présentées et analysées en termes de résultats. Pour finir, une discussion met aux prises les résultats de cette réflexion avec la littérature existante sur le sujet.

1. Approches théorique et méthodologie

Nous abordons dans cette rubrique la référence théorique et la démarche méthodologique qui ont guidé la collecte, le traitement et l’analyse des données.

1.1. Approche théorique

Les théories adoptées pour la recherche sont celles des représentations sociales (S. Moscovici, 1961 ; É. Durkheim, 1898) et de la sociologie des usages et gratification (J. Jouët, 2000 ; É. Katz, J. Blumler et M. Gurevitch, 1974). La théorie des représentations sociales développées par S. Moscovici (1961) et É. Durkheim (1898) nous a permis de jeter un regard sur la manière dont les individus se comportent, agissent, et se manifestent face aux objets techniques de leur quotidien. Cette démarche constitue une aubaine pour une bonne compréhension de l’action des usagers du numérique en situation d’apprentissage académique et comment ces usages sont différenciés selon les contextes. La théorie de la sociologie des usages et gratification s’inscrit dans une vision plus fonctionnaliste et présente l’utilisation des médias en termes de satisfaction des besoins sociaux ou psychologiques de l’individu É. Katz, J. Blumler et M. Gurevitch, 1974). Elle s’intéresse aux objectifs liés à la satisfaction des usagers dans la pratique et l’appropriation des objets en considérant le public non plus comme une cible amorphe, mais comme un acteur actif doté des capacités créatives. Elle a été choisie dans l’optique de donner une valeur ajoutée à la lecture de cet écrit en tenant compte de l’usage que représente ces objets numériques pour la formation des étudiants. Cette approche nous a conduit à interroger le processus qui fait que les TIC deviennent des objets sociaux et sur la relation entre les innovations techniques et les transformations des sociétés.

1.2. Approche méthodologique

Cette recherche s’est basée sur une approche méthodologique mixte. T. Karsenti (2006, p. 4) définit la méthode mixte comme : « l’éclectisme méthodologique qui permet le mariage stratégique de données qualitatives et quantitatives, de façon cohérente et harmonieuse, afin d’enrichir les résultats de la recherche ». C’est un cadre méthodologique de travail où l’enquête par questionnaire et l’entretien ont été privilégiés comme techniques. L’objectif étant de pouvoir récolter le maximum de données sur les usages numériques. Le logiciel Sphinx Plusv.5 a servi pour l’analyse des données quantitatives tandis-que celles qualitatives ont fait l’objet d’analyse de contenu (L. Bardin, 2009 ; P. N’da, 2006).

1.3. Échantillonnage et échantillon

Notre recherche a été réalisée auprès des étudiant.e.s de deux Unités de Formations et de recherche (UFR) de l’Université Joseph KI-ZERBO (UJKZ) (environ 21834 étudiants). Il s’agit de l’UFR Sciences Humaines (profil littéraire) et de l’UFR sciences exactes et appliquées (profil scientifique). Le choix de ces deux unités de formations et de recherches est motivé par le fait que ces deux entités présentent des caractéristiques assez différenciées et diversifiées aussi bien par les profils qui y sont orientés que dans le contenu de leur formation.

Ainsi, par la technique de calcul de la taille d’un échantillon proposée par L. M. Rea et R. A. Parker (2014), nous avons procédé à la détermination de l’échantillon représentatif de la population cible. Ensuite, pour déterminer l’échantillon pour chaque filière en fonction de l’échantillon représentatif obtenu, nous avons combiné la technique d’échantillonnage par choix raisonné à celle stratifiée dans laquelle nous avons considéré chaque filière comme une sous-population ou strate.

Selon la technique d’échantillonnage représentatif, la formule de base pour la détermination de l’échantillon est la suivante :

Avec : n : taille de l’échantillon ; N : taille de la population cible réelle ou estimée ; : proportion attendue d’une réponse de la population ou proportion réelle fixée à 0,5 par défaut ; tp : intervalle de confiance d’échantillonnage ; y : marge d’erreur d’échantillonnage

Tableau n°1 : valeurs de tp associées aux intervalles de confiance

Intervalle de confiancetp
90%1,65
95%1,96
99%2,69

Source : L. M. Rea et R. A. Parker (2014)

Pour cette étude nous avons utilisé l’intervalle de confiance 95 % équivaut à une marge d’erreur de 5 % admise en sciences sociales. Cela signifie qu’il y a une probabilité de 95% que l’échantillon de personnes interrogées ait une influence sur les résultats de l’enquête avec une fourchette d’incertitude de 5%.

Application :

À l’issue de la collecte, 349 questionnaires sur les 374 ont pu être récupérés. L’échantillon obtenu se présente comme suite dans le tableau ci-dessous :

Tableau n°2 : Population enquêtée

OutilsFilièresÉchantillon théoriqueÉchantillon réel obtenuTaux de couverture (%)
QuestionnaireGéographie787393,59
Hist-Arch1059186,67
Sociologie6262100,00
Philosophie504488,00
Psychologie1010100,00
TSA33100,00
ST/MPCI5353100,00
Maths44100,00
Physique44100,00
Chimie33100,00
Informatique22100,00
TOTAL37434993,32

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

En vue de compléter les données quantitatives par des données qualitatives, des entretiens ont été réalisés auprès de auprès de 15 étudiants de la même population cible n’ayant pas été soumis au questionnaire suivant le principe de saturation, afin de recueillir leurs opinions et expériences sur certains aspects du sujet. En outre, 06 responsables de l’UJKZ ont été enquêtés comme personnes de ressources. Ce sont des personnes susceptibles de nous fournir des informations permettant de mieux comprendre le fonctionnement et la gestion des ressources pédagogiques liées à l’usage des technologies au sein de l’université. Il s’agit des responsables administratifs des deux UFR (SH et SEA) et des enseignants chargés de la formation des étudiants.

2. Présentation et analyse des résultats

Cette rubrique présente les principaux résultats de la recherche. Ces résultats portent d’une part sur les supports et les sources d’accès à la connexion dont disposent les étudiants. D’autre part, il est question de la maitrise de ces outils par ces derniers.

2.1. État d’équipement en outils numériques

Le tableau ci-dessous présente l’équipement en outil informatique des étudiants et de leur source et fréquence de connexion. Il s’agit des dispositifs permettant aux étudiants d’accéder aux ressources numériques favorables à l’apprentissage et la recherche académique.

Tableau n°3 : outils numériques de connexion sur Internet

Appareils utilisé fréquemmentEffectifsFréquences
Téléphone portable (Smartphone)33081,5%
Tablette numérique143,5%
Ordinateur portable5212,8%
Ordinateur de bureau92,2%
Je ne me connecte pas sur Internet00,0%
TOTAL CIT.405100%

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

Le tableau est construit sur 349 observations avec des modalités de réponse à choix multiple. Ce qui justifie un plus grand nombre de citations (405) que d’observations. Les pourcentages sont donc calculés en fonction du nombre de citations pour chaque modalité de réponse et non par rapport au nombre de répondants. De ce fait, le tableau renseigne que le téléphone portable smartphone est de loin l’outil le plus utilisé (81,5%) par les étudiants pour se connecter sur Internet. Après vient l’ordinateur portable avec seulement 12,8% suivi de la tablette numérique (3,5%) et de l’ordinateur de bureau (2,2%). On remarque que tous les répondants possèdent et utilisent au moins un des outils proposés pour se connecter à l’Internet. A la lecture nous pouvons dire que tous nos répondants sont équipés en outil informatique leur permettant de se connecter sur Internet et par conséquent, pouvoir utiliser les RSN. Les résultats du graphique suivant présentent les données de connexion utilisées par les étudiants pour accéder à l’internet et par conséquent, pouvoir utiliser les RSN.

Graphique 1 : Source de connexion

 Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

On constate que 82,20% des étudiants utilisent leurs propres données de connexion au lieu du « wifi de l’Université » qui représente 13%. En plus d’autres sources de connexe soit 4,80% sont sollicitées.  Cela montre que les étudiants font moins recours à la connexion offerte par l’’université. Cette posture a été expliquée dans une question ouverte et suite aux entretiens réalisés. De leurs explications, on retient que la qualité de la connexion du wifi au sein de l’université ne favorise pas la recherche. C’est de l’avis cet étudiant de L2 en ST/MPCI parmi tant d’autres qui l’a exprimé en ces termes : « mauvaise qualité de connexion pour le peu de wifi existant ». Ils préfèrent se contenter de leur propre ressource pour se connecter. Cependant, cela n’est pas sans difficulté. Le coût de la connectivité n’est pas souvent à la portée de tous les étudiants. C’est pourquoi d’autres font recours à d’autres sources de connexion comme « wifi du quartier », « wifi d’une structure religieuse » ou encore « wifi familial ».  En témoignent les propos de cet étudiant de M1 en Géo : « coût élevé de la connexion et débit de la connexion du wifi est faible à l’université » ou de celui de L3 en Hist-Arch pour qui, cela est dû au « manque des moyens pour avoir la connexion en tout temps et en tout lieu le réseau aussi est souvent faible par rapport au wifi alors qu’on n’a pas tous accès au wifi de l’université ».

Un autre enquêté dira pour sa part. Ainsi, les étudiants préfèrent-ils utiliser leurs propres données de connexion que de s’attarder sur la connexion mise à leur disposition qui malheureusement ne fonctionne pas comme il se doit. De fait, d’autres sources de connexion sont mises à contribution pour favoriser la connexion.  De là, on peut dire que l’accessibilité en termes d’équipement et de source de connectivité n’est pas à la portée de bon nombre d’étudiants de l’Université Joseph KI-ZERBO. Malgré cet état de fait, la majorité des étudiants déclarent être permanemment être connectés sur les RSN. Le graphique suivant présente ces résultats.

Graphique N°2 : Fréquence de connexion sur les RSN

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

Le graphique ci-dessus montre que sur les 349 répondants au questionnaire, 30% ont déclaré être permanemment connectés sur les RSN. 20% s’y connectent plus de deux heures et 20% autres moins de deux heures ; 11% y passent plus de quatre heures de leurs temps contrairement à 9 % qui y passent moins de quatre heures et seulement 10% consultent rarement les RSN. On retient qu’une part importante des enquêtés sont des consommateurs permanents des RSN. En catégorisant cette consommation par UFR, nous obtenons les résultats dans le tableau suivant :

Tableau n°4 : rapport UFR et fréquence de connexion sur les RSN

UFR/Fréquence de connexion sur les RSNMinimum deux heuresMoins de deux heuresMinimum quatre heuresMoins de quatre heuresJe suis permanemment connecté (e)Je consulte rarement les RSNTotal
UFR/SH19,3%21,4%12,5%8,2%30,0%8,6%100%
UFR/SEA20,3%15,9%5,8%11,6%29,0%17,4%100%
TOTAL19,5%20,3%11,2%8,9%29,8%10,3%100%

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

Chi2 = 7,98, ddl = 5, 1-p = 84,26%. La dépendance n’est pas significative

À la lecture du tableau et avec le test du Chi on constate que l’UFR d’origine de l’étudiant n’a pas d’influence sur sa fréquence de connexion sur les RSN. Le test de Chi2 indique que même s’il y a dépendance, elle n’est pas significative.  20,3% de nos interlocuteurs de SEA se connectent au minimum deux heures sur les RSN contre 19,3% de ceux de SH. La majorité (30%°) de ceux qui sont permanent connectés sur les RSN sont de SH contre 29% de SEA.

2.2. Les usages pédagogiques des réseaux sociaux numériques perçus par les étudiants

Selon Merra (2013), les représentations sociales sur les réseaux sociaux numériques impactent fortement sur la qualité et la fréquence des utilisateurs.

Graphique n°3 : appréciations des informations diffusées sur les RSN

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

Le graphique montre que 23%, jugent très importantes les informations en lien avec leurs études découvertes sur les RSN, 59% les trouvent assez importantes,18% peu importantes et aucun de ces enquêtés n’a trouvé sans importance ces informations.

Par ailleurs, les étudiants qui se sont exprimés suite à nos entretiens soutiennent que les RSN sont des ressources numériques qui peuvent être exploitées par les étudiants et les enseignants dans le cadre pédagogique. C’est ce que nous a relaté cet enquêté en ces termes : « nous percevons les usages des RSN par les étudiants et les enseignants comme utiles parce que les RSN constituent un moyen très efficace dans la réussite de nos études » (étudiante de L3 en Philo). « Ça permet aux étudiants et aux enseignants d’être plus cultivés et être ouverts au monde extérieur » soutient un autre (étudiant de M1 en Maths). Il en est de même pour cette étudiante de M1 en Géo pour qui, les RSN sont « très importants car cela permet d’acquérir des informations très utiles dans le cadre des études (formations et de la recherche permet une certaine ouverture d’esprit) ». C’est également de l’avis de cet enquêté qui ajoute : « je trouve que les usages des RSN par les étudiants et enseignants sont très importants car les RSN permette d’avoir facilement accès à de nouvelles informations et de découvrir plusieurs autres choses » (étudiant de L1 en TSA). Aussi, sont-ils un moyen pour étudier à distance : « c’est aussi utile pour les étudiants qui n’arrivent pas à suivre normalement les cours, d’avoir les supports dans un bref délai en tout lieu et en tout temps en vaquant à leur occupation » nous a fait comprendre cette étudiante de M1 en Géo.

Une autre étudiante de L3 en Socio, estime qu’avec le système LMD, les RSN peuvent contribuer à renforcer leur recherche en dehors des cours en présentiel : « ça permet de faire des recherches pour compenser ou renforcer les cours puisque c’est le système LMD » (Enquête de terrain juin-juillet 2022) a-t-il souligné. C’est également une position soutenue par l’un des responsables qui l’a exprimée en ces termes :

d’autant plus qu’il a eu une mutation dans l’organisation même des activités académiques au niveau du système qui est passé d’un système classique à un système qui se veut innovant comportant en tout trois parcours à savoir le LMD. Et dans cette perspective-là, l’enseignement supérieur ne peut pas échapper au RSN à l’Internet et aux technologies qui donnent la possibilité à l’étudiant et à l’enseignant une « mobilité statique »’ ; mobilité statique parce qu’on peut avoir des informations à distance en étant sur place (Enquête de terrain juin-juillet 2022).

Selon ce responsable, l’importance des RSN ne se limite pas qu’aux étudiants, ils sont aussi exploités par les enseignants pour des recherches et des échanges quotidiens. Cette affirmation est aussi approuvée par les enseignants que nous avons interrogés :

en tant qu’enseignant nous utilisons aussi les RSN soit pour interagir avec les amis soit pour interagir dans le sens professionnel parce qu’aujourd’hui vous avez beaucoup de structures qui mettent en place des adresses mail, des pages Facebook etc. qui sont donc des plateformes pour échanger sur des sujets professionnels. C’est un moyen de communication efficace et l’avantage est que c’est instantané. Pour moi en tant qu’enseignant, on ne peut pas faire abstraction de ces outils (Enquête de terrain juin-juillet 2022).

Ces opinions largement partagées par la plupart de nos enquêtés, viennent consolider les données quantitatives de la recherche.

Le rapport entre l’UFR d’appartenance des étudiants et leur niveau d’appréciations se présente comme suit :

Tableau n°5 : rapport UFR et appréciations des informations sur les RSN

UFR/Appréciation des infos sur les RSNTrès importantesAssez importantesPeu importantesSans importanceTOTAL
UFR/SH22,1%60,7%16,8%0,4%100%
UFR/SEA27,5%49,3%23,2%0,0%100%
TOTAL23,2%58,5%18,1%0,3%100%

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

Chi2 = 3,44, ddl = 3, 1-p = 67,09%.

Soit H: il n’existe pas de relation entre l’UFR d’appartenance de l’étudiant et son appréciation des informations sur les RSN ;

et

Soit H1 : il existe une relation entre l’UFR d’appartenance de l’étudiant et son appréciation des informations sur les RSN.

Il ressort du tableau que 22,1% de SH pensent que les informations sur les RSN sont « très importantes », 60,7% les jugent « assez importantes », pour 16,18%, elles sont « peu importantes » et 0,4% estiment qu’elles n’ont aucune importance. En revanche 27,5% de SEA, pensent que ces informations sont très importantes, « assez importantes » pour 49,3%, et « peu importantes » pour 23,2%. Le test de Chi2, bien qu’il ne soit pas véritablement applicable au regard de certaines valeurs du tableau, il nous permet néanmoins d’apprécier la relation entre ces deux variables. Selon ce test, la dépendance n’est pas significative. En effet, le Chi2 étant de 7,81 avec 0,05 de marge d’erreur et de ddl= 3, alors que notre Chi2 s’établit à 3,44.  Ce qui signifie que l’hypothèse H0 qui sous-tend qu’il n’y a pas de relation entre les deux variables est maintenue. Cela confirme qu’il n’y pas de relation entre la faculté d’étude de nos enquêtés et leurs appréciations des informations sur les RSN. Néanmoins, il ressort que la plupart des enquêtés pensent que les informations sont « assez importantes ».

2.3. Les réseaux sociaux numériques comme sources d’informations et de documentation pour l’apprentissage et la recherche

Les RSN sont des ressources numériques qui participent à la recherche d’informations de tout genre. Leur usage pédagogique n’est pas occulté par nos enquêtés. Plusieurs d’entre eux y font recours comme alternative ou complémentaire à leur recherche. Toutefois, certains réseaux sociaux sont mieux exploités que d’autres au regard de leurs opportunités offertes pour l’apprentissage. Nous pouvons voir cette répartition dans le tableau ci-dessous :

Tableau n°7 : Source d’informations et de documentation

Sources de documentationEffectifFréquence
WhatsApp31891,10%
Facebook27879,70%
Aucun298,30%
Telegram18252,10%
Instagram (google+)24369,60%
Twitter13538,70%
TOTAL OBS.349

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

L’analyse du tableau montre que parmi les RSN sur lesquels sont menées des recherches d’informations et de documentation, WhatsApp est en tête avec 318 fois citées, soit 91,10% des enquêtés. En effet, en plus des échanges interactifs entre les membres d’un groupe, WhatsApp favorise le téléchargement et le partage de documents, audio, vidéo, etc. Sa particularité est qu’il permet de créer des groupes de travail restreints qui ne sont visibles que par les membres. Avec les audiences invisibles, le mode secret protège les échanges entre membres autorisés, les confine dans l’espace du groupe (à moins d’une divulgation malveillante par copie d’écran d’un membre) et peut ainsi renforcer le sentiment d’appartenance ou collectif. Ce qui lui donne plus de confiance par rapport aux autres : « Pas mal avec les groupes WhatsApp pour les informations et le partage » a relevé l’étudiant de M1 en Géo tout comme celle de M1 en Socio qui déclare : « travailler sur les exposés avec les camarades sur WhatsApp » (étudiante de M1 en Socio). Après WhatsApp, vient Facebook (278 citations, soit 79,70%), suivi de Instagram (243 soit 69,60%), Telegram (182 soit (52,10%) et Twitter (135, soit 38,70%).

Il ressort des entretiens que le plus souvent les étudiants combinent différentes plateformes en fonction des besoins spécifiques, de leurs habitudes d’utilisation et selon également de l’évolution des différentes plateformes. En procédant de cette façon, les étudiants s’approprient chaque RSN en fonction des informations recherchées. Ce qui leur permet de réorganiser leurs usages selon cet enquêté : « il y a une catégorisation des RSN faites par les étudiants. D’une part il y a des RSN pour consulter les informations et d’autre part des RSN pour le partage de documents (étudiant de M1 en Socio). Cet étudiant de L2 en Hist-Arch donne plus de précision à ce sujet : « Pour les informations concernant les études c’est beaucoup plus sur WhatsApp. Sur Facebook c’est pour suivre l’actualité nationale et internationale et consulter certaines informations liées aux études ». À titre illustratif, les traces en ligne observées sur Facebook et WhatsApp nous a permis de vérifier cette pratique où certains vont jusqu’à dire qu’ils ont appris plus sur leur canal d’interaction que ce qu’ils ont appris durant leur parcours secondaire. Nous pouvons constater ce témoignage sur la figure suivante :

Figure n°1 : Illustration d’une recherche documentaire sur les RSN

Source : Enquête de terrain juin juillet 2022

Cette figure confirme le recours aux RSN par les étudiants dans le cadre de leurs études. Il reste donc de savoir si par le biais de ces canaux de communication, de nouvelles connaissances sont acquises dans le sens de renforcer leurs compétences de recherche académiques. Le graphique suivant répond à cette question.

Graphique n°4 : Connaissances acquisses sur les RSN au profit de la recherche

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

94,80% des enquêtés contre 5,20%, disent avoir acquis de nouvelles connaissances sur les RSN en vue de renforcer leurs compétences de recherche académique. Ces réponses sont en adéquation avec leurs appréciations que nous avons présentées précédemment. Ces connaissances sont l’émanation de plusieurs potentialités des RSN favorables à l’apprentissage et à la recherche des étudiants. Ce qui justifie la fréquence de recours aux RSN à but pédagogique.

Tableau n°8 : fréquence d’usage des RSN à but pédagogique

Fréquence d’usage des RSN à des fins pédagogiquesEffectifsFréquences
Très fréquemment11031,5%
Fréquemment14240,7%
Occasionnellement8524,4%
Jamais123,4%
TOTAL OBS.349100%

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

L’analyse du tableau montre que sur 349 répondants, 110 utilisent très fréquemment les RSN dans le cadre de leurs études soient 31,5%. Tandis que 142 répondants soient 40,7% pratiquent la même activité et 85 d’entre eux (24,4%) disent le faire occasionnellement. Or 12 enquêtés, soient 3,40% déclarent n’avoir jamais utilisé les RSN à but pédagogique. Cependant, cette activité varie en fonction de l’UFR où l’étudiant évolue. C’est ce que l’on peut voir sur le tableau ci-dessous :

Tableau n°9 : rapport UFR et usage des RSN à des fins pédagogiques

UFR/Usage des RSN à des fins pédagogiquesTrès fréquemmentFréquemmentOccasionnellementJamaisTotal
UFR/SH30,0%41,8%25,4%2,9%100%
UFR/SEA37,7%36,2%20,3%5,8%100%
TOTAL31,5%40,7%24,4%3,4%100%

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022.

Il ressort que 30% des enquêtés de SH utilisent très fréquemment les RSN à des fins pédagogiques contre 37,7 de SEA. 41,8% le font fréquemment, 25,4% occasionnellement et 2,9% n’ont jamais pratiqué cette activité. Tandis que 37,7% de SEA pratiquent cette activité très fréquemment, 36,2% fréquemment, 20,3% le font occasionnellement et 5,8% disent n’avoir jamais utilisé les RSN dans le cadre des études.

Toutefois, cette pratique du numérique qu’ils déclarent mener sur les RSN peut-elle constituer un facteur de développement de compétence des étudiants en matière d’apprentissage et de recherche académique ?

2.4. Les usages pédagogiques des réseaux sociaux numériques et développement des compétences académiques

Les opportunités offertes par les RSN ont permis aux étudiants de développer un certain nombre de compétences transversales que ça soit académique, technique ou communicationnelle.

Le graphique ci-après rapporte les réponses des enquêtés à la question de savoir si l’usage des RSN favorise l’acquisition de ses compétences :

Graphique n°5 : compétences développées par l’usage des RSN

Source : Enquête de terrain juin-juillet 2022

À la lecture du graphique, on constate que la majorité des étudiants s’accordent pour affirmer l’importance des RSN en termes de développement de leurs compétences diverses à savoir l’amélioration de la pensée créative et analytique (79,10%), de l’apprentissage collaboratif (80,80%), la stimulation des compétences techniques de recherche (84,50%), l’amélioration des compétences communicationnelles (70,80%), la facilitation d’interaction entre étudiants (58,70%), le renforcement des pratiques pédagogiques universitaires (43,00%) et l’amélioration de leur capacité cognitive (76,20%). Les entretiens réalisés ont aussi révélé que l’usage des RSN par les étudiants développe leurs compétences à divers niveaux favorables à l’apprentissage et à la recherche. Pour les étudiants tout comme les enseignants ou de l’administration, il est évident que l’usage des RSN exerce un pouvoir sur la performance des étudiants. Du côté des étudiants, « les RSN facilitent la communication entre étudiants et favorisent les échanges d’idées autour de certaines thématiques abordées dans les groupes » soutient un enquêté. Un autre déclare qu’« en termes de communication, les RSN apportent beaucoup aux étudiants dans la mesure où on sait que c’est moins cher de communiquer par WhatsApp. Ça facilite la circulation des informations » (étudiant de M1 en Socio). (Enquête de terrain juin-juillet 2022).

Dans le même sens, un autre soutient que « les réseaux sociaux permettent aux étudiants et aux enseignants de s’informer de découvrir de nouvelles choses et permettent aussi de s’ouvrir au monde » (étudiant de M2 en Géo) (Enquête de terrain juin-juillet 2022). Un responsable de l’UJKZ a été plus précis dans ce domaine : « les RSN sont utilisés dans des groupes de façon informelle pour faciliter la communication et le partage d’information que ça soit entre étudiants ou entre étudiants et enseignants et même avec l’administration ». Par conséquent, il exhorte les étudiants en ces termes :« il faut qu’ils sachent les exploiter. Il ne faut pas faire confiance à tout ce que l’on voit sur les RSN. Ça peut désorienter » (Enquête de terrain juin-juillet 2022). C’est le même avis pour un autre responsable qui ajoute qu’« il est difficile de cadrer les RSN, car aucune réglementation n’est disponible à ce jour sur cet aspect dans nos universités. Chaque utilisateur doit être prudent face aux informations qu’il rencontre ». Ce qui explique cette réticence du service de la scolarité dans leur manière d’exploiter les RSN comme nous l’a fait savoir l’une des agents de ce service : « certains étudiants ne viennent plus à la source. Ils pensent qu’ils peuvent tout trouver sur les RSN ; or nous n’utilisons pas à ce stade de manière officielle ces canaux du fait qu’il n’y a pas de réglementation en la matière à l’université ici ». Elle poursuit en disant que « les RSN, c’est un mal nécessaire, il faut seulement savoir l’utiliser ». Visiblement, on aperçoit que ces RSN sont exploités de manière officieuse pour exercer certaines tâches administratives à la limite à l’interne pour éviter les effets pervers des RSN dans les services.

De leur côté, les étudiants semblent être conscients de cet état de fait car nombreux d’entre eux reconnaissent que les RSN participent à leur faciliter la recherche d’informations, mais pourrait se révéler dangereux pour les études s’ils ne sont pas bien exploités. L’un d’entre eux a déclaré ceci : « les RSN comme toutes choses il y a des avantages et des inconvénients dont certains font bon usage et d’autre non, … » (étudiant de M2 en Géo) (Enquête de terrain juin-juillet 2022). C’est une opinion partagée par bon nombre d’étudiants l’étudiant de L3 en Maths, pour qui, les RSN peuvent contribuer à perfectionner les recherches des étudiants, si seulement l’usage pédagogique est bien cadré. Il l’a exprimé en ces termes : « les RSN sont censés être utilisés pour approfondir et perfectionner les recherches mais certains étudiants les utilisent à d’autres fins par manque d’encadrement et de maîtrise de leur usage pédagogique ». Il s’en suit que tout dépend de l’usage et du niveau de maîtrise de certaines fonctions des RSN. Il déclare qu’« il y a des gens qui ne savent même pas qu’avec Facebook on peut faire des recherches. Les gens voient que les RSN c’est pour causer et faire des choses qui ne sont pas utiles » (Enquête de terrain juin-juillet 2022). Or pour lui, « ce n’est pas du tout vrai. Les RSN sont aussi des sites de recherche. Par exemple grâce aux groupes que les gens créent, on peut avoir l’information que l’on veut » (Enquête de terrain juin-juillet 2022). Tout en témoignant de son expérience de recherche sur les RSN, il invite ses camarades à intégrer des groupes ou pages des RSN sérieux crées à des fins pédagogiques tout en restant vigilants. C’est une invite à la sensibilisation des étudiants à faire des RSN des outils d’intérêt pédagogique.

3. Discussion

Nombreuses sont des recherches qui se sont intéressées à la question des innovations technologiques et leurs effets sur la vie sociale économique et culturelle (T. Karsenti, 2005, 2011 ; S. Proulx, 2005 ; É. Damome et al., 2020, etc.). Celle que nous menons s’inscrit dans la dynamique des problématiques du changement social. Nos résultats viennent donc consolider certaines positions et ouvrent de nouvelles discussions pour d’autres.

3.1. Place et rôle des RSN dans l’enseignement supérieur aujourd’hui

Il ressort que de nos jours les RSN sont sollicités pour faciliter la communication entre étudiants, l’accès aux informations et à la documentation, favoriser le partage d’idées, l’ouverture d’esprit et contribuent à l’éveil de conscience des citoyens. Le recours à ces ressources numériques contribue à développer des compétences transversales chez les étudiants leur permettant d’améliorer des performances de recherche et d’apprentissage académiques. Les travaux de A. Abdullatif (2015) sur les pratiques numériques des étudiants de l’université de Comores ont mis en évidence le recours aux RSN par les étudiants en vue de développer leurs compétences dans le processus d’apprentissage. Selon cet auteur, avec les ressources numériques, l’étudiant devient l’artisan de sa propre formation. Il en est de même pour R. Grégoire et T. Laferrière (1998), qui parlent des plateformes qui favorisent de nouvelle forme d’interaction sociale, de partage etde création d’occasions d’apprentissage auxquelles s’adonnent les étudiants dans l’optique de transformer leurs pratiques pédagogiques.

3.2. Perception et apport des RSN dans l’apprentissage et la formation des étudiants

Ces usages jugés bénéfiques pour les études, sont orientés vers la pédagogie suivant les représentations sociales construites par les usagers autour des objets techniques (É. Chomienne et A. Lehmans, 2012 ; S. Proulx, 2005 ; É. Damome et al., 2020 et L. Merra, 2013) déterminant ainsi la qualité et la fréquence de leurs usages. Car cela constitue l’une des clés de motivation du recours au numérique. Il s’agit des perceptions qui déterminent l’acceptation d’un objet technique que l’individu ou le groupe social attribue des rôles spécifiques qui orientent et organisent ses conduites et sa communication vis-à-vis de l’objet. Ce que É. M. Rogers (1983) repris par B. Adiola et al. (2022, p. 232), qualifie d’« attributs de la bonne perception d’une innovation » au regard du profit que cela procure aux utilisateurs. Cette bonne perception selon nos résultats, engendre un usage pédagogique des RSN en dehors de tout cadre réglementaire. Ce qui a été également soutenu par N. Roland, (2018) et É. Damome et al. (2020). Dans le même sens, M. Deschênes, (2014) qualifie ce processus d’apprentissage de contexte non formel ou informel d’apprentissage. Les recherches de É. Chomienne et A. Lehmans (2012) ont montré l’intérêt des RSN pour les apprenants entre autres pour faciliter la communication, favoriser l’apprentissage collaboratif, participer à des discussions et pour maîtriser la manipulation des outils techniques. L. Philippe (2008) et N. Bramble (2010), soutenaient déjà qu’il est possible de répondre aujourd’hui à la question de la communication en réseau qui favorise le travail collaboratif et de résoudre les problèmes de socialisation. Il est par conséquent important de faire recours aux réseaux d’apprentissages pédagogiques dans le cadre de l’enseignement supérieur. Cette façon d’apprendre, nous l’avons constatée avec nos enquêtés qui disent être satisfaits de leurs résultats d’apprentissage sur les RSN.

3.3. Quels revers l’usage des RSN engendre-t-il pour les apprenants ?

Cependant, pour certains auteurs comme I. Boro (2011), les effets des TIC en général sur l’activité pédagogique est à nuancer. Il souligne par conséquent que l’élève ou l’apprenant a besoin d’un encadrement pour mieux profiter des avantages y rattachés. Pour M. Linard (1996), les TIC ne créent pas la connaissance, mais modifient la condition d’accès à cette connaissance. L’auteur poursuit en soulignant le caractère neutre des objets techniques et affirme que ces technologies ne font que des propositions à l’homme qui en décide en fonction de ses intérêts. C’est pourquoi T. Karsenti (2005) invite à la prudence dans l’usages des ressources numériques car celles-ci nous présentent plusieurs facettes. Les étudiants ont bien compris cela et n’ont pas manqué de vigilance pour relever les risques liés aux usages non contrôlés. Toutefois, les résultats de cet article ne sont qu’une exploration et invitent à considérer les pratiques des étudiants sur les RSN comme outils d’apprentissage supplémentaire des jeunes estudiantins et non pas comme une fin en soi. Selon M. Arnaud (2012) le paradigme de l’apprentissage évolue en s’enrichissant de nouvelles configurations du champ social. Les politiques et les philosophies de l’éducation ne peuvent se construire de manière efficace et efficiente en marge du contexte social. Ainsi, ces dernières années ont été marquées par la pénétration des réseaux sociaux numériques dans les réflexions sur l’apprentissage et la formation.  En effet, les innovations technologiques avec pour toile de fond, les RSN, touchent toutes les sphères de la vie y compris celui de l’éducation. Les utilisateurs de ces outils sont majoritairement des jeunes scolaires et estudiantins. Plusieurs études ont montré que le numérique en particulier les RSN participent d’une manière ou d’une autre à l’apprentissage et la formation des apprenants d’aujourd’hui (N. Roland, (2018) ; É. Damome et al., 2020 ; M. Deschênes, 2014 ; É. Chomienne et A. Lehmans, 2012, etc.).

Conclusion

Il ressort de cette recherche qu’en termes d’équipements, l’ensemble des enquêtés disposent au moins d’un outil lui permettant d’être relié au numérique. Parmi, les outils d’accès au numérique figure en bonne place les smartphones (81,5%), suivi des ordinateurs portables (12,8%), des tablettes numériques (3,5%), des ordinateurs de bureau (2,2%). Néanmoins, la qualité et le coût pour se connecter aux différences interfaces numériques sont perçues respectivement faible et élevé par les étudiants. Leur usage orienté vers la pédagogie participe à faciliter et à résoudre certaines difficultés telles que l’insuffisance d’infrastructures, la communication, l’apprentissage collaboratif et l’apprentissage à distance. Cependant, cet usage invite à la prudence car pouvant parfois conduire à l’effet contraire. C’est comme toute innovation ou nouveauté, les RSN devenus incontournables dans la vie sociale, méritent d’être examinés quant à leur manifestation dans le monde de l’apprentissage et de la formation. C’est dans cette perspective que la présente recherche a tenté de comprendre cette situation à travers les étudiants de deux UFR différentes de l’Université Joseph KI-ZERBO.

En tout état de cause et pour notre part, nous pensons qu’il est temps que les réflexions soient de plus en plus menées sur cette problématique, notamment en contexte africain. Et, ce dans la mesure où nous n’avons pas un contrôle sur les contenus qui inondent les RSN. Ainsi, des inquiétudes naissent pour ce qui de l’influence négative de ces plateformes sur les jeunes. Il est vrai que le numérique permet de mettre tous les êtres humains sur le même pied. Toutefois, il faudra reconnaitre que les conditions pour que ces outils améliorent la performance des systèmes éducatifs ne sont pas encore réunies.

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SÉMIOTIQUE ET IDENTITÉ SOCIALE. UNE LECTURE                           À PARTIR DES RÉSEAUX SOCIAUX

Masseniva TRAORÉ

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

massenivadesse@gmail.com

Résumé :

Ce présent article examine l’identité sociale sur les réseaux sociaux. L’individu étant un être vivant doté de raison et de conscience, a besoin de mettre en valeur son identité sociale et cela se fait à travers des moyens de communication dont les réseaux sociaux. Cela lui permet d’être visible et connu par tous. Au regard de ceci, une analyse de la sémiotique de la narrativité est mise en exergue dans l’optique de catégoriser cette identité sociale. De cette analyse, il ressort que l’identification à la lumière du programme narratif et du schéma actantiel, permet de situer les actants à travers leurs différents rôles. Ainsi, ces actants dans le but d’atteindre leurs objectifs, se confrontent permanemment et ceci les oppose. Des résultats, il s’avère, d’une part, que l’affirmation de soi sur les réseaux sociaux permet à l’individu de s’ouvrir au monde tout en découvrant d’autres cultures, et d’autre part, lui fait perdre sa vie privée en voulant toujours se faire remarquer.

Mots clés : Identité sociale, Narrativité, Réseaux Sociaux, Sémiotique.

Abstract:

This article examines social identity on social networks. The individual, being a living being endowed with reason and conscience, needs to highlight his social identity and this is done through means of communication, in this case social networks. This allows it to be visible and known by everyone. In view of this, an analysis of the semiotics of narrativity is highlighted with the aim of categorizing this social identity. From this analysis, it emerges that identification in the light of the narrative program and the actantial diagram makes it possible to situate the actants through their different roles. Thus, these actors, in order to achieve their objectives, constantly confront each other and what opposes them. From the results, it turns out, on the one hand, that self-affirmation on social networks allows the individual to open up to the world while discovering other cultures, and on the other hand, makes him losing your privacy by always wanting to be noticed.

Keywords : Social identity, Narrativity, Social Networks, Semiotics.

Introduction

L’identité sociale joue un rôle important dans la vie actuelle et pousse l’être humain à s’affirmer socialement à travers un moyen de communication. Le réseau social désormais utilisé par tout individu comme médiateur de son identité, lui permet de s’identifier et de se reconnaitre aux yeux de tous. Ainsi, la recherche de la visibilité le met en confrontation avec autrui en détruisant la cohésion sociale et les rapports sociaux existant entre eux. De ce constat, comment la sémiotique permet-elle de révéler l’identité sociale d’un individu sur les réseaux sociaux ?

Dans une perspective sémiotique, ce présent article examine le schéma actantiel, les actants en cause et procède à une catégorisation de l’identité sociale sur les réseaux sociaux. L’identité étant une valeur fondamentale, le cadre théorique de notre étude s’inscrit dans la sémiotique narrative développée par Algirdas Julien Greimas. La référence au programme narratif et au schéma actantiel nous permet de situer les actants concernés à travers leurs rôles. Trois (3) axes constituent notre travail. D’abord, nous clarifions les notions conceptuelles de l’étude. Ensuite, nous analysons l’identité sociale dans les réseaux sociaux et le Programme Narratif. Enfin, nous déterminons le schéma actantiel de l’identité sociale et réseaux sociaux.

1. Clarifications conceptuelles

Dans cette partie, nous définissons les concepts clés de l’étude qui sont, entre autres, le réseau social, l’identité sociale et la sémiotique et outils d’analyse.

1.1. Réseau social

L’Université Téluq définit le réseau comme « un ensemble d’éléments reliés entre eux et réglés de manière qu’ils puissent communiquer. C’est aussi simple que ça ». Selon Wikipédia dans une définition plus large de la notion du social « on peut l’entendre comme l’expression de l’existence de relations et de communication entre les êtres vivants ». Lemieux V (1999) cité par Catherine Tournier-Souilleaux (2020, p. 9) définit le réseau social comme

un ensemble de relations entre un ensemble d’acteurs. Cet ensemble peut être organisé (une entreprise, par exemple) ou non (comme un réseau d’amis) et ces relations peuvent être de nature fort diverses (relations de pouvoir, affectives, de conseil, etc.), spécialisés ou non, symétriques ou non. On distingue par exemple les réseaux de parenté, d’affinité, de soutien, marchands, de mobilisation, d’entreprises, concernant les politiques publiques et de clientélisme.

Dans cette étude, nous utilisons trois (3) modes de visibilité de l’identité sociale sur le réseau social. Il s’agit entre autres de Facebook, Whatsapp et TikTok.  Denis Faure (2016, p.1) présente Facebook comme

un réseau social très populaire qui vous permet d’être en lien avec des amis, partager des centres d’intérêts et rejoindre des groupes. Il est le plus grand site de réseau social dans le monde avec plus de 600 millions d’utilisateurs, dont 22 millions résident en France. L’utilisateur interagit avec en moyenne environ 130 amis sur leur page.

Selon Cardon (2008), « la particularité de Facebook est de proposer aux internautes un espace d’expression à la fois public et privé, en « clair-obscur », qui ne permet pas à des acteurs extérieurs au réseau social de l’utilisateur, chercheurs, entreprises ou robots, d’accéder aux informations publiées par les utilisateurs ».

Pour Yosra Ghliss (2019, p. 3), Whatsapp

est une application numérique de messagerie mobile. Conçue par deux anciens ingénieurs de Yahoo, elle a été au départ pensée pour permettre de s’échanger des SMS gratuitement. L’application a ensuite évolué au fil de ses différentes versions et permet désormais de conserver en message instantané, d’envoyer des fichiers en temps réel et dans sa plus récente version (août 2018)- de conserver en groupe par vidéoconférence. De nombreux atouts comme la gratuité ou la simplicité ergonomique de l’interface ont fait que des milliers de personnes se sont laissé convaincre par cet outil. À l’heure actuelle, Whatsapp se place en tête des applications de messageries mobiles les plus utilisées au monde comptant à son actif plus de 1,5 milliard d’utilisateurs (statistique 2017).

Kemp (2010) cité par Amélie Chartrand (2022, pp.1-2) présente le réseau social TikTok comme « une plateforme de plus en plus populaire dont le nombre d’utilisateurs dans le monde a été estimé à 800 millions en 2020 ». Selon l’Agence France-Presse (2021), « le nombre d’utilisateurs actifs a ensuite été déclaré s’élever à plus d’un milliard en 2021 ». Allant dans le même ordre d’idée, Ahlse et al., (2020) ; Omar & Dequan (2020) ; TikTok (2020), mentionnent que « cette application mobile de partage de courts vidéos et de réseautage social permet aux membres de publier de courtes vidéos sur leur profil, de commenter et d’aimer les publications des autres, de s’abonner au profil de certaines personnes et de participer à des défis ». Après avoir présenté les réseaux sociaux qui font l’objet de l’étude, nous donnons du sens au terme identité sociale.

1.2. Identité sociale

Vincent de Gaulejac (2002, pp. 176-177), définit « l’identité donc à la fois par des caractéristiques objectives à partir d’indicateurs précis et des éléments subjectifs qui renvoient aux représentations de soi-même confronté au regard des autres sur soi ».

La Toupictionnaire mentionne que « l’identité sociale correspond à tout ce qui permet à autrui d’identifier de manière pertinente un individu par les statuts, les codes, les attributs qu’il partage avec les autres membres des groupes auxquels il appartient ou souhaiterait appartenir ». Ceci dit, qu’est-ce que la sémiotique ? Et quels sont ses outils d’analyse ?

1.3. Sémiotique et outils d’analyse

La sémiotique est l’étude des signes, des systèmes de signes et de leur signification. C’est une co-discipline de la sémiologie. La sémiotique étudie le processus de signification, c’est-à-dire la production, la codification et la communication de signes.

Selon Louis Panier (2009, p. 1),

la sémiotique est une pratique scientifique qui vise à décrire la signification telle qu’elle se manifeste dans des textes, des images, des pratiques sociales, des constructions architecturales, etc.…considérés comme des discours. Le sens est un effet dont on va chercher à décrire les conditions d’émergence et d’organisation. Lire un texte, en sémiotique, c’est construire et proposer une organisation cohérence du sens manifesté. La théorie et la méthodologie sémiotique proposent des procédures de construction du sens au service de la lecture et de l’interprétation.

Elle touche tous les types de signes ou de symboles, et non seulement les mots, contrairement à la sémantique. Même un geste ou un son sont considérés comme des signes. Des images, des concepts, des idées ou des pensées peuvent être des symboles. La sémiotique fournit les outils nécessaires à l’examen critique des symboles et des informations, dans des domaines divers.

Ferdinand de Saussure (1972) définit la sémiotique comme l’étude de « la vie des signes au sein de la vie sociale ».

La narrativité est définie par le Groupe d’Entrevernes (1979, p. 14) comme suit : « On appelle narrativité le phénomène de successions d’états et de transformations, inscrits dans le discours, et responsable de la production du sens. On appelle analyse narrative le repérage des états et des transformations, et la représentation rigoureuse des écarts, des différences qu’ils font apparaitre sous le mode de la succession ».

Le programme narratif (PN), élaboré par Greimas, est une formule abstraite servant à représenter une action. Un faire (une action) réside dans la succession temporelle de deux états opposés produite par un agent quelconque (S1 : sujet de faire). Un état se décompose en un sujet d’état (S2) et un objet d’état (O), entre lesquels s’établit une jonction, soit une conjonction (Ʌ : le sujet est avec l’objet) soit une disjonction (V : le sujet est sans l’objet).

Le schéma actantiel est un dispositif de Algirdas Julien Greimas qui permet de décomposer une action en six (06) actants. Ils sont notamment le Sujet et l’Objet ; le Destinateur et le Destinataire ; un Adjuvant et un opposant.

2. Identité sociale dans les réseaux sociaux et Programme Narratif

Dans cette partie, la référence au programme narratif permet d’identifier l’individu à travers son identité sociale sur les réseaux sociaux à travers quatre (04) phases qui sont : la manipulation, la performance, la compétence et la sanction. Quelle est la formule du programme narratif ?

La formule du programme narratif est :

PN = F {S1                  [(S2 V O)                     (S2 Ʌ O)]} (PN conjoint)

                                          Ou

       PN = F {S1                  [(S2 Ʌ O)                     (S2 V O)]} (PN disjoint).         

À la base de l’analyse narrative, nous posons la distinction entre les états et les transformations, entre ce qui relève de l’être et ce qui relève du faire. Comme le souligne le Groupe d’Entrevernes (1979, p. 14), « faire l’analyse d’un texte, c’est d’abord établir un classement des énoncés d’état et des énoncés du faire … Pour l’analyse, on distingue le niveau de la manifestation, c’est-à-dire le niveau de ce qui se donne à lire dans le texte et le niveau construit où l’on dispose les éléments appartenant à la grammaire narrative ».

2.1. Manipulation par les réseaux sociaux et performance identitaire

PN = F {S1 (Visibilité)                     [(S2 (Individu) V O (Identité sociale)                (S2 (Individu)  Ʌ O (Identité sociale))]} (PN conjoint).

Le Faire (F) de la Visibilité (Sujet 1) fait en sorte que l’Individu/Utilisateur (Sujet 2) qui était disjoint (V) de l’Identité sociale (Objet) soit conjoint (Ʌ) de l’identité sociale sur les réseaux sociaux.

Dans la première phase de manipulation, le Destinateur Visibilité (Sujet 1) est celui qui pousse le Destinataire (l’Individu/) à devenir le sujet opérateur, qui, à son tour, se met à la quête de l’objet de valeur (l’Identité sociale) afin de pouvoir l’obtenir. À ce propos, Philippe Taupin (2017, p. 133) nous souligne que

le destinateur est une force autoritaire supérieur qui permet de construire la valeur des objets autour desquels le récit va se développer ; ces valeurs sont communiquées au héros, qui devient destinataire du mandat et le sujet à la fois. Cet actant par le mandat du destinateur, ou par sa propre initiative, est le responsable de la recherche de l’objet-valeur qu’il désire, pour combler ou liquider le manque.

Dans le même ordre d’idée, Louis Panier (2009, p. 7) confirme que la manipulation est une « phase initiale d’un programme narratif, c’est le moment du faire-faire (d’où le nom de manipulation, ou contrat) : il s’agit de faire-faire quelque chose à quelqu’un. Cela correspond à l’instauration d’un sujet opérateur pour un programme d’action ».

Dans cette analyse de la sémiotique narrative de l’identité sociale sur les réseaux sociaux, « l’identité numérique peut être perçue comme une « représentation informatique » d’une entité, d’une personne physique » (M. Laurent et S. Bouzefrane (2015)) cité par Batoul Betty N. Merrhi (2022, p. 100). En effet, le S1 (Visibilité) considéré comme l’élément déclencheur (manipulation), est une puissance qui détermine le choix de S2 (Individu) afin qu’il puisse aller vers l’Objet (Identité sociale) de valeur. Ainsi, ce S2 (individu/utilisateur) à la quête de l’Objet (l’identité sociale), est dans le but de la livrer et de la faire reconnaitre aux autres. Si le S2 (Individu) arrive à valoriser l’Objet de quête, il est à l’état de conjonction (Ʌ) d’où le programme narratif conjonctif.  C’est dans ce sens que Simons Laflamme (2016, p. 83) explique ceci : « la construction identitaire correspond à la manière dont une personne se perçoit, mais ce sentiment ne se révèle pas en dehors des relations qu’une personne peut entretenir avec d’autres. L’identité est sociale en ce sens qu’elle ne peut échapper à la socialisation, mais aussi en ce sens qu’elle dépend des rapports entre les personnes. Avoir une identité, c’est se la donner, à soi-même ; mais aussi la livrer aux autres. Se fabriquer une identité, c’est la définir, pour soi-même, et la faire reconnaitre aux autres ».

PN = F {S1 (Visibilité)               [(S2 (Individu/Utilisateur) Ʌ O (Identité sociale)

              (S2 (Individu) V O (Identité sociale))]} (PN disjoint).

Le Faire (F) de la Visibilité (Sujet 1) qui est le sujet manipulateur fait en sorte que l’Individu/Utilisateur (Sujet 2) qui était conjoint (Ʌ) de l’identité sociale soit disjoint (V) de l’identité sociale (Objet) sur les réseaux sociaux.         

Dans la deuxième phase de manipulation, toujours dans le même sens, le Sujet 1 (Visibilité) jouant le rôle de l’élément déclencheur, manipulateur est une puissance qui détermine le choix de Sujet 2 (Individu/utilisateur) afin qu’il puisse conquérir l’Objet (Identité sociale) de valeur. Ainsi, ce Sujet 2 (Individu/Utilisateur) est à la quête de l’Objet qu’est l’identité sociale dans le but de la livrer et de la faire reconnaitre aux autres. Par contre, si le Sujet 2 (Individu/Utilisateur) n’arrive pas à valoriser l’Objet de quête, il est à l’état de disjonction (V) d’où le programme narratif disjonctif.

Dès lors, le désir de s’affirmer sur le réseau social permet à l’Individu/Utilisateur de mettre en exergue son identité à travers les écrits, les vidéos et les contenus audio afin d’être différent de l’autre. Par conséquent, cet autre devient un concurrent quotidien de celui-ci et ce qui crée des conflits entre eux. À propos, Ollivier Ertzscheid (2013, p. 13) souligne ceci : « l’identité numérique peut être définie comme la collection des traces (écrits, contenus audio ou vidéos ou vidéos, messages sur des forums, identifiants de connexion, etc.) que nous laissons derrière nous, consciemment ou inconsciemment, au-delà de nos navigations sur le réseau et le reflet de cet ensemble de traces, tel qu’il apparait « remise » par les moteurs de recherche ».

Ce qui fixe les valeurs déterminant la relation de conjonction ou de disjonction entre le Sujet et l’Objet. Comme le confirme Jacques Fontanille (2002, p. 591), « la manipulation présuppose la présence de deux Sujets différents : un Destinateur et un Destinataire qui sont liés l’un à l’autre par une relation basée sur l’imposition d’un vouloir. En effet, le Destinateur impose au Sujet le parcours narratif et ouvre ainsi la scène narrative.

Pour ce qui est de l’acquisition de la performance, il se révèle qu’avec toutes ces qualités développées par ces sujets (Individu/Utilisateur) concernés, il est à souligner qu’en cours de leurs chemins, s’ils rencontrent des difficultés, ils s’efforcent à acquérir l’objet de valeur. Cette étape est appelée la performance. Ainsi, la valorisation de l’identité sociale amène le Sujet à accomplir un faire qui lui permet d’atteindre un objectif visé. Pour le réaliser, il doit poser des actes décisifs à travers une transformation d’où l’acquisition de la compétence. C’est dans ce sens que Joseph Courtès (1991, p. 103) stipule : « le Sujet accomplit un faire, une performance qui correspond à un exploit, à un objectif visé. La performance, dont la réalisation se fait lors d’une épreuve dite ‘épreuve décisive’, correspond à une transformation, à un acte qui requiert, pour être accompli, l’acquisition de la compétence nécessaire. « Présupposée à la performance, la compétence s’identifie à l’ensemble de toutes les conditions nécessaires à la réalisation de l’épreuve décisive. Elle est constituée de tout ce qui permet d’effectuer un programme narratif/PN/ de performance ».

2.2. Compétence des réseaux sociaux : le /vouloir-faire/, le /devoir-faire /, le/ savoir-faire / et le /pouvoir-faire/

Pour pouvoir acquérir cet objet, ce sujet (Individu/Utilisateur) de réseaux sociaux développe des compétences. Ces compétences de ces sujets constituent l’acquisition de ces conditions à travers leur vouloir faire et leur devoir faire qui sont dites modalités virtualisantes, leur savoir-faire et leur pouvoir faire dites modalités actualisantes. Le vouloir faire du Sujet montre qu’il a la volonté, l’intention, l’envie et le désir d’obtenir l’objet de quête. Cela permet d’affirmer qu’il veut mettre en valeur son identité sociale. Dès lors, le fait de vouloir-faire devient une obligation morale d’où le devoir-faire pour obtenir l’objet de quête. Le savoir-faire du Sujet est lié à la connaissance des moyens qui lui permettent d’accomplir sa tâche qui est la valorisation de son identité sociale au regard des autres à travers ses expériences acquises. Le pouvoir faire du Sujet est sa capacité de trouver des stratégies pour pouvoir atteindre son objectif visé. Pour renforcer cette idée, Houda Landolsi (2012, pp. 19, 20) souligne ceci :

l’acquisition de la compétence s’effectue en deux temps : dans un premier temps, le Sujet acquiert les compétences dites aussi modalités virtualisantes : /vouloir-faire/+/devoir-faire/, et, dans un second moment, les modalités actualisantes: /savoir-faire/ + /pouvoir-faire/. L’obtention de ces modalités requises s’effectue durant l’épreuve qualifiante. 

Le sujet (Individu/Utilisateur) est défini tout au long de son parcours par les modalités qui se combinent, se transforment et/ ou se décomposent. C’est pour cette raison que la dimension modale selon Seldag Bankir (2017, p. 33) est « considérée comme celle où, par accumulation, combinaison ou transformation des modalités, les actants construisent leur identité ». (Jacques Fontanille cité par Seldag Bankir, Ibid).

2.3. Sanction

La sanction est une étape où les sujets sont punis pour leurs actes. C’est dans ce sens que les utilisateurs sont jugés après leurs actes positifs ou négatifs à travers l’affirmation de soi sur les réseaux sociaux. Ces actes sont qualifiés de la rétribution positive soit une récompense et de la rétribution négative soit une punition. Celui en mesure de sanctionner est appelé le sujet judicateur. Il représente un super sujet qui est capable d’aider les utilisateurs des réseaux sociaux à se comprendre, à se départager sur l’objet sur lequel ils se disputent. Il fait en sorte que le destinataire bénéficiaire légitime soit conjoint à l’objet de par des félicitations, des primes matérielles ou immatérielles, etc. (rétribution positive ou récompense).

Ce super sujet est celui qui demande à une personne, celle-ci devenant le bénéficiaire, d’accomplir une mission pour son compte et le compte d’autres personnes. Dans la valorisation de l’identité sur les réseaux sociaux, (Individu/Utilisateur) ne s’improvise pas lui-même bénéficiaire, il est véritablement choisi. Par conséquent, les risques éventuels de l’Individu/Utilisateur des réseaux sociaux sont sanctionnés à travers des lois. En exemple, si l’Individu/Utilisateur dans le but de mettre en exergue son identité, rédige des messages et des vidéos insultantes ou haineuses à l’endroit de l’autre, est traduit souvent devant les juridictions. Ce qui provoque une baisse de l’estime de soi chez les utilisateurs. (Rétribution négative soit une punition).

Dans cette étape, le sujet judicateur tient plusieurs rôles : c’est lui qui vérifie le bon déroulement de l’action, juge de son exécution, évalue la performance accomplie par le Sujet et porte la sanction. C’est justement cette mission d’évaluer l’action et de la juger qui lui vaut le qualificatif de judicateur. De son jugement dépend la sanction ; celle-ci peut être soit pragmatique, soit cognitive. La sanction pragmatique répond au jugement épistémique (jugement sur la valeur) que porte le Destinateur sur l’action du Sujet performant (elle porte donc sur le faire) : c’est la rétribution. La rétribution est soit positive : récompense ; soit négative : punition (Coquet, cité par Jacques Fontanille, 2002, p. 86).

 3. Schéma actantiel de l’identité sociale et réseaux sociaux

Dans les années soixante, Greimas (1966, pp. 174-185 et 192-212) a proposé le modèle actantiel, inspiré des théories de Propp (1970). Le modèle actantiel est un dispositif permettant en principe d’analyser toute action réelle ou thématisée (en particulier, celles dépeintes dans les textes littéraires ou les images). Dans le modèle actantiel, une action se laisse analyser en six composantes nommées actants. L’analyse actantielle consiste à classer les éléments de l’action à décrire dans l’une ou l’autre de ces classes actantielles (Louis Hébert, 2006).

3.1. Axe du vouloir

Sur le premier axe, nous pouvons lire la relation entre le Sujet et l’Objet qui peut s’écrire comme suit : Sujet/Objet ou Individu/Identité sociale. Cet Individu ou l’Utilisateur de ce réseau social désir mettre en valeur son identité sociale à travers la visibilité. C’est dans ce sens que Angélique Gozlan (2014, p. 51) souligne : « leur but est de mettre de l’avant leur singularité et leur identité numérique afin d’avoir le plus de « j’aime » possible de la part de leurs amis virtuels lorsqu’ils publient des photos. Ils souhaitent avoir le plus d’amis Facebook ». « Avoir plus de j’aime ainsi d’amis Facebook serait alors un gage de popularité et d’approbation auprès de la communauté alors que ne pas en avoir suffisamment peut aller jusqu’à anéantir un utilisateur » ».

Pour clarifier cette idée, Simon Borel (2012, p. 257) montre que « cela s’explique par le fait que les utilisateurs sont en pleine quête de visibilité et recherchent par le fait même à faire valoir leur propre idéal virtuel ». Ce qui signifie que le Sujet a un vouloir faire qui le pousse à atteindre son but. Dès lors cette première relation, celle qui lie le Sujet à l’Objet (de valeur) est une relation de quête ou de « visée » et selon Jean Marie Floch (2002, p. 26), « elle crée la tension nécessaire à l’enclenchement du récit ». Dans le même ordre d’idées, Algirdas Julien Greimas souligne que c’est l’Axe du vouloir (désir) : Le sujet est ce qui est orienté vers un objet. La relation établie entre le sujet et l’objet s’appelle jonction. Selon que l’objet est conjoint au sujet (par exemple le prince veut la princesse) ou lui est disjoint (par exemple, un meurtrier réussit à se débarrasser du corps de sa victime), on parlera respectivement de conjonction et de disjonction. Ainsi, si l’individu arrive à être visible par tous sur les réseaux à travers sa représentation identitaire, alors il est conjoint. Comme le mentionne James E. Marcia (1980) cité par Catherine Tournier-Souilleaux (2020, p. 34), « la formation de l’identité résulte de l’interaction des deux composantes que sont l’engagement de soi et l’exploration. La conjonction de ces deux composantes donne lieu à quatre différents types d’identité selon que l’engagement et l’exploration sont forts ou faibles. L’idée de la construction identitaire est de passer de l’identité moratoire (caractérisé par un engagement faible et une forte exploration), état qui témoigne d’une identité établie où le jeune adulte, conscient de ses points faibles, a exploré des domaines et fait ses choix, est en capacité de prendre ses décisions avec un sentiment d’unité et de cohérence ».

Dans la même lancée, Zimmerman Grégoire et al. (2017) cité par Catherine Tournier-Souilleaux (2020, p. 35) note :

la construction identitaire peut être considérée comme un processus créatif dynamique qui permet à l’individu de se distinguer en tant qu’être singulier et unique (dimension de la différenciation : pôle personnel de l’identité) mais également de se conformer et de s’adapter aux autres et à son environnement (dimension d’assimilation : pôle social de l’identité).

3.2. Axe de la transmission

Sur le deuxième axe, nous apercevons Destinateur/Destinataire ou Visibilité/Individu. Selon Algirdas Julien Greimas, la deuxième relation est appelée l’Axe de la transmission (axe du savoir) : destinateur/destinataire. Le destinateur est ce qui demande que la jonction entre le sujet et l’objet soit établie (la visibilité pousse Individu/Utilisateur à protéger son identité sociale). Le destinataire est ce pour qui la quête est réalisée.  En simplifiant, interprétons le destinataire (ou destinataire-bénéficiaire) comme ce qui bénéficiera de la réalisation de la jonction entre le sujet et l’objet (par exemple Individu/Utilisateur etc.). Les éléments destinateurs se retrouvent aussi destinataires.

Dans cette étude, la Visibilité, considérée comme le Destinateur est une force invisible qui pousse le Sujet (Individu/Utilisateur) à aller vers l’Objet de valeur qu’est l’Identité sociale. Pour y arriver, le Sujet doit développer des stratégies à travers son savoir-faire, son devoir-faire et son pouvoir faire afin de l’obtenir. De ce fait, pour atteindre son objectif, il passe plus de temps sur les réseaux sociaux et cela est constaté sur le réseau socialTikTokqui est un mode de communication plus récente qui prend de l’ampleur. Cette application, utilisée par bon nombre de jeunes à travers leur identité sociale, leur permet de poster les clips vidéo, les clips musicaux très facilement grâce à des filtres et des effets en tout genre. Ces jeunes se filment pendant quelques secondes ou minutes en faisant des vidéos dans lesquelles l’on peut voir leurs propres chansons, danses en imitant d’autres personnes comme des artistes musiciens, des humoristes, des conseillers conjugaux. En outre, cette application permet à tout individu de modifier ses photos, ses vidéos en choisissant une chanson (joie, tristesse, etc.) qu’il aimerait écouter. Par conséquent, son influence permet aux différents utilisateurs d’être populaires en un mot des « Stars » et ce qui rend leur visibilité plus performante. En synthèse, classiquement, on considère que le destinateur est ce qui déclenche l’action, si quelque chose intervient en cours de route pour attiser le désir de réalisation de la jonction, on le rangera plutôt dans les adjuvants (le même raisonnement s’applique pour l’anti-destinateur et les opposants).

3.3. Axe du pouvoir

Le troisième axe est celui de Adjuvants/Opposants ou Amis, Fans, Tiers/Autrui. Ainsi, selon Algirdas Julien Greimas c’est l’Axe du pouvoir : adjuvants/opposants. L’Adjuvant aide à la réalisation de la jonction souhaitée entre le Sujet et l’Objet, l’Opposant y nuit (par exemple, les amis, les fans et les tiers aident Individu/Utilisateur à mettre en valeur son identité sociale, autrui, conquérants nuisent).

Dans sa quête de l’identité sociale, l’individu qui est considéré comme l’utilisateur des réseaux sociaux se fait des amis, des fans qui deviendront par la suite ses adjuvants c’est à dire ceux qui l’aident à valoriser son identité sociale afin d’être plus visible. Comment l’individu acquiert-il ses adjuvants (amis, des fans) sur ces réseaux sociaux ? En exemple, nous citons Facebook et Whatsapp. Ce choix nous permet de configurer l’individu dans sa quête. Tout d’abord, Facebook est un réseau social qui permet à tout individu d’identifier son identité et d’échanger permanemment avec ses amis en partageant des photos, des vidéos, des stories, etc. Ce réseau crée les relations amicales, amoureuses et parentales. Pour devenir ami d’une personne, il suffit de chercher son nom, prénom ou surnom en lui envoyant tout simplement une invitation qui s’affichera directement dans la partie demande d’amis. Dès que cette personne l’accepte, vous devenez amis et ce qui signifie que toutes ses publications partagées vous seront visibles. De ce fait, vous pouvez “liker” ou “commenter”. Ces publications peuvent être suivies directement par ses amis. Facebook permet de retrouver ses amis de longues dates dont on n’a plus de nouvelles (écoles primaires, secondaires, universitaires, vie professionnelle, etc.). Il rappelle les dates anniversaires aux uns et aux autres. Comme le souligne la Société technologique multinationale américaine par Mark Zuckerberg (2004) :

Facebook est le plus grand réseau social mondialement comptabilisant plus de 2, 91 milliards d’abonnés actifs au 14 décembre 2022. Facebook permet aux usagers/usagères de partager des images, photos, vidéos, articles, échanger des messages instantanés, communiquer directement avec son réseau par appel audio ou vidéos, joindre et créer des groupes, jouer à des jeux en ligne, etc. Facebook permet à ses utilisateurs d’entrer des informations personnelles et d’interagir avec d’autres utilisateurs. Les informations susceptibles d’être mises à la disposition du réseau concernent l’état civil, les études et les centres d’intérêt.  Ces informations permettent de retrouver des utilisateurs partageants les mêmes intérêts. Ces derniers peuvent former des groupes et y inviter d’autres personnes. Les interactions entre membres incluent le partage de correspondance et documents multimédias Wikipédia (Facebook).

Ensuite, Whatsapp est un moyen de communication très fiable selon les participants puisque les échanges restent entre la personne et ses amis avec qui elle communique. Il permet d’envoyer rapidement des messages écrits et vocaux, des vidéos et photos, des appels vocaux et vidéos. Plusieurs groupes sont constituer à travers Whatsapp et cela facilite les échanges privés et la communication interne ou internationale. Les statuts sont vus à travers Whatsapp par les contacts enregistrés de la personne qui a publié.

Les opposants sont ceux qui participent à nuire le Sujet (Individu/Utilisateur) dans sa quête de l’identité sociale. Ils sont entre autres certains individus utilisant les mêmes réseaux sociaux que nous avons nommé « Autrui ». Cela se fait généralement à travers les fausses informations sur la personne (sujet) dans le but de nuire. Par exemple, un opposant peut mobiliser d’autres individus à épouser ses idéologies tout en mettant en cause l’effort fourni par son prochain. Ici on fait cas de l’identité calculée qui est décrite par Fanny Geoges, Antoine Seilles, Guillaume Artignan, Bérenger Arnaud, Nancy Rodriguez, et al. (2009, p. 2) comme suit : « l’identité calculée incite les utilisateurs à établir des comparaisons entre eux et à nourrir leur représentation, mais il ne s’agit pas pour autant de jouer à accroitre démesurément un critère comme le nombre d’amis pour jouer le jeu social ».

                                                           Communication

    Destinateur                                                Objet                                            Destinataire 

    (Visibilité)                                              (Identité sociale)                 (Individu/Utilisateur)

                                                                                      Désir

Adjuvants                                                     Sujet                                Opposants  (Amis, Fans, Tiers)                                            (Individu/Utilisateur)                            (Autrui)                                                                                         

                                                                         Combat

Figure : Schéma actantiel de l’identité sur les réseaux sociaux.

Conclusion

En conclusion, il ressort que l’individu/utilisateur à la quête de l’identité sociale sur les réseaux sociaux, développe des stratégies dans le but d’être visible. Ces réseaux sont Facebook, Whatsapp et TikTok et ont fait l’objet de l’analyse. Il ressort également que l’analyse sémiotique de la narrativité a permis de situer les rôles qu’a joué chaque actant. Il s’agit du Destinateur/Destinataire, du Sujet/Objet et des Adjuvants/Opposants. Cela signifie que le Destinateur (Visibilité) communique avec le Destinataire (Individu/Utilisateur) ; le Sujet (Individu/Utilisateur) désire l’Objet qui est l’Identité sociale et les Adjuvants (Amis, Fans, tiers) s’opposent aux opposants (Autrui). Des résultats, il ressort d’une part que l’affirmation de soi sur les réseaux sociaux permet à l’individu de s’ouvrir au monde tout en découvrant d’autres cultures, et d’autre part, lui fait perdre sa vie privée en voulant toujours se faire remarquer. Comme le confirme Gabrielle Laframboise (2022, p. 5),

les réseaux sociaux peuvent donc être des alliés ou des ennemis de la grande aventure qu’est la découverte de soi. Pour ne pas se laisser emporter par les vagues de superficialité qui frappent ce monde, il est crucial de se questionner sur les raisons qui mènent à l’utilisation de ces médias. À quoi est-ce-que cette publication répond pour moi ? Pourquoi est-ce que je ressens le besoin de partager cette information ? Pourquoi maintenant ?

Apprendre à se connaitre, découvrir ce qui nous rend unique et savoir l’apprécier est la meilleure arme pour ne pas devenir un autre visage filtré sur un fil d’actualité ».

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DE L’ÉDUCATION : POUR UNE UTILISATION OPTIMALE DU WEB

Kouassi Olivier SEY

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

olivier.sey@gmail.com

Résumé :

La quasi-totalité de l’humanité connaît et utilise les réseaux sociaux. Mais, beaucoup sont de simples utilisateurs qui méconnaissent la plupart des fonctionnalités et les risques qu’ils comportent. En effet, les réseaux sociaux ont occasionné une triple négation psychosociale : négation de soi, négation des autres et négation de la société. Les utilisateurs présentent à la communauté virtuelle des êtres factices, pleins d’artifices qui apparaissent sans défauts, et pourtant qui sont pleins de défauts. Ces êtres à défaut ou en défaut d’être se projettent sur la toile comme étant une référence normative ou archétypique à partir de laquelle ils se croient capables de juger des défauts des autres. Cela est fort perceptible dans les rapports tumultueux que ces derniers entretiennent virtuellement avec les autres : violence verbale, violence physique et violence psychologique. Parvenus à un tel niveau, c’est désormais à la société et à ses symboles qu’ils s’attaquent. Plus de tabou, point d’interdit, tous les fondements éthiques qui jadis étaient des références en matière de censure sont, pour ainsi dire, remis en cause. Le mal est certes profond, mais un retour à l’origine, autrement dit, à l’ère classique, sans réseaux sociaux, s’avère impossible. C’est pourquoi, nous proposons l’exigence d’une éducation au bon usage du web. Celle-ci permettra d’inculquer à la jeune génération l’éthique des réseaux sociaux ; une éthique fondée sur les nouvelles règles de vie communautaire.

Mots clés : Éducation, Éthique, Internet, Réseaux sociaux, Risque, Violence.

Abstract:

Almost all of humanity knows and uses social networks. But many are simple users who are unaware of most of the features and the risks they entail. Indeed, social networks have caused a triple psychosocial negation: negation of self, negation of others and negation of society. Users present to the virtual community artificial beings, full of artifices that appear flawless, and yet are full of flaws. These beings, lacking or failing to be, project themselves onto the canvas as being a normative or archetypal reference from which they believe themselves capable of judging the faults of others. This is very noticeable in the tumultuous relationships they virtually maintain with others: verbal violence, physical violence and psychological violence. Having reached such a level, it is now society and its symbols that they attack. No more taboo, no prohibition, all the ethical foundations which were once references in matters of censorship are, so to speak, called into question. The evil is certainly profound, but a return to the origins, in other words, to the classical era, without social networks, proves impossible. This is why we propose the requirement for education in the proper use of the web. This will make it possible to instill the ethics of social networks in the younger generation; an ethics based on the new rules of community life.

Keywords : Education, Ethics, Internet, Social networks, Risk, Violence.

Introduction

Avec l’avènement et le développement d’Internet, a émergé, à l’aube des années 2000, ce qu’il est convenu d’appeler « les réseaux, ou médias sociaux’ ». Sous cet angle, un réseau social est tout simplement un site internet ou une application mobile qui permet aux utilisateurs d’échanger entre eux, de partager des contenus multimédias (photos, vidéos, musique) ou de s’informer sur des sujets divers.

À ce jour, il existe environ soixante (60) réseaux sociaux à travers le monde dont les plus célèbres sont Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, Messenger, WeChat, TikTok, Snapchat, Telegram, LinkedIn, etc. Les réseaux sociaux ont transformé la façon dont les hommes interagissent les uns avec les autres. Ils offrent la possibilité de rester en contact avec des proches ou des amis éloignés, de retrouver des anciens amis et de se faire de nouvelles rencontres ou amitiés. Cependant, au-delà de l’importance reconnue à ces plateformes de réseaux sociaux, celles-ci semblent engendrer plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Et cela est dû à la méconnaissance, de la part des utilisateurs, de certaines des fonctionnalités et des risques qu’elles comportent.

De ce fait, quels sont les problèmes qui découlent de l’usage malsain de ces plateformes ? N’est-il pas judicieux de former ou d’éduquer, si on peut le dire ainsi, les utilisateurs au bon usage du web ? Dès lors, quelle éducation faut-il privilégier pour un usage optimal et éthique du web en général et des réseaux sociaux en particulier ? La présente contribution est une analyse des influences négatives des réseaux sociaux sur les hommes et leur société, ainsi que les mesures à envisager en vue d’y remédier.

1. Les réseaux sociaux au fondement d’une triple négation psychosociale

L’usage malsain des réseaux sociaux est à la base de plusieurs problèmes que nous identifions comme étant une « triple négation psychosociale ». Cette triple négation renvoie d’abord à la négation de soi, ensuite à la négation des autres et enfin à la négation de la société.

1.1. De la négation de soi

Les réseaux sociaux offrent la possibilité aux internautes de se créer une communauté virtuelle de personnes liées par des intérêts divers. Il s’agit des personnes avec qui des échanges continuels sont établis. L’entretien de la communauté exige que soit véhiculées fréquemment des informations, souvent à caractère personnel.

Un regard sur certains termes employés pour qualifier les rapports entre internautes sur les réseaux sociaux dont l’analyse philosophique et sociologique donne de comprendre qu’ils sont assez expressifs d’un point de vue relationnel : « Amis”, « Followers », « Fan », « Like », « Aimer », etc. En effet, les « amis », admis comme ami(e)s, et qui parfois n’ont rien d’amis, sont les amis lointains qui semblent plus proches que les amis les plus proches. Ainsi, l’objectif principal affiché est de se faire le maximum d’amis afin de se faire une plus grande visibilité sociale. Des amis qui, comme l’indique le terme anglais « followers », c’est-à-dire « suiveurs », se transforment en de simples suiveurs. Des suiveurs dont le rôle sur la toile est justement de suivre. À mesure qu’on suit, on devient un « fan ». Un fan, qui manifeste tout son fanatisme à travers les « Like », les « J’aime » qu’on envoie à la personne dont on est fan.

C’est le sentiment d’être suivi ou aimé par des amis qui, en réalité ne sont pas nos amis, et qui ne nous aiment pas ou dont, on n’a pas la preuve concrète qu’ils nous aiment dans le sens véritable du mot aimer, qui est à la base de la négation de soi. En effet, pour impressionner les autres et récolter plus de « Like », les internautes s’inventent une vie qui n’est pas la leur. « Ces jeunes peuvent être exposés à une réalité qui est extrêmement biaisée, qui les rend à risque de conclure que leur vie et leur apparence physique sont moins bonnes que tout ce qu’ils voient sur les médias sociaux » (D. Dion-Viens, 2023, p. 4-5). C’est pourquoi, les utilisateurs des réseaux sociaux se présentent finalement à la communauté virtuelle comme des êtres factices, pleins d’artifices. Comme tels, ils apparaissent comme sans défauts, et pourtant, n’en sont pas exemptés ou dépourvus. Voilà comment l’individu se nie pour paraître autre, autre que soi ; un autre soi qui lui plaît et qui devrait également plaire aux autres. Selon S.-H. Lee, Y.-H. Kim (2016, p. 54),

un des plus gros problèmes de l’utilisation des réseaux sociaux est de se vanter et de montrer à l’excès sa vie et l’apparence. Les utilisateurs y ont beaucoup d’occasions d’observer et juger la vie d’autrui via des échanges sans continuité. Ils savent aussi que les autres les observent. Donc, la conscience des regards d’autrui produit le désir de montrer leurs vies et leurs images mais cela devient exagéré.

Comme si la fonction véritable des réseaux sociaux était la transformation de l’identité virtuelle en une virtualité d’identités transformées, il a été développé plusieurs applications ayant des algorithmes capables de modifier les photos, les vidéos et les audios « sans qu’on puisse vraiment discerner le vrai du faux » (D. Dion-Viens, 2023, p. 5). Lesdits algorithmes ont une véritable fonction ontologisante comme pourrait le dire le philosophe. C’est ainsi, qu’un visage laid peut assez aisément être transformé en un beau portrait avec une extrême perfection. Comme le souligne D. Dion-Viens (2023, p. 6), « quand on est ado, c’est normal de se comparer avec les autres pour se définir. Mais maintenant, les jeunes se comparent avec des modèles qui sont inatteignables ». Malheureusement, ces êtres à défaut ou en défaut d’être sont projetés comme une norme à partir de laquelle ils se croient capables de juger des défauts des autres. Or, dans le cadre de l’altérité, il s’agit belle et bien de la négation symbolique ou non des autres.

1.2. De la négation des autres : velléités de destruction physique et psychologique

La fausse estime de soi qui découle de la genèse et de l’avènement d’un être factice développe chez les internautes un sentiment extrême de négation des autres avec pour moteur l’alter-égoïsme. Cela, parce que, l’autre dont la présence s’impose à nous socialement est néanmoins nié. En effet, comparé à soi, on s’anime de l’idée égotique qu’il n’est rien et n’a rien.

Au demeurant, la négation des autres se manifeste ou apparaît sous trois (03) aspects principaux. Le premier est l’assurance que l’autre est inférieur à soi, du point de vue intellectuel, esthétique, financier, professionnel, etc. Dans ce cas, ce dernier devient sujet de raillerie et rien de ce qu’il entreprend n’est réellement apprécié à sa juste valeur par son négateur. Le second est la perception d’un être qui est (au moins symboliquement) égal à soi, mais sous le rapport de la personnalité ou des possessions matérielles. Celui-ci devient matière à critique. Ainsi, toutes ses actions sont remises en cause. Les bonnes actions sont escamotées et gardées sous silence pendant que les mauvaises sont divulguées et exposées publiquement. Enfin, la troisième est l’évidence et à l’échelle de l’individualité, d’un être supérieur à soi. Le malheureux sera tout simplement haï parce qu’il est ce qu’on n’est pas, possède comme propriété exclusive, ce qu’on n’a pas et a le pouvoir exclusif de faire ce qu’on ne peut faire. S.-H. Lee et Y.-H. Kim (2016, p. 55) affirment :

Les utilisateurs qui sont exposés à la fausseté de la vie sur les réseaux sociaux peuvent sous-estimer subjectivement leurs vies au-delà de l’aspiration et la jalousie. Il faut remarquer ici que cette comparaison entre soi et le bonheur d’autrui peut engendrer un sentiment désespéré de perte et une diminution du bien-être.

En effet, à y voir de près, il y a un schéma psychologique tout tracé qui pourrait justifier une telle attitude de type alter-égoïste. C’est en réalité le mépris de sa propre condition qui pousse l’individu au mépris de l’autre. C’est pourquoi, dissimulés derrière les écrans, les uns tirent tous leurs plaisirs dans l’humiliation qu’ils infligent aux autres. Et, cela est fort perceptible dans le rapport tumultueux qu’ils entretiennent virtuellement avec leurs semblables : violence verbale, violence physique, violence psychologique, etc., qui peuvent revêtir des formes socialement et culturellement symboliques.

Les violences verbales renvoient aux atteintes personnelles. Ce sont les violences exprimées par le biais des propos, des mots ou des commentaires qui sont insultants, blessants, infériorisants, méprisants et dégradants. Celles-ci affectent leurs destinataires et peuvent porter atteinte à leur intégrité psychologique et leur personnalité morale. Généralement, via les réseaux sociaux, des propos désobligeants sont tenus à l’encontre de personnes qu’on n’oserait même pas fixer et invectiver en raison de leur personnalité morale, politique et sociale.

Les violences physiques constituent le passage en acte. C’est la matérialisation de la haine nourrie contre l’autre. La violence physique peut s’exprimer de diverses façons. Premièrement, l’individu ou groupe d’individus, fortement galvanisé par l’adrénaline que produit l’effet de groupe, peut se porter à un affrontement ouvert qui transcende le cadre virtuel. Deuxièmement, l’individu sujet aux railleries ou injures peut être subjugué par un esprit de vengeance vis à vis de son calomniateur ou son agresseur.

Les violences psychologiques quant à elles, relèvent, du harcèlement incessant ou intermittent. « Avec l’émergence des réseaux sociaux (…), les problématiques comportementales telles que le harcèlement (…) se sont transférées, diffusées et adaptées à ce nouveau monde virtuel » (F. Versea, 2021). La violence psychologique a la triste réputation de produire chez l’individu harcelé un fort sentiment de pessimisme doublé d’une perte de confiance en soi, source de dépressions profondes. C’est ainsi que selon D. Dion-Viens (2023, p. 4),

les jeunes vivent une crise de santé mentale, ils rapportent des troubles d’anxiété, de dépression et des idées suicidaires dans des proportions extrêmement élevées. On peut attribuer au moins une partie de cette crise aux réseaux sociaux, qui ne sont pas du tout encadrés.

Quand on nie chez l’autre ce qui fait de lui ce qu’il est, il cesse de l’être pour apparaître comme une simple chose. C’est sa dignité qui se retrouve bafouée alors même que, c’est cette dernière qui fonde le respect mutuel régissant la vie en société ou intersubjective. Parvenu à un tel niveau, c’est désormais à la société et à ses symboles que dans leur majorité, les internautes s’attaquent.

1.3. De la négation de la société ou des principes sociétaux

La vie en société admet des règles et des principes. Et ce sont justement ces règles et ces principes qui sont devenus gênants en termes de facteurs limitant la liberté de la majorité des internautes. Ainsi convient-il pour ces derniers, de les saper. Plus de tabou, point d’interdit, tous les fondements éthiques qui, jadis, étaient des facteurs sociaux de censure d’expression illimitée de leur désir de divertissement sont, pour ainsi dire, remis en cause. Dorénavant, tout peut être dit, et tout peut être fait sans aucune restriction. Voilà pourquoi chaque internaute se taille un personnage fictif pour satisfaire les pulsions incessamment grandissantes de liberté, au mépris des règles de vie en communauté.

Telle est la raison pour laquelle les jeunes gens s’adonnent à cœur joie, sur les réseaux sociaux, à tout ce que la société leur interdit. Ils s’imaginent que les réseaux sociaux sont un refuge idoine en tant qu’il les met à l’abri d’une société avec ses pressions normativistes en formes d’obligations et de contraintes diverses. C’est pour eux une zone de non-droit, où tout n’est pas droit, plutôt où rien n’est droit. J.-J. Rousseau (1750, p. 10) avait pourtant affirmé que « (…) la dépravation réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. » Ne faut-il pas soutenir avec Rousseau que les réseaux sociaux n’ont fait que corrompre les mœurs en occupant les hommes, avec transport, à se livrer à des futilités existentielles ? On peut dire aujourd’hui et analogiquement, que les hommes ne se rendent pas compte de leur servitude numérique tant elle est devenue involontaire et structurante.

En outre, l’éducation familiale, trop exigeante se retrouve en contradiction avec le besoin excessif de liberté d’une génération qui, à travers le prisme du web, ne se fixe plus de limites. Elle est animée quotidiennement du désir d’élargir sans discontinuer ses horizons existentiels. Les valeurs sociétales et les percepts n’ont pas plus de crédits que les idées reçues de la communauté virtuelle. Les réseaux sociaux couronnent le règne d’individus en manque d’éducation qui s’auto-éduquent mutuellement à partir de référents et des idées reçues du monde virtuel du net. C’est à juste titre qu’on pourrait, pour pasticher Rousseau, qualifier les réseaux sociaux « d’école de mauvaises mœurs ».

Par ailleurs, la sexualité était, jadis, présentée comme un sujet tabou réservé uniquement aux personnes majeures et aux adultes. Cette sexualité est désormais désacralisée. Tout ce qui était voilé est à présent dévoilé et exposé au regard de la communauté. Les parties intimes ne sont plus intimes et sont « valorisées » autrement ; elles ne servent juste qu’à séduire à des fins matérielles et mêmes mystiques.

Notre société est, en proie à de profondes mutations continuelles face auxquels nous nous sentons malheureusement impuissants. C’est cette impuissance qui fonde tout le regret de Rousseau lorsqu’il affirme :

On ne peut réfléchir sur les mœurs, qu’on ne se plaise à se rappeler l’image de la simplicité des premiers temps. C’est un beau rivage, paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les yeux, et dont on se sent éloigner à regret. (J.-J. Rousseau, 1750, p. 17).

Il est vrai que les réseaux sociaux ont occasionné de profonds bouleversements dans la relation que les hommes entretiennent avec leurs semblables dans une société dont les fondements sont sans cesse remis en cause. À en croire D. Acemoglu (2022, p. 1), « les réseaux sociaux, devenus un canal de transmission majeur de la haine, de la désinformation et de la propagande, menacent de rendre impossible toute vie sociale et politique ». Toutefois, les dérives constatées sur les réseaux sociaux ne font pas pour autant d’eux un danger absolu. C’est plutôt leurs usages qui sont devenus dangereux et malsains. Il faut donc redonner à Internet son rôle utilitaire en exhortant à une sorte d’« éthique des réseaux sociaux ».

2. De l’exigence d’une éducation à l’éthique des réseaux sociaux

Le terme éducation désigne ici ce que le mot lui-même indique, à savoir une action d’éduquer, de former, d’instruire quelqu’un. C’est la mise en œuvre de moyens propres à développer méthodiquement un comportement chez un individu au regard de certaines prédispositions et ce, à partir de références morale, éthique et sociétale à implémenter.

Ainsi, l’éducation proposée doit permettre un usage optimal du web en général et les réseaux sociaux en particulier. Peut-on tout se permettre sur le web ? Doit-on tout publier ? Faut-il tout publier ? Les réponses à ces interrogations conduisent à l’analyse d’un apologue mettant en scène le philosophe Socrate. Il y est raconté comment le philosophe demanda à un interlocuteur qui souhaitait lui parler s’il avait passé son discours au travers des trois tamis. Cet apologue est intitulé à juste titre : Les trois tamis de Socrate. (J. Launay, 2015) Il rapporte ceci :

Un jour, quelqu’un vint voir Socrate et lui dit :

– Écoute Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s’est conduit.

– Arrête ! Interrompit l’homme sage. As-tu passé ce que tu as à me dire à travers les trois tamis ?

– Trois tamis ? dit l’autre, empli d’étonnement.

– Oui, mon bon ami : trois tamis. Examinons si ce que tu as à me dire peut passer par les trois tamis. Le premier est de celui de la Vérité. As-tu contrôlé si ce que tu as à me dire est vrai ?

– Non, je l’ai entendu raconter, et …

– Bien, bien. Mais assurément, tu l’as fait passer à travers le deuxième tamis. C’est celui de la Bonté. Ce que tu veux me dire, si ce n’est pas tout à fait vrai, est-ce au moins quelque chose de bon ?

Hésitant, l’autre répondit : non, ce n’est pas quelque chose de bon, au contraire …

– Hum, dit le sage, essayons de nous servir du troisième tamis, et voyons s’il est utile de me raconter ce que tu as à me dire …

– Utile ? Pas précisément.

– Eh bien, dit Socrate en souriant, si ce que tu as à me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l’oublier…

La morale de cette métaphore est qu’un examen sévère doit être opéré avant la propagation de toute information ; il en est de même pour la propagation de tout contenu multimédia sur Internet en général et les réseaux sociaux en particulier. Il est nécessaire de soumettre toute information au crible de ces trois tamis que sont : la Vérité, la Bonté et l’Utilité, avant d’obéir à l’impulsion de la diffusion au public. C’est sur cette base que devra être construite la nouvelle éducation à l’usage du web. Il est important d’enseigner à ses utilisateurs, les critères de vérité, de bonté et d’utilité qui devraient baliser éthiquement leur présence sur les réseaux sociaux.

2.1. Le critère de la Vérité

Au-delà des diverses conceptions de la notion de vérité, dans la présente analyse, la vérité doit être perçue comme la conformité de la pensée à la réalité sociétale ou objective. Réalité signifie ici ce qui a une existence concrète, par opposition aux apparences, aux illusions ou aux fictions de notre imagination. C’est la correspondance entre ce qui est dit, et ce qui est réellement et adopté comme vrai. De ce fait, la vérité s’oppose à la fausseté, entendue comme une erreur commise involontairement. La vérité s’oppose aussi au mensonge qui est un acte délibéré de dissimulation de la vérité. C’est ainsi que selon B. Spinoza (1964, p. 352), « on appelle idée vraie, celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse, celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité. » Dès lors, rechercher la vérité, c’est,

s’efforcer de voir les choses telles qu’elles sont, et non telles qu’on voudrait qu’elles soient : tel est depuis toujours le projet de la tradition philosophique. En mettant de côté nos passions et nos intérêts, en exigeant une clarification des termes du langage courant, en se méfiant des opinions et des idées reçues, en privilégiant l’argumentation rationnelle. (A. Comte-Sponville, 2022, p. 1).

Détenir la vérité, c’est s’efforcer d’énoncer un discours objectif qui correspond à la réalité. En effet, « on peut dire que la vérité est la connaissance exacte du réel qui peut s’objectiver » (C. Deshays, 2008, p. 49). Ainsi, pour accéder à la vérité, il est nécessaire de relever le défi du dépassement de sa subjectivité qui est une entrave à sa manifestation. Il s’agit notamment des croyances, des préjugés, des opinions qui forment la trame sociétale de notre personnalité.

En effet, l’opinion est toujours partielle, relative et changeante. Elle est propre à chacun ou à un groupe d’individus. L’opinion peut donc être partagée. Cependant, il ne suffit pas qu’une opinion soit partagée pour qu’elle soit vraie. Platon a hérité de la méthode dialectique de son maître Socrate. Comme le dit L. Couturat (1902, p. 16), « il emploie comme lui l’interrogation pour réfuter l’erreur et découvrir la vérité, distinguer par une critique purement logique les opinions vraies des fausses ».

En tout état de cause, et conformément au critère de vérité comme exigence fondamentale avant toute publication ou post, l’on doit être en mesure de s’interroger sur la véracité de l’information qui la sous-tend : suis-je sûr(e) que ce que j’ai à publier est vrai ? Mes remarques s’appuient-elles sur des faits observables, ou objectifs ?

Cet examen préalable doit permettre de faire le tri entre les contenus multimédias vrais et les faux. Les contenus vrais sont ceux qui sont dignes de foi, ayant des sources fiables et saisis dans leurs contextes véritables. Par contre, les faux sont ceux qui relèvent de la manipulation, de la désinformation, du fake news, ventilés à dessein, c’est-à-dire ici, à l’effet de tromper l’opinion commune. Saint Augustin (1864, p. 462) affirme : « j’en ai vu plusieurs qui voulaient tromper, nul qui voulût l’être. (…) Car ils aiment la vérité, puisqu’ils ne veulent pas être trompés ». C’est à croire que l’amour de la vérité est manifeste en chaque individu. Cependant, le désir de tromper est souvent beaucoup plus prégnant et ardent, et nous y succombons assez facilement.

De ce qui précède, il suit que le critère de la vérité permet de déceler les informations mensongères véhiculées sur la toile que nous relayons instinctivement ou de façon insouciante par un clic. C’est un moyen de lutte contre les fake news, cette vraisemblance qui, à force d’être relayée, semble vraie et qui constamment masque la vraie réalité.

Toutefois, s’il est admis que seules les informations relevant de la vérité doivent être publiées, toute vérité mérite-t-elle d’être divulguée ? C’est en cela qu’il faille faire prévaloir dans le tamisage des opinions (informations) quant à la quête de la vérité, le second critère : la bonté.

2.2. Le critère de la Bonté

Un adage dit qu’il « faut tourner la langue sept fois dans sa bouche avant de parler ». Il s’agit là d’un proverbe recensé dans le dictionnaire de l’Académie de 1835. Ce qui voudrait dire qu’il faut bien prendre le temps de réfléchir avant de parler. C’est une exhortation à réfléchir préalablement sur les conséquences de ce qu’on s’apprête à dire et à divulguer, afin de ne pas risquer de regretter ce qu’on dit. C’est pourquoi le critère de vérité qui doit conditionner nos propos sur le net doit nous conditionner à ne pas tout dire.

Cependant, le fait de ne pas tout dire n’est pas d’emblée un impératif catégorique ; il apparaît plutôt sous la forme de l’exigence d’un sentiment moral qui pousse à ne pas nuire aux autres. Comme l’affirme Rousseau, l’homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt. En effet, le vrai sens de la théorie de Rousseau, comme l’explique J. Maritain (1936, p. 30), c’est que l’homme est naturellement saint. L’homme est saint, s’il s’établit dans l’union divine à l’esprit de la nature, qui rendra bons et droits tous ses premiers mouvements. Le mal vient des contraintes de l’éducation et de la civilisation, de la réflexion et de l’artifice. Ainsi, si on laisse s’épanouir la nature, la pure bonté paraîtra. La bonté est le caractère de ce qui est conforme au bon, au bien, aux valeurs morales reconnues favorables à l’épanouissement de l’Homme. C’est pourquoi Platon (1967, 499e) croyait fermement que « c’est sur le bien qu’il faut régler toute notre conduite. (…) que le bien doit être la fin de toutes nos actions et qu’il faut tout faire en vue du bien. » La bonté est la qualité d’une personne bonne, c’est-à-dire portée à considérer et à traiter les autres d’une façon favorable, en s’abstenant de leur nuire, et surtout en œuvrant pour leur épanouissement vital, même aux dépens de ses propres intérêts. Car, comme le dit J. Romains (1939, p. 147),

pour oser se dire bon, il faudrait sentir en soi cette bonté active qui commande des travaux et des sacrifices pour diminuer le malheur d’autrui ou s’ingénier à son bonheur. Mais, tout ce qui ressemble de près ou de loin à la méchanceté, à la cruauté, au mépris de la souffrance d’autrui me répugne.

La bonté, telle que décrite, est une valeur individuelle mais socio-morale qui annonce l’intention d’établir et de faciliter de bons rapports avec les autres. Selon M. Proust (1918, p. 741),

dans l’humanité, la fréquence des vertus identiques pour tous n’est pas plus merveilleuse que la multiplicité des défauts particuliers à chacun. Sans doute, ce n’est pas le bon sens qui est « la chose du monde la plus répandue », c’est la bonté. (…). Même si cette bonté, paralysée par l’intérêt, ne s’exerce pas, elle existe pourtant et, chaque fois qu’aucun mobile égoïste ne l’empêche de le faire, par exemple pendant la lecture d’un roman ou d’un journal, elle s’épanouit, se tourne, même dans le cœur de celui qui, assassin dans la vie, reste tendre comme amateur de feuilletons, vers le faible, vers le juste et le persécuté.

Le critère de bonté enjoint de se questionner si ce que je vais dire ou divulguer est bon ? Est-ce que mes propos vont juger objectivement le fait ou la personne ? Est-ce que j’apprécierais que ce que je dis de l’autre soit dit de moi ? La réponse à ces interrogations rappelle si bien les maximes kantiennes de l’impératif catégorique ainsi formulé :

Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle (…).

Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. (E. Kant, 1792, pp. 34-40).

Le critère de la bonté place l’individu face à une situation où il doit avoir le courage de se mettre dans la peau des autres pour expérimenter d’abord le traitement qu’il prévoit pour ceux-ci. Si ce traitement est bon pour soi, alors il le sera pour les autres. Cela permettra sans doute de contenir la propagation de méchancetés gratuites, des calomnies et des harcèlements récurrents sur la toile. Selon J. Joubert (1862, p. 71-72),

c’est un bonheur, une grande fortune d’être né bon. Une partie de la bonté consiste peut-être à estimer et à aimer les gens plus qu’ils ne le méritent […]. Sans bonté, la puissance meurtrit le bien, quand elle y touche, et la compassion arrose et fomente le mal.

Il apparaît donc que les deux critères : vérité et bonté appliqués aux interactions numériques font naitre beaucoup plus de sentiments d’amour, de justice et de bien, en réduisant les pulsions de haine, d’injustice et du mal.

2.3. Critère de l’Utilité

La notion d’utilité renvoie à ce qui est utile, à ce qui sert à quelque chose. C’est l’aptitude d’un bien à satisfaire un besoin ou à créer les conditions favorables de cette satisfaction. L’utilité de quelqu’un ou de quelque chose est, en général, le bien, l’intérêt, l’avantage ou le profit qu’on peut en tirer. Dans le contexte philosophique, elle a engendré la doctrine dite utilitariste.

En philosophie, l’utilitarisme est une doctrine qui fait de l’utile, de ce qui sert à la vie ou au bonheur, le principe de toutes les valeurs dans le domaine de la connaissance comme dans celui de l’action. Comme l’affirme P.-J. Proudhon (1860, p. 140), « on appelle utilitarisme le système qui consiste à ramener la notion du juste à celle de l’utile, par conséquent à faire de l’intérêt le principe du droit et de la morale ». L’utilité est le critère qui permet de mesurer la valeur d’un acte à ses effets positifs calculables.

En allant plus loin et pour revenir au sujet de notre analyse, disons qu’il ne s’agit pas pour nous, de nous interroger sur l’utilité des réseaux sociaux, mais plutôt sur ce que nous faisons d’utile avec ces derniers. Est-ce vraiment utile de tout publier ? À quoi cela sert-il ? Quel avantage tire-t-on dans la divulgation d’informations à caractère personnel ou collectif ?

Assurément, l’utile apparait comme un concept relatif puisque rien n’est utile en soi. L’utilité accordée aux choses dépend toujours d’un contexte ou d’un projet donné. Chaque utilisateur peut donc conférer une utilité propre à sa présence ou ses agissements sur les réseaux sociaux. Néanmoins, le monde virtuel qu’offre Internet est un vaste champ numérique où vie privée et vie collective se chevauchent ; où la singularité reste connectée (virtuellement) à la communauté dont elle est pourtant déconnectée. Cela dit, faire de l’utilité un critère d’évaluation de l’usage fait des réseaux sociaux est, en ultime recours, une tentative de moralisation de la vie virtuelle. À en croire D. Diderot, « l’utile circonscrit tout » (1818, p. 422). C’est pourquoi l’utilité de nos actions doit tenir compte de l’intérêt général. L’utilité privée doit tenir sa légitimité de l’utilité commune. Selon E. Durkheim (1930, p. XV), « la subordination de l’utilité privée à l’utilité commune quelle qu’elle soit a toujours un caractère moral, car elle implique nécessairement quelque esprit de sacrifice et d’abnégation ». C’est manifestement à cet esprit de sacrifice et d’abnégation qu’il convient d’appeler les internautes dans la visée d’une moralisation nécessaire et impérieuse des rapports sociaux même virtuels.

Le critère de l’utilité peut par exemple nous conduire « à rechercher notre bonheur ou plaisir, sans mettre en péril l’intérêt général d’une communauté vouée à une essentielle ”sociabilité” naturelle. » (M. Chabanon, 1994, p. 106). D. Diderot (1821, p. 596), souligne que « le vrai et l’utile sont inséparables » au point que leur dissociation conduirait aussi bien à des opinions « absurdes » qu’à la « destruction » de la société. Le fait est qu’en tout premier lieu, précise M. Chabanon, l’utile s’intègre méthodologiquement à la recherche du vrai. À ce premier marqueur de la notion d’utilité dans l’acte d’appropriation du savoir, s’associe pour Diderot une autre valeur, de dimension morale, qui engage la science et la connaissance au service de l’homme, dans l’acte de « production » cette fois, d’actes et de comportements propres à assurer son bonheur.

L’utilité, qu’elle soit particulière ou commune doit permettre d’organiser éthiquement l’ensemble des activités sur Internet. Cela permettra de tirer un meilleur avantage des réseaux sociaux qui sont devenus une plateforme où ont pris corps toutes les formes d’immoralisme propres à une société sans éthique et en décadence progressive. Ainsi, le critère de l’utilité doit être, selon M. Chabanon, 1994, p. 110) « expérimentée comme instrument de régulation d’une bonne partie des actions humaines » sur la toile.

Conclusion

Les réseaux sociaux, comme le nom l’indique, sont des plates-formes sociales, gratuites et simples à utiliser. Aujourd’hui, incontournables dans la vie quotidienne des hommes, les réseaux sociaux se sont de plus en plus imposés comme le principal moyen de communication au sein des sociétés humaines. C’est un cadre idéal d’échange et de réseautage qui offre l’opportunité inespérée de consolider les liens familiaux, de se rapprocher des amis lointains, de partager du contenu multimédia varié et de diffuser de l’information, etc. C’est au regard de ces nombreuses fonctionnalités dignes d’intérêts qu’ils suscitent autant d’engouement chez ses utilisateurs.

Les réseaux sociaux étaient annoncés comme un outil idéal qui devait permettre de répondre à la problématique de la socialisation véritable de l’homme. Cependant, à peine quelques décennies, c’est plutôt à l’énigme de la désocialisation que nous sommes confrontés. Par leur capacité à créer le rapprochement avec le lointain, les réseaux sociaux nous ont privés contradictoirement de notre proximité. Ainsi, les hommes sont devenus étrangers à eux-mêmes et vivent étrangement avec les autres dans une étrange société que ceux-ci ne reconnaissent plus. Voilà le crime de la triple négation psychosociale des réseaux sociaux. Les internautes y ont trouvé le moyen habile pour se réfugier dans le mal, dissimuler la vérité et tronquer la réalité.

Cependant, comme le pensait Platon, nul n’est méchant volontairement. C’est l’ignorance qui fait croire aux hommes que le mal est mieux que le bien, que l’injustice est plus avantageuse que la justice, que le vice est préférable à la vertu. Sous le mode d’internet, les réseaux sociaux se présentent comme un nouveau jouet entre les mains d’un enfant qui peut bien s’en servir tout comme mal s’en servir. Et en pareille circonstance, il est important, de lui apprendre à s’en servir. Malheureusement, personne n’a appris à le faire convenablement. Hormis l’inscription sur les différentes plateformes et le menu ordinaire, toutes les autres fonctionnalités sont méconnues ou ignorées par les utilisateurs. De plus, en l’absence, de règles de conduite et d’usage, la liberté de se conduire suivant ses propres règles sur les réseaux sociaux est prégnante.

Il est avéré que les réseaux sociaux ont engendré un profond bouleversement dans la société traditionnelle. Heureusement, « depuis l’invention de l’imprimerie, la société s’est toujours ajustée face aux nouveaux médias et elle est parvenue à en contenir les effets négatifs » (D. Acemoglu, 2022, p. 3). C’est donc à nous de nous adapter à la nouvelle dynamique insufflée par le développent du numérique. Et toute adaptation supposant une formation, il est impératif de former la nouvelle génération à l’usage judicieux d’Internet et des réseaux sociaux. Il faut leur enseigner le but véritable des réseaux sociaux qui ne sauraient être le cadre d’expression de la méchanceté, de la perversion et de l”immoralisme.

Les réseaux sociaux doivent refléter toutes les valeurs de la société dans laquelle nous vivons. C’est comme si, étant forcés à passer de la réalité au virtuelle, nous nous efforçons de sauvegarder la réalité virtuelle. Conformément à la sagesse socratique, les critères de la vérité, de la bonté et de l’utilité doivent gouverner le rapport que nous entretenons avec nous-mêmes, avec les autres et avec la société. L’habitude de soumettre toutes les informations que nous recevons aux travers des trois tamis de Socrate permettra d’assainir les réseaux sociaux.

Le critère de la vérité qui répond à la question : est-ce que c’est vrai ?, nous évite de participer à la diffusion et à la propagation des fake news, des critiques, des calomnies. Le critère de la bonté, résumé par l’interrogation : est-ce que c’est bon ?, est la manifestation de la volonté de ne pas se nuire soi-même (pessimisme, convoitise, mimétisme, dépression, suicide), nuire aux autres (violence, harcèlement, usurpation d’identité, escroquerie) et nuire à la société (perversion, décadence, haine). Le critère de l’utilité contenu dans l’interrogation : « à quelle fin utile cela sert-il ? », permet, quant à lui, d’instaurer un garant moral et d’assurer la régulation des comportements sur les réseaux sociaux en tenant compte du bien commun et de l’intérêt général.

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LA JEUNESSE AFRICAINE ET LA RÉVOLUTION CYBERNÉTIQUE

Akpa Akpro Franck Michael GNAGNE

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

fmgnagne@yahoo.fr

Résumé :

Dans ce monde devenu village planétaire, internet est la chose la mieux partagée. Aucune civilisation, aucun espace publique ou privé, aucune administration, aucune entreprise, plus rien ne semble envisageable, voire possible sans lui, tant son impact est réel. Il est présent partout et est accessible à toutes les couches sociales. Même dans les endroits les plus reculés, dans les quartiers huppés comme dans les bidonvilles, tout le monde se connecte à internet à des degrés variés. Les réseaux sociaux associés à internet sont aujourd’hui un puissant canal qui influence les liens et les rapports sociaux. Grâce à internet, des vies ont changé en bien ou en mal, des nations aussi ont vu leur histoire changer radicalement. On a en mémoire le printemps arabe des années 2011.  Les générations sont aussi impactées par internet, vieux, jeune, enfant, personne n’est l’abri de son impact. Ainsi, nous voulons dans ce texte, analyser cet impact sur la jeunesse africaine pour en saisir des éléments vitaux pour aider l’Afrique à se penser et à prendre en charge de façon éclairée les mutations sociales liées aux réseaux sociaux dans ce monde en perpétuel mutation.

Mots clés : Afrique, Culture, Jeunesse, Mondialisation, Révolution cybernétique, TIC.

Abstract:

In this world that has become a planetary village, the Internet is the most widely shared thing in the world. No civilization, no public or private space, no administration, no business, etc., in any case, nothing seems possible without him, as its impact is real. It is present everywhere and is accessible to all social strata. Even in the most remote places, in upscale neighborhoods and slums, everyone is connected to the internet to varying degrees. Social networks associated with the internet are today a powerful channel that influences social links and relationships. Thanks to the internet, lives have changed for good and bad, nations have also seen their history radically changed. We remember the Arab Spring of 2011. Generations are also impacted by the internet, old, young, child, no one is safe from its impact. Thus, in this text, we want to analyze this impact on African youth to grasp vital elements to help Africa think about itself and take charge in an enlightened way of the social changes linked to social networks in this constantly changing world.

Keywords : Africa, Culture, Youth, Globalization, Cybernetic revolution, TIC.

Introduction

Initialement conçue pour démocratiser l’espace publique, donner un accès équitable à l’information et faciliter les rapports sociaux entre les individus à quelque niveau que ce soit, internet est devenu aujourd’hui un outil d’influence puissant à l’ère de la mondialisation néolibérale. Le débat sur les innovations technologiques continue de cristalliser les tensions et ne fait pas l’unanimité dans la sphère sociale à cause des effets contrastés d’internet. Ses outils ont transformé profondément nos sociétés, spécifiquement les sociétés africaines, au point où les valeurs traditionnelles qui les fondent, se voient concurrencer et parfois mises en cause par d’autres types de valeurs importés. Or, l’essence de toute société quelle qu’en soit sa nature est bien sa culture (le savoir, le savoir être et le savoir-faire).

Ainsi, ces dernières années, l’on observe la montée en puissance des phénomènes tels que l’exhibitionnisme entretenue par des influenceurs, l’homosexualité et le foisonnement des images érotiques sur des sites internet dont la plupart sont gratuits et qui sont aux antipodes des valeurs traditionnelles africaines, tels que la pudeur, le respect, la monosexualité, etc. Par ailleurs, le défi aujourd’hui pour l’Afrique à l’heure de la mondialisation, c’est de construire une société africaine capable de satisfaire les besoins nombreux et illimités des populations (l’éducation, l’industrialisation, la Démocratie, etc.). La sonnette d’alarme est donc tirée pour une éducation construite par les Africains et pour les Africains. Dans cet élan, la problématique de l’usage de l’internet et de son impact sur la jeunesse africaine se pose.

Comment penser l’usage d’internet pour la formation d’une jeunesse africaine consciente des défis et des enjeux du développement ? La réponse à ce problème nous amène à convoquer les paramètres sociologiques, philosophiques, culturelles permettant d’analyser l’impact d’internet sur la jeunesse africaine, d’identifier les causes ainsi que les conséquences de son usage sur la jeunesse et envisager des perspectives de solutions. Pour cela, nous structurons notre réflexion autour de trois axes majeurs qui se présente comme suit : 1) l’approche conceptuelle de la jeunesse et de la révolution cybernétique nous permettra de saisir les concepts clés de notre étude ; 2) la jeunesse africaine dans le tourbillon du spectre de la mondialisation technologique met en lumière le paradoxe technologiqueet internet ; 3) jeunesse africaine : entre défis éducatif et développement.

1. Approche conceptuelle de la jeunesse et de la révolution cybernétique

L’exigence de compréhension du concept nous impose un exercice de clarification des termes essentiels comme préalable parce qu’avec Lamine Ndiaye, « définir, c’est créer les conditions objectivées de poser explicitement le problème en balisant le champ afin de mieux se fixer des limites » (L. Ndiaye, 2009, [en ligne]). Dans ce cadre, nous nous appesantirons sur les notions de « jeunesse » et « révolution cybernétique ».

1.1. Du sens de la jeunesse

Qu’est-ce que la jeunesse ? La réponse à cette question n’est pas aisée surtout en Afrique. Partagé entre tranche d’âge et passage des générations, la jeunesse a fait l’objet de plusieurs spéculations et continue de susciter l’intérêt dans le milieu scientifique. Dans toutes les civilisations humaines, toutes les sociétés et les gouvernements qui se succèdent à la tête de nos États, la jeunesse semble être au cœur de tous les discours. De junenvlesce et dérivé de jeune, la jeunesse c’est à la fois âge et passage : elle constitue un âge de la vie marqué par le passage de l’adolescence vers l’âge adulte, c’est ce que fait remarquer le sociologue Français Bernard Roudet dans son texte intitulé « Qu’est-ce que la jeunesse ? ». Perçue comme l’âge des possibles et des expérimentations, âge des engagements et des choix, la jeunesse est toujours considérée comme une période d’apprentissage des responsabilités, d’accès à l’indépendance matérielle et de construction identitaire de l’autonomie. Les rythmes et les caractéristiques de ce processus complexe sont variables selon les différents domaines qui concourent à définir les statuts et les rôles adultes. En même temps, la jeunesse est perçue comme l’âge des classements sociaux et de la confrontation aux inégalités sociales. Elle ne forme pas un ensemble homogène : elle est traversée par des différenciations sociales, liées tout particulièrement aux inégalités en matière de niveau d’études et de qualification.

Pour Roudet, la jeunesse est une réalité sociale, elle n’existe pas en soi, de façon stable et intemporelle. Elle est produite par la société dans des contextes historiques, sociologiques, économiques ou juridiques déterminés. Elle s’inscrit dans une stratification par âge de la société qui fixe les calendriers et les modalités de passage d’un âge à un autre et qui organise les statuts et les rôles sociaux selon l’âge. Positions occupées dans des espaces sociaux (étudiant à l’université, salarié d’une entreprise…), les statuts confèrent à leurs détenteurs un certain nombre de rôles, c’est-à-dire des attitudes et des comportements ajustés à ces statuts et attendus comme tels par les membres de la société. Dès lors, la jeunesse peut être définie comme la phase de préparation à l’exercice des rôles professionnels, familiaux, mais aussi citoyens, conformes à l’âge adulte. Cinq étapes majeures ouvrent, à travers la socialisation, un apprentissage progressif de ces rôles : le départ de la famille d’origine, l’accès à un logement indépendant, l’entrée dans la vie professionnelle, la formation d’un couple et l’arrivée du premier enfant.

Dans cette perspective, la jeunesse apparaîtrait comme une catégorie d’âge qui s’intercale entre l’adolescence et l’âge adulte. Toutefois, de nos jours, la jeunesse ne forme pas une période de la vie clairement séparée et distincte des phases qui l’encadrent. La jeunesse se caractérise plutôt par une transition progressive, par l’établissement de continuités entre ces deux phases, dans la mesure notamment où les attributs de l’âge adulte seront rassemblés par étapes sur plusieurs années. Les principaux seuils d’entrée dans l’âge adulte ne se réaliseraient plus, comme auparavant, de façon simultanée et définitive. Complémentaires, ces seuils ne seraient pas forcément cumulatifs ou indissociables : ils s’étaleraient sur une période plus longue, ils seront davantage graduels, discontinus et parfois réversibles. Cette approche sociologique et définitionnelle de Roudet, loin d’épuiser le concept de jeunesse, nous permet de saisir succinctement la notion de la jeunesse et de jeune dont elle dérivée, son sens et la portée dans la société. Et si les sciences humaines la situent généralement entre 15 et 24 (www.observationsociete.fr, 11 janvier 2022), une définition d’ailleurs contestée, il n’en est le cas dans la plupart du temps parce que, les bornes qui délimitent la jeunesse, son entrée et sa sortie ne sont pas statiques et sont déterminés par les milieux sociaux. En Afrique, Amadou Hampatê Bâ par exemple, situe la jeunesse entre 21 et 42 ans. Elle est la deuxième étape entre 0-21 ans ou l’individu est encore dans la sphère familiale pour son éducation de base et 42 ans – 60 ans ou il devient un citoyen accomplit, chef de famille, éducateur, etc. (A. Hampatê Ba, 2009, pp. 111-113).

1.2. De la révolution cybernétique

La compréhension du concept « révolution cybernétique » exige une élucidation des notions de « révolution » et de « cybernétique ». De ce fait, il convient de noter que la révolution n’est pas le changement de quoi elle diffère en ce sens que toute révolution engendre un changement mais tout changement n’entraîne pas nécessairement de révolution. Ainsi, la révolution n’est pas la révolte, l’insurrection, la réforme ou un coup d’État. Du latin « revolvere » qui veut dire « rouler en arrière », la révolution renvoie à l’idée de mouvement, de changement brusque, souvent radical et profond. C’est l’instauration de manière irréversible d’un ordre nouveau. Elle s’applique à de nombreux domaines tels que la politique, la culture, la science, etc.

En politique, la révolution est le renversement radical d’un régime en place, et ce, par la force. C’est la suppression de manière brutale et parfois sanglante de l’ordre établi et du régime politique en place ainsi que son remplacement par une autre forme de gouvernement. La révolution culturelle, quant à elle, est un bouleversement complet des valeurs morales et culturelles qui fondent un type de société. Au niveau scientifique, la révolution scientifique est généralement considérée comme une discontinuité de la pensée scientifique à une époque donnée. Cette rupture amenant un champ disciplinaire ou plusieurs à se réorganiser autour de principes et axiomes nouveaux. Nous pouvons citer entre autres : la révolution copernicienne ou encore la révolution diopienne.

La cybernétique, quant à elle, est une discipline interdisciplinaire qui étudie les systèmes complexes, notamment les systèmes de communication et de contrôle, et s’intéresse aux processus d’auto-régulation et d’adaptation dans ces systèmes. Le terme « cybernétique » a été introduit par le mathématicien américain Norbert Wiener dans son livre « Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine », publié en 1948. Pour lui, « La cybernétique est l’art de l’interaction et de la communication » (N. Wiener, 1948 cité par S. Bernatchez, p. 87).

Elle englobe un large éventail de domaines, y compris la biologie, la psychologie, l’informatique, l’ingénierie, la philosophie et d’autres disciplines. Elle se concentre sur l’étude des systèmes en tant qu’entités interconnectées, et cherche à comprendre comment l’information est traitée, transmise et utilisée dans ces systèmes. Un aspect clé de la cybernétique est l’idée de rétroaction (feedback), qui implique que les systèmes utilisent des informations sur leur propre état pour ajuster leur comportement. Cette notion a des applications dans de nombreux domaines, de la conception de machines automatisées à la compréhension des processus biologiques et cognitifs.

La cybernétique a eu une influence significative sur le développement de l’intelligence artificielle, de la robotique, de la théorie des systèmes, de la neuroscience et de nombreux autres domaines. Elle a également contribué à façonner la pensée moderne sur la façon dont les systèmes complexes fonctionnent et interagissent. La « révolution cybernétique » est donc une transformation profonde et continue de la société et de l’économie, qui est largement attribuée à l’impact de la technologie de l’information, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle.

Le préfixe cyber sert à former de très nombreux mots relatifs à l’utilisation du réseau Internet : cyberattaque, cyberboutique, cyberdépendance, cyberharcèlement, cyberpolice. Préfixe de cybernétique, il permet de former des mots liés aux nouvelles techniques de communication numériques (Internet). La révolution cybernétique peut s’entendre comme le changement profond provoqué par Internet ou les nouvelles technologies. Mieux, elle peut désigner une transformation profonde et continue de la société et de l’économie, qui est largement attribuée à l’impact de la technologie de l’information, de l’automatisation et de l’Intelligence Artificielle. Ces différentes approches nous ayant aidé dans l’élucidation de nos concepts majeurs que sont « jeunesse » et « révolution cybernétique », nous allons à présent voire leurs implications dans l’espace africain.

2. La jeunesse africaine dans le tourbillon du spectre de la mondialisation technologique

La mondialisation peut revêtir deux formes : la première consiste en un système de connaissance mis en place par le développement des technologies de l’information et de la communication. La seconde réfère à l’émergence de la culture de masse notamment celles des occidentaux. Par ailleurs, la prestation des services liés aux TIC a connu une croissance dans les pays africains. Ainsi, selon les données de l’Union Internationale de Télécommunication pour 2014 (« world télécommunications/ICT indicators database », 2014, p. 1), l’accès à internet en Afrique a plus que doublé, passant de 9,6 en 2010 à 20 tandis que sur la même période, la pénétration du haut débit mobile a atteint 19 et celle de la téléphonie mobile s’est envolée, pour s’établir à 69 (« Jeunesse et innovation en Afrique : tirer le meilleur parti du potentiel de la jeunesse africaine au service de la transformation du continent », Rapport de synthèse du débat en ligne (D-Groups), Commission économique pour l’Afrique, Juillet 2024).

Ces chiffres traduisent une intégration réussite des TIC au sein des sociétés africaines. En effet les technologies du numérique font partie intégrante de notre vie et impactent considérablement notre vision du monde par la mobilité qu’elles offrent, l’ouverture au monde et aux autres, les opportunités qui se créent çà et là ; mais surtout les profondes mutations sociales au niveau démocratiques qu’elles opèrent. L’Afrique subsaharienne connait une révolution numérique et a bénéficié pendant les deux dernières décennies, plus qu’ailleurs des technologies mobiles dans les domaines de la banque avec les Trésor-pay, Banque-Mobile, etc. ; de la santé avec l’informatisation des bases de données, les E-consulting, les sensibilisations à partir des réseaux sociaux, les publicités de certains produits, les rendez-vous en ligne, etc., et de l’agriculture à partir de la vente et de l’achat de certains produits, des partages d’expériences gratuites sur certains sites internet, etc. Le secteur de l’éducation n’est pas en reste avec le développement des systèmes de partage de contenus pédagogiques, les cours en ligne, colloques et autres activités scientifiques en ligne, les renforcements de capacités et les réunions de gestion, etc. Plus que jamais, le numérique représente une opportunité pour améliorer le système éducatif et conduire les apprenants africains à une intégration globale. Malgré cela, il est important de s’interroger sur son impact réel dans l’éducation et sur la jeunesse africaine.

2.1. Une jeunesse submergée par la révolution cybernétique : effets pervers de l’internet en Afrique

La mondialisation se caractérise par une « une homogénéisation dans différents domaines (comme l’économie, la culture ou la politique) de modèles communs, provoquant une interdépendance entre différents ensembles géopolitiques » (C. Delanga, 2018, p. 126). Elle suppose la disparition des frontières et l’unipolarisation du monde, ce qui implique que nous sommes désormais comme le souligne le Philosophe Canadien McLuhan dans un « village planétaire » (M. Mcluhan, 1989) où tout le monde est interconnecté et interdépendant. Elle entraîne, cependant, dans son sillage la question de la culture et de l’éducation. Internet est devenu le moyen pour les cultures occidentales et de plus en plus asiatiques d’imposer leur hégémonie en termes de culture, d’éducation et autres. Il a créé dans son dynamisme une inégalité entre les cultures, engendré une hiérarchisation des valeurs en faisant certaines supérieures à d’autres. L’Afrique y est en victime dans cette hiérarchisation avec pour conséquence immédiate, voir majeure, une régression de plus de plus poussée de ses valeurs au profit du celles des autres.

Une étude spécifiquement menée au Burkina Faso par Evariste Dakouré (E. DAKOURE, 2016, en ligne) donne une explication rationnelle à l’hégémonie et à la forte influence des cultures extérieures en Afrique qui façonnent la vision, le comportement des jeunes africains et influencent grandement leur éducation. Selon cette étude, la régression des valeurs africaines s’explique par le déploiement de l’occident en Afrique notamment à travers les TIC. En effet, sur le plan culturel et éducatif, ce développement a ravivé les critiques selon lesquelles les médias seraient le vecteur de perversion. De nos jours en Afrique, on assiste à une reproduction d’articles de journaux occidentaux, de diffusions d’émissions, de télévisions occidentales qui pervertissent les mœurs et sont contraires aux valeurs africaines tel que la monosexualité, la pudeur, le respect, etc. C’est le cas du Burkina Faso : malgré le faible développement de l’internet dans ce pays, il est de plus en plus adopté par les jeunes pour des usages généralement ludiques. Cela est fortement critiqué, car internet est considéré comme vecteur de cultures étrangères qui éloigneraient les jeunes Burkinabés des repères culturels de leur pays.

Les décennies passent, mais la domination culturelle occidentale à travers le monde est toujours présente et utilise les Tic pour continuer à s’affirmer. Comme le souligne Alain Kiyindou (2016, en ligne), « la domination des pays puissants dans le cadre de la mondialisation s’exprime dans un grand nombre de domaines. La globalisation, en effet est présente dans tous les espaces de notre vie quotidienne. Elle affecte aussi bien le travail, l’éducation, la famille, la politique, les arts, la consommation de biens et des services, les loisirs (…) ». Lors d’une étude menée au Burkina Faso un enquêté a révélé ceci : « je pense que notre culture va disparaitre totalement, parce que déjà on l’a abandonné même s’il y’a des efforts qui tentent de la préserver (…) En plus, dans la mentalité actuelle, les jeunes ne s’intéressent plus à la culture » (E. Dakoure, 2016 en ligne.). Évidemment, le Burkina Faso est loin d’être le seul pays concerné par cette question. Ainsi, le développement des nouvelles technologies de l’information et l’importante croissante des processus communicationnels entraînent des effets importants sur la jeunesse notamment sur le plan éducatif.

2.2. La révolution technologique en Afrique : dynamique d’un effet paradoxal

Les réseaux sociaux et internet, initialement prévus pour faciliter les rapports entre les individus, sont de plus en plus détournés de leurs finalités par une jeunesse qui l’utilise à tort ou à travers par effet de mode, ignorant que certains actes sont constitutifs d’infraction et entrainent des sanctions (D. Allechi, 2023, p. 1). Les TIC ont incontestablement transformé notre société mais aussi les rapports entre les individus. Internet et les réseaux sociaux connaissent une audience particulière en Afrique en dépit de la fracture numérique existant entre les différents États (D. Allechi, 2023, p. 1).

Selon Monique Dagnaud, à la création d’internet, l’idée de base se résumait en trois points : « free, free speech, free of charge ». Ces trois termes expriment l’idée d’autonomie de l’individu (free) ; la liberté de circulation de l’information (free speech) qui est rendu possible par les autoroutes de l’information et la promesse d’une communication en réseau et sans limite. Avec leur utilisation actuelle (les réseaux sociaux), l’on parvient difficilement à distinguer vie privée et vie publique (D. Allechi, 2023, p. 1). Les jeunes exposent des photos et vidéos relevant de l’intimité par effet de mode alors que ses publications pourraient leur être préjudiciables à l’avenir. Cela se manifeste généralement lorsque ceux-ci sont à la recherche d’emploi. Surtout que souvent les entreprises mènent des enquêtes sur les antécédents des candidats. 

De plus, les jeunes exposent sans pudeur leur intimité en publiant les photos et vidéos nues d’eux comme dans les clips et autres films hollywoodiens ou d’acteurs américains. La promotion de l’exhibitionnisme à travers les réseaux sociaux est une réalité en Afrique. Certains vont même jusqu’à publier les moments intimes avec leur partenaire. Cela met à nu l’état psychologique, social et moral de la jeunesse qu’on pourrait qualifier de jeunesse en perdition n’ayant plus le sens de la moralité. Les valeurs de sobriété, de pudeur, du sacré, du respect de l’intimité, de l’ainé, de la vie, etc., sur lesquelles reposaient nos sociétés sont en pleine régression face à l’hégémonie de ce phénomène informatique. Les valeurs morales sont compromises. La plupart des jeunes prennent pour modèle des stars des réseaux sociaux communément appelées « influenceurs ou influenceuses » à l’image de Apoutchou national, GL Makosso, Emma Lohoues, d’Eudoxie Yao, pour ne citer que ceux-là. Le commerce charnel se fait sans retenue sur les réseaux sociaux. En attestent, le « porti porta », le Bachelor, les sites de « Bizi » (business ou commerce du sexe) tels que Locanto ou encore Jedollo. L’escroquerie, les arnaques, les vols, le « broutage » (ou cyberanarque). Les infractions commises via internet sont devenues monnaies courantes.

Cela montre à quel point les réseaux sociaux sont révélateurs de médiocrité et de perversion. Internet est devenu le cauchemar contemporain, une véritable menace pour la survie des valeurs traditionnelles préexistantes. Une immersion dans l’œuvre de Ivan Illich nous aidera à mieux saisir les implications. Ivan Illich est un Philosophe, précurseur de l’écologie politique. Dans son texte « Internet et la culture de la médiocrité », in https://www.lasourcevive.fr/climat/internet-et-la-sous-culture-de-la-medocrite, consulté le 11 octobre 2023, il démontre que les outils ne sont pas neutres. Pour Ivan Illich, les outils portent leur propre leur finalité. Il affirme que « lorsqu’une activité outillée dépasse un seuil, elle se retourne d’abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier » (« Internet et la culture de la médiocrité » (I. Illich, 2023, p. 2), un outil dont personne ne peut se passer et dont l’usage devient une injonction de consommation, il devient dysfonctionnel et détruit l’objectif qu’il est censé servir (« Internet et la culture de la médiocrité » (I. Illich, 2023, p. 2).

3. Internet et jeunesse africaine : entre défis éducatif et développement

L’Afrique s’est vue confisquée ses matières premières, ses élites dirigeantes et sa force productives depuis des années. Les indépendances politiques obtenues par les pays Africains loin d’être la clé de voûte a débouché sur une dépendance économique. Considéré par certains économistes comme le néocolonialisme, cet engrenage économique a paralysé les systèmes éducatifs manquant de moyens financiers pour assurer son bon fonctionnement et la performer. Cependant, internet se présente comme un moyen efficace pour pallier ces déficiences. Par ailleurs, au regard de ces nombreuses orientations ces dernières années qui ne vont pas forcément dans le sens d’une édification et d’une construction sociale, il convient de se réapproprier cet outil technologique de longue portée pour une éducation de qualité en Afrique et surtout envisager les perspectives d’avenir d’une Afrique forte par le truchement de ce dernier.

3.1. Une réappropriation d’internet pour une éducation de qualité en Afrique

L’une des particularités d’internet en ce 21ème siècle est sa flexibilité et sa malléabilité. En effet, il prend l’orientation que l’utilisateur lui donne. La preuve, les moteurs de recherche vous donne une pléthore d’information allant dans le sens de ce que vous recherchez. Le défi de l’Afrique, c’est de savoir quand et comment devons-nous l’utiliser. Cela passe par une adaptation de l’internet à la culture africaine comme c’est le cas en Chine. Par exemple en Chine, TikTok est utilisé à des fins éducatives et cela est fait à dessein selon des objectifs précis et dans les bornes de leur valeur culturelle. L’Afrique doit s’en inspirer. L’usage de ses outils doit se faire en adéquation avec les réalités sociales des Africains, dans une prise en compte de leurs valeurs culturelles. L’internet ne doit pas être utiliser en Afrique par mimétisme occidentale mais par objectif recherché. Le télé-enseignement et le système LMD pour les formations universitaires s’inscrivent dans cette logique.

Internet a le potentiel d’accroître l’accès à l’éducation et à la formation pour la jeunesse africaine, en particulier dans les zones reculées où les ressources éducatives traditionnelles peuvent être limitées. Grâce à un accès Internet rapide, les jeunes peuvent accéder à des cours en ligne, des programmes de formation et des ressources pédagogiques qui peuvent les aider à développer de nouvelles compétences et connaissances. En investissant dans les infrastructures Internet et en donnant accès à des ressources éducatives de haute qualité, les pays africains peuvent autonomiser leurs jeunes par les opportunités d’expression de talent et d’emploi qu’offre Internet et promouvoir une croissance économique à long terme à partir de la création de nouvelles start-ups qui offrent la possibilité d’emploi et la concurrence sur le marché.

Grâce à internet les Africains sont au même degré d’information avec le reste du monde. L’Afrique communique avec elle-même, internet est entrain de reconstitué l’histoire des pays Africains par la transmission des savoirs oraux, des informations tenues secret, la diffusion de l’histoire authentique par des chercheurs. Malgré les efforts entrepris par les intellectuelles cette transformation reste toujours partielle car les cultures extérieures influencent fortement celles de l’internet. La réappropriation de l’internet va de pair avec une volonté politique mais surtout une révolution symbolique et culturelle alliant structure sociale et institution étatique.

Si la logique européenne de l’usage d’internet se veut plus décentralisée avec l’absence de règle centrale, le défi en Afrique prend le contre-pied de cette logique car, l’usage d’internet doit être règlementée par des normes et des dispositions juridiques applicables à tous afin que les actions des individus s’inscrivent dans une visée civilisationnelle conciliant savoir être et savoir-faire. Ainsi, ce processus de réappropriation et d’adoption de la culture africaine fait appel à une symbiose d’action, une mutualisation des efforts entre l’État et le reste de la société. En effet, la famille, premier maillon de socialisation de l’enfant doit pleinement prendre part à l’éducation de l’enfant pour que ceux-ci puissent faire bon usage d’internet. Par ailleurs, si l’usage d’internet en Afrique doit être panser et repenser il faille aussi que l’éducation soit repensée pour que l’un puisse parfaitement s’imbriquer dans l’autre. C’est d’ailleurs pourquoi la transformation digitale doit s’inscrire dans une conduite collaborative et participative qui vise en premier lieu l’homme Africain et la culture Africaine. Elle doit enraciner sa démarche sur l’humain et sur ses valeurs culturelles afin que l’être africain soit mieux adapté à cette nouvelle vision du monde et en créer à partir d’elle une richesse pour l’humanité.

3.2. Internet : une alternative crédible de développement pour la jeunesse africaine

L’internet aujourd’hui est un moyen excellent de diffusion de la culture africaine. À ce propos, l’écrivaine et analyste politique Kényane Nanjala Nyabola disait en substance lors d’une interview qu’« en Afrique comme ailleurs, internet peut influencer une révolution, mais ce sont les peuples qui la font ». C’est dire qu’internet peut aujourd’hui amener la jeunesse africaine à renverser les paradigmes politiques, économiques établies par la plupart des dirigeants lors des indépendances. Comme ce fut le cas en Algérie et au Soudan ou internet et les réseaux sociaux en particulier ont joué un rôle significatif dans les différentes révolutions. En outre, cette écrivaine toujours sur le cas de ces deux pays souligne que l’aboutissement des années de résistance et d’organisation ont été accéléré et facilité par le web pour documenter les problèmes du quotidien et échanger sur eux. Au Kenya, internet joue aussi un grand rôle, mais dans une révolution plus silencieuse. Les opportunités avec internet son multiple, il crée une réelle possibilité d’intégration régionales pour les pays africains et d’ouverture sur le reste du monde. Les échanges commerciaux sont facilités par internet. (https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/d%C3%A9cembre-2019-mars-2020/partenariats-opportunit%C3%A9s-pour-les-jeunes.html).

Internet peut constituer un cadre d’opportunités, d’entrepreneuriat et d’emploi pour la jeunesse africaine. En effet, avec l’essor du commerce électronique et des plateformes numériques, les jeunes peuvent créer leur propre entreprise et toucher des clients du monde entier. « L’Institut africain pour les politiques de développement prédit que le continent connaîtra une augmentation de 29 % de la demande d’emplois décents, soulignant l’importance de créer des opportunités pour l’emploi des jeunes » (https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/d%C3%A9cembre-2019-mars-2020/partenariats-opportunit%C3%A9s-pour-les-jeunes.html). En fournissant un accès à Internet et en soutenant les programmes d’entrepreneuriat, les pays africains peuvent aider leurs jeunes à développer les compétences et les ressources nécessaires pour démarrer des entreprises prospères et contribuer à l’économie locale.

En plus d’améliorer l’accès à l’éducation et aux opportunités d’emploi, Internet offre un espace aux jeunes pour s’exprimer et pour promouvoir l’engagement civique. En fournissant des plateformes d’activisme en ligne et sur les réseaux sociaux, les jeunes peuvent se connecter avec d’autres personnes qui partagent leurs intérêts et leurs préoccupations et plaident en faveur du changement. « Le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) a intégré la participation des jeunes comme élément clé de sa stratégie visant à promouvoir l’intégration et le développement régionaux » (https://au.int/fr/newsevents/20221101/mois-de-la-jeunesse-africaine-2022.htlm). En donnant aux jeunes les moyens de participer à la vie civique et de s’engager dans les débats politiques, les pays africains peuvent garantir que les voix et les perspectives des jeunes soient entendues et mises en valeur. La valorisation des jeunes et la prise en compte de leurs points de vue peuvent conduire à des décisions politiques plus inclusives et efficaces qui profitent à tous les membres de la société.

L’Internet permet aux jeunes de développer et de partager leurs idées, de créer des contenus, de concevoir des applications et de contribuer à l’innovation technologique. De plus en plus de jeunes africains passionnés de programmation peuvent concevoir des applications, des jeux, des sites web et d’autres logiciels. Aujourd’hui, il existe en Afrique ce qu’on appelle les King Coders. « Ils font sans doute partie des Africains les plus recherchés de la planète. Ils ? Les « Kings coders », comme nous les avons baptisés. Ces rois du code construisent l’Afrique de demain à partir de lignes de code et de balises, à partir d’un écran noir plutôt que d’une page blanche. Et les géants de l’Internet l’ont bien compris : Google les embauche ou les rassemble, le Massashussets Institute of Technology (MIT) les observent de près et la Silicon Valley leur ouvre ses portes » (https://www.jeuneafrique.com/233952/economie-entreprises/technologies-rencontre-avec-les-kings-coders-africains-d-veloppeurs-et-architectes-du-futur/.html). Nous pouvons citer, entre autres, l’ivoirien Abou Koné, développeur de l’application Tonsorious, du kenyan Anthony Nandaa fondateur de Beyonde Labs et de Deveint Ltd, entreprises spécialisées dans le développement de sites et d’applications mobiles, etc.

Conclusion

Internet présente un immense potentiel en tant qu’outil de développement pour la jeunesse africaine. Avec un accès croissant à l’éducation et à la formation, des opportunités d’entrepreneuriat et d’emploi, et la capacité de faire entendre la voix des jeunes et de promouvoir l’engagement civique, Internet peut être une alternative crédible pour le développement de la jeunesse africaine. Il est crucial que les gouvernements et les autres parties prenantes investissent dans l’expansion de l’accès à Internet et de l’alphabétisation numérique afin de garantir que la jeunesse africaine puisse pleinement bénéficier des opportunités offertes par Internet. Ce faisant, nous pouvons soutenir la croissance et le développement de la jeunesse africaine et contribuer à un avenir meilleur pour le continent. Il est important que les jeunes utilisent Internet de manière responsable, en protégeant leur vie privée, en évitant la désinformation et en contribuant positivement à la communauté en ligne. Internet est un outil puissant, et son utilisation doit être guidée par des principes éthiques tel que l’éthique de la responsabilité et une compréhension des implications de nos actions en ligne.

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AXE 3 : RÉSEAUX SOCIAUX ET SOCIÉTÉ DURABLE

RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES, TERRITOIRE RÉCUSE DANS LA VALORISATION DES ACQUIS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE EN CÔTE D’IVOIRE

1. Aka NIAMKEY

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

niakayo2@yahoo.fr

2. Yéo SIBIRI

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

yeosibiri2020@gmail.com

Résumé :

Les réseaux sociaux numériques (RSN) se sont imposés comme une force sociale incontournable, capable d’atteindre toutes fins, en offrant d’une part la possibilité d’être lu, vu ou entendu par des centaines, voire par des milliers d’internautes et d’autre part, la possibilité d’amplifier les actions de manière prodigieuse. À ce titre, ils se présentent comme des supports pouvant servir puissamment et intensément à la valorisation des acquis de la recherche scientifique. Mais force est de constater que, les usages scientifiques favorisant la valorisation des acquis de la recherche y sont moins présents, pour des raisons de culture de secret. Considérant l’accessibilité et la disponibilité des réseaux sociaux comme un atout immense pour la valorisation, la question suivante s’impose : quelle révolution les enseignants-chercheurs doivent-ils opérer sur les réseaux sociaux afin qu’ils deviennent des outils irréprochables de valorisation de leurs acquis ?

La réponse à cette question réside dans la motivation qu’ont les enseignants-chercheurs à utiliser les réseaux sociaux numériques. En effet, par le truchement d’une approche quantitative des données collectées en rapport avec les usages des enseignants-chercheurs sur les réseaux sociaux à l’UFR CMS de l’Université Alassane Ouattara, notre étude a révélé un penchant pour le « développement des liens sociaux », et souvent pour la « mobilisation » (C.Guillot, S. B. Bouzaglo, 2021, p. 164), plutôt que pour la valorisation.

Mots clés : Communication,Développement,Recherche scientifique, Réseau Sociaux numérique, Valorisation.

Abstract:

Digital social networks (RSN) have established themselves as an essential social force, capable of achieving all purposes, by offering on the one hand the possibility of being read, seen or heard by hundreds, even thousands of internet users. And on the other hand, the possibility of amplifying actions in a prodigious way. As such, they present themselves as supports that can be used powerful and intensively to promote the achievement of scientific research.

But it is clear that scientific uses favoring the valorization of research finding aire less present there, for reasons of culture of secrecy. Considering the accessibility and availability of social networks as an immense asset for valorization, the following question arises: what revolution should teacher-researches make on social networks so that they become irreproachable tools for valorizing their achievements?

The answer to this question lies in the motivation that teacher-researchers have to use digital social networks. Indeed, through a quantitative approache to the data collected in relation to uses of teacher-researchers on social networks at the UFR CMS of Alassane Ouattara University, our study revealed a penchant for « developpement of social ties », and often for « mobilization » (C. Guillot and S. B. Bouzaglo, 202, p. 164), rather than for valorization.

Keywords: Communication, Development, Scientific research, Digital social networks, Valorization.

Introduction

« Les réseaux sociaux numériques, ce ne sont pas pour les enseignants-chercheurs et chercheurs », déclamait un éminent universitaire ivoirien. En effet, les Enseignants-chercheurs considèrent que les réseaux sociaux numériques ne sont pas appropriés pour la valorisation des résultats de leurs recherches.  Ils mettent en avant leur caractère de divertissement et d’espace ouvert à toutes sortes de communication. Cette perception des enseignants-chercheurs est liée à deux fonctions fondamentales des réseaux sociaux numériques : la discussion et le partage des photos et vidéos, relevant du premier champ d’action des RSN ; le social community. Ce champ englobe les réseaux sociaux axés sur les relations, les activités de partagent et de divertissement et les discussions (Tracy, Tuten, 2017).

Les enseignants-chercheurs estiment que ce moyen de communication qui se développe à grande échelle ne peut pas être un canal adéquat pour l’image de la recherche scientifique. Autrement dit, les scientifiques craignent que les réseaux sociaux fassent sortir du secret, les résultats de leur recherche chèrement acquis en leur faisant perdre leur valeur opératoire. En outre, au-delà de cette impression négative, les réseaux sociaux numériques se présentent comme de puissants moyens de valorisation à la disposition des scientifiques. En effet, dans ses fonctions de social publishing, les RSN permettent l’édition, la diffusion et l’hébergement de contenu à caractère scientifique.

Les internautes ne sont pas les seuls à profiter des RSN. Les auteurs de contenus professionnels (journaliste), les agences des médias traditionnels (presse) et les marques rédigent du contenu pour les sites de social publishing qui le publient ensuite (Tracy, Tuten, 2017, p. 14).

Le social publishing, deuxième champ d’action des RSN, utilise des canaux tels que les blogs. Le contenu peut être publié sous différents formats : articles de blog, communiqués de presse, livres blancs, études de cas, newsletters, webinaires et présentations et podcasts. Ces instruments peuvent servir de moyens efficaces dans la valorisation des résultats scientifiques des enseignants-chercheurs. Dès lors l’on pourrait se demander :

Comment amener les enseignants-chercheurs à utiliser efficacement les RSN dans la valorisation des acquis de la recherche scientifique ? Pourquoi, en dépit des aspects positifs des RSN, les enseignants-chercheurs rechignent-ils à en faire un moyen de promotion et de valorisation de leurs recherches ? Quels sont les canaux des RSN appropriés à la valorisation de la recherche ? Afin de répondre à ces interrogations, trois hypothèses sont formulées :

  • Une connaissance accrue des différents champs d’action des RSN peut amener les enseignants-chercheurs à faire de cet espace public, un moyen privilégié de promotion et de valorisation de leurs recherches.
  • Les enseignants-chercheurs ont une perception négative des RSN.
  • Les enseignants-chercheurs ignorent les canaux des RSN appropriés à la valorisation de la recherche.

Trois objectifs orientent notre analyse :

  • Informer les enseignants-chercheurs sur les capacités des RSN à promouvoir et valoriser la recherche.
  • Comprendre les motivations des enseignants-chercheurs à récuser les RSN comme moyen de valorisation et de promotion de la recherche.
  • Montrer que les RSN numériques peuvent constituer de puissants moyens de promotion et de valorisation de la recherche à partir de ses canaux appropriés.

Pour comprendre la motivation des scientifiques de l’Université Alassane Ouattara à récuser l’usage des RSN pour la valorisation des résultats de leurs recherches, nous nous sommes adressés aux enseignants-chercheurs de l’Unité de Formation et de Recherche (UFR) Communication Milieu et Société (CMS) de l’Université Alassane Ouattara. Installée au campus 2, l’UFR CMS est la plus grande des UFR de cette université. Elle compte 9 départements avec une population de 550 enseignants-chercheurs.

Pour atteindre nos objectifs, nous avons convoqués deux théories : la théorie de l’agenda-setting et la théorie des usages et des gratifications. La théorie de l’agenda-setting suggère que les médias, y compris les médias sociaux numériques, ont le pouvoir de définir l’ordre du jour public en mettant en avant certains sujets (Maxwell McCombs et Donald Shaw, 1972). Les enseignants-chercheurs peuvent faire des acquis de leur recherche des sujets à la une de leurs interventions sur les RSN en utilisant les canaux adéquats ou en créant des buzz autour des résultats de leurs études.

La théorie des usages et des gratifications présente deux hypothèses principales sur les utilisateurs des médias (Katz, Blumler, Gurevitch, 1974). Premièrement, les utilisateurs de médias sont “actifs” dans le choix des médias qu’ils consomment et utilisent. De ce point de vue, les gens n’utilisent pas passivement les médias, mais choisissent activement les médias à utiliser en fonction de leurs propres motivations. Deuxièmement, les gens comprennent les raisons qui les ont poussés à choisir différents médias et font leurs choix en fonction de leur « motivation personnelle » perçue pour les aider à répondre à leurs besoins spécifiques (E. Katz, P. Lazarsfeld, 2008). Cette théorie nous permet de comprendre la motivation des enseignants-chercheurs à utiliser ou non les RSN.

1. Méthodologie

Les hésitations à faire un usage scientifique des réseaux sociaux à des fins de valorisation par les enseignants-chercheurs et la résignation qui en découle constituent les éléments que nous cherchons à démontrer dans l’usage global des réseaux sociaux.  Pour y arriver, il nous faut, en effet, connaitre le niveau de présence des enseignants –chercheurs sur les différents réseaux sociaux afin de cerner le niveau d’usage. Et pour quel motif ? La réponse à cette question, impose de chiffrer les acteurs de la sphère scientifique qui, dans une optique de valorisation postent leurs productions scientifiques, ou encore font remarquer à travers les codes sémiotiques et linguistiques les trouvailles qui leurs sont propres.

Pour collecter les données sur leurs usages des réseaux sociaux plusieurs choix d’outils s’offraient à nous pour ressembler comme le disaient Bonneville, Grosjean, Lagacé (2007, p. 90) « le matériel empirique sur lequel se fonde notre analyse et les résultats de recherche ». Ne disposant pas du code d’accès aux comptes des potentiels utilisateurs, les données recherchées ne peuvent être obtenues qu’à partir d’un questionnaire. Ce matériel, selon Bonneville, Grosjean et Lagacé (2007) est nécessaire pour la collecte des données de type primaire comme les nôtres, dans les enquêtes de terrain.

Le mode d’administration du questionnaire, s’assimile à ce que l’on appelle, le mode direct. En fait, nous avons rencontré les enseignants chercheurs de l’UFR CMS (Unité de formation et de recherche–Communication milieu et société) regroupés au sein du campus II de l’université Alassane Ouattara. La rencontre s’est faite de manière individuelle, dans différents lieux, allant de la salle des professeurs, aux bureaux, en passant par les amphithéâtres et les salles de Travaux dirigés. L’UFR CMS compte 9 départements avec une population de 550 enseignants-chercheurs. Notre méthode d’échantillonnage a consisté a affecté un quota de 10% à l’effectif de chaque département afin d’avoir un échantillon représentatif.

Nous avons ainsi, pour une population mère de 550 enseignants-chercheurs un échantillon de 55 enquêtés répartis dans le tableau qui suit.

DépartementsEffectifEffectif enquêté sur la base de 10% par département
1Lettres Modernes11512
2Sciences du Langage et de la Communication505
3Géographie606
4Histoire556
5Anglais506
6Allemand303
7Espagnol404
8Philosophie859
9Sociologie657
 TOTAL55055

2. Assises théoriques

Dans le but de cerner les rapports des enseignants-chercheurs et chercheurs avec les réseaux sociaux, dans le cadre de la valorisation de leurs acquis et d’eux-mêmes en tant que chercheurs, entravant leur entéléchie comme le recommandait le philosophe Carl Gustav Hempel, il faut recourir à des théories (A. Mucchieli, 2006). Pour la compréhension de cette recherche, deux théories se sont imposées : il s’agit de la théorie des usages et gratifications des réseaux sociaux et la théorie de l’agenda-setting.

2.1. La théorie des usages et gratifications des réseaux sociaux

Selon Chao (2009) cité par T. Dany (2012, p. 32) la théorie des usages et gratifications est la théorie de choix pour étudier les médias sociaux. Cette théorie est centrée sur l’utilisateur. D’après T. Dany (2012, p. 32), ce sont les motivations liées à l’utilisation d’internet qui sont à l’origine, de cet intérêt grandissant des chercheurs depuis de nombreuses années. Cette fonction s’est élargie avec Katz, Blunder, et Gurevitch (1973), puis Rubin (2009)et T. Dany (2012, p. 30). Pour eux, la théorie des usages et gratifications a été utilisée pour étudier les médias émergents dans le but d’identifier les comportements liés à l’utilisation de ceux-ci et les motivations qui leurs sont rattachées.

Il ressort de leurs propos que toutes les études sur les composantes des réseaux sociaux, à savoir Facebook, WhatsApp, Instagram, LinkedIn, …, impliquent nécessairement la théorie des usages et gratifications des réseaux sociaux. Se référant à notre étude, cette théorie révèle la logique de présence des enseignants chercheurs sur les réseaux sociaux et les motivations sous-jacentes à cette présence. Autrement dit, elle nous permet de comprendre, dans une perspective de valorisation l’exclusion scientifique des usages des réseaux.

Cet exercice vise à comprendre pourquoi les enseignants-chercheurs ne valorisent pas leurs productions via les réseaux sociaux en dépit de leur présence quotidienne sur la toile. McQail , Blunder et Brown (1972) ont élaboré une grille de réflexion répartie en quatre catégories : la première appelée la surveillance (recherche d’informations, partage d’informations, apprendre), la deuxième, la distraction/divertissement (passer le temps, relaxation, contrôle des émotions), la troisième catégorie, l’identification personnelle (pour être à la mode, expression de soi) et la dernière catégorie, les relations sociales (interaction sociale, communication, affection, et socialisation). Mais selon Wang, Tchernev et Solloway (2012), les usages des médias sociaux sont dominés par les besoins émotifs et cognitifs mais ils ne comblent pas les besoins sociaux. Selon eux, l’usage des réseaux sociaux donne le sentiment de satisfaire certains besoins sociaux, sans en disposer les moyens. En s’attachant à cette révélation, nous pouvons justifier dans notre étude, pourquoi les enseignants chercheurs se gardent de faire des réseaux sociaux, des outils de valorisation des résultats leurs recherches. On pourrait, dès lors, se poser la question suivante : dans un élan de valorisation des productions scientifiques comment peut-on profiter des réseaux sociaux ? C’est à cette question que va tenter de répondre la deuxième théorie.

2.2. La théorie de l’Agenda-setting

La théorie dit de l’agenda-setting élaboré par M. McComps et D. Shaw (1972)

s’inscrit également dans le champ de recherche sur les   usages des médias en général et les satisfactions quelles apportent au  public (G. Willet, 1992, p. 476) en particulier des médias sociaux. Clairement, il s’intéresse davantage à l’impact des médias sur les perceptions des gens. T. Dany (2012, p. 22)

Visant à appréhender les effets sur la perception et la prise de conscience du public à travers les médias, ces auteurs sont parvenus à démontrer que les médias sociaux peuvent avoir une grande influence sur ce que les gens pensent en priorité (G. Willett, 1992). Sous cet angle, cette théorie présente les réseaux sociaux comme des instruments pouvant servir à la valorisation des acquis de la recherche par le façonnage.

G. willet (1992, p. 470) affirme à ce propos :

Née des suites d’une enquête auprès des électeurs de Chapel Hill en   Caroline du Nord, lors des élections présidentielles américaines de 1968, les auteurs de l’agenda-setting attribuaient à la théorie, la capacité de provoquer des changements cognitifs chez les individus sur les réseaux sociaux, en déterminant des priorités sociales.

 Ce changement de comportement ne peut s’opérer que si les médias choisissent ce qui est important pour les usagers, agissant ainsi comme des getekeepers (Charon, 1995, p. 73), c’est-à-dire, des gardiens. Les médias ont un effet sur l’importance que doit accorder le public à un problème ou à un évènement selon l’accent qu’ils mettent sur la nouvelle. Appliquer à notre étude, cette théorie indique que les enseignants chercheurs et chercheurs ont la capacité d’orienter et de conditionner l’opinion des internautes en faisant des résultats de leur recherche l’objet de leur présence sur les réseaux sociaux, tout comme les usages sociaux, économiques, et politiques qui ont cours.

Pour l’application du modèle de l’agenda-setting, trois (03) étapes sont à affranchir :

la première est l’agenda des médias. L’agenda des médias représente les enjeux qui seront traités selon les priorités des médias, la deuxième est l’agenda public. Celle-ci représente les enjeux qui sont importants pour le public. La troisième est l’agenda des politiques dans lequel on retrouve les enjeux importants en matière de politique. (Charon, 1995, p. 73).

Nous avons retenu la première et la deuxième étape combinées dans notre étude pour la valorisation des acquis de la recherche sur les réseaux sociaux.  Le processus consistera à faire coïncider l’agenda des médias sociaux (les thèmes de valorisation scientifique abordés par les médias sociaux et l’importance qu’ils leur accordent) avec l’agenda du public (les problèmes, les plus importants auxquels la société fait face que la science peut résoudre) « pour tenter de dégager une relation de causalité entre les deux » (Charon, 1995, p. 73).

3. Résultats

3.1. Présence des enseignants-chercheurs de l’UFR CMS sur les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux n’incarnent plus uniquement la voix des oubliés, des opprimés comme établie par les chercheurs qui s’y sont intéressés dès son apparition d’après C. Guillot et S. B. Bouzaglo (2021, p. 164). Les enseignants-chercheurs dont la mission dans ce domaine, consistait à étudier les comportements sur les réseaux sociaux (les fakes-news), son impact sur la vie sociale, les motivations d’usages, ont fini par se retrouver eux-mêmes usagers des réseaux sociaux. Leur présence en témoigne, et leurs pratiques sur ces réseaux commencent à devenir importantes, en raison des enjeux liés à la valorisation de leurs résultats de recherche.

Dès lors, il s’agit d’évaluer le niveau de présence des enseignants-chercheurs pour ainsi apprécier la nécessité pour eux d’y être ou pas. Ce que nous cherchons à établir, c’est la nécessité pour les enseignants- chercheurs d’être connectés, peu importe le réseau social.

Figure 1 : Taux de présence sur les réseaux sociaux des enseignants-chercheurs de l’UFR CMS de l’Université Alassane Ouattara

Source : Notre enquête

Aucun enseignant-chercheur ne vit en marge des réseaux sociaux d’après la lecture du diagramme. Ils sont tous connectés, montrant qu’ils comprennent l’importance des réseaux sociaux dans la vie sociale, publique et même plus. Ce taux de 100% de présence, symbolise, selon J. Couvrand, K. Benamer et E. Candel cité par C. Guillot et S B. Bouzaglo (2021, p. 164), la « peur de ne pas exister ». Autrement dit, ne pas être sur les réseaux, c’est être déconnecté des réalités sociales, des échos au plan national et international, nécessaires à notre existence. Ce résultat réaffirme une fois encore l’incontournabilité des réseaux sociaux, leur usage par tous les acteurs de la société.

3.2. Le ou les réseau (x) Social (aux) usité(s) par les enseignants-chercheurs et chercheurs de l’UFR CMS de l’université Alassane Ouattara

Le réseau social numérique, sous-catégorie de média social est défini, comme un service qui s’appuie sur une infrastructure informatique permettant à un individu d’accomplir au minimum trois actions fondamentales : créer un profil, gérer une liste de contacts, naviguer parmi les amis de nos amis, selon V. Dudot et C. Perez, (2020, p. 59). Sous cette définition, plusieurs réseaux sociaux ou médias sociaux dits de réseautage sont apparus et s’enchainent depuis 1997, date de la création du premier réseau social ‘’six Degrés’’ (V. Dudot et C. Perez, 2020, p. 59). 

Si les réseaux sociaux sont composés de plusieurs plateformes, il importe de connaitre les plus usitées. La recherche étant focalisée sur cet aspect, le deuxième diagramme, ci-après, en présente les tendances.

Figure 2 : Les réseaux sociaux exploitées par les enseignants chercheurs de l’UFR CMS de l’Université Alassane Ouattara

Source : Notre enquête.

À l’UFR CMS, les réseaux sociaux incontournables sont Facebook et Whatsapp 33% chacun, occupant le même rang, suivis par Youtube 14% et LinkedIn 9%. Le réseau social le moins utilisé est Instagram. Les deux premiers réseaux sociaux sont au cœur des différentes pratiques sociales, économiques et politiques.

3.3. Les usages des enseignants-chercheurs de l’UFR CMS de l’Université Alassane Ouattara sur les réseaux sociaux

Les Enseignants-chercheurs et chercheurs sur les réseaux sociaux, principalement sur Facebook et WhatsApp mènent des activités classables à plusieurs niveaux : Un histogramme groupé, appelé aussi diagramme à barres, permet de voir dans quel ordre leurs efforts sont concentrés et à quelle proportion.

Figure 3 : Les usages des enseignants-chercheurs de l’UFR CMS sur les RSN

Source : Notre enquête.

Le recours des enseignants-chercheurs aux réseaux sociaux repose quasiment sur le même intérêt que les autres acteurs sociaux, en ce sens que la publication de leurs travaux de recherche marquant leur démarcation aux usages des autres acteurs s’en trouve elle-même occupée une faible place, à savoir 8%. L’expertise qui, également atteste bénéficier d’un savoir-faire scientifique est marginalisée dans les pratiques des enseignants chercheurs. Il en ressort que les enseignants chercheurs utilisent les réseaux sociaux mais pas pour un objectif de valorisation. Ces résultats montrent, à suffisance, que les enseignants-chercheurs méconnaissent l’existence, sur les RSN, des canaux pouvant valoriser la recherche scientifique : articles de blog, études de cas, newsletters, webinaires et présentations et podcasts. Ces instruments sont de l’ordre des moyens adéquats dans la valorisation des résultats scientifiques des enseignants-chercheurs.

3.4. Reconnaissance du statut de chercheur sur les réseaux sociaux

En dehors du faible usage des réseaux sociaux, sous l’angle de la valorisation, il est important d’interroger les enseignants-chercheurs et chercheurs sur leurs postures exactes dans l’utilisation des réseaux sociaux. Le diagramme ci-dessous en donne les tendances.

Figure 4 : Le sentiment d’être connu comme chercheur sur les RSN

Source : Notre enquête.

Le chercheur est reconnaissable sur les réseaux sociaux par ses travaux scientifiques s’inscrivant dans un axe de spécificité, confirmant son expertise. En le faisant savoir sur les réseaux sociaux à travers ses publications, il se valorise ainsi que ses travaux. Interrogé sur la question, 65 % estiment ne pas pouvoir satisfaire à cette exigence.

4. Discussion

4.1. Contexte d’incontournabilité des réseaux sociaux

D’après P. Escande Gauquié et B. Naivin (2019, p. 38), nous vivons une période particulière où les réseaux sociaux sont inévitables pour les personnes ainsi que les marques, et cela dans toutes les sociétés.

Apparus autour des années 2000 (P. Escande Gauquié et B. Naivin, 2019, p. 159), il a été découvert très tôt aux réseaux sociaux des moyens de combattre l’individualisme exacerbé, généré par la civilisation occidentale. En effet, les réseaux sociaux sont habilités à rapprocher les individus à travers les liens sociaux, les moyens qu’ils offrent pour s’informer dans l’instantanéité, pour se divertir et pour s’affranchir. Parmi les principaux moyens de communication des médias sociaux, on trouve le social communities, le social publushing, le social entertainment et le social commerce (Tracy Tuten, 2017). Tous ont en commun la création de liens, la communication et le partage entre les internautes connectés, tout en s’articulant autour d’objectifs distincts. Cependant, à la différence des autres champs, le social publishing est dédié à la publication des opinions, analyses et autres réflexions. Il se présente, comme un atout majeur pour la valorisation de la recherche scientifique à travers des blogs personnels et des newsletters.

En outre, les communautés sont axées sur les relations, les publications sur le partage et la communication. Les activités de divertissement s’articulent autour de la détente et du partage sur les médias sociaux, le commerce autour des activités liées au shopping proposées par les applications participatives. Autrement dit, les réseaux sociaux ont réussi à créer des communautés qui interagissent pour discuter et accorder leurs points de vue sur les situations d’intérêts communs. C’est ce que Amselle appelait le branchement (P. Escande Gauquié et B.Naivin, 2019, p. 41). C’est cette chaîne de communication qui fonde le peuplement des réseaux sociaux et la force qu’ils représentent pour influencer les comportements et établir un nouvel ordre dans les divers niveaux de la société.

Au regard de toutes les aptitudes tendant à humaniser, à socialiser et à intégrer les hommes, C. Guillot et S. B. Bouzaglo (2021, p. 165) ont révélé que « ne pas être sur les réseaux sociaux, c’est comme ne pas exister ou exister moins, en refusant de faire partir pleinement de la société dans sa récriture en ligne ». Quant aux marques, J. Couvrant et K. Benamer et E. Candel informent qu’il leur est imposé d’être présentes sur les réseaux sociaux (C. Guillot et S. B. Bouzaglo 2021, p. 165), en raison de leur communication en direction du grand public et aussi, celle orientée vers le B2B (business to business). Selon ces auteurs, la logique de présence des marques dans ces lieux réputés « incontournables pour les stratégies de communication vient d’une bonne part du fait, précisément qu’ils se sont présentés comme des réseaux et comme des réseaux spécifiquement sociaux : des lieux ou rejouer la société ou inscrire ses goûts et prédilections (par le like), notamment, ses affinités et ses communications (par le « partage » et par le « commentaire »), entre autres (C. Guillot et S B. Bouzaglo 2021, p. 165).

En tout état de cause, les réseaux sociaux se sont donc présentés aux marques comme une alternative pertinente aux stratégies publicitaires classiques couteuses autour desquelles les potentiels clients étaient souvent indélicatement convaincus. C’est justement d’ailleurs, pour cette raison que les organisations investissent mondialement des sommes colossales pour gagner en visibilité sur les réseaux sociaux et modifier le comportement du large public qu’abritent ces réseaux (C. Guillot et S. B. Bouzaglo, 2021, p. 129).

En effet, aujourd’hui 84 % des marques sont sur les réseaux sociaux et estiment que leur compétitivité en dépend et 91%, y sont pour développer leur notoriété (C. Guillot et S. B. Bouzaglo 2021, p. 166).

En somme, les réseaux sociaux permettent aux marques de générer des ventes en transformant les simples abonnées/visiteurs en clients, en recréant des liens entre les différents canaux online-online (site internet et réseaux sociaux) et online –offline (réseaux sociaux et stores physiques (C. Guillot et S. B. Bouzaglo 2021, p. 168). À ce titre, ils ne se distinguent pas des outils de valorisation comme la télévision, la radio, la presse écrite, et même plus en ce sens que d’après Julien Couvrant et Karima Benamer et Etienne Candel, ses « services relèvent d’une mécanique publicitaire tout à fait classique, perfectionnée et sophistiquée par le traitement algorithmique des données et du profilage », (C. Guillot et S. B. Bouzaglo, 2021, p. 166).

Cependant, leur usage est décrié pour l’exploitation des secrets (C. Guillot et S. B. Bouzaglo 2021, p. 166) et les scientifiques se sentent concernés. Leur conception a naturellement des répercussions sur l’usage des réseaux sociaux comme moyens de valorisation des résultats scientifiques.

4.2. La crise des outils de valorisation

Les canaux classiques de valorisation (les revues scientifiques, les colloques, les conférences, les ateliers, les fiches techniques, les PAD (Prêt à diffuser), les contacts directs, la télévision, la radio, la presse écrite …) font face à une crise d’ordre opérationnel depuis l’imposition des réseaux sociaux. Il est reproché à ces canaux de demeurer une modalité de valorisation excluant une démarche stratégique pouvant toucher directement la cible, les consommateurs directs comme les réseaux sociaux le font par la création d’une communauté virtuelle dans laquelle par exemple se retrouverait les utilisateurs des productions scientifiques. 

En sus, les outils connus de la valorisation qui en assurent sa vitalité, telles que les revues scientifiques sont souvent inefficaces face au grand public et au regard des caractéristiques intrinsèques de l’outil en lui-même. Il se pose donc une crise des outils pertinents de valorisation. Or, la Côte d’Ivoire ambitionne faire de la valorisation des résultats de la recherche des enseignants-chercheurs et chercheurs une obligation à travers sa politique de contrat de performance (Projet de loi de l’enseignement supérieur, 2020). Exclure des moyens comme les réseaux sociaux, devient inopportun.

Les réseaux sociaux se sont imposés aujourd’hui à tous, au point où les enseignants chercheurs qui ont décrié, hier, les problématiques d’ordres socio-psychologiques (C. Guillot et S. B. Bouzaglo, 2021, p. 165), qui leur sont liées, figurent subitement parmi les principaux utilisateurs. Cette entrée dans les rangs des enseignants chercheurs et chercheurs confirme l’indispensabilité des réseaux sociaux de nos jours tels qu’annoncés par les différents chercheurs travaillant sur ce phénomène. Il s’agit principalement de V. Dudot et C. Perez (2020, p. 59), C. Guillot et S. B. Bouzaglo (2021, p. 164) et de P. Escandé Gauquié et B.Naivin (2019, p. 39). En effet, ces chercheurs, pour rendre explicite la logique de présence des enseignants chercheurs sur les réseaux sociaux, se sont penchés sur la théorie des usages et gratifications en s’appropriant la grille de motivation élaborée par McQail, Blunder et Brown (1972) cité par T. Dany (2012, p. 32).

Selon cette grille l’enseignant-chercheur ou le chercheur ne pouvait rester aucunement loin des réseaux sociaux surtout de Facebook et WhatsApp pour quatre raisons principales :  la première porte sur « la surveillance » comprenant la recherche d’informations, le partage d’informations, et l’apprentissage. Sa fonction de chercheur l’y oblige.

Ensuite, la deuxième raison est la distraction/ divertissement, entendue comme le fait de passer le temps, de se relaxer, de contrôler ses émotions. La troisième, renvoie à l’identification personnelle, c’est-à-dire « être à la mode », « l’expression de soi ». Et la dernière raison, est relative aux relations sociales correspondant à l’interaction sociale, à la communication, à l’affection et à la socialisation. Ces besoins psychologiques et sociologiques sont sources de tensions lorsqu’ils ne sont pas satisfaits.

À l’analyse, ces quatre catégories n’impliquent pas de manière formelle les pratiques de valorisation des résultats de recherche. C’est justement pour cette raison que les réseaux sociaux, dans la sphère scientifique font l’objet d’hésitation comme biais d’accès aux productions scientifiques. Notre étude montre, contrairement à celle de ses prédécesseurs, notamment celle de C. Guillot et S B. Bouzaglo (2021, p. 164), que si les réseaux sociaux ont intégré le champ social, le champ économique, le champ politique, ils buttent pour l’instant sur le champ scientifique. En plus, nous arguons que les enseignants-chercheurs et chercheurs aussi, savent sans doute, que les réseaux sociaux ne sont pas suffisamment gratifiants quant à l’activité de valorisation comme ils le sont pour la satisfaction des besoins sociaux (Wang, Tchernev et Solloway (Dany, 2012, p. 33).

Nonobstant cette rétractation, les réseaux sociaux demeurent selon P. Escandé Gauquié et B. Naivin, (2019, p. 159) des espaces privilégiés de gestion, de démonstration, de commercialisation et de valorisation des savoir-faire et de leurs auteurs, peu importe la corporation ou l’activité. Il s’agit d’une réadaptation des réseaux sociaux au plan fonctionnel, afin d’en faire des leviers stratégiques de valorisation des productions scientifiques. Pour opérer cette révolution, la théorie de l’agenda-setting, est indispensable.

En effet, selon les auteurs de cette théorie, M. McComps et D. Shaw (1972) cité par T. Dany (2012, p. 22), les réseaux sociaux peuvent avoir un impact sur les productions scientifiques des enseignants-chercheurs et chercheurs. Ils recommandent, alors, aux enseignants-chercheurs et chercheurs de répondre aux attentes du public dans le cadre de la valorisation des productions scientifiques. À ce niveau, il s’agit de s’approprier « l’agenda public », « l’agenda des réseaux sociaux », c’est-à-dire de faire des résultats de la recherche scientifique des sujets abordés sur des comptes Facebook ou WhatsApp. En effet, cela reviendrait à créer des pages spécifiques, Facebook et WhatsApp à cette tâche. La configuration technique des réseaux sociaux aujourd’hui le permet. V. Dudot et C. Perez, (2020, p. 59) ont précisé cette maniabilité qu’offrait les réseaux sociaux aux utilisateurs en ces termes : « les réseaux sociaux numériques possèdent désormais des systèmes (..) qui permettent de proposer à l’utilisateur des profils susceptibles de l’intéresser. Ce type de système est le plus souvent élaboré sur la base de contacts existants et / ou des références indiquées par l’utilisateur ». Sur cette base les réseaux sociaux peuvent être utilisés à des fins de valorisation scientifique.

Conclusion

Les référentiels scientifiques dans les réseaux sociaux, comme leviers de stratégie de valorisation des productions scientifiques en sont occasionnellement présents ou détachés de leur contexte de valorisation. Ils créent ainsi une confusion sur la présence au titre d’enseignant-chercheur ou chercheur sur les différents réseaux composant les réseaux sociaux numérique. À l’origine de ce comportement, les perceptions sur les réseaux sociaux, légitimées par la grille d’usage de McQail, Blunder et Brown (1972, in T. Dany, 2012, p. 32), excluant de manière formelle la valorisation scientifique.

Or personne n’ignore que « nos coups de cœurs sur Facebook et nos coups de gueule sur Twitter, notre pédigrée professionnel sur LinkedIn et artistique sur Instagram, jusqu’à Snapchat qui nous permet de nous grimer en personnage de fiction (…) », d’après P. Escandé Gauquié et B.Naivin (2019, p. 159), sont suivis par le plus grand nombre d’abonnés. Cette motivation peut être utilisée par les enseignants-chercheurs dans le cadre de la valorisation de la recherche à travers l’usage de canaux appropriés sur les RSN.

Sinon, il s’agit de réorienter l’objet de l‘usage des réseaux sociaux numérique tels que Facebook, WhatsApp comme l’impose la théorie de l’agenda-setting et la théorie de l’usage et des gratifications afin de promouvoir et valoriser les acquis de la recherche. À ce niveau, la taille de la communauté à laquelle appartiennent les enseignants-chercheurs, le nombre de publications, d’interactions à travers les « likes », « les partages » et le « nombre de vus » deviennent des indicateurs importants de la promotion et de la valorisation de la recherche (C. Guillot et S. B. Bouzaglo, 2021, p. 177).

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LES RÉSEAUX SOCIAUX : UNE FORME DE « PACHACUTI » ANDIN OU RÉVOLUTION ARGUÉDIENNE ?

Doforo Emmanuel SORO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

manuadress@gmail.com

Résumé :

Depuis plus de deux décennies, les réseaux sociaux numériques ont pris racine dans nos quotidiens et ont complètement révolutionné nos manières de communiquer et nos rapports avec les autres. Ils ont rendu obsolètes les anciennes pratiques d’envoi de mails, de cartes postales ou des faire-part d’un bout à l’autre de l’Afrique pour annoncer des événements. Ils ont aussi réduit les distances en rapprochant davantage les internautes et leur octroient même une liberté de s’exprimer virtuellement. Ces grands changements laissent entrevoir clairement le « Pachacuti » andin ou la révolution arguédienne. Mais, malheureusement, les réseaux sociaux les plus populaires comme Facebook, TikTok, YouTube, etc. sont sources de plusieurs maux favorisant la rupture des liens sociaux. Cela leur confère aussi un côté négatif qui s’oppose au grand projet d’Arguedas. Notre article vise à montrer que les réseaux sociaux sont une forme de révolution arguédienne en dépit de leur mauvais usage par certains utilisateurs.

Mots clés : Arguedas, Cohésion, Culture, Réseaux sociaux, Révolution, Valeurs morales.

Abstract:

For more than two decades, digital social networks have taken root in our daily lives and completely revolutionized our ways of communicating and our relationships with others. They have made obsolete the old practices of sending emails, postcards or announcements across Africa to announce events. They have also reduced distances by bringing people closer together and even giving them freedom to express themselves virtually. These great changes give a clear glimpse of the Andean «Pachacuti» or the Arguedas’ revolution. But, unfortunately, the most popular social networks like Facebook, TikTok, YouTube, etc. are source of several evils favoring the rupture of social ties. This also gives them a negative side that opposes the great project of Arguedas. Our article aims to show that social networks are a form of arguedas’ revolution despite their misuse by some users.

Keywords :Arguedas, Cohesion, Culture, Social networks, Revolution, Moral values.

Introduction

L’expression « Pachacuti » andin ou révolution arguédienne fait penser à la culture ancestrale des Incas et à l’écrivain néo-indigéniste José María Arguedas (1911-1969). Il s’agit d’un bouleversement socioculturel qui en même temps qu’il détruit un monde avec ses anciens codes crée un autre. Il a élaboré son projet qui a pour but de restaurer l’image des Indiens et la frange de population marginalisée du Pérou. Il s’est battu corps et âme pour tenter d’y parvenir. Ce grand anthropologue, sociologue et idéologue a mis en avant un métissage interculturel, fondé, d’abord, sur la culture quechua, puis, sur la culture espagnole.

Le projet arguédien a une portée tant nationale qu’internationale dans la mesure où tous les pays du monde veulent être le maître de leur destin ; ils aspirent aussi à une paix durable et veulent bâtir de véritables nations ayant pour fondement les valeurs cardinales que sont l’amour du prochain, l’équité et la justice. Nul doute que l’avènement des réseaux sociaux tels que Facebook, TikTok, Twitter, Whatsapp, Instagram, etc. qui font partie intégrante de la révolution numérique du XXIe siècle peuvent y contribuer. À l’origine, ils ont été conçus pour renforcer les liens sociaux. Cela s’inscrit bel et bien dans le prolongement de la vision de construction identitaire d’Arguedas.

Mais, les réseaux sociaux peuvent-ils être qualifiés de « Pachacuti » andin ou de révolution arguédienne ? Nous permettent-ils réellement de nous ouvrir aux autres et de nous relier au monde comme l’entendait Arguedas ? Favorisent-ils vraiment les échanges en renforçant la cohésion sociale ? Les réseaux sociaux ne nous rendent-ils pas asociaux ? Si oui, que nous proposerait Arguedas pour résoudre cela s’il était encore en vie ?

A priori, tous les réseaux sociaux sont une forme de révolution arguédienne dans la mesure où nous sommes à l’ère du numérique ou de la quatrième révolution. Ils semblent renforcer aisément et réellement les liens interpersonnels, favoriser les échanges censés renforcer la cohésion sociale ; ils semblent aussi nous permettre de nous ouvrir aux autres. Et, ils ne sauraient nous rendre asociaux si nous en faisons bon usage.

Comme nous pouvons le constater, chacune des hypothèses formulées ci-dessus s’inscrit bien dans le cadre de notre problématique. L’hypothèse peut être définie comme une proposition de réponse, le point de départ d’une réflexion logique, une réponse anticipée que le chercheur formule à sa question spécifique de recherche. Elle peut s’étendre aussi aux questions secondaires. G. Mace et F. Pétry définissent l’hypothèse comme « un énoncé déclaratif précisant une relation anticipée et plausible entre des phénomènes observés ou imaginés » (G. Mace et F. Pétry, 2017, p. 35).

Pour tenter de répondre à toutes ces questions, nous allons utiliser la Méthode analytique de P. N’DA. Dans son ouvrage méthodologique dédié aux méthodes de recherche, il définit clairement cette approche comme :

Une méthode qui suit l’effort de définition et de délimitation correcte des concepts, consiste, comme l’indique le mot grec « analusis », décomposer, démembrer, à détacher et à séparer les éléments du sujet, à décomposer un texte, une œuvre en ses différentes composantes constitutives afin de saisir les rapports qui les lient pour avoir une compréhension globale de l’ensemble. Cela signifie que la démarche analytique attache beaucoup plus d’intérêt et de prix aux éléments, aux parties qui forment l’ensemble (P. N’Da, 2016, p. 24).

L’objectif de notre article c’est de montrer que les principaux réseaux sociaux sont une forme de révolution arguédienne en dépit de leur mauvais usage par certains utilisateurs. Si pour certains, ces outils technologiques sont semblables à un couteau à double tranchants ou une menace pour l’Afrique et toute l’humanité, il n’en demeure pas moins que l’on a besoin d’eux à l’ère de la mondialisation.

Notre travail s’articulera autour de trois grands axes. En premier lieu, nous procéderons à des « Définitions terminologiques ».  Il sera question, précisément, de voir ce que c’est qu’un « Pachacuti » andin ou arguédien, un réseau, un réseau social, un web, et internet. Deuxièmement, nous présenterons « Les réseaux sociaux comme un pachacuti arguédien ». Nous mettrons l’accent, à ce niveau de l’analyse, sur les caractéristiques permettant d’affirmer que les réseaux sociaux sont une forme de révolution arguédienne. Enfin, dans la troisième étape intitulée « Les réseaux sociaux comme contre-révolution arguédienne », nous verrons les travers des réseaux sociaux numériques.

1. Définitions terminologiques

Dans cette première partie nous verrons ce que c’est que le « Pachacuti » andin et la place qu’il occupe dans la narration arguédienne; également nous définirons les concepts de réseau, réseaux sociaux, web et internet qui sont souvent l’objet d’amalgame.

1.1. Le concept de « pachacuti » arguédien

Le « Pachacuti » arguédien est une révolution, un changement, un bouleversement socio-cosmique qui, en même temps qu’il détruit l’ancien monde, crée un autre avec de nouveaux protocoles entendus comme un ensemble de règles et usages à respecter dans la vie en société. En effet, pour Arguedas, le nouveau monde se doit d’être fondé, d’abord, sur la culture indienne, ensuite, sur la culture espagnole car la première a de nombreuses vertus qui peuvent être très utiles à la création d’une véritable nation péruvienne. Parmi les vertus de la culture indigène, nous avons les valeurs telles que la solidarité, l’amour, la justice, le respect de l’autre et de la Nature.

Le « Pachacuti » andin occupe une place très importante dans la narration arguedienne. Cette technique littéraire est présente dans presque tous les romans d’Arguedas, à savoir « Los ríos profundos », « Diamantes y perdernales », « El sexto », « Todas las sangres » et « El zorro de arriba y el zorro de abajo ». Il s’entrevoit à travers le phénomène de « transculturation », de complémentarité ou de métissage réussi (J. M. Arguedas, 2012).

L’idée principale qui sous-tend le projet arguédien est que, les Indiens du Pérou et ailleurs, en Amérique latine, sont capables de prendre eux-mêmes leur destin en main. Son désir ardent en élaborant son ambitieux projet, c’est bel et bien, de restaurer l’image bafouée de l’Indien quechua depuis des siècles. Pour Arguedas, seule la réalisation d’un « Pachacuti » dans tout le Pérou et toute l’Amérique latine peut permettre à l’Indien de retrouver sa place dans une société en proie au déchirement culturel et à la modernité.Cette modernité ou plutôt ultra-modernité qu’il redoutait dans son dernier roman « El zorro de arriba y el zorro de abajo » est plus qu’une réalité aujourd’hui avec l’avènement d’internet, des smartphones et des réseaux sociaux.

1.2. Les concepts de réseau, réseau social, web et internet

Le concept de « réseau » remonte au XVIIe siècle et correspond à un réseau de fibres entremêlées utile à la chasse, à la coiffure, à des usages médicaux. Au XVIIIe siècle, il désigne l’ensemble des circuits routiers, mais, au fil du temps, il a glissé vers la désignation de : « Propriétés générales intimement entremêlées : l’entrelacement, mais aussi le contrôle et la cohésion, la circulation, la connaissance et la représentation topologiques » (P. Mercklé, 2004, p. 7).

En 1908, le sociologue G. Simmel a affirmé que la forme sociologique la plus simple est « le caractère intime des relations à deux » (P. Mercklé, 2004, p. 9). En 1954, l’expression « réseaux sociaux » a été utilisée pour la première fois par l’anthropologue australien John Arundel Barnes, qui a inventé la notion de « réseaux sociaux » et les a catégorisés en trois champs sociaux : l’organisation politique, le système industriel et les relations non officielles (P. Mercklé, 2004, p. 9). Selon Emmanuel Lazega, un réseau social est « un ensemble de relations spécifiques (par exemple, collaboration, soutien, conseil, contrôle ou encore influence) entre un ensemble fini d’acteurs » (C. Balagué et D. Fayon, 2016, p. 9). Il ajoute que le réseau social ne constitue bien davantage qu’un système de relations entre les membres :« Il comprend aussi, par exemple, une culture ou un système de normes » (Balagué, Fayon, 2016, p. 9).

Selon M. Saint-Pierre, Internet est un réseau informatique mondial. Le nom « internet » vient d’ailleurs d’« interconnected net », c’est-à-dire, réseaux interconnectés, en français. C’est l’infrastructure globale sur laquelle s’appuient de nombreux autres services dont le Web. Le World Wide Web, ou en abréviation Web, est le système qui nous permet de naviguer de page en page en cliquant sur des liens. Le web n’est qu’un des services accessibles via internet, parmi d’autres : l’e-mail, la téléphonie sur internet (Vo IP), le transfert de fichier (FTP) pour les plus connus. Internet est une interconnexion de réseau. Le web est un service.Internet est né vers 1960 et a pris une véritable forme vers 1983, à titre de « protocole de communication TPC/IP : TPC pour transmission control protocol et IP pour Internet protocol » (D. Cardon, 2019, p. 27). À en croire Cardon, Vinton Cerf et Robert Kahn sont les créateurs de cet outil technologique « qui permet de mettre en communication des ordinateurs en utilisant différentes infrastructures réseaux » (D. Cardon, 2019, p. 27).

Tim Berners-Lee en 1990 a, quant à lui, inventé le Web, défini comme « un protocole de communication qui permet de relier entre elles des pages, via un système d’adresse bien connu : http://www. » (D. Cardon, 2019, p. 28). Ainsi, « le web est contenu dans internet, mais internet contient beaucoup d’autres choses que le web » (D. Cardon, 2019, p. 28).

Comme nous pouvons le remarquer, il y a une évolution d’une évidence incontestable depuis les réseaux traditionnels, internet, le web jusqu’aux réseaux sociaux numériques. Toutes ces définitions nous permettent d’entrevoir partiellement la révolution arguédienne. Dans la partie qui suit, nous ne nous intéresserons qu’aux réseaux sociaux. Nous verrons leurs caractéristiques, leur utilité et un exemple de réalisation du « Pachacuti » andin ou révolution arguédienne en Afrique, précisément en Côte d’Ivoire.

2. Les réseaux sociaux comme un « pachacuti » arguédien

La deuxième partie de notre analyse sera consacrée aux éléments permettant de qualifier les réseaux sociaux de « Pachacuti » arguédien. Nous verrons leurs caractéristiques communes déterminées par V. Lemieux, leur utilité, et l’exemple de réalisation de « Pachacuti » au sein des Associations virtuelles « Boundiali info », « Investir en pays sénoufo » et « l’Union des Jeunes de Ferké Résidents à Abidjan (UJFRA) ». Il s’agit de trois groupes sénoufo de Côte d’Ivoire.

2.1. Caractéristiques des réseaux sociaux

Il existe différents types de réseaux sociaux. On entend souvent dire que certaines personnes ont un vaste réseau de parenté, ou d’amis, ou encore un bon réseau personnel. On parle aussi de réseau de santé et de services sociaux, de réseaux de recherche ou universitaires pour désigner des regroupements d’universités entre lesquels il existe des liens de coopération. Selon le Professeur V. Lemieux de l’Université de Laval au Québec, il y a quatre caractéristiques communes à tous ces réseaux sociaux. Premièrement, ils reposent sur les rapports d’identification entre les participants. L’identification se distingue de la différenciation ou l’indifférence et peut se définir comme le sentiment d’appartenance à une entité sociale commune. V. Lemieux, précise que les relations dans les réseaux sociaux sont généralement définies, de façon symétrique, par l’un ou l’autre des participants (V. Lemieux, 2000, p. 12).

Deuxièmement, ils reposent aussi sur des connexions directes ou indirectes entre les participants. Ils peuvent contenir des relations où la différenciation se mêle à l’identification, en des liens mixtes. Par des liens positifs ou mixtes, les participants à un réseau sont connectés les uns aux autres. Ils peuvent contenir exceptionnellement des liens négatifs. La connexion suppose un chemin plus ou moins long fait de liens entre acteurs. Á ce propos, Lemieux affirme ceci :

Si je demande à ma sœur de demander à son conjoint de me rendre un service et qu’il le fait, il y a connexion directe avec ma sœur et connexion indirecte avec son conjoint. En d’autres circonstances, je peux avoir une connexion directe avec le conjoint de ma sœur, et par lui une connexion indirecte avec ma sœur. Ou encore, je peux avoir une connexion directe avec chacun des deux (V. Lemieux, 2000, p. 13).

Il y a des réseaux sociaux dont la structure est telle que tous les participants ont une connexion directe entre eux. C’est le cas d’une famille ou d’un groupe restreint d’amis. On dit de tels réseaux qu’ils sont des « réseaux complets » ou encore des « cliques ». Les réseaux qui n’ont pas cette propriété sont appelés « incomplets » (V. Lemieux, 2000, p. 14).

Troisièmement, les réseaux reposent sur des « liens forts ». Un « lien fort » est un lien entre deux acteurs qui comporte une grande intensité émotionnelle.  Ils s’opposent aux « liens faibles ». Lemieux les appelle respectivement « liens serrés » ou « mi-serrés ». Pour lui, les caractéristiques des « liens forts » sont au nombre de quatre: on y consacre du temps, ils donnent lieu à se l’intensité émotionnelle, ils comportent de l’intensité et ils se traduisent par des services réciproques. Les liens familiaux, amicaux et amoureux, les liens de camaraderie qui se nouent dans les organisations de travail en sont des exemples (V. Lemieux, 2000, p. 14).

Quatrièmement, nous avons ceux qui reposent sur les « liens faibles ». Un « lien faible » est un lien entre deux acteurs qui comporte une faible intensité émotionnelle. Il souligne que nous avons les liens avec des parents éloignés, ou encore les liens tenant à des organisations volontaires qui ne se réunissent pas souvent.

Hormis ces deux formes de lien, Lemieux, nous identifie des réseaux sociaux ayant un « lien mixte, symétrique ou asymétrique ». Un « lien mixte » est un « lien entre deux acteurs qui s’identifient l’un à l’autre à certains égards et se différencient à d’autres égards ». Et, un « lien symétrique » est un « lien contrôlé de façon conjointe par les deux acteurs qui y participent ». En revanche, un « lien asymétrique » est un « lien contrôlé de façon unilatérale par l’un des deux acteurs en relation » (V. Lemieux, 2000, p. 10).

Les Réseaux sociaux ont connu une évolution fulgurante grâce à Internet et, surtout, au Web. Le passage du Web 1.0 au Web 2.0 est une preuve de réalisation du « Pachacuti » arguédien. De fait, entre les années 1990 et 2000, le Web informationnel ou le Webmaster ou encore Web 1.0 était utilisé pour fournir de l’information. Il ne permettait pas d’ajouter des informations ou d’interagir. De 2000 à 2010, le Web 2.0 succède au Web 1.0. Appelé Web social ou collaboratif, le Web 2.0 établit une transition. Il se rapporte directement au « phénomène des transformations des plateformes interactives du Web » (S. Proulx et al. 2012, p. 10). Il fournit plus de données, et rend possibles le partage d’informations, la communication virtuelle et l’interaction, comme avec YouTube et Facebook. Il permet de traiter des contenus, de favoriser l’accessibilité, d’instaurer des modalités de collaboration, en s’appuyant sur « l’idéologie participative du Web social » (S. Proulx et al., 2012, p. 3).

Les années 2005 à 2010 sont marquées par ce qu’on appelait, il y a encore quelque temps, le « Web 2.0 ». Les blogs, les wikis et bien entendu les réseaux sociaux, avec en tête de peloton Facebook, ont peu à peu permis à chacun, même sans aucune connaissance technique, d’exister sur le Web.Il convient de préciser qu’au Web 2.0, succéderont trois autres catégories de Web comme le souligne bien M. Saint-Pierre : « Le Web 3.0 ou Web sémantique de 2010 à 2020, le Web 4.0 ou Web intelligent ou Meta Web à partir de 2021, et le Web 5.0 ou Web télépathique ou encore Web symbiotique » (M. Saint-Pierre, 2021, p. 21-23).

Pendant que le Web 2.0 met l’accent surl’utilisateur et la machine, le Web 3.0 permet aux experts l’utilisation d’informations plus précises, des interactions plus faciles et de la navigation plus rapide.Quant au Web 4.0, il permet l’utilisation de la mémoire et des capacités de calcul des ordinateurs et des serveurs liés par Internet, et l’immersion dans l’Internet des objets.Le Web 5.0 agit parallèlement au cerveau humain, on assiste à « l’interconnexion entre l’humain et la technologie, basée sur la communication émotive et symbolique » (M. Saint-Pierre, 2021, p. 23). Quand nous nous référons à l’évolution d’Internet, du Web et aux caractéristiques communes des réseaux sociaux, nous voyons bien les traces de « Pachacuti » arguédien. Présentement, nous allons voir que cela apparaît aussi à travers de leur utilité.

2.2. L’utilité des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux jouent un rôle très important dans les sociétés modernes africaines, occidentales, américaines, asiatiques, etc. Ils sont présents sur tous les continents qui flirtent avec la modernité. Pour certains internautes, ils sont sans aucun doute le lieu idéal pour affirmer leur identité. On passe donc d’une identité traditionnelle à une nouvelle identité, une « identité numérique ou virtuelle ». La formation d’une « identité numérique » est, de façon indiscutable, une transformation qui peut être qualifiée de « Pachacuti » arguédien. Dans son ouvrage sur les e-réseaux sociaux et e-médias sociaux M. Saint-Pierre définit, sans ambages, « l’identité numérique » et « l’e-réputation » comme suit :

L’identité numérique est l’ensemble des contenus publiés sur Internet qui permettent de définir un individu. L’e-réputation, c’est l’image renvoyée par la perception de ces contenus. L’identité numérique regroupe aujourd’hui des contenus mis en ligne sur divers espaces, notamment sur les médias sociaux : blogues personnels, profils sur les réseaux sociaux, contenus partagés, commentaires (…) On distingue généralement deux types de contenus : ceux maîtrisés par la personne concernée (publiés par elle) et ceux non maîtrisés par la personne concernée (publiés par un tiers) (M. Saint-Pierre, 2021, p. 66).

L’utilité de Facebook est, sans équivoque, en Afrique et dans le monde entier. Il s’agit, d’un réseau social ouvert au public permettant de partager des écrits, des photos et des vidéos. Il a été créé, en 2004, par Mark Zuckerberg et avait pour nom d’origine « The Facebook ». En 2018, il comptait 2,27 milliards d’utilisateurs ; c’est le réseau social classé numéro 1 (J. Colombain, 2019, p. 204). Son modèle économique repose sur la vente d’espaces publicitaires ciblés en direct aux annonceurs. L’entreprise porte aussi le même nom Facebook et détient également trois autres réseaux, à savoir Messenger, Instagram et WhatsApp. Pour J. Colombain le réseau Facebook est une sorte de « TF1 du Web 2.0 » (J. Colombain, 2019, p. 199).

Messenger et Whatsapp sont des messageries instantanées mobiles et Web permettant d’échanger des messages textuels sur le modèle du SMS, mais aussi des photos, des audio et vidéos, de dialoguer avec des « Chatbots » ou « bots » ou assistants virtuels. On peut même passer des appels vocaux et vidéos en les utilisant. Whatsapp a été créé, en 2009, par deux anciens ingénieurs de Yahoo, Jan Koum et Brian Acton, puis racheté par Facebook en 2014. En revanche, Messenger est lancé en 2011 par Facebook et est accessible sans compte Facebook depuis 2016. En 2017, Messenger comptait 1,3 milliard d’utilisateurs ; son modèle économique est la publicité. C’est « une sorte de mix entre Facebook et WhatsApp basé sur les contacts Facebook » (J. Colombain, 2019, p. 199).

Quant à Instagram,c’est une application de partage de photos et de mini-vidéos, rendu célèbre par ses filtres de retouche d’images. Créé en 2010 par Kevin Systrom et Michel Mike Krieger ; en 2018, il comptait 1 milliard d’utilisateurs. Il a pour modèle économique la publicité ciblée. C’est la plateforme de prédilection des « influenceurs ».

Hormis Facebook et ses sous réseaux sociaux, nous avons aussi YouTube. Tout comme Facebook, il s’agit d’un réseau social très populaire et adulé par des millions d’internautes africains. C’est une plateforme d’hébergement de vidéos permettant de poster, regarder, commenter, évaluer et partager des contenus. Il a été créé, en février 2005, par trois anciens employés de PayPal : Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim. Il a été racheté par Google en 2006. En 2018, il comptait 1,9 milliard d’utilisateurs. Son modèle économique repose sur la publicité vidéo. Pour Colombain, il s’agit d’une « véritable encyclopédie et agora vidéo mondiale » (J. Colombain, 2019, p. 199).

En plus nous avons, Twiter, LinkedIn, Snapchat, etc. Twiter est une plateforme d’échange de mini-messages de 280 caractères maximum ; autrefois on l’appelait « Microblogging ». Il permet de partager des liens, des photos et des mini-vidéos. Créé, en 2006, par Jack Dorsey, Evan Williams, Biz Stone et Noah Glass. C’est un réseau axé sur l’info en temps réel et le débat public, très en prise sur l’actualité.

LinkedIn, c’est un réseau social axé sur la mise en relation des professionnels via la diffusion de profils. Créé, en 2002, par Reid Hoffman, Allen Blue de Paypal, Eric Ly, Konstantin Guericke et Jean-Luc Vaillant ; il a été racheté, en 2016, par Microsoft.

Snapchat est une application d’envoi de photos et de vidéos rendue célèbre par sa fonction de photos éphémères, disparaissant quelques secondes après avoir été envoyées. Lancé en 2011 par deux étudiants de l’université Stanford, Evan Spiegel et Bobby Murphy, Snapchat est le réseau de prédilection des adolescents québécois. En Côte d’Ivoire, nous pensons que c’est plutôt Facebook. Son utilisation par plusieurs associations de jeunes en est une preuve.

2. 3. Le cas de trois associations ivoiriennes

La réalisation du « Pachacuti » arguédien en Côte d’Ivoire est une réalité quand nous faisons allusion à l’utilisation de Facebook par les plateformes ou Associations « Boundiali info », « Investir en pays sénoufo » et « l’Union des Jeunes de Ferké Résidents à Abidjan (UJFRA) ». Il convient de préciser qu’elles appartiennent toutes à la culture sénoufo. Les sénoufos se trouvent dans plusieurs régions en Afrique : ils sont établis au Nord de la Côte d’Ivoire, au Sud-est du Mali et du Burkina Faso.

Chaque groupe, est passé du réseau social traditionnel au réseau social numérique Facebook. Ils appréhendent ce nouvel outil comme un amplificateur de leur statut social et un moteur de la construction de leur identité. En effet, les internautes senoufos présents sur la toile ont su définir les règles du jeu en se fondant, d’abord, sur leur propre culture, puis, sur la modernité. Pour mieux comprendre cette évolution, il y a lieu de se référer à l’imaginaire desdits groupes. Le constat est clair même s’ils viennent d’horizons divers : la Civilisation senoufo se caractérise, le plus souvent, par la superposition de deux cultures, à savoir, la culture ancestrale et la culture « moderne ». Pendant que la première est hermétiquement fermée ou réfractaire à toute forme de changement, la seconde, elle, est influencée par l’Islam et le monde occidental.

Ce qui concerne notre analyse est bien cette superposition ou nouvelle forme culturelle. Elle apparaît distinctement à travers l’usage que des membres de L’UJFRA font de l’outil informatique Facebook. Il s’agit d’une association née à Abidjan dans les années 1990, d’une idée émise par un groupe de jeunes ressortissants de Ferkessédougou, au nord de la Côte d’Ivoire, résidant dans plusieurs quartiers d’Abidjan. Après leurs études secondaires effectuées dans leur région d’origine, ils ont maintenu le contact entre eux en organisant des rencontres mensuelles. L’association s’est, par la suite, étendue à tous les jeunes dont les parents sont installés à Abidjan mais originaires de Ferkessédougou. Déterminés à s’unir pour réussir ensemble, l’UJFRA s’est adaptée à l’innovation technologique mondialisée en créant son profil sur la plateforme de Facebook pour une meilleure visibilité des activités qu’elle mène.

Il faut préciser que, les réunions se font toujours en présentiel dans un lieu fixé ensemble, et que Facebook n’est juste qu’un moyen de communication. Ainsi, sur leur page, les publications sont relatives aux informations sur l’histoire de la région, les activités politiques, sociales, économiques, etc. À en croire Gnéré Blama Dagnogo « c’est également le lieu de diffusion des offres d’emplois à l’attention des membres, ainsi que le canal par excellence de convocation des réunions physiques hebdomadaires ». (G. B. Dagnogo, 2018, p. 11).

Quant au groupe « Boundiali info », il cible tous les ressortissants de la région de la « Bagoué », constituée par les départements de Boundiali, Kouto et Tengrela. Sa création sur le réseau social Facebook vise à diffuser les informations relatives à l’actualité locale, à promouvoir les actions de développement de la région et à valoriser la culture senoufo, tant sur le plan idéologique, social que documentaire. 

Enfin, le groupe « Investir en pays Senoufo » qui rassemble plusieurs milliers de membres est majoritairement constitué de Senoufo. Cependant, il s’étend à plusieurs autres communautés linguistiques, en particulier celles qui entretiennent des relations d’alliances interethniques avec les Senoufos. Ce sont, entre autres, les Gouro, Mahouka, Odienneka, Koyaka. C’est pourquoi, la plupart des publications sur le profil Facebook de ce groupe sont des commentaires de plaisanterie à l’endroit de leurs alliées.

Comme nous pouvons le constater, il s’agit bien, dans ces trois exemples, de la réalisation du « Pachacuti » arguédien grâce à l’utilisation du réseau social numérique Facebook. Mais, malheureusement, cet outil ne sert pas toujours à renforcer les liens intercommunautaires. Dans la dernière articulation de notre analyse, nous allons nous pencher sur les travers des réseaux sociaux numériques qui vont à l’encontre de la cohésion sociale et, par ricochet, de la révolution arguédienne.

3. Les réseaux sociaux comme contre-révolution arguédienne

Dans cette troisième partie, nous verrons que les réseaux sociaux sont partiellement un « Pachacuti » tel que l’envisage Arguedas dans la mesure où elles sont aussi sources de divers maux dont le stress, l’anxiété et la dépendance. Nous préconiserons des solutions pour la réalisation totale d’un « Pachacuti » arguédien.

3.1. Les principaux réseaux sociaux : source de stress et d’anxiété

Les réseaux sociaux numériques sont très diversifiés et existent aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. Ce sont des outils de communication indispensables, d’information et de partage qui ont révolutionné les modes de vie de nombreux internautes africains. Les échanges personnels et professionnels ont été simplifiés, amplifiés à l’échelle internationale, offrant ainsi de nouvelles possibilités d’entreprendre, de connaître et de rencontre. Mais, en dépit de cela, les réseaux sociaux restent difficilement maîtrisables et ont des revers non négligeables. J. Colombain met en exergue les fléaux qui sont le fait des réseaux sociaux et qui rongent nos sociétés dans son ouvrage (J. Colombain, 2019). Il se demande s’il y a lieu de quitter Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat et Youtube, qui sont devenus des lieux où pullulent la haine, la désinformation, la cybercriminalité, la perte des données, la dépravation sexuelle et l’addiction.

Les réseaux sociaux ne sont peut-être pas une addiction au sens médical du terme dans la mesure où, ils n’ont pas les mêmes effets sur chaque internaute. Mais une chose est sûre, c’est que la techno-dépendance entraîne des conséquences très fâcheuses. Ils ont des effets nocifs sur la santé physique et mentale. L’utilisation abusive cause des troubles de sommeil, surtout pour les plus jeunes. Trop d’écran tard le soir contribue à des nuits agitées et brèves, et par conséquent, une fatigue anormale dans la journée. Les sollicitations, les échanges, les conversations interminables peuvent provoquer du stress.

Cette pratique peut également engendrer de l’anxiété et de la contrariété dans la journée à cause de l’impossibilité de consulter son fil Twitter ou Facebook pendant une réunion ou lorsqu’on est au volant de sa voiture. Elle peut déclencher aussi la crise de « fomo » c’est-à-dire, « la peur d’être coupé de son téléphone portable » (J. Colombain, 2019, p.163). Ainsi, elle peut faire plonger dans la dépression. Cela a indéniablement un effet sur la concentration.

3. 2. La dépendance et les « péchés » des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ne sont pas entièrement un « Pachacuti » andin ou arguédien, vu qu’ils ont transformé certains utilisateurs, y compris des Africains, en des moutons de Panurge, tendant docilement le museau pour consommer de plus en plus de crédits Data et faire marcher les produits des entreprises. Autrement dit, il s’agit d’appauvrir les utilisateurs et enrichir les concepteurs et les entreprises. Les concepteurs des réseaux sociaux les ont délibérément élaborés pour les accaparer à en croire J. Colombain. Il soutient l’idée selon laquelle, dès le départ, leur objectif, était de « briser notre volonté » et de jouer sur nos faiblesses psychologiques pour installer l’addiction. Il s’agit de capitaliser au maximum sur ce que Tristan Harris, l’ex-chef de produit pour Google, nomme « l’économie de l’extraction de l’attention ». En d’autres termes, il est question de « l’économie de la dépendance » ou de la « Captologie » (B. Flye Sainte Marie, 2020, p. 12-13). Il estime que « des millions d’heures sont volées à la vie des gens ». Aussi, s’indigne-t-il contre le fait qu’une « poignée de personnes dans une poignéed’entreprises oriente la manière de penser d’un à deux milliards depersonnes » (J. Colombain, 2019, p. 160).

La réaction de Tristan Harris corrobore les dires de J. Colombain. Dans son texte paru en 2016, intitulé en français « Comment la technologie pirate l’esprit des gens », ce brillant ingénieur informatique de Facebook, qui connaît bien le système pour l’avoir édifié et exploré de l’intérieur, nous alarme sur les dangers des réseaux sociaux. Il clame ses regrets d’avoir posé les briques de ce qu’ils sont aujourd’hui en ces termes :

Nous étions à l’intérieur. Nous savons ce que les entreprises mesurent. Nous savons comment leurs systèmes fonctionnent. Les entreprises de la Silicon Valley nous manipulent pour nous faire perdre le plus de temps possible dans leurs interfaces (J. Colombain, 2019, p. 160).

Tristan Harris n’est pas le seul repenti qui a brisé le silence et s’est rebellé contre les grandes entreprises créatrices des réseaux sociaux numériques. Nous avons aussi plusieurs anciens employés de la Silicon Valley dont Justin Rosenstein, ancien ingénieur chez Google et Facebook, co-inventeur du fameux « Like » de Facebook. Il déclare ceci :

Il est de plus en plus préoccupant de constater que (…) la technologie contribue à ce que l’on appelle une « attention partielle continue », limitant considérablement la capacité des gens à se concentrer et pouvant même réduire le QI (J. Colombain, 2019, p. 160).

De son côté, Chamath Palihapitiya, ancien vice-président de Facebook, confie qu’il quitte les réseaux sociaux car, dit-il, « nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social » (J. Colombain, 2019, p. 160).

Dans son livre-enquête, Fly Sainte Marie soutient l’idée de Tristan et ses ex-collaborateurs susmentionnés. Pour elle aussi, les réseaux sociaux nous rendent psychologiquement vulnérables, car nous les laissons infléchir en profondeur les comportements que nous adoptons dans la vie réelle. En plus, nous leur consacrons une bonne partie de nos journées, et ce, au détriment d’autres activités, de nos principales activités. Elle affirme que : « le cogito ergo sum n’est plus en phase avec l’époque : pour être, il ne s’agit plus de penser mais exister sur les réseaux sociaux, quel qu’en soit le prix » (B. Flye Sainte Marie, 2020, p. 2).

Elle lève le voile sur les maux qui minent ces moyens de communication quand elle parle de « péchés capitaux ». Elle en distingue sept. Ce sont, par ordre numérique : la dépendance, l’hyper-narcissisme, le manque d’intimité, la paresse, l’asociabilité, la haine, et l’« infobésité » ou l’overdose informationnelle. Le terme « infobésité » renvoie au fait que les internautes soient confrontés à une grande quantité d’informations dont les « fake news » (B. Flye Sainte Marie, 2020, p. 102).

3. 3. Des conditions à remplir pour un « pachacuti » arguédien intégral

Les réseaux sociaux sont devenus, aujourd’hui, une agora mondiale où la liberté est de mise, mais il faut développer des contre-mesures pour ne pas que le côté obscur prenne le dessus. Pour y parvenir les concepteurs, les pouvoirs publics et les utilisateurs doivent jouer leurs rôles. Les plateformes doivent assurer la neutralité, l’équilibrage en supprimant les contenus négatifs et imposer strictement le respect des lois concernant l’utilisation des réseaux sociaux.

Pour la réalisation d’un « Pachacuti » andin ou d’une révolution arguédienne, les États africains, sans exception aucune, doivent former et sensibiliser tous les internautes africains au bon usage des réseaux sociaux numériques. Et, avec l’accord des entreprises détentrices de ces outils de communication, ils doivent instaurer un permis d’utilisation numérique pour chaque internaute. Il s’agira d’un permis délivré électroniquement et anonymement sur la base de l’identité numérique qui sera obligatoire pour créer un compte. Ce permis spécial devrait être bien sécurisé, infalsifiable et il pourrait avoir une reconnaissance internationale.

Il devra fonctionner comme le permis à points pour les véhicules. Plus on commettra des infractions en répandant, par exemple, des intox ou des mauvaises nouvelles, en injuriant un autre internaute, ou en tenant des propos racistes à son endroit, plus on perdra automatiquement des points jusqu’à ce que ceux-ci soient nuls. Une fois nulle, il ne serait plus possible de s’exprimer publiquement, voire de rester inscrit, jusqu’à la récupération éventuelle de nouveaux points via des stages de rattrapage anonymes au cours desquels on rappellerait au contrevenant les règles de la vie numérique. Les réseaux sociaux conserveront ainsi toujours leur caractère de liberté individuelle, et les États n’auront plus besoin de bloquer ou supprimer des comptes, parfois à l’insu de l’internaute.

En outre, il faut lutter contre la dépendance numérique en passant moins de temps par jour sur la toile. Il est bien vrai que le phénomène de l’addiction aux réseaux sociaux numérique concerne tous les âges, principalement les jeunes adolescents, et tous les milieux, il faut prendre le dessus sur ces outils numériques, voire toute la technologie. Pour parler de révolution arguédienne, il ne faudrait pas que ça soit l’inverse, que la machine prenne le dessus sur nous ou notre descendance des années plus tard. Il est donc impératif pour les parents de contrôler et de juguler l’usage des écrans par les jeunes enfants, qui ne sont pas capables de se réguler eux-mêmes.

Aussi, les adultes, eux-mêmes, doivent-ils faire un usage responsable des réseaux sociaux numérique en appliquant les conseils d’hygiène numérique suivants : consacrer moins de temps par jour aux réseaux sociaux ; faire le tri parmi ses « amis » en ligne et autres« followers » ; se débarrasser de son smartphone ou de sa tablette avant de se coucher afin de ne pas être tenté del’utiliser au lit ; faire des breaks numériques ou désactiver provisoirement son compte pendant les week-ends et les vacances ; sortir pour rencontrer des gens dans la vraie vie.

Conclusion

En somme, les réseaux sociaux sont une forme de révolution dans la mesure où ils ont bouleversé totalement notre approche du renseignement et notre rapport à l’information et aux autres. C’est l’une des inventions les plus révolutionnaires de l’humanité. S’ils sont facteurs de renforcement des liens sociaux, ils sont aussi sources de grands dangers. Les différentes plates-formes qu’ils offrent se révèlent à la fois sources d’information, d’entreprenariat, de cohésion et de manipulation, de déstabilisation, de dépravation de tout genre. Heureusement, les dérives ne concernent qu’une infime partie d’utilisateurs. Si, en Afrique ou ailleurs dans le monde, les plus aguerris savent sans doute gérer les attaques perfides d’ennemis généralement volatiles, les plus naïfs paient cher leurs innocentes publications sur les détails de leur vie intime disséminés sur les réseaux sociaux et autres blogs.

Les réseaux sociaux n’en sont encore qu’à leur adolescence. Ils ne cessent d’évoluer et vont continuer à grandir. Malheureusement, ils ont poussé trop vite et sont confrontés, aujourd’hui, à une crise de croissance. Mais n’empêche qu’ils sont une forme de révolution arguédienne quand nous faisons allusion à leur évolution, leur utilité et certaines de leurs caractéristiques. Malgré leurs « péchés capitaux » et d’autres dérives, ils permettent sincèrement à de nombreux internautes de renforcer leurs liens interpersonnels et communautaires comme c’est le cas des trois associations sénoufo que nous avons évoquées. Ils peuvent cesser d’être une « déchetterie verbale » qui impacte négativement les sociétés africaines et devenir un espace démocratique de confiance et d’une vraie liberté individuelle ou collective.

Les réseaux sociaux sont le reflet de la société. Ils vibrent au rythme des émotions des uns et des autres et reflètent les clivages idéologiques. Leur dérive est le revers de l’ouverture au plus grand nombre. Chacun a droit à la parole mais, cela doit se faire dans le respect mutuel. Les discours de haine et de manipulation mentale n’ont pas lieu d’être. Le défi est de transformer ces espaces de discorde en de vrais outils de cohésion sociale. On devrait utiliser les réseaux avec plus de prudence, de respect et d’amour pour ses semblables. L’être humain est à l’origine des problèmes qui en découlent et non la technologie elle-même. Les solutions relèvent donc de l’humain, même si la technologie peut y aider. Cela passe absolument par le changement de comportement.

Le temps de la mauvaise utilisation doit toucher vraiment à sa fin. Nous devrons être matures dans la gestion de nos pratiques numériques. Et, cela nécessite une meilleure formation à l’utilisation des réseaux sociaux. Seule une utilisation raisonnée et responsable permettra d’en tirer le meilleur sans avoir à souffrir du pire.

Références bibliographiques

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SAINT-PIERRE Marjolaine, 2021, e-réseaux sociaux et e-médias sociaux en éducation : qu’en pensez-vous, Québec, Presses de l’Université du Québec.

NOUVEAUX MÉDIAS ET DÉFIS SOCIAUX : POUR UNE VISION MARCUSIENNE DE LA SOCIABILISATION DE L’AFRIQUE

Amara SALIFOU

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

salifouamara@yahoo.fr

Résumé :

À la différence de la radio, de la télévision et de la presse écrite en forme de journaux qui sont considérés comme des médias traditionnels, les réseaux sociaux se présentent comme des nouveaux médias issus des progrès technologiques de l’information et de la communication. Dans la vision marcusienne du journalisme et de la communication, ils constituent une véritable opportunité de vulgarisation des sujets dignes d’intérêts pour les individus et les États. L’intérêt philosophique et social qui sous-tend ces médias, est qu’ils ont pour vocation de dénoncer les formes de vies qui sont des boulets et un engourdissement de la liberté individuelle et sociale. Pour le continent africain en proie à de nombreux conflits inter et intra-étatiques et entre communautés, les réseaux sociaux et leur accessibilité spatio-temporelle sont des lieux potentiels de la résurgence desdits conflits. Toutefois, ils peuvent se présenter comme des moyens de rapprochement. L’enjeu de cet article est inscrit dans le contexte des sociétés africaines. Dès lors, comment l’Afrique peut-elle rendre effectif un véritable rapprochement entre les différentes communautés humaines et les États dans le cadre d’une dynamisation de la société africaine elle-même ? Dans une approche historique, critique et prospectiviste, nous montrerons comment les réseaux sociaux peuvent aider le continent à construire des sociétés réellement durables. En termes de résultats, la capacité mobilisatrice des masses, des couches sociaux-professionnelles par le biais des nouveaux médias et les modes de vies pour une harmonisation sociale de plus en plus renforcée en Afrique sont mis en exergue.

Mots clés : Afrique, Culture, Médias, Réseaux sociaux, Valeurs.

Abstract:

Unlike radio, television and the written press in the form of newspapers which are considered traditional media, social networks present themselves as new media resulting from technological progress in information and communication. In the Marcusian vision of journalism and communication, they constitute a real opportunity to popularize subjects worthy of interest for individuals and States. The philosophical and social interest which underlies these media is that their vocation is to denounce forms of life which are burdens and a numbing of individual and social freedom. For the African continent, which is plagued by numerous inter- and intra-state and community conflicts, social networks and their spatio-temporal accessibility are potential sites for the resurgence of said conflicts. However, they can present themselves as means of rapprochement. The issue of this article is set in the context of African societies. Therefore, how can Africa make a real rapprochement between the different human communities and States effective as part of a revitalization of African society itself? Using a historical, critical and prospective approach, we will show how social networks can help the continent build truly sustainable societies. In terms of results, the mobilizing capacity of the masses, of social-professional layers through new media and lifestyles for increasingly strengthened social harmonization in Africa are highlighted.

Keywords: Africa, Culture, Media-Social networks, Values.

Introduction

L’appellation réseaux sociaux très en vogue en ce XXIe siècle remonte en réalité au XXe siècle. Elle a été définie pour la première fois par l’anthropologue britannique John Arundel Barnes en 1954 et rapportée en ces termes :

J’ai utilisé précédemment le terme de « toile », en reprenant le titre du livre de M. Fortes, La toile de la parenté (The Web of Kinship among the Tallensi, 1949). Il a toutefois un inconvénient : la plupart des gens imaginent quelque chose comme une toile d’araignée, en deux dimensions, alors que j’essaie de donner l’image d’un concept multidimensionnel (P. Mercklé, 2013, p. 187).

Cette définition émane d’une étude de terrain en Norvège. Barnes constate qu’au-delà de leurs apparentes diversités, les populations sont en réalité, regroupées en communautés sociales avec d’autres groupes dans une sorte d’interconnexions qui se croisent à l’infini. L’échange, l’amitié, le partage, les transactions, les débats, les discussions, la communication en général dominent et renforcent la particularité des liens au sein des groupes et entre eux. Cela permet la mise en place d’un vaste mouvement de réseaux sociaux. Ledit mouvement va être facilité par l’avènement d’internet vers la fin des années 80 en tant que monde possible de connexion virtuelle, entre des individus, des groupes de divers horizons. Les réseaux sociaux deviennent ainsi un canal de communication, avec des règles d’utilisation et se présentent progressivement comme des médias sociaux. T. L. Tuten, M. R. Solomon et A. M. Kaplan (2020, p. 4) affirment que,

les médias sociaux représentent un important outil de communication, de partage, de collaboration et d’accès à la culture en ligne, reliant des réseaux interconnectés et interdépendants de personnes, de communautés et de sociétés, et qui s’appuient essentiellement sur les avancées technologiques et la mobilité.

Grâce à internet dont le progrès est lié aux avancées technologiques en matière de communication, les réseaux et les médias sociaux sortent du cadre traditionnel de l’information véhiculée par les canaux traditionnels tels que la télévision, la presse écrite, audio et audio-visuelle. Ils donnent la possibilité à chacun de pouvoir s’exprimer, de donner son opinion, de promouvoir des activités ou d’attirer l’attention sur des faits et de porter sur eux, un jugement de valeur. Tout se passe comme dans un système ouvert. Toutes les sources de pouvoirs ou de décisions peuvent être visées par la critique constructive et, contraintes à l’action, par la logique communicationnelle des médias sociaux.

C’est dans ce cadre, qu’Herbert Marcuse s’intéresse bien à propos, à la communication médiatique dans toutes ses formes. Ses réflexions visent dans ce domaine, une meilleure sociabilité dans laquelle le continent africain représente un intérêt. Dès lors, comment Marcuse envisage-t-il l’utilisation des médias ? Dans quels sens sa réflexion autour de la communication trouve-t-elle des réponses par l’entremise des réseaux et médias sociaux quant à la vie sociale en Afrique ? Dans la perspective marcusienne en effet, les médias traditionnels sont au cœur de manipulations de communication médiatique à grande échelle. Les choses sont telles qu’il faille, non seulement déceler mais aussi et surtout dénoncer la promotion du conformisme. Une fois que cela est fait, il est tout de même nécessaire de proposer ou faire la promotion de meilleures modes de vies appropriées à l’Afrique.

Dans notre analyse, nous aborderons d’abord, le rôle des réseaux sociaux, des médias sociaux et des nouvelles formes de communication au sens marcusien. Nous verrons ensuite, les défis sociaux en Afrique et l’usage des médias chez Marcuse. Nous nous intéresserons enfin, à la communication des médias sociaux dans le cadre de la question de l’harmonie sociale en contexte africain à partir de Marcuse.

En utilisant dans cette étude, les méthodes historique, critique et prospective, nous visons deux résultats. Le premier est l’affranchissement de la communication de ses formes manipulatoires. Le second est de proposer ou d’exiger une utilisation éthiquement adéquate des médias et réseaux sociaux pour une Afrique en harmonie avec elle-même et socialement conviviale.

1. Réseaux et médias sociaux au prisme des nouvelles formes de communication en contexte marcusien

Les réseaux et médias sociaux se présentent comme une forme de communication qui, en contexte marcusien, méritent un intérêt particulier dans leur articulation, leur influence, les impacts qu’ils peuvent avoir sur les individus ou les communautés.

1.1. Du dépassement marcusien des médias traditionnels

Les médias traditionnels à savoir, la presse audio-visuelle (la télévision et la radio), la presse écrite ou le cinéma ne doivent pas être perçus tels qu’ils se donnent à voir, sans tenir compte des intérêts financiers qui leur sont immanents, des formes manipulatoires souterraines et des objectifs de domination cachés. La critique marcusienne à l’encontre de ces médias résulte précisément du fait que leurs indépendances supposées en termes de lignes éditoriales propres, du choix de programmes de divertissements plutôt que ceux touchant la vie concrètes des individus, est une invite à se rendre à une évidence : ces médias n’ont pas pour priorité les populations, dès lors, qu’il est clair que, leurs programmes est symptomatique d’un agenda souterrain particulier. Cela se traduit par une conformité d’agenda caché avec des stations de télévision, de radios ou des journaux qui s’intéressent généralement aux mêmes sujets. H. Marcuse (1968, p. 32) en ce sens peut affirmer que « le conditionnement ne commence pas juste au moment où on produit des radios et des télévisions en masse et où leur contrôle est centralisé. Quand les gens entrent dans cette phase, ils sont depuis longtemps conditionnés ».

Les médias se muent ainsi en des canaux chargés d’intentions fixées une fois pour toutes. La Une par exemple, d’un journal sera étonnement différente de celle d’un autre selon que celui-ci est d’un parti adverse, d’un financier donné alors qu’il s’agit du même évènement. Que nous soyons donc de gauche ou de droite, du parti républicain ou démocrate, d’une tendance libérale ou socialiste, nous semblons nous retrouver en face d’informations contradictoires.

O. Voirol (2015, http://publictionnaire.humanum.fr) constate que « la liquidation du public est le corolaire de la disparition d’une sphère privée désormais « envahie par l’opinion publique » jusque dans ses recoins les plus intimes – comme en témoigne l’entrée des médias de communication de masse dans la chambre à coucher ». C’est pourquoi, sans tomber dans le rejet des médias, Marcuse est pour une autre approche médiatique des sociétés dans laquelle les réseaux sociaux peuvent avoir toute leur place.

1.2. Nouveaux médias dans la vision marcusienne

Pour ne pas être sous l’emprise des médias qui font la propagande du conformisme, de la manipulation, du conditionnement ou de la contradiction, Marcuse propose leur reforme. H. Marcuse (1969, p. 20) nous explique que « la télévision, ou les gadgets ménagers, n’ont pas en eux-mêmes de fonction répressive, mais seulement en tant que, produits selon les lois marchandes du profit, ils sont devenus partie intégrante de l’existence des individus ». Se départir de cet ensorcellement médiatique est un premier pas pour exiger des informations et un réseau de communication, où nous ne sommes pas que des vases de réceptions. Il s’agit pour chacun d’être un acteur des vécus qu’il veut voir traiter, des sujets qui ont un intérêt pour l’amélioration de la vie quotidienne. C’est une invitation à être « des acteurs de l’information, cela loin de la déontologie des journalistes professionnels » comme nous le suggère B. Barraud (2022, p. 473).

Les individus devenant eux-mêmes acteurs du système de communication, selon Marcuse (1973, p. 116), « ceux-ci révèlent et communiquent des faits et des possibilités de l’existence humaine ; ils « voient » cette existence sous un éclairage très différent de celui sous lequel le langage et la communication ordinaire (…) l’envisagent ». Une telle façon d’aborder la communication est propre aux réseaux et médias sociaux actuels.

1.3. De la communication chez Marcuse aux réseaux et médias sociaux

La notion de réseau nous renvoie à un ensemble de liens qu’établissent des individus ou des groupements autour d’intérêts aussi divers que multiples. Avec internet, cette capacité relationnelle, s’opère numériquement, virtuellement au travers d’un site web, une plateforme utilisable par le biais d’un ordinateur ou d’un téléphone portable. Leur interconnexion donne aux utilisateurs d’être socialement connectés : tout l’espace de connexion à partir de ce point, prend le nom de réseau social. En effet, le « réseau social (…) est (…) un site Web ou une application mobile offrant à ses membres des outils pour créer, gérer et fédérer leur réseau, c‘est-à-dire interagir, communiquer, partager du contenu » (Y. Salmandjee-Lecomte et P. D. Degranges, 2017, p. 11). Qu’il s’agisse d’une image, un avis, une question, une information donnée ou relayée, des icônes permettant d’aimer ou non, d’exprimer son sentiment, de partager ou de donner un message, laisser un commentaire ou engager la discussion, sont disponibles sur les sites internet. Les réseaux sociaux se présentent dès lors, comme des outils de communication appelés médias. Précisons avec S. Proulx (2015, p. 146) que :

Dans son acception la plus courante, média désigne le « moyen de diffusion» ou le «moyen de communication» que des agents utilisent dans différents types de situations : soit ils souhaitent transmettre des informations sur un mode personnel ou organisationnel (diffusion d’information); soit ils cherchent à convaincre autrui (argumentation); soit ils veulent échanger et interagir symboliquement avec autrui (communication).

Les individus présents sur des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Viadeo, LinkedIn, WhatsApp, Instagram, TikTok, YouTube, Tinder, Badoo, Myspace ou Pinterest, utilisent différemment les moyens médiatiques pour communiquer. On comprend dès lors que, le terme médias sociaux qui englobe les réseaux sociaux est plus adapté. Y. Salmandjee-Lecomte et P. D. Degranges (2017, p. 11) nous disent qu’« on parle (…) aujourd’hui beaucoup de « média social » : c’est une notion plus large qui englobe les réseaux sociaux et désigne l’ensemble des sites » et outils « sociaux » du Web ». Chacun ne se limitant plus à ingurgiter toutes les informations reçues sans la possibilité de les vérifier, de donner son avis, de les commenter, les contester ou de demander des précisions, accède ainsi à une liberté communicationnelle comme celle que prône Marcuse. En effet, pour H. Marcuse (1968, p. 215), « la communication n’a pas à se faire par-dessus la tête des gens ». C’est aussi bien pour cela que les nouveaux médias comme les médias sociaux sont une véritable opportunité pour le continent africain et ce dans sa quête constante de sociabilisation.

2. Défis sociaux en Afrique et usage des médias chez Marcuse

Avec l’accession à l’indépendance de la plupart des pays africains au début des années 60, les défis sociaux sont nombreux en termes d’harmonie sociale, de stabilisation et de bonne gouvernance, d’une part, et d’autre part, de lutte contre les déstabilisations néocoloniales. La critique élevée contre ces fléaux est un combat qui peut se faire par le moyen des réseaux sociaux.

2.1. Critiques sociales marcusiennes en Afrique et médias sociaux

La majorité des pays africains doit pouvoir accorder un ordre de priorité à la communication dont l’objet est leurs réalités sociales. Si leurs médias traditionnels ne sont pas de grands groupes internationalement reconnus, les médias sociaux qui représentent fort heureusement des canaux mondiaux de vulgarisation de l’information sont une véritable opportunité pour les populations africaines, quant à la critique et la particularité de leurs besoins sociaux.

Pour Marcuse en effet, l’un des défis sociaux de la communication, est d’attirer l’attention du colonisateur quant aux atrocités dont il est historiquement coupable dans un contexte néocolonial. Si au début des indépendances africaines, H. Marcuse (1973, p. 9) pouvait déjà dénoncer « au Congo, au Nigéria, au Soudan, (…) d’authentiques massacres qui déciment toutes les populations qualifiées de « communistes » ou en révolte contre des gouvernements asservis aux nations impérialistes », il est à constater qu’un siècle après, soit au XXIe siècle, ces tueries se perpétuent encore sous une forme voilée. Elles se font sous le couvert de la sauvegarde et de la préservation des intérêts capitalistes. Le Congo devenu RDC (République Démocratique du Congo) vit dans l’Est, l’expérience de tueries en raison de la présence dans son sous-sol d’une grande quantité de minerais divers. Dans la zone Ouest du Nigéria ; riche en pétrole, des drames humains et environnementaux sont constatés. Le Soudan divisé par les forces impérialistes occidentales a un Sud en opposition conflictuelle avec le Nord. En 2023, la partie qui a conservé entièrement le nom Soudan est rentrée en guerre avec des factions rivales soutenues par des puissances d’argent. L’autre partie, le Soudan du Sud, après son indépendance en 2011, connaît le même sort avec son lot de morts, famines et de violations diverses des Droits de l’Homme.

Les animateurs des médias sociaux ont l’occasion de dénoncer ces ingérences étrangères qui déstabilisent le continent. Cela passe par la vérité des faits pour faire changer positivement les vécus de chaque individu. C’est d’ailleurs ce que préconise une responsable du programme d’influenceurs du média social LinkedIn, A. Handley (2023, p. 153) quand elle martèle que « vous devez être absolument digne de confiance pour publier du contenu (…) et instaurer l’honnêteté vis-à-vis de votre lectorat comme la valeur suprême. Cela signifie que vous devez dire toute la vérité, avec équité, intégrité et responsabilité ». Ce sacerdoce est partagé par Marcuse qui en contexte africain, perçoit les médias comme une opportunité qui peut aider à promouvoir les qualités du continent.

2.2. Mise en lumière des potentialités sociales de l’Afrique dans une vision marcusienne

La population africaine compte selon le https://countrymeters.info/fr/Africa (2023) « 1 456 458 263 Population actuelle. 728 247 692 Population masculine actuelle (50.0%) 728 210 571 Population féminine actuelle (50.0%) ». T. Amare (2023, https://fr.africanews.com), explique que « 70% des Africains ont moins de 30 ans et ce, alors que de nombreuses nations développées connaissent un vieillissement rapide de leur population ». Ce sont-là, des indices sociaux qui inspirent plus à espérer qu’à désespérer. L’Afrique a une population en majorité dynamique, initiatrice, entreprenante grâce à sa jeunesse. Le programme des Nations Unies pour le développement, (2023, in https://www.undp.org) « estime qu’en 2019, environ 230 millions de jeunes (âgés de 15 à 24 ans) vivaient en Afrique, ce qui représente environ 19 pour cent de la population mondiale des jeunes. Les projections indiquent que d’ici 2030, le nombre de jeunes vivant en Afrique augmentera de 42 pour cent au maximum ». Il faut ajouter à cela, une population féminine qui représente la moitié de sa population. À propos des femmes précisément, H. Marcuse (1976, p. 51) estime que :

La libération des femmes apparaîtrait comme l’antithèse du « principe de rendement », et comme la fonction révolutionnaire de la femme dans la reconstruction de la société. Loin de favoriser la soumission et la faiblesse, les caractéristiques féminines mobiliseraient l’énergie agressive en la dirigeant contre la domination et l’exploitation.

Il faut affirmer que le fort taux de femmes en Afrique est un facteur humain non négligeable pour ce continent. Il peut aider à donner des sociétés africaines, une image plus reluisante. Si l’occasion était donnée aux femmes ou si elles réussissaient à renverser les pouvoirs répressifs établis nous pourrions avoir droit à une Afrique plus équitable, plus juste.

Quant à la jeunesse africaine, son importance sur les plans mondial et local est un atout indéniable en raison de son nombre, ses capacités développementalistes et sociales. C’est, selon H. Marcuse (1969, p. 53) une « jeunesse non conformiste (qui) pratique le renversement des significations, jusqu’au démenti formel ». Les réseaux sociaux, en ce sens, sont une opportunité pour l’expression de cette jeunesse.

2.3. Réflexion marcusienne d’une communication sociale adaptée à l’Afrique à travers les médias sociaux

Les médias sociaux peuvent être perçus comme une forme de communication adaptée au continent africain. Dans l’entendement de H. Marcuse (1968, p. 220) en effet, à l’opposé de la communication de masse, il faut privilégier « la communication individuelle, à des degrés divers de prise de conscience et d’explicitation. L’individu « individualise » ainsi un système de signification supra-individuel qui donne à la communication individuelle une nouvelle dimension de discours ». Il s’agit de celle qui relève de cette exigence d’exprimer librement ses pensées proprement ou singulièrement africaines et selon chaque région culturelle du contient. Il s’agit de rappeler comme le font savoir H. D. M. Heungoup, T. Tanda, (2019, p. 8) que « la force des réseaux sociaux réside dans leur attractivité et le pouvoir de l’instantané. Grâce à ce pouvoir de diffusion de l’information, les individus échappent désormais plus facilement à la censure ».

S’inscrivant dorénavant dans une forme de communication non dictée et loin d’un endoctrinement, les réseaux et médias sociaux peuvent de ce fait, participer à un rapprochement des populations africaines.

3. De la communication des médias sociaux à une harmonie sociale en Afrique

La représentativité de plus en plus importante de la population africaine dans le monde est une lucarne pour une meilleure promotion de ses valeurs sociales par le biais des formes de communication.

3.1. De la communication des valeurs sociales chez Marcuse

L’Afrique est le deuxième continent le plus peuplé au monde en 2023. Avec une population mondiale estimée à 8,63 milliards d’habitants (2023, https://populationtoday.com-fr), l’Afrique représente 1 466 839 345 d’habitants soit 18% de la population mondiale. Il est devancé par le continent asiatique avec 4 751 581 553 soit 59% de la population mondiale. Ils sont suivis par l’Europe 9%, l’Amérique du Nord 7%, l’Amérique du Sud 5% et l’Océanie 1% de la population mondiale.

Une étude publiée en mai 2023 par un groupe d’intérêt public basé en Afrique du Sud, Tralac (2023), note que seulement « 40 % de la population utilise l’internet en 2022 » sur le continent. Ce taux d’utilisation d’internet en deçà de la moyenne, influe sur celui des médias sociaux. En effet, « l’Afrique compte 245,8 millions d’utilisateurs des réseaux sociaux en 2023, soit un taux de pénétration de 17% » note chedjoukamdem.com (2023). Malgré ces chiffres peu élevés, ils sont tous en progression. Ils sont tout de même caractéristiques d’une dynamique d’appropriation dont les utilisateurs des médias sociaux africains ont l’occasion d’imprégner la tendance communicative. Dans la perspective marcusienne, la véritable communication devrait s’intéresser aux sujets qui touchent particulièrement une grande frange de la population. Les médias ne devraient pas en ce sens nous détourner des choses essentielles pour celles qui sont inessentielles. C’est pourquoi H. Marcuse (1968, p. 10) rappelle que :

Toutes les forces matérielles et intellectuelles qui peuvent contribuer à réaliser une société libre sont en effet présentes. Si elles n’agissent pas, c’est à cause de la mobilisation totale de la société établie contre la possibilité de sa propre libération. Mais une telle situation ne suffit pas à faire une utopie du projet de transformation.

Dans l’objectif d’une transformation durable des sociétés africaines, les médias sociaux constituent pour les populations du continent un créneau affranchi des pesanteurs institutionnelles et contraintes de tous ordres en vue de perspectives plus reluisantes dans le cadre de l’épanouissement social des Africains.

3.2. Du rôle des médias sociaux pour une existence harmonieuse en Afrique

Face aux différents problèmes du continent tel que le taux élevé de pauvreté, d’analphabétisme, de conflits meurtriers, de confiscation des libertés civiles ou politiques, de la précarité de la santé ou de la mauvaise gouvernance, l’utilisation des médias sociaux en Afrique pourrait s’intéresser en priorité à ces fléaux. Quoique les médias sociaux en Afrique puissent aussi rappeler les qualités de résilience ou d’opportunités que présente le continent. Il faut pour cela se libérer de toute pesanteur pour faciliter la promotion de ses propres valeurs socio-culturelles dans un contexte anthropologique. « Le statuquo doit être menacé » nous dit H. Marcuse (1968, p. 31). Il s’agit de briser l’image conformiste que le monde se fait de l’Afrique. C’est à cette dénonciation à laquelle s’attèle Serge Bilé, qui rétablit des vérités du monde africain sur les réseaux sociaux et particulièrement sur Facebook à travers sa page Serge Bilé officiel ou ses livres. Comme c’est le cas des camps de concentration hitlériens de la deuxième guerre mondiale (1939-1945), où l’auteur (2013, p. 162) nous révèle « la déportation des Noirs dans les camps d’extermination de l’Allemagne hitlérienne. Africains, antillais (…) eux aussi (…) pris dans la tourmente, arrêtés et déportés ». Cela est un rappel historique à la mémoire collective.

Le continent présente aussi des potentialités sociales dont font cas les médias sociaux. Des sites touristiques sont présentés tout comme les capacités de la jeunesse africaine à pouvoir s’adapter à un système où débrouillardise et ingéniosité rivalisent, les prouesses de professionnels malgré de faibles moyens de travail ou une solidarité qui ne cesse d’être visible dans le malheur ou dans le bonheur lors des décès, des naissances ou des mariages.

Au-delà des médias sociaux généralement connus, M. Edjo (2013, ecofin.com) rapporte qu’il existe ceux particulièrement dédiés au continent africain, créés par des africains, avec des objectifs bien précis tels que :

Ushaidi (qui) est une plateforme communautaire kenyane d’information, de communication, de partage (…) pour traquer et dénoncer les violences politiques ou la politique en Afrique (…). Blueword, conçu pour fournir les mêmes services que ceux offerts par les réseaux sociaux européens afin d’attirer à lui les internautes africains (c’est un) réseau social sud-africain. Eskini, (pour) échanger ou encore rencontrer de nouvelles personnes en Afrique (ou) Mxit, Bandeka, PicRate, Afro Terminal, Yookos,East African Social Network.

Tous ces réseaux sociaux qui profitent aux populations africaines démontrent qu’il est possible en termes de communication de surpasser l’uniformité habituelle pour les apprécier autrement. Il est question alors de les voir dans l’imaginaire marcusien.

3.3. De l’imaginaire marcusien à des médias sociaux au service des populations africaines

L’imaginaire marcusien explore des possibilités du monde jusqu’alors considérées comme étant illusoires ou utopiques, alors mêmes qu’elles regorgent de potentialités étouffées. H. Marcuse (1973, p. 125) nous rappelle que « la transformation esthétique est imaginaire. Il faut bien qu’elle le soit, car quelle autre faculté que l’imaginaire pourrait évoquer la présence sensible de ce qui n’est pas (pas encore) » ?

Cet imaginaire marcusien dans la communication permet de briser ce carcan, loin des existences individuelles, des réalités sociales qui urgent, des titres ronflants et brumeux qui nous éloignent de la vérité du réel social. Il s’agit comme nous le suggère G. Raulet (1992, p. 143-144) de parvenir à « l’explosion de l’expressivité, par exemple, dans les nouvelles technologies de communication mais également dans le journalisme- qu’il soit écrit ou télévisuel ; telle est aujourd’hui la forme que prend en fait la « nouvelle sensibilité » ».

Dans le cas africain, il s’agit de permettre l’expression des individus, des peuples, des États, des nations. Ce sont pour ces entités, sans censure, sans orientation et sans canevas, l’occasion d’offrir au monde des valeurs qui leur ont permis de traverser des siècles, dans la joie comme dans la peine. Sans censeurs, les africains ont l’occasion, à travers les médias sociaux de présenter au monde leur mode de vie avec la nature, avec les autres que des frontières coloniales ont séparé, présenter leurs talents, ce qu’ils souhaitent voir de la planète. Ils peuvent ainsi rappeler que l’existence n’est pas que pillages, destructions, courses à l’armement, à la domination, à l’exploitation.

La dynamique constante de l’évolution des utilisateurs des médias sociaux par les africains constitue donc une opportunité dans le défi de la visibilité de ses multiples richesses. J. Attali (2021, p. 252) nous informe d’un fait dont il faut tenir compte « l’Afrique compte en 2020, 170 millions d’utilisateurs de Messenger et de WhatsApp. (…) C’est sur ce continent que se développent le plus les réseaux sociaux, comme s’y est développé en premier, le téléphone mobile ». Ceci est un signal de tout ce que pourront faire les africains grâce à ce nouveau type de médias.

Conclusion

Au-delà des réseaux sociaux, il faut voir l’effectivité des médias sociaux comme la capacité pour un individu ou un groupe, de pouvoir être des sources de communication. Les médias sociaux constituent en effet, un mode de communication individuelle et communautaire qui se déploie sous le sceau d’une liberté effective affranchie des contrôles traditionnels, du conformisme, de la manipulation, dans le respect de l’équilibre des informations et des sources vérifiables. Dans l’entendement marcusien de ce que devrait représenter la véritable communication médiatique, les médias sociaux sont une occasion pour le continent africain de pouvoir se soustraire aux clichés sur son histoire tout en présentant ses atouts. Pour mieux éclairer cette position, nous avons d’abord abordé le concept de réseaux sociaux, des médias sociaux et des nouvelles formes de communication au sens marcusien. Dans un second point, celui des défis sociaux en Afrique et une meilleure utilisation des médias chez Marcuse. Enfin, nous nous sommes intéressés à la communication des médias sociaux chez Marcuse pour une harmonie sociale en Afrique.

La validité de la thèse marcusienne tient surtout du fait que grâce à l’apparition des médias sociaux, les populations africaines ont de plus en plus l’occasion de donner leurs versions des faits sur les réalités qui concernent leurs sociétés. Il demeure toutefois, important comme pour tout média, afin de ne pas tomber dans la désinformation et la manipulation que critique Marcuse, de faire preuve de rigueur, respecter les règles, les principes de l’information et de la communication pour protéger la vérité et non la déformer.

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RÉSEAUX SOCIAUX EN AFRIQUE :                                       CONTRIBUTION À LA MOBILISATION DES RESSOURCES              ET DES COMPÉTENCES POUR SON ÉMERGENCE

Laurent GANKAMA

Université Marien NGOUABI (République du Congo)

gankamalaurent@gmail.com

Résumé :

Le présent texte se propose de réfléchir sur la responsabilité qui incombe aux Africains dans la prise en mains de l’espace public, dans le contexte de l’émergence et de l’influence grandissante des technologies de l’information et de la communication en général et des réseaux sociaux en particulier. Il est question de mettre en avant la nécessité pour les utilisateurs de ces outils communicationnels, qui apparaissent en même temps comme des espaces publics en miniature, virtuels et inclusifs, de capitaliser les apports et opportunités de ces espaces pour les mettre à profit et à contribution dans leur vie communautaire et civique. Dans ce sens, il serait indispensable, pour les Africains, de faire un usage responsable et judicieux des réseaux sociaux, en s’appropriant les valeurs qui y sont régulièrement mises en œuvre, telles que le débat critique, l’esprit d’ouverture, l’écoute, le respect des opinions des autres, la concertation et la capacité de proposition, et en s’en servant comme idéaux pour l’exercice de la responsabilité citoyenne, pour l’implication effective dans l’animation de l’espace public. Tel est le défi de la responsabilisation, de l’épanouissement tant individuel que collectif, de la valorisation des différentes potentialités et de la formation de la conscience citoyenne des Africains pour l’émergence de leur espace public.

Mots clés : Africains, Espace public, Réseaux sociaux, Responsabilité, Valeur.

Abstract:

This text aims to reflect on the responsibility that falls to Africans in taking control of the public space, in the context of the emergence and growing influence of information and communication technologies in general. and social networks in particular. It is a question of highlighting the need for these citizens, users of these communication tools, who appear at the same time as miniature, virtual and inclusive public spaces, to capitalize on the contributions and opportunities of these spaces to take advantage of them and to contribute to their community and civic life. In this sense, it would be essential for Africans to make responsible and judicious use of social networks, by appropriating the values which are regularly implemented there, such as critical debate, a spirit of openness, listening, respect for the opinions of others, consultation and the ability to propose, and using them as ideals for the exercise of civic responsibility, for effective involvement in the animation of the public space. This is the challenge of empowerment, of individual and collective development, of the valorization of different potentialities and of the formation of the civic consciousness of Africans for the sake of the emergence of their public space.

Keywords : Africans, Public Space, Social Networks, Responsibility, Values.

Introduction

L’utilisation des réseaux sociaux, en tant que lieu de discussion et de découverte de relations et de ressources multiformes, peut permettre aux Africains de mettre en œuvre des valeurs et d’accéder à des opportunités qui peuvent les aider à exercer leur responsabilité en tant qu’acteurs de la vie citoyenne et de l’espace public. Il faut questionner en direction de l’intérêt que procurent les réseaux sociaux aux Africains. Autrement dit, quels sont, de manière effective, le rôle et les incidences des réseaux sociaux vis-à-vis de leurs utilisateurs ? En tant que formes d’agoras numériques et virtuels, ne contribuent-ils pas à la mobilisation des ressources et compétences diverses de leurs utilisateurs pour leur implication éventuelle dans la vie publique ? Au-delà des atouts qu’ils peuvent générer, les réseaux sociaux n’entrainent-ils pas aussi des effets pervers sur les utilisateurs ?

Le cadre théorique et méthodologique repose sur l’observation, l’exploitation et l’analyse critique tant des pratiques communicationnelles électroniques que des travaux des théoriciens contemporains sur la communication en général et sur les réseaux sociaux en particulier.

En termes de résultats, on peut relever que les réseaux sociaux prennent une importance grandissante et incontournable dans les pratiques communicationnelles quotidiennes des Africains. À ce titre, il faut dénoncer les réseaux sociaux, leurs effets pervers sur les utilisateurs, leur glissement dans la simple évasion, dans la corruption et la manipulation des consciences, dans des pratiques immorales et illicites comme la prostitution, le proxénétisme, le crime organisé, le trafic d’organes et de stupéfiants, la déstabilisation de certains structures, communautés et même de certains États. Ces déviances mettent en évidence la fragilité du système de régulation de ces réseaux et le déficit considérable de la capacité d’autocensure observé chez de nombreux utilisateurs de ces réseaux.

Néanmoins, un regard nuancé et lucide sur les réseaux sociaux et leur impact permet de reconnaître qu’ils génèrent une multitude d’atouts et autres effets bénéfiques pour la formation, l’épanouissement et l’insertion civique et citoyenne des hommes. Ils servent ainsi de cadre quasi idéal de discussion, d’échange d’idées et de valeurs, susceptible d’aider les Africains à mieux exercer et jouir de leurs droits et libertés fondamentaux. Les réseaux sociaux représentent ainsi un espace public non classique, transversal, cosmopolite, ouvert à la diversité d’opinions, de cultures, de critiques et de propositions. C’est alors une opportunité pour les Africains, souvent confrontés aux dérives dictatoriales de leurs gouvernants, d’exercer, non seulement leurs compétences communicationnelles, mais aussi leur droit au débat public critique et argumenté sur les sujets d’intérêt commun. Ce qui contribuerait à leur implication dans la prise en charge de la vie publique, dans la gestion de l’espace public.

1. De l’état des réseaux sociaux en Afrique

Au cours de ces dernières décennies, le continent africain connaît une poussée considérable, voire un essor explosif des canaux et moyens de communication électroniques globalement désignés sous le vocable réseaux sociaux. Ces réseaux ont été rendus possibles et opératoires par l’émergence et le développement ininterrompu des Technologies de l’information et de la communication.

Ce concept de réseaux sociaux recouvre une signification complexe, variable et dynamique. En général, ce concept de réseau social désigne, selon Alphonse A. C. I. Lepapa (2020, p. 32-33), « un ensemble d’individus ou d’organisations reliés par des interactions sociales régulières ». Ivinza Lepapa poursuit sa clarification en indiquant que « dans le langage courant, l’expression « réseau social » est utilisée pour parler des médias sociaux (…) en recouvrant les champs de la technologie, de l’interaction sociales et la création de contenu » (A. C.  Ivinza Lepapa, 2020, p. 32) et en utilisant de nombreuses techniques comme le web, les blogues, les wikis, le partage de photos, le vidéo-partage (You Tube).

De fait, la révolution communicationnelle qui a bouleversé toute la planète n’a pas épargné l’Afrique. De fait, les réseaux sociaux connaissent une explosion spéciale sur ce continent, au regard du contexte politique spécifique à la plupart des pays africains, qui sont soumis aux problèmes de censure, de manque ou de déficit de démocratie, d’atteintes répétées ou permanentes aux droits fondamentaux des personnes, d’entraves à la liberté de pression et à la liberté d’expression. Ces réalités assez flagrantes, qui pénalisent et étouffent les citoyens dans de nombreux pays africains, ont mis en avant la nécessité de faire recours, en Afrique plus qu’ailleurs, aux réseaux sociaux comme une alternative aux médias traditionnels et étatiques, pour faire circuler, de manière directe et authentique, les informations, souvent tronquées, confisquées, orientées, manipulées, censurées.

C’est dire que, pour l’Afrique, les réseaux sociaux apparaissent comme une riposte, comme des outils de riposte à la propagande officielle, aux discours dominants. Ils participent à la circulation et au partage de l’information et donnent la possibilité aux citoyens moyens de se connecter à ces « médias alternatifs », de comprendre que l’accès à l’information et à la communication n’est pas le monopole des élites et qu’à tous les niveaux de la vie sociale, tous les citoyens peuvent se mobiliser à travers les réseaux numériques. 

Quoique ne disposant pas de conditions économiques et logistiques assez commodes et favorables, le continent africain se trouve également embarqué dans cette dynamique révolutionnaire, qui a contribué à non seulement introduire de nouvelles habitudes et pratiques mais aussi et à libérer le champ de la communication, au point d’offrir aux hommes de multiples opportunités d’échange et de partage. C’est autant rappeler que l’avènement des réseaux sociaux a représenté et représente encore un tournant crucial pour les hommes en général et les communautés en particulier.

Dans le cas et le contexte spécifique de l’Afrique, on peut admettre que l’avènement des réseaux sociaux a contribué, de manière considérable, à l’émergence des mobilisations et mouvements démocratiques. Ceux-ci trouvent, à travers les réseaux numériques, des canaux non seulement pour communiquer leurs idées et idéaux, mais aussi organiser leurs révoltes ou contestations contre certains régimes autocratiques et monolithiques qui gouvernent certains pays. Dans cette optique, au début des années 2010, les réseaux sociaux ont, par exemple, favorisé aussi bien le renversement de certains régimes jugés autoritaristes en Afrique du Nord (cas le Tunisie) que la mise en place de régimes de transition.

En revanche, une autre spécificité de l’Afrique à l’ère des réseaux communicationnels numériques se situe dans le fait que ces outils et les opportunités qu’ils ouvrent en matière d’épanouissement démocratique ne produisent pas toujours les effets escomptés. Car, dans certaines régions comme l’Afrique centrale, les réseaux sociaux n’ont pas encore permis la fragilisation et la déstabilisation des régimes autoritaires et hégémoniques qui gouvernent la quasi-totalité des pays de cette sous-région africaine. Ces régimes réussissent même à résister et à éteindre les velléités de contestation par les réseaux sociaux, en assurant un contrôle relativement strict du secteur du numérique, en imposant des restrictions de la puissance du réseau internet et en appliquant d’autres méthodes ou stratégies sécuritaires de dissuasion. Malgré l’existence de groupes ou mouvements militants opérant sur les réseaux numériques comme Facebook, WhatsApp, Twitter ou X et œuvrant pour la promotion de la culture démocratique et pour l’alternance politique, ces régimes restent stables. D’ailleurs, les gouvernants utilisent parfois les mêmes canaux numériques pour organiser leur marketing politique et tenter de disqualifier leurs opposants. En effet, la mise en place des outils numériques de communication a permis aux différents usagers de s’inscrire et de se déployer dans des espaces et groupes d’échange tels que WhatsApp, Facebook, Instagram, Tik Tok, You Tube, Twitter ou X, ainsi que de nombreux sites et blogs d’accéder à de multiples opportunités.

En même temps, ces nombreuses et merveilleuses opportunités auxquelles ils ont accès s’accompagnent aussi de risques et dangers susceptibles de mettre en péril les intérêts des hommes et des communautés, notamment en Afrique.  À ce titre, il convient de regretter le fait que les réseaux sociaux comportent régulièrement des effets pervers tant sur leurs utilisateurs que sur d’autres personnes qui en sont des victimes collatérales. Parmi les conséquences désastreuses découlant de l’utilisation régulière ou constante des réseaux sociaux en Afrique, on peut noter, entre autres : le glissement vers la simple évasion et la perdition de certains utilisateurs, l’émergence de pratiques immorales comme la corruption, la manipulation et l’instrumentalisation des consciences, l’organisation de trafics illicites et condamnables comme les réseaux de prostitution, de pornographie, de pédophilie, de trafic d’enfants et de stupéfiants, d’escroquerie et de piraterie économico-financière.

Dans la même optique, on peut évoquer le danger enduré par l’utilisation de la désinformation, des fake news et de la manipulation de l’opinion à travers les réseaux sociaux, pendant les périodes électorale et postélectorale de 2018 en République Démocratique du Congo (A. Kasongo Adihe, 2023). C’est sans doute à la lumière de toutes ces faiblesses constatées que Jürgen Habermas (2023) émet à son tour des réserves et porte un regard critique sur la dynamique communicationnelle actuelle portée par les réseaux sociaux. Car ceux-ci contribuent à effacer la délimitation entre la sphère privée et la sphère publique, à l’érosion des critères de rationalité dans la prise de parole et dans le déploiement de la publicité dans cette nouvelle forme d’espace public.

Ces déviances semblent témoigner du fait que non seulement tout ce qui est entrepris et organisé par l’homme comporte inéluctablement une part de défaillance et de faillibilité inhérente à la nature humaine, mais aussi de la fragilité structurelle et juridique du système de régulation de ces réseaux numériques dans les pays africains, traduisant, en même temps, le déficit considérable des acteurs et utilisateurs de ces outils à mettre en œuvre l’autocensure, le recul éthique nécessaire au respect des valeurs morales et sociales à la fois spécifiques aux communautés et traditions africaines et communes à l’humanité.

Il faut rappeler que la situation des réseaux sociaux et de leur incidence sur l’émergence de la culture de la liberté et de la citoyenneté a pris des proportions particulièrement denses ou considérables depuis une dizaine d’années, notamment à la faveur de l’avènement du « Printemps arabe ». Ce mouvement politico-insurrectionnel, qui a secoué plusieurs pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne au début de l’année 2010, a mis en évidence la puissance des réseaux sociaux dans les mobilisations politiques contre certains régimes au pouvoir dans les pays concernés, pour dénoncer, entre autres, la confiscation des libertés et des médias publics officiels, la pauvreté et la précarité socio-économique des populations et réclamer la destitution ou la chute desdits régimes. Grâce à ces mobilisations politiques et citoyennes organisées par le biais des réseaux sociaux, des mouvements insurrectionnels, des réformes politiques et constitutionnelles ont été initiées et enclenchées dans certains États, à l’instar de la Tunisie.

C’est dire, à quel point, dans le contexte politique actuel de l’Afrique, les réseaux ne sont plus seulement un simple outil de communication mais s’imposent désormais comme un tremplin pour les rencontres et mobilisations politiques, pour la sensibilisation et la conscientisation sur les droits civiques et l’engagement citoyen en vue de la revendication des droits et même le règlement possible des problèmes de gouvernance des États. Il convient alors de voir dans quelle mesure les réseaux sociaux peuvent, de manière effective, assurer ce rôle de foyers et canaux de lutte, de campagne et de mobilisation politique, dans l’intérêt du développement des États.

2. De la contribution des réseaux sociaux à la mobilisation des ressources et des compétences pour l’émergence de l’Afrique

Nous abordons ce volet de notre réflexion pour exposer l’apport des réseaux sociaux sur l’émergence, l’enrichissement et l’épanouissement des ressources dans l’espace public africain. Nous entendons par là indiquer que l’utilisation de ces plateformes communicationnelles permet de mettre en évidence aussi bien des réseaux de relations que des ressources et compétences humaines significatives, susceptibles d’être capitalisées et mises à contribution pour l’épanouissement des populations et sociétés africaines. En effet, à travers les canaux et espaces ouverts par les réseaux sociaux, en tant que lieux d’interaction communicationnelle, s’expriment non seulement des opinions libres des différents protagonistes ou acteurs qui y interviennent, mais aussi des débats critiques, ouverts au pluralisme d’idées, de convictions et de positionnements théoriques, idéologiques ou politiques.

Les médias sociaux offrent des espaces numériques pour l’expression libre et critique des idées, des opinions, des convictions, des arguments et même des propositions ou des suggestions. Cette possibilité tend à consacrer, particulièrement dans les pays africains, la participation et l’implication des citoyens dans l’animation de l’espace public. Il s’agit d’une participation citoyenne réelle, effective, vivante, décloisonnée, décomplexée et dynamique, par laquelle les personnes branchées ou connectées à un réseau communicationnel numérique interviennent sur différents sujets d’intérêt commun ou communautaire, émettent leurs avis, affirment leurs positions ou même leurs postures et apportent éventuellement des approches de solutions que chaque intervenant juge viables ou adaptées pour répondre aux problèmes constatés et soumis à la discussion.

Ces fora fonctionnent comme des agoras numériques et virtuels, dans lesquels les participants, loin d’être sélectionnés et identifiés a priori ou à l’avance, proviennent de toutes les couches sociales, de tous les horizons, en rapport avec l’intérêt qu’ils accordent aux questions qui sont soulevées ou mises en débat. Ces questions sont généralement des questions d’intérêt public, qui concernent potentiellement toutes les personnes et requièrent alors le regard, l’appréciation, le questionnement, l’avis critique, les observations et les propositions de n’importe quelle personne intéressée. Comme on peut le comprendre, les réseaux communicationnels numériques facilitent, de par leur caractère ouvert, libre et accessible, l’implication et la mobilisation d’un nombre indéfini, indéterminé de personnes. Celles-ci représentent, de ce point de vue, une diversité de ressources et de compétences, susceptibles de contribuer à l’animation et à l’enrichissement du débat public et démocratique, en tant que vivier propice au développement des États, à l’épanouissement des populations.

L’observation des pratiques communicationnelles électroniques quotidiennes des Africains, telles qu’elles s’effectuent dans les différents pays africains en général et dans les pays d’Afrique subsaharienne en particulier, montre que les réseaux sociaux prennent, chaque jour, une importance grandissante et indépassable, tant leur utilisation s’est presque généralisée. On perçoit, à ce sujet, l’élan et la dynamique de réduction progressive de la fracture numérique qui était autrefois élevée et qui montrait à quel point la proportion des utilisateurs d’internet était faible par rapport à celle des personnes qui n’y avaient pas accès.

Les atouts des réseaux sociaux, notamment leur impact sur l’exercice de la démocratie, ont été particulièrement perceptibles en Afrique du Nord. Le propos suivant d’Alphonse Ivinza Lepapa (2020, p. 36) illustre clairement cette réalité :

L’influence exemplaire des réseaux sociaux sur la démocratie en Afrique est celle des militants arabes sur Internet qui a abouti à des manifestations qui ont conduit à la chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte. C’était la première découverte de l’activisme démocratique en ligne dans le monde arabe que l’on caractérise par son fanatisme religieux et son arriération technologique.

À travers ce propos, on peut noter que le monde arabe, pourtant réputé être un lieu d’exacerbation du fanatisme et de l’extrémisme religieux d’obédience islamique, a été perçu comme un modèle d’émergence et d’explosion du « cyberactivisme » démocratique. Les jeunes s’y sont mis en première ligne pour organiser, par le biais des réseaux sociaux, la contestation et le renversement des régimes dictatoriaux et corrompus des pays comme la Tunisie et l’Égypte. Ce modèle de combat politique et démocratique en ligne, c’est-à-dire favorisé par les canaux communicationnels offerts par les réseaux sociaux et dont l’Afrique s’est révélée comme un exemple spécifique, a pu inspirer certains pays et régions, notamment ceux de la Péninsule arabe comme Oman, Bahreïn, le Yemen.

C’est autant dire que l’Afrique a, sur ce point, été un foyer exemplaire de mobilisations citoyennes ayant donné lieu au renversement de régimes politiques dictatoriaux. Même si cette dynamique citoyenne et révolutionnaire ne s’est pas étendue, avec la même ampleur et la même efficacité, à toute l’Afrique, elle a néanmoins servi de source d’inspiration à l’exercice de combats démocratiques à l’aide des réseaux sociaux numériques. Ce modèle a pu alors être adopté, à des proportions diverses et variées, par d’autres pays. Dès lors, on voit émerger, au cours de ces deux dernières décennies, un élan de transformation sociale et politique porté par des mouvements militants des jeunes africains, qui souhaitent créer de changement, à travers la chute des régimes autoritaires, et poser ainsi les jalons de nouveaux destins dans ces pays.

Cette lecture des mobilisations politiques et démocratiques réalisées en Afrique sous l’influence des réseaux sociaux est aussi portée par Tahirou Kone (2018), où l’on comprend que le présent et l’avenir politiques des pays africains sont désormais liés à cette intrusion des réseaux sociaux et à cette participation active des jeunes internautes à la prise en charge de leur destin politique. Les cas assez vivants des mouvements citoyens comme « Y en a marre » au Sénégal, « Balai citoyen » au Burkina Faso, « Filimbi » en République Démocratique du Congo, « Ras-le-bol » en République du Congo témoignent de la ferveur de l’engagement politique des jeunes africains à travers les réseaux sociaux. Par cet engagement, ils tentent de contribuer à surmonter, dans la mesure du possible, les crises de démocratie et de gouvernance auxquels se trouvent confrontés leurs États en particulier et leur continent en général.

En scrutant les effets et multiples atouts générés par les réseaux sociaux en Afrique, on peut observer que ceux-ci contribuent, à une proportion non négligeable, à la formation, à l’épanouissement, à l’insertion civique et citoyenne des hommes qui les utilisent. Ils servent alors de cadre propice de discussion, d’échange d’idées, d’arguments et de valeurs susceptibles d’aider les Africains à mieux exercer leurs droits et libertés fondamentaux. Le fait pour chaque internaute, connecté à un réseau ou à une plateforme numérique, de s’exprimer librement et directement, d’émettre son opinion ou son jugement, d’affirmer éventuellement son positionnement sur une question, notamment sur les sujets d’intérêt commun proposés ou publiés sur ces réseaux, traduit un exemple patent et réel d’exercice de la liberté d’expression et d’opinion par un citoyen. En plus, il témoigne aussi du fait qu’une personne, capable de parler, d’écrire et de penser, est en mesure de s’inscrire et de participer au débat public. L’émergence des réseaux sociaux en Afrique a particulièrement rendu possible l’avènement d’une nouvelle forme d’espace public.

Cette nouvelle configuration de l’espace public, essentiellement occupée par les personnes connectées et numérisées, revêt véritablement une dimension non classique, non normative, non prévisible. Il est vrai qu’il ne s’agit pas, pour le cas de l’Afrique en contexte d’émergence des communications numérisées, de l’espace public  au sens habermassien (J. Habermas, 1978), qui exposait les conditions sociales et politiques qui avaient présidé à l’émergence de l’élite politique bourgeoise au XVIIe siècle en Europe et mettait en avant « une conception de la citoyenneté très marquée par le modèle européen, dans lequel le citoyen demande de la transparence » (E. Dakouré, S. Gadras, 2020, p. 135).

Après avoir forgé et exposé le concept d’espace public (J. Habermas, 1978), Habermas a aussi, dans la Préface à la 17ème édition allemande de son ouvrage, apporté un amendement partiel de ce concept, en prenant en considération les critiques dont il a été l’objet (J. Habermas, 1992, p. 161-191). Ce qui paraît explicite chez Habermas, c’est la mise en exergue d’une approche normative de l’espace public. Mais, au-delà de cette différence de réalités et de contextes, il est possible de mobiliser « la perspective généalogique habermassienne de l’espace public » (R. Banégas, F. Brisset-Foucault et A. Cutolo, 2012, p. 5-20) pour caractériser la culture et l’espace de liberté et de discussion qui ont envahi l’Afrique subsaharienne à l’ère du numérique pour penser cette dynamique politique dans laquelle les réseaux sociaux numériques  sont utilisés comme canaux ou voies pour exercer les droits et les revendications politiques.

C’est la piste d’analyse explorée par Evariste Dakouré et Simon Gadras (2020, p. 129-146), qui considèrent que les réseaux numériques ont à la fois accompagné, favorisé les mutations sociopolitiques qui ont secoué l’Afrique subsaharienne au cours de ces dernières années et contribué à redéfinir et à enrichir le concept d’espace public à la lumière de ces expériences spécifiques des réalités publiques et privées du continent africain. Par cette mise en relief, en débat et en perspective de l’espace public en Afrique, il s’ensuit que les réseaux sociaux numériques facilitent l’émergence d’« espaces publics interstitiels, plus libres » (E. Dakouré, S. Gadras, 2020, p. 130), qui s’instituent et s’insèrent dans « les marges inoccupées des espaces publics officiels » et formels. Cela revient à indiquer que les nouvelles formes d’espace public, numérisées, permettent de combler le vide, le déficit de liberté et d’ouverture porté par l’espace public classique, en donnant aux citoyens la possibilité, informelle et indirecte, de participer librement à la vie publique et démocratique. Il s’agit, par la voie des réseaux numériques, de faciliter un élargissement des lieux de prise de parole et d’expression démocratique, en permettant à chacun de d’apporter sa contribution critique à la gestion de la cité.

Par ailleurs, l’ouvrage commun publié par Aurelie Aubert, Julie Denouël et Fabien Granjon (2014) présente aussi une réflexion sur le rôle joué par internet pour impulser et favoriser les mouvements sociaux et les mobilisations politiques. Ce livre indique que le développement des services en ligne et l’émergence du web 2.0 ont eu pour effet le renforcement de la confiance dans un avenir participatif où s’imbriquent et s’impliquent le culturel, le politique et le social.

Le capital d’idées, de propositions, d’observations formées par les contributions des internautes, représente une base de ressources susceptibles d’inspirer les différents gestionnaires des institutions tant publiques que privées. Il permet d’infléchir éventuellement leurs positions et de donner une impulsion particulière et considérable, qui peut s’avérer propice à l’émergence, à l’évolution des sociétés et États africains. Quoiqu’ils ne revêtent pas une dimension formellement normative, les réseaux sociaux apportent une dynamique favorable au foisonnement des idées, des visions et à l’épanouissement des communautés.

C’est dire que la participation à l’espace public, au débat public n’est l’apanage ou le monopole des élites et des classes dirigeantes. L’avènement des réseaux sociaux et l’apparition de ces nouvelles pratiques communicationnelles et discursives ont favorisé la décentration de la parole, la libéralité de la parole, la mise en crise du système monologique et du modèle verticaliste au profit de l’approche horizontaliste d’intervention dans l’espace public. Cette approche offre le droit à la parole à tout citoyen capable de s’exprimer et de discuter de manière lucide, responsable avec les autres sur les sujets d’intérêt communautaire.

Vus sous cet angle, les réseaux sociaux apparaissent alors comme un espace public non classique, non fermé, non opaque, transversal, cosmopolite, ouvert à la diversité d’opinions, de cultures, de critiques et de propositions. Ils constituent, pour les Africains, souvent confrontés aux dérives dictatoriales et à l’opacité de leurs régimes politiques, une opportunité pour exercer non seulement leurs compétences communicationnelles, mais aussi leur droit au débat public critique argumenté sur les sujets d’intérêt communautaire. Ils se montrent alors aptes à s’impliquer dans la prise en charge de la vie publique, dans la gestion de l’espace public. Car l’un des problèmes cruciaux de l’Afrique se trouve dans la marginalisation des citoyens, la non prise en compte de leurs opinions, idées, critiques et propositions dans la vie publique.

L’intérêt majeur des réseaux sociaux se situe, de ce point de vue, dans cette possibilité pour les citoyens d’apporter leurs contributions à la gouvernance de leurs cités. Ces espaces numériques dans lesquels ils s’expriment et s’affirment s’assimilent à ce qu’Évariste Dakouré et Simon Gadras (2020, p. 130) considèrent comme des « espaces publics interstitiels », c’est-à-dire des espaces plus libres et plus accessibles. Ils sont éloignés des normes et standards formels et permettent de faire entendre les voix et positionnements des citoyens ordinaires, du peuple profond afin de combler, voire dépasser les discours officiels, qui sont plus ou moins arrangés, conformistes, destinés à préserver les intérêts des gouvernants. C’est dire que les mobilisations citoyennes en ligne revêtent un intérêt spécifique, en ce qu’elles contribuent à promouvoir une forme de délibération publique par le bas, à l’initiative des groupes de citoyens, qui espèrent obtenir ou parvenir à une décentration de l’espace public.

De plus, l’utilisation des réseaux sociaux a contribué à introduire une nouvelle configuration des rapports sociaux et interhumains, un changement d’habitudes et de modèles d’interactions. La caractéristique fortement communicationnelle et interconnectée du monde actuel fait que les citoyens ne peuvent plus être soumis à l’opacité, à la censure, à l’exclusion et à la marginalisation sur les questions liées à la gouvernance de leurs États. Ils finissent nécessairement par être éclairés, édifiés sur tout. Grâce à leur connexion aux réalités des autres cités et parties du monde à la faveur des opportunités offertes et ouvertes par les réseaux numériques, ils feraient valoir devant leurs dirigeants l’exigence de transparence et de bonne gouvernance. L’ouverture du monde et des États, occasionnée par les réseaux sociaux, conduit les citoyens d’un pays à lire leur situation politique, sociale et économique interne à la lumière de celles des autres États et par comparaison avec celles-ci. Dès lors, il devient indispensable, pour les différents   États africains et ceux qui les dirigent, de tenir compte de cet impératif de communication et d’ouverture. Ils devraient alors répondre aux attentes d’épanouissement des populations, de prise en compte et de satisfaction de leurs idéaux d’émancipation et de jouissance de leurs droits fondamentaux, dont le droit au développement, à la paix, à un environnement sain et viable.

Ce qui fait surtout la particularité de notre temps, c’est qu’il se trouve profondément marqué par l’exigence d’ouverture et d’interaction, en tant que facteurs essentiels et propices à l’épanouissement des hommes et à l’évolution des communautés. L’évolution technologique du monde actuel, à travers l’avènement et l’évolution des réseaux numériques de communication, a conduit à l’émergence d’une nouvelle génération, que l’on considère comme la génération « internet » (L. Gankama, 2019, p. 168-187). Celle-ci est constituée de jeunes et adolescents, très ancrés dans le maniement des technologies de l’information et de la communication en général et dans l’utilisation quotidienne des réseaux sociaux en particulier. C’est une génération socialement et économiquement active, politiquement éveillée et attentive à la gouvernance de la cité, soucieuse d’être écoutée, de voir ses idéaux être considérés et de participer au débat sur la vie publique. Elle met alors à profit les réseaux sociaux pour exercer ses droits à la parole, à la discussion, au choix des politiques à mettre en œuvre dans la cité.

Cette génération internet, souvent engagée et sensible à l’exigence de dialogue, discussion, de participation au débat public et à la visée de résultats favorables à l’épanouissement des populations, requiert alors un fonctionnement décloisonné de l’espace public. Étant donné que l’humanité traverse, depuis quelques décennies, une révolution communicationnelle, une explosion des technologies communicationnelles, cette dynamique novatrice et révolutionnaire devient de plus en plus un atout propice à l’épanouissement des communautés, des États.

Conclusion

La réflexion sur l’apport des réseaux sociaux à la mobilisation des ressources et des compétences en Afrique en vue de son émergence a permis de mettre en exergue la contribution de ces espaces numériques de communication, à l’affirmation des aptitudes et des ressources des internautes, en tant qu’acteurs susceptibles de s’impliquer dans l’animation de l’espace public et de contribuer à l’épanouissement de leur communauté et de leur cité. Les réseaux sociaux numériques s’imposent alors, au cours de ces dernières années, comme des moyens d’expression et de véhicule de la culture démocratique, du débat critique et même de changement ou d’amélioration des conditions de vie des citoyens. Mais, au-delà de ces incidences positives très remarquables, on peut aussi admettre que les sont porteurs de dérives, en servant de canaux de diffusion ou de véhicule de la désinformation, de fake news, de nombreuses pratiques immorales et répréhensibles. Il serait alors impérieux, notamment pour les Africains, de s’inscrire dans la perspective d’un usage intelligent, prudent et adéquat des réseaux sociaux, en mettant en avant le respect tant de l’éthique communicationnelle que de leurs valeurs communautaires, sociétales, traditionnelles, qui sont fondamentalement orientées vers la préservation de l’humanité et de la dignité de l’homme. Nous plaidons ainsi pour l’avènement, grâce à l’apport et à la dynamique de ces outils numériques, d’un monde dominé par des interactions pacifiées et pourvoyeuses de cohésion et de progrès.

Références bibliographiques

AUBERT Aurelie, DENOUEL Julie, GRANJON Fabien, 2014, Médias numériques et participation. Entre engagement citoyen et production de soi, Paris, Mare et Martin.

BANEGAS Richard, BRISSET-FOUCAULT Florence, CUTOLO Armando, 2012, « Espaces publics de la parole et pratiques de la citoyenneté en Afrique », Politique africaine, N°127, p. 5-20.

DAKOURÉ Evariste, GADRAS Simon, 2020, « Le concept d’espace public à l’épreuve de ses actualisations en contexte de mobilisations politiques numériques en Afrique subsaharienne francophone », Communications et Langages, N°205, p. 129-146.

GANKAMA Laurent, 2019, « La génération internet : pilier de l’avènement d’une nouvelle culture citoyenne et d’une pratique politique décloisonnée », Autour de L’imposture ethnocentriste de Charles Zacharie Bowao. Una analyse critique et prospective, Didier Ngalebaye (dir.), Douala, Editions Cheikh Anta Diop, p. 168-187.

HABERMAS Jürgen, 1978, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Trad. Marc B. de Launay, Paris, Payot.

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KASONGO ADIHE Ange, 2023, BALOBAKI-La démocratie congolaise à l’heure des réseaux sociaux, des fake news et de la manipulation, Paris, L’Harmattan.

KONE Tahirou (2018, « Citoyenneté numérique, mobilisation collective et élection présidentielle en Côte d’Ivoire », in French Journal for Media Research, N°10, in http://frenchjournalformediaresearch.com/lodel-1.0/main/index.php?id=1705, consulté le 08 septembre 2023 à 10h05.

AXE 4 : RÉSEAUX SOCIAUX ET DIGNITÉ HUMAINE

LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES À L’ÈRE             DES RÉSEAUX SOCIAUX AU CAMEROUN

Saidou ABOUBAKAR

FSJP_Université de Ngaoundéré (Cameroun)

abousaidou95@yahoo.fr

Résumé :

Au Cameroun, la nécessité d’une réflexion sur les règles qui encadrent les données personnelles des utilisateurs des réseaux sociaux s’est imposée avec l’objectif de procéder à un état des lieux de la question.  Cette communication s’inscrit dans la continuité des débats engagés sur les risques grandissant de violation des droits fondamentaux de la personne humaine dans le cyberespace. En réalité, le monde est entré dans l’ère de la société de l’information inclusive où les savoirs peuvent être produits, échangés et partagés au moyen de l’internet, incontestablement devenu « un bien commun universel » utilisant les données personnelles comme matière première indispensable pour son fonctionnement. Si au niveau régional, l’Union Africaine consolide une harmonisation croissante des règles relatives à ce sujet, par l’adoption le 27 juin 2014 à Malabo d’une Convention sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, la capacité de gestion de la question au niveau national réconforte la posture souveraine des États. Partant de ce constat, notre question de recherche est la suivante : existe-il une nomenclature nationale des instruments juridiques de protection des données personnelles à même de contenir les atteintes à la dignité humaine sur les réseaux sociaux ? Si la réponse est affirmative, nous abordons cette problématique pour montrer, grâce à la méthode analytique, que cet encadrement normatif et institutionnel est très faible, épars et peu cohérent. Nous espérons également faire des propositions pour une réglementation efficiente de la question au Cameroun.

Mots clés : Cyberespace, Données personnelles, Protection, Réseaux sociaux, Sanctions.

Abstract:

In Cameroon, the need to reflect on the legal rules governing privacy in general and the personal data of users of social networks in particular has emerged with the aim of taking stock of the situation. From this point of view, the communication is a continuation of debates at both the global level and in the African region on the growing risks of violation of the fundamental rights of the human person in cyberspace; an open, democratic space, borderless and marked by rapid action. In reality, the world has now entered a new era that offers immense opportunities, those of the inclusive information society where knowledge can be produced, exchanged, shared and communicated through the Internet and all networks around the world. The Internet has unquestionably become a “universal common good” that uses personal data as the essential raw material for its functioning. “Personal data” shall be understood as “any information relating to an identified or identifiable natural person”. While at the regional level, the African Union is consolidating an ever-increasing harmonization of the rules relating to it, notably through the adoption on 27 June 2014 in Malabo of a Convention on cybersecurity and the protection of personal data, the ability to manage the issue at the national level reinforces the sovereign posture of States. Based on this observation, the research question that questions us is the following: Is there a national nomenclature of legal instruments for the protection of personal data capable of containing violations of human dignity on social networks? If the answer is yes, we approach this issue to show that this normative framework is very weak, scattered and inconsistent. We also hope to make proposals for an efficient regulation of the issue in Cameroon. To achieve this, we will use the traditional analytical method for the jurist because, relying on the documentary technique that will not only allow us to go from law to fact and fact to law, but also to confront the legal texts, jurisprudence and doctrine both national and foreign.

Keywords : Cyberspace, Personal data, Protection, Sanctions, Social networks.

Introduction

La capacité des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) à réduire bon nombre d’obstacles classiques, notamment ceux que constituent le temps et la distance, permet pour la première fois dans l’histoire de faire bénéficier leur potentiel à des millions d’êtres humains dans toutes les régions du monde. Cela donne à chaque individu, communauté ou peuple la possibilité de créer, d’obtenir, d’utiliser et de partager l’information et le savoir pour réaliser l’intégralité de son potentiel de développement et de bien-être. C’est avec ce fondement que la proportion de la population ayant accès auxdites TIC continue de s’accroitre au vu de la place désormais centrale qu’occupent ces outils dans le paysage de la communication. D’ailleurs, Larry Page, l’un des deux fondateurs de Google, fait remarquer que ce service fait partie du quotidien d’un grand nombre de gens, au même titre que se brosser les dents (Daniel Ichbiah, 2010, en ligne 288 p). Cet accroissement, marqué par une rapide transformation digitale et le développement des produits ou services électroniques, entraine également une utilisation croissante, sur les réseaux sociaux, du volume des données personnelles échangées dont la protection est nécessaire pour préserver le respect du droit à la vie privée de chaque individu. La vie privée correspond à la sphère d’intimité que chacun est en droit de posséder et de préserver peu importe qu’il s’agisse d’une personne publique (Yvette Rachel Kalieu Elongo, 2018, en ligne).Autrement dit, c’est l’espace dans lequel l’organisation de la vie de chacun « ne regarde personne d’autre que lui et ses intimes » (Gérard Cornu, 2011, p. 1064). Les éléments suivants rentrent dans la vie privée : images, voix, situation familiale et sociale, opinion politique, domicile, croyances religieuses, habitudes de vie, informations d’identification, état de santé, fortune, famille (Yvette Rachel Kalieu Elongo, 2018, en ligne). C’est évidemment parce que la vie privée est fondamentale pour l’épanouissement de l’homme dans la société que sa protection est garantie par plusieurs textes à l’instar de la Convention de l’Union Africaine sur la cybersécurité et la protection des données personnellesadoptée à Malabo, en Guinée Équatoriale, le 27 juin 2014. L’un des principaux objectifs de cette convention, tel que décliné dans son préambule, est de « mettre en place, dans chaque État partie, un dispositif permettant de lutter contre les atteintes à la vie privée susceptibles d’être engendrées par la collecte, le traitement, la transmission, le stockage et l’usage des données à caractère personnel » (Hervé Martial Tchabo Sontang, 2020, en ligne).

Les données personnelles sont entendues comme étant « toute information relative à une personne physique identifiée ou identifiable, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments, propre à son état civil et à son identité physique et biométrique ». C’est du moins ce qui ressort de l’article 1er du Règlement N°03 /16-CEMAC-UMAC-CM du 21 décembre 2016 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement. Une définition proche de celles de l’Union Africaine et de l’Union Européenne. Pour l’Union Africaine, la donnée à caractère personnel est définie comme « toute information relative à une personne physique identifiée ou identifiable directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments, propres à son identité physique, physiologique, mentale, économique, culturelle et sociale ».

L’Union Européenne, quant à elle, définit la donnée à caractère personnel comme étanttoute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée « personne concernée »). Est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale (article 4 du RGPD ou règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données).

À travers la notion de données personnelles en effet, on regroupe toutes les donnéeset informations, et tous les éléments pouvant permettre d’identifier, directement ou indirectement, une personne physique (Yves Léopold Kouahou, 2010, en ligne). Il s’agit d’information permettant d’identifier un individu de manière unique à l’instar des nom et prénom, numéro de sécurité sociale, numéro de carte nationale d’identité, numéro de passeport, numéro de compte, date et lieu de naissance, adresse physique et courriel, numéro de téléphone, numéro de la carte bancaire, données biométriques comme les empreintes digitales et ADN, etc.

La notion de données personnelles n’est pas fondamentalement modifiée à l’ère des réseaux sociaux. Selon John Barnes, le réseau social est un ensemble d’identités sociales, comme des individus ou encore des organisations reliées entre elles par des liens créés lors d’interactions sociales. La notion de « réseau social » a été reprise dans les années 1990 pour désigner des communautés d’internautes se regroupant autour d’intérêts communs. Les réseaux sociaux n’ont cessé de se développer à partir des années 2000 (Ariel Dehi, 2020, en ligne). Plus généralement ces derniers désignent l’ensemble des sites internet permettant de se constituer un service de regroupement de diverses personnes ayant des liens d’amitié, professionnels, familiaux, religieux, politiques, économiques, entre autres. L’objectif est de créer un échange sur un sujet particulier ou non, et de façon globale, ces réseaux sociaux donnent aux utilisateurs la possibilité de partager avec les autres membres du groupe des informations, des photos ou des vidéos. Parmi les nombreux réseaux sociaux, on peut citer Facebook, WhatsApp, Youtube, Instagram, LinkedIn, Viadeo (Yvette Rachel Kalieu Elongo, 2018, en ligne).

La présente communication vise à répondre à la question de savoir s’il existe au Cameroun des instruments juridiques de protection des données à caractère personnel à même de contenir les atteintes à la dignité humaine sur les réseaux sociaux. Autrement dit, quelles sont les mesures prises par le législateur camerounais pour protéger les données à caractère personnel sur les réseaux sociaux ? Cette interrogation nous permet, de présenter, grâce à la méthode analytique, le cadre normatif et institutionnel de protection des données personnelles au Cameroun.

1. Le cadre normatif de protection des données personnelles sur les réseaux sociaux au Cameroun

Le régime de protection des données personnelles sur les réseaux sociaux au Cameroun est constitué des normes internationales et nationales qui méritent d’être analysées distinctement.

1.1. Les normes internationales de protection des données personnelles sur les réseaux sociaux au Cameroun

La protection des données personnelles est assurée à travers un attelage de règles, dont certaines sont directement orientées sur elles, alors que d’autres n’y réfèrent que de manière dérivée. L’intérêt dérivé de la deuxième catégorie de règles n’entame pourtant en rien leur pertinence, dès lors que l’on ne perd pas de vue qu’une telle activité de protection s’inscrit dans une démarche systémique. Une telle dualité caractérise aussi bien les règles universelles qu’africaines dévolues à la protection desdites données.

1.1.1. Les règles de protection des données personnelles ayant une portée universelle

Au niveau universel, en premier lieu, la protection des données personnelles s’appuie sur de fondements légaux tels que les conventions internationales (Yvette Rachel Kalieu Elongo, 2018, en ligne). Au rang de ces conventions internationales, on peut citer la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1948 dont l’article 12 dispose clairement que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

On peut aussi citer les exemples de la Convention de Budapest sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001 et la Convention 108 ou la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel adoptée le 28 janvier 1981 signée et ratifiée par cinq pays africains à savoir l’Ile Maurice, le Sénégal, le Maroc, la Tunisie et le Cap-Vert.

Il y a en second lieu, la Résolution onusienne 45/95 du 14 décembre 1990 qui pose les Principes directeurs pour la règlementation des fichiers personnels informatisés (Laurent-Fabrice Zingue, 2020, en ligne). Parmi ces principes, figurent en pole position, le principe de finalité, le principe de proportionnalité et de pertinence, le principe d’une durée de conservation limitée et le principe de sécurité et de confidentialité.

1.1.2. Les règles de protection des données personnelles ayant une portée régionale ou sous régionale

L’Union Africaine a légiféré sur la protection des données personnelles via la Convention de Malabo sur la cyber sécurité adoptée le 27 Juin 2014. Elle définit en son article 13, les principes fondamentaux régissant son traitement à savoir, le consentement du propriétaire, la licéité des traitements, la finalité des traitements, l’exactitude, la transparence et la confidentialité desdites données à caractère personnel.

Par ailleurs, pour la sous-région, Afrique centrale, la CEMAC a adopté la directive N°07/08-UEAC-133- CM-18 du 19 Décembre 2008 fixant le cadre juridique de la protection des droits des utilisateurs des réseaux et des services de communications électroniques au sein de la communauté. Elle vise « à garantir aux utilisateurs, un certain nombre de droits en termes de respect de la vie privée, de qualité et de permanence des services, d’information, de traitement des données à caractère personnel et de protection à l’égard de la cybercriminalité » (Laurent-Fabrice Zingue, 2020, en ligne).

1.2. Les normes nationales de protection des données personnelles sur les réseaux sociaux au Cameroun

La protection des données personnelles est une préoccupation constante intégrée dans les normes africaines inspirées par les conventions internationales sus évoquées. C’est notamment le cas du Cameroun qui, pour faire face à cette nouvelle forme d’atteinte à la vie privée a adopté diverses lois et règlements qui concourent à une meilleure protection des données personnelles.

1.2.1. Les lois camerounaises de protection des données personnelles

Plusieurs textes de lois ayant des liens avec la protection des données personnelles ont été promulgués par le Président de la République du Cameroun. On peut citer entre autres ;

La loi N°98/014 du 14 juillet 1998 régissant les télécommunications au Cameroun et qui marque l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications au Cameroun. Avec cette loi, l’État va se désengager du secteur productif des télécommunications à travers la séparation des activités d’exploitation de supervision, de réglementation et de régulation. Compte tenu de l’évolution technologique, le cadre normatif va connaître des mutations avec la promulgation d’un ensemble de lois, abrogeant la loi susvisée.

La loi N°2006/018 du 29 décembre 2006 régissant la publicité au Cameroun dont l’article 37 précise par exemple que ‘’La publicité ne doit pas contenir sans l’autorisation des intéressés ou de leurs ayants droit, des références ou autres déclarations émanant d’une personne, […], ni comporter sans l’autorisation de la personne habilitée, l’image, le nom, le surnom ou le pseudonyme d’un individu identifiable. L’article 60 de la même loi punit ‘’des peines prévues à l’article 300 du code pénal’’ celui qui viole les dispositions dudit article 37.

La loi N°2011/012 du 6 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun, ou selon l’article 3 alinéa a, la protection de la vie du consommateur est l’un des principes issus de la politique nationale de protection des consommateurs.

La loi N°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cyber sécurité et à la cybercriminalité au Cameroun dans laquelle le législateur prévoit un ensemble de dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel, notamment aux articles 26, 31, 35, 55, 66 ,67, 68, 69, 71 et 74 qui traitent des obligations et des sanctions relatives à la protection des données à caractère personnel. Ces obligations vont de l’accord préalable des concernés avant la conservation des données aux mécanismes à mettre en place pour leur protection, en passant par leur stockage et leur accessibilité au juge.

La loi N°2010/013 du 21 décembre 2010 modifiée et complétée par la loi N°2015/06 du 20 avril 2015 régissant les communications électroniques au Cameroun. Cette loi ne traite pas spécifiquement des données à caractère personnel mais évoque la protection des données personnelles en son article 3 qui dispose à l’alinéa 2 que « les exigences essentielles […] sont des exigences nécessaires pour garantir dans l’intérêt général […] la protection des données personnelles ».

1.2.2. Les textes règlementaires camerounais de protection des données personnelles sur les réseaux sociaux

Ces textes sont également nombreux et épars. On peut à titre illustratif citer cinq (05) décrets.

Le décret N°2012/1637/pm du 14 juin 2012 fixant les modalités d’identification des abonnés et des terminaux. Son chapitre III intitulé ‘’ De la confidentialité des données d’identification’’ est consacré à la protection des données personnelles.

Le décret N°2002/092 du 08 avril 2002 portant création de l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC). Le décret lui assigne la mission globale de promotion et de suivi de l’action des pouvoirs publics dans le domaine des TIC. Elle est alors placée sous la tutelle technique de la Présidence de la République.

Le décret N°2012/180 du 10 avril 2012 du Chef de l’État fixant l’organisation et le fonctionnement de l’ANTIC, conformément à l’article 90 alinéa 2 de la loi régissant les communications électroniques au Cameroun.

Le décret N°2019/150 du 22 mars 2019 du Chef de l’État fixant l’organisation et le fonctionnement de l’ANTIC qui la met désormais sous la tutelle de deux ministères. Le ministère en charge des postes et télécommunications pour la tutelle technique et le ministère en charge des finances pour la tutelle financière.

Le décret N°2013/0399 /pm du 27 février 2013 fixant les modalités de protection des consommateurs des services de communications électroniques. Ce décret a pour objectif de garantir les droits relatifs à la vie privée, à l’information et aux traitements des données à caractère personnel. Le décret oblige, dans son article 5, les opérateurs de réseaux d’assurer la confidentialité des données à caractère personnel des clients. Bien plus, l’article 7 du texte impose l’obtention du consentement du consommateur avant toute activité de prospection.

La profusion des textes protégeant les données personnelles sur les réseaux sociaux au Cameroun est toutefois loin de cacher les insuffisances normatives y attachées. Lesdites insuffisances sont organiques, organisationnelles et fonctionnelles (Laurent-Fabrice Zingue, 2020, en ligne). Et, elles portent, entre autres, sur la non définition des données personnelles par les textes camerounais, la diversité ou la profusion des textes consacrant la protectiondes données personnelles rendant difficiles l’identification des règles par les justiciables, et entache leur connaissance, leur compréhension et leur application ainsi que l’insuffisante définition de la responsabilité des acteurs qui interviennent dans la manipulation des données personnelles (Yvan Lionnel Youmssi Eya, 2021, en ligne).

2. La protection institutionnelle des données personnelles au Cameroun

La protection des données personnelles comprend un volet international et un volet national. Dans ces deux volets, le problème de mise en œuvre se pose avec acuité. Dans le volet international, les conventions adoptées ont souvent du mal à s’appliquer malgré de longues et difficiles négociations qui permettent aux États de parvenir à un accord. De plus, même après l’adoption de certains accords, il y a des États qui renoncent à les ratifier, usant de leur souveraineté.

Au niveau national, l’inflation normative et la nouveauté des règles créent un problème d’appropriation des règles de protections des données personnelles par les institutions chargées de leur mise en œuvre. En tout état de cause, il existe une pléthore d’institutions intervenant dans la protection desdites données. Ces institutions sont administratives et juridictionnelles.

L’absence de la saisine du juge civil qui n’a pas encore eu l’opportunité de se prononcer sur les atteintes à la protection des données personnelles et compte tenu du fait que le juge pénal ne soit pas suffisamment sollicité ne serait-ce que sur la base de l’article 74 de la loi sur la cyber sécurité et la cybercriminalité de 2010 (Yvan Lionnel Youmssi Eya, 2021, en ligne), l’étude des instituions juridictionnelles nous semble superfétatoire. Nous nous limiterons à présenter ici, les institutions de la protection administratives des données personnelles. Il s’agit en réalité d’identifier les acteurs qui interviennent et qui ont en charge le numérique au Cameroun. Il en existe plusieurs. On peut les classer en acteurs publics et en acteurs privés.  Les acteurs privés étant soumis aux régimes d‘autorisation ou de déclaration, nous n’en ferons pas écho pour nous consacrer uniquement à la présentation des acteurs publics.  

Les acteurs publics sont des autorités de droit public ou les administrations publiques chargées d’intervenir en matière du numérique, notamment le Ministère des postes et télécommunication et les Agences de régulation.

2.1. L’administration chargée des télécommunications : le Minpostel

Le Minpostel est l’administration gouvernementale chargée des télécommunications et par ricochet du numérique. Elle détient une compétence générale, exclusive et spécifique.

2.1.1. La compétence générale du Minpostel

L’administration chargée des Télécommunications veille à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique sectorielle des Télécommunications et des Technologies de l’Information et de la Communication en tenant compte de l’évolution technologique dans ce secteur, des besoins de développement et des priorités du Gouvernement dans ce domaine. Elle veille à l’application de cette politique au respect de la législation et de la réglementation y afférentes.

L’administration chargée des Télécommunications assure en outre, entre autres :

  • la supervision du secteur des Télécommunications et des Technologies de l’Information et de la Communication, la tutelle des entreprises publiques de télécommunications et de Technologies de l’Information et de la Communication. Exemple de la tutelle sur la Camtel ;
  • la représentation de l’État aux organisations et manifestations internationale concernant les Télécommunications et les Technologies de l’Information et de la Communication.
  • la détermination du nombre d’opération dans chaque segment de marché en tenant compte des ressources rares ;
  • la garantie de l’utilisation optimale des ressources rares disponibles en tenant compte des contraintes économiques des marchés ;
  • le lancement des appels d’offres pour les concessions et les licences ;
  • la signature des conventions de concession ;
  • la délivrance formelle aux opérations et aux exploitants, après avis de l’Agence, des licences ;
  • la définition d’une politique tarifaire ;
  • la conduite d’études stratégiques sectorielles.

2.1.2. La compétence exclusive du Minpostel

Elle est relative au spectre de fréquences radioélectriques (une gamme d’ondes radio grâce auxquelles la transmission des informations est possible). Il convient de préciser que le spectre des fréquences radioélectriques fait partie du domaine public de l’État. L’administration chargée des Télécommunications assure pour le compte de l’État, la gestion du spectre des fréquences. À ce titre, elle a pour mission générale de coordonner, de planifier, de contrôler et d’optimiser l’utilisation dudit spectre des fréquences suivant les besoins nationaux et conformément aux dispositions de la convention, de la constitution et du règlement des radiocommunications de l’Union Internationale des Télécommunications et des autres traités internationaux pertinents. L’administration chargée des Télécommunication peut, après avis de l’ART, limiter le nombre d’accords d’assignation de fréquence.

2.1.3. La compétence spécifique du Minpostel

L’administration chargée des Télécommunications élabore et met en œuvre, la politique de sécurité des communications électroniques en tenant compte de l’évolution technologique et des priorités du Gouvernement dans ce domaine.  À ce titre, elle :

  • assure la promotion de la sécurité des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information, le suivi de l’évolution des questions liées à la sécurité aux activités de certification ; 
  • coordonne sur le plan national les activités concourant à la sécurisation et à la protection des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information ;
  • veille à la mise en place d’un cadre adéquat pour la sécurité des communications électroniques ;
  • arrête la liste des autorités de certification ;
  • assure la représentation du Cameroun aux instances internationales chargées des activités liées à la sécurisation et à la protection des réseaux de communications électroniques et des systèmes d’information.

Le Minpostel n’est pas le seul acteur public. Il existe aussi les autorités de régulation.

2.2. Les administrations chargées de la régulation : l’ART et l’ANTIC

La régulation est de plus en plus prononcée dans divers domaines ou le droit rencontre l’économie et ou l’intérêt public rencontre l’intérêt privé. Le Cameroun a mis sur pied deux agences de régulation qui jouent le rôle de facilitateur et de surveillant du numérique. Il s’agit de l’Agence de régulation de la télécommunication et de l’Agence nationale des technologies de l’information et de la communication.

Ce sont deux établissements publics administratifs dotés de la personnalité juridique, de l’autonomie financière et décisionnelle placés sous la tutelle technique du Minpostel et sous la tutelle financière du Ministère des finances. Ces agences ont des missions de contrôle, de conseil et de règlement des différends qu’il convient de voir en détail.

2.2.1. L’ART

S’agissant du statut de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART), il faut indiquer qu’elle est instituée par la loi de 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun. C’est un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, dont l’organisation et le fonctionnement sont définis par les dispositions du décret N°2010/203 du 20 avril 2012 portant organisation et fonctionnement de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART).

Relativement aux missions de l’Agence, elles sont de contrôle et de conseil d’une part, et contentieuses d’autre part. Parlant des missions de contrôle et de conseil de l’ART, cette dernière assure pour le compte de l’État, la régulation, le contrôle et le suivi des activités des opérateurs et exploitants du secteur des Télécommunications et des Technologies de l’Information et de la Communication. Elle veille également au respect du principe d’égalité de traitement des usagers dans toutes les entreprises de communications électroniques.

Elle a entre autres pour missions :

  • de veiller à l’application des textes législatifs et réglementaires en matière des Télécommunications et des Technologie de l’Information et de la Communication ;
  • de s’assurer que l’accès aux réseaux ouverts au public s’effectue dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ;
  • de garantir une concurrence saine et loyale dans le secteur des Télécommunications et des Technologies de l’Information et de la Communication ;
  • de sanctionner les manquements des opérateurs à leurs obligations ainsi que les pratiques anticoncurrentielles ;
  • de définir les principes devant régir la tarification des services fournis;
  • de définir les conditions et les obligations d’interconnexion et de partage des infrastructures ;
  • d’émettre un avis sur tous les projets de texte à caractère législatif et réglementaire en matière de communications électroniques ;
  • de préparer les dossiers d’appels d’offres pour les concessions et les licences ;
  • d’établir et de gérer le plan de numérotation ;
  • de délivrer les agréments ;
  • d’exercer toute autre mission d’intérêt général que pourrait lui confier le Gouvernement dans le secteur des Télécommunications et des Technologies de l’Information et de la Communication ;
  • de garantir la protection des consommateurs.

Quant aux missions contentieuses de l’ART, cette dernière est compétente pour connaitre, avant la saisine de toute juridiction, des différends entre opérateurs des réseaux de communication électronique relatifs notamment, à l’interconnexion ou à l’accès à un réseau de communication électronique, au dégroupage de la boucle locale, à la numérotation, à l’interférence des fréquences, à la co-localisation physique et au partage des infrastructures. La compétence de l’Agence n’est possible qu’au cas où les faits, objet du différend, ne constituent pas une infraction pénale.

Pour mieux encadrer le secteur et en raison de sa technicité, l’Agence dispose en son sein, d’un organe chargé du règlement des différends conformément aux lois et règlements en vigueur. L’Agence peut, d’office ou à la demande de l’une des parties, procéder à une tentative de conciliation afin de trouver une solution amiable au litige. Elle peut prendre des mesures qu’elle juge utiles à cette fin, notamment se faire assister le cas échéant, par des experts internes ou externes. La décision de conciliation doit intervenir dans un délai maximum de trente (30) jours, à compter de la saisine de l’Agence.

Si le litige est réglé à l’amiable en tout ou en partie, l’Agence rédige un procès-verbal de conciliation signé par toutes les parties et l’Agence. Au vu du procès-verbal qui vaut accord entre les parties, l’Agence prend une décision de conciliation consacrant la solution à l’amiable du litige. Cette décision de conciliation est notifiée aux parties qui doivent s’y conformer dans un délai de trente (30) jours. En cas d’échec de la procédure de conciliation initiée par l’Agence, un procès-verbal de non conciliation est établi. L’Agence saisit l’organe de règlement des différends, qui engage les enquêtes et les investigations nécessaires afin de statuer sur le litige. Les décisions de l’organe sont susceptibles de recours, soit devant l’arbitre, soit devant les juridictions de droit commun.

2.2.2. L’ANTIC

L’ANTIC a des missions secondaires en matière de télécommunication et principale en matière de sécurité. Elle est un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière administrée par un Conseil d’Administration composé d’un Président et de 11 membres et, d’une Direction Générale sous l’autorité d’un Directeur Général assisté d’un Directeur Général Adjoint. Elle est placée sous la tutelle technique du Ministère des Postes et Télécommunications et sous la tutelle financière du Ministère des Finances. Son siège est fixé à Yaoundé. Elle est créée par décret N°2002/092 du 08 avril 2002, qui lui assigne la mission globale de promotion et de suivi de l’action des pouvoirs publics dans le domaine des TIC.

Les missions de l’Agence sont secondaires ou principales. Comme missions secondaires, l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communications « ANTIC » est chargée de la promotion et du suivi des pouvoirs publics en matière des technologies de l’information et de la communication. À ce titre, l’ANTIC est chargée, notamment :

  • d’élaborer et de suivre la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement des technologies de l’information et de la communication ;
  • d’identifier les besoins communs des services publics en matière d’équipement informatiques et logiciels ;
  • de veiller à l’harmonisation des standards techniques et de proposer des référentiels techniques, afin de favoriser l’interopérabilité entre les systèmes d’information ;
  • de fournir son expertise aux administrateurs pour la conception et le développement de leurs objets techniques ;
  • de coordonner la réalisation et d’assurer le suivi des sites Internet, Intranet et Extranet de l’État et des organismes publics ;
  • de concourir à la fourniture technique des formateurs des universités, lycées, collèges, écoles normales et écoles primaires ;
  • de participer aux actions de formation des personnels de l’État dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, en émettant des recommandations sur le contenu des formations techniques et sur les programmes des examens professionnels et des concours ;
  • d’entretenir des relations de coopération technique avec des organismes internationaux publics ou privés agissant dans ce domaine, suivant les modalités prévues par la législation en vigueur. Dans cette perspective, elle est chargée de l’enregistrement des noms de domaines ;
  • de mettre en place des mécanismes pour régler des litiges d’une part, entre les opérateurs des technologies de l’information et de la communication et d’autre part, entre opérateurs et utilisateurs, pour les problèmes spécifiquement liés aux contenus et à la qualité de service (spamming, phishing, hacking).

Comme missions principales, l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication, instituée par la loi régissant les communications électroniques au Cameroun, est chargée de la régulation des activités de sécurité électronique, en collaboration avec l’Agence de Régulation des Télécommunications. Elle assure pour le compte de l’État, la régulation, le contrôle et le suivi des activités liées à la sécurité des systèmes d’information et des réseaux de communications électroniques, et à la certification électronique.

À ce titre, elle est notamment chargée :

  • d’instruire les demandes d’accréditation et de préparer les cahiers de charges des autorités de certification et de les soumettre à la signature du Ministre chargé des Télécommunications ;
  • de contrôler la conformité des signatures électroniques émises ;
  • de participer à l’élaboration de la politique nationale de sécurité des réseaux de communication électronique et de certification ;
  • d’émettre un avis consultatif sur les textes touchant à son domaine de compétence ;
  • de contrôler les activités de sécurité des réseaux de communication électroniques, des systèmes d’information et de certification ;
  • d’instruire les demandes d’homologation des moyens de cryptographie et de délivrer les certificats d’homologations des équipements de sécurité ;
  • de préparer les conventions de reconnaissance mutuelle avec les parties étrangères et de les soumettre à la signature du Ministre chargé des Télécommunications ;
  • d’assurer la veille technologique et d’émettre des alertes et recommandations en matière de sécurité des réseaux de communication électroniques et de certification ;
  • de participer aux activités de recherche, de formation et d’études afférentes à la sécurité des réseaux de communications électroniques, de systèmes d’information et de certification ;
  • de s’assurer de la régularité, de l’effectivité des audits de sécurité des systèmes d’information suivant les normes en la matière, des organismes publics et des autorités de certification ;
  • d’assurer la surveillance, la détection et l’information aux risques informatiques et cybercriminels ;
  • d’exercer toute autre mission d’intérêt général que pourrait lui confier l’autorité de tutelle. L’Agence est l’Autorité de Certification Racine mais également l’autorité de certification de l’Administration Publique.

Sur le plan institutionnel, il ressort de ce qui précède que le Cameroun ne dispose pas d’un organe institutionnel ou d’une autorité indépendante chargée uniquement de protéger les données et de veiller au respect des principes fondateurs régissant la collecte, le traitement, le stockage des données à caractère personnel.

L’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC) qui est le bras séculier de l’État en matière de régulation des activités liées à la sécurité des systèmes d’information, ne dispose pas de compétences effectives quant à la protection des données à caractère personnel. Le pouvoir d’investigation dont elle dispose est uniquement limité au cadre de la sécurisation des systèmes d’information des opérateurs des réseaux de communications électroniques ouverts au public. L’ANTIC n’est pas une entité indépendante comme la Commission Nationale Informatique des Libertés (CNIL) en France (Yvan Lionnel Youmssi Eya, 2021, en ligne).

L’expérience de la CNIL a largement inspiré la définition, par l’Assemblée Générale de l’ONU, des Principes directeurs des Nations Unies pour la réglementation des fichiers informatisés contenant des données à caractère personnel (Hervé Martial Tchabo Sontang, 2020).

Par ailleurs, la protection des données informatiques à caractère personnel par l’ART apparait comme étant incidente dans ses missions de régulations. Elle reste limitée au secteur des télécommunications qui n’est pourtant pas le seul où des données personnelles peuvent être collectées au-delà du fait qu’il n’y a pas toujours une limite nette entre les missions de l’Agence de Régulation des Télécommunications et celles de l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (Laurent-Fabrice Zingue, 2020).

Conclusion

L’analyse de la question de la protection des données personnelles à l’ère des réseaux sociaux au Cameroun a permis d’illustrer que ce pays a fait de l’économie numérique une des priorités de sa stratégie de développement. Cependant, vu les insuffisances ci- dessus relevées, le législateur camerounais gagnerait à parfaire le cadre normatif et institutionnel y relatif.

D’une part, il peut s’agir de la codification des textes éparses sur les données personnelles ou l’adoption d’une loi unique sur la question ; tel est le cas au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Mali, au Sénégal… Ladite loi peut utiliser l’une des techniques d’internalisation des obligations internationales pour être en phase avec les textes internationaux (le renvoi ou la transposition).

D’autre part, le législateur peut mettre en place un organe indépendant chargé de l’application de ladite loi et de la sanction des responsables qui violent les principes de traitement des données personnelles sur les réseaux sociaux. Il sera question de mettre en place une seule institution indépendante et disposant des compétences effectives et exclusives quant à la protection des données à caractère personnel à l’instar de la CNIL en France.

Références Bibliographiques

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TCHABO SONTANG Hervé Martial, 2020, « Le droit à la vie privée à l’ère des TIC au Cameroun », Revue des droits de l’Homme, 17, in http:// journals.openedition.org, consulté le 22 février 2023.    

YOUMSSI EYA Yvan Lionnel, « Les limites de la protection des données à caractère personnel au Cameroun », inwww.useyourlaw.com , consulté le 22 février 2023.

L’IDENTITÉ HUMAINE À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE :                         CAS DES RÉSEAUX SOCIAUX

1. Kouleman Amed COULIBALY

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

coulibalyamed0576@gmail.com

2. Issouf CAMARA

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

kameleny@gmail.com

Résumé :

Ce travail a pour objectif de rappeler que nous sommes dans la civilisation du numérique. Elle trouve son fondement dans la civilisation américaine qui a pris possession du monde après les deux guerres mondiales. C’est l’aboutissement d’une domination fondée sur la maîtrise et la manipulation de l’information par sa séquencialisation ou sa quantification qui permet sa transmission rapide et efficace. Ainsi, nos rapports sont-ils organisés et tissés par des réseaux dits sociaux qui ne sont rien d’autres que les éléments qui constituent le numérique. Ces communautés de communication numérique, catalysées par l’Internet de communication constituent notre être-au-monde. Autrement dit, toute la société se définie par le numérique à travers les réseaux sociaux (Tweeter, Facebook, E-mail, WhatsApp, Instagram, TikTok etc.) tant au point de vue économique, politique, culturel et sociale. Alors, être au monde, c’est être connecté, c’est utiliser les GAFAM et les applications qui les alimentent.Enfin, la navigation sur la toile est un besoin vital, qui s’impose à tout homme tel que le corps humain a besoin d’oxygène. Bien plus, la toile mondiale, sous-entendu toile d’araignée ou the World Wide Web est une prison d’enferment des hommes. Prison dans laquelle nous devons vivre puisqu’elle détermine notre réalité sociale. On ne peut prétendre vivre en communauté et de vivre heureux sans être connecté sur les réseaux sociaux. Jérémy Rifkin (2014, p. 27) estime que « l’internet des objets connectera tout et tous dans un réseau mondial intégré ».

Mots clés : Civilisation numérique, Communication, Internet, Réseaux sociaux, Prison.

Abstract:

This work its aim is to remind people that we are in a digital civilization. It finds its foundation in american civilization which took possession of the world after the two world wars. It is the cumulation of a domination based on the control and manipulation of information through its sequencing or quantification which allows its rapid and efficient transmission. Thus, our relationships are organized and woven by so-olled social networks which are nothing other than the elements that constitute digital technology. These digital communications communities, catalyzed by the Internet of communication, constitute our being-in-the-world. In other words, all of society is defined by digital technology through social networks (Tweet, Facebook, Email, WhatsApp, Instagram, TikTok etc) from an economic, politial, ultural and social point of view. So, being in the world means being connected, it means using GAFAM and the applications that power them. Finally, browsingthe web is a vital need, which is essential to everybody just as the human body needs oxygen. Even more, the global web, implied spider web or the World Wide Web, is a prison for locking up human. Prison in which we must live since it determines our social reality. We can’t claim to live in community and live happily whithout being connected on social networks. Jeremy Rifkin (2014, p. 27) believes that « the Internet of things will connect everything and everyone in an integrated global network ».

Keywords : Digital civilisation, Communication, Internet, Social Networks, Prison.

Introduction

La civilisation du numérique actuel est la domination américaine qui a pris possession du monde après les deux guerres mondiales. Cette domination organise nos vies autour d’un cyberespace. Mettant en scène les objets numériques et l’Internet dans une interaction avec l’homme, le cyberespace est le levier de toute notre existence. Il est constitué des Big Data, qui, sont alimentés par des applications dites réseaux sociaux. Les réseaux sociaux changent la donne. Ils changent notre monde et notre manière d’habiter le monde. Ce changement de paradigme nous amène à réfléchir sur les rapports entre les réseaux sociaux et identité sociale. Dans cette perspective, une préoccupation fondamentale se pose : quel est la place des réseaux sociaux dans les sociétés africaines ? La réponse à cette interrogation exige l’analyse de questions ci-dessous : peut-on se passer des réseaux sociaux ? Les réseaux sociaux ne sont-ils pas facteurs de développement en Afrique ? À bien analyser les choses, les réseaux sociaux ne sont-ils pas le cadre idéal pour la formation des peuples africains dans cette civilisation du numérique ?

Ce travail a pour objectif de rappeler que nous sommes dans la civilisation du numérique, qui organise notre société autour des réseaux sociaux ; une sorte de prison ouverte dans laquelle tout le monde entre mais que personne ne peut en sortir. Ils sont à la fois utiles, futiles et instructeurs. Pour mener à bien cette investigation, nous-nous logeons dans le cadre de la philosophie des techniques, des technologies et bioéthique.

Nous allons procéder par la méthode systématique et globale. Cette approche nous permettra d’analyser le système numérique mondial actuel et les conditions de vie des africains avec les réseaux sociaux.

1. Être dé-connecté des réseaux sociaux ou être coupé du monde ?

Le numérique est au cœur de notre civilisation. Autrement dit, notre siècle est l’ère du numérique par excellence. Toutes les activités humaines se numérisent ou tendent à se numériser de sorte à transférer la condition humaine dans le système techno-numérique ou Big Data à travers les réseaux sociaux. Consommateurs par excellence, les peuples africains accordent plus d’Attention et plus de Temps aux réseaux sociaux au détriment des relations physiques et chaleureuses qui caractérisaient l’Africain avant l’avènement de l’Internet, smartphoneet tout ce qui l’accompagne. En réalité, les sociétés africaines aujourd’hui sont organisées de sorte que toute personne qui n’a pas un smartphone connecté à l’Internet, sur les réseaux sociaux, généralement Facebook, Tiktok, WhatsApp, YouTube et Instagram est considérée comme « coupée du monde ». En fait, « on estime que 68% des africains seront équipés en smartphones – c’est-à-dire connectés à l’internet – d’ici à la fin 2015, rendant l’accès quasi gratuit à l’information là où son coût était encore discriminant il y a peu » B. Gilles (2015, p. 16). En vrai, cette attention particulière et le temps que les africains accordent aux réseaux sociaux plongent l’Afrique est en crise, une crise de dépendance techno-politique d’après Biaka Zaceli Ignace, mais aussi une crise socio-numérique. Les réseaux sociaux offrent plus de possibilités d’ouverture au monde néanmoins, ils nous conditionnent dans un enfermement de soi. Ce paradigme captive notre attention et occupe notre temps. D’Abidjan à Yaoundé en passant par Kinshasa, d’Abuja à Accra sans oublier Lomé et Cotonou, hommes, femmes et enfants passons la majorité de notre temps sur ces différents réseaux sociaux dans une interaction avec nos proches, à passer les commandes, à faire les achats et même poster des publications à but lucratif ou non. Personne ne laisse passer aucune notification. Nous suivons de près notre smartphone. À la moindre cloche, nous ouvrons nos bulls de notification pour en parcourir le contenu. À ce titre, B. Zaceli (1995, p. 11) souligne ceci, « nous vivons avec la dépendance techno-politique de l’Afrique comme si elle ne changeait rien à l’ordonnance quotidienne de notre existence, comme si elle n’entamait rien à la possession que nous avons d’elle, ne modifiait rien à l’habitat que nous y voyons. Comment peut-on vivre dé-connecté dans une société connectée ?

1.1. Réseaux sociaux comme nouvelle société africaine

Dire que notre être-au-monde est conditionné par les réseaux sociaux, ce n’est pas faire fausse route dans la mesure où aucun africain ne peut se passer de son smartphone, de l’Internet et par conséquent des réseaux sociaux, choses qu’ils ont connus il n’y a pas longtemps. D’ailleurs, le meilleur cadeau pour un parent ou une femme en Afrique actuelle, venu de la ville ou de l’occident, à l’occasion d’un mariage ou d’anniversaire, c’est un smartphone surtout un IPhone en vue d’une connexion rapide et efficace des snapchats cleans. L’attachement de l’Africain au téléphone portable est tellement spectaculaire que certain en ont deux ou trois. Dans ces smartphones, sont installées toutes les applications sociales nécessaires dans notre quotidien. Toute une vie communautaire est intégrée dans les applications numériques, qui, favorisent l’interaction entre les hommes. Cette nouvelle forme de communication entre les hommes.

1.2. Les réseaux sociaux et la réalité sociale

Les réseaux sociaux captivent notre Attention et occupent notre Temps. En fait, les africains sont tellement attachés aux réseaux sociaux qu’il est presque impossible d’imaginer une vie heureuse sans les réseaux sociaux. Tous les africains courent pour se procurer un smartphone puis téléchargent les applications des réseaux sociaux. Ainsi, les comptes sont créés et les cloches de notification sont activées pour ne pas manquer quelque chose. En ce sens même l’on s’abonne sur les chaînes sociales qui nous intéressent en activant la cloche de notifications pour être au parfum des nouvelles publications en temps réel. Autrement dit, les stories ou statuts WhatsApp, TikTok ou Facebook ne laissent aucun internaute indifférent. C’est ainsi que M. Ferrarais (2006, p. 189) estime que « le monde dans lequel se trouve le portable mais qui, assez paradoxalement, paraît aussi être dans le portable, exactement comme la tête est dans monde et le monde dans la tête ».  La place que les réseaux sociaux occupent dans vie des africains est tellement énorme qu’ils intègrent tous les domaines d’activités.

2. Les réseaux sociaux au cœur de l’économie numérique

L’explosion des réseaux sociaux favorise la révolution de l’économie digitale en Afrique. En réalité, les activités économiques sont beaucoup plus collaboratives avec les réseaux sociaux. En fait, les GAFAM c’est-à-dire Google, Apple, Facebook, Amazone et Microsoft puis les autres récentes applications tissent les liens entre particuliers de sorte à faciliter le marketing digital, la circulation des biens et des personnes. L. Ferry (2017, p. 157) rapporte ceci : « selon une idéologie de Jérémy Rifkin, cette forme inédite de lien social serait directement liée à l’émergence d’une nouvelle organisation économique, elle-même rendue possible par « une troisième révolution industrielle » impensable avant la généralisation de l’Internet ». En clair, les réseaux sociaux redynamisent l’économie mondiale en générale mais changent la donne dans l’économie africaine particulièrement. C’est ainsi que l’économie digitale gagne du terrain sur le continent. Désormais, les paysans ne cachent plus l’argent dans les canaris, les commerçants ne font de porte à porte pour la commercialisation des produits. Il suffit tout simplement de créer un compte mobile money (orange money, MTN money ou wave) en vue de se déplacer avec son argent partout en Afrique sans risque de se faire voler. De plus, les réseaux sociaux ont contribué massivement à la fluidité du commerce. En effet, souligne L. Ferry (2017, p. 159) « l’infrastructure du Web donnerait progressivement naissance à une organisation sociale et politique d’un genre inédit, ni étatique (exclusivement mercantile, de sorte que nos villages et nos régions, puis bientôt nos nations entières se regrouperaient en réseaux à la fois internationaux et communautaristes ». Ainsi, on assiste à l’explosion de nouvelles sources de revenues grâce au digital.

2.1. Faire fortune avec les réseaux sociaux

Les africains utilisent les réseaux sociaux dans plusieurs domaines pour se faire de l’argent. En effet, de nouvelles affaires ont vu le jour grâce aux réseaux sociaux. À ce niveau on parlera de e-commerce, transport digital sous le modèle d’Uber et le trading. D’abord, les africains s’habituent de plus en plus au commerce en ligne avec Jumia, plateforme de vente ligne de produits de toutes catégories. Ce réseau est beaucoup utilisé en Afrique d’où son implantation tous nos villages et quartiers. En fait, « qu’il s’agisse des grands réseaux sociaux ou des start-up édifiées sur le modèle d’Uber, le but reste le même : faire le plus vite et le plus possible d’argent » L. Ferry (2017, pp.182-183). De surcroît, le transport digitalisé est dorénavant dans le quotidien des africains. De nombreux transporteurs utilisent Yango à Abidjan pour un transport facile, économique et gagnant. Cette transformation du transport en en Afrique participe à l’émergence du continent. En outre, le trading c’est-à-dire acte d’acheter et vendre des actions dans l’optique d’n tirer un profil récurrent se fait en ligne avec les applications sociales notamment crytomonaie, exness trader.

L’ère des réseaux sociaux donne naissance à plusieurs activités lucratives dont les africains saisissent l’opportunité. Comme nous l’avons montré plus haut, les peuples africains sont beaucoup attachés à l’écran dont tout ils accordent plus de temps et d’attention. Cette attention particulière et le temps que l’on accorde à l’écran ne sont pas fortuits. Dans ce canevas, les influenceurs et les créateurs apparaissent. Ces personnalités donnent de lettres de noblesse aux réseaux sociaux dans lesquels elles publient. Autrement, selon les temps de visionnage et le nombre d’abonné qui suivent un créateur sur une chaîne YouTube, Instagram, TikTok ou Facebook le développeur d’application sociale verse un quota aux influenceurs et/ou créateurs. Cette activité est de plus en plus rentable dans la mesure où c’est une forme de marketing qu’on appellerait e-marketing met l’influenceur en collaboration avec les entreprises et les marques.     

2.2. E-mail et le broutage

Le mail est l’application la plus utilisée par les cybercriminels. En effet, l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux a fluidifié les escroqueries numériques à travers l’écran. Autrement dit, cette mobilité efficace du smartphone et l’usage facile du mail rendent le cyberhacking plus dynamique et efficace voire l’in-stabilité et/ou le non statisme de l’utilisateur de sorte que les correspondants ne peuvent plus déterminer, à priori, la position exacte de leurs interlocuteurs comme c’était le cas avec le téléphone fixe. Cette in-stabilité favorise la multiplication de l’identité des usagers. Alors, le portable et le mail deviennent un moyen très pratique d’escroquerie dans la mesure où ils peuvent nous faire passer pour celui que ne sommes pas et nous faire être là où nous n’y sommes pas. De cette façon, il est à remarquer que la commercialisation des produits inexistants, des relations amoureuses fictives et même des fausses transactions financières sont rendues possibles. Cette imposture florissante des brouteurs ou cyberhackers, tout en appauvrissant certaines personnes, est une véritable source d’enrichissement de ceux que nous appelons brouteurs en langage populaire de Côte d’Ivoire. En réalité, le téléphone mobile et le mail nous rendent semblable à Dieu puisqu’ils favorisent une omniprésence humaine partout où il y a de l’Internet. Cette transcendance relative que l’homme s’approprie grâce à e-mail fait du brouteur l’être humain le plus inconnaissable et introuvable.  On aurait même pensé que le mail a profondément modifié les fondements des rapports sociaux. Nos rapports sont des mirages puisqu’ils sont passés du physique et visible de l’image et au son.  Par fluidité du broutage grâce au portable Android, nous entendons par là, la rapidité et l’adhésion massive de la jeunesse à cette pratique. D’Abidjan à Lagos, de Dubaï à New York, les brouteurs sont partout. Dans une présence mise en exergue et relayée par une absence indescriptible puisque difficile à identifier, les cybercriminels réussissent à dépouiller les européens naïfs qui sont aussi enfermés en raison de l’individualisme dans leur société mais ils bien ouverts au monde grâce aux réseaux sociaux. En réalité, la solitude est le quotidien des occidentaux communément appelés en Afrique des blancs. J’appelle « blancs » ceux qui disent qu’ils sont civilisés. Ce sont les occidentaux, ceux-là mêmes qui prétendent avoir la bonne éducation. La bonne éducation, en cette ère du numérique, est la maîtrise du Numérique, c’est-à-dire, de l’écran et du clavier, mais aussi et surtout du web. C’est par l’écran numérique que les blancs sortent de leur « prison » pour cohabiter avec le reste du monde. Ce voyage par navigation à travers l’écran numérique facilité par le web est rendu possible par le portable. Avant, c’est par la navigation à bord du bateau que les blancs rencontrent, sans le savoir, les pirates qui ne sont pas les pirates du Caraïbes mais les brouteurs qui ne tarderont pas à arnaquer les correspondants blancs. En clair, si la mobilité téléphonique a inspiré Maurizio Ferraris à écrire T’es où ? Ontologie du téléphone mobile. Sa lecture permet de percevoir des réalités du monde numérique et la réaction des victimes du broutage nous amènent à avoir un projet de réflexion à partir l’interrogation T’es qui ? Il s’agit d’une question que les victimes du broutage posent toujours aux brouteurs. Cette industrie honteuse mais bien génératrice de revenus incite les cybercriminels à vouloir se procurer les téléphones de dernière génération en vue d’être de plus en plus efficaces dans leur sale besogne. 

En outre, il existe une véritable industrie de la cyberattaque. Cette industrie attaque diverses structures et de différentes manières. D’une part, il y a des attaques de masse et d’opportunité et d’autre part des gains décuplés. Les attaques massives visent généralement le plus grand nombre et n’atteignent que ceux qui ont un faible niveau ou une sécurité numérique inexistante. Ces hackers ont pour objectif de dérober le plus grand nombre des données possible qu’ils pourront revendre. Cette pratique est un réseau de gains colossaux d’argent. Pour preuve, le 25 novembre 2022, une opération menée par Interpol a permis d’intercepter 130 milliards de dollars. Tout cela est possible en raison d’une sécurisation insuffisante d’une boîte mail.        

3. Les réseaux interactifs et la disposition du transfert de savoir dans les universités africaines

L’alphabétisation aujourd’hui est l’initiation au numérique par conséquent, les réseaux sociaux. Autrement dit, personne ne peut prétendre être intellectuel à l’ère du numérique mais être gaou sur les réseaux sociaux, lieu de réalisation de notre humanité, notre cadre de vie idéal. Il faut alors dégaoutiser les intellectuels qui rejettent à tout point de vue les réseaux sociaux. La culture du numérique intègre tous secteurs d’activités en Afrique notamment l’enseignement secondaire et supérieur. Pour K. Kouassi (2023, p. 218) « l’Afrique doit alors se sentir aussi concernée par ces nombreux changements obtenus à partir des réseaux. » Ainsi, les africains saisissent l’opportunité pour fonder des universités virtuelles en vue de désengorger les universités classiques et réduire le déplacement des étudiants et enseignants. À cet effet, de 2013 à 2020 des universités virtuelles ont vu le jour en Afrique Francophone. Notamment, Université virtuelle de Tunis (UVT) membre de l’Agence Universitaire Francophone depuis 2013, Université virtuelle du Sénégal (UVS) membre l’AUF depuis 2018, Université virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI) membre de l’AUF depuis 2019, Université virtuelle du Tchad (UVT) membre de l’AUF depuis 2019 et l’Université virtuelle du Burkina Faso (UV-BF) membre de l’AUF depuis 2020.

Cette initiative présente d’innombrables avantages du point de vue économique, technologique, politique et social dans nos différents pays. D’abord, ces centres d’apprentissage de qualité ouvrent une importante opportunité aux communautés rurales puisqu’ils créent un cadre au sein duquel les étudiants africains peuvent échanger avec le monde développé sans avoir besoin de se déplacer. Dans la mesure où la création du consortium au sein de l’Agence Universitaire Francophone devient facile, une communauté de chercheurs, d’étudiants et d’enseignants se dynamise dans une interaction plus aisée et un partage de savoir rapide et efficace. C’est justement ce qui a rendu possible l’organisation de ce colloque. Ce réseau est une composante de la mise en place d’une communauté panafricaine de théoriciens et de praticiens. En plus, en raison de la crise sécuritaire en Afrique, le manque de moyen de décentralisation des universités, dans pays de la sous-région, comme en Côte d’Ivoire, l’extrême pauvreté dans la communauté estudiantine justifient la création des universités virtuelles en Afrique Francophone, voie royale de la diffusion du savoir dans l’enseignement supérieur et même au secondaire et au primaire, dans un tel contexte.

Les réseaux sociaux sont au cœur de la méthodologie pédagogique dans les universités virtuelles.  Le modèle pédagogique est conçu selon une approche, qui, selon Yodé Simplice Dion, permet à l’étudiant d’être actif et non passif, du renversement de la pyramide. Contrairement à Kaïdara et ses élèves, où l’élève n’a pas droit à la parole, là où l’apprenant reçoit religieusement l’enseignement du Magister comme le sermon de l’Imam est la messe du Prêtre, l’apprenant et l’enseignant s’enrichissant mutuellement dans un partage de savoir grâce aux réseaux interactifs. Cette approche de formation à distance est réalisée sur des plateformes dédiées à la pédagogie et à la certification, aux Mooc « Massive Open Online ourses » (cours en ligne Ouverts et Massifs) et la bibliothèque virtuelle. Il existe la bibliothèque des africains en trois groupes de WhatsApp dont le siège social est à Sabou (Burkina-Faso). Chacun de ces groupes est constitué de plus d’un millier d’abonnés dont je fais partir. Il s’agit de partager les ouvrages en PDF avec tous les membres.  De ce fait, dans les universités virtuelles, diverses autres activités sont également réalisées au travers webinaires et les travaux d’apprentissages collaboratifs par chats, forum et réseaux sociaux. D’ailleurs, grâce aux réseaux sociaux, il est possible de participer à un colloque international sans effectuer le déplacement, tel est le cas du Professeur Samba Diakité que nous saluons au passage, qui a participé à ce colloque, en ligne, depuis le Canada. Soulignons qu’avant même la création de l’UVCI, le Professeur Kouassi Kpa Yao Raoul du département de la philosophie de l’Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan-Côte d’Ivoire) donnait des cours magistraux par Zoom et donnait les astuces à ses étudiants pour télécharger gratuitement les livres numériques et fréquenter les bibliothèques numériques. Alors, les intellectuels africains doivent intégrer le numérique dans leurs activités. Il est donc temps de comprendre que « la révolution du coût marginal zéro commence à toucher également d’autre secteurs économiques : l’énergie renouvelable, la fabrication par impression 3D et l’enseignement supérieur » J. Rifkin (2015, p. 14).

3.1. La nécessité de déploiement des outils digitaux dans les écoles africaines

Les équipes de recherches des Écoles Doctorales des universités africaines vont très mal. Les étudiants ont du mal à travailler en équipe dans la mesure où chacun a un pied à l’école et un pied dans le business Dû au manque de bourses d’études et de parrainage des études. Pire est que les doctorants ne sont pas organisés autour d’une plateforme d’échange d’idées et de documents online pour donner un certain dynamisme aux équipes de recherche. Du côté des enseignants, nombreux sont ceux qui utilisent encore les documents print c’est-à-dire physiques qu’ils trouvent noble oubliant ainsi que nous sommes à l’ère du numérique qui permet la transmission rapide et efficace du savoir. En fait, pour K. Kouassi (2023, p. 217) « les dysfonctionnements sont permanents parce que liés à la culture de l’homme africain qu’il va falloir changer. »  La transformation digitale des Écoles Doctorales s’impose. Cette transformation est l’affaire de tous les acteurs, administration, directeurs de recherche et doctorants. En plus du secrétariat, il va falloir un service informatique spécial pour aider les étudiants et les enseignants dans le traitement des articles, actes de colloque et thèses, organiser des séminaires par visioconférence et créer une bibliothèque numérique. Ce passage du print à online va rendre les équipes de recherches beaucoup plus dynamiques et plus fécondes dans la production de savoirs efficaces et compétitifs sur le marché. Les morceaux de papier doivent faire place à l’écran pour une formation aisée et d’actualité. Conscients de la nécessité des réseaux sociaux dans l’enseignement, certains enseignants-chercheurs africains décident de saisir l’opportunité pour une formation rapide à La civilisation actuelle du numérique modifie la disposition du transfert du savoir. En fait, l’enseignement ne se fait plus comme dans le Kaïdara d’Amadou Hampaté Bâ c’est-à-dire de façon magistrale ou pyramidale.

L’école sans le téléphone portable ressemble au sermon de l’Iman et/ou à la messe du Prêtre. Dans ce sens, ce qui s’impose désormais pour un enseignement de qualité et productif, c’est sortir les élèves de la position des apprenants actifs comme dans les mosquées ou églises, pour une position des apprenants actifs et réactifs qui peuvent trouver certains savoirs en ligne et les proposer pendant le cours. Il faut noter qu’avec la publication des savoirs sur les moteurs de recherches webographiques, les médiathèques, les cours en ligne et les écoles virtuelles, le savoir n’est plus concentré aux mains du Magister ou le Maître. Dorénavant, l’apprenant peut aller chercher la connaissance partout dans le monde au web et au big data. Ainsi, nous assistons à une interactivité entre l’enseignant et les apprenants où les élèves peuvent dire ce qu’ils pensent et proposer ce qu’ils ont trouvé. En peu de mots, limiter l’école au bout de papiers et rejeter le smartphone serait un anti-modernisme. En fait, K. K. Fiacre (2019, p. 262) « l’apprentissage mobile souffre d’une image négative. Pour beaucoup d’éducateurs, de parents et d’enseignants, le téléphone mobile n’a pas sa place à l’école, car il est potentiellement nocif pour les élèves ». Pourtant, objet numérique, facile à s’en approprier en raison du coût d’achat avec une manipulation moins compliquée, le smartphone est un outil d’apprentissage par excellence. L’idée de son utilisation, à l’école, mérite de retenir l’attention des responsables éducatifs et doit être prise au sérieux.

3.2. Boa Thiémélé et ses chroniques : philosopher dans le ventre de Facebook

Les réseaux sociaux peuvent servir de cadre idéal et efficace pour l’éducation et la formation des individus en Afrique. Il est dit partout que les africains n’aiment pas lire et cela semble être vrai. Mais de quelle lecture parle-t-on ? Les africains n’aiment pas lire à partir de quoi ? Le nègre n’est-il pas accroché à l’écran qu’à un bout de papier ? À y voir de près, « les prémisses étant données, on ne saurait s’étonner de l’explosion de l’écriture que nous avons sous les yeux tous les jours (…). L’évidence écrasante des ordinateurs, des mails, du web et des SMS, (…). L’opposition est apparente, mais la continuité est réelle, puisque ce qui garantissait le prétendu système de l’oralité c’était précisément l’écriture qui passe aujourd’hui au premier plan » M. Ferraris (2006, p. 91). En réalité, peuples africains de par leurs cultures sont plus attachés à l’oralité qu’à l’écriture. Pourquoi vouloir que les descendants de djélibas ou griots abandonnent brusquement leur tradition orale pour s’accrocher au morceau de papier ? Pour un transfert de savoir plus rapide et efficace pouvant toucher le plus grand nombre d’individus, il va falloir nous attendre là où nous sommes accrochés, utiliser l’écran et les réseaux sociaux comme appât. En effet, les africains sont beaucoup plus captivés par l’écran du smartphone plus que tout au monde. Par conséquent, le face-book dont le book est un document online attire plus notre attention que les documents print des bibliothèques. Dans cette perspective, Boa Thiémélé Ramsès refuse de limiter le savoir dans les livres et amphithéâtres. Il décide de vulgariser la pensée rationnelle dans une interaction avec des personnes connues ou non, intellectuels, universitaires, artisans, religieux bref. Il démystifie la philosophie, à travers Facebook pour atteindre le plus nombre d’individus surtout africains. Dans ce canevas, B. Thiémélé écrit « contre ceux qui pensent que l’ère du numérique se mue paradoxalement en une forme d’abêtissement collectif, je soutiens que le numérique, à travers les réseaux sociaux numériques, peut être un formidable lieu de socialité éducative et scientifique. La philosophie du dos en est un exemplaire.» Cette philosophie du dos enseignée sur Facebook a inspiré la philosophie du ventre de Djandue Bi Drombé aux éditions Kamit.

En outre, les chroniques de Bao Thiémélé, en tant que notre actualité, l’actualité africaine est l’hebdomadaire de la page Facebook du philosophe ivoirien. Elles sont rédigées suivant l’ordre du temps et publiées sur la plateforme la plus utilisée par les peuples africains. En clair, les africains n’aiment pas les enseignements enveloppés dans le trop sérieux. Ils préfèrent le glairai ou le buzz. Il est donc temps que les intellectuels rentrent dans cours des choses, qu’ils s’actualisent pour enseigner dans le contexte africain. S’actualiser, c’est prendre conscience que nous sommes à l’ère du numérique dont les réseaux sociaux sont incontournables et incontestés. Il est temps d’embrasser Méta de Mark Zuckerberg, se l’approprié et l’utiliser dans la recherche et le partage de savoirs.  Les chroniques du pharaon ivoirien sont adressées à toutes les catégories d’individus. Elles sont « pour les babins qui s’ébattent au clair de la lune, (…) une histoire fantastique. Pour les fileuses de coton pendant les longues nuits de la saison froide, (…) un passe-temps. Pour les mentons velux et les talons rugueux, une véritable révélation » Hampaté Ba (2009, p. 23). Non seulement elles sont courtes mais aussi et surtout elles sont faciles à lire et à comprendre. Ce qui touche un grand nombre de lecteurs et les enrichissent.

Conclusion

Dans notre communication, il était question pour nous de montrer si les réseaux sociaux, en contexte de civilisation du numérique au XXI ème siècle, étaient indispensables pour les africains. De ce fait, nous-nous sommes fixés des objectifs en vue de montrer la nécessité des réseaux sociaux dans l’économie africaine, la particularité de la jeunesse africaine vis-à-vis des réseaux sociaux et de la nécessité de la digitalisation de l’éducation-formation des populations africaines.

Nous comprenons au terme de cette investigation que les africains ne peuvent pas se passer des réseaux sociaux. Ils lui accordent toute leur attention et leur temps. Ainsi, toute une société est organisée autour des réseaux sociaux de sorte à développer l’économie avec marketing digital et le commerce en ligne voire l’émergence de l’économie numérique en Afrique grâce aux réseaux sociaux. Enfin, il est impératif qu’à l’école d’intégrer les outils digitaux pour une formation efficace, facile et à grande échelle. Nous tenons donc que les sociaux occupent une place primordiale dans les sociétés africaines. Nous proposons, à cet effet, une éducation des individus à la bonne utilisation des réseaux sociaux pour une Afrique émergente.

Références bibliographiques

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BABINET Gilles, 2015, Big Data : penser l’homme et le monde autrement, Paris, Le Passeur.

BIAKA Zaceli Ignace, 1995, « La crise du monde africain », Abidjan, Revue ivoirienne de Philosophie et de la culture, N°30, ville, édition, pp. 9-18.

BOA Thiémélé Ramsès, 2023, « Facebook », Abidjan 14 Décembre 2023.

CORDON Dominique, 2015, À quoi rêvent les algorithmes : Nos vies à l’heure des big data, Éditions du Seuil et La République des Idées, Paris.

COULIBALY Kouleman Amed, 2022, « Le smartphone et la diffusion du savoir dans l’enseignement secondaire en Côte d’Ivoire », Lomé, Revue DELLA/AFRIQUE, pp. 82-92.

FERRY Luc, 2016, La Révolution transhumaniste : comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies, Paris, Plon.

HAMPÂTÉ BA Amadou, 2009, Kaïdara, Abidjan, NEI-EDICEF.

MAURIZIO Ferraris, 2006, T’es où : Ontologie du téléphone mobile, Paris, Albin Michel.

KOUAME Koffi Fiacre, 2019, « Les disparités éducatif du smartphone dans les établissements secondaires de la Région de la Marahoué », Bouaké, Revue ivoirienne de Géographie des savanes, pp. 262-277 ;

KOUASSI Kpa Yao Raoul, 2021, « La transformation digitale des écoles doctorales des universités en Afrique »,Lomé, Revue ACAREF, pp. 213-228.

RIFKIN Jérémy, 2014, La Nouvelle société du coût marginal zéro : l’Internet des objets l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, trad. Françoise et Paul CHEMLA, Paris, Les liens qui libèrent.

RÉSEAUX SOCIAUX ET RECOMPOSITION DU MONDE

1. Soualo BAMBA

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

bsoualo@yahoo.fr

2. Assane SANOGO

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

assanesanogo394@gmail.com

3. Kouadio YAO

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

ahmesthot@gmail.com

Résumé :

L’Afrique, en décidant de s’ouvrir aux autres continents s’impose leurs méthodes. C’est le cas de l’avènement des réseaux sociaux par exemple qui ont reconfiguré les rapports entre le continent africain et le reste du monde, mais également au sein dudit continent par le rapprochement. Leur efficacité et leur opérationnalité immédiate en tant qu’outil de communication entre groupes de personnes a bouleversé les habitudes de vie de la majorité des populations au point qu’il est d’une impérieuse nécessité de s’y mettre. Comme le soulignent Michel Bassand et Blaise Galland (1993, p. 9), « l’intégration des réseaux techniques et territoriaux, donne naissance à une réalité collective ». En Afrique, même dans des confins les plus reculés, il existe rarement des personnes qui ne pratiquent pas les réseaux sociaux. Et si dans les sociétés modernes, c’est une évidence que la mutation s’est opérée parce qu’ils sont devenus un instrument de travail par exemple, il n’en demeure pas moins que la mutation s’est également opérée dans celles dites traditionnelles, car ils y ont permis de faciliter et de rendre efficiente la communication et d’ouvrir celles-ci au reste du monde à travers un simple clic.

Mots clés : Afrique, Communication, Monde, Mutations, Réseaux Sociaux.

Abstract:

Africa, by deciding to open up to other continents, imposes its methods. This is the case with the advent of social networks, for example, which have reconfigured relationships between the African continent and the rest of the world, but also within said continent through rapprochement. Their effectiveness and immediate operationality as a communication tool between groups of people have disrupted the lifestyle of the majority of populations to the point that it is an urgent necessity to get started. Because as Michel Bassane and Blaise Galland (1993, p. 9) point out, “the integration of technical and territorial networks gives rise to a collective reality”. In Africa, even in the most remote areas, there are rarely people who do not use social networks. And if in modern societies, it is obvious that the mutation has taken place because they have become a work instrument for example, the fact remains that the mutation has also taken place in those called traditional because they have made communication easier and more efficient and open to the rest of the world with a simple click.

Keywords : Africa, Communication, World, Mutations, Social Networks.

Introduction

La période contemporaine est celle des avancées technologiques : l’informatique, l’internet et les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux ont reconfiguré le monde et ont provoqué une nouvelle ère de l’information. L’interconnectivité de la communication a créé un espace interactif et une communauté constructive, permettant un accès plus facile à l’information et à la communication. L’émergence des réseaux sociaux a révolutionné la manière de communiquer et rend plus facile la connexion des hommes même dans les zones les plus reculées.

En Afrique, l’usage des réseaux sociaux est devenu nécessaire car il facilite la communication et intègre la société africaine avec elle-même et avec le reste du monde, puis limite l’impact de la destruction de l’environnement. Le pouvoir de ces nouveaux outils de communication a contribué à une profonde transformation des sociétés et a ouvert de nouvelles possibilités pour un avenir inclusif. Le processus d’intégration consiste à rassembler différentes parties pour former un tout cohérent. Dans cet article, nous explorons comment les réseaux sociaux ont permis l’intégration des sociétés africaines entre elles et avec le reste du monde. La facilité de communication et d’accès à l’information qu’offrent les médias sociaux a transformé la façon dont les gens interagissent et a créé de nouvelles possibilités pour un avenir plus durable.

Notre futur collectif est à interpréter au prisme des réseaux sociaux.  Pour obtenir la scientificité de cette réflexivité, nous avons utilisé l’approche herméneutique. La pensée herméneutique est le processus interprétatif permettant de comprendre et d’expliciter l’ontologie des réseaux sociaux. La transformation digitale définit-elle de nouvelles règles du jeu ? Les nouveaux outils de communication permettent-ils à l’Afrique de mieux s’intégrer ? L’objectif principal de ce travail est de définir les enjeux et les mécanismes de transition vers une société durable.

1. La recomposition du monde par les réseaux sociaux

1.1. L’âge de l’information

L’ère de l’information se caractérise par des progrès technologiques rapides, en particulier dans les domaines de l’informatique, des réseaux et de la communication. Cela a conduit à la création d’un vaste réseau numérique qui connecte en temps réel les personnes et les informations du monde entier. Les réseaux sociaux ont rendu plus facile l’accès et le partage d’informations, la communication entre eux et la collaboration sur des projets. L’ère de l’information a également engendré de nouveaux défis, tels que les menaces en matière de cybersécurité et le besoin de compétences numériques.

Nous sommes dans une société de l’information à l’ère de son appropriabilité numérique. Le monde contemporain serait l’ère de la plateforme qui stipule une fin des frontières. Le potentiel de cette nouvelle architecture indique comment les réseaux sociaux apportent une modification en profondeur des sociétés. L’innovation technologique a bouleversé le secteur de l’information. Pour Mark Briggs (2014, p. 5), « nous vivons à l’ère du darwinisme numérique. Cet état de fait affecte tous les secteurs d’activité employant des technologies numériques pour publier du contenu, que ce soit des articles, de la musique, des films ou des photos de chatons. » L’ère de la culture numérique a transformé les manières de se connecter, de consommer l’actualité et les médias.

La nature interconnectée des communications, le paysage médiatique est une communauté interactive et constructive. Le déploiement des réseaux sociaux offre un accès plus prompt et plus aisé à l’information et à la communication. L’autoroute de l’information, des réseaux de données s’ouvre au temps de l’actualité. Notre époque vit l’accélération de l’Histoire :

Jamais l’humanité n’a eu autant de moyens de s’informer. L’analphabétisme a reculé partout. Le niveau d’éducation des garçons comme des filles est plus élevé que jamais. Presque aucun endroit de la planète n’est privé d’accès au moins à la radio, sinon à la télévision, à Internet et à l’écrit. (J. Attali, 2021, p. 254.).

Les utopies cybernétiques d’un super média des échanges sans frontière se découvrent comme nouvelles sociétés. La culture du multimédia multidimensionnelle transforme la société en réseaux. Le virtuel est un modèle diffusionniste de réseaux de connaissances. Le virtuel et l’information sont étroitement liés à l’époque contemporaine. La relation entre le virtuel et l’information est complexe et multiforme. Le monde virtuel est un espace où les informations peuvent être consultées, partagées et diffusées à une échelle et à une vitesse vertigineuse. Il crée de nouvelles opportunités d’innovation et de créativité.

En général, l’ère de l’information a transformé notre façon de vivre, de travailler et d’interagir les uns avec les autres, et son impact continuera de façonner notre avenir. Le nouvel âge de l’information présente le futur de l’humanité, la révolution informationnelle. En fin de compte, l’avenir est incertain et il sera construit par les choix que nous ferons pour faire société. La société moderne est bâtie sur l’émancipation de la pensée comme futur de la liberté.

1.2. Fragmentation et désintégration du système

La fragmentation apparaît à première vue comme un obstacle dans la construction d’un tout cohérent. Ici, elle sonne comme libération. La reconfiguration est une modification, une rupture avec un système pour l’adapter à une nouvelle condition d’utilisation. Avant l’avènement des réseaux sociaux, il y avait un système de communication moins dynamique basé, le plus souvent, sur le déplacement des individus. Mais, l’avènement d’internet en 1989 et sa vulgarisation en 1991 ont instauré une approche nouvelle de la communication dans le monde. En Afrique, c’est en 1994 que l’on enregistre les premiers pays qui ont accès à internet. Ce sont l’Afrique du Sud et l’Égypte. Aujourd’hui, tous les pays d’Afrique sont connectés au réseau internet qui se décline en réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Twitter, You Tube, etc.). Même les médias traditionnels (télévision, radio, etc.) se dotent de réseaux sociaux pour véhiculer l’information en temps réel et tenir la compétitivité.

Par ailleurs, à travers ces réseaux sociaux, le monopole de l’information n’est plus aux mains des seuls spécialistes. Tout citoyen peut diffuser une information en sa possession. En matière de justice par exemple, des évènements relayés par les réseaux sociaux peuvent être pris comme des éléments de preuves pour inculper ou disculper. Au-delà de ces quelques secteurs d’activités énumérés plus haut, aucun domaine d’activités n’est en reste relativement à l’usage d’internet ou des réseaux sociaux. C’est un bouleversement qui s’est opéré depuis le 20e siècle et qui s’impose aux hommes après avoir connu celui de la machine à vapeur et de la lumière électrique.

Nous assistons à la fragmentation et désintégration du système. Un nouveau système liquide nous plonge dans un paysage mouvant et imprévisible. Nous vivons dans un contexte de perturbations chroniques qu’on pourrait qualifier de fragmentation technologique, c’est-à-dire une configuration apolaire voire zéropolaire impliquant du coup une multiplicité des acteurs. Le pouvoir s’éparpille envers plusieurs acteurs sociaux. Il s’agit de surmonter les obstacles et ouvrir de nouvelles opportunités d’innovation et de croissance à partir de technologies et de protocoles standardisés mettant en relief une plus grande interopérabilité. Un monde plus connecté et collaboratif permettra d’aller au-delà des murs.

L’ancien système semble être submergé par les nouvelles techniques de suivi d’actualité (crises, élections, manifestations). L’environnement d’information et de la prise de parole est transformé par cette révolution digitale. L’équation qui semble se lire est : la liberté contre la tyrannie, la démocratie contre l’exclusion. Les réseaux sociaux établissent une nouvelle civilisation, un mode de vie. Il s’agit d’une période de rupture par l’explosion des inforoutes. Le processus de globalisation né de ce nouveau système œuvre à la naissance d’un nouveau paradigme sociétal caractérisé par la multiplication des informations et des connaissances. Cette ère redéfinit des voies, ouvre de nouveaux horizons et favorise l’inclusion et la collaboration.

2. Un nouvel humanisme et des humanités

2.1. Les visibilités

Ce nouvel humanisme nécessite une attention renouvelée aux sciences humaines, qui jouent un rôle essentiel en favorisant la pensée critique, la créativité et l’empathie. À partir d’une appréciation de la diversité de l’expérience humaine et des complexités de notre monde, les réseaux sociaux peuvent nous aider à construire un avenir plus juste, équitable et durable pour tous. Ils nous permettent de mieux comprendre l’expérience humaine et le monde. Également, ils nous aident à faire face à des problèmes complexes, tels que le changement climatique, la justice sociale et l’innovation technologique.

La génération actuelle habite le virtuel. Les réseaux sociaux redéfinissent les façons de faire. Ils amènent également à repenser nos repères spatiotemporels. Les plateformes digitales contribuent à donner une connexion et une voix aux exclus du système traditionnel. Désormais, tout citoyen a la possibilité de voir, de se faire voir et de se faire entendre par d’autres dans une communauté plus étendue. Ces outils ont pour caractère d’apporter le changement.

Cette expérience sociale contribue à un nouvel humanisme et des humanités. Ceci enrichit le champ théorique des visibilités. On a de nouvelles formes de sociabilité : un nouveau « contrat social », un nouvel ordre, un nouveau « projet de société ». Sur les réseaux sociaux sont offerts la conversation, la discussion, le débat désignant l’interaction. C’est une coopérativité qui ouvre des pistes pédagogiques. L’interaction est dialogue, une forme de négociation, pouvant réduire l’agressivité, la violence. Le communautarisme numérique, donne des valeurs centrées autour de la liberté de partager et d’échanger. Cela prend le sens de « l’espace public » de Jürgen Habermas :

La sphère publique bourgeoise peut tout d’abord être comprise comme la sphère des personnes privées rassemblées en un public. Celles-ci revendiquent cette sphère publique réglementée par l’autorité, mais directement contre lepouvoir lui-même […]. Le médium de cette opposition entre la sphère publique et le pouvoir est original et sans précédent dans l’histoire : c’est l’usage publicdu raisonnement. (1993, p. 38).

L’espace public ou la sphère publique est l’espace commun accessible à la communauté. Il est également, lieu de libertés d’opinion, d’expression ou de circulation. Le modèle normatif de l’espace public part d’une rationalisation discursive de la communication qui s’étend comme émancipation.

Le concept d’espace public exprime la cohésion sociale, facilite le dialogue et la participation de tous à la sociabilité. Nous nous retrouvons dans une société inclusive et d’équité sociale. C’est le sens de la démocratie moderne représentative et inclusive. L’espace conceptuel situe une libération de la communication entre la société et l’État. Le surgissement de la société civile se trouve lié à la discussion, la revendication.

Ainsi, le quart monde, les exclus de l’espace de l’État-nation trouvent places et rôles. De la sorte, la citoyenneté acquiert une nouvelle place sur l’échiquier social. Les contestations virales sur les réseaux sociaux peuvent être citées en exemple. Ce sont des actions de collectifs informels qui s’appuient sur les réseaux numériques. Le net-activisme présent sur les réseaux sociaux en temps de crise crée des communautés d’individus et facilite le partage d’informations.

Le paradigme informationnel fait sortir de l’info pauvreté parce que désormais l’individu connait le langage médiatique et entre dans le plurimédia. Aujourd’hui, à l’ère du numérique, les médias sont devenus plus accessibles. L’on accède aisément à des informations provenant de diverses sources, notamment les plateformes de médias sociaux, les blogs, les portails d’informations en ligne, etc. Cet univers sans papier, la culture du visuel rime avec interactivité dans un système ouvert et inclusif. Le cyberespace permet aux citoyens de se promener et de diffuser leur identité.

En effet, l’ère du numérique favorise le cosmopolitisme et la mondialisation. Le numérique promeut la connectivité mondiale, en encourageant les échanges interculturels. D’abord, Internet a révolutionné la communication, permettant de se connecter et d’interagir facilement. À partir de plateformes de réseaux sociaux, les individus peuvent participer à des discussions, partager des idées et s’exposer à diverses perspectives. Cet échange d’informations a facilité la diffusion des connaissances et de la compréhension à l’échelle mondiale, en éliminant les obstacles et en favorisant les échanges culturels. En outre, les progrès numériques ont alimenté la croissance du commerce mondial. Les plateformes de commerce électronique permettent aux entreprises d’atteindre les marchés internationaux, en brisant les limites géographiques et en élargissant les opportunités économiques. L’ère numérique a également permis l’essor du travail à distance, permettant aux individus de collaborer au-delà des frontières et de contribuer à des projets mondiaux. En outre, l’accessibilité de l’éducation en ligne a permis aux individus du monde entier d’acquérir des connaissances et des compétences, de transcender les frontières traditionnelles et d’autonomiser des personnes de tous horizons.

Le nouveau modèle de faire société à partir des réseaux et des milieux interconnectés donne des communautés virtuelles ou des communautés virtuelles en réseau. Il y a un enjeu social, une porte vers l’avenir. Les réseaux sociaux sont identifiés finalement comme une culture et un style de vie.

2.2. La liberté de la connaissance

La liberté de la connaissance s’ouvre dans cette dimension. Les humanités numériques constituent des gains d’opportunités (les industries culturelles), et sont un océan d’opportunités, un nouvel eldorado. Elles sont perçues dans le sens d’une rencontre. Les sciences humaines et sociales rencontrent les sciences et technologies informatiques. Ou encore, ce sont les outils numériques appliqués aux sciences humaines et sociales : « Ensembles des disciplines scientifiques qui s’efforcent de saisir et de formaliser, par des outils et le calcul informatiques, les cultures et les dynamiques sociales, passées, présentes et en émergence. » (D. Vinck, 2016, p. 9).

Les humanités mettent l’homme à l’école des classiques. Elles ont une mission de démocratisation de l’accès aux savoirs et font entrer dans une nouvelle société du savoir. Dominique Vinck (2016, p. 79) écrit :

La dématérialisation liée à la numérisation laisse penser que les contenus des livres, les savoirs et les représentations des objets culturels peuvent désormais circuler sans contrainte matérielle et être aisément accessible en tout temps et en tout lieu, moyennant une simple connexion à Internet.

Cette affirmation met en exergue la démocratisation du savoir et de la culture. L’information, l’éducation et les ressources culturelles sont accessibles à tous les individus par la suppression des barrières telles que les coûts élevés, l’accès limité et l’exclusivité. La voie du numérique opère un nouveau rapport au savoir (il s’agit d’interdisciplinarité, de transdisciplinarité et savoir transversal), puis représente un processus opérationnel pour l’innovation pédagogique.

Souvent, l’on assiste à l’entrelacement de la société de liberté : « Le numérique et les données feront apparaître des questions parfois frontales, dont certaines remettent en cause la structuration du fonctionnement de nos sociétés. » (G. Babinet, p.160.). La simplification, l’accessibilité nous situent dans un contexte de liberté d’expression, libre accès au savoir, libre circulation de l’information. Parlons de la recherche, précisément de nous. Les humanités numériques et les chercheurs sont des rencontres fort intéressantes. De nombreux d’outils sont offerts :

Les réseaux sociaux s’imposent progressivement comme une composante à part entière du profil d’un universitaire. L’image du chercheur ermite, rétif aux nouvelles technologies et volontairement détaché de tout lien électronique est en train progressivement de s’effacer. Deux influences y concourent: d’une part, le développement de réseaux sociaux spécifiquement dédiés aux chercheurs universitaires, et d’autre part, une demande grandissante de la présence d’universitaires en dehors de leur milieu professionnel (E. Mourlon-Druol, p. 37).

Ainsi, il existe des réseaux sociaux exclusivement dédiés à la recherche : [Academia.edu (2008), ResearchGate (2008), Piirus (2011)]. Ceci rend compte de l’Open Access. Il y a également les réseaux sociaux généralistes (Facebook (2004), LinkedIn (2003), Twitter (2006), WhatsApp (2009), YouTube (2005)). Ce sont des plates-formes de partage et de collecte d’informations pour les chercheurs. Facebook considéré comme frivole fait peur mais demeure le plus célèbre au monde dans son rôle de diffusion des travaux des chercheurs. Il y a Twitter et ses followers, puis les réseaux sociaux de photos (Flickr et Pinterest) ; enfin, Zotero, un logiciel permettant d’organiser et d’annoter ses références bibliographiques, de les citer. Il s’inscrit dans une logique Open Source et également en lien avec les principes du monde universitaire et de la recherche. De la sorte, il comprend une logique communautaire.

3. Les réseaux sociaux et l’intégration

3.1. La société immersive et collaborative

En Afrique, l’utilisation des réseaux sociaux est devenue une nécessité, facilitant la communication et l’intégration au sein de la société africaine. Les réseaux sociaux créent plus d’intégration. Les effets sont sociaux, économiques, politiques, culturels et cognitifs nouveaux. Nous parlons d’une intégration continentale performative. Contrairement aux voies traditionnelles de communication (routes, chemins de fer, mers et airs, télévision, téléphone, etc.) entre les États, l’on enregistre un type nouveau de voie de communication, qui est internet et qui transcende les frontières. L’époque contemporaine assiste à l’abolition des distances et des coûts.

La communication nous rapproche en permettant de partager des idées, des connaissances et des expériences. Cette synergie de connectivité rend plus dynamique, plus créatifs et plus résilients. Les technologies innovantes révolutionnent notre manière de vivre et de travailler. Elles fournissent des outils pour relever des défis complexes et créent un monde plus connecté, efficace et durable.

Efficace et rentable, internet qui se décline en réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp, Snapchat, Tik Tok Twitter, YouTube, etc.) est une révolution. L’efficacité réside dans le fait qu’en temps réel, il permet de recevoir et d’envoyer des informations (Conférences, enseignements à distance, etc.). Ils représentent un manifeste pour le droit à l’information. La modernité contemporaine est modernité multiple.

3.2. La modernité du virtuel

Le virtuel est devenu partie intégrante de la société moderne. Il a créé un espace où les gens peuvent interagir, partager des idées et collaborer quel que soit leur emplacement physique. Cela a révolutionné notre façon de vivre, de travailler et de communiquer. Le monde virtuel est devenu une plateforme d’activités sociales, économiques et politiques. C’est un lieu où des hommes et des femmes peuvent s’exprimer, explorer de nouvelles idées et se connecter avec d’autres personnes partageant les mêmes intérêts. Le monde virtuel a créé des possibilités infinies d’innovation et de créativité. Il est devenu un outil essentiel pour façonner l’avenir de la société moderne. Selon Jacques Attali (2021, p. 252),

l’Afrique compte en 2020 170 millions d’utilisateurs de Messenger et de WhatsApp. En février 2020, au Kenya et en Afrique du Sud, 75 % des adultes utilisent les réseaux sociaux pour s’informer en contournant les informations officielles des médias d’État. C’est sur ce continent que se développent le plus les réseaux sociaux, comme s’y est développé en premier le téléphone mobile. Les Africains en feront des usages innombrables, sur le modèle de WeChat.

Les réseaux sociaux résolvent la question de la distance, ils intègrent également celle du développement durable dont l’un des objectifs est la protection de la planète. D’ailleurs, l’un des plus grands défis est la préservation de l’environnement. Dans un monde interconnecté, les pays africains, pour rendre leurs économies compétitives et dynamiques, devraient épouser le contexte mondial qu’imposent les réseaux sociaux : une société numérique et collaborative.

Les réseaux sociaux interviennent dans le paradigme du développement durable. On appelle développement durable, l’ensemble des actions posées qui tiennent compte de la préservation de l’environnement et des êtres qui s’y trouvent pour une meilleure santé et qualité de vie. C’est dire que le bien-être des individus doit être la préoccupation majeure de tout développement. Plusieurs siècles avant notre ère, le philosophe français R. Descartes (2000, p. 153) mettait l’accent sur cet aspect de la vie face aux progrès vertigineux de la science et de la technique en assurant que « la conservation de la santé est le premier bien ». Le développement durable est aussi l’idée que les sociétés humaines doivent vivre et répondre à leurs besoins sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Malheureusement, selon un récent rapport des Nations unies, en juillet 2023, les habitants de la planète avaient déjà épuisé les ressources de l’année au cours du mois de juillet, les plaçant dans une situation de vie à crédit. Les objectifs du développement durable se structurent autour de l’absence de pauvreté, de la faim, de la recherche de la santé et du bien-être, de la qualité de l’éducation, de l’égalité des sexes, de l’assainissement en eau potable, de la protection de la planète.

L’on note que c’est au milieu du XIXe siècle que les sociétés occidentales constatent pour la première fois que leurs activités tant économiques et qu’industrielles ont un impact négatif sur l’environnement et sur l’équilibre social. La crise bancaire américaine de 1907, le choc de la dette des pays en développement en 1982, les chocs pétroliers entre 1973 et 1979 en sont la parfaite illustration. L’instabilité socio-économique fait de l’Afrique une victime.

Au plan écologique, on note les retombées nucléaires de Rongelap en 1954, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, la crise du mercure de Minamata en 1956 et aujourd’hui le réchauffement climatique. L’Afrique quant à elle, subit les conséquences de ces différentes crises, notamment à travers le dérèglement climatique. Comment donc à partir des réseaux sociaux aboutir à une société durable ?

Penser la société durable à travers les réseaux sociaux signifie que, soit les premières méthodes ont des limites dans la mise en place de l’initiative, soit les réseaux sociaux traduisent de manière efficiente son application. En effet, les réseaux sociaux ont permis la vulgarisation de l’information à grande échelle mieux que la radio, la télévision ou tout autre moyen de communication. La diffusion de l’information n’est plus l’apanage des spécialistes des médias. Les réseaux sociaux ont développé les influenceurs qui sont des relais pour véhiculer un message.

Conclusion

Le nouveau désordre social conduit vers un réseau ubiquitaire, le cyberespace. La Mondialisation, la globalisation, l’intégration, le mot au-delà de l’harmonie dénote une réalité fragmentée. La nouvelle ontologie pose 1’Afrique avec l’effacement des frontières imperméables, la disparition de lignes de divisions profondes et sévères. Après l’homo sapiens, c’est l’homo connecticus, l’homo numéricus inscrit dans de nouvelles spatialités et temporalités. La rapidité, le zéro délai sont les vitesses auxquelles est conduite l’histoire de notre époque.

Les réseaux sociaux sont de nouveaux espaces de découverte de la connaissance. Par de là, ils sont une ouverture au monde.  Il s’y trouve désormais les pratiques du commerce, de l’enseignement, de la médecine, les rapports aux autres, à soi-même, à la ville, à l’habitat. Ainsi, nous pouvons améliorer des vies et créer un avenir meilleur pour nous-mêmes et pour les générations à venir. Il nous appartient désormais de mettre en exergue le potentiel de ces outils et de les utiliser afin de créer un avenir durable et inclusif.

Références bibliographiques

ATTALI Jacques, 2021, Histoires des médias : Des signaux de fumées aux réseaux sociaux, et après, Paris, Fayard.

BABINET Gilles, 2015, Big Data : Penser l’homme et le monde autrement, Paris, Le Passeur.

BASSAND Michel, GALLAND Blaise, 1993, « Avant-Propos : Dynamique des réseaux et société », in Flux, N°13-14, Genève, Métropolis, pp. 7-10.

BRIGGS Mark, 2014, Manuel de journalisme web, Paris, Eyrolles.

DESCARTES René, 2000, Discours de la méthode, Paris, Librairie Générale de France.

HABERMAS Jürgen, 1993, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot.

MOURLON-DRUOL Emmanuel, 2017, « L’usage des réseaux sociaux pour chercheurs », in Expérimenter les humanités numériques, PUM, Montréal.

VINCK Dominique, 2016, Humanités numériques : la culture face aux nouvelles technologies, Paris, Le Cavalier bleu.

DE L’ADDICTION AUX RÉSEAUX SOCIAUX : « LÀ OÙ EST VOTRE TRÉSOR, LÀ AUSSI SERA VOTRE CŒUR » (Luc 12, 30)

1. Koko Marie-Madeleine SÉKA

Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (Côte dIvoire)

mariemadeleineseka@gmail.com

2. Chiayé Marie-Pauline SÉKA

Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (Côte dIvoire)

sekachiaye@gmail.com

Résumé :

Aujourd’hui, toutes les sociétés fonctionnent avec un nouveau moyen de communication : l’internet. Cet environnement numérique est devenu un compagnon quotidien des hommes, à tel point qu’il parait indispensable et devient même un trésor. D’où l’intérêt du cœur qui s’y attache. Or, dans la Sainte Bible, Jésus attire l’attention des hommes sur leur propension à accorder toute l’importance à l’Avoir au détriment de l’Être. Quel est l’impact des réseaux sociaux sur l’homme ? Le christianisme peut-il rester indifférent à cette déshumanisation de l’homme ? L’objectif de cet article est de montrer une compréhension approfondie de cet environnement numérique afin d’assurer une présence significative. Spécifiquement, il s’agira de découvrir cet environnement numérique et l’enseignement que Jésus donne à propos de ces biens temporels.

Mots clés : Avoir, Biens matériels, Cœur, Être, Internet, Jésus, Trésor.

Abstract:

Today, all societies operate with a new means of communication : The Internet. This digital environment has become a daily companion for men so that it seems essential and becomes a treasure. Hence, the interest of the heart attached to it. However, in the holy Bible, Jesus draws the attention of men according to their propension to give more importance to Having than Being. What is the impact of social networks on humain ? Can christianity remain indefferent to this deshumanization of man ? The objective of this article is to show an in-depth understanding of this digital environment in order to ensure a significant presence. Specifically, it will be about discovering this digital environment and the teaching that Jesus gives about these temporal goods.

Keywords : Being, Heart, Internet, Jesus, Material goods, To have, Treasure.

Introduction

Aujourd’hui, en Afrique, comme partout dans le monde, il y a une réalité relative à la manière dont les personnes communiquent entre elles. Il s’agit des réseaux sociaux numériques. Ce moyen de communication est devenu le cœur de toute la communication. De fait, ces réseaux contribuent à mettre en évidence une nouvelle « agora », un espace public ouvert où les personnes partagent des idées, des informations, des opinions, et où peuvent naître aussi de nouvelles relations et formes de communauté. Dès leur réveil, des gens ouvrent leur compte Facebook, WhatsApp… Tout est réglé à la mesure de ce moyen. Cette nouvelle façon de communiquer ne fait plus de distinction d’âge, de genre, de culture ou de religion. Enfants et adultes, chrétiens, musulmans et animistes, en deviennent de plus en plus dépendants. L’environnement numérique n’est donc pas un monde parallèle ou purement virtuel, mais il fait partie de la réalité quotidienne de nombreuses personnes, en particulier des plus jeunes.

Ainsi, ces nouveaux moyens de communication qui sont le résultat du processus historique à travers lequel l’humanité progresse « toujours davantage dans la découverte des ressources et des valeurs incluses dans l’ensemble du monde créé » (Paul VI, 1965) ne peut laisser indifférent le christianisme. Jésus encourage le travail qui permet à l’homme d’améliorer son cadre de vie. Sa mission est bien évidemment de promouvoir un humanisme intégral et solidaire. Monseigneur Jean-Charles Descubes (2005, p. 1) le dit si bien :

L’Église continue d’interpeller tous les peuples et toutes les nations (…). Le salut que Jésus nous a acquis à un prix précieux se réalise (…) mais englobe aussi ce monde, dans les domaines de l’économie et du travail, de la technique et de la communication (…).

C’est pourquoi, l’Église a souvent exprimé sa conviction vis-à-vis de ces moyens de communication. Selon Vatican II (2011) les médias sont, « de merveilleuses découvertes techniques » qui font déjà beaucoup pour répondre aux besoins humains et qui peuvent faire encore plus. S’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de l’enseignement de Jésus, ce progrès a toutefois beaucoup d’importance pour ce dernier dans la mesure où son enseignement peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine.

Cependant, l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux par les jeunes en Afrique est spectaculaire. Ils sont devenus les trésors des jeunes, d’où l’attachement de leur cœur. Or, Jésus attire notre attention sur un autre phénomène bien plus fondamental qui concerne notre devenir, à savoir celui de notre être et pas seulement celui de notre avoir. Dès lors, quel est l’impact des réseaux sociaux sur l’homme ? Autrement dit quel cœur façonnent-ils et ne dépossèdent-ils pas l’homme de son être ? Le christianisme peut-il rester indifférent à cette déshumanisation ?

L’objectif de cet article est de montrer une compréhension approfondie de cet environnement numérique afin que l’homme puisse en faire une utilisation significative et raisonnable. Ainsi, dans la première partie de notre analyse, il sera question de comprendre l’impact des réseaux sociaux sur l’individu. Cela permettra, dans la deuxième partie, d’aborder l’enseignement de Jésus sur la valeur et l’utilisation de tout bien matériel. Pour y arriver, la méthode fonctionnaliste est la mieux indiquée. De fait, elle s’inscrit dans le champ des sciences sociales et permet d’appréhender les effets et l’influence des réseaux sociaux et internet sur la société africaine. Ainsi, la recherche documentaire sera la source de cette méthode.

1. L’impact des réseaux sociaux sur l’être

Selon le Dictionnaire Le Larousse en ligne, le trésor est un amas d’objets précieux mis en réserve, souvent cachés. Il est également défini comme une chose jugée très précieuse. Ainsi, le cœur d’un homme est lié à ce qu’il thésaurise le plus. Celui-ci ne peut se trouver ailleurs, sinon là où il y a quelque chose de très important. C’est justement ce que traduit cette parole : « là où est votre trésor, là où sera aussi votre cœur ». Cette phrase laisse voir une idée d’idolâtrie. Or l’idole lie l’homme et l’empêche d’être libre. On en devient esclave. Mais quel lien avec les réseaux sociaux, serait-on tenté de demander ?

Selon Robert Boure (2021, p. 1) :

On a souvent oublié la définition mcluhanienne des médias ou minoré sa portée : un media est une extension d’un organe, d’un sens ou d’une faculté de l’être humain. Ainsi, la parole (la voix) et l’alphabet prolongent l’oreille ; le livre et l’imprimerie prolongent l’œil et la vue ; les médias électroniques sont une extension de l’oreille (la radio), du système nerveux (la télévision) et du toucher. Le toucher est le sens le moins spécialisé car il ne renvoie pas à un organe ou à une partie spécifique du corps : il est sollicité par le corps à travers la peau et le système nerveux.

Ainsi, un média peut être défini comme tout ce qui amplifie les facultés et les capacités d’expérience et qui, in fine, contribue à construire progressivement et sur le long terme un environnement déterminant des habitudes sociales et culturelles, de nouvelles formes de penser, de sentir et d’agir. Cependant, selon le même auteur (2021, p. 2),

Sur le plan de la communication, schématiquement, l’humanité serait passée par trois âges, chacun étant caractérisé par l’influence d’un média dominant qui agit fortement sur les manières individuelles de sentir et d’agir, mais aussi sur l’organisation de la société : L’âge tribal oral des sociétés sans écriture au sein desquelles dominent la parole et l’ouïe (l’oreille) et donc le sens auditif, ce qui permet au primitif de prendre de la distance par rapport à son milieu naturel « pour le saisir d’une autre façon ; L’ère Gutenberg » liée à l’apparition de l’alphabet phonétique qui opère une rupture entre l’oreille et l’œil au profit de l’œil, puis de l’écriture et enfin de l’imprimerie ;« L’ère Marconi », celle de l’électricité et de l’électronique qui prolongent le système nerveux et le cerveau et qui fait certes fonctionner tous nos sens, mais l’ouïe et le toucher plus que les autres. De sorte que les manières de percevoir, de sentir et de faire, fonder sur l’écriture et l’imprimerie sont désormais condamnées à un rôle de second plan. C’est l’ère où l’homme et la société sont traduits en informations et dans laquelle l’audiovisuel permet des relations instantanées entre les hommes à une échelle planétaire.

De ce qui précède, les médias peuvent se classer en deux catégories en fonction de leur température. Alors, les médias comme le cinéma, la radio, le texte imprimé et photographie sont dits chauds et les médias froids sont les téléphones, télévision, manuscrit, parole, bande dessinée. En effet, les premiers sollicitent fortement un seul sens et fournissent une grande quantité d’informations. De ce fait, ils n’encouragent guère la participation du récepteur ; ils ne laissent que peu de blancs à remplir ou à compléter. Les médias froids, quant à eux, s’adressent à plusieurs sens et sont pauvres en informations car ils contiennent des lacunes. Ils réclament une plus forte implication du récepteur pour compenser ce déficit et colmater les vides.

Aujourd’hui, le constat est clair : l’évolution de la société suite aux changements de ses canaux de communication de la transmission orale au développement de l’écrit, à l’invention de l’imprimerie, du télégraphe, du téléphone, à la diffusion de la radio et de la télévision, a conduit enfin, à l’entrée dans l’ère du digital. Chacune de ces technologies, à travers son fonctionnement, mais aussi ses opportunités et ses limites, a influencé sur le long terme la manière dont l’être humain communique et reçoit l’information. Nous vivons maintenant dans un monde où l’Internet, où presque toute la richesse du savoir humain peut vivre à portée de main ou même dans les poches, depuis la possibilité d’appeler des mails des téléphones intelligents jusqu’à obtenir des diplômes complets de collèges en ligne agréés. En effet, le cerveau et les sens s’adaptent de façon épatante au moyen par lequel est communiqué un message. 

Malheureusement, les capacités cérébrales ne vont pas à la même vitesse, et l’interagir non plus. Et en changeant ces quelques paramètres, le moyen change subtilement le message lui-même. En réalité, c’est que la technologie transforme la manière de penser, et d’une manière paradoxale le produit de l’invention. Mais, l’impact va bien au-delà. Le constat est tel qu’à travers la capacité d’adaptation, ce n’est pas uniquement le message qui change, mais aussi la manière de penser. Thibault Paupelio (2022, p. 1) affirme qu’« Internet est devenu une forme primaire de mémoire externe ou transactive, où l’information est stockée collectivement en dehors de l’homme, et notre cerveau est devenu dépendant de la disponibilité de l’information ».

En effet, ces procédés scientifiques s’illustrent comme les nouveaux remèdes, mieux, les soins palliatifs contre les faiblesses et les insuffisances morphologiques de l’homme contemporain. De ce fait, ils s’imposent par le bien-être et la perfection qu’ils semblent donner à l’homme comme de nouvelles sources de salut et l’avenir de l’espèce humaine. Cela laisse voir évidemment que ces promoteurs de cette nouvelle civilisation technologique tentent de réaliser le plus vieux rêve de l’humanité malicieusement inoculé comme un venin à Adam et Ève par Satan : « vous ne mourrez pas (…) vous serez comme des dieux » (Genèse 3, 4-5). J.-J. Rousseau, l’a si bien compris. Pour lui, cette perfectibilité, cette capacité de l’homme à évoluer le rendrait à la longue le tyran de lui-même et de la nature.

De fait, Internet a façonné un nouvel type d’homme. L’homme contemporain n’a plus besoin de se rappeler les numéros de téléphone ou les adresses. Au lieu de cela, il peut simplement sauter sur l’adresse email ou Google pour le consulter. Par conséquent, Internet met à la portée des jeunes, à un âge inhabituellement bas, l’immense capacité à faire le bien et à faire le mal, à eux-mêmes et aux autres. Il peut enrichir leurs vies au-delà des rêves des générations précédentes et leur permettre d’enrichir à leur tour la vie des autres. Cette nouvelle forme de communication est devenue une passion pour les jeunes africains. Or, le Dictionnaire en ligne dit : « en philosophie, la passion désigne tous les phénomènes dans lesquels la volonté est passive, notamment par rapport aux impulsions du corps ». Du latin « passio », qui est l’action de supporter, de subir, de souffrir, les anciens, définissaient la passion comme tous les phénomènes où l’âme est passive, c’est-à-dire tout ce qu’elle subit. Au sens moderne, la passion serait l’inclination non maîtrisable ou la rupture de l’équilibre psychologique dans lequel l’objet de la passion occupe excessivement l’esprit. En tant qu’état dans lequel un objet subit l’action d’un autre, par opposition à la réaction, la passion désigne une des dix catégories que distinguait Aristote dans son traité des Catégories. On comprend dès lors que la passion est un ébranlement de l’âme opposé à la droite raison et contre nature.

Pour David Hume, la première source des passions réside dans la propriété des objets. Et il l’énonce comme suit :

Quelques objets, par la structure originale de nos organes, produisent immédiatement une sensation agréable et sont pour cette raison, dénommées des “biens” ; tandis que d’autres à cause de leur sensation désagréable, reçoivent l’appellation de “maux. Par suite “tout bien ou tout mal, en quelque lieu qu’il survienne, produit diverses passions et affections, selon l’éclairage sous lequel on le considère. Lorsqu’un bien est certain ou très probable il produit de la joie ; lorsqu’un mal se trouve dans la même situation, survient le chagrin ou la tristesse (1991, p. 63).

C’est que la passion est une émotion violente et sensible de l’esprit à l’apparition d’un bien ou d’un mal, ou d’un objet, qui, par la suite de la constitution primitive de nos facultés, est propre à exciter un appétit. Lorsque les objets eux-mêmes ne nous affectent pas, ils ne peuvent jamais gagner d’influence par leur connexion. Alors, il est évident que, « comme la raison n’est rien d’autre que la découverte de cette connexion, c’est seulement par son moyen que les objets sont susceptibles de nous affecter » (1991, p. 270). C’est pourquoi, la raison ne peut jamais s’opposer à la passion pour diriger la volonté puisqu’elle est inactive. Ainsi, elle ne peut à elle seule ni produire une action, ni susciter une volition puisque cette même faculté n’est pas davantage capable d’empêcher une volition ou de disputer la préférence à une passion ou à une émotion. La raison est et ne doit qu’être l’esclave des passions, dans ce sens, elle ne peut jamais prétendre remplir un autre office que celui de les servir et de leur obéir.

Malheureusement, c’est cette emprise que les réseaux sociaux et internet ont sur la majorité des jeunes partout dans le monde. Finalement, les problèmes mentaux, notamment la dépression, le suicide, sont réalités courantes chez les jeunes parce que la tendance est de comparer leur vie à celle qui est affichée par les autres à travers les réseaux sociaux (“les influenceurs” en Côte-d’Ivoire). La conséquence logique est un sentiment d’isolement pathologique, de troubles de comportement manifestés par la violence, l’excitation, et parfois l’anorexie. En clair, les jeunes africains ont trouvé dans les réseaux sociaux un trésor, une idole qui absorbe toute leur énergie, tout leur cœur et être. Aussi, si la capacité d’utiliser les nouveaux langages est requise non pas tant pour être à la mode du temps, n’est-il pas nécessaire d’en avoir un détachement raisonnable ? Faut-il que les jeunes en soient esclaves ? Se pencher sur l’enseignement de Jésus relative à l’utilisation des biens matériels, serait-il osé et dépourvu de sens ?

2. L’enseignement de Jésus : une alternative

A priori, faire intervenir Jésus dans une recherche scientifique semble inutile. Cela se conçoit si l’on définit l’utilité par le gain matériel que l’on peut obtenir de la pratique d’une activité. Or, l’utilité d’une chose est relative et non pas absolue si on considère l’homme comme corps, âme et esprit. De fait, de son étymologie latine, le mot utile vient de « utilis » qui sert, qui est profitable. C’est ce qui sert de moyen par rapport à une fin ou qui contribue au bonheur ou à la vie. Kant le dit : « de certaines choses qui ne plaisent que comme moyens, nous disons qu’elles sont bonnes à quelque chose, (l’utile) » (1790, p. 42). En effet, Jésus ne disait-il pas dans la Sainte Bible qu’il est venu pour sauver le monde ? Ainsi, il s’occupe lui-même d’expliquer ce qui peut donner à l’homme l’insomnie et l’empêcher d’être en paix. Jésus montre par conséquent que le bonheur de l’homme réside, non pas tant dans la poursuite et l’utilisation abusive de ses biens, mais plutôt dans la poursuite de la recherche de l’être transcendant, Dieu. Il indique que la recherche et l’attachement excessif aux choses matérielles peut nous détourner non seulement de Dieu mais de notre devoir terrestre. C’est justement ce qui se constate avec les réseaux sociaux et internet lorsque l’apologie de ce qui tend à détruire le genre humain et participe au rabaissement de certaines valeurs morales et cardinales à toute existence humaine se fait. L’internet et les réseaux sociaux sont devenus les biens incontournables actuels de la société et personne ne veut manquer de les avoir. C’est comme de l’argent qu’il faut toujours avoir sur soi pour les éventuels besoins. C’est dans ce sens que Paul avertit à juste titre « l’amour de l’argent est la racine de tous les maux » (1 Timothée 6 :10). Jésus apprend alors à l’homme qu’il doit cultiver un sain détachement à l’égard des réseaux sociaux.

Si l’on croit à tort ou à raison que l’abondance matérielle est associée au matérialisme, il est malheureusement temps de revenir à la réalité. En effet, dans le langage courant, on qualifie parfois de matérialiste un individu exclusivement intéressé par l’argent et les plaisirs de la chair. On l’oppose alors à l’idéaliste, qui est animé, lui, par de grands idéaux politiques ou moraux. Ceci n’a rien à voir avec l’usage philosophique de ces termes. De fait, dans l’histoire de la philosophie, et ce, dès la Grèce antique, le courant matérialiste affirme la primauté de la matière (la nature) sur l’esprit (les idées). A l’inverse, les idéalistes affirment la primauté de l’esprit, des idées, sur la matière. On le perçoit donc. Le fait que la majorité des personnes soient pauvres comme en Afrique ne signifie pas pour autant qu’elles ne sont pas touchées par l’esprit matérialiste. Ainsi, de la campagne jusqu’au fin fond de celle-ci, pauvre ou riche suit les réseaux sociaux parce que chacun a un portable et l’utilise.

Platon était un éminent représentant de l’idéalisme. On pourrait l’affirmer, Platon et Jésus sont de la même école parce que pour tous les deux, le monde réel, matériel, n’est qu’une mauvaise copie du monde des idées. Les richesses comme internet et les réseaux sociaux doivent être un moyen au service du monde des idées ou pour celui de Dieu, c’est-à-dire à la saine construction de la société et non en être des esclaves au point d’appauvrir les cœurs.

En réalité, les trésors terrestres comme internet ont la fâcheuse habitude de décevoir les utilisateurs. Or, si l’enseignement de Jésus atteint les cœurs sur ces idoles que sont les réseaux sociaux devenus soit un exutoire pour noyer les soucis, opérer des arnaques et bien d’autres méfaits, le cœur s’élargirait à la dimension même de la liberté de Dieu et la valeur et l’essence de celles-ci seront claires et distinctes. Comprendre cet enseignement sur l’utilisation des biens terrestres est un chemin pour éclairer les accros et ceux qui les utilisent à des fins nuisibles pour l’entourage. Les trésors que Jésus propose ont une valeur et une sécurité permanentes parce qu’ils éclairent plutôt l’âme. Ceux-ci s’acquièrent par l’obéissance à Dieu dans tous les aspects de la vie. La référence aux yeux sains qui éclairent le corps sain et aux yeux malades qui conduisent aux ténèbres, enseigne en somme que l’attachement de tout son cœur à Dieu et l’attitude généreuse envers les autres conduisent à la santé spirituelle et matérielle. D’après Matthew Ruttan (2022, p. 1) : « Nous vivons dans un monde qui passe avec des caprices qui passent. Les trésors dans le ciel sont des trésors que personne ne peut enlever de ton auto, de ton compte bancaire, de ton portefeuille, ou de ta maison ». C’est cette triste réalité que montre l’auteur de l’ouvrage L’Aventure ambiguë. Il décrit le dilemme et le déchirement de Samba Diallo face à l’éducation religieuse reçue de Maître Thierno et à l’éducation occidentale à travers l’école occidentale. Samba Diallo comprend, mais très tard comme son maitre Thierno, que « l’homme civilisé, n’est-ce pas l’homme disponible ? Disponible pour aimer son semblable, pour aimer Dieu surtout » (Hamidou Kane, 1961, p. 79).

Pour le Maître Thierno, tout comme pour Jésus, il n’y a qu’un seul moyen de sortir l’homme de toute situation d’idolâtrie et de confusion. Et il le dit en ces termes : « notre refus est certain (…). Nous refusions l’école pour demeurer nous-même et pour conserver à Dieu sa place dans nos cœurs » (1961, p. 21). Dieu est la vérité, telle qu’elle est pour tous les hommes. Pour maitre Thierno, c’est l’école, cette civilisation avec ses technologies étrangères qui ont plongé le peuple sénégalais et tous les pays africains dans cette perte inqualifiable d’éducation. C’est pourquoi, pour permettre aux jeunes et à la société de comprendre l’essence véritable de cette civilisation, il est nécessaire de leur faire comprendre qu’il y a une réalité ultime qui gouverne le monde : Dieu. Et par conséquent toutes les richesses matérielles et celles de notre siècle, devant lesquelles ce siècle oblige à succomber, ne sont qu’une façade de la réalité.

Si la société veut la meilleure éducation pour le peuple, il faut cultiver les idées claires. Or ces idées sont en Dieu et c’est en lui qu’elles transparaissent. Telle est aussi « la vision en Dieu », une des notions cardinales de la philosophie de Malebranche. Pour ce philosophe, c’est en Dieu lui-même que se trouvent les idées intelligibles, archétypes des choses et modèles. En Dieu, une connaissance claire et distincte des idées des choses matérielles, et ce par une vue directe de l’essence de Dieu. Il est impératif pour ce siècle d’étudier régulièrement les paroles de Jésus et celles de toutes les religions que l’on trouve dans les Écritures, car ces paroles disent tout ce qu’il faut faire. Malgré le plaisir qu’offre la modernité et cette tendance à penser que l’intelligence de ce siècle n’est comparable à aucun peuple dans le passé, force est de reconnaitre que la société actuelle est dans l’ensemble un peuple idolâtre, situation qui agit négativement sur la famille et les relations humaines. L’enseignement de l’éducation religieuse à l’école est donc impératif. Elle apportera des éléments essentiels à la formation complète et intégrale des écoliers et des étudiants. En d’autres termes, une formation qui prend en compte tous les aspects de l’être.

Les réseaux sociaux ne doivent en aucun cas faire changer de priorité, détruire et éloigner des réalités de la société car servir les autres est la marque de l’enseignement de Jésus. « Les prières profondes doivent certainement incinérer dans l’homme toute exubérance profane de vie » dira Hamidou Kane (1961, p. 105). Ainsi donc, fermer les yeux sur les souffrances réelles de ce monde, laisser les affamés, les nécessiteux, les personnes nues et les malades sans être touchés parce que préoccupés par ce qui n’a pas de vie, est un appel pressant pour un peu d’humanité. Avec l’enseignement de Jésus, il est possible de réorganiser la société qui devient de plus en plus implacable au lieu d’être centré sur soi-même. Et la vie humaine sortira grandie par cet enseignement.

Conclusion

Les réseaux sociaux et internet sont devenus en ce 21ème siècle la richesse incontournable de toutes les sociétés. Aussi inoffensif que cela puisse paraître, les jeunes, les adultes et même les enfants passent plus de temps devant ces objets. Ces objets sont devenus des idoles, voire des trésors pour les consommateurs. Le christianisme peut-il rester loin de cette nouvelle ère de communication étant entendu que « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » ? En réalité, être accro aux réseaux sociaux est un danger qu’il ne faut, en aucun cas, sous-estimer. Certes, ils peuvent aider à communiquer avec autrui, à élargir notre cercle d’amis et à être informés des nouvelles voies. Mais ils peuvent se révéler dangereux pour notre santé physique, mentale et surtout spirituelle.

La technologie a fait fuir ou mépriser Dieu parce que l’homme croit avoir trouvé solution à tous ses problèmes. Pourtant, d’un point de vue essentiel, chacun s’aperçoit que l’homme court irrésistiblement vers sa perte. C’est pourquoi, il faut permettre la prise en compte de l’enseignement religieux à travers des formes d’expression qui soient en mesure de toucher cette population africaine devenue moderne et donc technicienne. Il faut donc trouver une pensée, un moyen d’éducation pour ces jeunes africains égarés, certainement par la souffrance existentielle, car selon Hannah Arendt (1972, p.26) : « la pensée elle-même nait d’événement de l’expérience vécue et doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres à les orienter ».

Références bibliographiques

ARENDT Hannah, 1972, Crise de la culture, huit exercices de pensées politiques, Paris, Gallimard.

Bible du Semeur, 2015, Excelsis, Semeur.

BOURE Robert, 2021, « Marshall McLuhan, Un penseur des médias à part », in Magasine des sciences sociales et humaines, ville, édition.

CHEICK Hamidou Kane, 1961, L’Aventure ambigüe, Paris, Julliard.

Concile Vatican II, 2011, Inter mirifica, N°1, Paris

HUME David, 1991, Les passions, traducteur, Paris, GF Flammarion.

GINCE Pierre, 2011, « Marshall McLuhan et les médias sociaux », PRP, ARP.

KANT Emmanuel, 1790, Critique du jugement, Vrin, Paris.

Monseigneur DESCUBES Jean-Charles, 2015, Conseil pontifical justice et paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Suisse, éditions : Saint-Augustin.

RUTTAN Matthew, 2022, « Qu’est-ce que Jésus voulait dire quand il a dit d’amasser des trésors dans le ciel ? », ouvrage, Canada, The Gospel Coalition.

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PAUPELIO Thibault, 2022, « Comment internet change la pensée, agit sur le cerveau et modifie la mémoire », BH Magasine, le WeebMag du Deep Web.

WOOLLEY Kimball Spencer, 2006, Enseignements des Présidents de l’Église « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face », USA, Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours.

IMPACT DES RÉSEAUX SOCIAUX SUR LA PROMOTION                      DU PATRIMOINE CULTUREL DU BÉNIN :                                         CAS DE LA PLATEFORME FAIRYLAND

Elavagnon Dorothée DOGNON

Université d’Abomey-Calavi (Bénin)

delavagnon@gmail.com

Résumé :

Cette étude veut montrer l’impact de la plateforme béninoise fairyland sur la promotion du patrimoine culturel béninois. Il s’agit d’une étude transversale descriptive à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) du Bénin sur une période de 3 mois. La Cible est la jeunesse estudiantine dont la tranche d’âge est comprise entre 18 et 25 ans. Les questions sont relatives à la promotion du patrimoine cultuel béninois par les réseaux sociaux grâce au cinéma et audiovisuel. Deux cents (200) étudiants ont participé à cette étude. 95% des étudiants utilisent les réseaux sociaux, mais seulement 4,56% connaissaient la plateforme fairyland. 70% utilisent les réseaux sociaux des pays développés eu égard à leur contenu ; 23,24% utilisent ces réseaux sociaux à cause du contenu culturel. La qualité du scénario et la mise en scène du film de la plateforme fairyland étaient significativement liées à la cause du désintéressement du contenu de la plateforme fairyland. À la fin de cette étude, nous retenons que les réseaux sociaux sont les meilleurs canaux pour faire connaître le patrimoine culturel béninois à la jeunesse estudiantine de l’UAC, toutefois, la mise en scène du contenu des films à diffuser sur ces réseaux sociaux doit tenir compte des aspirations de cette jeunesse. Le niveau de connaissance des jeunes de l’UAC du patrimoine culturel béninois à travers les réseaux sociaux est très critique. Une politique spéciale de sensibilisation doit être initiée afin de permettre l’intéressement du patrimoine culturel béninois chez ces jeunes.

Mots clés : Bénin, Impact, Réseaux Sociaux, patrimoine culturel Fairyland.

Abstract:

This study aims to show the impact of the Beninese platform “fairyland” on the promotion of Beninese cultural heritage. This is a descriptive cross-sectional study at the University of Abomey-Calavi (UAC) in Benin over a period of 3 months. The Target is young students whose age group is between 18 and 25 years old. The questions relate to the promotion of Benin’s religious heritage through social networks through cinema and audiovisual. Two hundred (200) students participated in this study. 95% of students use social networks, but only 4.56% knew about the “fairyland” platform. 70% use the social networks of developed countries with regard to their content; 23.24% use these social networks because of cultural content. The quality of the script and the staging of the film of the “fairyland” platform were significantly related to the cause of the disinterestedness of the content of the “fairyland” platform. At the end of this study, we retain that the social networks are the best channels to make known the cultural heritage of Benin to the student youth of the UAC, however, the staging of the content of the films to be broadcast on these social networks must take into account the aspirations of this youth. The level of knowledge of the young people of the UAC of the Beninese cultural heritage through social networks is very critical. A special awareness-raising policy must be initiated in order to allow interest in Beninese cultural heritage among these young people.

Keywords : Benin, Impact, social networks, cultural heritage, fairyland.

Introduction

Depuis la connexion officielle de la République du Bénin au réseau Internet en novembre 1995 (Kpadonou, 2002, p.8), le pays a évolué à son rythme dans la marche vers la convergence numérique, avec un accroissement du nombre d’internautes (Ministère de la Communication, des technologies de l’information, L’évolution des connexions Internet au Bénin : Communication liminaire à l’occasion de la première édition de la semaine de l’Internet, Cotonou du 23 au 27 septembre 2011, p. 3). En tant que réseau et média à la fois, Internet s’est progressivement implanté dans plusieurs secteurs d’activités au Bénin, transformant ainsi au passage, les habitudes (Akodigna, 2004). Ces changements, qui ont été opérés dans la vie politique, s’observent également dans les domaines médiatique, administratif, institutionnel et culturel.

Spécifiquement dans le domaine culturel, différentes initiatives s’affichent sur Internet, allant dans le sens de donner une visibilité au patrimoine, par le biais de sites et des blogs spécialisés, appartenant à des particuliers, des institutions ou des tours opérateurs. Cependant, même s’il existe une volonté réelle de mettre Internet voire les réseaux sociaux au service de la culture, sa place dans la promotion du patrimoine culturel béninois reste à définir. De nombreuses « faiblesses » (Deuxième baromètre de l’Africa digital, publié le 2 juillet 2014 (comparaison de la présence de 62 métropoles africaines sur Internet), Conf. http://www.africadigitallab.com, consulté le 10/07/2023) limitent encore considérablement l’impact que peut avoir ce médium dans la promotion et la valorisation du patrimoine culturel béninois. Ces limites découlent surtout de la non maîtrise de la communication digitale (http://www.lanouvelletribune.info/index.php/societe/vie-societale/technologie/13278-le-web-au-benin-des-mauvaises-pratiques-et-connaissances-aux-piratages-informatiques, consulté le 05/08/2023 qui, au Bénin comme dans d’autres pays d’Afrique francophone (http://www.africadigitallab.com/, consulté le 05/07/2023), en est encore au stade de la découverte. Il en va de même pour les réseaux sociaux apparus sur le web notamment Facebook et Twitter. Outre ces deux réseaux sociaux dont la pertinence est avérée dans la diffusion de l’information en réseau, YouTube, outil de partage de vidéos en ligne, pourrait participer à la valorisation des biens culturels. Or, des travaux de recherche et articles de presse (http://www.lanouvelletribune.info/index.php/societe/vie-societale/technologie/13278-le-web-au-benin-des-mauvaises-pratiques-et-connaissances-aux-piratages-informatiques, consulté le 12/07/2023) indiquent que leur utilisation au Bénin est davantage liée aux distractions, au débat politique, aux activités commerciales et à la cybercriminalité (http://www.http://www.ambafrance-bj.org/La-cybercriminalite-au-Benin,1828, consulté le 12/07/2023). C’est la preuve que la promotion du patrimoine culturel béninois par les réseaux sociaux, en est encore à un stade embryonnaire.

De ce contexte a découlé une première réflexion dégageant la question suivante : en quoi les contenus visuels disponibles sur ces réseaux sociaux impactent la promotion du patrimoine culturel ? Suite aux recherches menées, un intérêt s’est développé autour de l’influence du réseau social béninois « fairyland ». Afin de répondre à cette problématique, il nous paraît judicieux et opportun de commencer par se demander comment « fairyland » peut-il contribuer à la promotion et à l’essor du patrimoine culturel du Bénin et faire connaître ce dernier à la jeunesse estudiantine de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). La principale hypothèse est d’admettre que l’intégration des réseaux sociaux dans les stratégies de communication des acteurs du secteur du patrimoine induit une meilleure visibilité du patrimoine culturel béninois en Afrique et dans le monde. Le principal objectif est d’apporter des connaissances solides concernant la thématique afin d’approfondir la mise en scène du contenu des films à diffuser sur la plateforme « fairyland » suivant les aspirations de cette jeunesse dont la tranche d’âge varie entre 18 et 25 ans.

1. État de la question sur la promotion du patrimoine culturel au Bénin

Les travaux de recherche, menés sur le sujet du patrimoine culturel au Bénin, se rapportent aux médias traditionnels. Le constat fait, montre que le manque de visibilité n’est pas un mal qui sévit uniquement au niveau du patrimoine culturel oral et/ou historique. La créativité contemporaine souffre elle aussi de ce déficit de diffusion qui est chronique à l’ensemble du secteur culturel au Bénin. Ce constat est effectué par plusieurs travaux de recherche parmi lesquels quelques-uns méritent qu’on y accorde une attention.

D’abord Metognon (2003) met en relief l’insuffisante médiatisation des arts, de la culture et du patrimoine au Bénin, puis propose des actions ciblées pour une meilleure visibilité du patrimoine culturel au Bénin grâce à la télévision, la radio et la presse écrite. Poursuivant cette même réflexion autour de la promotion de la richesse culturelle nationale, Tonoukoin (2009) de son côté met en évidence le besoin d’une valorisation des pratiques artistiques et culturelles, notamment les arts visuels, considérés comme éléments identitaires de la culture et du patrimoine. Kakpovi (2009) quant à lui, expose le contexte de la promotion de la culture et du patrimoine culturel et explique ses difficultés d’accès sur le marché mondial par de multiples facteurs dont le manque d’engagement des politiques au profit du secteur et la quasi-indifférence des acteurs des médias. Il souligne les opportunités à saisir par le secteur culturel et patrimonial béninois et propose la mise en service de la promotion de la culture dans les médias audiovisuels béninois. L’auteur suggère une rigueur de gestion dans la mise en œuvre de projet pour les émissions dédiées à la valorisation et à la promotion de la culture. Kindoho (2009) pour sa part, explique le faible intérêt des médias pour le patrimoine par l’incapacité des professionnels à comprendre le patrimoine immatériel béninois dont l’identification claire des éléments constitutifs est complexifiée par la difficile démarcation entre patrimoine matériel et immatériel. C’est ce qui fait dire à Michel Vernières (2011, p. 99) que « le patrimoine immatériel est strictement associé au patrimoine matériel, dont il se distingue toutefois par la volatilité ou la fragilité de ses composantes ».

En résumé, la communication est présentée dans l’ensemble des travaux comme étant un facteur-clé de réussite d’un projet de valorisation culturelle et touristique. Même si toutes les études ne convergent pas vers l’apport des médias en particulier les réseaux sociaux, la pertinence des propositions de nombreux travaux consacrés à la promotion et la valorisation du patrimoine culturel béninois mérite qu’on s’y attarde. Sur le plan de la production comme sur celui de la communication, les médias ont toujours été des instruments incontournables. Ils sont des vecteurs de transmission et de promotion de biens culturels et du patrimoine. Toutefois, ces travaux font abstraction des pratiques de blogs, de pages sur les réseaux sociaux et du Web 2.0 qui placent désormais le patrimoine tout comme la culture dans une interactivité avec le public.

1.1. Réseaux sociaux : approches définitionnelles et utilité au Bénin

Parler des réseaux sociaux ou du réseau social évoque et fait principalement référence à des sites Internet. Mais, le réseau social est une notion qui prend ses racines bien avant l’avènement d’Internet ou plus récemment du Web 2.0. En effet, dès l’Antiquité, l’étude des interactions entre les individus était observable. Mais à cette époque, elle n’en demeurait pas pour autant un élément associé à la sociologie comme c’est le cas aujourd’hui. La notion de « réseau » est pour la première fois apparue au début du XVIIe siècle (Faillettaz, 2013, p. 65).

La notion de « réseau » a connu en sciences sociales un succès grandissant avant sa numérisation et sa mise en ligne : les travaux des sociologues ont fait émerger tout un ensemble de concepts, de modèles et de recherches empiriques. Cette sociologie des réseaux sociaux consiste à prendre pour objets d’étude les relations entre les individus et les régularités qu’elles présentent, pour les décrire, rendre compte de leur formation, de leurs transformations, et analyser leurs effets sur les comportements. C’est dire que si la notion de réseau social a récemment été « mise à la mode par le succès planétaire des communautés virtuelles comme Facebook », ses usages sont en réalité assez anciens dans les sciences sociales (Mercklé, 2010, p. 93).

La compréhension des réseaux sociaux est décrite ici comme une nouvelle méthodologie d’étude des communautés et de l’ensemble de relations entre les êtres humains. Son importance réside dans le fait qu’elle sera appliquée plus tard dans la communauté en ligne (réseau social numérique) et au sein des organisations. Selon Georg Simmel (1858-1918, cit. Chabi, 2008, p. 95), pour étudier la société, il convient d’observer avant tout les liens qui existent entre les individus : les réseaux sociaux. Un réseau social, dans cette perspective, peut être ici défini provisoirement comme constitué d’un ensemble d’unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres, directement ou indirectement à travers des chaînes de longueurs variables. Ces unités sociales peuvent être des individus, des groupes informels d’individus ou bien des organisations formelles, comme des associations, des entreprises, voire des pays (Mercklé, 2016, p. 4).

En sociologie, on peut donc définir la notion de « réseau social » comme un ensemble de relations spécifiques (par exemple : collaboration, soutien, conseil, contrôle ou influence) entre un ensemble infini d’acteurs(Zidat et Boukhras, 2021). Les relations sociales sont conceptualisées sous forme de liens et de nœuds, formant des réseaux. Les réseaux peuvent donc prendre différentes formes modélisant les comportements des individus, et inversement les comportements de ces individus apportent une modélisation dans la structure des réseaux sociaux (Mayol, 2009). Le réseau social est donc une source de richesse pour chaque individu, qu’il doit entretenir. Au concept de réseau social, la sociologie associe également la notion de capital social et de sociabilité, deux notions importantes à ce concept.

La notion de sociabilité est définie par Mercklé (2016, p. 37) comme « l’ensemble des relations qu’un individu entretient avec les autres et des formes que prennent ces relations ». Quant au capital social, c’est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance (Larzul, 2021). Mais avec l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de communication telles que les médias sociaux, on peut observer une corrélation entre le déclin de la sociabilité en face à face et le développement de la « sociabilité à distance » (Mezrioui et Touati, 2015). Cependant, la notion de « déclin de la sociabilité » n’est désormais plus à jour, désormais on parle d’une « nouvelle sociabilité ». (Casilli, 2010, in Mercklé, 2016, p. 76). L’apparition des réseaux sociaux numériques en sont la preuve : ils sont le nouvel intermédiaire dans nos échanges les uns avec les autres. À cet effet, un réseau social se définit comme « un site permettant de relier un individu à son réseau de contacts, ses amis » (Boyé, 2019, p. 78).

Pour Frédéric Cavazza, spécialiste de ces types de médias, « les réseaux sociaux désignent un ensemble de services permettant de développer des conversations et des interactions sociales sur Internet ou en situation de mobilité » (http://www.mediassociaux.fr/2009/06/29/une-definition-des-medias-sociaux, consulté le 26/05/2023). Dans le registre de la communication digitale, l’expression « réseaux sociaux » recouvre à la fois trois composantes : la technologie, l’interaction sociale et la création de contenus. Les réseaux sociaux sont désormais incontournables puisqu’ils simplifient la communication et les échanges : ils représentent un gain, de temps, d’argent et de confort. On fait donc face à une massification et une démocratisation de son utilisation. De plus, on peut retrouver une version web ainsi qu’une version mobile de ces réseaux sociaux en ligne. « L’intérêt du web ne réside plus dans le contenu qu’il propose mais dans les relations sociales qu’il génère, les connexions entre les personnes qui créent un tissu social ». (Hossler, Murat, Jouanne, 2014, p. 17).

On voit que les réseaux sociaux ont impulsé une nouvelle dynamique aux NTIC, en induisant de nouvelles pratiques d’utilisateurs, et notamment la création de communautés virtuelles (Patrice, 2001). Au Bénin comme partout ailleurs, ce phénomène fait des émules.Les réseaux sociaux sont désormais indispensables au quotidien des consommateurs. Ils ont permis à un certain nombre d’individus de « retrouver un sentiment d’appartenance à un collectif », tout en constituant un outil de remédiation contre l’isolement (Hugon in Mercklé, 2016, p. 81) ou de retrouvailles. Les réseaux sociaux favorisent donc l’augmentation de la taille du réseau social physique et renforcent le nombre de liens ainsi que leurs intensités. Par conséquent, face à cette digitalisation, les marques ont dû repenser leurs approches du consommateur, car en contact quotidiennement avec des outils numériques, leurs habitudes de consommation et leurs attentes ont elles aussi évolué. Cependant au cœur des différentes campagnes de marketing digital, le contenu reste l’élément le plus important puisque ce sera celui-ci qui générera l’interactivité ; les visuels étant bien évidemment les contenus les plus partagés puisque vecteur attractif pour les utilisateurs. Ainsi, face à l’essor des campagnes de communication à contenu visuel sur les réseaux sociaux, chaque pays tente d’y installer le sien à l’exemple de « fairyland » au Bénin. Parler du patrimoine culturel, revient à dire quoi au juste dans le contexte de cette étude ?

1.2. Patrimoine culturel : de quoi s’agit-il ?

La notion de patrimoine culturel a considérablement évolué au cours des dernières décennies. Ne se limitant plus aux monuments, aux biens bâtis et aux objets matériels, le patrimoine culturel intègre désormais les traditions, par définition immatérielles, héritées des générations passées avec pour objectif de les transmettre aux futures.

On peut trouver dans le communiqué final de la déclaration adoptée par les participants à la table ronde de l’UNESCO les 16 et 17 septembre 2002 à Istanbul, une définition stabilisée du patrimoine culturel immatériel : « le patrimoine culturel immatériel constitue un ensemble vivant et en perpétuelle recréation de pratique, de savoir et de représentation, qui permet aux individus et aux communautés, à tous les échelons de la société, d’exprimer des manières de concevoir le monde à travers le système de valeurs et de repères éthiques. [Il comprend] les traditions orales, les coutumes, les langues, la musique, la danse, les rituels, les festivités, la médecine et la pharmacopée traditionnelle, les arts de la table et les savoir-faire » (UNESCO, 2003).Ce patrimoine culturel immatériel englobe donc plusieurs domaines dont les traditions et expressions orales qui elles-mêmes intègrent les proverbes, énigmes, contes, comptines, légendes, mythes, chants et poèmes épiques, incantations, prières, psalmodies, chants ou représentations théâtrales.

Transmises de bouche-à-oreille, ces traditions et expressions sont soumises à de constantes transformations mineures mais réelles, et font aujourd’hui l’objet de recherches scientifiques, tout en suscitant un intérêt politique et social majeur ; ce dont témoigne la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, adoptée en 2003 et ratifiée par plus de 115 pays. Cette convention insiste sur le fait que le patrimoine culturel immatériel est un patrimoine vivant qu’il convient non seulement de protéger, mais également de dynamiser en fondant cette reconnaissance sur les praticiens considérés comme passeurs de mémoire et de savoir-faire.

2. Méthodologie de la recherche

Dans le cadre de cette étude, il est adopté une démarche méthodologique qui se décline principalement en trois points à savoir :

  • la recherche documentaire ;
  • l’enquête, qui regroupe les questionnaires et les entretiens semi-directifs et
  • l’observation directe et la déduction, notamment en suivant l’utilisation de la plateforme « fairyland » en ligne ;

Les propos énoncés lors de ce travail de recherche s’appuient sur de nombreux livres, articles académiques et de revues professionnelles, et autres pages web disponibles en bibliographie et en notes de bas de page.

Enfin, il s’agit d’une étude transversale descriptive à l’Université d’Abomey-Calavi du Bénin sur une période de 3 mois. La Cible est la jeunesse estudiantine dont la tranche d’âge est comprise entre 18 et 25 ans. Deux cents (200) étudiantes et étudiants sont pris en compte au total. Les questions sont relatives à la promotion du patrimoine cultuel béninois par les réseaux sociaux grâce au cinéma et audiovisuel, en particulier le « fairyland ».

3. Résultats

À l’heure où de plus en plus de personnes passent du temps en ligne, le digital s’impose comme un média essentiel. En effet, plus de la moitié de la population mondiale est connectée à Internet (Farah, 2014), et chacun peut désormais prendre la parole pour s’écouter et être écouté. Cependant, c’est au fil des années que l’on a pu assister à un changement des pratiques digitales, liées à une évolution des supports Internet (désormais une plateforme de co-création où les utilisateurs peuvent publier des photos, des textes, des vidéos qui seront eux-mêmes partagés, modifiés par d’autres utilisateurs) et « web ». Les réseaux sociaux sont devenus un canal de communication incontournable qui simplifie les échanges qui pouvaient parfois être complexes (Larzul, 2021, p. 57). Les professionnels se sont adaptés et communiquent désormais également, via ces plateformes, sur la promotion du patrimoine culturel. Comment les réseaux sociaux peuvent-ils être efficacement mis au service de l’essor culturel du Bénin, en s’inscrivant systématiquement dans les pratiques culturelles qui concourent à la promotion et à la valorisation du patrimoine culturel ? En quoi « fairyland » contribue-t-elle à la promotion du patrimoine culturel béninois ? Autant de préoccupations qui ont servi de guide pour la réalisation de cet article.

Deux cents (200) étudiants ont participé à cette étude. 95% des étudiant(e)s utilisent les réseaux sociaux, mais seulement 4,56% connaissaient la plateforme « fairyland ». 70% utilisent les réseaux sociaux des pays développés eu égard à leur contenu ; 23,24% utilisent ces réseaux sociaux à cause du contenu culturel.

3.1. Présentation des résultats statistiques des enquêtes de terrain

Trois figures font le résumé succinct des enquêtes de terrain et se présentent comme suit :

Figure 1 : Tranche d’âge des enquêtés.

Source : Enquête de terrain, juin 2023.

De la lecture de la figure 1 ci-dessus, on constate que 45% des enquêtés ont l’âge qui varie de 18 à 20 ans ; 32% ont l’âge qui varie de 21 à 23 ans ; seulement 23% des enquêtés sont âgés de 24 à 25ans. C’est dire que l’Université d’Abomey-Calavi est plus regorgée de jeunes adolescent(e)s.

L’analyse des réponses obtenues, selon les différentes tranches d’âge, ne révèle pas encore la manière dont ces jeunes appréhendent l’utilité de la plateforme « fairyland ».

S’agissant des facultés et/ou des écoles de provenance des enquêtés, la figure 2 en fait le point.

Figure 2 : Facultés et/ou écoles de provenance des enquêtés

Source : Enquête de terrain, juin 2023.

Les résultats de l’enquête sur la figure 2 montrent que la majorité des personnes interrogées ont pour établissements de provenances INMAAC (33%) ; 20% sont issus de FASHS et 12% de FLLAC. Le pourcentage du reste est négligeable. Quant à la figure 3, elle s’est focalisée sur les centres d’intérêt.

Figure 3 : Utilisation des réseaux sociaux selon les centres d’intérêt

Source : Enquête de terrain, juin 2023.

La figure 3 montre que sur les deux cents (200) étudiants qui ont participé à cette étude, et dont 95% utilisent les réseaux sociaux, seulement 4,56% connaissaient la plateforme « fairyland ». 70% utilisent les réseaux sociaux des pays développés eu égard à leur contenu ; 23,24% utilisent ces réseaux sociaux à cause du contenu culturel.

3.2. Plateforme béninoise « fairyland »

La promotion du patrimoine culturel désigne des actions qui assurent à la fois la diffusion et le rayonnement dudit patrimoine. Cette définition retrouve son sens dans de nombreux textes normatifs de L’UNESCO. Ainsi, la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles 2005, recommande de « promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies et d’encourager les partenariats afin de renforcer le partage de l’information et la compréhension culturelle, et de favoriser la diversité des expressions culturelles ». La convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles 2005, (article 12, promotion de la coopération internationale, point d).

Qu’entend-on par « fairyland » ?Le réseau social « fairyland » est une plateforme, un espace sur lequel du contenu peut être déposé, téléchargé ou consulté. Selon ses concepteurs, « fairyland » est une plateforme d’hébergement de vidéos et de relations sociales consacrée uniquement à la distribution des films béninois en particulier et africains en général. Elle a été éditée en mars 2023 en remplacement à celle de 2D qui est composée de deux interfaces à savoir :

  • interface vidéo à l’image de « tik tok » qui est accessible au public en général avec une expérience d’utilisateur facile ;
  • interface cinéma consacrée à toute catégorie de films.

Cette plateforme est rendue officielle le 10 septembre 2023 après les tests de blocage des « bugs ». Par sa nouvelle version dénommée « kati kati », elle est déjà rendue disponible sur les portables Androïd et les IPhones. « fairyland » se positionne sur l’engouement du format vidéo que l’on peut déjà retrouver sur d’autres réseaux sociaux comme Instagram ou Snapchat. On retrouve sur « fairyland » des vidéos créées autour de différentes thématiques, que ce soit la musique, la danse, la mode et bien sûr l’art culinaire typique au Bénin.

Avec « fairyland », l’utilisateur n’est pas obligé de se créer un compte, il peut tout simplement visionner des contenus créés par d’autres utilisateurs. Mais, il peut également lui-même filmer, monter et partager ses propres vidéos, tournées en format vertical, dont la durée est comprise entre 15 et 60 secondes. Musiques et vidéos sont combinées, témoignant ainsi la créativité et l’humour des utilisateurs. Il a accès à des filtres et des effets apportant le côté « facilement identifiable » de son contenu.

Au cours des enquêtes de terrain, nous avons assisté à une volonté de la part des développeurs, mais plus largement d’acteurs sociaux et passionnés, de concevoir la transmission sur cette plateforme comme un phénomène inhérent au maintien et à la promotion de la culture béninoise, et non comme objet de spectacle, de divertissement ou de simple consommation. Seulement, la qualité du scénario et la mise en scène du film sur la plateforme « fairyland » étaient significativement liées à la cause du désintéressement du contenu de la plateforme « fairyland ».

À la fin de cette étude, il faut retenir que les réseaux sociaux sont les meilleurs canaux pour faire connaître le patrimoine culturel béninois à la jeunesse estudiantine de l’UAC ; toutefois, la mise en scène du contenu des films à diffuser sur ces réseaux sociaux doit tenir compte des aspirations de cette jeunesse. Le niveau de connaissance des jeunes de l’UAC du patrimoine culturel béninois à travers les réseaux sociaux est très critique. Une politique spéciale de sensibilisation doit être initiée afin de permettre l’intéressement du patrimoine culturel béninois chez ces jeunes.

4. Discussion

La visibilité de la culture, en particulier celle du patrimoine culturel, n’est donc plus envisageable sans un apport certain des plateformes d’info médiation et des espaces de communication offerts par les TIC et mis en œuvre sur Internet comme « fairyland ». La numérisation et l’accessibilité en ligne des contenus culturels sont essentielles à la valorisation du patrimoine, au dynamisme de la création de contenus et à l’émergence de nouveaux services en ligne. Elles contribuent à la démocratisation de l’accès à la culture, au développement de la société de l’information et de l’économie de la connaissance (Sojae Erwan. Digital 2020 : les principaux enseignements. We are social, 30-1-2020. [en ligne] Disponible sur Digital Report 2020 – We Are Social France (consulté le 02-3-2023)). Dès lors, Internet devient un outil de prédilection pour la diffusion des biens et services culturels, un espace pour la revalorisation des pratiques artistiques et culturelles.

Le patrimoine culturel béninois prend progressivement sa place sur cette grande toile, où circule une immense quantité de textes, d’images, de sons et de vidéos. Un positionnement qu’il faut conforter, pour assurer une meilleure visibilité de cet héritage afin de tirer des avantages sur le plan touristique. Bien qu’au moment de cette étude, le diagnostic montre le faible positionnement du patrimoine culturel du Bénin sur les moteurs de recherche, derrière des expériences plus abouties, de certains pays africains ou occidentaux, il est utile de mentionner que l’on observe néanmoins, une croissance du flux de données, exigeant de fait, une communication professionnelle.

Les principaux pourvoyeurs de ces informations sont à l’observation, les sites des journaux locaux, qui, en relayant quotidiennement des évènements culturels par le biais d’articles, de photos et vidéos, les mettent en vitrine sur les plateformes et valorisent plusieurs aspects du patrimoine culturel béninois (chants et danses, l’art culinaire, les sites touristiques, les monuments, la mode, la littérature).

Cette médiation requiert une nécessaire prise en main pour assurer convenablement la visibilité et la réputation pour les acteurs, mais également un meilleur positionnement du patrimoine culturel du pays. D’où la nécessité pour chaque acteur de construire une stratégie de communication appropriée. Il s’agit de révéler le patrimoine au plus grand nombre grâce à une présence permanente et soignée sur les réseaux sociaux. C’est une action individuelle puis collective à mettre en œuvre pour valoriser et promouvoir le patrimoine culturel perçu ici comme une matrice qui véhicule l’identité nationale, contribue à la cohésion sociale et au rayonnement à l’extérieur (United Nations News, « In tech-driven 21st century, achieving global development goal requires closing digital gender divide »,15-3-2019, in In tech-driven 21st century, achieving global development goals requires closing digital gender divide | | UN News, consulté le 2-3-2023). Cette notion de visibilité implique la question de la numérisation du patrimoine pour le rendre accessible en ligne. Cela permet d’aller encore au-delà de la simple présence et de faire vivre le patrimoine à travers le positionnement des vidéos de contenus exceptionnels. Par ailleurs, il est important de préciser que cette étude s’est plus intéressée à la promotion du patrimoine culturel immatériel du Bénin qui reste indissociable du patrimoine culturel matériel.

4.1. Patrimoine culturel immatériel

Au Bénin et pour les enquêtés, le patrimoine culturel immatériel est essentiellement lié aux usages coutumiers. Il s’agit de croyances ou savoir-faire traditionnels, de musiques, chants et danses, folklores, théâtre, de rites et manifestations collectives. Il recouvre aussi le champ des fables, mythes, légendes, arbres à palabres, panégyriques, éléments gestuels identitaires. Les différents arts de vivre en font partie, au même titre que les expressions corporelles, les tabous, l’isolement, les prières et rituels, les sacrifices, les privations, les fêtes dans leurs variantes régionales, les rites funéraires, les arts et traditions populaires véritables moyens d’expression des sociétés traditionnelles du Bénin du nord au sud, de l’est à l’ouest.

Qu’il s’agisse des arts du spectacle ou des traditions orales, ces pratiques témoignent des expressions vivantes et évolutives des couches sociales du Bénin. Cependant, celles-ci restent dans leur grande majorité très peu documentées et la question de leur inventaire se pose. D’où la nécessité de la numérisation. Au demeurant, les manifestations cultuelles telles que la célébration des religions endogènes du 10 janvier ; le festival de Danxomè à Abomey ; les Guèlèdè dans le Plateau et les Collines ; la Gaani à Nikki, Kouandé, Djougou, Kandi, Banikoara et Birni dans le Borgou, l’Alibori, l’Atacora et la Donga ; la Dila à Akardé ; le Nonvitcha à Grand-Popo ; la fête de l’igname à Savalou ; le Yêkê-Yêkê à Agoué ; l’initiation des Otamari et Wama ; le « houétanou » à Ouidah restent assez symptomatiques de ce sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine dans son ensemble au Bénin (Metognon, 2003 ; Kindoho, 2009 ; Aballo, 2015 ; Tonoukoin, 2009).

4.2. Plateforme béninoise « fairyland »

L’engouement pour la plateforme est infime selon les enquêtes auprès de la jeunesse estudiantine de l’UAC ; alors que cette plateforme est censée désormais par le contenu et la qualité de ses films être viralisée sur d’autres réseaux sociaux. « fairyland » doit donc avoir désormais son importance dans la viralité de tendances, films et même d’utilisateurs si elle veut rester réellement outil de promotion culturel du Bénin.

Ce réseau social doit se vouloir international avec une application disponible dans plusieurs pays et traduite en langues différentes. Concernant le profil de l’utilisateur, ce réseau social doit plus se pencher sur une tranche d’âge beaucoup plus jeune.

4.2.1. Importance des vidéos sur une plateforme

La place de la vidéo sur les réseaux sociaux ne cesse d’augmenter ; les marques utilisent ce support pour engager leur clientèle, stimuler leur visibilité. Avant toute chose, il faut savoir que la vidéo est un atout considérable dans une communication sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de réseaux sociaux, les internautes actuels deviennent feignants et s’ils ont le choix, ils préféreront nettement regarder un contenu audiovisuel plutôt que de lire un texte ! C’est là tout l’intérêt d’utiliser des contenus audiovisuels ; ils ont une très forte capacité à attirer, retenir et générer de l’engagement.

Comme dit précédemment, il existe une réelle percée du format vidéo sur les réseaux sociaux, en témoignent la viralisation des réels sur Instagram et le réseau social TikTok. Contrairement aux réseaux sociaux Facebook et Instagram, il est possible de voir le contenu de « fairyland » devenir viral, et ce sans avoir des milliers d’abonnés. Les vidéos sont en effet parfaites pour mettre en place une stratégie de « Storytelling », et donc de développer ce lien émotionnel. « fairyland » doit pouvoir proposer ainsi différents formats de vidéos aux utilisateurs. Tout d’abord le format de base du réseau social (vidéos courtes de durée entre 15 et 60 secondes) ; ensuite les remixions, c’est-à-dire l’art de recréer des formats, modèles ou concepts existants pour exprimer sa propre personnalité ou ses idées. Ainsi, « fairyland » peut s’inscrire dans les nouvelles stratégies de contenu des marques. Cependant, il est important de préciser que bien que la facilité de création de contenu permet une viralité plus importante des vidéos, il existe un danger pour les marques : une prise de paroles non calculées et non maîtrisées des utilisateurs, entraînant un « badbuzz ».

4.2.2. « Fairyland », un nouveau levier marketing

Les vidéos ont une réelle importance dans les communications du secteur de la promotion culturelle, notamment grâce à l’imaginaire que cela peut créer chez le consommateur. « fairyland » peut se révéler donc être un levier marketing efficace dans le secteur touristique. Si les contenus provenant de « fairyland » se diffusent et se viralisent sur les autres réseaux, cette plateforme devient un support de veille efficace permettant de suivre les tendances des différents réseaux sociaux. Cela permet également de comprendre les attentes des utilisateurs, appartenant pour la majorité à la jeunesse de moins de 25 ans, et donc à une génération dont les attentes évoluent. La jeunesse des utilisateurs peut être vue comme un frein, cependant elle représente la vraie consommatrice du patrimoine culturel de demain. Il est donc important dès à présent de cerner et de combler son attente.

4.2.3. Acteurs privés attirés par l’opportunité

Dans ces derniers temps, il est constatable que la promotion du patrimoine culturel commence à devenir une question importante qui intéresse plusieurs catégories de la société au Bénin.

« fairyland » peut offrir aux entreprises du tourisme la possibilité d’aller chercher un public toujours plus large. Le contenu de ce réseau social peut permettre aux marques de proposer du contenu divertissant et inspirant pour les utilisateurs. Il permet d’ajouter un côté convivial, amical à sa communication afin de rajeunir l’image, ce qui permettra à la marque de toucher une cible plus jeune.

Ainsi et avec la digitalisation et la viralisation des contenus visuels, « fairyland » peut très vite faire une place au cœur des stratégies marketing, et notamment au cœur des stratégies d’influence. En effet, les visuels tels que les photos et les vidéos sont vecteurs d’émotion. Ils sont attractifs pour le consommateur qui va alors intégrer ce contenu à l’imaginaire qu’il se fait d’une marque ou d’une destination. « fairyland » est une plateforme qui peut permettre aux professionnels, qu’ils soient des organismes privés, publics ou influenceurs de cibler une nouvelle génération d’utilisateurs, de pouvoir observer les nouvelles tendances, mais également de créer de l’inspiration chez les utilisateurs.

En résumé, les réseaux sociaux sont populaires en raison de leur facilité d’utilisation et de leur interactivité. Ce sont des moyens qui peuvent rendre la parole plus libre, et offrir une plus grande liberté pour une variété de causes différentes, comme celles qui peuvent valoriser et sauvegarder le patrimoine culturel matériel et immatériel, comme celles qui ont une relation avec l’histoire, l’identité, la culture, le patrimoine et tant d’autres.

On voit de plus en plus l’engagement des acteurs sociaux dans des différentes causes, notamment les causes culturelles. Que ce soit des associations, des organismes à but non lucratifs qui informent les citoyens et suggèrent des solutions, dans le but de résoudre des problèmes liés au patrimoine culturel matériel et immatériel ainsi que de le sauvegarder et le valoriser dans la société et cela avec l’usage des réseaux sociaux. Ces acteurs culturels dans leur communication peuvent utiliser généralement les réseaux sociaux à l’exemple de « fairyland » à la fois pour sensibiliser, transmettre, sauvegarder, promouvoir et impliquer les citoyens dans leurs actions culturelles.

Pour une économie béninoise qui vit aussi de son secteur culturel, être présent sur les réseaux sociaux ne pourrait qu’être bénéfique si tous les moyens sont réunis, c’est-à-dire en créant de l’engagement, en attirant l’attention permanente des internautes via des contenus de qualité et des messages simples, en créant également des partenariats. Autant de stratégies à mettre en place pour profiter des multiples avantages des réseaux sociaux à l’exemple du « fairyland ». La concurrence dans le secteur culturel étant rude, il faut être capable de se concentrer sur la qualité des vidéos intéressantes et pertinentes, tenant compte du goût de sa cible car, la jeunesse s’attend à obtenir des informations qui lui sont utiles, donc dont elle a besoin.

Conclusion

Le Bénin est l’un des pays qui accordent une grande importance au patrimoine culturel en ses deux volets matériel et immatériel. De nombreux efforts ont en effet été consentis au cours des toutes dernières années pour mettre les technologies modernes au service de ce patrimoine et, plus précisément, de la documentation de l’histoire et de l’héritage culturel aussi bien par l’action des institutions que par la contribution des individus. Ces technologies ont une importance primordiale dans le monde d’aujourd’hui, en particulier chez les jeunes qui passent de longues heures sur les sites virtuels, lesquels sont devenus la source principale où ils vont chercher l’information dans n’importe quel domaine. L’utilisation culturelle de cette technologie est devenue l’une des tâches essentielles pour ce qui est de faire la promotion de ce patrimoine national et de faire face aux défis de la mondialisation culturelle qui a envahi le monde et menace désormais l’identité culturelle béninoise. 

L’étude a passé en revue nombre d’expériences menées de par le monde pour tenter de tirer le meilleur profit des réseaux de communication sociale au service de la promotion du patrimoine culturel à travers la plateforme « fairyland ». Il est donc désormais possible grâce à cette plateforme de faire connaître le produit culturel national à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, de diffuser des messages de sensibilisation à la conservation du patrimoine culturel, de présenter les informations et les nouvelles ainsi que les événements qui y sont liés.

Références bibliographiques

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Sigles et acronymes

ENAM:École Nationale d’Administration et de Magistrature
ENEAM:École Nationale d’Économie Appliquée et de Management
ENSTIC:École Nationale des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication
EPAC École Polytechnique d’Abomey-Calavi
FASHS-Calavi:Faculté des Sciences Humaines et Sociales-Calavi
FLLAC:Faculté des Lettres, Langues, Arts et Communications
FRI:Institut de Formation et de Recherche en Informatique
FSA:Faculté des Sciences Agronomiques
INMAAC:Institut National des Métiers d’Arts, d’Archéologie et de la Culture


L’AVENIR DU POUR-SOI AFRICAIN ET SON HABITUS À L’AUNE DES RÉSEAUX SOCIAUX

Kouadio Julien KOUASSI

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

julienkouadio49@yahoo.fr

Résumé :

Nous vivons aujourd’hui dans un monde devenu planétairement un village grâce aux réseaux sociaux numériques (RSN). Les frontières géographiques, culturelles qui représentaient hier de grandes barrières entre les êtres humains sont néantisées. Cependant, bien qu’étant avantageux, ce rapprochement des peuples et des cultures comporte des risques car ces canaux de communication influencent parfois négativement l’habitus. En effet, leur usage développe des attitudes et habitudes (télésnobisme, mimétisme culturel, phénomènes antihumanistes…) qui mettent malencontreusement en lambeau le mode existentiel de certains peuples parmi lesquels nous distinguons ceux d’Afrique. Dans ce monde devenu un village planétaire où l’on assiste à la réalisation du rêve senghorien de ‘’la civilisation de l’universel’’, les valeurs culturelles africaines semblent subir le triste sort d’une dévalorisation voire une néantisation. La décadence des sociétés africaines et l’aventure ambiguë dans laquelle le Pour-soi africain est engagé à l’aune de ces canaux soulèvent un problème : quel doit être aujourd’hui le rapport fondamental de l’être africain avec les réseaux sociaux numériques ? Une telle préoccupation nous propulse dans une quête dont l’enjeu est d’inviter le pour-soi africain à un usage raisonnable des réseaux sociaux afin de continuer son aventure existentielle en gardant son ipséité d’une part et rester en parfaite symbiose avec son hiccéité d’autre part.

Mots clés : Habitus, Ipséité, Pour-soi africain, Réseaux sociaux, Télésnobisme.

Abstract:

We live today in a world that has become a global village thanks to digital social networks (DSN). The geographical and cultural borders which yesterday represented great barriers between human beings are being destroyed. However, although advantageous, this bringing together of peoples and cultures carries risks because these communication channels sometimes negatively influence the habitus. Indeed, their use develops attitudes and habits (telesnobbism, cultural mimicry, antihumanist phenomena…) which unfortunately tear apart the existential mode of many peoples, among which we distinguish those of Africa. In this world that has become a global village where we are witnessing the realization of the Senghorian dream of ‘’the civilization of the universal’’, African cultural values seem to suffer the sad fate of devaluation or even annihilation. The decadence of African societies and the ambiguous adventure in which the African being-himself is engaged in the light of these channels raise a problem: what should be the fundamental relationship of the African being with digital social networks today? Such a concern propels us into a quest whose challenge is to invite the African being-himself to reasonable use of social networks in order to continue its existential adventure while keeping its ipseity on the one hand and remaining in perfect symbiosis with its hicceity on the other hand.

Keywords : Habitus, Ipseity, African being-himself, Social networks, Telesnobbism.

Introduction

L’espace existentiel de l’humanité est aujourd’hui considérablement marqué par les Technologies de l’Information et la Communication. Des grandes agglomérations jusqu’aux hameaux, les humains interagissent par le truchement de ces technologies ; surtout les réseaux sociaux. Ces outils ont brisé les nombreuses frontières géographiques, culturelles qui, hier, constituaient de grandes barrières entre les peuples. Obligeant ainsi à ré-considérer notre conception de la distance temporelle et spatiale. Cependant, cette co-existence, cette co-occupation du monde, quoique bénéfique, est loin d’être toujours accoisante car ces canaux influent parfois négativement l’habitus. En effet, une analyse critique laisse apertement entrevoir que, bien qu’ayant favorisé l’ouverture, le dialogue interculturel, les changements sociopolitiques et économiques, l’usage des réseaux sociaux développe des attitudes et habitudes telles le télésnobisme, le mimétisme culturel, la recrudescence de phénomènes antihumanistes… qui semblent malheureusement mettre en lambeau l’habitus de certains peuples parmi lesquels nous distinguons ceux d’Afrique. Dans un monde devenu planétairement un village grâce aux réseaux sociaux numériques (RSN), les habitudes et valeurs culturelles africaines semblent subir le triste sort d’une dévalorisation.

Face à cette décadence des sociétés africaines et l’aventure ambiguë dans laquelle l’être africain est engagé à l’aune de ces canaux, devant le mésusage tendant à hypothéquer son avenir et son habitus, cette épineuse question urge : quel doit être aujourd’hui le rapport fondamental de l’être africain avec les réseaux sociaux numériques ? Cette question suscite des questions subsidiaires. En quoi les réseaux sociaux auraient-ils une incidence négative sur le mode existentiel de l’Africain ? Avant d’y répondre, il faudrait néanmoins reconnaître leur rôle dans l’essor des sociétés africaines. Pour fin de demeurer authentique dans cette société en réseau (Network Society), ce monde en constance transhumance, n’est-il pas aussi urgent d’inviter l’Africain à ré-considérer son rapport avec ces canaux ? Cette étude entend donc inviter le Pour-soi africain à un usage raisonnable des réseaux sociaux afin de continuer son aventure existentielle en gardant son ipséité d’une part et rester en parfaite symbiose avec son hiccéité d’autre part. La méthode analytique, la sociologie des réseaux sociaux et la prospective nous permettront d’atteindre cet objectif.

1. Les réseaux sociaux et la dynamique des sociétés africaines

Nul Africain ne pourrait en bonne conscience, et ce, même s’il était un fervent défenseur de la théorie anti-progressiste, ignorer le rôle déterminant joué par les réseaux sociaux dans le bon qualitatif de l’Afrique vers le progrès. Hier coupées et déconnectées du village global :

les populations [d’Afrique sont passées] en moins d’une génération, d’un isolement quasi-total du monde et des réseaux à un branchement sur la toile mondiale – autorisant toute une série d’activités économiques et d’échanges inenvisageables jusqu’alors. Le désenclavement numérique de l’Afrique permet ainsi de dépasser certains des handicaps qui ont longtemps pesé sur le développement du sous-continent. (…) Le raccordement de l’Afrique au monde par les autoroutes de fibre optique révolutionne [plusieurs domaines] (J.-M. Severino et O. Ray, 2010, pp. 160-161).

Dans la crise sanitaire provoquée par la maladie à coronavirus COVID-19, les réseaux sociaux ont permis au continent africain d’être plus résilient. Ladite pandémie a tristement plongé l’humanité dans le confinement. Franchement triste moment où les humains furent nécessairement condamnés à rester cloitrer dans leurs appartements. Apeurés par l’évènement, on a tous fait suffisamment des approvisionnements. Dans cette débandade dépassant l’entendement, des mafieux gonflaient énormément les coûts des aliments. Les hommes de Dieu ont dû fermer les temples obligatoirement quand, à leur tour, les hommes de la nuit fermèrent timidement les espaces d’enjaillement. Le monde était presqu’au bord du précipice de l’immobilisme. Mais heureusement, les réseaux sociaux et les TIC en général ont virtuellement reconnecté les humains. Les cloisons dressées par cette maladie empêchaient le mobilisme éternel des hommes sur le globe et limitaient empiriquement les contacts sans pour autant altérer le monde virtuel. En Afrique et dans d’autres parties du monde, on a constaté comment plusieurs activités se sont réinventées et développées : la télémédecine, le télétravail, le e-commerce, les moyens de transport (VTC), etc.

Aussi, en Afrique où les forces centrifuges comme l’immigration, le terrorisme, le chômage de la jeunesse, les conflits sociaux ne cessent de croître, la dislocation des liens sociaux est une réalité regrettable observable. L’avènement des réseaux sociaux a résolu de si belle manière un tel problème. Ces canaux ressoudent les liens de sociabilité pour le bonheur des uns et des autres. Faisant l’apologie de ces outils et de WhatsApp en particulier, Gado Alzouma (2020, p. 292) déclare : « le succès de WhatsApp est donc dû en partie au fait qu’il permet et facilite la réactivation d’espace de sociabilité qui étaient en voie de disparition, mais dont le besoin est encore ressenti par les populations confrontées à l’anomie du monde moderne ». Effectivement, grâce à ces technologies, les liens familiaux, amicaux, amoureux, ethniques, diasporiques… se sont retissés. Annihilant du coup les frontières géographiques, culturelles et modifiant nos rapports au temps et l’espace. Sur ces entrefaites, on peut admettre avec Philipe Delerm que ce jour, il y a une « sensation d’ubiquité provoquée par toutes les technologies modernes (…) : les époques révolues, le présent, les lieux les plus éloignés du monde se [télescopent] sur l’écran dans une espèce de lévitation abstraite… » (2005, p. 86). Ainsi, les réseaux sociaux ont le mérite d’étendre les pouvoirs des hommes sur les facteurs temps et espace. Ils ont accès à tous les lieux et la temporalité est devenue un continuum franchissable en un clic.

En outre, notons qu’aujourd’hui toutes ces plateformes informatiques peuvent être considérées comme la voix des sans voix. Si hier l’Afrique était réputée pour un continent de corruption et le bafouage des droits de l’homme et du citoyen, à l’ère des réseaux sociaux la situation semble s’améliorer.  En fait, « la mise en lumière de cas de corruption caractérisée sur des forums ou journaux en ligne force parfois la justice à s’en servir » (J.-M. Severeno, O. Ray, 2010, p. 162). Désormais conscient que les réseaux sociaux sont des lucarnes ouvertes sur le monde, personne n’ose agir à la venvole.

Ils donnent aussi de la voix aux peuples africains dans le choix de leurs dirigeants en tordant l’échine en leur faveur. Ceux-ci ont désormais la possibilité d’infléchir des décisions économiques, politiques et sociales. Si hier la gestion des affaires de la res publica se faisait dans le secret des dieux du pays, maintenant avec ces moyens, la parole est libérée et le citoyen lambda peut se prononcer sur la vie de sa nation. En cela il faut admettre qu’« Internet et les outils numériques donnent manifestement d’immenses moyens à la société civile et aux citoyens pour se faire entendre » (L. Bigorgne, G. Buffet et T. Pech, https://www.lefigaro.fr, 2015). Cela participe à la bonne application des principes démocratiques. Si les Droits de l’homme sont de plus en plus respectés dans les États africains, c’est en majeure partie grâce aux réseaux sociaux. Sans ces canaux de diffusion universelle d’informations, certains dictateurs continueraient impunément de commettre des inhumanités. Il y a donc un regain d’humanisme dans la gestion politico-sociale avec l’avènement de ces canaux.

On ne pourrait ici épuiser ce discours panégyrique à l’endroit des réseaux sociaux. Mais, toute œuvre humaine souffrant nécessairement d’une imperfection, « le branchement de l’Afrique sur la toile engendre aussi des effets secondaires plus néfastes » (J.-M. Sévérino, O. Ray, 2010, p. 162) qui méritent d’être analysés. De ces revers, l’incidence sur l’éducation, l’identité et l’habitus de l’être africain retiendront notre attention.

2. L’impact des réseaux sociaux sur la perception de l’être africain et son habitus

Les avantages susmensionnés ne doivent aucunement susciter l’obnubilation qui conduirait à une cécité et une surdité quant à la connexité hétérogène des réseaux sociaux avec la perception du Pour-soi africain et son habitus. Car le déterminisme technologique semble faire planer, dans les cieux africains une néocolonisation encore inquiétante. En effet, si le colon s’en est allé empiriquement, il semble virtuellement se présentifier derechef.

Des années en arrière, l’ex-colonisé ne pouvait rentrer en contact avec le mode existentiel de son ancien maître que par le canal de la télévision. Aujourd’hui avec le déferlement des réseaux sociaux numériques qui rendent encore moins coûteuses, rapides et à temps réel l’information et la communication, l’accès à d’autres cultures lointaines est aisé. Ce qui influence tant positivement que négativement la manière de vivre au monde et dans le monde de l’Africain. Il n’est pas rare de voir des Africains tenter, malgré eux-mêmes, de se fondre dans le moule culturel des autres. Du coup, ils ne sont plus en parfaite harmonie avec leur microcosme ni avec le macrocosme. Victimes d’une cassure ontologique, leur aventure existentielle devient ambiguë : comme des êtres hybridés, pris dans l’étau de deux ou plusieurs culturalismes, ils errent dans ce monde à la recherche d’eux-mêmes.

Léopold Sedar Senghor, en projetant avec détermination et optimisme la civilisation de l’universel, entendait « rejeter la mainmise des Européens sur la civilisation, de les inviter à construire une civilisation unique qui éradiquerait les différences raciales de sorte que, contrairement à l’expansionnisme de la civilisation européenne, l’avenir appartiendrait à un métissage des cultures » (G. Alzouma, 2008, p. 9). Seulement avec les réseaux sociaux, ce rêve senghorien ressemble plus à une chimère. Car avec la forte influence de ces canaux sur les peuples moins développés, difficile de parler de métissage culturel mais bien plutôt d’un phagocytage ou d’un génocide culturel. Les cultures ou les habitus des peuples moins puissants sont en agonie dans ce monde en réseau. Le nuage du métissage culturel qui se profilait dans ce village planétaire n’était qu’un mirage. Et la plupart de ces plateformes sont contrôlées par les plus puissants qui sont d’ailleurs les concepteurs. Il faut noter que les Africains ne sont pas que des consommateurs passifs de ces technologies. Il existe des plateformes made in Africa qui sont entre autres KenyaNet, AbidjanNet, AfricaOnline… Et devant la prise de conscience et la volonté des gouvernements africains de promouvoir les valeurs culturelles africaines via l’enseignement des langues maternelles dans les écoles et universités, l’usage trop addictif des réseaux sociaux détourne l’attention des jeunes. Comment serait-il alors possible pour ces êtres de sortir des griffes de leurs anciens maîtres ? Autrefois sous la coupole des colonisateurs, on était hué, puni et condamné à porter le symbole quand on a eu l’audace de parler publiquement sa langue maternelle. Cette hégémonie identitaire continue avec ces outils puisque bon nombre d’influenceurs africains ont tendance à inoculer dans l’esprit des followers qu’à être trop Africain on est gaou ou en déphasage avec la mode.

Refusant parfois de faire un bon dosage empirico-rationnel pour faire le distinguo entre la réalité et la virtualité, certains Africains se désespèrent à singer maladroitement les cultures des autres. On nous objectera certainement que bien avant l’avènement de ces canaux, le Noir se torturait déjà pour ressembler au Blanc. La preuve : « Des négresses se désespèrent à se défriser les cheveux qui refrisent toujours et se torturent la peau pour la blanchir un peu » (A. Memmi, 1957, p. 139). Et ce mal être du Pour-soi africain et son habitus s’est intensifié avec les réseaux sociaux. Par le canal de ces vitrines tout ce qui se fait ailleurs est su et vu en temps réel.

À ces phénomènes suscités, il faut ajouter le nudisme entendu comme une théorie de la vie en plein air dans l’état de nudité. Le nudisme est, en effet, « né au XIXe siècle en Allemagne [et] prônait une éthique de vie fondée sur une relation saine, authentique et vraie avec la nature » (F. Barthe-Deloizy, 2003, résumé). Cette pratique a réussi à traverser les frontières pour s’infiltrer dans les mœurs africaines avec les sextapes. D’aucuns objecteraient que les Pygmées vivant dans les zones boisées de l’Afrique occidentale sont des nudistes. Qu’à cela ne tienne, ils ne sont pas pour autant entièrement nus et ce mode de vie naturiste constitue leur identité propre et non une envie de vivre autrement. Pour ce peuple en particulier et pour tous les peuples africains qui pratiquent généralement la religion animiste, tous les êtres de la nature possèdent une âme et, de ce fait, méritent respect et considération. Ainsi pour les Africains,

« tout se tient » dans l’univers. Rien n’est isolé. Toute violation des lois sacrées provoque une perturbation occulte dans l’équilibre du cosmos, se traduisant sur notre terre par de grands bouleversements. C’est pourquoi chaque violente manifestation de la nature – éruption volcanique, tremblement de terre, inondation, etc. – est considérée comme la conséquence de fautes commises contre la morale ou contre la tradition (A. Hampâté Bâ, 1972, p.136).

Partant de cette sacralité de l’absoluité des êtres de la nature, dans les sociétés traditionnelles africaines, il est strictement prohibé de s’adonner à des actes érotiques en pleine nature. La transgression de cette prohibition était perçue comme un sacrilège capable de susciter le courroux des dieux de la nature : sécheresses, appauvrissement des sols, famine, maladies et toutes les calamités pouvaient en découler. Ce qui obligeait les anciens à implorer la clémence des esprits par des sacrifices énormes. Ainsi, les sociétés africaines accordent une profonde considération à la nature en s’interdisant de se rendre coupables d’actes répréhensibles par les esprits apotropaïques qui règnent sur elle. Quel est cependant l’état des lieux aujourd’hui dans ce village planétaire où toutes les cultures s’imbriquent ?

Cette identité africaine qui est d’éviter toute banalisation du corps tout en respectant la nature est en phase de sombrer dans le chaos. Cela se perçoit à travers les vidéos érotiques ou pornographiques amateurs destinés à un visionnage privé : les sextapes. L’activité sexuelle qui est secrète et sacrée est devenue une distraction pour les jeunes qui prennent plaisir à filmer leurs ébats sexuels pour les rendre publics sur la toile. Souvenons-nous du scandale qu’a causé la vidéo d’une influenceuse ivoirienne qui se donnait à cœur joie à se faire tondre son « jardin secret » (Facebook, Abidjan Ya Buzz : Lolo beauté montre son kpêtou et prouve que c’est propre et non sale). Ces comportements venus d’ailleurs ont fini par s’infiltrer dans les mœurs africaines à cause de cette vie en réseau. Si jadis en Afrique, le corps (singulièrement les parties intimes de la femme), revêtait un caractère secret donc sacré, aujourd’hui, cette valeur primordiale est bafouée et piétinée au nez et à la barbe des autorités politiques, religieuses et traditionnelles. Tout ce qui est fendu n’est plus défendu ; tout ce qui est tendu est mis à nu. Facebook est devenu « fessebook et sexebook ». En fin de compte tout est désacralisé. L’immaturité, l’immoralité deviennent grandiloquentes.

N’occultons pas l’homosexualité qui, certes, est une pratique aussi vieille que le monde vu que déjà dans l’Antiquité, les anciens tentaient de la comprendre en écumant certains mythes. Mais à cette ère du numérique, ce phénomène prend une ampleur alarmante. Au nom de la liberté de tous, on cautionne toutes les déviations sexuelles. On est souvent surpris de voir des nations dites civilisées, qui se sont octroyées la mission messianique d’insuffler la civilisation, l’humanisme aux autres, faire l’apologie de l’homosexualité. À la télévision (les feuilletons, les bandes dessinées…) ou via les réseaux sociaux, tout un système est mis en place pour instiller cette ignominie dans les esprits et les mœurs. Avec les réseaux sociaux, cette communauté LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisesexuels et Transgenres) est en pleine croissance en Afrique. Cette identité de genre continue d’étendre ses tentacules sur l’hétérosexualité qui, du point de vue identitaire, est le propre de l’Africain. En juillet 2021, le cas au Cameroun du couple homosexuel Pascal Henri & Paulin-Raoul Georges Bengono a choqué les Camerounais et un grand nombre d’Africains. Et cela n’est qu’un cas parmi tant d’autres.

Que dire de l’immigration clandestine de la jeunesse vers l’Occident ? Obnubilés par « les belles images [qu’ils voient] sur internet [mais qui] n’ont rien à voir avec [la réalité] » (J. Guébo, 2018, p. 73), ces jeunes candidats dévoués à cette aventure incertaine croient dogmatiquement que « dès [qu’ils auront] franchi la terre d’Europe, tous [leurs problèmes] auront disparu. (…) Les choses seraient de plus en plus faciles, au point d’être carrément paradisiaque » (J. Guébo, 2018, p. 17-18-19). Eh bien, c’est très souvent trop tard qu’ils comprennent le grand abîme existant entre le réel et le virtuel. Les nombreuses images et vidéos facticement diffusées sur la toile par certains ‘’Influenceurs et influenceuses’’ les transportent dans de folles rêveries.  Convaincus que le paradis est Blanc et que l’enfer est Noir, ils abandonnent tout pour tenter ce voyage plein de péripéties. Épatés et appâtés par ces vidéos et images, il est parfois impossible de les faire sortir de la virtualité pour les ramener à la réalité. Nonobstant toutes les campagnes de sensibilisations et tous les milliers de migrants qui périssent dans le désert et la mer, ils sont toujours nombreux à tenter ce voyage incertain.

D’ailleurs, ceux qui n’ont pas encore été piqués par le virus du voyage vers l’eldorado ; « le continent aux robinets sucrés (…) un vaste lieu de paradis où personne n’a faim » (J. Guébo, 2018, pp.40-105) sont déjà culturellement et spirituellement Français, Américains… Bien qu’étant sur le biotope africain, ils ne se perçoivent plus comme nègres ou négresses aux nez épatés cheveux crépus. Souffrant de la négrophobie, leur modus faciendi n’est plus en congruence avec les habitus de leur peuple. Mimant maladroitement les modes existentiels exogènes, ils sont finalement devenus des êtres hybrides. Ils ont la peau noire mais arborent des masques blancs. À la croisé des civilisations, ils ne sont plus entièrement Noirs ni totalement devenus Blancs. Contradictoirement, dans cette posture atypique, ils se considèrent plus civilisés, évolués que ceux conservant encore intacte leur africanité. Ils les considèrent comme une « bande de gaous » (M. Abouet, C. Oubrerie, 2008, p. 24) parce qu’ils « croient qu’évoluer c’est rompre carrément avec toutes ses traditions pour adopter celles d’une race dont on admire, souvent par « snobisme », le comportement. (…) On voit nos enfants soudanais copier plus ou moins maladroitement Arabes ou Européens… » (1980, p.185). Faisait remarquer le sage de Bandiagara Tierno Bokar par l’entremise d’Hampâté Bâ.

Telle est, dans ce monde, la triste situation de l’être africain et son habitus. Laquelle situation s’est aggravée avec les réseaux sociaux. Les effets collatéraux de cette conception qu’ils ont désormais d’eux-mêmes et du monde sont la dévalorisation et la néantisation des valeurs culturelles africaines et la perte de leur propre identité. Hélas, s’ils pouvaient savoir que le virtuel est souvent très infidèle au réel. À preuve, « nos sœurs qui, sur la base de simples photos vont en Belgique, en France, en Suisse ou aux USA sont souvent surprises de constater qu’elles doivent servir de femmes aux chiens et aux autres chevaux. D’autres sont obligées d’épouser leur ancêtre parce que les photos reçues datent de la jeunesse » (E. Ateba, 2001, p. 80). 

Nous assistons, par ailleurs, à l’intrusion de l’individualisme dans la vie des peuples africains qui se veulent plus communautaristes ou socialistes. Le vent de l’individualité qui souffle au Nord semble tout déraciner au Sud avec l’avènement des réseaux sociaux. Or, « les Africains [accordent] d’abord un primat au tissu social, à la collectivité et non à l’individu (…). La cohésion du tissu social est si forte que le sujet ne peut réellement vivre qu’à condition de s’insérer dans le moule social » (Kouassi Marcel, 2010, p. 57). C’est donc à croire que cette mise en connexion de tous les peuples du monde est loin d’être qu’avantageux pour tous. Les substrats culturels des plus faibles sont annihilés par ceux des forts.  

Cette vie individualiste à l’ère des réseaux sociaux a engendré le télésnobisme ; nouveau phénomène consistant à ignorer l’autre physiquement présent en consultant son téléphone ou un autre appareil mobile. C’est triste de voir comment :

le télésnobisme, (…) pousse les humains à se considérer comme de simples objets. La coaction entre l’homme et les réseaux sociaux l’a, non seulement déconnecté du monde réel pour le faire vivre désormais dans la virtualité mais aussi l’a poussé à faire de son prochain une transcendance transcendée, un simple objet parmi les choses. (K. Kouassi Julien, 2021, p. 287).

Alors, loin de nous mettre en réseau, ces canaux nous mettent en lambeau. Leur influence provoque l’atomisme social ; une rupture de l’interactionnisme social car, bien qu’étant physiquement présents on est parfois spirituellement absents. Aujourd’hui, les réseaux sociaux se sont discrètement introduits dans les relations humaines comme des membres à part entière. Les liens sociaux se disloquent à notre insu. Davantage, nous-nous rapprochons du lointain et nous-nous éloignons du prochain. Un mode de vie qui ne cadre pas véritablement avec celui de l’Africain.  

Outre mesure, quel temps accordons-nous aujourd’hui à notre patrimoine culturel ? Certains canaux traditionnels de diffusion d’informations et de connaissances comme les tam-tams parleurs, les contes… ont considérablement perdu leur valeur au profit des autres moyens de communications modernes comme l’Internet, le téléphone et les réseaux sociaux. Autrefois, autour du feu ou à la claire de lune, les anciens prodiguaient la sagesse, la connaissance à la jeunesse par le truchement des contes. Aujourd’hui, dans cette génération Y, combien sont ces jeunes qui accordent de l’importance à cette pratique culturelle ? victimes d’un snobisme porté à son stade paroxystique, ils n’ont plus le temps pour ces pratiques qu’ils considèrent d’ailleurs désuètes ou périmées. Jean-Godefroy Bidima faisait bien remarquer au sujet du langage tambouriné ceci : 

Il n’était pas rare, vers les années 60, de trouver un paysan bantou du sud-Cameroun travaillant dans son champ de cacaoyers, un poste radio posé sur un arbuste et qui, au moment même où il suit des informations ou de la musique diffusées par la radio, était capable d’interpréter un message du tam-tam (nkou) venu du village voisin annonçant une convocation d’une assemblée urgente du village. [Mais aujourd’hui]… il se dessine en Afrique une concurrence des médias entre ceux des cultures africaines traditionnelles et ceux apportés par la technoscience. (2007, p. 140).

Ce moyen de communication au langage très codifié qui, dans les sociétés traditionnelles africaines, permet de transmettre des messages entre les communautés et surtout de préserver les informations primordiales est en train de perdre sa valeur à l’aune des réseaux sociaux. En effet, dans la majorité des cultures africaines, le savoir, les informations sont cachées ou dissimulées dans le symbolisme (le langage tambouriné, mythe, conte, légende, proverbes, fables, etc.) pour les préserver des profanateurs et conserver leur authenticité. Conscients de la délicatesse de certaines informations et nouvelles ; convaincus aussi que toute vérité n’est pas toujours bonne à dire et quand bien même la dire s’avérait nécessaire, les anciens avaient trouvé utile de les voiler dans le symbolisme afin de préserver la dignité des personnes ou des familles directement concernées et aussi éviter de causer plus de mal à la société.

Hélas, à l’ère des nouveaux canaux, toutes ces stratégies traditionnelles respectueuses des Droits de l’homme sont remises aux calendes grecques. Aujourd’hui, avec les moyens de communication plus modernes et rapides, les arts traditionnels (Tam-Tam parleur, xylophone…) sont en voie de disparition et rare sont les jeunes de cette génération Y qui s’y intéressent. Ce jour, tout est si vite exposé au grand jour sans aucune mesure. Il est désolant de voir tout le respect qu’on vouait aux morts en Afrique battre de l’aile. Dans les sociétés traditionnelles africaines d’autrefois, l’annonce de la disparition d’un homme ne se faisait pas si banalement. Le respect des morts étant une valeur axiologique, c’est tout un protocole qui se mettait en place : délégation d’une personne éprise de sagesse (discrétion, tact, respect des principes moraux, sociétaux…) pour accomplir cette lourde tâche. Dans l’Afrique traditionnelle, difficile de croire que « les morts sont [définitivement] morts » (A. Koné, 1984, p.24) car « les anciens, en mourant, deviennent des « esprits tutélaires », à condition que leur postérité ou leur pays aient [respectueusement] rendu à leur dépouille les honneurs funéraires traditionnels dus aux morts : cérémonies du 1er, du 3e, du 7e et du 40e jour après leur mort » (A. Hampâté Bâ, 1972, pp. 118-119).

Cette culture du respect des disparus si chère à l’Afrique tend à tomber dans les méandres de l’oubli. À défaut de promener le berceau mortuaire dans le village à la recherche d’un présumé bourreau (sorcier), aujourd’hui, dès qu’un homme passe de vie à trépas, il est banalisé et livré au public sur la toile : RIP, des émojis (émoticônes, pictogrammes) exprimant la douleur ressentie par des larmes, l’étonnement, la flamme d’une bougie éclairant dans l’obscurité, etc. Et ce, sans tenir compte du choc émotionnel que cela pourrait causer chez ses proches. Certains n’hésitent pas à filmer des cadavres couchés dans leurs cercueils. Jusqu’au boulevard des allongés, ils sont filmés puis exposés sur les réseaux sociaux. La vidéo de la profanation de la tombe de Feu DJ Arafat devenue virale et bien d’autres sont en contradiction avec les mœurs et cultures africaines.

Au-delà de cette dévalorisation du respect des morts, c’est un matérialisme exacerbant qui gagne du terrain en Afrique avec l’avènement des réseaux sociaux. « Toutes les bouches, en ce temps, conjuguent le verbe « vouloir gagner » à la première personne de l’indicatif présent. Gagner devient un devoir impératif. Quant à la manière de gagner, on se préoccupe peu de savoir si elle est licite ou non » (A. Hampâté Bâ, 1980, p. 184). Les simulacres de belles vies diffusés sur les plateformes, influencent négativement l’agir de certains internautes. Quand on leur fait croire que la vie est toujours rose et que seul l’argent gouverne le monde, il va de soi que l’immigration clandestine et des phénomènes antihumanistes comme les enlèvements d’enfants et d’autres pratiques malsaines continueront de croître. La pratique déshumanisante Porta Potty de Dubaï en est une illustration bien triste. Peut-être elle existait bien avant l’avènement de ces canaux. Cependant, ils l’ont amplifié en suscitant la rêverie chez les followers de ces influenceuses(rs).

Cela dit, le comportement parfois indigne de certains influenceurs influe négativement celui de nombreux internautes. Nous en voulons pour preuve le cas du dénommé ‘’ Père Daloa’’ qui, sous le voile de la comédie, se permet de ramper pour quémander l’aumône. Quelles peuvent être les répercussions de cette attitude sur la jeunesse ? Il n’y a point de doute que les valeurs de travail par soi-même, le courage, la dignité d’homme vont céder le pas à la facilité et la mendicité. Or, la complaisance dans la facilité, la morosité et le refus de l’effort sont des attitudes stérilisantes qui tuent dans l’œuf toute possibilité de croissance et conduisant à la stagnation. Le confinement dans les habitudes rassurantes conduit à l’immobilisme.

Prenons garde ; la société de demain sera la résultante de l’éducation inculquée à la jeunesse maintenant. Et ne soyons pas étonnés car lorsqu’on « confie au varan d’apprendre à faire marcher ses enfants, ils ne pourront que ramper. Quand on confie l’éducation de son enfant à la rue [et aujourd’hui aux réseaux sociaux], l’enfant est laissé à lui-même et devient délinquant… » (S. Diakité, 2016, p. 75). Bien de jeunes sont déjà influencés par l’idée que la clé de la réussite à l’ère actuelle, c’est les réseaux sociaux. Quoi de plus logique qu’ils foulent aux pieds l’éducation parentale et scolaire. À quoi bon s’embarrasser avec les principes moraux et conseils sociétaux pernicieux si ce sont ‘’les immatures’’ qui excellent grâce aux réseaux sociaux ? À quoi bon perdre son temps à l’école s’il est possible, par d’autres voies plus rapides, de réussir sa vie ? Pour cette génération du numérique, si « l’école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce que, même avec la licence de l’université, on n’est pas fichu d’être infirmier ou instituteur dans une des républiques corrompues de l’Afrique francophone » (A. Kourouma, 2000, p. 18), mieux vaut tourner les regards vers les réseaux sociaux. L’allure à laquelle évoluent la situation, l’heure de la parousie risque de sonner pour les valeurs africaines.

Il ne serait donc pas illégitime, face à toutes ces pratiques et comportements qui tendent à vider l’Afrique de son humus culturel et pousser le Pour-soi africain à mener une existence inauthentique, de craindre « la contradiction qui existe entre la « médiatisation » du présent et du futur de l’Afrique » (Alzouma, 2020, p. 298). Car assurément notre rapport avec ces nouveaux médias risque de vider notre être et notre patrimoine culturel si l’on ne sonne pas maintenant le tocsin pour attirer l’attention des facebookiens, twitteurs, etc. africains.

3. De l’urgence d’un rapport ré-considéré avec les réseaux sociaux

Depuis leur contact avec le Blanc et aujourd’hui avec ces nouveaux médias de communication qui resserrent les rapports, on constate avec anxiété et tristesse que les Africains ne sont plus véritablement en parfaite symbiose avec leurs réalités sociologiques, leur antériorité anthropologique. Le don d’ubiquité acquis grâce aux réseaux sociaux les a déconnectés d’avec leur hiccéité. Les fortes mutations sociales qu’ils ont connues sont celles de l’assimilation, l’acculturation, l’aliénation…. À l’aune des réseaux sociaux favorisant une mise en proximité des peuples et cultures, l’aventure existentielle de ces derniers sombre davantage dans une ambiguïté effarante. Le vent de la modernité qui souffle du Nord au Sud est en phase de décoiffer les toits qui protégeaient les quelques derniers éléments du riche patrimoine culturel africain. Sous l’influence de cet impérialisme occidental renforcé par ces nouveaux médias, nombreux sont ces Africains qui ne savent plus sur quel pied danser. L’eccéité culturelle, sur ces entrefaites, semble n’avoir trouvé refuge que dans le garage folklorique ; laissant du coup les Africains dans une sorte de vacuité vitale.

C’est donc le lieu d’inviter les Africains à une réelle ré-considération de leurs relations avec ces canaux pour éviter ce génocide identitaire et culturel. L’humanisme qui constituait l’essentiel des fonds baptismaux de la culture africaine est bouleversé par le machinisme. Quoique ne pouvant quitter la toile pour vivre de façon autarcique, ils doivent revenir à leur êtreité en renouant obligatoirement et rapidement avec cette valeur culturelle ainsi qu’avec toutes les autres valeurs qui leur sont propres. Dans ce village planétaire, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice car l’universalité n’est rien d’autre que la somme des particularités. « L’accès à la civilisation de l’universel [nous dit Emile Kenmogne] ne signifie pas la fin des particularismes culturels, au contraire, elle implique une grande authentification des cultures » (2000, p. 95). Alors, l’avènement des réseaux sociaux ne doit pas déconnecter les Africains de leur originité et leur originalité. Frantz Fanon rappelait précisément l’une des valeurs africaines fondamentales qui semble, à l’aune des TIC, s’agoniser dans l’oubli : l’humanisme. Le citant, J. Janheinz  (1958, p. 130-131) déclarait : « les Nègres (…) constituent en quelque sorte l’assurance sur l’humanité. Quand les Blancs se sentent par trop mécanisés, ils se tournent vers les hommes de couleur et leur demandent un peu de nourriture humaine ».

Alors, le chemin du mimétisme culturel aveugle qu’ils arpentent à l’ère du numérique ne les mènera nulle part sauf à la perte de leur eccéité. Nombre d’Africains croyants à la supériorité de la race blanche se désespèrent à l’imiter pathétiquement. Pourtant « la race (…) est une pure et simple imagination collective ; (…) seuls existent des individus » (J.-P. Sartre, 1943, p. 569). C’est dire que tous les individus se valent malgré leurs différences car chacun peut prendre, en toute liberté, ses responsabilités pour donner un sens véritable à sa vie et à son monde. Ignorants cette vérité essentielle et le possible qui s’offre à tous, certains Africains, obnubilés par les modes exotiques, n’ont qu’un regard dédaigneux pour le pigment noir et les cultures africaines. Et bien pourtant « l’abandon de nos langues nous couperait tôt ou tard de nos traditions et modifierait tôt ou tard la structure de notre esprit » (A. Hampâté Bâ, 1972, p. 32). Que serait d’ailleurs un homme amputé de ses valeurs culturelles et dont la structure spirituelle a subi un avatar ? Sans barguigner, un tel être est atypique parce qu’hybride et de cette hybridité d’être s’en suit inévitablement la perte de son identité.

Aussi faut-il noter que « le discours « développementaliste » élaboré autour des TIC et de leur impact supposé sur tous les secteurs de la société prolonge l’idéologie « missionnaire », une espèce de messianisme humanitaire au service du développement technologique. Sa finalité est ici d’engager les Africains dans la « modernité », de les intégrer au « village global » » (G. Alzouma, 2008, p. 53). De ce fait, les réseaux sociaux risquent de vider l’Afrique de son humus culturel, civilisationnel pour l’envahir avec les cultures exogènes. Tout le patrimoine culturel africain court le risque d’une extermination si les Pour-soi africains ne comprennent pas hic et nunc qu’il est important d’user rationnellement de ces nouvelles voies de communications et d’informations. S’en servir comme il faut sans se laisser ontologiquement et culturellement vider. Une invitation à l’adoption de la morale stoïcienne axée sur la modération pour éviter les schémas addictifs et maintenir une relation saine avec ces outils car comme le dit Ateba : « un goût trop fort, c’est toujours du poison » (2001, p. 86).

Au-delà des efforts individués pour entretenir des rapports raisonnés et moraux avec ces médias, les autorités religieuses, traditionnelles et surtout politiques devraient prendre des mesures strictes pour filtrer et contrôler tous les contenus. De sorte à éviter la corruption et la dépravation des mœurs africaines. En Côte d’Ivoire, la HACA (Haute Autorité de Communication Audiovisuelle)  et l’ARTCI (Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire)  doivent sans complaisance jouer leur rôle de régulateurs avec toute la rigueur des lois. Sans cela, le pays faisant partie intégrante du village planétaire, « quand il pleuvra à Paris, Abidjan sera toujours mouillée ». En d’autres mots, tout ce qui se fera à Paris ou en Occident s’appliquera aveuglement, par mimétisme, à Abidjan. Par ricochet, tous les pays africains seraient inondés par les modes existentiels exogènes si les structures de régulation de l’espace audiovisuel de chaque État n’accomplissent pas correctement leurs tâches.

En chine par exemple, « une vingtaine de comptes publics de la communauté LGBTQI sur Weixin ont été fermés en une nuit » (https://www.courrierinternational.com). Également la version chinoise de TikTok ou la version domestique des réseaux sociaux est interdite aux moins de 14 ans, limitée à 40 mn/jour et inaccessible entre 22h et 06h du matin. Par ailleurs, les algorithmes en Chine montrent aux petits chinois des expériences scientifiques à refaire à la maison, des expositions du patrimoine culturel chinois, des cours sur le patriotisme en vue d’expliquer ce qu’est l’attachement à son pays, des vidéos éducatives et scolaires, etc. Pourquoi ne pourrait-on pas appliquer ces mesures normatives en Afrique ? Sur ces entrefaites, il faut sévir contre les comptes et même contre les bloggeurs qui rament à contre-courant des valeurs morales et culturelles africaines. Sans cela, l’Afrique et les Africains déchoiraient dans une vacuité existentielle dans ce village planétaire qui a tendance à s’occidentaliser.

Conclusion

Bien qu’ayant révolutionné les relations humaines et phénoménalisant une homogénéisation culturelle, l’usage des réseaux sociaux entraine des bouleversements sociologiques, anthropologiques inquiétants. L’usage addictif et déraisonné que les Africains en font tend à sonner le glas de leur patrimoine culturel pour introduire des pratiques culturelles exogènes, celles de l’Occident en l’occurrence. Laquelle situation nous a donc enjoints à ce retrait méditatif pour non seulement sonner le tocsin sur ce génocide culturel et identitaire qui guette l’être africain mais aussi et surtout faire qu’il puisse continuer son aventure existentielle en restant soi-même ; en demeurant dans l’habitation ontologique. Il est à n’en point douter que le brassage culturel ou l’ouverture à d’autres cultures est hautement bénéfique pour toute société puisque la différence est enrichissante selon Antoine de Saint Exupéry.

Cependant, même si Marie-Claude Lapointe, Jason Luckerhoff et Anne-Sophie Prévost pensent que « les pratiques culturelles et médiatiques ainsi que les réseaux sociaux exercent une influence relativement limitée » (2020, p. 269) sur le mode existentiel des internautes, il faut se méfier du fait que ce brassage et cette ouverture possibilisés et simplifiés par ces outils peuvent s’avérer dangereux pour l’existence des cultures africaines et bien d’autres. Pour cela, nous exhortons les Africains à la compréhension du fait que l’univers des réseaux sociaux numériques se dévoile tant dans sa sphère faste que néfaste. Un usage trop maladroit et dogmatique tendant à mimer servilement toutes les pratiques culturelles d’ailleurs vues sur le virtuel, le digital ou le numérique serait très néfaste pour eux. Un mésusage qui viderait tout leur riche grenier culturel et les condamnerait définitivement à voguer sans une véritable identité sur ce vaste océan de l’existence.

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CRISE DU CONCEPT DE RÉSEAUX SOCIAUX                                            ET EXIGENCE ÉTHIQUE EN CONTEXTE AFRICAIN

Florence BOTTI

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

florencebotti5@gmail.com

Résumé :

Alléguer que les réseaux sociaux sont devenus un véritable phénomène de société, c’est insinuer que leurs impacts sur l’existence factuelle des citoyens du monde s’avèrent des plus plausibles. Conçus à l’origine pour faciliter les échanges et les rapports entre les hommes, les réseaux sociaux se sont ouvertement détournés de leur but originel, pour s’imposer dorénavant comme des dispositifs communicationnels pervers dont les nuisances l’emportent largement sur les bienveillances. En considérations de tous les avatars dont ils se rendent d’ailleurs coupables, ce serait un euphémisme d’inférer qu’ils sont devenus des espaces de libres expressions où la dépravation, la délation, la barbarie et l’antipathie semblent cohabiter en l’homme. Toute chose qui justifie une véritable crise de confiance à l’égard des réseaux sociaux dans nos sociétés africaines très enclines au respect du sacré attaché aux bonnes mœurs. Au travers d’une démarche qui se veut à la fois analytique et critique, notre communication se propose de mettre en lumière le sens d’un concept en crise dans le monde, mais surtout en Afrique, et qui requiert un cadrage éthique afin de pouvoir juguler tous les travers que les réseaux sociaux induisent.

Mots clés : Afrique, Crise, Éthique, Humanisation, Réseaux sociaux.

Abstract:

To claim that social networks have become a real social phenomenon is to insinuate that their impacts on the factual existence of citizens of the world are very plausible. Originally designed to facilitate exchanges and relationships between people, social networks have openly diverted from their original purpose, to now impose themselves as perverse communication devices whose nuisances far outweigh the benevolence. Considering all the avatars of which they are guilty, it would be an understatement to infer that they have become spaces of free expression where depravity, denunciation, barbarism and antipathy seem to coexist in the man. Everything which justifies a real crisis of confidence with regard to social networks in our African societies very inclined to respect the sacred attached to good morals. Through an approach that is intended to be both analytical and critical, our communication aims to highlight the meaning of a concept in crisis in the world, but especially in Africa, and which requires an ethical framework in order to be able to curb all the flaws that social networks induce.

Keywords : Africa, Crisis, Ethics, Humanization, Social networks.

Introduction

Dans Faut-il quitter les réseaux sociaux ?, dont il a assuré la préface en 2019, l’informaticien et philosophe français, Jean-Gabriel Ganascia, fait le constat suivant : « En moins de quinze ans, les réseaux sociaux ont transformé le monde » (J. Colombain, 2019, p. 8). Le dire en ces termes, c’est proclamer que, l’avènement des réseaux sociaux a radicalement transformé et bouleversé le fonctionnement de toutes les sociétés du monde, notamment en matière de communication. Avec les réseaux sociaux, nos rapports, nos échanges, nos pensées se sont mondialisés dans une sorte de village planétaire. En si peu de temps, les médias digitaux ont impacté et désorganisé les modes de vie, les façons de penser, d’échanger et d’être avec les autres en imbriquant fortement les liens sociaux. Et, les sociétés africaines, réputées pour être des structures conservatrices, n’échappent guère à leur inextricable emprise. En clair, l’objectif assigné aux réseaux sociaux a été largement atteint surtout que, les hommes restent désormais interconnectés. Mieux, personne ne saurait douter aujourd’hui des innombrables bienfaits des réseaux sociaux quant à la qualité de vie des citoyens du monde qu’ils boostent, tant ils ont facilité les échanges, démocratisé la connaissance, l’information, etc.

Toutefois, le revers de la médaille qui semble de plus en plus inquiéter au point d’indisposer les consciences pieuses, c’est que les réseaux sociaux qui, à l’origine, étaient censés faciliter le vivre-ensemble à l’échelle planétaire, se détournent de plus en plus de ce noble projet, pour devenir des espaces asociaux où règnent désormais la perversité et l’immoralité de tous ordres. C’est notamment cette situation de fait qui fait dire à J. Colombain (2019, p. 19) : « En quelques années, les réseaux sociaux sont devenus des réceptacles de bêtise, de haine et de violence verbale où l’irrationnel l’emporte sur la raison. (…). On dirait le cybermonde a sombré dans la folie ». Dans les pays développés comme sous-développés, les réseaux sociaux distillent le venin de la haine, de la violence verbale et visuelle d’autant que la barbarie y règne en maître.

Sur tous les continents, nous assistons, souvent impuissants et agacés par tant de permissivités, à une dérive sans fins des réseaux sociaux. En Afrique, par exemple, la communication digitale foule aux pieds toutes les valeurs sociétales dédiées au respect, et à la pudeur, lesquelles normes fondent l’identité de l’être africain. Autant reconnaître qu’une véritable crise naît de l’avènement des médias sociaux. Mais, comment en est-on arrivé à ces dérives et autres excès qui nuisent à la réputation des réseaux sociaux ? Le vice dont pâtissent les réseaux sociaux est-il pernicieux au point de penser qu’il est irréversible ? Comment comprendre la notion de crise lorsqu’on parle des réseaux sociaux à l’ère d’Internet ? Quelles solutions faut-il implémenter pour juguler cette crise née de cette occurrence ? Bref, n’est-ce pas au fond par l’édification d’une éthique normative que les réseaux sociaux redeviendront des espaces viables, vivables et humanisés ?

Dans une démarche analytique et critique, notre étude se propose, d’abord, de mettre en lumière le sens d’un concept en crise dans le monde, et surtout en Afrique ; ensuite, le cadrage éthique de ces réseaux sociaux afin de pouvoir juguler tous leurs travers.

1. De la définition et du sens originel des réseaux sociaux

Le concept de « réseaux sociaux » ou « réseau social » n’est pas tant un concept nouveau qui est né avec l’avènement d’Internet. Le « réseau social » a toujours existé, et on pourrait, sans nous y méprendre, confondre son origine avec celle de l’humanité. En effet, l’homme a toujours ressenti le besoin d’interagir avec ses semblables, de vivre avec les autres. C’est d’ailleurs cette vérité que révèle Aristote (1881, 1253a) en ces termes : « L’homme est naturellement un animal politique ». Autant dire que l’homme est par nature un être social, c’est-à-dire prédestiné à vivre dans la proximité et l’écoute permanente de son semblable. Son existence révèle, au fond, qu’il vit nécessairement en société avec ses semblables. Cecipose notoirement l’équation de l’impossible insociabilité de l’homme. C’est pourquoi, depuis toujours, il vit avec les autres, ses semblables avec qui il interagit.  Ainsi, pourrait-on dire qu’il existe un réseau social originel ou traditionnel que les hommes n’ont jamais cessé de tissé, et ce bien avant l’avènement de la communication au moyen d’Internet qui unit « un groupe d’individus reliés par des interactions sociales » (Y. Salmandjee, P. D. Degranges, 2017, p. 11). L’objectif de ces interactions est de répondre aux besoins de communication, d’échanges entre les membres du réseau humain, pour se porter assistance mutuelle. Dans ce réseau social traditionnel, les membres interagissant sont clairement identifiés et unis par des valeurs préalablement définies par la communauté. Le respect de ces valeurs qui préservent la vie et la dignité de chaque membre conditionne la survie de la communauté. D’ailleurs, sans ce cadre d’échanges ou de communication préalablement défini et codifié, nul bonheur n’est accessible. C’est cela qui explique qu’en Afrique, par exemple, il existe plusieurs réseaux sociaux, pour ne pas dire des communautés qui interagissent à partir des valeurs morales ou éthiques admises et partagées par chaque membre. Le non-respect de ces valeurs est passible parfois de sanctions allant jusqu’à l’isolement du membre au moyen de l’ostracisme ou le bannissement partiel ou définitif.

Aussi, ce réseau social traditionnel ou à l’ancienne ne donne pas le droit de parole à tous les membres. Ce sont généralement les seuls sachants ou les sages qui ont droit à la parole pour discuter et penser l’avenir de la communauté. Cet aspect sociologique des réseaux sociaux, bien qu’il soit important, n’est pas vraiment ce qui nous intéresse dans cette étude. Ici, notamment, nous voudrions nous intéresser aux réseaux sociaux en ligne qui, via Internet, bouleversent et transforment aujourd’hui notre manière d’être au monde, notre pensée, notre rapport aux autres, etc. À l’ère d’Internet, le réseau social désigne manifestement « un site web ou une application mobile offrant à ses membres des outils pour créer, gérer et fédérer leur réseau, c’est-à-dire interagir, communiquer, partager du contenu » (Y. Salmandjee, P. D. Degranges, 2017, p. 11). Au regard de ces définitions structurelles, on pourrait inférer que le sens réel du réseau social qu’il soit traditionnel ou moderne, numérique ou encore virtuel, c’est de permettre l’interaction, la communication et le partage entre ses membres. Seulement, la différence décisive à intégrer, c’est que dans le réseau social virtuel, l’identité réelle de celle ou celui avec qui l’on interagit n’est pas toujours connue. L’essentiel est que nous ayons des centres d’intérêt communs, peu importe donc que l’interlocuteur soit réel ou non. Il n’existe pas dans le fond de contacts réels ou physiques comme c’est le cas dans le réseau social de communication traditionnelle. Tous les obstacles qui constituaient des barrières avérées à la rencontre de l’autre, ainsi qu’à leur enrichissement mutuel, sont levés et facilitent pour ainsi dire cette interconnexion virtuelle. À l’ère des communautés virtuelles, les avantages des réseaux sociaux planétaires sont nombreux et agrémentent l’existence humaine à tous égards. Entre autres, les réseaux sociaux facilitent des échanges entre amis, entre les membres d’une famille séparés par la distance physique. Ils créent les conditions idoines pour jouer, pour se divertir, s’informer mais surtout ils permettent une ouverture sur d’autres cultures, en un mot une ouverture sur le monde entier. Ce qui contribue énormément à développer des valeurs de tolérance, de fraternités nouvelles, d’amitiés sincères, d’acceptation des uns et des autres, chacun avec ses différences de langue, de culture, de religion voire de race. C’est dans ce sens surtout qu’il faut comprendre et situer l’enjeu des propos ci-après de D. Cardon (2019, p. 121-122) : « La communauté virtuelle est pensée comme une ouverture sans frontières sur le monde. Elle subvertit les clivages et les barrières sociales et culturelles. S’il faut séparer le réel et le virtuel, soutiennent les pionniers des mondes numériques, c’est justement pour abolir les différences entre les individus ». Là où les contacts physiques se nouaient souvent difficilement, désormais, les médias numériques jouent sur le mode d’une ouverture décomplexée à l’information.

Originellement, on pourrait alléguer que, c’est pour servir une noble cause que le numérique en général, et les réseaux sociaux en particulier ont été mis sur les fonts baptismaux. À l’origine, les réseaux sociaux virtuels servent de tremplins en vue de partager des contenus, de communiquer les actualités en temps réel, d’échanger les connaissances et les messages, de diffuser l’information, voire de démocratiser l’information en la soustrayant du joug de la presse classique, pour la rendre accessible à tous. En ce sens, les réseaux sociaux opèrent une véritable révolution tant, ils ont bouleversé le rapport des humains au monde, leur rapport aux autres. Malheureusement, les réseaux sociaux virtuels censés assurer la continuité de l’œuvre, voire le prolongement de la sociabilité naturelle dans un espace désormais planétaire, ils se transforment en des espaces d’intrusions dans l’intimité de la personne privée, de conflits larvés, de débats virulents et vindicatifs, de haines exacerbées, de violences verbales inouïes. Ils se sont littéralement transformés en des espaces associables ou asociaux, comme le souligne à bon escient J. Colombain (2019, p. 19) : « Les réseaux sociaux constituent l’un des plus grands bouleversements de société induit par le numérique, une révolution dans la révolution, mais ils semblent avoir complètement déraillés. Ils sont devenus de véritables réseaux asociaux ». Cette asociabilité des réseaux sociaux traduit fort éloquemment l’acuité de la crise que connaissent ces réseaux sociaux.   

2. De la crise du sens née des réseaux sociaux à l’ère d’Internet en Afrique

Proclamer dans la présente qu’il se joue à travers le monde une grave crise du sens des réseaux sociaux en général et en Afrique en particulier, c’est énoncer une rhétorique. Mais au fait, qu’est-ce que nous entendons déjà par « crise » ? Et, comment cette crise se traduit-elle concrètement dans les réseaux sociaux ? Déjà, dans l’Antiquité, au Ve siècle av. J.-C., c’est Hippocrate, célèbre médecin grec et fondateur de la médecine scientifique, qui, pour la première fois, prononçât le mot “crise” pour traduire l’état critique d’un malade face auquel le médecin est appelé à agir, soit pour poser un diagnostic en vue d’un dénouement thérapeutique heureux, soit pour assister impuissant à la mort lente mais irréversible du malade. La crise pour ainsi dire s’inscrit dans la médecine humorale d’Hippocrate qui explique le fonctionnement normal du corps humain qui serait synonyme de santé par l’équilibre humoral que sont le sang, la pituite, la bile noire, la bile jaune. La crise qui s’analyse comme un état pathologique traduit un état de déséquilibre des éléments du corps. Elle introduit une rupture dans le fonctionnement normal et régulier de l’organisme qui oblige le médecin à marquer un arrêt avant de faire le choix thérapeutique décisif adéquat. Aussi, dans son traité des Affections, peut-on lire ceci : « Il y a crise dans les maladies, quand elles augmentent, s’affaiblissent, se transforment en une autre maladie » (E. Littré, 1849, p. 216). La crise serait, dans cette logique, strictement médicale, une sorte de mutation de la maladie en une autre qui se trouve être son contraire. Ce qui rend d’ailleurs difficile et complique sérieusement la tâche du médecin.

Comme telle, la crise ne serait pas que la conséquence logique d’un agent pathogène extérieur à l’organisme. Autrement dit, chez Hippocrate, la crise est causée par un facteur exogène qui coïncide avec le milieu extérieur dans lequel se déroule l’existence de l’homme. Concrètement, c’est la nature qui serait le premier facteur étiologique de la crise, sinon de la maladie. Selon Hippocrate, les humeurs « toujours présents dans le corps, sont toujours sujettes à des variations, car elles subissent l’influence des facteurs externes, comme les saisons, ce qui permet de rendre compte de l’apparition des maladies » (Hippocrate, 1999, p. 166). Cette externalisation des causes étiologiques dans le naturalisme médical sera remise en cause au XIXe siècle dans la médecine expérimentale de Claude Bernard. Pour ce dernier cité, la maladie reste le résultat d’un dérangement interne de l’organisme vivant. Et pour cause, « l’état pathologique n’est que la manifestation modifiée de ce qui existe dans l’état physiologique. C’est là le principe fondamental sur lequel repose la médecine expérimentale » (C. Bernard, 1947, p. 299). La médecine actuelle donne raison en partie, d’une part à Hippocrate, et d’autre part en partie à Claude Bernard. Car d’Hippocrate, nous héritons de l’hygiène comme l’une des conditions fondamentales pour éviter de contracter les maladies. Également, de Claude Bernard, c’est la quantification de l’état pathologique qui permet à la science médicale moderne de faire des progrès, même si plus tard Georges Canguilhem montrera que toutes les maladies ne peuvent se réduire à cette seule explication quantitative. Ainsi, écrivait-il expressément pour couper la poire en deux : « Tous les cas pathologiques sont bien loin de pouvoir se réduire au schéma explicatif proposé par Claude Bernard » (G. Canguilhem, 1966, p. 45).

Par analogie à la conception de la crise chez Hippocrate, nous pouvons aisément dire que les réseaux sociaux, en tant que des phénomènes émanant du corps social, connaissent, à l’instar du corps humain, une crise du sens parce qu’il y aurait une rupture réelle ou supposée, un déséquilibre factuel dans leur fonctionnement normal. Cette crise nous oblige à marquer un arrêt d’autant que la normalité semble manifestement rompue.  En outre, la normalité des réseaux sociaux demeure de loin la finalité qui aura motivé leur création, à savoir l’interaction, la communication, l’échange, le partage etc. C’est dans cette normalité que se dévoilent et s’expriment nos valeurs humaines telles que l’amour, la solidarité, le partage, etc. Mais, nous constatons que cette normalité disparaît de plus en plus sur les réseaux sociaux où en lieu et place des valeurs humaines, ce sont des actes antimoraux, inhumains, qui s’expriment librement. Ceci dit, des causes dont l’une endogène et l’autre exogène pourraient amplement expliquer cette crise. La cause endogène serait liée à la nature même du réseau social tel qu’il s’appréhende et se présente à l’ère d’Internet. En conséquence, et ce contrairement au réseau social traditionnel dans lequel les membres qui interagissent sont clairement identifiés avec des valeurs définies dans le temps et dans l’espace, sur le réseau social virtuel ou en ligne, il n’en est du tout rien. Il s’agira, sur ce réseau, d’une interaction virtuelle et universelle, accessible à tous de par le monde et dans laquelle les membres qui interagissent, protégés par le privilège de l’anonymat, ne sont pas toujours identifiés et exposés à la vindicte. Le problème se situe dès lors du côté de cet outil technologique qui impose un réseautage social virtuel.

Dans cet univers virtuel en crise, l’homme se perd pour devenir autre que lui-même. Ce qui ne manque pas de déstabiliser toute l’architecture de l’organisation sociale traditionnelle. L’autre facteur de la crise qui s’avère endogène, provient de l’usage que l’homme fait des réseaux sociaux. C’est pourquoi, nous partageons entièrement ces propos ci-après d’A. Einstein (1991, p. 174) : « La science est un outil puissant ; l’usage qu’on en fait, soit pour le salut de l’homme, soit pour sa malédiction, dépend de l’homme, pas de l’outil ». Autrement dit, si les réseaux sociaux dans leur développement sont souvent synonymes de maux qui jalonnent leur parcours, c’est plutôt dans l’usage que l’homme en fait qui peut le sauver ou le perdre. Ce qu’il faut espérer de nos jours, c’est que l’homme repense son rapport aux réseaux sociaux, pour qu’ils soient moins dangereux pour son existence parce qu’à y voir de plus près les médias digitaux en eux-mêmes ne sont guère condamnables, mais plutôt c’est dans leur finalité et leurs objectifs qu’ils se fourvoieraient. Cela voudrait bien dire que les réseaux sociaux sont moins à redouter que les usagers eux-mêmes. Malheureusement, le constat qui s’impose par son acuité, c’est que de nombreux Africains se complaisent à faire un très mauvais usage des réseaux sociaux. Au reste, protégé par un écran virtuel, l’usager du réseau social élude les valeurs de respect, de courtoisie, d’honnêteté, d’intégrité qui sont les fondements qui consolident les relations humaines dans la société. Sur les réseaux sociaux, les individus obnubilés par un pouvoir acquis sur le tas, et sous couvert de l’anonymat, semblent déconnectés de la vie réelle, qui elle demeure régie par des valeurs éthiques. Toute chose qui incite à affirmer que les réseaux sociaux sont devenus des espaces de non-lois, de non-règles quasi-institutionnels, notamment sur le continent africain où chaque citoyen dans un élan extatique en dispose comme bon lui semble.

À la vérité, la dérégulation de la parole et la liberté d’expression que proposent les réseaux sociaux, et qui normalement devaient participer à la construction qualitative de notre société civile et politique africaine s’avèrent dangereusement problématiques. Le péril induit reste tout entier vu que les réseaux sociaux s’appréhendent malheureusement comme des lieux de libertinages et de dérives de tout acabit. La démocratisation de la parole sur les réseaux sociaux s’analyse aussi comme le mal pernicieux du monde moderne, car n’importe qui peut s’exprimer pour dire ou faire ce que bon lui semble. C’est d’ailleurs pour dénoncer cet état de fait des plus rédhibitoires que le sémiologue et philosophe italien Umberto Eco disait en juin 2015 à l’Université de Turin : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel, c’est l’invasion des imbéciles » (J. Colombian, 2019, p. 41). La liberté d’expression qui devait être une opportunité pour tous les citoyens du monde en servant de leviers solides pour participer à la solide marche du monde par des débats d’idées, se transforme de plus en plus en un véritable fourre-tout aux mains du citoyen lambda. Tous ces travers auxquels exposent malencontreusement les réseaux sociaux et qui sont de nature à déréguler les relations sociales appellent nécessairement à une nécessaire humanisation en vue de leur efficiente utilisation.  Dès lors, que faut-il proposer comme solution pour juguler de façon pérenne et radicale ladite crise ?

3. De la nécessité d’une humanisation des réseaux sociaux comme d’une exigence éthique au profit de l’Afrique

Si d’après Hegel, c’est la contradiction en tant que moteur de l’histoire qui fait advenir le progrès, il n’est guère acceptable d’œuvrer à saisir la crise des réseaux sociaux comme une mauvaise chose en soi. Notre intime conviction, en l’énonçant ainsi, c’est de montrer que seule la crise, la remise en cause permanent permet d’accéder au progrès.

Cela dit, et ce pour en revenir au fil d’Ariane de notre étude, notons que toutes les sociétés modernes sont désormais confrontées aux effets à la fois fastes et néfastes des réseaux sociaux. Mais, les séquelles funestes que nous déplorons en Afrique, c’est cette sorte de laxisme généralisé face aux dérives de ces réseaux, alors qu’ailleurs, des dispositions juridiques et/ou éthiques fort coercitives sont prises pour limiter leurs emprises de plus en plus aliénantes et destructrices pour l’homme. Les réseaux sociaux, à l’instar de toutes les inventions techniques, ne sont pas mauvais en soi. Les outils techniques sont inventés avant tout pour tenter d’apporter des solutions appropriées aux nombreux problèmes qui assaillent au quotidien les humains. Comme le note si bien A. Einstein (1991, p. 156), « tout ce que les hommes font et inventent sert à satisfaire des besoins ou à calmer des souffrances ». En tout état de cause, les réseaux sociaux tout comme toutes les autres inventions technologiques seraient mises en œuvre pour servir en premier lieu les intérêts existentiels des hommes. C’est le cas spécifique de la dynamite qui a été inventée en 1867 par Alfred Nobel pour aider l’homme à perforer facilement les gros agrégats de pierre. Malheureusement, il se trouve que ce bienveillant outil scientifique est souvent détourné par des esprits retors dans le seul but de l’exploitation de l’homme par l’homme, ou plutôt il est utilisé pour faire le mal plutôt que de choisir d’en faire usage en vue du bien de la multitude. En matière de technoscience, l’outil technique n’est donc nullement le problème, mais c’est l’usage pervers et cynique qu’on choisit d’en faire qui constitue le véritable problème de société. C’est ce que dit du reste A. Vidal (2010, consulté le 22/06/2023 à 21 h 05) dont les propos restent à ce sujet très révélateurs : « L’idée selon laquelle il y aurait une séparation claire entre le développement d’une technologie et son utilisation ne tient pas la route. Selon Robert Proctor, professeur d’histoire des sciences et auteur de l’ouvrage Value-free Science ?, n’importe quoi peut être utilisé à bon ou mauvais escient, mais, dans le cas de systèmes hautement complexes, les produits sont habituellement conçus pour servir un but précis. Comment peut-on utiliser à mauvais escient un missile ou une bombe nucléaire ? Dans les faits, une bombe nucléaire ne peut être utilisée que d’une façon ». Pour sortir dignement de cette impasse au désavantage de la société, il faut pouvoir éduquer l’homme à un meilleur usage des outils technologiques comme les réseaux sociaux pour éviter son propre suicide. Pour dire vrai, le mauvais usage des réseaux sociaux dénote d’une carence de connaissances réelles de l’objet lui-même, de sa finalité mais aussi des conséquences néfastes qu’il peut avoir sur l’homme. Sinon, la vérité qui doit être sue pour mettre fin à toute sorte de surenchère sur ledit sujet, c’est que « (…) les fusils ne tuent pas les gens, les gens tuent d’autres gens. Par contre, peut-on être surpris lorsqu’une société qui s’entoure d’armes à feu en fasse l’utilisation » ? (A. Vidal, 2010, consulté le 22/06/2023 à 21 h 05). N’est-ce pas que, c’est la quête d’une plus grande liberté en matière de communication qui justifierait au final toutes ces mauvaises aises à l’actif des réseaux sociaux ?

Or, le fait est que depuis Platon, c’est par ignorance que l’homme choisit le mal au détriment du bien. Dans Protagoras notamment, l’on peut lire ce qu’il pense intimement de l’ignorance : « Personne volontairement ne tend vers ce qui est mauvais » (Platon, 1997, p. 13). C’est par pure impéritie, par un vice criant de connaissances que l’homme commet le mal. Dès lors, on peut déduire que posséder la connaissance, reste pour Platon l’acte moral par lequel on s’écarte du mal. Ce que confirme tout aussi Jean-Paul Dumont en ces termes : « La connaissance est pour Platon une entreprise morale, parce qu’elle vise la contemplation de l’Être qui est le Bien, et aussi parce qu’avec elle l’âme atteint les sommets les plus élevés qui lui soient accessibles » (J.-P. Dumont, 1995, p. 58). Bref, au moyen de la connaissance, on pourrait réduire l’influence du mal à sa plus simple expression.

Subséquemment, c’est une véritable éducation aux réseaux sociaux qui pourra à coup sûr aider à minimiser ou à annihiler leurs conséquences désastreuses.  Comme le souligne fort éloquemment A. Einstein (1991, p. 174), « la science est un outil puissant ; l’usage qu’on en fait, soit pour le salut de l’homme soit pour sa malédiction, dépend de l’homme, pas de l’outil ; avec un couteau, on peut tuer ou servir la vie. Ce n’est donc pas de la science que nous devons attendre le salut, mais de l’homme ». En des termes moins ambigus, Einstein nous fait comprendre que ce n’est pas de la science que nous devons attendre les principes éthiques devant réglementer l’usage des outils qu’elle invente ou crée, mais c’est plutôt à l’homo sapiens qu’il revient cette tâche noble de penser son rapport aux outils scientifiques qu’il utilise. Tout compte fait, le savant ne se préoccupe pas toujours des conséquences éthiques de ses inventions ou de ses recherches. Ce qui l’intéresse, c’est de trouver des solutions efficaces aux problèmes de l’homme. Ce qui apparaît de loin d’ailleurs comme une noble intention.

Toutefois, lorsque l’outil est déjà créé, son usage peut sciemment ou non échapper le plus souvent à la perspicacité de l’homme de science. Au strict plan éthique, il revient à l’homme d’être éduqué à l’utilisation de l’outil, pour en réduire les effets domino. C’est pourquoi, il presse que les hommes en général et les Africains en particulier soient éduqués à l’usage efficient d’Internet et des réseaux sociaux. Vu que le continent africain a l’un des taux d’analphabétisme les plus élevés au monde, il apparaît impératif que les Africains soient éduqués au bon maniement des réseaux sociaux en faisant un emploi véritablement humain. Par concept de “visage humain de l’usage des réseaux sociaux”, il faut plutôt comprendre un usage qui préserve la dignité, l’intégrité morale et physique de l’homme. Ce qui n’est pas encore le cas sur le continent où les réseaux sociaux sont devenus des espaces d’immoralités des plus inimaginables, d’exhibitionnismes dépravés, de cybercriminalités et de cyber-harcèlements.

Pour parvenir à cet usage éthique, nous pensons que, c’est d’abord l’accès à ces réseaux qui doit être limité, contrôlé et aseptisé pour le débarrasser de toutes les gangrènes qui le pourrissent de l’intérieur. En d’autres termes, les réseaux sociaux doivent être réservés exclusivement à une catégorie de personnes, c’est-à-dire à des personnes dont les capacités cognitives sont scientifiquement irréprochables ou au besoin disposées à apprendre à bien se comporter en contexte social. On peut le savoir en définissant par exemple des algorithmes qui vont soumettre systématiquement l’utilisateur à des tests de moralité qu’il faudra préalablement définir. Cela pourrait permettre de restreindre l’accès aux réseaux sociaux à toute personne de moralité douteuse mais aussi aux enfants qui sont les plus vulnérables. Dans ce sens, l’exemple de la Chine devrait pouvoir inspirer les dirigeants africains. Dans un reportage sur l’addiction des jeunes chinois à Internet passé le 02 octobre 2023 sur le média international français France 24, il est rapporté qu’en Chine, les autorités entrevoient de bloquer la connexion à Internet pour les mineurs de moins de dix-huit ans qui seraient malheureusement les plus addicts aux réseaux sociaux.

Aussi, ces autorités chinoises vont-elles imposer des systèmes de blocage directement intégrés aux appareils afin que les parents aient le choix de les activer ou pas pour leurs enfants. Ces exemples de contrôle des réseaux sociaux chinois peuvent inspirer les Africains à prendre aussi des mesures restrictives de liberté afin de limiter les effets néfastes à l’exposition prolongée et incontrôlée sur les réseaux sociaux. Par déficit de contrôle, les jeunes africains deviennent de plus en plus addicts aux réseaux sociaux. Nos autorités compétentes devraient pouvoir sévir en prenant des mesures idoines de rétorsion à même de résorber la crise née des réseaux sociaux. L’addiction que provoquent les réseaux sociaux met en péril le développement harmonieux de la jeunesse africaine qui reste pourtant l’avenir du continent. Comme la Chine qui adapte l’usage des réseaux sociaux à sa vision du monde dans laquelle la jeunesse occupe une place essentielle, l’Afrique devrait en faire autant. Au moyen d’un contrôle a priori, la Chine a réussi à donner une identité éthico-culturelle aux réseaux sociaux sur son territoire. Ce qui fait que les Chinois utilisent les réseaux sociaux différemment de ceux utilisés partout ailleurs dans le monde. L’Afrique pourrait en faire autant même si elle n’a pas les moyens technologiques dont dispose la Chine pour imposer ces restrictions. Elle pourrait à tout le moins solliciter l’expertise chinoise pour lui permettre de définir des algorithmes qui tiennent compte de nos valeurs culturelles et éthiques africaines, et épousent notre Weltanschauung, pour parler comme les Allemands, c’est-à-dire notre vision du monde. L’Afrique devrait pouvoir avoir à disposition son propre réseau social qui mette en relief ses valeurs religieuses et culturelles.

Pour concilier les avantages des réseaux sociaux avec les défis qu’ils posent en termes d’effets néfastes à circonscrire, il est essentiel de promouvoir une utilisation responsable et consciente des médias numériques. Leurs utilisateurs doivent être éduqués sur les risques associés à ces plateformes et sur les bonnes pratiques à adopter pour échapper à leur emprise. Les réglementations concernant la protection des données et la modération des contenus doivent être renforcées afin de préserver l’intégrité de l’espace virtuel et de garantir une expérience en ligne saine pour tous. Si « le principe de sécurité guide l’intervention de l’État et constitue aussi la seule justification pour le lancement de grands programmes » de gouvernance, (D. Uzunidis et M. A. Bailly, 2005, p. 77), alors tout devrait concourir à donner à l’État les moyens et les pouvoirs nécessaires, pour restaurer la dignité sociale sur les réseaux sociaux qui pâtissent de la désinvolture et du laisser-aller un peu trop concédés aux internautes irrévérencieux.

Conclusion

En conclusion, notons que le potentiel des réseaux sociaux à connecter les individus et à partager l’information reste indéniablement solide. Ils offrent une opportunité sans précédent de rapprocher les gens et de favoriser les échanges d’idées. Cependant, il est crucial de reconnaître leurs effets néfastes qui découlent manifestement d’une utilisation irresponsable. Si « (…) la recherche au sein de nos universités publiques s’effectue dans le but de servir les intérêts de la société », (A. Vidal, 2010, consulté le 22/06/2023 à 21 heures 05), alors pour tirer pleinement parti des avantages des réseaux sociaux, il est important de cultiver une présence en ligne réfléchie et de privilégier la qualité plutôt que la quantité en matière de diffusion d’informations. Plutôt que de chercher la validation constante, il convient de se concentrer sur des interactions significatives et de favoriser des discussions constructives. En outre, il est essentiel d’exercer un esprit critique face aux informations partagées en ligne, en vérifiant leur véracité avant de les relayer. En parallèle, il est nécessaire que les plateformes de réseaux sociaux renforcent leurs politiques de modération pour lutter contre les discours haineux, le harcèlement et la désinformation. La mise en place de mécanismes de signalement efficaces et d’une surveillance accrue est essentielle pour préserver un environnement en ligne sûr et respectueux.

Quant à la protection de la vie privée, les utilisateurs doivent prendre conscience que les informations qu’ils partagent en ligne peuvent avoir des conséquences potentiellement fâcheuses. La maîtrise de leurs paramètres de confidentialité et la limitation des données personnelles divulguées sont des mesures préventives importantes pour préserver leur intimité.

Enfin, les pouvoirs publics ont également un rôle éminemment décisif à jouer dans la régulation des réseaux sociaux. Des lois et des réglementations plus strictes à la chinoise doivent être mises en place pour protéger les utilisateurs et garantir une utilisation éthique des données. La transparence des algorithmes et des pratiques de collectes de données est cruciale pour instaurer la confiance entre les utilisateurs et les plateformes.

Sinon, les réseaux sociaux ne sont pas mauvais en soi d’autant qu’ils sont au service de l’homme. Malheureusement, leur utilisation à des fins perverses et immorales doit obliger les dirigeants africains à, soit limiter leur accès, soit proposer un réseau social qui épouse les valeurs humaines et culturelles africaines. Car les réseaux sociaux virtuels ou en ligne doivent être le prolongement ou la continuité de l’essence africaine. Le monde numérique a besoin d’un accompagnement éthique pour que le virtuel soit un espace d’expression de chaque humanité propre.

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APPROCHE CRITIQUE FRANCFORTOISE DE LA CULTURE                   DE MASSE ET DES MÉDIAS SOCIAUX

Klindio Lydie COULIBALY épse ZAMBLÉ

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

klindiolydie@yahoo.com

Résumé :

Il existe des réalités dont le monde actuel ne peut incontestablement se passer entre autres les réseaux sociaux comme voie d’information ou moyens de communication entre les individus. Ceux-ci ne manquent pas d’influencer notre quotidien tant positivement que négativement. Leur diffusion dans la sphère communicationnelle va de pair avec une déstructuration croissante des dynamiques culturelles et des valeurs qui, jusque-là, les caractérisaient.

La portée de la critique de la culture de masse et des médias élaborée par les Francfortois constitue l’objet de la présente étude. En tant que témoins privilégiés de leur époque, les philosophes de l’École de Francfort tels que Max Horkheimer et Theodor Adorno ont mené à ce sujet des réflexions éclairantes de portée avant-gardiste. Dans cette étude, l’objectif est de montrer, à partir d’une double approche sociocritique et analytique des médias sociaux, que les réflexions desdits francfortois peuvent être perçues comme une anticipation du développement vertigineux et contre-productif des réseaux sociaux d’un point de vue éthique. Cela nous permettra d’esquisser des pistes de solutions éthiques comme palliatives aux effets pervers des réseaux sociaux pour un usage social et individuel plus efficient et salutaire.

Mots clés : Anticipation, Critique, Éthique, Francfortois, Médias.

Abstract:

There are realities that today world unquestionably cannot do without, among other, social networks as means of information or communication between individuals. These do not fail to influence our daily lives not only positively but also and above all negatively. Their diffusion in the communication sphere goes hand in hand whith an increasing destructuring of the cultural dynamics and values which, until then, characterized them.

The scope of social media elaborated by Frankfurt School such as Max Horkheimer and Theodor W. Adorno have led enlightening reflections of avant-garde scope on this subject. In our study, it is fundamentally a question for us, and this from a sociocritical approach of social media, to show that the reflections of the said frankfurters can be perceveid as an anticipation of the dizzying and counterproductive development of social networks an ethical point of view. This will allow us to propose ethical solutions as palliatives to the perverse effects of social networks for more efficient and beneficial social and individual use.

Keywords: Anticipation, Critical, Ethics, Frankfurters, Media.

Introduction

L’objet du présent article est relatif à la portée de la critique francfortoise de la culture de masse et des médias. L’École de Francfort, également connue sous le nom d’Institut de Recherches Sociales de l’Université de Francfort en Allemagne a développé une Théorie critique de la société moderne en se penchant sur des domaines tels que : la culture, la politique, l’économie et la communication. Bien qu’ayant des opinions diverses, l’on peut discerner, chez eux, certaines critiques générales qu’ils partagent à propos des médias sociaux.

Sans conteste, ces nouveaux moyens d’information et de communication suscitent un intérêt et un engouement particuliers chez les usagers ainsi que dans le milieu intellectuel. C’est en ce sens que, P. Corcuff (2007), O. Voirol (2010), E. Maigret (2015) ont fait des critiques très instructives à l’endroit des médias sociaux. Mais, l’intérêt de la présente étude réside dans le fait que l’École de Francfort a jeté les bases d’une analyse profonde et incisive de la culture de masse et des médias sociaux. À travers une lentille critique et distinctive, les Francfortois ont examiné la manière dont les médias de masse ont influencé la société et la pensée, identifiant les mécanismes de domination, d’aliénation et de conformisme culturel qu’ils engendraient.

Alors que le paysage médiatique a évolué pour intégrer les réseaux sociaux, une question essentielle nous interpelle : comment l’approche critique francfortoise peut-elle éclairer notre compréhension des réseaux sociaux et de leur impact sur notre réalité contemporaine ? L’analyse de cette question nous conduit à la problématique suivante : quels sont les fondements de l’approche francfortoise de la culture de masse et des médias ? Quelle est la situation actuelle des réseaux sociaux et les implications profondes de cette révolution numérique ? Et quelles sont les conditions d’encadrement éthique du développement exponentiel des réseaux sociaux ? À ce questionnement, nous répondons que la critique francfortoise des médias peut être perçue comme une anticipation lumineuse de développement vertigineux des réseaux sociaux dans notre société contemporaine. Au fond, il s’agit de comprendre les mutations que ces nouveaux moyens ont sur les rapports sociaux, sur la culture et surtout sur la vie morale.

À l’aide d’une double méthode sociocritique et analytique, nous plongerons d’abord dans les fondements de l’approche francfortoise de la culture de masse et des médias sociaux, puis nous examinerons l’ère actuelle des réseaux sociaux, cherchant à déceler les implications profondes de cette révolution numérique à l’ère de leur démocratisation, avant de proposer quelques éléments d’une éthique des médias sociaux d’inspiration francfortoise. Cette réflexion prend son ancrage dans la Théorie critique en particulier celle de Horkheimer et Adorno.

1. La critique francfortoise de la culture de masse et des médias sociaux 

M. Horkheimer et T. W. Adorno font partie de la première génération de l’École de Francfort. En tant que membres fondateurs, ces penseurs ont contribué à développer la Théorie critique, une approche philosophique et sociologique qui se penche sur les questions liées à la société technologique, à la politique et à la culture. Cette école a donc analysé la culture de masse, également appelée culture populaire, en formulant des critiques importantes à son égard. Ce concept peut s’entendre comme une forme de culture qui s’adresse au plus grand nombre et qui est constituée par l’ensemble des productions de l’industrie culturelle et des pratiques qui leur sont liées. Elle s’oppose à la culture classique perçue comme élitiste. En outre, la culture de masse s’est développée à partir du milieu du XIXe siècle, en s’imposant dans la société contemporaine avec l’essor du cinéma, de la radio, d’internet et des supports numériques. Quant aux médias, ils désignent un ensemble de technologies, de contenus et d’interactions qui permettent de créer des interactions sociales en facilitant le partage et la diffusion d’idées, de pensées et d’informations. Il s’agit du cinéma, de la radio et de la télévision. Il convient de préciser, avant tout, que l’École de Francfort n’a pas nécessairement formulé une critique spéciale des réseaux sociaux tels que nous les avons aujourd’hui, vu que ces technologies n’existaient pas à leur époque. Toutefois, les idées et les critiques qu’ils ont développées en relation avec la culture de masse, la technologie et les médias (la radio, la télévision et le cinéma) peuvent être appliquées de manière générale à l’analyse des réseaux sociaux et leur impact sur la société contemporaine.

Les philosophes francfortois, M. Horkheimer et T. W. Adorno, étaient préoccupés par la manière dont la culture de masse, y compris les médias sociaux, pouvait contribuer à l’aliénation et à la réification des individus. À propos de la culture de masse ou encore l’industrie culturelle, T. W. Adorno (1964, p.18) écrit à juste titre qu’« elle empêche la formation d’individus autonomes, indépendants, capables de juger et de se décider consciemment ». Il considère que la culture de masse transforme les individus en de simples consommateurs passifs, leur ôtant toute autonomie et toute capacité à penser de manière critique. M. Horkheimer et T. W. Adorno (1974, p. 188) notent qu’« aujourd’hui, l’imagination et la spontanéité atrophiées des consommateurs de cette culture n’ont plus besoin d’être ramenées d’abord à des mécanismes psychologiques ». Ainsi, les médias, en encourageant la passivité dans la consommation d’informations et en favorisant la superficialité des interactions, peuvent être perçus comme un moyen de renforcer cette aliénation. Dans l’industrie culturelle, en tant que principe de fonctionnement du système capitaliste, la consommation participe d’un fétichisme de la marchandise. Celle-ci s’étend ainsi à toute la société y compris la culture et la communication à travers les médias de masse.

Aussi, les Francfortois dénoncent-ils la tendance des médias à la standardisation et au conformisme. De leur avis, les médias contribuent à promouvoir des normes culturelles et sociales préétablies. Ainsi, « De l’improvisation standardisée du jazz à la vedette du cinéma qui doit avoir une mèche sur l’oreille pour être reconnue comme telle, c’est le règne de la pseudo-individualité ». (M. Horkheimer et T. W. Adorno, 1974, p. 228). L’industrie culturelle organise la reproduction des produits culturels sous la forme de styles imitables et encourage les individus à adopter des goûts et des choix similaires pouvant conduire à une homogénéisation des opinions et des comportements.

Par ailleurs, l’École de Francfort a relevé le pouvoir manipulateur des médias. Ses penseurs estiment que ces moyens de communication et d’information, utilisés par le politique, constituent un appareil de domination et de manipulation de l’opinion par le biais des propagandes, en vue d’influencer la perception des événements. Mieux, les médias permettent aux gouvernants d’imposer leurs idéologies politiques auxquelles tous les individus doivent se soumettre. C’est à juste titre que les auteurs de La dialectique de la raison (1974, p. 235) notent que :

La radio y devient la voix universelle du Führer ; elle surgit des haut-parleurs des rues et devient le hurlement des sirènes annonciatrices de panique par rapport auxquelles la propagande moderne ne sera plus guère reconnaissable. Les nazis eux-mêmes savaient bien que la radio achevait de donner forme à leur cause, comme le fit la presse d’imprimerie pour la Réforme.

Ainsi, les médias ont joué un rôle notable dans le totalitarisme où, les fascistes avaient la mainmise sur les médias sociaux traditionnels.

Les intellectuels de Francfort dénonçaient déjà une décadence des valeurs morales imputable aux médias et à la culture de masse. Ces canaux étaient utilisés pour diffuser des contenus immoraux. Une telle situation est susceptible de conduire à la dépravation au sein des jeunes avec des conséquences néfastes sur leur comportement et leur personnalité. De leur avis,

l’industrie culturelle est pornographique et prude. Elle réduit l’amour à la romance et après une telle réduction, bien des choses sont permises, même le libertinage comme spécialité commerciale à petites doses, avec une étiquette signalant que le sujet est « osé ». La production du sexuel en série organise automatiquement sa répression. (M. Horkheimer et T. W. Adorno, 1974, p. 207-208).

Fort du constat selon lequel, la majeure partie des émissions télévisées participe à la déliquescence des valeurs morales et à l’appauvrissement culturel, la position d’Adorno est claire. Il n’interdit pas de regarder la télévision, mais plutôt, il plaide pour une éducation critique aux médias sociaux à travers des émissions et des programmes éducatifs. Cela permettrait une compréhension critique de ces médias, de leurs structures et de la manière dont ils peuvent influencer la pensée et le comportement des individus.

Ainsi se présente le cœur de la critique francfortoise des médias et de la culture de masse, une critique à la fois éclairante, lucide et anticipatrice du développement galopant de ces moyens techniques de communication et d’information. Cette critique peut nous permettre une meilleure compréhension de la nouvelle réalité numérique que représentent les réseaux sociaux. C’est à cela que nous consacrons la partie suivante.

2. Démocratisation et complexité des réseaux sociaux numériques

La sphère publique est, aujourd’hui, marquée par un recours massif aux médias sociaux. Ces dernières années, l’usage de ces plateformes participatives a explosé et leurs utilisateurs se comptent par milliers. L’expression « médias sociaux » désigne actuellement un type d’application ancré dans les plateformes web 2.0, notamment les blogues, les sites des réseaux sociaux (Facebook, Instagram, TikTok et Twitter), les sites d’échange de contenus (YouTube). Ces espaces permettent l’expression directe des usagers, que ce soit en leur qualité de citoyens ou de consommateurs. À travers des interactions quotidiennes, ils permettent l’information, la communication, le divertissement, mais aussi, ce sont des espaces d’expression culturelle, d’échange de biens et de commerce. Ces nouveaux espaces publics sont entrain de concurrencer de façon notoire, voire éclipser les médias traditionnels qui étaient gérés uniquement par les tenants du pouvoir politique. Au fil du temps, le développement croissant des réseaux sociaux et leur démocratisation a suscité un engouement réel chez les usagers au point où, selon H. M. Bãdãu (2018, p. 12), « chacun s’est vu reconnaitre la possibilité de publier et d’entrer en relation plus aisément avec d’autres usagers ».

Il est clair que l’impact des réseaux sociaux sur notre existence est à nuancer du fait de leur ambivalence. Ils offrent de réelles opportunités aux utilisateurs, mais aussi ils sont une source de problèmes du point de vue éthique. En termes d’opportunités, les réseaux sociaux s’avèrent importants dans la mesure où, ils favorisent la connectivité et la communication. Ils permettent aux individus de rester en contact et de nouer des liens avec d’autres personnes à travers le monde entier. L’exemple de Facebook créé en 2004 est édifiant. Ce réseau social, mondialement utilisé avec plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs par mois, permet de rester en contact avec les autres, de partager des expériences et de s’exprimer librement.

En tant que plateformes sociales, les nouveaux médias sociaux offrent une quantité énorme d’information et de ressources, sources de connaissance et d’apprentissage. Il existe des sites de recherches tels que Google et ChatGTP qui facilitent l’accès à l’information. Il est aussi possible de suivre des formations en ligne via les réseaux sociaux pour acquérir de nouvelles compétences. À ce propos, B. Ouattara et al (2022, p. 71) ont mené une recherche sur l’usage des réseaux sociaux dans l’enseignement supérieur comme dispositifs d’apprentissage en ligne (e-learning) dans le contexte de la Covid-19. Ils notent clairement que « certains établissements ont eu recours aux réseaux sociaux virtuels tels (WhatsApp, Facebook, Instagram, Telegram, etc.) comme dispositifs d’enseignement et d’apprentissage en ligne ».

Les réseaux sociaux présentent, à n’en point douter, des opportunités commerciales (marketing). Ils constituent, pour les entreprises, de véritables outils de communication pour se faire connaitre, mettre en avant leurs activités (processus de fabrication de produits), se démarquer, vendre, promouvoir leurs produits ou se faire de nouveaux clients. Avec le « marketing digital », le nombre d’abonnés (followers) est un indicateur de popularité qui permet de gagner en visibilité et d’optimiser l’influence. In fine, les réseaux sociaux se sont imposés dans la société contemporaine comme de véritables vecteurs de développement humain et matériel. Toutefois, la croissance accélérée de ces nouveaux moyens technologiques de communication et d’information bouleverse les anciennes manières d’interagir, de communiquer et de partager les informations. Cela suscite bien des inquiétudes quant aux implications éthiques de cette révolution numérique.

L’un des problèmes éthiques que génère le développement des réseaux sociaux numériques est la violation de la vie privée et la gestion des données personnelles. En effet, les réseaux sociaux numériques collectent une quantité considérable de données personnelles avec des informations sensibles concernant les individus. Les usagers, en utilisant ces nouveaux médias sociaux, y laissent des empreintes numériques. Ils peuvent être exposés à la violation de leur vie privée si ces données sont utilisées à des fins inavouées et sans leur consentement éclairé. On peut dire que l’exploitation de ces masses de données personnelles semble échapper à tout contrôle. Cela peut porter atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des usagers. C’est pourquoi B. Juanals (2009, p. 50) fait cette observation pertinente :

l’utilisation de la traçabilité sur des personnes porte à les assimiler de manière implicite à des objets que l’on immatricule, que l’on décrit, et dont on surveille les parcours à l’aide de standards et de normes. La participation des individus aux systèmes d’information a généré, entre autres conséquences, une réification de l’humain dans toutes ses dimensions (…) et tend à lui appliquer les mêmes modalités de traitement qu’à des produits. Quelles qu’en soient les finalités (politiques, administratives, éducatives, commerciales…), ces systèmes offrent le support et la technologie à même de recueillir, d’enregistrer et d’analyser toutes les traces liées à la description et aux activités de leurs utilisateurs. 

Il est clair que la violation de la vie privée, déjà évoquée par les Francfortois dans leur critique et en cours dans notre société actuelle, participe de la réification des individus connectés aux réseaux sociaux.

Les médias sociaux numériques sont devenus des moyens qui facilitent le cyber harcèlement et l’intimidation en ligne. Selon Le Robert, dictionnaire en ligne, le cyber harcèlement désigne un harcèlement pratiqué par voie électronique, notamment sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une conduite intentionnelle via l’usage des TIC (Technologies d’Information et de Communication) pour harceler, insulter, menacer ou rabaisser l’autre. Cette forme de violence se manifeste par des messages à caractère sexuel ou pornographique, des insultes, des diffusions de rumeurs ou des dénigrements. Les victimes de cyber harcèlement, généralement des femmes et les enfants, peuvent subir des préjudices psychologiques et émotionnels graves.

Les individus et particulièrement les jeunes sont de plus en plus dépendants des réseaux sociaux. Ils passent de longues heures interminables sur leurs téléphones, entrain de parcourir les réseaux sociaux tels que Tiktok, Instagram, YouTube, Facebook ou Snapchat. Ce qui peut s’avérer nocif pour leur santé mentale, notamment en provoquant des problèmes d’estime de soi, d’anxiété, un sentiment d’isolement, la dépression, le manque de sommeil et la baisse des résultats scolaires. Les adolescents, les plus gros consommateurs de réseaux sociaux, sont les plus concernés du fait de leur vulnérabilité.

À ce niveau de notre réflexion sur les implications des réseaux sociaux pour la société contemporaine, nous sommes en droit d’affirmer la complexité de leur influence sur notre existence. Leur empreinte sur l’homme, ses valeurs, ainsi que, la culture est à prendre en compte avec plus de lucidité si l’on veut qu’ils nous soient humainement profitables. C’est pourquoi la voie de l’éthicité est à emprunter pour un usage raisonnable des réseaux sociaux qui prenne en compte l’éminente dignité de l’homme. Á propos, l’École de Francfort nous fournit un cadre éthique riche qui peut y contribuer valablement.

3. Pour une éthique des médias sociaux d’inspiration francfortoise

Face à la trajectoire inquiétante et aux défis inédits induits par la croissance accélérée des réseaux sociaux, l’urgence d’un accompagnement éthique se pose avec acuité. Pour ce faire, nous nous abreuvons à la source francfortoise pour y déceler des éléments en vue de fonder éthiquement leur développement.

Les penseurs de l’École de Francfort, notamment Max Horkheimer et Theodor Adorno, ont montré que la culture de masse et les médias sociaux conduisent, au bout du compte, à l’aliénation des individus. Pour faire face à cette aliénation sociale, leur approche fournit un référent critique basé sur le principe moderne de la Raison et de la culture émancipatrice. Horkheimer, lui propose le principe moderne de Raison critique qui peut aider, non seulement à une compréhension réfléchie de la culture dominante mais, à discerner les normes imposées par l’industrie culturelle, tout en cultivant une pensée indépendante. N’est-il pas vrai que « Penser est en soi déjà un signe de résistance, un effort de ne plus se laisser duper. Penser ne s’oppose pas absolument à l’ordre et à l’obéissance, mais, la pensée les met en rapport avec la réalisation de la liberté. » (J. Spurk, 2017, p. 67). La pensée indépendante chez Horkheimer est un concept central dans sa théorie critique. Elle représente pour lui la capacité de se libérer des formes d’aliénation culturelles et sociales perpétrées par les structures de pouvoir et les normes prédominantes de la société. Horkheimer (1947, p. 169) soutient justement que « la prise de conscience philosophique de ces processus peut nous aider à renverser leur cours ». L’émancipation est donc inséparable du penser éclairé.

Horkheimer préconise également une culture émancipatrice à travers la résistance aux formes aliénantes de la culture de masse. Cela pourrait prendre la forme d’une participation critique visant à contester les mécanismes de l’industrie culturelle. Sa théorie critique affiche clairement un intérêt à l’émancipation qui n’est pas simplement une question politique ou économique mais, elle concerne également la libération intellectuelle et culturelle des individus. La voie de l’émancipation des individus passe par une critique radicale des structures sociales oppressives, une remise en question de la rationalité instrumentale (dans notre contexte, la rationalité instrumentale qui sous-tend les médias sociaux) et une transformation profonde de la société vers un état plus juste et plus humaniste.

Adorno quant à lui propose une médiation entre les contenus culturels, l’expérience des sujets sociaux et les processus socio-économiques dans le cadre de son analyse de l’industrie culturelle ou culture de masse. Cette médiation est une tentative de surmonter l’aliénation culturelle. Concernant la médiation entre les contenus culturels, Adorno suggère une approche qui transcende la simple consommation passive des contenus culturels. Car selon Adorno (1974, p. 58), « Les objets culturels ne sont jamais neutres, ils portent en eux les traces de la société qui les a produits ». Cela signifie que les individus, doivent chercher à comprendre les médias sociaux de manière critique afin de reconnaitre les tensions et les contradictions qu’ils recèlent. Aussi, Adorno encourage-t-il une médiation qui engage les individus dans une réflexion sur leur propre expérience sociale. Cela implique de reconnaitre comment les contenus culturels notamment les réseaux sociaux influent sur leur compréhension du monde et la construction de leur identité. L’idée est de se garder d’être complètement absorbé par la culture de masse en conservant une conscience critique de son impact sur l’expérience individuelle. Par ailleurs, la médiation peut permettre la compréhension des processus socio-économiques qui sous-tendent l’industrie culturelle. Les individus seront à mesure de mieux saisir les forces structurelles qui façonnent la production culturelle. Cela peut aider à contextualiser les contenus culturels dans un cadre plus large permettant ainsi, une approche plus consciente et critique de la consommation. Ces référents francfortois représentent, à n’en point douter, une base solide qui peut permettre un usage éthique et conscient des médias sociaux.

Conclusion

Au terme de notre analyse, nous notons que l’approche francfortoise fournit un cadre conceptuel riche qui a permis d’analyser les médias sociaux en tant qu’extension de la culture de masse. Elle offre des perspectives importantes sur les implications sociales, culturelles et éthiques des médias sociaux. En fait, leur critique éclairante se présente comme une tentative d’anticipation du développement exponentiel des réseaux sociaux numériques d’où, sa pertinence dans un monde numérique en constante évolution. À l’ère de leur démocratisation, ces plateformes technologiques revêtent un caractère complexe, à la fois en tant que vecteur de socialisation, de développent humain et matériel, mais génèrent des problèmes du point de vue éthico-moral. C’est pourquoi, cette modeste réflexion qui s’est nourrie à la source francfortoise propose un référent éthique qui peut contribuer à rendre possible un usage éclairé donc responsable des réseaux sociaux dans un monde de plus en plus connecté.

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LES RÉSEAUX SOCIAUX EN AFRIQUE :                                ENJEUX ET PORTÉE ÉPISTÉMO-ÉTHIQUES

1. Evariste Dupont BOBOTO

Université Marien NGOUABI (République du Congo)

evaristedupontb@gmail.com

2. Gildas DAKOYI TOLI

Université Marien NGOUABI (République du Congo)

gildasdakoyi@gmail.com

Résumé :

Le principal enjeu de cette recherche consiste à évaluer l’impact des réseaux sociaux en Afrique en général, et particulièrement dans le fonctionnement du système éducatif. À travers une lecture prospectiviste, nous nous interrogeons sur la portée et les limites des réseaux sociaux dans la société et dans le système éducatif en Afrique. À partir de cette interrogation, nous relevons un double impact. Un impact positif consécutif à la bonne utilisation des réseaux sociaux qui est source de développement ou de progrès sur les plans éducatifs et socio-culturel. Car nul ne peut douter aujourd’hui des bienfaits de la science et de la technologie moderne. Un impact négatif consécutif à leur mauvaise utilisation. Nous aborderons cette recherche à travers une méthode analytique et critique. L’analyse permettra de scruter le fonctionnement des réseaux sociaux, tandis que la critique jugera leurs faiblesses sur le fonctionnement du système scolaire en Afrique.

Mots clés : Développement, Épistémologie, Éthique, Prospective, Réseaux Sociaux.

Abstract:

Our topic of reflection is entitled: “Social networks in Africa: challenges and epistemo-ethical scope”. This work is part of the global perspective of this symposium focused on the theme “Social networks and dynamics of African societies”. It is part of axis 2 “Social networks and education”. The main challenge of this research is to assess the impact of social networks in Africa in general, and particularly in the functioning of the education system. Through a forward-looking reading, we question the scope and limits of social networks in society or in the education system in Africa. From this question, we note a double impact. A positive impact following the good use of social networks that is a source of development or progress on the educational and socio-cultural levels. Because, “no one today can doubt the benefits of modern science and technology”. A negative impact resulting from their misuse. We will approach this research through an analytical and critical method. The analysis will allow us to scrutinize the functioning of social networks, while criticism will allow us to judge at their true value the weaknesses or limitations of social networks on the functioning of the school system in Africa. We carry out our reflection around three axes. In the first axis, it is a question of presenting the rise of social networks in African societies from 1990, as a means of openness to the world and socio-cultural development. The second axis is devoted to a critical reading of social networks. Finally, in the last axis, we will invoke ethics as a means of consolidating the achievements of social networks on the educational, social or cultural levels for the development of Africa.

Keywords : Development, Epistemology, Ethics, Futurology, Social Media.

Introduction

Le XXIe siècle peut être considéré comme le siècle de la génération internet en raison de ses multiples mutations terminologiques. Puisque, directement ou indirectement les réseaux sociaux semblent s’imposer à tous les peuples en quête de modernité. Le problème qui se dégage dans cette étude est celui d’analyser l’impact ou la portée des réseaux sociaux en Afrique. Entant qu’instrument de partage, les réseaux sociaux ont-ils un impact positif ou négatif dans le fonctionnement du système éducatif en Afrique ? Cette réflexion suscite la problématique suivante : l’usage des réseaux sociaux favorise-t-il le développement des systèmes éducatifs en Afrique ? Ne sont-ils pas plutôt sources de perversions des systèmes éducatifs proprement africains ? Finalement, n’y a-t-il pas d’éthique de convenance pour concilier l’usage des réseaux sociaux au profit d’une éducation adaptée aux réalités africaines ? À la lumière de ces questions, notre travail peut se structurer en trois (3) parties et trois (03) hypothèses qui se présentent ainsi qu’il suit. Premièrement, nous parlerons de l’essor des réseaux sociaux dans le système éducatif en Afrique. Elle aura pour particularité de montrer en quoi leur usage serait profitable au développent de l’éducation en Afrique. Deuxièmement, nous dégagerons les limites des réseaux sociaux dans le déploiement d’un système éducatif africain. Ici, nous justifierons la portée aliénatrice des réseaux sociaux dans nos systèmes éducatifs. La dernière partie est celle où se joue la nécessité d’impliquer l’éthique comme remède de convenance aux fins d’adapter l’usage des réseaux sociaux à nos réalités, pour une éducation digne de ce nom. Une telle étude exige logiquement à faire recours à la méthode analytico-critique afin de dégager une portée épistémologique corrélative au succès de notre système éducatif.

1. L’essor des réseaux sociaux dans le système éducatif en Afrique

Considérés comme des plateformes de communications numériques qui permettent aux individus ou à des organisations partageant des intérêts communs à développer des interactions ou à tisser des liens, les réseaux sociaux et le système éducatif sont conciliables.

Cette étude permet de considérer l’apport des réseaux sociaux à l’éducation, notamment à travers les méthodes pédagogiques comme le « streaming » c’est-à-dire des ateliers d’élaboration de contenus pédagogiques en ligne. Ce qu’il y a de commun à gagner entre ces deux modes de partage, c’est le rapport à autrui en tant que travail d’équipe, par opposition au travail individuel.

1.1. Du travail en équipe

Travailler en équipe, c’est s’arracher à la tyrannie de son égo pour commercer intellectuellement avec autrui. C’est là une marque d’humilité à travers laquelle notre ego bénéficie de la richesse cognitive de son alter ego. Sur ce, Sartre a eu raison d’affirmer que « connaitre c’est s’éclater vers, s’arracher à la moite intimité gastrique pour filer là-bas… » (J.-P. Sartre, 1947, p. 32).

Cet éclatement, n’est autre que la tendance qu’à notre conscience à se construire naturellement à partir de son rapport avec son alter ego. Dans le neuvième volume de la pédagogie pratique pour l’Afrique : les examens professionnels, précisément, dans le chapitre intitulé les conditions générales du travail », il ressort que « la vie intellectuelle a besoin de rencontre, d’échange. Nous avons vu qu’elle impliquait un certain recueillement et donc des moments de solitude. Mais, en même temps, se frotter à autrui est toujours bénéfique » (Pédagogie pratique pour l’Afrique, 1988, p. 12). Cette assertion précise que le travail en groupe est profitable. Dans cette même école, ou dans les écoles proches, si vous êtes plusieurs à préparer le même examen, le regroupement est une marque de stimulation, mieux qu’un travail solitaire, surtout pour ceux qui sont en phase d’initiation. Car, dans le travail en groupe, il y a une confiance qui s’installe entre les membres de l’équipe, développant ainsi une envie de communiquer ou de partager les idées. Ce qui développe aussi les forces individuelles des membres de l’équipe et un sentiment d’appartenance au groupe. Si par exemple, le candidat avait prévu de consacrer un peu de temps par semaine à un travail en commun, il répartira rapidement les tâches avec ses condisciples. C’est d’ailleurs l’un des moyens qui permet de surmonter facilement le stress et quelques énigmes des matières à apprendre. Contrairement à un travail en solitaire où l’on peut être stressé après la découverte d’une énigme, dans le travail en équipe, la découverte d’une énigme suscite l’envie de communiquer efficacement entre les membres de l’équipe pour chercher à la résoudre. 

C’est dans ce même contexte que Martin Bubert (1969, p. 13) déclare dans la préface de Je et Tu que : « nous vivons endormis dans un monde en sommeil. Mais, qu’un “tu“ murmure à notre oreille, et c’est la saccade qui lance les personnes : le Moi s’éveille par la grâce du Toi ». Toi symbolise ici, le bonheur substantiel que nous apporte l’esprit d’équipe grâce à nos échanges ou commerces des idées en présentiel. Or, à l’ère du numérique, nous remarquons que les réseaux sociaux et la pratique du streaming font bon ménage dans l’évolution du système éducatif, en combattant le solipsisme comme obstacle au développement cognitif, tel que nous allons l’expliquer dans le point suivant.

1.2. Du brainstorming au streaming

Avant d’aborder le concept de streaming qui est intimement lié aux réseaux sociaux, il convient de souligner que le brainstorming est une méthode de travail consistant à encourager les équipes de recherche à sortir des sentiers battus. Il est question de travailler ensemble, d’échanger les idées sur des initiatives diverses comme des projets de recherche. Cependant, lorsque ce travail en équipe se fait en ligne, on parle du streaming. Pour valider le bénéfice du travail en équipe, et cette fois en ligne, M. Bubert (1969, p. 13) ironisait en ces termes : « que m’importent les fleurs et les arbres et le feu et la pierre, si je suis sans amour et sans foyer ! Il faut être deux ou du moins, hélas ! Il faut avoir été deux pour comprendre un ciel bleu, pour nommer une aurore ».

Les réseaux sociaux ont pour mission de promouvoir l’intelligence collective dans un cadre de collaboration ou de partage d’informations en ligne. Quoi que l’un agisse en présentiel (travail en équipe) et l’autre en virtuel (streaming), ce qu’il y a de mieux dans les deux cas, c’est l’esprit de partage d’informations.

Grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, des apprenants et chercheurs peuvent collaborer en créant dans un esprit collectif du contenu qu’ils ajoutent à leurs propres créations. Dans le milieu éducatif, les apprenants font de même et ils sont donc censés retenir deux notions plus importantes : esprit collaboratif et partage. Les enseignants sont également concernés par le rôle crucial que jouent les réseaux sociaux dans la maîtrise d’une langue étrangère, par exemple.

Spécifiquement, ces modes virtuels basés sur un cadre de référence consensuel, correspondant aux objectifs des concernés, favorisent en un laps de temps un enrichissement culturel inestimable. Ce qui suppose que les plateformes de communications numériques sont à l’éducation ce que les valeurs représentent pour un éducateur et/ou formateur, telles que le savoir-vivre ou le savoir-être. C’est pourquoi Platon convoquait la gymnastique et la musique comme deux disciplines fondamentales à la formation d’un bon citoyen, avant d’ajouter la rhétorique ou l’art de bien parler ou de persuader son interlocuteur. L’éducation dans l’optique platonicienne permet l’acquisition des compétences pour combattre l’ignorance, l’incompétence et l’amateurisme. L’éducation se présente chez Platon comme un remède aux maux qui minent la société.C’est ainsi que l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Voilà pourquoi Georges Minois citant Platon déclare : « il faut cinquante ans pour faire un homme » (Platon, La République V, 450c-452d). L’homme n’est donc que ce que l’éducation fait de lui. Il faut bien remarquer que l’homme n’est éduqué que par des hommes et par des hommes qui ont également été éduqués.

Il se pose ici clairement la nécessité de l’autre (formateur) comme cadre référentiel de la formation de la personnalité de l’apprenant. Or, l’acte de former implique nécessairement une équipe, c’est-à-dire le rapport entre les potaches et leurs éducateurs. De même, les réseaux sociaux priorisent aussi la culture du travail en équipe comme mode opératoire de communication culturelle dans les rapports entre les administrateurs et les administrés d’une communauté virtuelle.

Dans tous les cas, l’idée qui prime dans ce contexte est celle d’une éducation fondée sur une interaction entre les individus ou à des organisations partageant des intérêts communs. Après cette présentation de l’essor des réseaux sociaux en Afrique, nous retenons deux idées essentielles qui participent de cet essor : le travail en équipe et la mise en ligne des informations. Mais, cet essor est-il capital pour l’éducation en Afrique ?

2. Regard critique sur les réseaux sociaux

Toute œuvre humaine étant perfectible ou susceptible de glisser hors d’usage, ce qui nous importe dans cette partie, c’est de souligner, sur plan éducatif, les différentes défaillances qui relèvent du mauvais usage des réseaux sociaux. Tout système éducatif repose sur des normes et des valeurs. C’est dans ce contexte que les communautés virtuelles structurées devraient s’adapter aux objectifs strictement pédagogiques. Curieusement, on constate de nos jours que l’usage des outils de communication numérique constitue plus un moyen de détente libre plutôt qu’un canal de communication spécifique réglementaire approuvé par les normes en vigueur. N’importe qui pense avoir le droit de poster n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand vis-à-vis de n’importe qui sans aucune retenue, faute d’éthique ou encore par ignorance des lois régissant ce secteur. Or, de telles attitudes exposent les internautes à des sanctions pénales allant des amendes à la prison ferme. 

En Afrique, l’usage des réseaux sociaux se fait dans l’optique pédagogique pour éduquer les apprenants, ou les enseigner à la sécurité des données, la protection de la vie privée ou encore la création des réflexions pédagogiques sur le numérique. Pourtant, en Asie, et notamment en Chine, aucun réseau social ne peut voler à contre-courant des normes prescrites par la réglementation étatique. L’usager qui crée un compte contrôle les utilisateurs de sa plateforme tout en étant contrôlé à son tour par l’État. On note à cet effet, un système établi selon les enjeux majeurs de l’État, ce conformément à la catégorie des usagers. En Afrique, malheureusement, malgré les mesures de sécurité et les normes existantes, tout paraît encore spontané, incontrôlé, pour ne pas dire à la merci de chaque usager.

Il est question ici du mauvais usage des réseaux sociaux par les jeunes qui entraine plusieurs conséquences dont la comparaison sociale entre internautes. Plus son post reçoit des commentaires, plus l’enfant se croirait avoir de l’audience. Cependant, les commentaires négatifs sur un post peuvent aussi susciter une perte de confiance enfreignant la liberté de penser.

Sur le plan éthique l’on peut souligner plusieurs dérives allant du harcèlement, ou du cyber harcèlement à l’escroquerie, l’usurpation d’identité, le chantage, le vol d’informations, etc. Ce qui plonge la plupart des interlocuteurs dans des repères sans limites.

Philosophiquement, cette crise d’éthique préalable ne peut produire que défaillance morale au point où nous ne pouvons pas ne pas recourir à cette bonne taxonomie d’Olivier Goldsmith, cité par Gabriel Pomerand (1972, p. 97) : « la conscience est une poltronne qui, quand elle n’a eu assez de force pour prévenir une faute, a rarement assez de justice pour punir le coupable en l’accusant ».

L’idée qui se dégage à travers cette assertion est de montrer que la critique des réseaux sociaux n’a de véritable effet que si les remarques portent sur un cadre prédéfini d’avance, tel un cours de méthodologie donné aux apprenants dans le cadre d’une initiation à la dissertation.  Le manque de cadrage préalable de la vulgarisation des Nouvelles Technologies de l’Information en Afrique constitue la source de tous les maux ; d’où, on constate énormément des affirmations fortuites en lieu et place des remarques critiques et constructives qui devraient se référer au cadre normatif adapté aux réalités éducatives africaines.

Par exemple, en France et aux États-Unis la culture est telle que l’État autorise la vulgarisation des vidéos à caractère sexuel au primaire et au secondaire. L’Afrique, qui a une réalité autre, ne devrait pas ipso facto se mettre au pas. Cette pratique peut entrainer l’aliénation culturelle conduisant à la dépravation des mœurs, aux crimes sexuels, aux viols, etc. Chez les adolescents, elle peut occasionner la sexualité précoce dans les salles de classe par exemple. L’Afrique devrait plutôt mettre en Epoché c’est-à-dire en suspens toutes cultures importées avant d’en faire usage. Autrement c’est de la pure démission intellectuelle sinon une honte pour les élites africaines. Pourtant un Anthropologue Français Frantz Fanon (1952, p. 32) affirmait clairement : « Il n’y a pas d’intelligence blanche, pas d’intelligence noire mais il y a partout des hommes qui pensent ». Cette déclaration devrait stimuler les intellectuels Africains à construire des modèles éducatifs africains en tenant compte de nos us et coutumes, même si l’application desdits modèles dépendra de la volonté des gouvernants. Cela ne signifie pas que tout ce qui vient d’ailleurs est irrationnel ou anormal ; c’est plutôt une marque de responsabilité éthique en fonction de l’extrême richesse que véhiculent nos valeurs ancestrales telles que le respect de l’autre et l’amour du prochain. Malheureusement, ces Nouvelles Technologies de l’Information sont mal exploitées. Ceci devrait interpeller l’éthique philosophique.

C’est dans cet ordre d’idée que Cicéron, cité par G. Kirilenko (1985, p. 14), affirmait dans Tusculanac Disputations, v, 2, 5 : « Nous te faisons appel, nous sollicitons ton aide… Ô philosophie, guide de la vie, comment pourrions-nous exister sans toi, non seulement nous, mais aussi la vie humaine toute entière ».

La philosophie qui est à l’œuvre ici, représente un esprit éclairé, un savoir-faire rationnel et logique que l’on devrait inculquer à chaque citoyen (usager) comme modus operandi (mode opératoire) ou modus vivendi (mode de vie) dénoué de tout dogmatisme fanatisme. Tel un homme et une femme qui prennent plaisir à se filmer pendant qu’ils sont en pleine intimité semble-t-il au nom d’une certaine liberté occidentale. Ce qui est grave, c’est que ces genres de vidéos sont par la suite postées sur les réseaux sociaux sans aucune pudeur. Ce qui pose un problème de régulation ou de censure qui devait être imposée afin d’éviter ce qui paraît comme un effet de mode. Ce genre de pratiques dépassent le simple cadre de la critique rationnelle. Il faut définir un cadre juridique et sécuritaire adéquat pour mettre un terme à ces genres d’antivaleurs. Ce cadre de références doit s’accommoder à la réglementation en vigueur de chaque État. Tout système éducatif devrait s’accommoder des valeurs intrinsèques de son peuple. C’est ce que devraient rechercher les intellectuels africains dans leur unicité et diversité. Même l’éducation elle-même, c’est-à-dire l’apprentissage ou le développement des facultés physiques, morales ou intellectuelles d’un individu, devrait être avant tout une valeur ajoutée à notre vie empirique dépourvue de lois. Jean-Jacques Rousseau parle d’une éducation négative (qui est assimilable à un auto-apprentissage consistant à laisser l’enfant s’adapter à l’expérience sensible jusqu’à ce que la raison s’y accommode) et une éducation positive (qui est méthodique et transmet au sujet des connaissances adaptées au devoir d’être homme). A défaut de parler de l’État de nature, selon les propos de Hobbes, on devrait donc poser en amont les bases d’une structuration logique des réseaux sociaux à l’usage du système éducatif pour mieux juger de leur pertinence ou pas. C’est ainsi que cette assertion de Jean-François Obembé (2011, p. 9) nous interpelle : « en réalité, la vie est un jeu dont il faut connaitre les lois et les règles. Mais à cause de l’ignorance, la vie s’est souvent transformer en un combat redoutable pour lequel les armes de toutes natures sont utilisées ».

C’est donc à cause de l’ignorance des utilisateurs des réseaux sociaux que le système éducatif prend un coup. Tout se passe comme si tous les espaces avaient les mêmes valeurs et les mêmes réalités pour adapter tout à tous. Un tel trou d’intelligibilité ne peut causer que des dégâts. 

On peut, dès lors, comprendre P. Rotman (1984, p. 135) quand il déclare :

À l’époque bénie de la vieille école, quand les instituteurs se chargeaient d’écrémer le troupeau, le Professeur du second degré jouissait en parfaite quiétude de sa souveraineté. Le verdict qu’il rendaient s’appliquait à une population homogène rompue aux exercices qu’on attendait d’elle, ne souffrait ni perplexité ni critique.

Les réseaux sociaux ont progressivement influencé nos systèmes éducatifs au point où même la chicotte a été prohibée, même comme simple moyen de dissuasion. Alors que dans nos valeurs la chicotte ne représentait pas un mal absolu, mais plutôt un moyen de régulation et de dissuasion permettant à l’apprenant de se conformer aux lois et règlements de l’école, maintenant aussi l’influence de l’enseignant sur l’apprenant.  Il n’y avait pas de distinction entre les enfants des démunis et ceux des nantis. Cela allait de pair avec nos coutumes et même l’enseignant jouissait de son plein pouvoir parce que protégé aussi par les institutions. Rotman le souligne clairement quand il écrivait à propos des enseignants : « Les uns notaient sec, les autres étaient plus indulgent, mais on n’évoluait au sein des frontières sûres et reconnues » (P. Rotman, 1984, p. 36). Ce témoignage conforte simplement l’effet que tout système éducatif conforme aux us et coutumes de chaque peuple jouit d’un succès inestimable. C’est là l’imposante nécessité d’impliquer la morale, l’éthique dans le surgissement de l’usage des réseaux sociaux au cœur des systèmes éducatifs en Afrique. 

3. L’éthique comme moyen de consolidation des acquis des réseaux sociaux au cœur de l’éducation en Afrique

L’éthique est un concept qui tire sa substance des termes grec Ethikos et Ethosqui traduisent le caractère et la conduite habituelle. En ce sens elle est assez souvent considérée comme synonyme de la morale, par l’effet que son histoire s’appliquait à la morale sous toutes ses formes, soit comme science, soit comme art de diriger la conduite. C’est dans ce sens qu’André Lalande affirme dans son vocabulaire technique et critique de la philosophie : « L’éthique est une science ayant pour objet le jugement d’appréciation du bien et du mal » (A. Lalande, 1988, p. 305).

L’objet de cette partie est de présenter l’éthique comme secours nécessaire et indispensable au cœur des rapports entre les réseaux sociaux et le système éducatif en Afrique. Il n’est pas vrai de penser que c’est seulement en Afrique que se pose la nécessité de concilier l’éthique dans l’usage des réseaux sociaux, en rapport avec l’éducation parce que ce besoin est universel. Le bien est une valeur qui ne dépend ni de race ni de couleur ; il est le même partout et tient comme substrat au profit d’une éducation meilleure. Déjà la Sainte Bible souligne aisément dans le livre de Osée 4 : 6 « Mon peuple périt faute de connaissance ». Nous souscrivons à cette idée pour dire : l’éducation périt faute d’éthique. Or qui dit éthique dit valeur cela signifie que l’éducation ne peut pas ne pas recourir à l’éthique. C’est la mauvaise utilisation des réseaux sociaux qui alimente la perversité de toute sorte. C’est pourquoi O. Reboul (1996, p. 1) avance ceci :

Il n’y a pas d’éducation sans valeur. Même si l’on réduit l’éducation à l’enseignement scolaire, on apprend à l’école or qu’est-ce qu’apprendre sinon passer d’un état à un autre plus souhaitable ? Apprendre, c’est se délivrer d’une ignorance, d’une incertitude, d’une maladresse, d’une incompétence, d’un aveuglement ; c’est parvenir à mieux faire, à mieux comprendre, à mieux être. Or, qui dit mieux dit valeur.

La valeur représente ici ce que l’on devrait considérer dans l’usage des réseaux sociaux comme des bornes, des cadres juridiques d’orientation que tout usager était censé connaitre pour éviter de sombrer dans des sornettes qui ne ménagent aucun progrès éducatif en dehors de leur portée vulgaire. Or l’éducation est loin d’être vulgaire, elle est l’apanage de l’homme en ce sens qu’elle construit sa personnalité et distingue l’homme des bêtes sauvages. C’est pourquoi Jean Piaget (1988, p. 43) : 

Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement technique et professionnel doit être ouvert en pleine égalité à tous, en fonction du mérite.

Ce qu’il faut retenir de ce texte de Piaget, c’est son cadre indicatif, c’est-à-dire la manière de présenter l’éducation non seulement comme une priorité humaine, mais il décrit par la même occasion le rôle de l’éducation. C’est ce qui devrait se passer dans la promotion des réseaux sociaux. Au lieu de promouvoir simplement la possibilité d’en avoir accès, il est important de décrire aussi le possible et l’impossible en termes d’usage. Ceci permettrait aux usagers d’agir avec conscience et de faire beaucoup plus attention en situation d’éducation. On ne saurait imaginer l’inimaginable, car l’homme ne saurait donner que ce qu’il possède. Même l’éthique dont il est question ici ne peut avoir d’effet que sur les personnes qui ont eu le bonheur de recevoir des enseignements à propos. Si les objectifs ne sont pas définis clairement par les administrateurs sur l’usage des réseaux sociaux en rapport avec le système éducatif, aucune critique n’aurait de sens car on ne peut évaluer que ce qu’on a enseigné. Or enseigner c’est montrer, orienter, instruire etc. Quand Piaget parle de l’éducation, il est très explicite quand il estime que : 

L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développent des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix » (J. Piaget, 1988, p. 43).

Nous remarquons ici que l’éthique représente véritablement le fondement d’une bonne éducation en ce qu’elle incarne toutes nos valeurs relatives au bien et permet de bannir tout comportement de déviance de malhonnêteté. Nous pouvons donc ici montrer que l’éthique est à l’usage des réseaux sociaux ce que la philosophie représente pour la science, à en croire Dakoyi Toli dans son article portant sur « La science chez Gilles Gaston Granger », ce qui suit : « L’éthique fait la science ; la science sans éthique serait semblable à un aveugle sans bâton. L’éthique est, donc la conscience de la science » (G. Dakoyi Toli, 2013, p. 109). À lalumière de cette affirmation on ne devrait plus se passer de l’éthique dans l’usage des réseaux sociaux en rapport avec l’éducation, ce serait discréditer la sacralité du système éducatif. Certes l’emploi de l’éthique par les hommes peut aussi connaitre les failles, mais il vaut mieux se fier à l’éthique que de s’en méfier dans l’usage des réseaux sociaux. Faire autrement c’est s’engager dans la voie de la décadence du système éducatif, voire le sacrifice de la probité morale au sein de nos sociétés, nos peuples, notre noble et généreuse Afrique en attente de décollage et de progrès sur tous les plans.

Conclusion

Au regard de ce qui précède, nous retenons que cette étude, qui a porté sur l’impact de l’usage des réseaux sociaux dans le système éducatif en Afrique, nous a permis d’aboutir à trois résultats dont le premier a permis de nous rendre à l’évidence que le système éducatif en Afrique n’est plus en marge de l’intelligence numérique. Ces systèmes bénéficient qualitativement des apports sur le plan tant primaire, secondaire que supérieur, notamment des enseignements mis à la disposition des apprenants au moyen des réseaux sociaux. C’est une véritable avancée qui peut se vérifier en se référant au TikTok adapté à la formation de la personnalité de l’enfant. En deuxième lieu, nous avons compris que l’usage abusif des réseaux sociaux compte parmi les facteurs qui pervertissent l’authenticité des valeurs de nos ancêtres qui devraient apparaitre au sein de nos systèmes pédagogiques ou éducatifs. Il faut bien se méfier de toute importation sans conscience au risque de perde notre identité culturelle. Au total, nous avons tenté de montrer que l’éthique devrait être le lieu idéal ou devrait se construire le bien-être de la promotion des réseaux sociaux dans le développement des systèmes éducatifs en Afrique.  

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AXE 5 : RÉSEAUX SOCIAUX ET ENVIRONNEMENT

L’ÉTAT IVOIRIEN, UN REGULATEUR IMPUISSANT DU SECTEUR MINIER : APPORT DES RESEAUX SOCIAUX AU RESPECT DES PERIODES DE VIE DES MINES DANS LA REGION DU HAMBOL

1. Mathieu Jonasse AFFRO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

affrojonasse@gmail.com

2. Chifolo Daniel FOFANA

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

chifolofofana2@gmail.com

3. Nambegué SORO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

nambeguesoro@yahoo.fr

Résumé :

L’expansion de l’orpaillage clandestin sur l’ensemble du territoire ivoirien devient très inquiétante. Elle laisse entrevoir la nécessité d’application des mesures vigoureuses pour freiner sa progression. Les médias sociaux révèlent qu’en Côte d’Ivoire, lorsqu’on produit vingt-cinq tonnes d’or, la moitié sort de façon illégale. Grâce à l’apport des médias sociaux, les actions de l’État et les effets néfastes de l’orpaillage clandestin sont connus de tous. L’objectif de cette étude vise à analyser les actions communautaires et étatiques dans la lutte contre l’orpaillage clandestin à travers les réseaux sociaux en pays Sénoufo du centre-nord ivoirien. Toutefois, le deuxième miracle ivoirien devrait se produire, à n’en point douter, avec le boom des secteurs minier et énergétique. Face au non-respect des mesures environnementales observées lors des enquêtes de terrains ainsi que la recrudescence des orpailleurs clandestins et à la non-fluidité des différentes autorisations d’exploitation, l’impuissance de l’état est imputée et mise en cause. Les réparations des dégâts sur la biodiversité sont absentes dans la région du Hambol. L’État, à la vérité, montre son impuissance face à cette pratique qu’il considère comme suicidaire. En effet, la gestion d’un secteur aussi stratégique que les mines ne se fait pas que par l’exposition sur les réseaux sociaux. Avec l’absence d’un régulateur puissant dans le secteur minier, c’est un État partenaire qui avoue son impuissance à contrôler les acteurs privés et éradiquer l’orpaillage clandestin du secteur minier dans la région du Hambol.

Mots clés : Actions Répressives, Médias sociaux, Orpaillage clandestin, Région du Hambol.

Abstract:

The expansion of illegal gold mining throughout the Ivorian territory is becoming very worrying. It suggests the need for strong measures to slow its progress. Social media reveal that in Côte d’Ivoire, when twenty-five tons of gold are produced, half of it comes out illegally. Thanks to the contribution of social media, the actions of the State and the harmful effects of underground gold mining are known to all. The objective of this study is to analyze community and state actions in the fight against illegal gold mining through social networks in Senufo countries of north-central Côte d’Ivoire. However, the second Ivorian miracle is expected to occur, no doubt, with the boom in the mining and energy sectors. In the face of non-compliance with environmental measures observed during land surveys as well as the resurgence of illegal gold mining and the lack of transparency of the various operating authorizations, the impotence of the state is imputed and questioned. Biodiversity damage repairs are absent in the Hambol region. The State, in truth, shows its powerlessness in the face of this practice that it considers suicidal. Indeed, the management of a sector as strategic as mines is not only done through exposure on social networks. With the absence of a powerful regulator in the mining sector, it is a partner state that admits its powerlessness to control private actors and eradicate the clandestine gold panning of the mining sector in Senegal.

Keywords : Repressive actions, Social media, Illegal gold mining, Hambol region.

Introduction

S’il y a crise de l’environnement où les paysages végétaux se périclitent, c’est indubitablement au sens d’une perturbation qui défie les possibilités de reconstitution des stocks naturels et de restauration des équilibres naturels. Les interventions humaines qui sont de plus en plus massives et de plus en plus concentrées dans le temps, sont précisément celles qui menacent d’interrompre des cycles naturels et de conduire à un seuil d’irréversibilité. En Côte d’ivoire, les écosystèmes pré-forestiers déjà fragiles et fragilisés, continuent de subir de fortes pressions humaines du fait du développement des cultures commerciales depuis les années 1970 (Koli Bi Z., 2015, p. 2) amplifiées par le phénomène de l’orpaillage clandestin. L’activité aurifère a bondi de plus de 43 %, la production d’or a atteint 18 tonnes en 2014, contre seulement 7 tonnes en 2009. Elle a généré un chiffre d’affaires d’environ 580 millions de dollars. En 2016 le secteur comptait 159 permis d’exploration, 16 permis d’exploitation, vingt (20) autorisations semi-industrielles, 8291 emplois directs et un chiffre d’affaires de 483,69 milliards de FCFA (REDD+, 2017, p.30). En effet la richesse du sous-sol en pays Sénoufo dans la région du Hambol est irrécusable à l’instar de plusieurs régions ivoiriennes (GNANZOU.A, 2014, p.23).

Par ailleurs, le système d’exploitation minier dans la région du Hambol est encore artisanal. Outre les outils, divers et caractérisés par des pelles, pioches, marteaux, pics, sacs, cordes et machettes utilisées, les acteurs (creuseurs, concasseurs et laveurs) ont recours à des produits chimiques extrêmement nuisibles comme le mercure et le cyanure qui contaminent le sol et les plantes. L’activité aurifère a un impact aussi bien sur les biotiques que sur les ressources en eau et le sol. Que ce soit artisanal comme semi-industriel, l’exploitation de l’or, se fait par l’entremise du filon dans lequel il se trouve. Les pratiques des orpailleurs clandestins sont de dynamiter les roches endogènes (filons), les concasser et les mettre dans les sacs pour les faire sortir des trous pour les transformer en farine. Ils détruisent massivement pour des retombés incertains et souvent insignifiants aux mépris de la santé environnementale. Les brigades de répressions mises en place n’arrivent pas à stopper ce phénomène malgré toutes les mesures répressives.

À la vérité, à l’instar des autorités villageoises, des autorités étatiques, il y a un objectif financier et versé aux hiérarchies (enquêtes du terrain, 2019), et ces acteurs locaux se doivent de satisfaire ces exigences en autorisant les formes de clandestinités et en alourdissant l’accessibilité aux différents permis. Pour une autorisation, il s’en suit tout un arsenal de procédure impliquant plusieurs acteurs étatiques. C’est assurément la raison fondamentale que brandissent plusieurs structures artisanales clandestines. Sur le terrain, de manière unanime, elles avouent que c’est après plusieurs années de clandestinité qu’elles parviennent à désirer le permis d’exploitation en plus de la présence des orpailleurs clandestins sur les parcelles dites légales. Les conséquences sont la dégradation quasi irréversible du milieu, passant presqu’inaperçues aux écrits scientifiques en pays Sénoufo du centre-nord ivoirien. Les aires protégées au titre de leurs biodiversités, qui revêtent une importance écologique et socio-économique majeure pour les populations sont concernées malgré les mesures répressives. Cette exploitation abusive de l’activité minière transforme irréversiblement le couvert végétal. Il ne se serait pas prétentieux d’indexer l’État en tant que premier responsable des dégâts sur la biomasse végétale et des irrégularités du domaine minier constatées en pays Sénoufo. Dès alors, quelles sont les actions communautaires et étatiques dans la lutte contre l’orpaillage clandestin à travers les médias sociaux ? Cette étude vise à analyser les actions communautaires et étatiques dans la lutte contre l’orpaillage clandestin à travers les médias sociaux en pays Sénoufo du Centre-Nord de la Côte d’Ivoire.

1. Matériel et Méthode

1.1. Présentation de la zone d’étude

Autrefois, rattachée à la région de la vallée du Bandama (Départements Katiola et Dabakala), la Région du Hambol est une entité administrative nouvelle créée par décret N°2011-263 du 28 septembre 2011. Elle est située précisément entre les latitudes 7° 5′- 9° 2′ N et les longitudes 4°- 5° 4′ W (carte 1) et s’étant sur une superficie de 25873 km2 avec une population estimée à 429977 habitants soit 17 habitants par kilomètre carré au RGPH 2014 et 514141 habitants en 2019 (projection 2019 du RGPH de 2014). Aussi, elle compte trois Départements (Katiola, Dabakala, Niakaramandougou) et 14 Sous-préfectures fonctionnelles et composée des autochtones (Djimi, Malinké, Senoufo, Tagouana), d’allogènes et d’allochtones (carte 1). En effet, ce secteur regorge d’énormes potentialités à savoir des ressources minières variées, une disponibilité en terres cultivables, une diversité de sol, un climat propice et une végétation dense avec une population majoritairement active. La typologie du milieu est composée de forêt secondaire dégradée sur du sol gravillonnaire, de forêt dense humide semi-décidue sur du sol hydromorphe, de savane arbustive/arborée sur du sol argileux et des jachères arbustives sur du sol sablo-argileux (Affro M. J., 2022, p. 124).

Au plan phytogéographique la région du Hambol est une végétation de savane pré-forestière. Celle-ci se caractérise par une mosaïque de savanes et d’ilot forestier. Cet espace regorge aussi des galeries forestières qui occupent la zone dépressionnaire et gourbi des étangs d’eau. Le droit coutumier sur les terres est très marqué chez chaque peuple par la présence de chefs de terres qui exercent un quasi-monopole dans leur distribution, occupation ou exploitation. Le réseau hydrographique est également dominé par le fleuve Bandama et ses affluents (Bou, Naranou, Nabion). Dans sa partie l’Est, l’on note un relief plus ou moins dominé de dômes cristallins dont l’altitude moyenne est de 400 m (GEOMINES, 1982, p. 22).

Carte 1: Localisation de la région du Hambol

Source: CCT/BNETD, 2014                            Réalisation : Affro M. J., 2022

L’on note également des étendues de plaines, de prairies et de bas-fonds entre les buttes tabulaires, des collines et monts s’élevant entre 100 et 700 m d’altitude. Cette situation lui confère des caractéristiques biogéographiques mixtes. Dans un climat dit « tropical humide » dont la pluviométrie dépasse constamment 1000 mm/an, la savane se frotte à la forêt (écotone). Le milieu naturel apparaît favorable au développement des activités humaines.

1.2. Données de l’étude

Plusieurs données ont été utilisées pour la réalisation de cette étude. D’abord les données satellitaires, elles sont issues d’imagerie par Satellite plus précisément au portail cartographique du cadastre minier de la Côte d’Ivoire (https://portals.landfolio.com/CoteDIvoire/FR/). Ce sont des données minières, reçu auprès du ministère des mines et de la géologie à Katiola. Ensuite, les données secondaires, il s’agit des données provenant des sources autres que l’observation et l’enquête sur le terrain que nous avons réalisé. Ce sont donc des données recueillies notamment dans les documents, économiques, sources cartographiques et statistiques. Outre les données de terrain et les entretiens, elles sont d’ordre qualitatifs et quantitatifs et enfin, les données cartographiques et de Landsat 8,2019 (http : //earthexploreur.gov), ces données de cartographie utilisées sont entre autres, une couche numérique géoréférencées de la région du Hambol et présenter l’occupation du sol.

1.3. L’enquête sur le terrain

L’enquête est menée par le biais de l’échantillon des exploitants miniers.La toute première phase a été la recension des sites miniers actifs et inactifs de la zone d’étude. À cet effet, il s’en est suivi la phase des statistiques des exploitations. S’agissant des statistiques, à défaut de la disponibilité voire la fiabilité des données concernant le nombre exact d’exploitants miniers clandestins. L’enquête d’emblée s’est déroulée sous-forme d’un stage auprès des structures minières artisanales et semi-industrielle réparti sur l’ensemble de ces trois villages suivants : Lafigué, Kogbèra, Wendênê. Le choix de ces trois villages dans le Département de Dabakala réside de la forte présence des activités aurifères autour de ces localités. À Wendênê, une localité située à environ 80 kilomètres au nord de la ville de Dabakala héberge un mode particulier d’exploitation minier de l’or. Ces minerais extraits proviennent essentiellement des collines. Contrairement à Kogbèra ou l’exploitation se fait en bordure des cours d’eau ou dans les zones dépressionnaires (vallées). En outre, à Lafigué, c’est une forme d’extraction à ciel ouvert. Ce stage a consisté à assister à temps réel les techniques et systèmes d’exploitation et d’extraction. Aussi, interroger les exploitants sur le site en fonction de l’ancienneté, les comités villageois et les chefs des parcelles. Des orpailleurs clandestins autours des zones officielles, ont aussi été interrogés soit 239 exploitants miniers.

1.4. Méthodes et Outils de traitement des données du terrain

Les données collectées ont été saisies dans des tableaux sur Microsoft Excel version 2007. Le dépouillement des données de l’enquête par questionnaire s’est fait à partir du module des tableaux croisés dynamiques. Ce module a permis d’automatiser le dépouillement et d’élaborer des tableaux statistiques à une ou double entrée issue de croisements des variables les plus pertinentes. Il est utile de rappeler que dans notre démarche nous avons effectué plusieurs calculs manuels préliminaires pour une meilleure exploitation des données obtenues. Ainsi, nous avons utilisé les procédés les plus simples de la statistique descriptive pour calculer des sommes, des fréquences et des moyennes arithmétiques. Pour ce qui concerne la réalisation des différentes cartes à partir des données obtenues, des logiciels cartographiques tels ArcGIS 10.3.

2. Résultats

2.1. Les mines, un secteur foncièrement dominé par l’anarchie et inégalement réparties

La carte 2met en relief la distribution spatiale des entreprises minières dans la région du Hambol. La présence des structures d’exploitations artisanales, les entreprises semi-industrielles ainsi que les orpailleurs clandestins sont inégalement réparties.  Sur la cette carte, on distingue deux grandes zones de concentration des minerais aurifères. Il s’agit plus précisément des sillons aurifères autour desquelles plusieurs structures minières s’agglutinent.

Carte 2 : Typologie et répartition des mines dans la région du Hambol

Source : Cadastre minier, nos enquêtes, 2019  Réalisation : M. J. Affro, 2019

C’est l’une des chaines les plus aurifère qui commence au Ghana et prend fin à Ity en passant par la région du Hambol : c’est la chaine de faîtekro. C’est une très grande structure géologique, orientées Nord-est/Sud-est. Celle-ci appartient au birimien. Une mine en crée une autre, car disent-ils, « quand il y a une mine, il y a plus de chance d’en trouver une autre ». Des signes appelés métallotectes peuvent permettre également de savoir ces dépôts. Les statistiques surfaciques de ces mines concernent l’artisanat avec 146175,92 hectares, le semi-industrielle qui s’élève à 21547,35 hectares et permis de recherche à 250631 hectares. 10 structures légales et actifs sur une multitude fonctionnent dans la clandestinité au regard des normes environnementales établies par l’État. Au nombre des 10, figure l’exploitation de Coltan d’une superficie de 100 hectares SOMCI (Coltan) situé à la limite des départements de Katiola et de Niakaramadougou. Scoops Gold Koss 99,30; E.R.M. Hengda 99,13 ha; Scoops Gold Koss 99,12 ha; Tanah Sorho 24,67 ha; Scoops Gold Koss 99,32 ha; Scoops Gold Koss 100 ha; Extractiv grp 62,09 ha; Sylla Vakantie 25 ha. Selon les informations du cadastre minier, il y a 708,63 ha affectés aux structures minières en activité soit 0,22 % actif et 99,78 % inactif avec une superficie de 326366,09 hectares. L’or occupe 85,89% et 14,11% pour le Coltan. Les sites clandestins font l’objet d’unanimité sur les potentiels impacts des activités minières. Comme le disaient les responsables miniers, grâce à l’exploitation minières le problème de l’insécurité est réglé dans le Hambol en général et dans le département de Dabakala en particulier.

Carte 3: Occupation du sol dans la région du Hambol en 2019

Sources : Landsat 8, 2019                        Réalisation : M. J. Affro, 2019 

L’analyse de la carte 3 met en exergue l’occupation du sol de la région du Hambol en 2019. Les zones forestières sont plus exposées à l’exploitation minière. Les forêts classées ne sont pas épargnées ce qui compromet l’intervention de l’État dans la sauvegarde des ressources forestières. Grâce aux données de terrain, sur les 256 sites existants depuis les deux dernières décennies, c’est seulement 10 qui sont fonctionnels et déclarés par le cadastre minier et le ministère chargé des minières en place. Les 246 sites dormants sont aux mains des orpailleurs clandestins et les propriétaires eux-mêmes sont des exploitants d’une manière ou d’une autre. L’activité minière est pratiquée de manières zonales dans les trois départements. Les activités minières sont évidemment susceptibles de transformer irréversiblement l’environnement physique c’est pourquoi sur les réseaux sociaux (site internet Ministère des mines et le portail du cadastre minier), l’État ne se lasse pas de sensibiliser toutes les couches sociales de dénoncer les acteurs clandestins.

2.2. De la Gestion du secteur minier à la santé écologique durable

Ces actions de terrains de la brigade de répression des infractions au code minier (BRICM) ont permis de déguerpir près de 228 sites d’orpaillage clandestins et d’interpeller de nombreuses personnes. En effet, d’importantes quantités de matériels ont été saisies ou détruis. Les plus dominants des matériels saisis et détruits sont les abris (3126), concasseurs (113) et les Motos-pompes (109). Ces chiffres confirment la volonté de l’État à éradiquer l’orpaillage illégal dans la zone d’étude même s’ils avèrent insuffisants.

Tableau 1: Bilan déguerpissements du 1er janvier 2019 au 16 mars 2020

Matériels des orpailleurs clandestinsMatériels saisisMatériels détruitstotal
Motos-pompes109109181
Broyeuses222
Dragues222
Véhicules101
Pelleteuses202
Motos17017
Tricycles171724
Abris312631263126
Concasseurs113113114
Détecteurs de métaux353535
Groupes électrogènes/Générateurs516
Moteurs19019
Armes202
Munitions18018
Autres  525

Source : Ministère de la Défense CÔTE D’IVOIRE, 2020

Ainsi, afin de ne pas perdre les traces de ces résultats obtenus, il est nécessaire de poursuivre les opérations de déguerpissement des sites illicites tout en sollicitant une grande implication et une vigilance au niveau local et la surveillance des sites déjà déguerpis pour éviter leur recolonisation. Tous les acteurs clandestins ont des liens avec les communautés locales d’où leur implication dans cette lutte. La planche 1 suivante montre le campement (Photo A) et des sites d’exploitation minière (Photo B ; C ; D) dans la région du Hambol.

Zone de Texte: DZone de Texte: CZone de Texte: AZone de Texte: BPlanche photographique1: Exploitation minieres au sud-est du Hambol

Prise de vue : Affro M., Jonasse, Août 2019

La photo B révèle la dégradation du sol due à un dépôt import de mercure sur le sol. Cette pratique existe au sein de plus de 90% des sites visités. De ces photo C et D, l’abattage des bois fait rage pour dit-il sécuriser les parois des excavations. La gestion de l’activité minière implique plusieurs interdictions en vue d’une utilisation rationnelle voire durable des écosystèmes. Il s’agit de l’interdiction de creuser plus de quinze mètres (15m) de profondeurs pour l’artisanal, le renfermement des excavations et l’interdiction des produits chimiques tels que le mercure au niveau des exploitations artisanales minière de l’or ayant une superficie de vingt-cinq hectares (25ha) en vue de réparer les dégâts sur le couvert végétal avec un délai de 2 ans renouvelables. Dans le semi-industriel, la profondeur autorisée requise est de trente mètres (30m) pour une superficie de cent hectares (100 ha) et un délai de 4 ans renouvelable avec aussi l’interdiction d’usage de mercure sauf présence d’un ingénieur ou spécialiste sur le site capable d’utiliser en respectant les mesures environnementales avec une étude d’impact du milieu avant le démarrage de l’extraction. 

2.3. L’exploitation minière, une nouvelle source de rente pour la communauté locale

Au niveau de l’extraction de l’or, l’économie et l’écologie semblent vraiment être antagonistes. Pourtant cette activité est très bénéfique pour l’économie locale et pour l’amélioration des conditions de vie des populations locales.

Carte 4: Localités bénéficiaires des structures minières

Source : nos enquêtes, 2019              Réalisation : Affro M. J., 2019

Les acteurs des structures minières artisanales et semi-industrielles, dans leur volonté d’investir pour un développement durable, contribuent efficacement à relever certains défis majeurs dans les localités partenaires et non partenaires. En effet, les localités bénéficiaires (11 localités) sont situées que dans le département de Dabakala. Dans ce Département l’on note une bonne organisation et collaboration entre les communautés villageoises et les structures minières en place. La part de celles-ci n’a jamais fait défaut.

2.4. Abattage des ligneux par les orpailleurs et tentative de restauration paysage

2.4.1. L’orpaillage clandestin, une activité de décapage des ligneux

L’exploitation artisanale minière reste l’un des facteurs prépondérants de dégradation de la couverture végétale dans la région du Hambol. Que ce soit le semi-industrielle comme l’artisanal, il y a trois perceptions de destructions des communautés végétales il s’agit de : avant, pendant et après l’exploitation du minerai en place.

Tableau 2 : Destruction des espèces ligneuses lors des exploitations des mines

Localités enquêtéesNbre enquêtéProfondeur des trous en mètreNbre d’arbre abattus/trousType de couvet originelDélais d’exploitation par annéeRéparation après abandon du site
Fronan2815-3015 bois/1 mètreSavane1-10Non
Lougbonou1125-351 5bois/1 mètreForêt claire1-5Non
Kanangonon315-305 bois/1 mètresavane2-10Non
Wendênê6140-7015 bois/1 mètreForêt dense sèche/ savane arbustive1-5Non
Kogbèra4050-6015bois/1 mètreSavane arborée2-10Non
Lafigué301-1515bois/1 mètreForêt claire /savane1-15Non
Tortya3220-3015bois/1 mètreForêt claire /savane2-15Non
Tafire2420-408 bois/1 mètresavane1-5Non
Sangadjokaha1015-2515 bois/1 mètresavane1-5Non
Total239501050 boisForêt/ savane15

Source : Enquêtes de terrain, 2019

Le constat est visible à partir de ce tableau 2 ci-dessus, il s’agit des profondeurs des puits, le délai d’exploitation et le nombre d’arbre abattu/trous. Les écosystèmes dévastés ne sont plus restaurés après abandon du site. Deux localités se distinguent que sont : Wendênê et Kogbèra et par la profondeur des excavations. En effet, au nord du village Wendênê, des chaines de collines connaissent des fractures profondes. Le substrat est décapé quel que soit sa position dans le paysage. Les roches, sol, la flore et les cours d’eaux ne sont pas épargnés lorsque le minerai est localisé dans cet espace.

2.4.2. Le reboisement Communautaire, une solution de restauration du couvert végétal propre qu’à une minorité de localités

Le reboisement des espaces dégradés est de 101 hectares, soit 400 117,75 plants de Tectona grandis et 0,6 % du taux de reboisement (Carte 2B). Les espaces reboisés sont inégalement répartis dans la région du Hambol

Planche cartographique 2 : Répartition spatiale des espaces reboisés

Carte 2A: essences de pépinières, nombre de plants      Carte 2B: taux de reboisement et espaces reboisés

Source :MINEF/ /BNEDT, 2019           Réalisation : M. J. Affro, 2019 

La carte 2A met en relief les essences de pépinières et le volume de plants pour les différents reboisements. La sous-préfecture de Tortiya concentre à elle seul le plus grand effectif en termes de pépinières. Contrairement à cette zone, Dabakala qui en termes de volume de pépinières vient en second plan regorge jusqu’à cinq variétés d’essences de pépinières. L’agroforesterie désigne les pratiques associant arbres, cultures et/ou animaux sur une même parcelle agricole, en bordure ou en plein champ. Selon les enquêtes, 54,17% des producteurs interrogés ont reconnu que l’association des arbres aux cultures vivrières a pris de l’ampleur avec le développement de la culture d’anacarde. L’établissement des agro-forêts se fait sur les terres occupées par les mosaïques de cultures vivrières-jachères. Il débute par l’abattis brûlis d’un espace de jachère arborée ou à base de (Chromolaena odorata). Les paysans conservent les ligneux de valeur et d’ombrage pour le futur verger d’anacardier qui sera associée aux cultures d’ignames et de manioc prioritairement. Ces arbres conservés sont le karité (Vitellaria paradoxa ou Butyrospermum parkii), le néré, le fromager (Ceiba pentandra).

Aussi, d’autres arbres sont plantés en bordure des champs d’anacarde et dans les jachères. Il s’agit des manguiers (Mangifera indica), des tecks (Tectona grandis) et des avocatiers (Persea americana). Le teck est l’espèce floristique la plus utilisée comme pare feu de protection pour les vergers d’anacardiers. 54,89 % des paysans à Katiola, 63,20 % à Niakaramandougou et 65,51 % à Dabakala utilisent cette espèce arborée servant de pare-feu aux plantations d’anacardiers. Ensuite vient le karité (Vitellaria paradoxa), il est plus utilisé à Dabakala. Le manguier utilisé exclusivement comme des vastes plantations à Niakaramandougou et un quart des plantations localisées dans le périmètre de Katiola.

3. Discussions

La végétation se dégrade au rythme de l’expansion de l’orpaillage. Les réseaux sociaux mettent la puce à l’oreille à l’État d’où la prise de conscience de l’État. En effet, les réactions des autorités étatiques de lutte contre les irrégularités dans le secteur minier en générale et en particulier l’orpaillage clandestin demeurent insuffisante vu le rythme vertigineux à laquelle cette activité se déroule. D’abord les résultats du Groupement Professionnel des Mines de Côte d’Ivoire (GPMCI), 2018 issus des médiaux sociaux, corroborent les nôtres. Il ressort clairement que plus de 60% des permis d’exploitation des sociétés minières sont aux mercis des orpailleurs. Un gros manque à gagner également pour les grandes sociétés minières notamment Randgold dont le Président Directeur Général, le Sud-Africain Dennis Marc Bristow, s’en est ouvertement plaint en juillet 2017 sous ces propos : « On est confronté à cette difficulté de voir des milliers d’orpailleurs clandestins et illicites sur les sites de Boundiali pour lesquels nous détenons des permis ». Par ailleurs, les mêmes canaux sociaux à travers lesquelles OXFAM-AMERICA mentionne ses résultats. Cette confédération internationale signale en 2009 dans ses analyse sociale et environnementale des mines d’or en Côte d’Ivoire : « Un héritage entaché », il révèle clairement que l’avenir de l’économie ivoirienne par les mines est une voie sans issue car l’État n’a pas de données au niveau du gisement minier ce qui l’empêche de valoriser ses ressources minières mais aussi de contrôler ceux qui les exploitent. En fait les résultats de Adama O. (2013, p. 31) en disent beaucoup sur la flexibilité de l’État à la gestion des grandes entreprises minières en Côte d’Ivoire. De ces résultats, l’État ivoirien ne comptabilise que les compagnies minières qui veulent bien lui déclarer. Les capacités de contrôle de l’État sont amoindries et pour cause, une fois cédé, l’or ivoirien disparaît du circuit public. À aucun stade du circuit d’affinage des lingots d’or, l’État n’est associé. Des visites en vue de recueillir des informations sur les statistiques des exploitants, les limites exactes des parcelles, les profondeurs des excavateurs, les productions et le nombre de sites illégaux par les autorités de régulations des ministres des Mines s’avèrent presque tardives après des années d’existences. L’état est pris en otage par son partenariat avec les acteurs des mines.

D’ailleurs, les statistiques du ministère de l’Industrie et des Mines via son site internet, révèlent qu’entre 2006 et 2016, l’orpaillage clandestin a fait perdre à l’État ivoirien, un montant de 479,22 milliards de F CFA, soit environ 958 millions de dollars. Cette lutte s’étend à tous les niveaux et par tous les médias sociaux pour sensibiliser les populations d’autant plus que les réseaux sociaux s’imposent à homme même dans la localité les plus reculées que ce soit au sein des analphabètes comme les alphabètes. Il est à noter qu’il faut s’appuyer sur les renforcements des mesures judiciaires et une plus grande implication des élus locaux, des cadres et des magistrats, pour plus de célérité et de fermeté dans l’application des sanctions pénales contre les acteurs illégaux de l’activité d’orpaillage clandestin contenues dans la loi n 2014-138 du 24 mars 2014 portant code minier. Les problèmes environnementaux dans les zones d’orpaillage, s’expliquent par la surpopulation des communautés minières et la forte croissance des activités d’orpaillage. La végétation, la flore, la faune, le sol et les ressources en eau sont impactés négativement par l’exploitation artisanale de l’or. Les problèmes sociaux et environnementaux qui sévissent dans les localités minières sont imputables non seulement aux activités semi-industrielles mais aussi à l’artisanale.

Pour Fode B. C. 2019 et Bohbot J. (2017, p. 14), les zones d’exploitation aurifère industrielles et artisanales sont écologiquement sinistrées. Les espèces végétales subissent de forts taux dégradation pouvant atteindre 100 % dans les zones d’exploitation. L’impact majeur demeure la déforestation. La quasi-totalité des bois est coupé pour servir de cales dans les puits. De plus, une légende circule selon laquelle on peut trouver des pépites d’or aux racines des arbres, ce qui incite aussi à en couper pour rechercher l’or. Ouedraogo L. (2019, p. 27), met l’accent sur le volet artisanal de l’or. L’exploitation minière est l’activité économique la plus importante dans les communautés dotées de minéraux. De nombreuses personnes souvent défavorisées sur le marché du travail sont engagées dans ce secteur. La mauvaise mise en œuvre des lois et règlements miniers alimente le taux d’implication du secteur minier artisanal de l’or. Grâce aux canaux de recherches, les médias sociaux, les impacts des activités minières sur le couvert végétal sont révélés. Concernant les résultats d’ISF SystExt, (2016, p. 5-16), si l’industrie minière n’est pas la seule responsable de la dégradation du couvert végétal, elle n’en demeure pas moins le principal moteur. Son intensification anarchique entraîne de surcroît des conséquences graves pour l’environnement, caractérisées par la vulnérabilité écosystèmes. Selon les mêmes études d’ISF SystExt, (2016, p. 5-16), En 2007, 852 rivières et 1181 lacs ont été asséchés par les activités minières intensives des mines à ciel ouvert à Mongolie. Jusqu’en 2004, l’exploitation minière était interdite dans les forêts protégées, date à laquelle, sous la pression des industriels, la Présidente Megawati a publié un décret d’autorisation. La superficie allouée représente 70% du marché mondial, Les impacts environnementaux sont dramatiques, tant sur la faune que sur la flore et la flore endémiques bouleversées. C’est pourquoi Minkilabe D. et al. (2018) et Coulibaly M. (2013, p. 5), disent que la végétation est l’une des composantes les plus touchées par l’exploitation de l’or.

Conclusion

L’impact des exploitations minières artisanales de l’or sur l’environnement varie selon le contexte géographique et des méthodes utilisées. Des mesures draconiennes en vue de la restauration ou réhabilitation des espaces dégradées s’imposent. En effet, l’exploitation artisanale de l’or, filonien en l’occurrence, aboutit au fonçage manuel de mines artisanales souterraines et laisse derrière elle des puits miniers à ciel ouvert. C’est pourquoi l’absence de réhabilitation des sites après abandon, de remblayage des mines artisanales en particulier, conduit à la dégradation totale du paysage naturel des zones aurifères. La lutte contre l’orpaillage clandestin nécessite l’adoption d’un plan de rationalisation dont l’objectif principal serait d’assainir, l’organiser et d’encadrer l’activité. Un accent particulier devrait être mis sur la sensibilisation des acteurs de la filière orpaillage (orpailleurs, chefs traditionnels et religieux, les élus, cadres, jeunes) par la voie des médias sociaux et une présence effective dans les zones rurales. Cette étape de la lutte contre l’orpaillage clandestin, doit prendre en compte la formation et l’encadrement de tous les orpailleurs bénéficiaires d’autorisation d’exploitation artisanale pour conduire leur activité selon les règles de l’art à partir de la mise en place des organes pour le suivi des activités d’orpaillage et d’un plan media pour informer les populations sur les dangers de l’orpaillage clandestin. L’état devrait avoir la cartographie exacte de tous les dépôts aurifères et diamantifères en vue d’une bonne gestion du secteur minier en plus de l’apport des réseaux sociaux comme facteur de prise de conscience de la dégradation du couvert végétal par l’orpaillage clandestin. Comme le dit bien certains acteurs locaux, on n’est pas clandestins chez soi. La population jusqu’à ce jour n’a pas encore accepté que le sous-sol soit une propriété de l’État selon le code minier et selon les textes des pays francophones.

Référence bibliographique

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COULIBALY Moussa, 2013, L’évaluation environnementale et analyse des risques dans le domaine de l’exploitation minière : les conséquences du non-respect des obligations environnementales, Lomé, 9.p

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MINKILABE Djangbedja, KPATINDE VODOUNOU Jean Bosco, ZIMARI VODOUNOU Jean Bosco, TCHAMIE Thiou Komla Tanzidani, 2018, « L’Orpaillage et le développement durable à Kéméni et à Kpaza dans le centre du Togo »,in Annales des lettres et sciences sociales de l’université de Parakou, 21 p.

OUEDRAOGO Lala, 2019, Orpaillage artisanal et développement rural, Thèse, Québec, Canada, 167 p.

AXE 6 : RÉSEAUX SOCIAUX ET IDENTITÉ SOCIALE

RÉSEAUX SOCIAUX ET IDENTITÉ SOCIALE : L’IPSÉITÉ AFRICAINE À L’ÉPREUVE DE L’ALTÉRITÉ

1. Ghil-christ Elysée YANSOUNOU

Université d’Abomey-Calavi (Bénin)

yansounoug@gmail.com

2. Ariane DJOSSOU SEGLA

Université d’Abomey-Calavi (Bénin)

djossari@gmail.com

Résumé :

Avec le développement des TIC, en l’occurrence des réseaux sociaux, tout fonctionne comme si toutes les cultures du monde se donnaient rendez-vous sur des interfaces. Cette rencontre virtuelle et pourtant si réelle fonctionne, semble-t-il, comme une joute identitaire où l’ipséité est constamment à l’épreuve de l’altérité. Engagée de gré ou de force dans cette dynamique des réseaux sociaux, l’Afrique qui déjà cherchait ses repères identitaires estompés par la colonisation, se trouve davantage secouée dans son essence identitaire à coloration multiple en raison des identités sociales multiples et prépondérantes venues d’horizons divers. Dans cette rencontre d’identités multiples, il y a fort à craindre une phagocytose identitaire en faveur des modèles identitaires qui fusent de toutes parts sur les réseaux sociaux. Comment l’Afrique peut-elle s’enrichir dans ce frottement culturel induit par les réseaux sociaux tout en conservant une certaine originalité identitaire ? Mais avant, l’identité sociale est-elle une réalité stable ou en devenir ? Ce texte a pour objectif de montrer comment les réseaux sociaux façonnent l’individu pris à la croisée d’une pluralité de paradigmes identitaires et d’envisager des moyens susceptibles d’aider l’Afrique à conserver une certaine originalité identitaire en cette ère où le monde est interconnecté.

Mots clés : Altérité, Dynamique, Identité sociale, Ipséité, Réseaux sociaux.

Abstract:

The development of Communication and Information Technologies has things functioning as if every cultures all around the world are meeting on interfaces. Such virtual, though real meeting works like an identitary duel constantly opposing ipseity and alterity. Africa that actually is still searching its truest identitary reference points faded away by colonization, is voluntarily or not engaged in such social networks dynamic that is shaking its protean and prevalent identities coming from diverse but varied horizons. With this multiple identities meeting, there is an identitary fusion to fear that’ll favour other identitary models coming from everywhere. How is Africa to enrich itself through such fact by keeping its identitary originality? But first, is social identity a stable reality or a becoming one? This text aims at showcasing how social networks change individuals trapped in a plurality of identitary paradigms, and at envisaging ways prompt to help Africa keeping some originality in this interconnected world.

Keywords : Alterity, Dynamic, Ipseity, Social Identity, Social Networks.

Introduction

L’expansion des réseaux sociaux est l’expression de la démocratisation du numérique censée à terme réaliser l’utopie d’une grande communication mondiale, d’une interconnexion des individus et des sociétés qui auraient des vitrines ouvertes les unes sur les autres. Mais cette interconnexion n’est pas sans impact sur les rapports sociaux et les identités sociales. Chaque société avec son empreinte identitaire rencontre et se confronte à d’autres identités. Dans cette dynamique les sociétés africaines ont été largement impactées sur plusieurs plans, en l’occurrence axiologique, gastronomique, vestimentaire, religieux, institutionnel etc. à telle enseigne qu’il ne serait pas abusé de dire que leurs ipséités identitaires sont à l’agonie dans cette rencontre avec les altérités identitaires qui fusent de toutes parts sur les réseaux sociaux.

Cette communication repose sur la question fondamentale de savoir comment les identités sociales africaines peuvent conserver leur ipséité face au risque de prédation des altérités à cette époque où les réseaux sociaux ont réécrits les rapports entre les sociétés dans le monde. Cette préoccupation fondamentale se décline en quelques questions subsidiaires qui permettent de mieux la circonscrire : Comment rendre compte de la dynamique l’ipséité-altérité à l’ère des réseaux sociaux ? Quels sont les enjeux liés à l’immersion des identités africaines dans l’univers pluri-identitaire des réseaux sociaux ? Que faire pour la sauvegarde et l’enrichissement des identités africaines dans ce contexte de prépondérance des réseaux sociaux ?

L’objectif poursuivi à travers cette communication est de penser le cadre et l’approche favorables à la sauvegarde des identités sociales africaines dans ce tsunami des réseaux où les ipséités sont constamment éprouvées et menacées de prédation par les altérités venues de toutes parts.

Notre recherche s’est édifiée sur deux hypothèses. Primo, la dynamique des réseaux sociaux, telle qu’elle se déploie aujourd’hui pourrait conduire à une disparition progressive des identités sociales africaines. Secundo, une approche médiane à mi-chemin de la déconnexion et de l’hyper connexion permettrait aux identités sociales africaines de se préserver et de s’enrichir dans des altérités mais aussi d’enrichir l’altérité de la coloration identitaire qui est la leur. La méthodologie de notre recherche est de nature analytique et critique, elle nous a permis d’en arriver à la conclusion selon laquelle les Africains doivent revoir leur rapport aux réseaux sociaux au risque de perdre leurs ipséités au contact de ces multiples altérités qui inondent les interfaces.

1. L’épreuve de l’ipséité et les altérités paradigmatiques dans un contexte de prépondérance des réseaux sociaux

C’est une propriété foncière de toute conscience individuelle et collective de se confronter à l’altérité. Les tenants de l’intentionnalité nous montrent les fondements de cette nécessaire ouverture et à l’aune de leurs pensées on appréhende mieux le défi auquel se trouve confronté les ipséités africaines.

1.1. Nécessaire ouverture de la conscience-ipséité sur l’altérité

Pour chaque individu, et donc pour chaque subjectivité, il existe un proprement soi. Ce proprement soi est ce qui distingue une conscience d’une autre, une personne d’une autre. Tant il est vrai que ce proprement-soi se nourrit du non-soi, c’est-à-dire des consciences avec lesquelles il interagit, tant est évident qu’il intègre en lui un principe essentiel qui opère la récupération et l’assimilation des flux extérieurs pour construire une singularité qui fait l’unicité du sujet, son identité et plus intrinsèquement son ipséité. Par-delà tout dénominateur commun que le sujet peut avoir avec le genre humain (masculin ou féminin), sa communauté, sa famille et s’il est question sa gémellité, l’ipséité le définit comme ce proprement soi qui n’est pas interchangeable. Cette ipséité que les phénoménologues représentent comme la conscience, fait constamment l’expérience de l’altérité qui l’éprouve et qui en même temps l’affirme. Se débattant constamment contre un repli total sur soi culminant au solipsisme, cette conscience se trouve prise à revers par un frénétique refus d’être substance en intériorité par le jeu de l’intentionnalité. En effet, si l’on en croit Sartre, «la conscience n’a pas de dedans ; elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme une conscience » (J.-P. Sartre, 1947, p. 21). Dès lors, l’ipséité, conformément à sa racine latine « ipse » traduit ce qui est considéré comme formant le sujet en ce qu’il est lui-même, c’est le « je » dans son « moi-même », piégé dans son alternative d’intériorité ou d’extériorité.

En même temps que la conscience-ipséité doit s’affirmer par son fond parmi les autres ipséités avec lesquelles elle interagit, il semblerait qu’elle ne saurait, au risque de s’étouffer, se murer dans un enferment qui la priverait de l’oxygène vital que le lui procure son rapport à l’autre que soi, à l’altérité. Cette dynamique expose l’ipséité à un permanent risque de suicide ou de meurtre. Le phénoménologue Husserl insistant sur la nécessité pour la conscience de se définir par son rapport au monde, fait du repli sur soi la négation de sa propriété foncière et une option inenvisageable. Tout le défi dorénavant est d’œuvrer à la sauvegarde de l’ipséité en tant que propriété essentielle et existentielle face à la nécessaire rencontre avec l’altérité. Ce défi conceptuel est justement celui auquel se trouvent confrontées les ipséités africaines dans l’aventure des réseaux sociaux.

1.2. Le défi de la sauvegarde des ipséités

Comment envisager la rencontre avec l’autre sans perdre ce qui nous définit fondamentalement, ce qui fait qu’un soi reste soi-même malgré les multiples impacts inhérents à cette rencontre ? Cette question qui s’applique à chaque subjectivité peut logiquement s’appliquer au corps social considéré comme une entité ayant des caractéristiques propres qui la définissent et la distingue des autres sociétés. Par-delà l’universalité de la raison affirmée et estampillée par Descartes, il existe de part et d’autre diverses manières d’être humain, diverses manifestations de notre humanité qui s’enracinent dans des bases culturelles, lesquelles nous distinguent et, plus encore, définissent notre identité au sens d’une ipséité. Les communautés humaines ont certes toujours commercé entre elles, elles ont toujours été à la rencontre les unes des autres mais ces interactions n’ont jusqu’à ce jour pas fondu l’humanité toute entière en une unanimité d’us et coutumes. Cela montre que par-delà l’unité du genre humain qui répond à des classifications biologiques, il existe des hétérogénéités qui ont eu cours tout au long de l’histoire.

Dans les relations inter-sociétales antérieures à la révolution technologique, le contact entre entités sociales se caractérisait par les conquêtes, les explorations, la colonisation, le commerce, la guerre… Mais aujourd’hui le développement des télécommunications à reconfigurer les modes de contacts, de rencontres des sociétés. Sur des interfaces, plusieurs identités sociales vont à la rencontre les unes des autres. Ce phénomène virtuel qui jadis suscitait un rire goguenard est devenu si réel et tangible. En effet, la nécessité de communiquer a longtemps été, pour les hommes, un intemporel défis au regard des contraintes de temps et d’espace. « Durant très longtemps encore, l’information, celle des puissants comme celle des peuples, voyage au pas de l’homme ; parfois à la vitesse des signaux de fumée. Puis, certains peuples apprennent à transmettre des informations plus précises, grâce à l’écriture, puis, plus rapidement, grâce au galop d’un cheval » (J. Attali, 2021, p. 14).

Ces deux derniers siècles, le contact des sociétés humaines s’est intensifié, la révolution des transports a vu naître des moyens de déplacement sophistiqués, mais aussi et surtout une révolution des Techniques de l’information et de la Communication qui ont davantage amplifié les interactions entre sociétés humaines qu’on veut aujourd’hui interconnectés. Ce contexte dit de mondialisation se déploie sur une matrice virtuelle dont le décalque sur la réalité laisse des empreintes qui telles des briques construisent nos rapports et nos sociétés dites modernes.

L’ère des téléphones combinés est loin derrière nous. Avec les Smartphones, l’univers de la communication s’est reconfiguré, donnant naissance aux réseaux. Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, Twitter, Facebook Messenger, WeChat, TikTok, LinkedIn, Sina Weibo, sont autant de réseaux sociaux qui aujourd’hui connectent des sociétés aux accents culturels et identitaires variés.  Ils ont la magie d’estomper les barrières de l’espace et du temps afin de mettre en contact des individus à mille lieues les uns des autres en un temps record. Cette interconnexion chaque jour s’étoffe davantage en raison de ses attraits. Elle est, en l’occurrence, un canal permettant « aux utilisateurs d’entrer en contact pour interagir, de trouver d’autres contacts, de se faire connaitre, de trouver un emploi, de chercher un salarié ou bien une âme sœur, etc. » (C. Stener, 2016, p. 86). Cet éventail de possibilités sans doute attrayantes doublé de la gratuité d’accès à quelques exceptions près, contribue à la ruée sur ces réseaux sociaux.

Ainsi en peu de temps l’univers des réseaux sociaux s’est peuplé à une vitesse exponentielle, et l’Afrique n’est pas restée en marge de cette mode qui s’est subrepticement imposée. Ceux qui ne se sont pas encore inscrits sur l’un de ces réseaux par choix ou par défaut de logistique y afférents sont comme dessoudés du tissu social, ils sont comme frappés d’ostracisme, laissés pour compte, ce sont à la limite des parias, car le reste de la société interagit à peine avec eux. Ce monde virtuel et pourtant si réel, est devenue une toile, qui, à mesure qu’elle s’étoffe et se construit, semble arracher au monde classique tel que nous l’avons connu, ses attributs les plus essentielles. Sur un statut comme sur une page ou encore sur un compte, il est désormais possible d’avoir une vue sur le quotidien des uns et des autres, de voir l’autre dans ce qu’il veut bien nous montrer.

2. Les identités sociales africaines à l’épreuve de la dynamique des réseaux sociaux

Engagées dans la dynamique des réseaux sociaux, les identités sociales africaines se trouvent confrontées à un insidieux brassage identitaire qui augure de fatals risques de phagocytoses.  Ces risques ne peuvent être transcendés sans une définition rigide pure de superfétatoires, de ce qu’il faut entendre par identité africaine.

2.1. Les enjeux de l’immersion africaine dans l’univers des réseaux sociaux

N’étant pas auteurs et concepteurs des réseaux sociaux, les Africains ayant pris le train en marche, une fois qu’ils y adhèrent, ils découvrent des règles instaurées au fur et à mesure par ses concepteurs et ses acteurs les plus anciens. Si avec la colonisation, les modèles sociétaires africains ont été sapés, il faut dire que l’on assiste à une différence près à cette même dynamique. Une fois sur les réseaux sociaux les sociétés africaines sont confrontées à de fortes propagandes politiques, vestimentaires, culinaires, sociologiques, axiologiques, qui exercent une telle pression qu’il est difficile de s’en extirper. Dans le cas d’espèce, la tentation de mimer ou de muer pour s’affirmer est forte. Car il faut le dire, l’humain des réseaux sociaux que Daniel Cohen nome l’homo numericus est un humain façonné suivant des critères précis. Pour avoir des likes, des followers il faut accrocher par son style vestimentaire, il faut avoir un langage qui couvre une grande part d’internautes, il faut poster sur des musiques qui captivent l’attention. Dans le jargon Facebook ou des réseaux sociaux en général, le likeest l’action d’aimer un contenu qu’il soit une vidéo, une photo, une citation ou une page Dans le jargon des réseaux sociaux, un follower est une personne qui s’est abonné à votre compte.

En apparence, l’univers des réseaux sociaux peut paraître une vraie anarchie. Maisà la réalité, il s’avère être une véritable organisation avec ses lois, ses règles, ses principes, son langage, qui rognent tout sujet en déphasage avec l’ordre qui est le sien. Il n’est pas abusé de parler d’une dictature des réseaux sociaux. Face à cette dictature, les sociétés africaines qui s’importent sur ces plateformes pour, sans doute, s’affirmer, se trouve aplaties par l’hégémonie d’autres modèles sociétaires qui d’abord leur tiennent la dragée haute, affirment leurs supériorités et les somment directement ou indirectement de se reconstruire en modèles subrepticement imposés. Vu que chaque entité sociale traine ses valeurs et des tares, l’effet charmant des valeurs captivent plus d’une entité sociale, ce qui induit une phagocytose qui ingère bien d’entités sociales africaines, les digèrent et les expulse avec l’étiquette d’abjection propre à la finalité de tout mécanisme de digestion.

En clair, avec la dynamique des réseaux sociaux, l’ipséité qui définit l’identité de plusieurs sociétés africaines, est fortement exposée à une phagocytose en la faveur des autres sociétés qui travaillent à imposer leurs paradigmes identitaires au mieux et au pire à vilipender les autres paradigmes identitaires.  À peine sorties du malaise identitaire inoculé par la colonisation, les sociétés africaines croupissent dans leur identité face à la prédation des altérités paradigmatiques exogènes. Ceci tant et si bien que répondre à la question : « Qui sommes-nous ? », est devenu pour les sociétés africaines une question difficile. Or s’il faut en croire le Philosophe Vincent Descombes, cette question pris au singulier ou au pluriel, est le nœud de toute investigation sur l’identité. Alors il faut se demander ce que recouvre la notion d’identité africaine qui serait le fond de cette ipséité menacée par l’altérité.

2.2. De l’identité africaine en question

Joseph Ki-Zerbo est sans doute l’un des auteurs ayant fait un véritable travail visant à donner des Repères à l’Afrique. Dans cette entreprise, il s’est penché sur la question de l’identité des peuples et plus précisément de l’identité africaine de manière à en restituer la substance sans verser dans une ethnologie rébarbative. Sa démarche consiste d’abord à dire ce que l’identité n’est pas pour en arriver à ce qui la constitue intrinsèquement. En effet les identités africaines ne sont pas des fossiles qu’il faut exhumer par l’archéologie, des concepts abstraits à caractère « purement juridique, administratif, voire philosophique ou politique, désignant un groupe d’hommes situé dans un espace déterminé et se référant à leur ethnie, à leur race, etc. » (J. Ki-Zerbo, 2019, p. 85). Elles ne sont pas non plus des étiquettes exogènes toujours loin d’être objectives.

L’identité sociale et culturelle d’un peuple et, en l’occurrence de l’Afrique, est ce qui la distingue par « delà les constances d’homo sapiens » (J. Ki-Zerbo, 2019, p. 84). C’est cette différence qui, au rendez-vous des diverses cultures, la singularise et permet de facto de la reconnaître comme non semblable aux autres à l’instar du profil génétique qui nuance les hommes dans leur paquetage. C’est un construit qui plonge ses racines dans le passé, et qui est manifeste dans le présent avec pour vocation d’être transmis par la tradition aux générations futures. L’identité c’est donc un ensemble de caractéristiques particulières « manifeste dans tous les domaines : l’habillement, le boire, le manger, la musique, la religion, le régime de la propriété, les rapports sociaux, les rites et les mythes, l’amour et la mort » (J. Ki-Zerbo, 2019, p. 91) et qui rend une société unique, qui la structure en une cohérence authentique. Ces caractéristiques ne se définissent pas ex nihilo, elles sont fortement tributaires de son histoire et le résultat d’un ensemble d’architecture de réponses tressées au fil de temps.

Ainsi d’une société à une autre, il existe une variété de mythes fondateurs, de pratiques sociales, de valeurs propres. Le sens de la famille, le statut de la femme, ses prérogatives et ses attributions, le statut des personnes âgées, la conception sociale de l’amour et ses manifestations, la conception sociale de la mort et les rites y afférant, la charge ludique et didactique des rythmes et instruments de musique, les langues et leurs charges sémantique et sémiotique, la célébration du mariage, de même que ses tenants et aboutissants, les cultes, les divinités, sont autant d’éléments qui portent l’empreinte identitaire des sociétés d’Afrique.

L’avènement de l’impérialisme et la balkanisation de l’Afrique fondamentalement délayé l’essence identitaires des peuples noirs. Partie sur des bases de condescendance et d’hiérarchisation des cultures, la volonté colonisatrice d’humaniser ceux qu’ils considéraient à tort comme des barbares, des primitifs ou encore des sauvages a abouti à l’avilissement, à un rejet et à une satire des ferments de l’identité des sociétés africaines. « L’esclavage en Occident, le commerce triangulaire et la colonisation de l’Amérique réalisent le combat de l’identité blanche contre les identités des personnes de couleur » (Laurent Dubreuil, 2019, p. 8), en l’occurrence des peuples noirs.

Ainsi après la colonisation, après de longues années où ont été imposé à l’homme noir culte, culture et valeurs, les peuples africains, sans rejeter les acquis enrichissants de cette rencontre non souhaitée avec l’altérité occidentale, peinent à réhabiliter ce qui fonde leur ipséité. Une telle difficulté est d’autant plus accrue à cette ère de prépondérance des réseaux sociaux. Il faut donc explorer cet univers virtuel qui de par sa dynamique a redéfinit les rapports ipséité-altérité et qui en l’occurrence met à rude épreuve l’identité africaine.

3. Les réseaux sociaux : des interfaces pour des joutes identitaires sans merci

Le développement des réseaux sociaux tel qu’il se déploie, semble porter préjudice à l’essence identitaire des peuples africains. À cet effet, il est important d’en prendre la réelle mesure et d’envisager l’approche pour y remédier.

3.1. Les réseaux sociaux : la boite de pandore qui menace les identités socioculturelles africaines

Si en 1997, Sixdegrees.com, premier réseau social créé par Andrew Weinreich et la société Macroview voit le jour, il faudra attendre les lendemains de l’an 2000 pour assister à l’expansion et à la prépondérance de ces réseaux. Dorénavant chaque internaute, s’affirme, entre en contact avec le reste du monde et se laisse sciemment ou inconsciemment découvrir à travers le prisme d’un certain nombre de caractéristiques qui déterminent son appartenance socio-identitaire. Cette nouvelle forme d’interaction banalisée à ses débuts, se structure chemin faisant, distinguant assez rapidement les “influenceurs” des “fans”. Ces influenceurs dont la voix porte sur de telles plateformes, sont désormais des leaders d’opinions. Ils peuvent à cet effet recommander, faire l’apologie, exhiber, pourfendre, avilir, ridiculiser, promouvoir ceci ou cela, celui-ci ou celui-là. L’effort moutonnier, permet de rallier un nombre considérable de personnes autour de leur propagande. C’est justement cette dynamique qui justifie le mimétisme sans cesse croissant qui caractérise les sociétés africaines actuelles.

Pris à la croisée d’une pluralité de paradigmes identitaires, les internautes africains, majoritairement en postures de followers se rééduquent à travers les multiples pratiques, valeurs et représentations glanées sur les réseaux sociaux. Les goûts musicaux, le style vestimentaire, les valeurs morales, les pratiques cultuelles des Africains adeptes des réseaux sociaux sont de plus en plus extraverties. Il est de plus en plus d’usage pour cette génération d’internautes africains de suivre des stars (du football, de la musique, du cinéma, de la mode…), de s’inspirer de leur vie pour remodeler les leurs. Ceci donne lieu à une transposition d’usages qui contrastent avec les réalités endogènes qui forgent l’identité africaine. Cela induit une accumulation indigeste manifeste dans l’hétérogénéité de sujet africain pris dans son individualité.

Dans ce brouhaha d’identité, le risque d’une aliénation est à redouter. Il n’est pas à dire que l’Afrique doit se fermer ou se cantonner à ses valeurs culturelles, ses us et ses coutumes. Mais il faut être prudent, car il ne fait aucun doute que « le monde se rue aujourd’hui vers l’homogénéisation grâce à la planétarisation d’un certain nombre de gadgets, de technologies non contrôlées à diffusion massive, généralement par quelques multinationales. » (J. Ki-Zerbo, 2019, p. 83). Cette homogénéisation n’est à proprement parler qu’une prédation croissante qui, à terme, pourra se solder par un moule identitaire unique qui s’imposerait aux diverses sociétés et qui serait le passe d’accès à cet univers virtuelle de la mondialisation qui se cristallise sur les réseaux sociaux.

La question des identités n’est pas banale, elle est même très sérieuse. Pour nous en persuader, Laurent Dubreuil, montre clairement que :

Le bien commun, la liberté individuelle ou collective, l’exercice du pouvoir, la conservation de la société, les formes de la citoyenneté, l’encadrement de l’exploitation, la protection contre la barbarie, voire la nation, l’ordre, le profit, le salut d’un peuple, les institutions, ou la révolution (L. Debreuil, 2019, p. 7). 

Ceci pour montrer que c’est sur des bases d’identités que repose l’action politique. En effet, ce serait l’identité qui « s’inscrivant en nos vies, régirait nos discours, nos fantaisies, nos lois et nos gouvernements » (L. Debreuil, 2019, p. 7). Sinon comment comprendre que la question des identités déchaîne tant de passions et soulève tant de controverses allant à des radicalités violentes. Il est en effet indispensable d’« essayer de comprendre pourquoi tant de personnes commettent aujourd’hui des crimes au nom de leur identité religieuse, ethnique, nationale, ou autre» (L. Debreuil, 2019, p. 12).

Aussi dévastatrice et préjudiciable qu’ont été les mesures coloniales pour les identités africaines, la période post indépendance apparait bien plus cruciale dans la mesure où elle engage directement la responsabilité des africains. Appâté par des placebos censés déclencher la croissance économique des sociétés africaines, celles-ci se sont laissées entraînées dans un labyrinthe qui sans jamais aboutir à l’essor tant escompté, ne fait que les étouffer par une kyrielle de projets utopiques. On a tôt fait de crier que l’analphabète du XXIème siècle est celui qui ne maîtrise pas l’outil informatique. Et puis, s’en est suivie la propagande des réseaux sociaux censés permettre aux africains de s’impliquer davantage dans le réseau de communication planétaire. Présentés ainsi les réseaux sociaux passent pour de simples vecteurs de communication utiles à bien d’usages. Mais à force d’y recouvrir, d’en faire usage, on est sans cesse confrontés à des identités exogènes qui ne cherchant qu’à se rendre vendables, s’en servent comme tribune d’affichage propre à convaincre et même persuader de la validité de ce à quoi elles tentent de rallier les opinions.

Une telle propagande fait résonner en échos les vestiges axiologiques de la colonisation qui avait déjà sapée les œuvres identitaires qui lui étaient hostiles. Envahis par un passé exhumé que le présent tend à légitimer à grand renfort des nouvelles techniques de communication, en l’occurrence des réseaux sociaux, les identités africaines suffoquent. Le travail enclenché implicitement ou explicitement pour le regain et la sauvegarde des identités africaines suscite des sentiments variés qui nous permettent de distinguer aujourd’hui trois catégories d’africains connectés aux réseaux sociaux. D’une part, les fans de l’altérité qui ayant succombé au charme des identités exogènes y adhèrent, et par un mimétisme conscient ou inconscient diluent leurs identités dans tout ce flot de paradigmes qui fusent de toutes part. D’autre part, on peut distinguer ces internautes africains imperméables à l’altérité extra africaine taxée d’office d’infectieuse. Ceux qui se retrouvent dans cette catégorie sont pour la plupart convaincus que les repères de nos identités, des identités africaines sont derrière nous, dans un passé le plus souvent idéalisé et ceci à tort. Si les uns sont semblables à des proies qui déambulent sans repères, les autres sont semblables à des proies trop averties qui s’enferment dans une tour s’interdisant la moindre aventure à l’extérieur.

S’il est vrai que ces deux approchent s’apparentent à des sentiers opposés, aussi paradoxale que cela puisse paraître, elles nous ramènent à la même destination : la mort. L’une par l’exécution, l’autre par suicide.  Il est vrai que toute société, telle une conscience, doit conserver son ipséité. Mais comment peut-elle se reconnaître étant ce qu’elle est si elle se refuse au miroir de l’altérité ? Sartre ne disait-il pas qu’autrui participe fondamentalement à ma connaissance ? Par ailleurs la conscience pour ne pas se retrouver piégé dans l’asphyxie du solipsisme se doit de s’ouvrir.

Bénédicte Flye Sainte Marie, dans une publication de 2020, dresse une liste de sept péchés capitaux des réseaux sociaux : l’hypernarcissisme, la paresse, l’impudeur, l’asociabilité, la dépendance, la haine et l’infobesité. De telles déviances inhérentes aux réseaux sociaux contrastent avec de multiples valeurs qui, à la base, constituent les ferments de multiples identités africaines.  Fustigeant notre dépendance et même l’aliénation engendrée par les réseaux sociaux, cette dernière s’interroge en ces termes : « Pouvons-nous désormais nous considérer plus libres, plus maîtres de nos existences grâce aux réseaux sociaux ? » (B. F. Sainte Marie, 2020, p. 13). Rien de moins sûr, répond-elle en arguant des arguments éloquents basés sur les chiffres d’un sondage du blog We Are Social paru en 2019. La dynamique des réseaux sociaux est donc celle d’une perte du contrôle sur nos existences. Comment pouvons-nous préserver nos identités et leurs donner des colorations escomptées si nous n’avons aucun contrôle de nos existences ? Mieux, si cette dépendance n’était que le résultat de déviances hasardeuses, on pourrait se faire une raison. Mais curieusement il n’est est rien. A contrario, « la dépendance qu’installe les réseaux sociaux a été le fruit d’une stratégie volontaire » (Bénédicte Flye Sainte Marie, 2020, p. 19). Il en résulte qu’à l’envers du volet communication à grande échelle et instantanée qu’offrent les réseaux sociaux, se trame un projet d’aliénation et d’assujettissement. Et le cas échéant, la distorsion des identités et leur reformatage selon un modèle voulu n’en seraient-ils pas l’aboutissement ? Joseph Ki-zerbo estime que « chaque objet technologique est un précipité de valeurs » (J. Ki zerbo, 2019, p.99), ce qui fait que l’importation de ces technologies si elles ne sont pas rejetées, finissent à terme par produire les valeurs qui ont présidé à leur confection et qui peuvent se révéler délétères. Les technologies ne sont donc pas neutres de valeurs, elles comportent toujours dans le fond les stigmates identitaires de ceux qui les ont produites. Dès lors, toute réappropriation technologique est une identité étrangère qui soit nous impose des usages et des mœurs ou qui est domptée et asservie à d’autres usages et mœurs, et cette dernière possibilité n’est jamais gagnée à l’avance.

Le sens de la famille et la figure de la personne âgée considéré dans plusieurs cultures africaines comme fondamentaux, sont galvaudés au profit d’amitiés factices sur les réseaux sociaux. À preuve, avec l’inclinaison frénétique au virtuel, la sollicitude et la culture basique qui, dans les sociétés africaines, portent spontanément vers la famille et les personnes âgées est évincée par nos relations numériques, lesquels ont profané le sens de l’amitié en le banalisant dans les usages. Dorénavant avec Facebook, Messenger et autres, le mot ami est utilisé pour désigner des personnes qu’on a pour la plupart jamais « vu autrement que par des écrans interposés » (B. Flye Sainte Marie, 2020, p. 33).

Sur Snapchat en 2016, le producteur américain Dj Khaled a exposé les moindres détails de l’accouchement de sa femme qui allait donner naissance à un garçon.  Cet exemple n’est qu’un élément singulier parmi tant d’autres aspects de l’intimité des d’internautes portés et dévoilés en plein jour. Les sociétés africaines qui reposent sur les tabous, ont, à plusieurs endroits, faits des situations d’accouchement des cercles restreints cachés au grand public, il existe une certaine intimité préservée en la matière. Depuis, il est de plus en plus dans les usages des internautes africains d’afficher des pans de leur vécu qui devraient relever de la vie privée, ou encore de s’afficher en sombrant dans un exhibitionnisme allant jusqu’à dévoiler des parties intimes du corps. Combien de scandales de jeunes adolescentes africaines faisant des vidéos où elles étaient vues dévêtues n’ont pas agité les réseaux sociaux et l’actualité africaine récemment ? Sur les traces des influenceuses occidentales partageant des séances aussi intimes que celles de l’épilation, on a vu il n’y a pas si longtemps une influenceuse ouest africaine, mère de plusieurs enfants, faire un live au cours duquel par maladresse, ses parties génitales ont été découvertes.  De telles situations sont en déphasage avec le sacré qui auréole la nudité de la femme, qui plus est de la mère en Afrique. Face à cette phagocytose de l’ipséité africaine par les altérités exogènes, que faire ? Faut-il poursuivre cette aventure des réseaux sociaux, insidieusement préjudiciable pour nos identités ou carrément y renoncer ?

3.2. Faut-il quitter les réseaux sociaux ?

L’Éthique est dans le milieu nous dirait Aristote, entre deux extrêmes tous nuisibles. Dans la préface de l’ouvrage de Jérôme Colombani intitulé « Faut-il quitter les réseaux sociaux ? », qui opinent sur les dérives et abjections induites par les réseaux sociaux que l’auteur qualifie de fléaux, le philosophe Jean Gabriel Gnanascia, informaticien et chercheur en intelligence artificielle, montre qu’avec la dynamique des réseaux sociaux, les notions qui font la trame du tissu social se sont réécrites. Ces réécritures ont considérablement changé le visage de nos sociétés pour le meilleur lorsqu’elles favorisent un élan de solidarité de grande envergure, et pour le pire lorsqu’elles prennent ou même induisent de véritables menaces et vulnérabilités. Sur ces interfaces, ce sont des identités plurielles qui sont importés qui se côtoient tel une jungle. « Dans ce contexte la loi du plus fort ne s’impose plus par la force physique, mais par la persuasion, car sa logique est celle de l’information » (J. Colombain, 2019, p. 5).

Ainsi, les identités sociales les moins prépondérantes s’en trouvent vulnérables, on leur applique la loi, on les falsifie, on les contrefait et c’est justement la situation actuelle des identités sociales africaines. Ouverte, trop ouverte sur le monde, elles se sont diluées dans des usages et valeurs qui vont jusqu’à la négation du proprement soi. On aurait pu parler d’enrichissement des paradigmes identitaires africains si la quantité et la qualité d’altérité ingérée n’avait pas atteint l’ipséité des identités africaines.  On aurait parlé de métissage si l’essence identitaire des peuples africains s’était harmonieusement imbriquée aux valeurs et usages exogènes. Mais tel n’est pas le cas, car le métissage se distingue nettement du mimétisme et plus encore de la dépigmentation qui, à la base, posent des problèmes de crise identitaire, d’extraversion, de reniement de soi et plus encore. Aussi, en quelques années, « les réseaux sociaux sont devenus des réceptacles de bêtise, de haine et de violence verbale où l’irrationnel l’emporte souvent sur la raison » (J. Colombain, 2019, p. 12).

Par ailleurs, devenant des canaux d’information où circulent de vraies informations et des fakenews, les réseaux sociaux sont devenus des artisans d’opinions. Les Fakenews sont des fausses informations, des informations fallacieuses. Ils façonnent nos avis sur tel ou tel sujet. S’il est vrai qu’ils sont moins régulés que les médias classiques radio, télé, presse écrite, ils sont perçus comme moins à la solde des pouvoirs publics qui de plus en plus instrumentalisent l’information. Pour la démocratie, les réseaux sociaux paraissent aujourd’hui comme une véritable agora mondiale où se font les débats politiques et sociaux, certes pas toujours avec réserves et commodités, mais avec un certain engagement. La dimension pratique et servicielle des réseaux leur accorde une certaine valeur indéniable. Ils forcent l’individu à opiner, vue la difficulté à rester insensible à toutes ces thématiques qui irriguent la toile, ils rentrent aussi dans la formation de la personnalité vu qu’ils forcent l’individu à se conforter à la critique. Et puis, les tensions qu’on lui impute ne sont-elles pas la transposition des tensions inhérentes au monde réel des relations humaines ? Dans un monde plein de stress, les réseaux sociaux ne sont-ils pas aussi par leur contenu en humour et leurs contenus ludiques une sorte d’exutoire ? Il faut se rendre à l’évidence, malgré l’autodafé que l’on s’est de plus en plus accoutumé à faire des réseaux sociaux, ils recèlent bien de vertus et de bienfaits. On y trouve bien d’éléments qui enrichissent notre quotidien. Alors la déconnexion n’est sans doute pas le remède à la crise identitaire que traverse l’Afrique. Tout de même, les valeurs africaines sont de plus en plus automatisées et fragmentées, l’humain africain est de plus en plus dilué dans ce tohu-bohu de paradigmes.

L’hyper connexion et la déconnexion sont toutes des extrêmes inopérants, car comme l’a dit Aimé Césaire dans sa lettre à Maurice Thorez : « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel ». Les identités sociales africaines ne peuvent donc au prétexte de vouloir se maintenir opter pour un repli vis à vis des réseaux sociaux en optant pour la déconnexion, car l’identité sociale en tant que donnée dynamique doit s’ouvrir à l’avenir en vue de se former en se réformant. De même, l’hyper connexion comme ouverture béante ne peut aboutir qu’à une fragmentation de ces d’identités. Alors toute conscience, individuelle ou collective, pour ne pas se diluer dans la rencontre avec les altérités, requiert cette propriété foncière de la conscience consistant en ce mouvement actif, de sélection de choix et d’intention. En se projetant dans la relation avec l’autre que soi, la conscience pour préserver son ipséité doit procéder à une sélection après examen des pans de l’altérité auxquels elle pourrait s’ouvrir, choisir ces paradigmes qui s’enchevêtrent avec son ipséité pris toujours comme un projet intentionnel.

Conclusion

L’élan de l’homo habilis, devenu homo sapiens, et aujourd’hui tendant vers l’homo numericus, pour reprendre les termes de Daniel Cohen, est l’expression florissante de la loi du devenir héraclitéen s’appliquant à la réalité humaine. Ne pouvant s’y soustraire, l’Africain en particulier et les sociétés africaines en générale ont le défi de s’adapter à cet évolutionnisme darwinien qui, nous le savons, épargne non pas les d’espèces les plus fortes mais plutôt celles qui savent s’adapter. Cette adaptation consiste d’abord pour les identités sociales africaines à s’ouvrir délicatement au flux d’altérités qui fulmine sur les réseaux sociaux, car toute identité n’est non pas statique mais dynamique. Ensuite les consciences individuelles et collectives des africains doivent s’approprier cette propriété foncière de la conscience qui consiste à rester toujours active travaillant toujours à sélectionner, et choisir suivant un certain projet intentionnel pensé par eux-mêmes. Ainsi, entre altérité et ipséité, l’état hybride dans lequel se retrouvent les sociétés africaines doit progresser et s’achever en portant en lui tout ce qui est enrichissant dans la mondialisation des TIC.

Références bibliographiques

ATTALI Jacques, 2021, Histoire des médias, Des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après, Paris, Éditions Fayard.

COLOMBAIN Jérôme, 2019, Faut-il quitter les réseaux sociaux ?, Paris, Editions Dunod.

COMTE-SPONVILLE André, 2013, Dictionnaire philosophique, Paris, Quadrige PUF.

DUBREUIL Laurent, 2019, La Dictature des identités, Paris, Éditions Gallimard.

FLYE Sainte Marie Bénédicte, 2020, Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux, Paris, Éditions Michalon.

KI-ZEBO Joseph, 2019, Repères pour l’Afrique, Éditions Panafrika / Silex / Nouvelles du Sud.

MAALOUF Amin,1992, Les identités meurtrières, Paris Éditions Grasset.

SARTRE Jean-Paul, 1947, Situations1, Essais critiques, Paris, Éditions Gallimard.

STENER Christophe, 2016, Dictionnaire politique d’Internet et du numérique, Les 66 enjeux de la société numérique, Paris, La Tribune,

VALERY Paul, 2016, Tel quel, Paris, Éditions Gallimard.

LA FACTURE DES RÉSEAUX SOCIAUX EN AFRIQUE : DE L’AVENTURE DE L’IDENTITÉ À LA SOCIABILITÉ PATHOLOGIQUE ?

Kouadio Victorien EKPO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

kouadioekpo@yahoo.fr

Résumé :

La question de l’identité et de la sociabilité de l’individu se posent dans une société africaine de plus en plus attachée aux réseaux sociaux. Ces réseaux façonnent, de façon inédite, la construction de l’identité du sujet en interrogeant la normalité et le pathologique dans le processus de sa socialisation. Les écueils de la société « réelle » jugés anormaux sont parfois jugulés par des individus à travers les réseaux sociaux qui génèrent leurs propres maux relatifs à la sociabilité. La facture des réseaux sociaux, au-delà de leur aspect économique, a des élans identitaires et sociaux. Elle contribue à la construction du lien social soit, à travers la normalité soit, par le désordre. Dans cette logique, ce texte a pour objectif d’évaluer la sociabilité « concrète » et la sociabilité virtuelle fondée sur les réseaux sociaux en vue de comprendre leurs impacts sur l’identité du sujet. En scrutant les fondements des sociabilités et en combinant les approches historique, comparative et critique, ce texte propose une construction de la sociabilité intégrant les réseaux sociaux pour que ceux-ci ne soient pas toxiques pour l’individu et la société. Il est question d’envisager une relation axiologiquement marquée par les réseaux sociaux pour qu’ils contribuent à une meilleure socialisation du sujet.

Mots clés : Éthique, Identité, Pathologique, Réseaux sociaux, Sociabilité.

Abstract:

The question of individual identity and sociability arises in an African society increasingly attached to social networks. These networks shape the construction of the subject’s identity in an unprecedented way by questioning normality and the pathological in the process of their socialization. The pitfalls of “real” society deemed abnormal are sometimes curbed by individuals through social networks who generate their own ills relating to sociability. The bill for social networks, beyond its economic aspect, has identity and social impulses. It contributes to the construction of social bonds either through normality or through disorder. In this logic, this text aims to evaluate “concrete” sociability and virtual sociability based on social networks with a view to understanding their impacts on the identity of the subject. By examining the foundations of sociability and combining historical, comparative and critical approaches, this text proposes a construction of sociability integrating social networks, so that they are not toxic for the individual and society. It is a question of considering an axiologically marked relationship with social networks so that they contribute to better socialization of the subject.

Keywords : Ethics, Identity, Pathological, Social Networks, Sociability.

Introduction

La dynamique de la technique contemporaine, sous ses multiples aspects, n’épargne aucun continent. L’Afrique est interpelée par cette dynamique qui redistribue les cartes de l’identité et de la sociabilité, notamment avec les réseaux sociaux. Ceux-ci peuvent contribuer au délitement des liens sociaux dans les communautés africaines. La société « réelle » comporte ses normes et contraintes qui ne sont pas toujours acceptées par les humains. Face au refus de la tyrannie de cette société, des individus se créent une identité ou une sociabilité-refuge avec les réseaux sociaux pour espérer plus de liberté.

Le malaise de la sociabilité « réelle » conduit des personnes à une sociabilité virtuelle qui comporte des normes plus souples et plus de liberté. Cette sociabilité fondée sur les réseaux sociaux a introduit de profondes mutations dans les fondements de la socialisation traditionnelle qui s’engage sur des frontières inédites. L’identité et la sociabilité qui sont essentielles à tous les êtres humains peuvent prendre des formes normales ou pathologiques dans le monde des réseaux sociaux gouverné dans une large mesure par le virtuel. Ces réseaux peuvent renforcer l’identité du sujet et sa sociabilité en maintenant en éveil leurs fondements.

Cependant, les identités virtuelles peuvent avoir des incidences négatives sur la socialisation du sujet en favorisant par exemple son isolement et la rupture des liens sociaux dans la société concrète. Dans ces conditions, la modulation de l’identité par les réseaux sociaux favorise-t-elle une sociabilité normale du sujet ? Pour instruire cette question centrale, notre texte a pour objectif d’évaluer la sociabilité « concrète » et la sociabilité par les réseaux sociaux en vue de comprendre leurs impacts sur l’identité du sujet. En inspectant les fondements du vivre-ensemble, et en combinant les approches historique, comparative et critique, notre analyse permettra de vérifier l’hypothèse suivante : il est possible d’envisager une sociabilité intégratrice des réseaux sociaux pour que ceux-ci ne soient pas toxiques pour le vivre ensemble.

L’analyse de cette hypothèse est orientée par les questions subsidiaires suivantes : comment les réseaux sociaux ouvrent-ils de nouveaux horizons à l’identité et à la sociabilité ? Quelle est leur facture sociale ? Quelle identité pour quelle sociabilité de l’individu à l’ère des réseaux sociaux ?

1. Les réseaux sociaux et les nouveaux horizons de l’identité et de la sociabilité

Nous sommes dans un univers socio-technicien qui a ses exigences relatives à la construction de l’identité et de la sociabilité. Cet univers questionne en direction des fondements, de l’aventure de l’identité et de la vie sociale qui s’inscrivent dans de nouveau champ d’intellection.

1.1. Fondements de l’identité et de la sociabilité

L’identité peut être un facteur d’exclusion, d’intégration ou de reconnaissance sociale. Elle est liée à la fois à notre configuration biologique et à une construction sociale. Elle a une essence multifactorielle avec des aspects stables et dynamiques.

Nous ne sommes pas seulement identifiés par un nom, une date et un lieu de naissance, mais aussi par nos appartenances à différents groupes nous appartenons à une génération, nous sommes habitants d’une ville ou d’une région, nous travaillons dans une entreprise ou une administration, nous sommes parents d’élèves, nous sommes citoyens d’une nation (…). Grâce à ces identités multiples, à ces appartenances multiples, nous pouvons tisser des liens avec d’autres, avoir des échanges, mener des activités communes (M. Bertrand, 2022, p. 141).

Il y a des identités stables auxquelles viennent se greffer des identités provisoires ou mutantes. Je demeure par exemple la même personne, mais mes identités professionnelle et physique peuvent changer tout au long de ma vie. La construction de l’identité détermine le niveau de sociabilité de la personne. Toutefois, la vie sociale est susceptible de moduler l’identité pour qu’elle ne soit pas distorse. Cette modulation commence par l’éducation qui est l’un des fondements du lien social. Elle organise la reconnaissance du sujet pour prévenir sa marginalisation par la réduction ou la suppression sa vulnérabilité. « La vulnérabilité humaine s’exprime en de multiples formes mais celle qui relève de la relation, si elle ne devient pas objet de conscience, si on ne sait pas la gérer ni l’élaborer, débouche vite dans un individualisme cynique, dans une marginalisation sociale » (P. A. Cavaleri, 2018, p. 87). La vulnérabilité et la lutte pour la reconnaissance qui lui est consécutive peuvent façonner l’individu dans le sens de l’individualisme pathologique et une asociabilité. La rencontre avec l’autre influence aussi bien positivement que négativement notre vulnérabilité et sociabilité.

La sociabilité a pour fondement la capacité de vivre en société avec les autres de façon pacifique. Elle crée des liens sociaux à travers des réseaux de relations avec nos semblables, des groupes d’intérêts ou communautés. Elle exige des interactions et des échanges réciproques, la coopération entre les sujets. La vie sociale exige la formation et l’information qui peuvent se concrétiser de façons multiples dans les sociétés technoscientifiques contemporaines. « L’homme a besoin de trouver sa place dans la société (…). Cela implique qu’il doive se tenir informé de ce qui se passe autour de lui, dans le monde, pour être dans le jeu, dans la danse » (S. Montevrin, 2019, p. 13). Les réseaux, lorsque nous faisons l’impasse sur les fake news, participent à la sociabilité du sujet en lui fournissant des informations relatives au monde dans lequel il vit pour mieux orienter ses décisions. Ils suppriment des barrières géographiques, créent des communautés transgéographiques pour libérer des individus de l’isolement. Ils produisent, autrement, le lien social.

L’identité du sujet s’inscrit dans de nouvelles frontières cognitives et comportementales avec les réseaux sociaux qui phagocytent de façon presque irrésistible les assises de la personnalité des individus et les relations sociales qui lui sont solidaires. Les réseaux engagent l’identité et la sociabilité dans une aventure inédite.

1.2. Les aventures de l’identité et de la sociabilité à l’ère des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont tendance à créer un univers qu’on peut qualifier de village planétaire, avec l’interconnexion qui offre une autre dimension aux relations interhumaines. Ces réseaux sont « des réseaux communautaires ; il s’agit d’infrastructures en ligne permettant de relier des personnes physiques et/ou morales entre elles afin de créer des échanges et d’engendrer des interactions » (S. Montevrin, 2019, p. 8). Les réseaux sociaux favorisent diverses interactions avec la voix, l’écriture ou des images grâce à la mise en ligne. Ils comportent des espaces privés, avec des possibilités d’anonymat. Ils manipulent les relations intersubjectives avec des moyens modernes. Selon R. Potier (2012, p. 98), « l’expérience consacrée par les réseaux sociaux confine le sujet dans un rapport à l’altérité tout à fait singulier et nouveau, portfolio de collections d’amis, venant signifier une popularité, une identité numérique ». La relation à autrui trouve d’autres cadres d’expression avec ces réseaux qui ne sont pas socialement neutre. Les réseaux sociaux sont désormais une alternative d’expression de soi et d’échange avec les autres. Ils sont une pratique sociale adulée par la population, surtout par les jeunes.

L’utilisation d’internet s’inscrit dans les nouveaux modes de sociabilité des jeunes : quatre sur cinq d’entre eux utilisent la toile, souvent ou très souvent, pour discuter, participer à des forums ou chater, alors qu’un sur deux rédige ou consulte, souvent ou très souvent, ses courriels. Si l’on ajoute à ces modes de communication la téléphonie, fixe ou mobile, il est possible de confirmer le besoin très fort des jeunes d’être en lien avec leurs pairs (C. Louacheni, L. Plancke et M. Israël, 2007, p. 174).

La dimension virtuelle des liens sociaux a une place prépondérante dans les pratiques sociales contemporaines. Les dynamiques de l’identité et de la sociabilité sont déterminées par des facteurs virtuels qui peuvent l’accélérer, l’empêcher ou la freiner. La fabrique de la personnalité fait que l’identité devient un marché. Sa construction via les réseaux peut avoir un coût économique. Nous pensons, notamment, aux influenceurs et à l’usage des données personnelles avec la publicité personnalisée. Les réseaux sociaux offrent des espaces d’affirmation et de présentation de soi : « les profils des utilisateurs (…) sont autant de projections de soi que de facettes expérimentées de son identité » (A. Gozlan, 2022, p. 403). Les médias sociaux créent un alter ego numérique qui serait l’incarnation ou le prolongement virtuel de l’identité du sujet. Désormais, la sociabilité réelle a des tentacules dans la communauté virtuelle, fantôme ou fictive.

Le sujet des réseaux sociaux s’identifie à un groupe, une famille, une association en fonction de la finalité du groupe. Ainsi, il se sent épanoui lorsqu’il est ajouté au groupe qu’il désire, parce que cela lui confère la qualité de membre de cette microsociété. Nous pouvons toutefois nous interroger avec T. Magnin (2017, p. 284) de la façon suivante : « la convergence internet et les réseaux sociaux favorisent-ils une montée de conscience générale, une nouvelle fraternité et une plus grande union de l’humanité ? ». Cette question majeure invite à évaluer les réseaux sociaux qui ont une facture qui mérite d’être payée.

2. La facture des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont modifié en profondeur les relations de l’humain à la technique, à lui-même et à la société. L’impact des diverses modifications constitue la facture à payer par l’individu et la société dans son ensemble. La facture correspond au prix à payer pour un service sollicité ou pour l’achat d’un bien. Elle peut également provenir d’une activité dont nous ne sommes pas directement responsables ou des dommages qui nous incombent.

La facture des réseaux sociaux concerne aussi bien ses risques que ses bénéfices qui exigent respectivement un coût à honorer. Il est difficile de tracer une ligne de démarcation entre les coûts social, éthique, identitaire et économique au regard de leur imbrication à la sociabilité.

2.1. Par-delà le bien et le mal : la défaite ou l’éclipse de l’identité

La quête de l’identité est essentielle à tout individu parce qu’elle concourt à sa reconnaissance. Dans les sociétés africaines traditionnelles, la personnalité du sujet était façonnée en marge d’internet. Les cadres de sociabilité traditionnels et l’identité qui l’accompagne s’inscrivent dans une dynamique avec les réseaux sociaux qui créent des identités métastables. L’identité psychologique des acteurs des réseaux sociaux est mise à rude épreuve à travers une pléthore d’informations et d’influences de diverses ordres. Cette réalité est mise en évidence par C. Rubiliani (2022, p. 88) en ces termes :

Si les réseaux sociaux et les diverses plateformes en ligne peuvent offrir d’intéressantes sources de communication et d’échanges (…) ils sont aussi le vecteur moderne privilégié de multiples manipulations mentales. N’ont-ils pas généré le métier « d’influenceur » ? (…). Le fonctionnement algorithmique des principaux réseaux sociaux induit une réduction de l’esprit critique.

La facture des réseaux sociaux s’exprime en termes d’influence du réseau qui sert de médiation à ses acteurs. L’influence implique, entre autres, la soumission et la manipulation. Elle relève de la vulnérabilité de l’individu qui la subit, même s’il peut l’accepter volontairement. Suivant S. Laurens (2005, p. 83), l’influence « n’est pas primitivement et fondamentalement ce qui aliène ou anéantit l’individu, elle est d’abord ce par quoi la relation à autrui s’établit et ce par quoi l’individu se construit ». Les réseaux sociaux produisent une situation d’influence à la fois liée au rapport entre les médias et l’audience, mais aussi entre les individus et la communauté virtuelle.

Les influenceurs impactent souvent le comportement, la pensée et le mode d’être des individus qui veulent les ressembler. Cela se traduit à travers leurs attitudes dans la société. Les influenceurs se situent dans la logique du bazar de leur identité, ce d’autant que leurs activités est une source de revenue économique. « La multiplicité des publications au quotidien de l’influenceur donne l’illusion au follower de le côtoyer et de le connaître alors que la source de l’influence demeure lointaine et sans aucune réciprocité » (A. Gozlan, 2022, p. 410). L’asymétrie de la relation entre l’influenceur et les folowers ne crée pas une véritable sociabilité. Les liens sont tronqués et illusoires lorsqu’on quitte le monde virtuel. En outre, la facture des réseaux sociaux peut être liée à un conflit entre les jeunes qui sont plus nombreux à utiliser les réseaux et les anciennes générations qui les utilisent moins.

[Cependant], le problème des nouvelles technologies n’est plus aujourd’hui une fracture sociale, ni même une fracture générationnelle. C’est celui d’une fracture d’usage entre d’un côté des usagers qui sont capables de prendre du recul par rapport à ces nouvelles technologies, et d’un autre côté des usagers qui en sont incapables (S. Tisseron, 2012, p. 54).

Les réseaux sociaux créent une dépigmentation cognitive. Ils ont des effets indésirables préjudiciables à la construction des identités cognitive et sociale qui requièrent une délibération éclairée des sujets. La crise de cette délibération favorise la prolifération des fakes news qui sont une menace pour la construction de l’identité psychologique des personnes qui les acceptent sans un regard critique. En fait, « à force d’être aveuglé par les multiples facilités que nous procurent les GAFA (…), le risque s’installe souterrainement de ne plus voir la dépossession de nos décisions, de nos actions, de nos idées, de nos pensées jusqu’à la dépossession de nous-mêmes » (F. Forestier et F. Ansermet, 2021, p. 133). La conscience et la volonté qui lui est solidaire sont perturbées par les réseaux sociaux sous le voile d’une pseudo-liberté. Selon les propos de C. Rubiliani (2022, p. 89),

Au-delà de la culpabilisation et de l’intimidation, l’arme la plus meurtrière des réseaux sociaux est le fake new. On sait malheureusement, et statistiquement, qu’un mensonge simpliste a sept fois plus de diffusion sur le Net qu’une vérité forcément complexe. Le système de tri algorithmique amplifiant cette désinformation (…). Les réseaux dits sociaux deviennent alors les vecteurs de la contagion virale d’une mode destructrice.

L’identité construite sur la base de fausses informations est un terreau favorable pour la sociabilité pathologique. Les infox diffusées à travers les réseaux sociaux sont plus perverses que les rumeurs traditionnelles, puisque le pouvoir d’auto légitimation et la confiance placée en ces réseaux fait que l’esprit critique de la plupart des usagers est inhibé. Peut-on construire une identité fiable sur la base de fausses informations ? N’est-ce pas que la qualité des informations favorise la construction d’une identité viable et non illusoire ? La sincérité ou la vérité de l’identité des acteurs des réseaux sociaux est souvent illusoire ou fictive. Au total, les réseaux sociaux ont un véritable impact sur les identités psychologique, cognitive et sociale des individus. Ils renouvellent et/ou prolongent des aspects de la personnalité, de la sociabilité traditionnelle. Ils comportent des germes d’une vie sociale pathologique.

2.2. La sociabilité des réseaux sociaux : vers une sociabilité pathologique ?

Il y a un prix à payer pour l’usage des réseaux sociaux, outre l’aspect économique la facture est relative à la sociabilité. « Les technologies actuelles de communication dessinent de nouvelles façons d’être ensemble, et la famille en est la première touchée. Mais, ces bouleversements affectent aussi en profondeur l’identité, la perception d’autrui, la relation aux images et aux apprentissages » (S. Tisseron, 2012, p. 49). Les réseaux sociaux ont une influence significative sur les cadres traditionnels de la sociabilité. Ils les intègrent en créant des désordres dans leurs structures habituelles.

Ils génèrent une dépendance parfois pathologique de sorte que le sujet pris en otage n’arrive plus à construire une vie sociale normale. L’addiction aux réseaux sociaux devient une maladie : « cette passion devenant de plus en plus obsédante implique, dès lors, un nombre croissant d’heures passées devant un écran et ce, au détriment d’autres investissements sociaux et affectifs » (C. Louacheni, L. Plancke et M. Israël, 2007, p. 155). La cyberdépendance traduit la difficulté à contrôler ses impulsions ainsi que l’incapacité à se déconnecter d’internet au détriment de l’attachement à la société non virtuelle et aux autres. La sociabilité virtuelle favoriserait une insociabilité factuelle source d’isolement du sujet dans la société concrète. Le corps concret du contact présentiel disparait au profit d’un corps image dans le monde numérique. Il ressort que « chacun est seul tout en pensant n’être pas seul. Une illusion de connexion, qui laisse chacun isolé. Chacun est là sans être là » (F. Forestier et F. Ansermet, 2021, p. 47). La consolidation du lien social est questionnée par le virtuel qui comporte une part d’illusion de la liberté. L’autonomie du monde virtuel peut isoler le sujet devant son écran, ce qui est contraire aux exigences du vivre ensemble. La dépendance du virtuel fragilise les liens sociaux en augmentant l’empire de la solitude et l’insécurité psychologique.

L’identité du sujet est modulée sous ses différents aspects par le virtuel. Lorsque nous nous référons au corps, il est mis entre parenthèses dans le cyberespace. En effet, « le cyberespace est un monde où tout est possible et rien n’a des conséquences définitives. C’est d’ailleurs l’effacement de la matérialité du corps qui rend possible toute sorte de transformation et d’action de la part des avatars » (M. Marzano, 2013, p. 26). Le cyberespace déconstruit les contraintes spatio-temporelles liées au corps. Contrairement à la réalité, les violences et/ou blessures corporelles sont réversibles dans le monde virtuel. Le corps et sa vulnérabilité sont essentiels à la sociabilité et à la solidarité entre les individus. Sa suppression à travers le virtuel, au sein duquel les vulnérabilités corporelles sont réversibles et sans conséquences réelle, peut formater autrement la conscience du sujet vis-à-vis de la vulnérabilité corporelle commune à l’humanité et qui exige l’empathie.

Avec les sites de rencontres, on échange par la médiation des écrans, sans une présence véritable du corps. « Alors que l’anonymat est de mise (…) et que les corps sont absents (…), on joue à la fois avec soi-même et avec l’autre (…). Protégé par l’écran, cependant, on finit pour ne plus rencontrer personne. Car la réalité du contact est effacée (…). Le plus souvent quand la rencontre a lieu, on est extrêmement déçu » (M. Marzano, 2013, p. 28). La rencontre réelle crée des désillusions parce que le personnage « image » devient un être incarné avec une présence corporelle qui a ses qualités et ses défaillances. Finalement, n’est-ce pas les GAFA qui déterminent la sociabilité et la liberté sociale ? Faut-il laisser libre cours aux réseaux sociaux qui altèrent notre liberté avec une incursion dans notre vie privée ? Comment envisager alors la liberté et la responsabilité du sujet, surtout quand il a une sociabilité distorse ?

3. Quelle identité pour quelle sociabilité de l’individu à l’ère des réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux sont un Pharmakon de l’identitédans la sociabilité contemporaine. Ils contribuent à la construction d’une culture de la citoyenneté. S’ils sont susceptibles de fragiliser l’identité et la sociabilité, ils peuvent aussi la consolider.

3.1. Les réseaux sociaux : vers une reviviscence des liens sociaux

Dans une société dynamique et un environnement hypermobile, les réseaux sociaux contribuent au maintien des liens sociaux noués en présentiels. Ils les vivifient en évitant la rupture liée à la diaspora. Nous sommes à l’ère d’une sociabilité connectée créant une humanité digitale. Il est question de garder les liens avec le pays d’origine, les amis, la famille… Ces réseaux favorisent une continuité dans la sociabilité pour éviter qu’elle soit diluée. « Dans le cas des relations initiées « hors ligne », c’est-à-dire entre des interlocuteurs qui se connaissent déjà, Internet est plutôt un moyen de garder le contact plus régulièrement, et donc d’intensifier la relation, entre les sessions téléphoniques ou les rencontres de visu » (A. Hérault, P. Molinier, 2009, p. 19).

La sociabilité en ligne serait au service de la consolidation des relations sociales nouées en présentiel. Elle est la gardienne de celles-ci, ce d’autant qu’elle veille à leur pérennisation pour éviter que la distance et le temps les gangrènent. Les liens du virtuel créent des espaces où les acteurs peuvent se rendre des services réciproques en fonction de leurs besoins : « avec le web collaboratif, les liens sont élastiques et ils se définissent surtout par leur caractère d’« activabilité ». Ce qui est important ce n’est pas que les liens soient forts mais qu’ils puissent être utilisés en cas de besoin » (S. Tisseron, 2012, p. 51).

Les contraintes spatio-temporelles sont brisées et le sujet a la possibilité d’interagir et de présenter une requête en un clic à de nombreuses personnes conformément à l’étendue de son réseau d’amitié. Le contact n’est plus seulement un contact physique mais virtuel. Les réseaux sociaux viennent enrichir l’identité du sujet et les espaces de sa socialisation. Il est indispensable d’identifier les possibilités de la sociabilité virtuelle qui peuvent être une source de sociabilité déviante et les usages qui consolident l’intégration sociale du sujet. Cette ambivalence des médias sociaux est présentée par M. Broutin (2012, p. 30) comme suit :

La question des réseaux de socialisation, dans sa dynamique et sa complexité, n’est pas synonyme de délinquance. Avec leurs forces positives et négatives, les processus affinitaires permettent les identifications horizontales qui peuvent être ressources (comme chercher du travail ensemble) mais qui peuvent également comporter des dérives comme la constitution de “bandes”.

Les réseaux sociaux ne sont pas essentiellement toxiques pour la société. Il est alors indispensable de créer les conditions viables pour une construction de l’identité et de la sociabilité qui les intègre.

3.2. Pour une identité et une sociabilité axiologiquement orientée à l’ère des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux, malgré leurs velléités de déconstruction de l’identité et de la sociabilité, méritent une attention particulière pour leur intégration pacifique dans la société africaine où leur usage gagne de plus en plus du terrain dans les interactions sociales. Il est essentiel d’identifier les possibilités de socialité déviantes et celles qui consolident l’intégration sociale du sujet.

Les réseaux sociaux créent et vivifient le vivre ensemble lorsqu’ils sont utilisés de façon raisonnable. Toutefois, leur mésusage est toxique aussi bien pour le sujet que pour la société, parce qu’il fait le lit d’une sociabilité pathologique. Pour établir la reliance viable entre la sociabilité « réelle » et celle réalisée par les réseaux sociaux la quête d’un équilibre devient indispensable. Pour réussir cela, l’esprit critique doit orienter les relations du sujet à ces réseaux. Dans cette logique, les États africains, ne doivent pas se contenter de réprimer les déviations, surtout criminels, de leur usage. Ils doivent créer les conditions d’une appropriation de la culture des réseaux sociaux. Cette culture permettra d’expliquer aux individus le fonctionnement des réseaux sociaux, leurs avantages et risques sur l’identité et la sociabilité. Cette culture doit être diffusée à travers l’enseignement dans les écoles et dans les médias grâce à des émissions dédiées.

Contre le culte du FOMO qui réside, selon S. Montevrin (2019, p. 23-24), dans « la « peur de rater quelque chose » (…) de manquer le sujet dont tout le monde va parler (…), l’actu à ne pas rater sous aucun prétexte », le JOMO doit être cultivé. En effet, « le JOMO (joy of missing out), c’est-à-dire le « plaisir de manquer quelque chose » », (S. Montevrin, 2019, p. 24), invite le sujet à accepter de rater des choses. Ce dernier doit être capable de se déconnecter de temps en temps des réseaux pour éviter l’addiction et l’isolement. Il doit être capable de se déconnecter pour se ressourcer sans que cela soit une source de complexe.

La socialisation est influencée par l’environnement de l’individu qui peut être favorable ou défavorable. Dans les sociétés contemporaines, envisager la socialisation en marginalisant les réseaux sociaux serait une cécité sur le développement de ces réseaux qui influencent profondément les relations intersubjectives.

Conclusion

Les réseaux sociaux ont un impact sur l’identité des sujets et les sociétés africaines qui sont prises dans l’engrenage de la mondialisation de la technique qui introduit des bouleversements dans les sociétés qui l’accueillent. En prenant acte de la facture identitaire et socio-économique des réseaux sociaux en Afrique, nous comprenons qu’ils créent et vivifient les liens sociaux lorsqu’ils sont utilisés de façon raisonnable. Toutefois, leur mésusage est toxique aussi bien pour le sujet que pour la société, parce qu’il fait le lit d’une sociabilité pathologique. Pour établir une reliance viable entre la sociabilité « réelle » et celle réalisée par les réseaux sociaux, la quête d’un équilibre devient indispensable. Pour réussir cela, l’esprit critique doit être l’élément indispensable qui oriente les relations du sujet à ces réseaux. Ce dernier doit être capable de se déconnecter de temps en temps de ces réseaux en vue d’éviter l’addiction et l’isolement.

En considérant que les réseaux sociaux ne sont pas essentiellement néfastes à l’expression de l’identité et à la sociabilité des individus, il est nécessaire de construire une sociabilité qui les intègre. Vouloir les marginaliser dans la construction de l’identité du sujet et sa socialisation relève d’une cécité sur leur contribution à la sociabilité. Ce qui reste à faire est de surmonter de façon raisonnable leurs écueils.

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LE TÉLÉPHONE PORTABLE, UN INSTRUMENT DE TENSION              ENTRE L’ÊTRE ET LE PARAÎTRE

Bernadette GANSONRE

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

bgansonre@gmail.com

Résumé :

L’apparence a de tout temps été un élément très capital dans la vie sociale. Soignez son aspect physique devient alors nécessaire, car avoir une bonne physionomie permet de véhiculer une bonne image de soi et est donc un gage de bien-être. Tous les moyens sont par conséquent déployés par l’homme pour soigner cette apparence : l’hygiène corporelle, étude du style et de l’habillement, le recours aux accessoires de beauté, etc. Aujourd’hui, le téléphone portable par ses multiples fonctionnalités constitue un instrument essentiel qui contribue à forger davantage l’estime de soi, car la caméra que loge le téléphone peut perfectionner l’image d’une personne qui, à son tour est gratifiée par des « likes » et des commentaires appréciatifs et rassurants. L’on pourrait, a priori, admettre que le téléphone portable se révèle être un instrument qui forge l’estime de soi puisqu’il plonge l’individu dans un monde illusoire où tout lui semble parfait. Une méthodologie basée sur l’observation participante et non participante montre bien à fortiori que l’espace virtuel tenu par les réseaux sociaux est source d’une baisse de cette confiance en soi. Cet article examine comment d’une part, le téléphone portable aux caméras soignées intensifie le « narcissisme grandiose » et d’autre part comment ce narcissisme devient « vulnérable ». Autrement, il s’agit de la description de la tension entre l’être et le paraitre, l’illusion et la désillusion.

Mots clés : Estime de soi, Être, Illusion, Paraitre, Téléphone portable

Abstract:

Appearance has always been a key factor in social life. Taking care of one’s appearance has become a necessity, because a good appearance conveys a well-groomed image of oneself, and therefore a guarantee of well-being. Every means is therefore deployed by man to take care of his appearance: body hygiene, study of style and clothing, use of beauty accessories, etc. Nowadays, the cell phone, with its many functions, is an essential tool that helps to build self-esteem, as we know very well that the camera housed in the phone can perfect a person’s image, which in turn attracts “likes” and appreciative, reassuring comments. So, on the face of it, the cell phone is a tool for building self-esteem, since it plunges the individual into an illusory world where everything seems perfect. A fortiori, however, the virtual space held by social networks is a source of declining self-esteem. This article examines how, on the one hand, the cell phone with its neat camera intensifies “grandiose narcissism” and, on the other, how this narcissism becomes “vulnerable”. In other words, it’s a description of the tension between being and appearing, illusion and disillusionment.

Keywords : Appearance, Being, Illusion, Mobile phone, Self-esteem.

Introduction

La célèbre affirmation « L’enfer, c’est les autres ! » de Jean Paul Sartre prononcée par un protagoniste dans sa pièce théâtrale (Huis clos, 1944) est une formule sentencieuse qui traduit l’image que chacun se construit de lui-même au travers du regard des autres. En ce moment, l’homme est un reflet et personne n’a d’identité propre qui soit isolée des interactions sociales et du milieu dans lequel il vit. C’est pourquoi l’apparence a toujours été un élément très capital dans la vie sociale dès lors que l’homme se définit par rapport à l’autre. Alors, soignez son aspect physique devient nécessaire, car avoir une bonne physionomie permet de véhiculer une bonne image de soi, donc un gage de bien-être. Aider l’homme à prendre soin de son apparence est l’une des stratégies exploitées pour rendre attractif l’un des produits de la technologie qu’est le téléphone portable : perfectionner au fil de l’eau la caméra du téléphone, créer des mécanismes (applications) pour embellir des images sont, entre autres, des stratégies déployées pour faire miroiter et convoiter cet outil s’agissant particulièrement de la génération tête baissée, de la génération Z et de la génération Alpha.

Ainsi, aujourd’hui le téléphone portable est un outil que la jeune génération utilise pour s’affirmer dans un monde virtuel. Partant de ce postulat, nous formulons la première hypothèse selon laquelle le téléphone portable, utilisé pour accéder aux plateformes sociales est un vecteur essentiel qui forge l’estime de soi. Les belles images bien taillées au goût de chacun, postées sur les réseaux sociaux attirent le maximum de messages valorisants. Ces appréciations aux multiples facettes sont des éléments qui mettent en exergue « le sentiment de confiance, la connaissance de soi, le sentiment d’appartenance à un groupe et le sentiment de compétence » (Germain Duclos, 2000, p. 115), gage d’un épanouissement personnel et nécessaire pour survivre dans une société de plus en plus compétitive. En ce moment, l’enfer, ce n’est les autres comme l’avait signifié ce philosophe, « le paradis [plutôt], c’est les autres ». Cependant, ce n’est qu’un monde utopique. La deuxième hypothèse traduit donc notre perception du téléphone portable comme un instrument qui déconstruit l’estime de soi. Ces deux hypothèses secondaires fondent à titre d’hypothèse principale la tension entre l’être et le paraitre ; l’objectif général étant par conséquent de montrer en quoi le téléphone portable participe au développement dialectique du narcissisme grandiose et du narcissisme vulnérable.

1. Description du cadre théorique et méthodologique

1.1. Perspective théorique

La codification du titre de notre article donne une orientation sur le cadre théorique de notre analyse. Ainsi, parler de tension entre l’être et le paraitre dans le cas de l’usage du téléphone portable à travers les réseaux sociaux, c’est avoir recours à la sémiotique tensive balisée par Claude Zilberberg sous la collaboration de Jacques Fontanille. Inspirée de la sémiotique des passions, la sémiotique tensive est née à l’issue des limites affichées de la sémiotique de l’action qui mettait au cœur de sa sémantique la relation d’un sujet opérateur à une action qu’il accomplit ; autrement la relation conjonctive ou disjonctive entre un sujet et son objet.

L’analyse sémiotique pendant le structuralisme, période pendant laquelle la sémiotique de l’action avait atteint son apogée, en se préoccupant des transformations au sein du texte, a bien oublié les opérations préalables aux transformations qui permettent de localiser d’autres phases par lesquels le sujet passe avant d’effectuer l’action. La nécessité de passer à la sémiotique du sujet, ce que Jean-Claude Coquet qualifie de sémiotique subjectale pour interroger les phases « pré-modales » (selon Greimas et Fontanille) que le héros dans sa quête avait traversées avant de se conjoindre ou disjoindre à l’objet s’avère primordial.

Formulée autrement, la sémiotique structurale a longtemps écarté le sujet qui subit, car la narrativité qui constitue la théorie principale de la sémiotique objectale étudie l’action sans tenir compte de la passion du sujet. L’analyse serait alors partielle si elle se limite à l’objet. Cette insuffisance dans les analyses sémiotiques a motivé Jacques Fontanille, en collaboration avec Greimas, à reconfigurer les modes d’analyses sémiotiques dans Sémiotique des passions : Des états de choses aux états d’âme, un ouvrage publié en 1991.

Le titre déjà de l’ouvrage est révélateur : « Des états de choses », c’est-à-dire de la sémiotique de l’action, « aux états d’âme », à savoir la prise en compte du sujet, de ses émotions marquant une conciliation entre l’intelligible et le sensible posant ainsi le fondement de la sémiotique des passions.

Vers les années 80, Claude Zilberberg est l’un des acteurs essentiels de la refonte sémiotique qui introduira la sémiotique tensive sur les acquis de la sémiotique des passions dans quatre ouvrages : Essai sur les modalités tensives (Hadès Benjamins, 1981), Raison et poétique du sens (1988), Tension et signification (en collaboration avec Jacques Fontanille, Mardaga, 1998), Éléments de grammaire tensive (PULIM, 2006).

La réflexion zilberbergienne à travers le schéma tensif qui conduira notre analyse, instaure une tension du sens en accordant une place primordiale à l’affect, la tensivité étant le lieu où se rejoignent l’intensité au titre de la somme des états d’âme et l’extensité, celle des états de choses, entre l’intelligible et le sensible. Cela étant, un sujet peut se trouver dans un état de conflit par des valeurs négatives et/ou positives à un seul objet. L’espace tensif devient le lieu où ces deux forces contradictoires essaient de l’emporter l’une sur l’autre. C’est pourquoi la non-jonction du sujet avec son objet de valeur qu’il désire crée la tension chez le sujet.

Le schéma tensif est composé de deux « valences », c’est-à-dire deux dimensions : l’intensité et l’extensité. En effet, l’extensité est une étendue à laquelle s’applique une intensité. Les deux valences relèvent du quantitatif, du mesurable : l’extensité relève du nombrable ; l’intensité, de l’indénombrable, mais quantifiable. C’est la corrélation entre ces deux axes qui forme le schéma tensif. Les valences connaissent chacune des variations dans leur force, sur une échelle continue allant de la force minimale à la force maximale (voire infinie) ; ce qui entraine quatre types de schémas tensif : l’ascendance, la décadence, l’amplification et l’atténuation.

Le recours à la sémiotique tensive comme approche théorique pour ce travail trouve du sens dans la mesure où l’usage du téléphone portable se révèle comme une sorte de tension. Si la tensivité s’intéresse à l’affect, aux émotions d’un sujet face à un objet, il faut noter que les jeunes qui constituent la population cible, une fois au contact de leur téléphone portable développent deux types d’états affectifs : tantôt des sentiments favorables à leur bien-être tantôt défavorables remettant en cause la confiance en soi.

1.2. Perspectives méthodologiques

Quelle méthodologie pour appréhender la tension entre le monde utopique dans lequel le téléphone portable plonge son usager par rapport à son monde réel ? L’observation participante et celle non participante sont les deux variantes choisies pour mesurer nos variables. Au titre de la première variante de l’observation, c’est-à-dire la non participante, l’espace virtuel à travers les réseaux sociaux est le lieu adéquat que nous avons défini pour mener notre étude dans la discrétion. Concrètement, il s’agira d’examiner, courant la période du mois de juin 2023, les photos postées par 20 filles (avec qui nous avons une familiarité) sur les plateformes Facebook, Messenger et WhatsApp. Le choix de ces trois réseaux parmi tant d’autres se justifie par le fait que nous n’utilisons que ces plateformes sociales. Cette méthode a pour but de faire une comparaison avec leur monde réel. Les portraits mis en vue sur les réseaux sociaux sont-ils en adéquation avec leur portrait physique dans la réalité ? Le style de vie ainsi que les apparences montrées sur les médias sociaux se révèlent-ils vraisemblables ? Cette approche nous permettra tant soit peu de mesurer le fondement de notre hypothèse formulée. Cependant, nous limiter à cette modalité d’enquête nous parait insuffisante, car elle n’exclut pas la subjectivité et la relativité. C’est pourquoi il nous semble pertinent de convoquer une seconde approche méthodologique pour combler les insuffisances de celle-ci.

Pour ce qui concerne la seconde variante (l’observation participante) qui est une posture qu’un chercheur adopte pour observer, écouter et « être avec » ses enquêtés dans le but de relever leurs faits et gestes significatifs minimisant les écarts entre leur dire et leur faire, nous empruntons les résultats de notre mémoire de thèse qui d’ailleurs a porté sur l’impact social de l’usage du téléphone portable en milieu jeune.

Cette méthode d’enquête basée sur l’observation participante concrétisée par la tenue d’une journée d’échange avec jeunes dénommée « Une journée sans téléphone portable » avait pour public cible les étudiants des universités publiques et privées de la capitale du Burkina Faso. Ces derniers étaient invités à changer tant soit peu leurs habitudes quotidiennes par la participation à une journée d’échange à la manière traditionnelle échelonnée de temps de divertissement. Les frais y relatifs (restauration, rafraichissement) étaient à notre charge. Un cadre très beau et très attrayant qui donne l’envie de se faire le maximum de selfies avec des amis pour en faire des statuts WhatsApp, Messenger et les garder soigneusement dans sa galerie était le lieu convenable à notre activité pour répondre aux objectifs de départ. Le cadre devra être a priori un hôtel luxueux ou un parc animalier très attrayant. Après investigation des espaces de réception en place, Club Hanane, sis à Ouaga 2000 dans la ville de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, est lieu qui répondait au mieux à nos critères.

Cependant, la condition donnant le droit de participation était bien évidemment la non-possession d’un téléphone portable. Faut-il mettre en évidence la question de savoir combien accepteront de telles conditions ? Des individus ayant pour habitude de manipuler leur téléphone portable pour la moindre occasion, se tailler des photos lorsqu’ils se sentent dans un environnement attrayant, comment se comporteraient-ils sans cet outil qui semble forger leur estime de soi ? Sont-ils conscients de l’ampleur de cette privation en donnant son accord pour prendre part à cette journée d’échange sans téléphone ? Vont-ils exprimer manifestement ce manque ? Autant de questions ont orienté la mobilisation de nos organes de sens, en l’occurrence l’ouïe (pour écouter leurs exclamations), la vue (pour observer leurs ressentis, leurs faits et gestes) pour l’atteinte des résultats que nous nous sommes fixés.

2. L’usage du téléphone portable, d’une stratégie à une forme de vie : la mode comme stratégie de manipulation et de convoitise

Des plans d’immanence définis par Jacques Fontanille, les stratégies occupent le cinquième niveau de pertinence selon l’ancienne configuration. Elles examinent la manière dont les acteurs s’adaptent au temps, à l’espace et aux pratiques déjà existantes ou non en fonction des situations et des conjectures. Elle est permanente, selon Yves Dakouo (2011), car « étant inhérente à la vie elle-même puisque l’individu ou le groupe doit constamment inventer des stratégies, c’est-à-dire des plans de conduite pour ne pas périr. » Par-là, nous nous rendons compte que les acteurs créateurs du téléphone portable et tous ceux qui participent à sa commercialisation et à sa réception sont constamment en quête de méthodes et de politiques pour faire maintenir le téléphone dans les pratiques quotidiennes de l’homme. Quelles en sont donc les stratégies déployées rendant son usage une nouvelle forme de vie ? Qu’est-ce qui le rend si attractif au point de lui attribuer un pouvoir transformateur presque incontournable ?

Le monde surtout urbain a une certaine passion pour la mode. L’histoire de l’humanité prouve que la mode a toujours compté. C’est une tendance qui touche de nos jours bon nombre de domaines, car elle relève de l’univers de la création ; en témoigne la modernité qui est une quête permanente. Elle joue un rôle capital pour les hommes dans l’estime de soi. Souvent associée au renouvellement, la mode est un indice qui indique l’appartenance sociale.

Ainsi, dans le souci de satisfaire et de répondre aux attentes des consommateurs qui sont attirés par de nouveaux produits, innovés avec des modèles de plus en plus améliorés et soignés, la mode ou, disons le renouvèlement des produits est la stratégie développée pour maintenir les consommateurs dépendants des produits.

Sur le plan technologique, cette stratégie a été utilisée pour rendre le consommateur dépendant des outils technologiques, notamment les smartphones, et le coup a bien réussi. Pour chaque marque de téléphone, une nouvelle version est mise sur le marché presque annuellement.

En termes de perfectionnement, il s’agit pour la plupart du temps des versions qui ne se distinguent pas assez des variantes précédentes. La différence peut se situer au niveau de la forme, mais le fond reste peu travaillé. Pourtant, les consommateurs ont une vive inclination pour ces nouvelles versions qui sont considérées comme les téléphones « à la mode » ; ils sont donc attirés par les nouvelles versions considérées comme le téléphone le plus moderne. Faut-il changer de téléphone chaque année pour chaque nouvelle version disponible dans le simple but de suivre la tendance ? La réponse à cette question est affirmative pour certains jeunes qui ont participé à nos entretiens.

En Afrique, particulièrement au Burkina Faso, certains produits technologiques tels que le réfrigérateur, le téléphone fixe et biens d’autres appareils ne bénéficient pas d’un renouvellement sauf en cas de panne. Mais le cas du téléphone cellulaire fait l’exception. En témoigne un enquêté qui soutient qu’« on n’a pas besoin qu’un téléphone se gâte avant qu’il soit changé. En deux ans, la version de ce téléphone est démodée et il faut le remplacer même si c’est par le troc. » D’autres enquêtés s’alignent également derrière cette idée. Par ailleurs, notre constat le confirme et pour le cas de certaines filles, une nouvelle version de téléphone est le cadeau le plus cher à leurs yeux à certaines occasions comme la célébration de la commémoration de leur jour de naissance ou le 14 février pris pour « la fête des amoureux ». L’on comprend aisément la baisse des prix de ces objets comparativement aux années antérieures : à partir du moment où les utilisateurs renouvellent régulièrement leurs appareils téléphoniques, le taux de vente est élevé.

La thèse des enquêtés se justifie aisément puisque ce qui est à la mode aujourd’hui passe à la trappe demain. Nous vivons dans un monde qui attache beaucoup de crédit à l’apparence et la tendance à juger une personne sur ce qu’il possède et ce qui l’entoure est perceptible. Ceci se confirme à travers les propos de cette étudiante : « J’ai honte de tenir mon Infinix hot 7 devant mes camarades. Dans notre groupe, tout le monde a un IPone 12 ». Infinix est une marque de smartphone dont le prix est largement inférieur à certaines marques de téléphone. Hot 7 était la version précédente au moment où nos entretiens s’effectuaient Et la nouvelle version était le 9. IPone est également une marque de téléphone portable, convoité par tous parce que c’est le téléphone le plus cher. C’est le type de téléphone doté d’une caméra qui soigne les images. Pour certains, c’est la meilleure qualité de marque, mais ceci reste une hypothèse à vérifier. Au moment où nous faisons nos entretiens, la dernière version de IPhone est celle du 12. Puisque le téléphone nous est indispensable, et il est toujours près de nous comme le révèlent nos enquêtes, il peut être comparé ici à un vêtement. Le vêtement agit essentiellement comme une seconde peau, il est une partie de nous-même, de même que le téléphone. Si nous accordons du prix à ce qu’on porte parce que nous sommes souvent jugés sur notre apparence, entrainant le renouvellement de ces vêtements pour suivre la mode, alors il n’est pas étonnant que le téléphone toujours près de nous soit de même renouvelé en permanence.

En conclusion, le perfectionnement incessant du téléphone portable constitue une stratégie de manipulation ne donnant pas d’autres choix aux consommateurs, passionnés de la mode, de l’innovation que de s’approprier du téléphone portable. C’est également une stratégie qui permet de hausser le chiffre d’affaires des fabricants. Ces différentes stratégies dont le but est d’immerger toutes les sociétés dans le monde technologique sont une manœuvre bien réussie. Le consommateur n’est qu’un robot que les fabricants manipulent à leur guise. Il devient comme une espèce de zombi qui ne fait que suivre la tendance qu’on lui impose.

3. Tensivité entre l’être et le paraître

Si la technologie appropriée et le perfectionnement perpétuel du téléphone portable avec son lot de fonctionnalités sont autant des stratégies déployées pour populariser le téléphone portable, il convient de noter que l’une des fonctionnalités les plus attractives aux yeux de la jeunesse reste cette possibilité à se tailler des images parfaites à travers certaines applications telles que Snapseed, Adobe Photoshop Lightroom, Adobe Photoshop Express, Prisma Photo Editor, etc. L’on pourrait même dire qu’il s’agit de la stratégie la plus étudiée.

Par « tensivité entre l’être et le paraitre » notre ambition vise à faire ressortir les deux faces dialectiques du téléphone portable. D’une part, un moyen de révélation du « narcissisme grandiose » et d’autre part, un outil de « narcissisme vulnérable ». Une telle thèse sera justifiée avec le recours des résultats de l’observation non participante faite sur les usages du smartphone – surtout les réseaux sociaux-, mais aussi avec les analyses issues de l’observation participante faite lors de la « journée sans téléphone portable ».

3.1. Analyse des données qualitatives

Nous rappelons que l’idée d’organiser une journée d’échange à titre d’enquête, dénommée « journée sans téléphone portable » était notre méthodologie phare pour mesurer l’ancrage social des outils de communication moderne, particulièrement le rôle du téléphone intelligent dans l’estime de soi. Il s’est agi concrètement d’inviter des étudiants et étudiantes dans un hôtel paradisiaque pour des échanges à la manière traditionnelle, c’est-à-dire sans cet outil qui dérobe l’attention de l’homme. Il faut noter que les frais y relatifs nous incombaient et les enquêtés devaient juste se contenter de donner leur accord de participation. Cette étude devait nous permettre de mesurer certaines variables indépendantes notamment l’addiction développée vis-à-vis du téléphone, l’estime de soi.

En ce qui concerne cette dernière variable, des variables dépendantes ont été identifiées pour la mesurer : le regret de ne pouvoir pas prendre des photos illustratives, puisque nous sommes convaincus qu’avec les smartphones, toutes les occasions sont belles pour se prendre des selfies dans toutes les positions avec un arrière-plan soigné. De plus, quel sentiment anime les enquêtés lorsqu’ils comparent leurs photos réelles avec celles embellies par les fonctionnalités du smartphone. Cette variable sera atteinte par le feedback des entretiens individuels qui ont ponctué la journée.

Avant le jour J de ladite journée, il nous a fallu faire une préenquête pour identifier les partants, la population cible étant les étudiants. Si certains se sont proclamés capables de prendre part à l’activité dans le respect des conditions, ce ne fut pas le cas pour d’autres. Ces derniers, déclinant ainsi l’invitation, n’ont pas manqué de motifs pour justifier leur non-participation. On retrouve deux raisons principales évoquées par ceux-ci : les occupations professionnelles et la difficulté pour eux de faire toute une journée entière sans tenir leur téléphone portable, car ils sont presque devenus “ esclaves ” pour la plupart d’entre eux. D’ailleurs, « pourquoi aller dans un endroit paradisiaque si l’on ne peut pas prendre des photos ? » Le tableau suivant traduit les résultats de cette préenquête.

SexePartantNon partant à cause du manque du téléphone portableNon partant, car calendrier chargéTotal
Masculin 18210747
Féminin19160237
Total37370983

Répartition des étudiants selon le sexe et les attitudes face à l’invitation à une journée d’échange sans téléphone portable

Source : données de l’enquête, septembre 2020, données empruntées à nos travaux de thèse

À l’issue des observations participantes lors de la journée sans téléphone, notre hypothèse semble se vérifier : la majorité des enquêtés en l’occurrence les filles ont avoué ouvertement le regret de cette privation des selfies. Nous avons relevé les exclamations suivantes qui nous paraissent très significatives : « Oh, mes statuts ! », « Qui saura que je suis venu à Club Hanane si je n’ai pas pris de photos ?», « Olalah ! « Quel gâchis de venir ici sans téléphone, c’est chic !»

3.2. De l’estime de soi

Avant d’en aboutir à l’interprétation des données, il ne nous est pas permis de passer sous silence la notion de selfies. « Le selfie, ce geste très simple de se prendre soi-même en photo avec un smartphone et de publier instantanément le cliché sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter)» selon Pauline Escande-Gauquié dans son livre Tous Selfie. Il s’agit d’un genre photographique qui a commencé à exploser en 2012, et devient en 2013 un mot de plus en plus utilisé et intégré dans le Oxford Dictionary. L’origine du selfie est narcissique : c’est une sorte de recherche de l’estime de soi à travers le miroir de l’autre.

Pour Andre Gunthert, montrer son visage n’est plus le seul intérêt que l’on trouve au selfie. Le décor en arrière-plan a également son rôle d’image comme message. Ainsi, en se taillant toujours des images parfaites grâce à certaines applications, en saisissant toutes les belles occasions pour se faire des selfies offrant un arrière-plan enchanteur qui donne l’impression de mener une vie de luxe, sont des attitudes qui augmentent l’estime en soi de certains utilisateurs des smartphones.

Les psychologues qualifient ce sentiment de « narcissisme grandiose », c’est-à-dire le fait d’avoir une haute estime de soi et une valorisation de sa personnalité. C’est le type de narcissisme défini par Dessuant (1983, p. 3) comme étant « « l’amour de soi dans ses différentes modalités », qui « confère au sujet une unité, une identité, qui lui permettront de chercher en l’objet un complément pour former une unité encore close, quasi totale : celle du couple » A. Green (2009, p. 41) cité par Emna Fourati.

L’usage du smartphone permet alors d’entretenir ce narcissisme à travers l’exhibition, l’ouverture vers le monde virtuel. En effet, nous avons pu constater que les occasions créées par les réseaux sociaux de s’exhiber, de se montrer, de se faire découvrir à travers les statuts, la possibilité de montrer son profil, certains usagers exposent aux autres leurs photos, leurs états d’âme et des vidéos où ils sont impliqués. Par cette ouverture vers l’espace virtuel, l’individu se libère de ses contraintes du « surmoi » et laisse libre cours au « ça ». Le « surmoi » et le « ça » sont des Concepts dont le droit d’auteur revient à Sigmund Freud, Le moi, le ça et le surmoi sont les trois instances présentes en l’homme : Le ça renvoie aux désirs inavoués et aux besoins pulsionnels de l’homme qui relèvent de son inconscient. Le surmoi représente une intériorisation des interdits mentaux, la loi morale qui agit sur l’homme, donc la puissance d’interdiction dont le moi doit tenir compte. Cette dernière dimension de la personnalité de l’homme désigne de ce fait la partie assurant les fonctions de la conscience. Il attend dans ce sens d’être gratifié et sublimé par les vues, les « j’aime » et les commentaires appréciatifs ; ce qui développe son estime de soi puisque cette considération à l’image de soi se traduit aussi par un sentiment intimement lié à la présence de l’autre, à son regard et l’image qu’il nous renvoie de nous-mêmes.

Certains individus qui ont tendance à refouler leurs propres images – car ne se trouvant pas assez beaux, charmants, etc.-, leurs capacités, le smartphone, par ses fonctionnalités permet de corriger et de rehausser cette mauvaise impression qu’ils éprouvent vis-à-vis de leur personne. C’est la mythologie du téléphone tactile.

Emna Fourati pense de même que, pour ceux qui sont animés de la phobie sociale, c’est-à-dire par la timidité excessive, l’utilisation du smartphone « peut participer à l’éclosion et la délivrance de ces individus [en parlant des personnes excessivement timides] de cette peur persistante de l’engagement intersubjectif. Paradoxalement, à travers les réseaux sociaux et les SMS, ces individus laissent paraître une personnalité qui est loin d’être introvertie, en partageant des photos flatteuses, en envoyant des messages assez provocateurs et en dévoilant leur intimité. Satisfaire ce besoin profondément humain d’extériorisation, participe à construire leur identité et à forger leur personnalité. » Les propos de cette étudiante lors des entretiens le confirment :

Quand je prends des photos avec mon téléphone, je suis très contente parce que je suis très jolie. Mais si je me regarde dans le miroir, j’ai des boutons et des taches noires sur mon visage. Pourtant ma galerie est pleine de jolies photos. […] je ne peux pas être vilaine dans la vie réelle et être encore vilaine dans le monde virtuel, c’est pas possible. Donc on sait que la caméra du téléphone nous flatte, mais on est content comme ça. C’est la nature de l’homme ; si la réalité ne te plait pas, il faut vivre le bonheur dans le rêve.

Pour ce qui est des résultats de l’observation non participante que nous avions évoquée dans le cadre méthodologique, notamment la comparaison entre les photos postées par certains de notre carnet d’adresses et les amitiés virtuelles et leur véritable morphologie, il convient de noter que notre observation confirme bien les résultats de la première méthode. Des images de certaines personnes sont loin de refléter leur portrait réel qui ne nous est pas étranger. Elles laissent apercevoir des filtres utilisés pour paraitre aux yeux du monde. Les arrières plans sont soigneusement choisis. Tout le monde semble avoir une peau claire, lustrée, satinée, lisse avec des yeux de gazelle bien blancs. Pourtant la réalité offre souvent une autre description.

D’ailleurs, n’avons-nous pas coutume d’entendre que « la beauté d’une fille sur les réseaux sociaux dépend de la qualité de son téléphone portable » ? Cela justifie le dire de ce vendeur de portables qui déclare que ce sont les types de téléphones qui ont une bonne caméra qui coutent plus chers. Un téléphone, selon lui, peut avoir une très grande capacité de stockage, mais être moins cher à rapport à un téléphone d’une faible capacité de stockage, mais avec une caméra qui fait de jolies photos. Donc d’une part, la qualité de la caméra peut déterminer le prix du téléphone. » Par ces propos, nous comprenons aisément pourquoi le téléphone IPhone coute relativement plus cher et aussi pourquoi un tel engouement de la part des jeunes pour ce type de téléphone.

C’est au regard de tous ces avis consolidés par nos observations que nous déclarons que le smartphone participe à forger de l’estime de soi. Cependant, que se passe-t-il lorsque ces individus décrits plus haut se réfèrent à la réalité en quittant leur monde utopique qui leur est favorable ? Gardent-ils ces mêmes impressions ? Ce sourire occasionné par l’estime de soi par le biais du smartphone est-il authentique et véritable ?

3.3. Du narcissisme grandiose au narcissisme vulnérable

Nous pouvons affirmer qu’il est très difficile de parler d’estime de soi dans nos sociétés actuelles hautement marquées par l’usage de smartphones puisque l’imposture a remplacé la réalité. On remarque, de plus en plus, une baisse de l’estime de soi chez les utilisateurs assidus des réseaux sociaux, en particulier chez les filles.

Le narcissisme vécu à travers le smartphone n’est qu’un rêve, une pensée illusoire pour certains. C’est ce que nous avions désigné par « monde virtuel illusoire » : c’est donc l’indication de vanité du monde.

Guy Ferland souligne le paradoxe du bonheur que le regard des autres nous fait vivre. Sa vision illustre parfaitement ce que nous défendons. Pour lui, « Les réseaux sociaux définissent maintenant notre identité. Difficile d’exister autrement ». Par conséquent, selon ce philosophe (G. Ferland, 2021, https://www.ledevoir.com/opinion/lettres/598553/le-paradis-c-est-les-autres),

On ne vit plus. On expose au monde entier qu’on existe.

On n’admire plus de beaux paysages. On présente les lieux majestueux qu’on a parcourus.

On n’assiste plus à un événement. On diffuse une photo lors d’un spectacle.

On ne se nourrit plus. On publie des menus gastronomiques.

On n’étanche plus sa soif. On se vante de se désaltérer de nectars recherchés.

On n’éprouve plus du plaisir. On jouit intensément de moments exceptionnels à envier.

On ne consomme plus. On profite d’occasions en or qu’on expose à tout un chacun.

On ne célèbre plus un anniversaire. On rend public l’événement spécial organisé pour sa fête.

On ne désire plus simplement se faire aimer. On veut montrer virtuellement qu’on nous chérit.

On n’est plus heureux. On étale son bonheur.

On ne s’évanouit plus dans une société du spectacle. On parade dans l’œil des internautes.

Nous comprenons aisément pourquoi certains enquêtés, en participant à la journée sans téléphone ont avoué ouvertement qu’il s’agissait d’un gâchis de visiter un tel endroit sans se faire des selfies.

Ce qu’il convient de nuancer, c’est que le retour alors vers le monde réel, vers la réalité est souvent alarmant ; c’est là qu’intervient la baisse de l’estime de soi que nous qualifions de narcissisme vulnérable pour emprunter le concept de Emna Fourati. Une enquêté relate un fait réel qui traduit parfaitement cette baisse de confiance en soi :

J’ai une co-chambrière qui échangeait avec un jeune homme. Elle lui envoyait ses photos, mais elle travaillait ses images pour que ça soit joli. Elle était tombée amoureuse du monsieur, pareil pour le monsieur aussi. Ils ont décidé de se rencontrer. Ce jour, elle était très angoissée et elle avait même peur de croiser le gars parce qu’elle sait que ses photos ne reflètent pas son apparence. Ses photos font de telles sortes qu’elle soit mince or elle est grosse. Son teint aussi dans la réalité est diffèrent de son teint sur les photos. Donc vraiment, le téléphone nous fait mentir à nous même.

Certains jeunes, influencés par le style de vie des stars qui semblent vivre continuellement des choses extraordinaires, font qu’il semble de plus en plus difficile pour eux de se forger leur propre estime personnelle. Ils n’arrivent pas à concevoir l’idée que ce que leur présentent les écrans est loin de la réalité. Peut-être que pour certaines personnes qui présentent un beau sourire à la caméra, dans les statuts, une grosse larme pourrait couler dans leur vie réelle. L’écran comme interface est un moyen idéal pour paraitre. L’intervenant 2 exprime ainsi son désarroi à ce sujet : […] « Avec le téléphone, on pense à une vie donnée, à un avenir sans comprendre cette vie juste parce que nous voyons dans les téléphones. Donc nous subissons les influences des programmes diffusés dans le téléphone ».

En plus, nous avons retenu de ce focus group que les commentaires sur les posts de certains jeunes stimulent leur estime de soi. Ils sont convaincus que les ‘’like’’ et les commentaires de la part de leurs amis virtuels sont un indicateur de beauté et de considération certes, mais le manque de confiance en soi s’installe après cette vie illusoire.

Ces résultats que nous avons obtenus grâce à l’analyse rigoureuse de nos enquêtes peuvent répondre à l’une des préoccupations d’un colloque international transdisciplinaire « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines » organisé par l’Université Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et qui se tiendra les 7, 8 et 9 septembre 2023. En effet, l’axe 6 intitulé « Réseaux sociaux et identité sociale » dudit colloque vise à comprendre la manière dont la perception de soi, de l’autre et la représentation du monde se forge à travers les réseaux sociaux, mais aussi la façon dont ils contribuent à la fragmentation identitaire :

L’impact des réseaux sociaux sur la perception de soi et la représentation de l’environnement social est indubitable. À travers les nouvelles formes de sociabilité qu’ils favorisent, les réseaux sociaux ambitionnent, sans doute, de produire un modèle culturel et social d’identité dans lequel l’individu projette une image de lui-même tiraillée par le réel et le virtuel. Cet axe de réflexion sera non seulement l’opportunité de comprendre la manière dont la perception de soi, de l’autre et la représentation du monde se forge à travers les réseaux sociaux, mais aussi la façon dont ils contribuent à la fragmentation identitaire toujours selon l’argumentaire du colloque.

Pour conclure, nous confirmons bien notre hypothèse de départ dont la visée était de démontrer que le téléphone portable contribue à forger l’estime de soi d’une part, et se révèle aussi être un instrument de baisse de cette estime de soi ; d’où la tension entre le paraitre et l’être. Cela pourrait se traduire sous forme de schéma.

Le schéma tensif suivant est une configuration de l’irréalité que fait vivre le smartphone à ses usagers (les jeunes filles étant les plus vulnérables) entrainant l’une des valeurs personnelles en baisse : l’estime de soi. La première courbe de couleur bleuâtre illustre l’intensification cependant illusoire de cette valeur ; et la deuxième en couleur rose présente une baisse de cette confiance en soi lorsque l’utilisateur se désillusion

Schéma tensif de l’ascendance et de la décadence de l’estime de soi

Source : nous-même.

Le schéma suivant est le carré sémiotique inspiré du schéma tensif. Visiblement, nous identifions deux parcours, deux structures logico-sémantiques :

  • Celle qui part de l’être, en passant par l’espace virtuel pour aboutir au paraitre, ce parcours renvoi à l’euphorie en considération du raisonnement détaillé plus haut.
  • Quant à la figure de couleur bleuâtre dont le point de départ prend appui sur le paraitre, l’estime de soi, forgée par le smartphone et ses dérivés, passe par le monde réel pour atteindre l’être. Ce parcours est, par contre, dysphorique.

                Carré sémiotique de l’estime de soi

Conclusion

Au terme de notre analyse, nous pouvons retenir à titre récapitulatif que nous étions dans un monde où notre image était presque inexistante aux yeux des autres. Aujourd’hui, avec la disruption de la technologie, il y a une sorte de jaillissement de notre image dans la sphère publique. Notre propos dans cette argumentation a voulu ainsi mesurer l’impact du téléphone portable dans la conception de l’estime de soi des jeunes. Deux fonctionnalités de cet outil au pouvoir disruptive sont les maillons essentiels qui semblent aider les jeunes à forger leur estime de soi : la caméra qui offre la possibilité de se tailler des selfies à ses goûts, et la mise en récit de soi sur les plateformes publiques par la suite sanctionnée par des signes appréciatifs. Ayant opté pour l’observation participante et non participante comme méthodes d’analyse (dont les résultats ont été empruntés à nos travaux de thèse) nous pouvons retenir à l’issue de ces enquêtes que l’utilisation des selfies postés sur les réseaux sociaux a pour objectifs de se rassurer, de savoir qu’on est aimé, qu’on est d’une certaine manière digne d’exister : ce qui laisse croire que le téléphone portable, à travers les réseaux sociaux, est un gage de l’estime de soi. Cependant, faut-il souligner qu’il s’agit d’une vision antithétique, car l’estime de soi forgé par les fonctionnalités du téléphone portable n’est que le reflet d’un monde fait d’illusion. Comme tout rêve, comme toute illusion, la vérité souvent inconfortable finit par rejaillir : c’est ce qui nous amené à évoquer la notion de tension entre l’être et le paraître.

Références bibliographiques

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FONTANILLE Jacques, 2015, Forme de vie, Presses universitaires de Liège.

FONTANILLE Jacques, 2017, « Les voies (voix) de l’affect », Actes sémiotiques, N°120, in https://doi.org/10.25965/as.5806, consulté le 12/08/2022.

FOURATI Emna, 2013, Regards croisés sur les usages problématiques du Smartphone dans la société française, mémoire soutenu à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

GREIMAS Algirdas Julien et FONTANILLE Jacques, 1991, Sémiotique des passions : des états de choses aux états d’âme, Paris, Éditions du Seuil.

GUNTHERT André, « L’image conversationnelle », Études photographiques, 31 | Printemps 2014, mis en ligne le 10 avril 2014, in http://etudesphotographiques.revues.org/3387.

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SARTRE Jean Paul, 1944, Huis clos, Paris, Gallimard.

JOHN KYFFY SUR FACEBOOK, CONSTRUCTION D’UN MONDE VIRTUEL AU PROFIT D’UNE CARRIÈRE ARTISTIQUE RÉELLE

Yao Francis KOUAMÉ

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

kouameyaofrancis56@gmail.com

Résumé :

Modifiant les rapports entre les publics et les musiques, l’Internet a favorisé l’avènement d’un nouvel ordre dans les relations entre les musiciens et leurs fans. En Côte d’Ivoire, les artistes ont découvert, dans les réseaux sociaux, notamment Facebook, une alternative aux médias traditionnels, en l’occurrence la télévision, la radio et la presse écrite. Artiste révélé sur la scène musicale ivoirienne depuis les années 1970-1980, Wanyou David, alias John Kyffy est de ceux qui réussissent actuellement leur intégration dans l’univers des réseaux sociaux, en particulier sur Facebook. Dans quelle mesure ce réseau social permet-il à John Kyffy de booster sa carrière musicale ? Tel est le problème auquel répond notre réflexion. Celle-ci montre que le réseau social Facebook contribue à (re) constituer la tribu des Kanégnons, son public dont l’action contribue à dynamiser, impacter positivement sa carrière artistique.

Mots clés : Carrière artistique, Facebook, Fans de John Kyffy, Médias traditionnels, Monde réel, Monde virtuel, Tribu des kanégnons.

Abstract:

Modifying the relationships between audiences and music, the Internet has favored the advent of a new order in the relationships between musicians and their fans. In Ivory Coast, artists have discovered, in social networks, notably Facebook, an alternative to traditional media, in this case television, radio and the written press. An artist revealed on the Ivorian music scene since the 1970s-1980s, Wanyou David, alias John Kyffy is one of those who are currently successfully integrating into the world of social networks, particularly on Facebook. To what extent does that social network allow John Kyffy to boost his musical career? This is the problem to which our reflection responds. This shows that the social network Facebook contributes to (re)constitute the tribe of Kanégnons, its public whose action contributes to energizing and positively impacting its artistic career.

Keywords : Artistic career, Facebook, John Kyffy fans, Real world, Virtual world.

Introduction

Ces vingt dernières années, le monde de la musique a connu de profondes mutations avec l’essor du numérique. Si, dans le secteur de la création et de la production, les artistes musiciens ont presque tous abandonné les outils analogiques pour migrer vers leurs équivalents numériques, sur le segment de la réception, la chute de l’industrie du disque constitue l’un des points les plus marquants de cette transformation structurelle.

En effet, après plusieurs décennies de prospérité économique, l’industrie du disque qui s’était positionnée comme le fer de lance de l’industrie musicale, depuis la seconde guerre mondiale, est entrée en crise avec une baisse drastique de ses recettes à partir de la fin des années 1990 (Garcin, 2012). Par exemple, en France, souligne A. Bauman (2015, p. 19), « le marché de la musique est passé de 713 millions d’euros en 2007 à 489 millions d’euros en 2012 ». Cette chute de l’économie du disque indique que l’industrie musicale se porte mal. Ces propos de P. Fournier (2011, p. 5) illustrent bien cette situation de crise : « Nous avons l’impression d’assister à une récession monétaire musicale ».

Souvent analysée comme la conséquence d’un manque d’anticipation de la part des majors, la baisse des recettes de l’industrie du disque n’est pas sans lien avec le développement d’internet et des pratiques et services qui lui sont rattachés, notamment les plateformes de téléchargement et les réseaux sociaux. Aux dires de C. Netter et A. Chaigneau (2015, p. 5), « internet représente aujourd’hui un nouvel univers familier, meublé de ses objets, un monde partagé, une culture ».

L’apparition d’internet et de ses services dérivés a engendré, selon P. Fournier (2011, p. 5), « de nouveaux modèles d’écoute musicale continuellement en expansion ». L’essor de l’écoute par téléchargement et de la réception de la musique via internet induit subséquemment une modification des rapports entre les auditeurs avec les musiques. Mais, l’influence d’internet ne se limite pas à la seule transformation des rapports publics/musiques, elle modifie également les relations que les artistes musiciens nouent avec leurs fans. Sous ce rapport, internet en général et les réseaux sociaux en particulier deviennent d’importants indicateurs permettant non seulement de mesurer la popularité des artistes, mais aussi d’évaluer la qualité des liens qu’entretiennent la triade musicien/œuvre/public. Ils impactent par ailleurs l’économie de la musique surtout que « la nouvelle économie musicale est basée sur un axe numérique, orientée sur les appareils mobiles et sur les réseaux sociaux » (J. Seifert, 2015, p. 551).

Si, en règle générale, certaines études relevant de la théorie critique franckfortoise préfèrent mettre en relief le côté sombre des réseaux sociaux, il faut toutefois reconnaître que ces plateformes virtuelles (Facebook, Instagram, Tik Tok, etc.) constituent de véritables outils de promotion, de vulgarisation des œuvres musicales et de leurs auteurs. Ils constituent un espace de rencontres dont se servent des musiciens pour se faire connaître et conquérir un public plus large. John Kyffy en fait partie, puisque disposant d’un compte Facebook. Dans quelle mesure Facebook permet-il à John Kyffy de booster sa carrière musicale en berne depuis une quinzaine d’années ? De ce problème découlent les questions subsidiaires suivantes. Qui est John Kyffy ? Comment l’organisation de l’univers Facebook de John Kyffy contribue-t-elle à remobiliser ses fans ? En quoi la dynamique interactive entre l’artiste, son œuvre et son public, dans le monde virtuel, impacte-t-elle positivement sa carrière musicale. Telles sont les préoccupations auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses.

Pour cette étude, la théorie de la médiation constitue notre cadre de référence théorique. Selon A. Hennion (1993), la théorie de la médiation consiste à ne pas figer l’expérience musicale en une sorte de face à face direct entre l’artiste et son public, mais à prendre la mesure de tout ce qui s’interpose entre l’amont et l’aval, entre le musicien et ses fans. Sur le plan méthodologique, notre réflexion s’inscrit dans une perspective à la fois qualitative et quantitative. Elle recourt à l’analyse de contenus, à l’observation de l’actualité de John Kyffy sur Facebook de décembre 2022 à septembre 2023, soit 9 mois.

Cette recherche qui porte sur plusieurs entretiens semi-dirigés (avec John Kyffy lui-même d’une part et avec les gestionnaires de ses comptes Facebook d’autre part), est renforcée par la recherche documentaire. Nous recourons aussi à l’échantillon accidentel concernant les publications (Vidéos, fichiers audios, textes et photos) et les internautes qui dans le cadre de cette étude sont les followers (fans) de John Kyffy sur Facebook. Notre travail s’articule autour de trois axes. Le premier dresse une brève biographie de John Kyffy tandis que le deuxième axe traite des composantes de l’univers Facebook de l’artiste. Quant au troisième axe, il aborde la nouvelle alliance que tisse John Kyffy avec ses fans via Facebook.

1. Biographie de John Kyffy

L’on ne saurait examiner la présence de John Kyffy sur Facebook sans s’intéresser au parcours de cet artiste totalisant plus de 40 ans sur la scène musicale ivoirienne. L’itinéraire de ce chanteur prend racine à Gagnoa, sa ville natale.

1.1. De Gagnoa à Abidjan, une enfance difficile

À l’état civil, John Kyffy se nomme David Wanyou. Il est né le 31 mars 1955 à Gagnoa à une époque où après avoir conquis les publics de jeunes aux États-Unis et en Europe, la musique Pop irradiait déjà l’Afrique de ses accords et sonorités électriques. John Kyffy y sera sensible au point d’être aujourd’hui, soit plus de 60 ans après, le roi du « Zêzê Pop », un style musical particulier qu’il a créé de toutes pièces au début des années 1990, et qui réussit depuis lors à émouvoir les cordes sensibles d’un public diversifié. Construit à partir d’un mélange de pop, de Jazz avec des sonorités du terroir bété, le « Zêzê pop » accorde certes une place importante à la guitare électrique mais n’ignore pas totalement les sonorités spécifiques aux musiques africaines. Cette musique éclectique a ouvert la voie du succès national et international à John Kyffy qui parcourt plusieurs pays européens, notamment la Suisse, la France, le Danemark, l’Angleterre où il écume des festivals de renom. Mais, ce succès, qui apparaît comme une reconnaissance sur les plans national et international de son talent artistique, n’est pas advenue par un coup de baguette magique. Il s’est construit patiemment dans le temps.

Tout part de Gagnoa, sa ville natale où, écolier, le petit David est gagné par l’amour de la musique. Avec des copains, il s’essaie à la facture d’instruments de musique de fortune qu’il joue à ses heures creuses. Cependant en 1971, un grand malheur va s’abattre sur l’écolier qui perd successivement son père, sa mère et sa sœur. Devenu orphelin, la vie se complique pour le jeune homme qui abandonne l’école en classe de CM2 pour se rendre chez son oncle à Abidjan, la capitale économique du pays où sa vie va prendre une nouvelle tournure.

En effet, réputée pour ses orchestres et espaces musicaux, Abidjan offrira à Wanyou David l’opportunité d’embrasser la musique comme métier. Pôle culturel de premier plan en Afrique dans les années 1970 et 1980, Abidjan vivait un tel bouillonnement artistique que des journalistes la désignaient comme la plaque tournante de la musique africaine. En fait,

dans les années 70, une pléthore de musiciens particulièrement doués, faisait la fierté d’une nation naissante à la recherche de ses propres marques. La jeunesse ivre de sa liberté retrouvée, envahit alors tous les espaces musicaux de la capitale et du pays pour de folles nuits. Dans tous les quartiers d’Abidjan et à l’intérieur du pays, les bars, les salles de cinéma et bien d’autres lieux firent office de salle de concert. (D. Steck, 2022, pp.15-16).

Le jeune Wanyou David qui deviendra successivement John Mayal, John Yalley et John Kyffy y trouvera un terreau fertile pour la mise en valeur de son potentiel artistique.

1.2. De la formation de musicien à la carrière artistique

Même s’il a compris très tôt que la musique était l’art dans lequel il pouvait exceller, Wanyou David n’a pas pour autant brûlé les étapes. Il s’est donné les moyens d’’acquérir une solide formation musicale à travers plusieurs groupes, notamment des orchestres où il a d’abord exercé en tant que chanteur interprète. « J’ai commencé par apprendre par cœur les chansons à la mode et j’ai conçu un répertoire de 25 chansons. J’étais sollicité par tous les groupes et quand j’interprétais ces chansons, je gagnais de l’argent pour vivre », nous a fait savoir John Kyffy lors d’un entretien réalisé avec lui à Abidjan en avril 2023. Il chantera dans plusieurs orchestres, notamment les Schafts ; les scorpions et bien d’autres groupes. Il glanera même des lauriers.

En 1974, avec le groupe Black Power, Wanyou David, devenu entre-temps John Mayal, sort victorieux du festival Pop d’Abidjan. Un an plus tard, en 1975, il publie son premier 45 tours dénommé « Bizi Bizi », un disque enregistré avec l’orchestre Les grands Colombia. En 1977, avec Sélection group, un autre orchestre, il est finaliste à la première édition de Podium. Dès lors, il est sollicité par les grands noms de la musique ivoirienne de l’époque. François Lougah, Ernesto Djédjé, Amédée Pierre le voudront dans leurs formations musicales respectives. John Mayal atteint ainsi l’un des objectifs qu’il s’était fixé, à savoir jouer avec les célébrités de la musique ivoirienne. Au début des années 1980, il jouera successivement avec François Lougah dans l’orchestre FL 2000, avec Doh Albert dans l’orchestre Belier Andralex, et dans l’orchestre Les Tabous de la capitale de Sablatou Daniel. En 1982, il crée le groupe Hector Mayal et publie son second 45 tours chez Polydor. Il a également côtoyé Amédée Pierre avant de jouer avec Ernesto Djédjé dans son orchestre les Ziglibitiens.

Après la mort d’Ernesto Djédjé en 1983, John Mayal participera à un concert organisé à Bouaké en 1985. Il sera hué et conspué par le public. L’artiste en sortira fragilisé émotionnellement, mais pas anéanti au point d’abandonner la musique. Après cet échec, il se retire en France où, avec deux musiciens français, il porte Les Kyffys (son groupe de musiciens) sur les fonds baptismaux. Après 5 ans de préparation, en 1990, il effectue son retour en terre ivoirienne avec Tchétché, un album qui sonne le début d’une nouvelle carrière pour lui. Le succès médiatique et commercial est immense. John Mayal prend un nouveau départ avec le public ivoirien et devient John Yalley (Yalley signifie souffrance en langue bété). Pendant plusieurs mois, Tchétché se classe en tête des ventes de musiques en Côte d’Ivoire. À Abidjan comme dans des villes de l’intérieur du pays (Bouaké, Gagnoa, Daloa, etc), il tient des concerts durant lesquels des foules immenses sont prises d’hystérie. Après Tchétché, sortent successivement Zêzê Pop expérience (1994) ; Zêzê Steady (1998) et Destiny (2001), tous admirés par son public qu’il nomme la tribu de Kanégnons dont il est le chef.

À partir de 1994, il décide de changer John Yalley par John Kyffy pour faire totalement corps avec son groupe, Les Kyffys. Il connaîtra l’exil après la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Même s’il vivra de concerts, sa carrière artistique au plan local connaîtra un bémol jusqu’en mars 2023 marquant son retour sur le marché du disque avec Ethiopia son nouvel album dont la sortie intervient dans un contexte médiatique particulier : l’essor des réseaux sociaux et de Facebook en particulier. Même si son attitude première a été de s’en méfier eu égard à la nouveauté qu’ils représentent et aux dynamiques nouvelles qu’ils suscitent dans les rapports artistes/fans, John Kyffy a fini par adopter et s’adapter aux réseaux sociaux en général et à Facebook plus précisément. Les lignes qui suivent traitent de sa présence sur Facebook ainsi que des interactions qui s’opèrent entre l’artiste et ses fans dans ce monde virtuel.

2. Dans l’univers Facebook de John Kyffy

À l’instar du monde réel, le monde virtuel est organisé suivant certains codes susceptibles de favoriser une présence remarquable. En vue de s’assurer une forte notoriété sur Facebook et auprès de ses fans en particulier, John Kyffy s’est doté de moyens conséquents.

2.1. Deux comptes officiels pour un contenu diversifié

Officiellement, sur Facebook, deux comptes sont reconnus (par l’artiste) comme constitutifs de son monde sur ce réseau social. Le premier est dénommé « John Kyffy » et le second porte « Fans de John Kyffy » comme nom. Si « John Kyffy » est le compte personnel de l’artiste, « Fans de John Kyffy » est comme son nom l’indique celui des fans, c’est-à-dire le public qui le suit sur Facebook. Créés tous deux en juillet 2020, ces deux comptes visent le même objectif, à savoir la médiatisation et bien plus, la mise en valeur de John Kyffy et de ses actions en tant qu’artiste musicien, en dépit du fait qu’ils soient administrés par deux personnes différentes.

Tableau N°1 : Nombre d’abonnés sur les comptes Facebook dédiés à John Kyffy en septembre 2023

Comptes FacebookNombre d’abonnés
John Kyffy46.318
Fans de John Kyffy35.029
Total abonnés : 81.337

Source : Notre étude, septembre 2023.

À partir de ce tableau, l’on observe qu’il y a une distance énorme entre l’artiste et son public. Tout comme dans la vie réelle, sur Facebook, chaque détenteur d’un compte à ses amis (abonnés) même s’il n’est pas exclu qu’une personne X partagent un certain nombre d’amis avec Y. C’est d’ailleurs le cas ici d’autant plus que des abonnés de la page « Fans de John Kiffy » le sont à « John Kiffy » et vice-versa. Les deux pages sont abonnées l’une à l’autre. En somme, la séparation entre John Kyffy et Fans de John Kyffy n’est qu’en apparence. Surtout que les deux pages ont une visibilité l’une sur l’autre et se partagent les contenus.

Tableau N°2 : Les contenus des comptes Facebook dédiés à John Kyffy en septembre 2023

 Dénomination des comptes
ContenusJohn KyffyFans de John Kyffy
Vidéos6143
Photos5234
Textes144
Audio + image44
Totaux13185

Source : Notre étude, septembre 2023.

En se fondant sur ce tableau, l’on note que les contenus publiés sur Facebook par John Kyffy et ses fans sont diversifiés. Ce sont des vidéos, des photos, des textes et des documents audios parfois accompagnés d’images. Cette diversité de contenus donne à l’univers Facebook de John Kyffy un espace animé, dynamique. Toutefois, l’on note que les vidéos et les images (photos) se taillent le plus fort taux de publication. En effet, sur 131 publications postées sur « John Kyffy » de décembre 2022 à septembre 2023, les vidéos et photos cumulent un total de 113, soit 86,26% de taux de présence sur cette page alors que les textes et les fichiers audio recueillent 18 publications, soit un peu plus de 13% de taux de présence.

Cette analyse est valable pour les « Fans de John Kyffy ». Ici, sur 85 publications de décembre 2022 à septembre 2023, 77 sont constituées de photos et de vidéos, soit un taux de 90,59% tandis que les textes et fichiers audio qui cumulent 8 publications s’établissent à un peu plus de 9% de taux de publication. Au total, l’on note une écrasante majorité de vidéos et de photos dans l’univers Facebook de John Kyffy au détriment des textes. L’on retient donc une plus grande place accordée à l’image, au visuel, du moins à l’audiovisuel. Une telle approche n’est certainement pas fortuite. Elle répond à un besoin de communiquer efficacement autour du produit que représente John Kyffy, un chanteur dont la présence sur la scène musicale ivoirienne a été discrète entre 2011 et 2020. Il s’agit donc, à travers Facebook, non seulement de remettre en orbite le chanteur sur la scène nationale, mais aussi de le vendre davantage au plan international à partir des vidéos de ses performances musicales et photos. Toutefois, même si le virtuel est un monde à part entière avec ses codes et ses exigences, il n’en demeure pas moins qu’il prolonge, dans une certaine mesure, le monde réel.

2.2. Construire un monde virtuel à partir du réel

Aujourd’hui, grâce aux plateformes de téléchargement, les auditeurs et consommateurs de musique n’ont plus besoin d’acquérir des objets physiques (disques) pour se procurer les musiques qu’ils écoutent :

Le numérique affranchit les objets culturels des contraintes de l’existence physique, en leur permettant d’être répliqués à l’identique et à l’infini, sans restriction de temps ni de lieu (…) Les œuvres de l’esprit sont ainsi réduites à l’état de fichiers et se diffusent plus facilement. Ces œuvres devenues fichiers sont facilement transformables. (M. Dalle, 2015, p. 87)

Le virtuel tend à supplanter le réel. Les œuvres musicales sont des œuvres de l’esprit que les réseaux sociaux véhiculent à une vitesse grand V. Les images publiées sur les pages John Kyffy et Fans de John Kyffy sont soit des photos de l’artiste, soit des images d’affiches annonçant des évènements auxquels est invité l’artiste. Concernant les photos de John Kyffy postées, elles sont de deux ordres. Les unes datant des années 1970, 1980 et 1990 sont le reflet du passé de l’artiste, en Côte d’Ivoire comme ailleurs à l’étranger. Des images d’un passé tantôt terne, tantôt lumineux et glorieux suscitant des réactions d’internautes nostalgiques ; les autres, plus récentes, reflètent des situations plus actuelles. Concernant les textes publiés sans images, l’on observe qu’ils constituent la partie marginale du contenu des comptes John Kyffy et Fans de John Kyffy. Ils concernent quelques fois des mises au point de l’artiste ou de l’administrateur de l’une ou l’autre page sur la gestion de la carrière de l’artiste. Quant aux fichiers audios, ce sont souvent des chansons anciennes que postent des internautes sur Fans de John Kyffy et qui suscitent aussi des commentaires nostalgiques des années de gloire.

Si les images, les textes et fichiers audio font partie de l’univers Facebook de John Kyffy, les vidéos en constituent les éléments les plus saillants et les plus visibles. Les vidéos publiées sur les différents comptes (John Kyffy et fans de John Kyffy) de John Kyffy sont, pour l’essentiel, classifiables en deux catégories. La première catégorie est constituée de vidéos importées de chaînes de radio/télé ou de toute autre structure ayant diffusé un contenu audiovisuel en lien plus ou moins direct avec John Kyffy et son œuvre. La seconde catégorie est faite de vidéos produites par l’artiste lui-même pour les besoins de sa communication personnelle. Concernant la première catégorie d’émissions, généralement l’on y voit John Kyffy réalisant des performances musicales à des émissions telles que Tempo ou C’midi sur Rti1 (la première chaîne nationale de télé) ; La télé d’ici sur Nci (Nouvelle Chaîne ivoirienne) ; Willy à Midi (Life Tv) etc. Lors de ces performances, le soliste John Kyffy chante soit en live, soit en mode play-back.

Si le mode playback consiste pour John Kyffy à interpréter de façon mimée ses chansons enregistré au préalable et diffusées par un matériel de sonorisation prévue à cet effet, concernant le mode live, l’on observe deux approches distinctes. Soit le chanteur (John Kyffy) accompagne son chant d’un instrument (généralement une guitare électrique) qu’il joue lui-même, soit il se fait accompagner d’un orchestre et d’un chœur fait de voix d’hommes et de femmes. Lorsqu’elles sont télévisées, ces émissions sont pilotées par un ou une animatrice (posant quelques fois des questions à l’artiste) et en présence d’un public qui prend part au jeu des musiciens soit en chantant avec eux les chansons qu’il connaît, soit en acquiesçant la performance de l’artiste par des applaudissements et des cris jubilatoires. Lorsqu’il s’agit d’émissions radiophoniques, parfois l’artiste interprète certaines de ses chansons en « a capella » auxquelles réagissent des auditeurs qui appellent en demandant la traduction française.

À travers ces différentes émissions télévisées et radiodiffusées, le chanteur se met en contact avec un public avec lequel il interagit directement. De décembre 2022 à septembre 2023 (période de l’enquête), John Kyffy a participé à plusieurs dizaines d’émissions radio et télé dont certaines séquences ont été enregistrées par l’équipe de l’artiste et publiées sur son compte Facebook. Même s’il n’est pas le propriétaire des images, cette approche permet à l’artiste de relayer, auprès de ses abonnés (fans) via son compte Facebook, son actualité artistique et ses activités. De fait, sans avoir suivi les émissions diffusées en intégralité sur les chaînes de radio et de télé en question, les abonnés à la page de l’artiste peuvent suivre la ou les séquences où celui-ci est intervenu. Ces vidéos suscitent des réactions des abonnés à travers des commentaires postés sous les vidéos.

Concernant la seconde catégorie de vidéos, elle est composée de capsules réalisées par l’artiste lui-même. Ces vidéos présentent généralement des performances réalisées en live. Dans cette catégorie, l’on voit John Kyffy interprétant certaines de ses chansons avec comme accompagnement instrumental soit un synthétiseur, soit une guitare électrique qu’il joue lui-même. Cette performance n’est pas la séquence d’une émission radio ou télé enregistrée. Elle est réalisée par l’artiste non plus dans le cadre d’une émission radio ou télé mais dans une salle de répétition. Les chansons jouées ici constituent l’interprétation de pièces connues ou inédites. Les vidéos ainsi enregistrées sont directement destinées à la page Facebook.

En définitive, l’on retient ceci : qu’elles soient extraites d’émissions radio/télé ou produites par l’artiste lui-même, les vidéos postées sur les deux compte Facebook (John Kyffy et Fans de John Kyffy) suscitent des réactions de la part des publics abonnés. Ces vidéos captent et fixent des faits et évènements musicaux dans le temps et dans l’espace. Quoiqu’ayant eu lieu dans la vie réelle, une fois postés sur Facebook, ces faits relèvent désormais de l’espace virtuel. Le monde virtuel prolonge le monde réel en l’installant dans une sorte d’éternité qui fait qu’à tout moment un abonné des pages John Kyffy et Fans de John Kyffy peut accéder à une performance de l’artiste même si celle-ci a eu lieu des mois, voire des années en arrière.

Si le monde virtuel se nourrit généralement des faits et activités du monde réel, ce dernier à son tour trouve dans le monde virtuel un moyen non seulement de durer dans le temps, mais aussi l’opportunité de conquérir plus d’espaces et donc plus d’adeptes. À partir des vidéos, des photos et des fichiers audios postés suscitant des interactions entre lui et les internautes, Facebook permet à John Kyffy d’être plus proches de ses fans, la tribu des Kanégnons qui, précisons-le, n’est en rien semblable à une tribu inactive. En effet, au-delà des vidéos de John Kyffy, l’on note que certaines vidéos sont des capsules postées par des abonnés à la page Fans de John Kyffy.

Dans plusieurs vidéos, des internautes se filment en train d’écouter une chanson de John Kyffy ; d’autres créent des vidéos en posture d’interprète d’une des chansons de l’artiste, d’autres encore postent des vidéos de chanteurs de Zêzê Pop en pleine performance. En clair, sur Fans de John Kyffy, les admirateurs de l’artiste ne manquent pas d’ingéniosité et de créativité. Contrairement à certaines postures théoriques et idéologiques considérant les consommateurs de l’art de masse comme un conglomérat d’automates passifs, notons d’une part que la tribu des Kanégnons est loin d’être un public homogène. D’autre part, une partie de ses fans ne se contente pas d’écouter les chansons de John Kyffy. Ils contribuent à la vie des œuvres de l’artiste en les interprétant, à leur manière, à travers des techniques nouvelles suscitant ainsi une dynamique interactive entre la triade artiste/œuvre/public. Facebook contribue ainsi à tisser une nouvelle alliance entre John Kyffy et ses fans.

3. Pour une alliance nouvelle entre l’artiste et son public

Le retour de John Kyffy sur la scène musicale nationale, à travers la publication de son opus Ethiopia, suscite un énorme engouement auprès de ses fans, notamment sur Facebook. S’ils témoignent de leur satisfaction, les fans du chanteur s’autorisent certaines critiques à son endroit. Ces critiques, l’artiste ne les ignore pas.

3.1. John Kyffy et la prise en compte des critiques de ses fans

La communauté de fans appelée la tribu des kanégnons que John Kyffy s’est constituée dans les années 1990 et qui s’était dispersée durant la décennie 2010-2020, à cause de l’absence de l’artiste, a commencé à se (re)constituer sur Facebook à partir de 2020. Cette communauté connaît un regain de dynamisme sur ce réseau social depuis la sortie de son album Ethiopia en mars 2023. Exprimant leurs émotions relativement à ce nouvel album, ils encouragent l’artiste, lui posent directement des questions et lui font des suggestions qu’il dit ne pas ignorer. À ce propos, le 15 mars 2023, John kyffy a posté sur son mur le message ci-après :

Je lis la plupart de vos commentaires et je suis content que vous appréciez ETHIOPIA. Merci pour vos critiques qui sont les bienvenues car pour moi elles sont constructives ; c’est une preuve que vous suivez toute mon actualité, tout mon travail dans les moindres détails et sachez que cela me réjouit énormément. Retenez que pour cet album ETHIOPIA, j’ai voulu offrir l’opportunité à mes jeunes frères d’intervenir au niveau de l’enregistrement et du mix. C’est une façon pour moi de leur donner la chance de faire leur preuve dans ce domaine et leur permettre s’ils sont déterminés, d’atteindre pourquoi pas le niveau de ces grands mixeurs en Europe… Toutes vos critiques sont donc prises en compte pour les travaux à venir…(J. Kyffy, 2023)

Le texte ci-dessus, publié par John Kyffy sur son compte Facebook, a suscité de nombreuses réactions de la part de ses abonnés qui lui ont témoigné leur admiration et leur gratitude pour le respect qu’il leur accorde lorsqu’il affirme tenir compte de leurs critiques. Nous transcrivons ici quelques-unes de ces réactions, notamment celles de Koffi Louis Koffi ; Léonard Pli et Fresnelle Krekre.

Koffi Louis Koffi a écrit :

Tu n’es pas grand pour rien. Pour paraphraser un verset biblique qui dit et je cite : “pour être grand, il faut commencer par servir le plus petit”. En acceptant les critiques, tu démontres que ce sont tes fans et les mélomanes qui te font. Que d’humilité. Respect chef.

Quant à Léonard Pli, il a posté à la suite de la publication de John Kyffy ce qui suit : « Je suis le tout premier fan de John Mayal ensuite de John Yalley et aujourd’hui de John Kyffy. Quand je vous écoute, toute ma douleur est partie. Que Dieu vous inspire encore plus pour toujours me donner cette joie de vivre ».

Fresnelle Krekre, a pour sa part, posté ceci : « Message de sagesse et d’humilité. Respect à toi mon artiste, ma star. Ethiopia (Nom du dernier opus de John Kyffy), un vrai délice. J’adore. Félicitations »

Les différentes réactions indiquent globalement un important niveau de satisfaction des fans vis-à-vis de l’artiste. Par leurs réactions, ils disent avoir le sentiment d’être pris en compte dans la conduite de la carrière de celui qu’il considère comme leur chef surtout qu’en réaction à leurs différentes marques de satisfaction, John Kyffy répond par des remerciements. Ces dynamiques interactives entre l’artiste et ses fans qui s’opèrent grâce à Facebook renforcent les liens entre ces deux protagonistes. Elles inaugurent des relations nouvelles. En fait, si à l’ère de la toute-puissance des médias traditionnels (radio et télé), les rapports artiste/public pouvaient paraître distants, en revanche, à l’ère des réseaux sociaux, ces rapports paraissent plus étroits et plus fusionnels. Ce qui, de toute évidence, favorise chez les fans la prise d’initiatives contribuant à booster la carrière de John Kyffy.

3.2. Contribution des fans à la compréhension des chansons de John Kyffy

À travers les comptes John Kyffy et Fans de John Kyffy, les membres de la tribu des Kanégnons et leur idole disposent désormais d’un espace d’échanges et de rencontres où ils peuvent discuter quasiment à tout moment. Et, sur ces comptes, l’une des difficultés que soulèvent la plupart des fans de John Kyffy concerne la compréhension de ses chansons étant donné que ce dernier chante exclusivement en langue bété. Répondant à cette préoccupation, l’artiste enregistre et poste souvent sur son compte Facebook des capsules vidéos dans lesquelles, il traduit en français certaines de ses pièces. Toutefois, la traduction des chansons de John Kyffy ne vient pas exclusivement de lui. Certains parmi ses fans prennent des initiatives en vue de contribuer à la compréhension de ses textes. C’est le cas de Sylvain Guié Digbo qui, le 30 décembre 2022, a posté, sur Fans de John Kyffy, une traduction de la chanson Gnou Potaa de John Kyffy issue de l’album « Steady zêzê » paru en 1998. Mais, avant de traduire la chanson en question, l’internaute fait savoir qu’il n’est pas facile de vouloir traduire une chanson de John Kyffy.

L’artiste n’est pas qu’un chanteur, c’est un poète et un grand poète. Manieur exceptionnel de la langue bhété, il réussit à chanter en bhété de Yinbré et de zêbré deux cantons de la région de Gagnoa : c’est que dans le Gôh, on chante plus dans le bhété de Gbadi. Donc plus qu’un simple fait de chanter en bhété, John Kyffy fait un travail d’orfèvre ! (S. Guie Digbo, 2022).

Après cette clarification, il publia le texte ci-après :

Gnoun Pôta (il tombe des gouttes d’eau)

Cette chanson est une balade. Elle traduit la complainte d’une jeune fille qui se trouve dans une malencontreuse situation : Alors qu’elle reçoit chez elle son amant en l’absence de sa mère, il commence à pleuvoir, à tomber des gouttes (Gnoun pôta). Et de loin, elle voit la mère revenir au logis, (courant certainement) cherchant à se protéger de la pluie. Il ne lui reste pas d’autre alternative à la jeune fille que de mettre l’amant dehors, cet amant transit d’amour qui ne veut pas s’en aller (Gnou pôta, wrotchézôhoun)

(Il pleut, sors, vas t’en)

nkê tché gnéa bita gba (afin que je puisse fermer la maison de ma mère)

manhnénoungbo, (pourquoi ne veux-tu rien entendre?)

Digbolê, gnéayihooo, gnounlêbotchého, (Digbo (nom de l’amant), mère vient et il pleut)

Et la dulcinée de poursuivre dans le deuxième couplet :

Mère arrive et il pleut. Certes je t’aime mais bien que je t’aime (hêgnindja, hé wamé ha ba) je te demande de sortir (car ma mère ne devrait pas te trouver ici).

djoulaba ho (j’ai honte, je suis gênée, confuse) ; wannanin, djoulêbakôlê?

(Pourquoi a-t-elle donc honte ?)

hô né sôkêdjolêdjoulêbôh (Elle ne sait que faire et c’est pourquoi elle est gênée)

Gnéayinégnoun né lêbôlêkô ho (Sa mère arrive mouillée par la pluie et l’amant à mettre dehors sous la pluie)

On comprendra donc que dans ce chant, Le Kyffy se fait langoureux. J’ai dit que c’était un exercice, j’espère qu’il sera corrigé par tout sachant avec le Maître suprême. Le chef de la tribu des kanéwans, respect ! »

(S. Guie Digbo, 2022, in Compte Facebook Fans de John Kyffy, 30 décembre 2022)

À la suite de cette traduction postée par Sylvain Guie Digbo, des interactions entre lui et un autre internaute (fan) du nom d’Arthur Vital Dégbé se sont établies avant que n’intervienne John Kyffy lui-même pour donner son avis. Ci-dessous la teneur de leurs échanges :

Arthur Vital Dégbé : « Kyffy, on attend de toi la réponse »

Sylvain Guie Digbo : « Arthur Vital, Franchement, j’attends la correction de mon exercice »

Arthur Vital Dégbé : « Il viendra »

Sylvain Guie Digbo : « Qu’il vienne vraiment, je stresse on dirait candidat au Bac »

John Kyffy : « C’est vraiment l’idée générale de la chanson. Chapeau à toi cher Kanégnon Merci et bravo »

Arthur Vital Dégbé : « merci le père »

(Cf : le compte Facebook Fans de John Kyffy, 30 décembre 2022)

L’initiative prise par l’internaute Sylvain Guie Digbo de traduire la chanson Gnou Potaa et de la mettre à la disposition des abonnés (fans) de John Kyffy via le compte Facebook « Fans de John Kyffy » ne saurait être un fait banal. Ce geste témoigne d’une volonté de contribuer à une meilleure compréhension des œuvres de l’artiste John Kyffy surtout qu’il ne chante ni en français ni en anglais, mais plutôt en langue bété de Côte d’Ivoire. Prendre l’initiative de traduire une chanson et la mettre à la disposition des fans d’un artiste, c’est d’une certaine manière faire œuvre de création même si celle-ci s’appuie sur une création préexistante, en l’occurrence celle de l’artiste lui-même. Cette traduction qu’on peut à juste titre considérer comme une création nouvelle venant d’un fan de l’artiste témoigne du fait qu’une œuvre musicale n’est presque jamais achevée. Elle est susceptible d’être faite, refaite suivant les intérêts des protagonistes en présence que sont, d’une part, l’artiste (auteur originel de l’œuvre) et, d’autre part, le public (consommateur final) qui peut se révéler un co-auteur de l’œuvre suivant ce qu’il pourrait en faire.

Cette initiative illustre bien le fait que, selon F. Escal (2009, p. 5),

l’œuvre musicale n’est pas un objet clos, fini et destiné à être indéfiniment restauré dans un circuit distinguant nettement les rôles : l’auteur (créateur), l’interprète (neutre) et l’auditeur (passif). Elle est au contraire un champ de productivité, le lieu d’une production qui implique, en un même mouvement, ces trois rôles. Elle entretient des rapports de type dialectique avec l’environnement historique et social dans lequel elle s’inscrit et qui lui donne une partie de son sens, de sa vie. Elle procède des contraintes économiques, esthétiques et idéologiques de son temps.

Conclusion

De nos jours, Internet et les réseaux sociaux sont de plus en plus sollicités par les artistes de tout genre pour donner de la visibilité à leur carrière. En engageant la réflexion sur John Kyffy, nous avons voulu mettre en évidence l’inestimable contribution du réseau social Facebook à sa carrière artistique faite de ruptures. En nous introduisant dans l’univers Facebook de l’artiste, on se rend bien compte du travail de reconstitution de ses fans (la tribu de kanégnons) à travers deux comptes, à savoir John Kyffy et Fans de John Kyffy. Quoique distincts, ces deux pages font la promotion de l’artiste et de ses œuvres d’une part et favorisent des rapports plus étroits, plus fluides entre l’artiste et son public grâce aux interactions qui y ont lieu d’autre part. Les différents contenus produits par l’artiste (vidéos, photos, fichiers audios de chansons) alimentent son réseau et rendent sa page dynamique tandis que les contenus postés par les fans (ses abonnés) témoignent de leur volonté de contribuer à une plus grande reconnaissance des qualités artistiques de John Kyffy. En créant des vidéos dans lesquelles ils interprètent les chansons de leur idole, les traduisent dans la langue de Molière, les internautes indiquent qu’ils sont loin d’être de simples consommateurs passifs.

Par leurs actions multiformes sur les réseaux sociaux en particulier sur Facebook (partages de contenus relatifs à John Kyffy, interactions avec l’artiste etc), les fans manifestent leur intérêt pour celui qu’ils considèrent comme le chef de leur tribu. Loin de constituer un simple jeu d’acteurs dans le monde virtuel de Facebook, ces dynamiques interactives et d’appropriation des œuvres de l’artiste par ses fans ainsi que la logique d’adaptation de l’artiste vis-à-vis de cette nouveauté que représente Facebook fondent à croire que la carrière de John Kyffy s’en trouvera impactée positivement. Le réseau social Facebook contribue non seulement à remobiliser les admirateurs de l’artiste, mais aussi favorise de meilleurs gains financiers.

Références bibliographiques

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Les rÉseaux sociaux au village : pragmatique des usages et enjeux pour l’identitÉ sociale

Titi Eri Aramatou PALE

Université Peleforo GON COULIBALY (Côte d’Ivoire)

titipale@yahoo.com

Résumé :

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Les villages africains sont aujourd’hui envahis par les réseaux sociaux, qui développent un mode de communication importé procédant par des usages divers des téléphones, tablettes et ordinateurs intelligents, devenus indispensables dans la communication au loin en raison de leur fonctionnalité principale qu’est la messagerie instantanée. Le pouvoir de ces nouveaux objets technologiques est renforcé par le stockage audio et vidéo sur des plateformes diverses (WhatsApp, Tic Toc, Messenger, Facebook, etc.). A la condition de saisir la signification des injonctions inscrites au-dedans du design de ces réseaux sociaux et des objets technologiques qui les véhiculent, on pourra considérer cette invasion comme un viol de l’imaginaire des villageois qui est enceint d’un intérêt scientifique certain. Cette contribution se penche sur cette dimension cognitive des réseaux sociaux, qui imposent comme préalable l’acquisition de nouveaux capitaux cognitifs pour communiquer au loin. Mais que nous dit la « configuration de l’usager » (Woolgar, 1991), sujet d’un environnement social qui pousse à construire des appropriations socio-pragmatiques des réseaux sociaux à distance des attentes et des injonctions des fabricants ? La méthodologie de l’article consiste à répondre à cette question essentielle en partant de l’enjeu du croisement entre les attentes du fabricant et les vues de l’usager. Ainsi apparaît une dimension ethnographique de ces usages, qui montre toute l’importance d’une analyse d’impact de ces réseaux sociaux dans les villages africains. En effet se pose la question de l’identité sociale, c’est-à-dire du rapport à soi du groupe récepteur des réseaux sociaux : comment renégocier le pouvoir et l’architecture des échanges (au loin) autour du clavier de l’ordinateur ou du téléphone Android ? Répondre à cette question a consisté à explorer ces différentes préoccupations au travers d’une approche qualitative, non déterministe et constructiviste inspirée de Serge Proulx (1990, 1994,1995, 2000) qui propose une analyse de la construction sociale des objets techniques et de l’ethnographie de ses usages connotés et conjoncturels. L’un des résultats des recherches menées sur le site de deux villages ivoiriens du nord et du sud est que les changements sociaux et la pragmatique d’usage des objets technologiques sont partout identiques : les groupements ruraux, jadis présentés comme des lieux à l’écart de la modernité urbaine, sont engagés dans une transformation profonde au contact des réseaux sociaux, et ont leur mot à dire sur la manière de les disposer et de les utiliser. Ces transformations plurielles jouent sur une série de points vitaux de leurs représentations du monde et du rapport au lointain, à l’utile et à autrui.

Mots clés : Appropriations socio-pragmatiques, Identité sociale, Réseaux sociaux, Théorie constructiviste, Villages africains.

Abstract:

African villages are today invaded by social networks, which are developing an imported mode of communication proceeding through various uses of telephones, tablets and smart computers, which have become essential in long-distance communication due to their main functionality which is instant messaging. The power of these new technical objects is reinforced by audio and video storage on various platforms (WhatsApp, Tic Toc, Messenger, Facebook, etc.). On the condition of understanding the meaning of the injunctions inscribed within the design of these social networks and the technological objects which convey them, we can consider this penetration of unexpected technological objects as a violation of the imagination of the villagers which is pregnant with a certain scientific interest. This contribution looks at this cognitive dimension of social networks, which require the acquisition of new cognitive capital to communicate far and wide as a prerequisite. But what does the “configuration of the user” (Woolgar, 1991), the subject of a social environment that pushes us to construct socio-pragmatic appropriations of social networks at a distance from the expectations and injunctions of the manufacturers, tell us? The methodology of the article consists of answering this essential question starting from the issue of the intersection between the expectations of the manufacturer and the views of the user. Thus an ethnographic dimension of these uses appears, which shows the importance of an analysis of the impact of these social networks in African villages. Indeed, the question of social identity arises, that is to say the relationship with oneself of the group receiving social networks: how to renegotiate the power and the architecture of exchanges (at a distance) around the keyboard of the computer or Android phone? Answering this question consisted of exploring these different concerns through a qualitative, non-deterministic and constructivist approach inspired by Serge Proulx (1990, 1994, 1995, 2000) which offers an analysis of the social construction of technical objects and the ethnography of its connoted and circumstantial uses. One of the results of research carried out on the site of two Ivorian villages in the north and the south is that social changes and the pragmatics of using technological objects are identical everywhere: rural groups, formerly presented as places of away from urban modernity, are engaged in a profound transformation through contact with social networks, and have a say in how they are arranged and used. These plural transformations play on a series of vital points in their representations of the world and their relationship to the distant, the useful and to others.

Keywords : African villages, constructivist theory, social identity, social networks, socio-pragmatic appropriations.

Introduction

Si la question de l’utilité des réseaux peut toujours se poser au regard des multiples problèmes qui peuvent lui être imputés (Lemieux, 2016) et de l’emprise qu’ils constituent dans le monde contemporain (Boullier, 2020), l’unanimité se fait sur l’un de leurs traits caractéristiques, à savoir qu’ils sont pourvus d’une capacité à s’incruster partout dans ce qui est devenu un grand village planétaire. Comme moyen et effet des technologies de l’information et de la communication (TIC), ce nouveau moyen de communication moderne bouscule les frontières traditionnellement établies entre la ville et le village, jadis séparés par une ligne invisible. De part et d’autre de cette ligne, on pouvait distinguer entre les citadins qui pouvaient prétendre appartenir à la civilisation et à la modernité et ces attardés de la modernité que sont les villageois, « gens de brousse » qui n’ont jamais quitté que rarement le pas des portes de leurs huttes et de leurs cabanes. La pénétration rurale des réseaux sociaux a principalement cassé l’essentiel de cette frontière, qui instaurait un rapport vertical entre la ville et le village. Films étrangers, codes vestimentaires urbains et manières d’être jusque-là inconnus des villageois font désormais partie intégrante de leur vie quotidienne. Cette pénétration rurale des réseaux sociaux donne lieu à l’émergence de nouveaux comportements qui sont très locaux, en raison des facteurs spécifiques que cette contribution se propose d’identifier et d’analyser. En effet, quelle peut être la pragmatique des usages villageois des réseaux sociaux ?

Cette question de recherche indique que l’insertion et les usages des réseaux sociaux ne sont jamais les mêmes partout et qu’il faut toujours tenir compte de la dimension du local dans la dynamique d’appropriation de cet outil incontournable de la modernité. Cette question de recherche situe aussi clairement l’enjeu de cette recherche : il s’agit d’analyser la pragmatique des usages des réseaux sociaux au village, à travers une approche constructiviste des objets informationnels et de l’identité sociale qu’ils sont susceptibles de bousculer.Pour construire une problématique subséquente à un tel enjeu de recherche, nous affirmons d’emblée et par hypothèse que les usages ruraux des réseaux sociaux s’inscrivent dans une dynamique de croisement entre les attentes des constructeurs et les usages et appropriations socio-pragmatiques. Dans cette contribution, les formes et les attentes de telles interactions seront abordées au travers du questionnement suivant : quels sont les prescriptions du design qui donnent des injonctions d’usage à ces consommateurs ruraux des appareils de connexion ? Quels sont les facteurs socio-pragmatiques et conjoncturels qui entourent localement les usages des réseaux sociaux ? Quels enjeux du pouvoir sont associés à ces usages ruraux des réseaux sociaux ? La familiarité à ces usages comporte-t-elle des risques pour l’identité sociale des villages africains ? Toute l’analyse de cette contribution consistera à répondre à l’ensemble de ces préoccupations.

1. Cadre théorique

Cette contribution construit son analyse en prenant appui sur la théorie constructiviste des objets informationnels, inspirée entre autres par « la nouvelle sociologie des sciences et des techniques » (Latour 1987, 1996 ; Quéré 1989). Du point de vue de la méthode et de la stratégie de recherche, les travaux en STS (Science & Technology Studies) s’appuient régulièrement sur l’étude de cas, qu’on peut considérer comme « le point d’ancrage des STS dans l’empirisme » (Latzko-Toth, 2009, p. 1). Ainsi,

par contraste avec le traitement abstrait des questions similaires, dans les arguments tant malmenés (maligned) du courant postmoderniste, la plupart des travaux en STS sont remarquables par leur engagement dans de minutieuses recherches empiriques. Même s’ils demeurent sceptiques vis-à-vis de l’empirisme, les chercheurs en STS reconnaissent le pouvoir de persuasion d’une démonstration empirique. Le recours à des études de cas détaillés est aussi l’un des meilleurs moyens de tester rigoureusement un argument théorique compliqué » (Woolgar 1997, cité par Latzko-Toth, 2009, p. 1).

Dans sa réalité, le recours des STS aux recherches empiriques dessine deux voies très souvent suivies par différents chercheurs : « L’examen de la littérature contemporaine sur l’étude de cas révèle une pluralité de points de vue s’organisant autour de deux visions assez contrastées : une étude de cas illustrative ou probatoire, au plan théorique (Yin), visant à tester et à corroborer une hypothèse, et une étude de cas ouverte, à saveur ethnographique, ancrée dans la description dense des phénomènes sociaux observés et menant à l’élaboration de propositions théoriques » (Latzko-Toth, 2009, p. iv). Les analyses de cette contribution suivent les perspectives ouvertes par la voie ethnographique, parfaitement décrite par les chercheurs (Latzko-Toth, 2009 ; Hammersley et al., 2000 ; Hammersley 2000). De ce fait, l’analyse que nous proposons complète les études empiriques et descriptives des objets techniques et de leur socialisation. Nous suivons et complétons les recherches empiriques autour de l’énoncé de « monde virtuel » associé aux réseaux sociaux. À cet égard, l’un des travaux les plus significatifs que nous suivrons particulièrement esquisse un « premier repérage, une première cartographie de l’usage de la virtualité dans un corpus de textes récents et qui nous ont semblé significatifs en sciences sociales » (Proulx et Latzko-Toth, 2000, p. 100). En spécialistes canadiens des communications, ces auteurs recensent et analysent précisément les matériaux de la construction sociale des objets techniques, esquissant une ethnographie de leurs usages au bout d’une démarche quelquefois déjà exposée dans différents travaux individuels (Proulx, 1990, 1994,1995). Ces auteurs citent et suivent aussi les travaux des spécialistes de la description des objets techniques comme Akrich (1987, 1998) et éclairent d’un jour nouveau les problématiques en cours dans les STS à propos des usages de l’innovation (Bardini, Horvath, 1995 ; Joas, 1999). Nous suivrons aussi une analyse sociotechnique de ces processus d’innovation, qui a été proposée pour

fournir quelques éléments de méthode et quelques concepts analytiques aboutissant à une description opératoire des objets techniques, c’est-à-dire qui permette une formulation plus complète des épreuves ou expérimentations auxquelles il serait utile de soumettre le dispositif à tel ou tel moment de son développement, et, lié à ce premier point, un repérage plus fin des types des porte-parole qu’il serait judicieux de consulter, d’éprouver, de mobiliser ou d’impliquer (Akrich, 1991, p. 339-340).

L’ensemble des perspectives mobilisées par ces chercheurs éclaire les attentes de la présente contribution sur les enjeux de l’identité sociale villageoise au contact des objets innovants et des réseaux sociaux qui ont fait irruption en milieu rural africain.

2. Perspective méthodologique

La présente recherche se place sous le curseur d’une approche qualitative de type constructiviste en sciences de la communication, où cet énoncé a fait surface en suivant les termes d’une « polémique dans le cadre des études sur le journalisme » (Gavilet 2004, p. 135) :

Par-delà un champ de recherche borné, il se pourrait que les termes de ce débat épistémologique témoignent d’une querelle émergente dans les SIC [Science de l’Information et de la Communication] : la pensée scolastique contre la pensée réfléchie. D’un côté, une « hyper-identification émerveillée » et la reproduction systématique de théories « mandarinales » ; de l’autre, une attention à la construction sociale, scientifique et médiatique de la connaissance. L’origine d’une telle fracture est certainement à lire dans l’irruption d’objets sociaux dont l’analyse réclame une pluridisciplinarité de facto, révélant la faiblesse des modèles jusque-là allant de soi. La temporalité, la réflexivité, la dénaturalisation des objets sont des préoccupations constructivistes qui s’expriment dans l’étude de cas. (Gavilet 2004, p. 135).

Dans les préoccupations qui sont ici développées, l’étude de cas concerne la dimension immatérielle de la pénétration villageoise des réseaux sociaux. L’objectif d’un tel recours méthodologique au constructivisme est de permettre d’atteindre la finalité de la présente recherche, qui est d’expliciter les représentations culturelles ou purement conjoncturelles mobilisées ou susceptibles d’être mobilisées par ceux des agents sociaux qui accèdent nouvellement à cette façon toute aussi nouvelle de communiquer au loin. Il est ici question de proposer une analytique des usages que les villageois font des réseaux sociaux en fonction de leur culture, de leurs besoins, de leurs moyens et de leur inscription dans l’histoire et dans l’environnement nouveau des TIC.

Le recours à cette approche permettra de contextualiser davantage l’analyse de l’appropriation de cette innovation sociotechnique et les changements induits, notamment au niveau de la fracture numérique que la maîtrise des moyens d’accès aux réseaux sociaux impose aux villageois. L’irruption des réseaux sociaux a en effet divisé le village en deux groupes : on observe, d’un côté, ceux qui ont les appareils et/ou les bribes de connaissance ou des savoir-faire confirmés et nécessaires à l’entrée dans ce monde des TIC et à la manipulation des appareils. De l’autre, ceux qui ne les ont pas.Cette approche qualitative aidera ainsi à montrer clairement que les usages des réseaux sociaux en milieu rural introduisent des contraintes, des avantages et des stratégies nouvelles à explorer pour comprendre en profondeur les enjeux ruraux de la connexion aux réseaux sociaux.

Les données de l’étude de cas ont été collectées par voie d’entretiens semi-directifs auprès de cinq villageois à l’identité floutée, que nous référencerons dans le cours de l’analyse sous les acronymes P1, P2, P3, P4 et P5. Ces participants sont des habitants de deux villages ivoiriens (trois dans l’un deux dans l’autre), dont nous garderons l’identité anonyme. Le seul indice que nous donnerons est que l’un des villages est situé au Nord du pays, et l’autre à l’extrême Sud. Dans ses caractéristiques sociodémographiques, cet échantillon concerne des personnes d’âge mûr, possédant un téléphone Android dont elles se servent pour leurs communications à distance. Ces participants présentent une moyenne d’âge de 52,2 ans. Ils ont vécu en moyenne 9,6 ans au village, le plus ancien étant le plus jeune (45 ans), qui est installé en milieu rural depuis 2004 (19 ans), contrairement au plus récent qui vit au village depuis 2020 (3 ans). Les participants sont donc d’anciens citadins des villes ivoiriennes (Adzopé, Bouaké, Abidjan et Soubré) qui se sont réinstallés au village pour « travail » (1/5ème), « approche du service » (1/5ème), « travaux champêtres » (1/5ème), « rester près des parents » (1/5ème) ou encore « près de mon époux » (1/5ème). Au total, les activités économiques justifient l’installation en zone villageoise pour les 3/5ème des participants, tandis que les 2/5ème ont amorcé ce retour au village pour des raisons familiales et affectives.

3. La pensée villageoise des réseaux sociaux

Le principal enjeu de cette étude de cas est de ressortir la pensée réfléchie des villageois à propos des objets connectés qui envahissent leur vie quotidienne, s’ils ne font eux-mêmes des efforts pour se mettre à niveau et se saisir de ces marqueurs de la modernité technoscientifique. Pour nous, il s’agit d’une quête de connaissance à propos de leur façon de se positionner devant ces nouveaux objets pour construire une temporalité et une réflexivité adaptées aux contraintes et aux opportunités qu’offrent les réseaux sociaux. Comment ces villageois pensent-ils l’entrée en réseaux sociaux ? Quelles sont les contraintes spécifiques que cette entrée leur impose et comment pensent-ils les gains de la connectivité ? Cette section présente les résultats obtenus dans les entretiens au compte des réponses à ces questions.

3.1. Penser l’entrée en réseaux sociaux

L’entrée en réseaux sociaux se dit « être connecté ». Le socle de la pensée de la connectivité villageoise est de se donner les moyens et surtout les outils de sa connexion. Pour tous les participants à l’enquête, la possession d’un objet connecté est un enjeu crucial : il est impensable de vivre au village sans un téléphone « Android ». En effet, chacun des participants « est connecté » depuis de longues années : P1 (45 ans) depuis 2010, P2 (60 ans) et P3 (47 ans) en 2021, P4 (55 ans) depuis 2018, et P5 (49 ans) depuis 2019. La connexion aux réseaux sociaux joue de la pluralité des offres et met en compétition les multinationales de la téléphonie mobile qui sont aussi fortement représentées au village. Aussi, si P5 est connecté aux réseaux sociaux à partir d’un téléphone de la marque américaine IPhone, le reste des participants est usager des téléphones Android : P1 se connecte avec le Coréen Samsung, P2, P4 et P5 avec le Chinois Techno. Lorsqu’on interroge les participants sur le choix des téléphones connectés, ceux qui ont les marques les plus chères comme Samsung et surtout IPhone affirment avoir reçu ces appareils des membres de leurs familles vivant en diaspora, ou avoir profité d’une opportunité d’achat en occasion. La forte représentation de Techno est sans doute liée à son bas coût, en moyenne 30 à 40% moins cher qu’un appareil Samsung et au moins moitié moins cher qu’un appareil IPhone. La pensée des répondants sur le choix des appareils de connexion est aussi déterminée par la problématique de la maintenance et de la sécurité des appareils : ils pensent que la technologie chinoise de Techno est plus facile d’accès pour les capacités techniques des réparateurs téléphoniques locaux que celles des marques concurrentes. Ils prétendent aussi que les batteries des téléphones Techno durent plus longtemps. Après la mise en charge au secteur, ces batteries tiendraient aussi plus longtemps : le calcul sous-jacent est que certaines marques sont préférables aux autres pour rester connectés plus souvent face aux risques toujours possibles des coupures d’électricité. Du coup, les arguments de vente portés par les fabricants (puissance, fonctionnalités, design) ne sont pas ceux qui déterminent les choix des appareils au village : il faut d’abord penser à la durée de l’autonomie pour être connecté le plus longtemps possible et à la capacité du technicien, ou plus précisément du bricoleur parfois formé sur le vif pour faire face à la contrainte d’une maintenance des appareils en milieu villageois. Avoir un téléphone connecté au village ne se perçoit pas sans la prise en compte de la capacité à le faire réparer par un bricoleur de préférence installé au village. Contrairement au marketing des marques, cette capacité de maintenance figure tout en haut des critères d’achat : cela explique la forte présence de certaines marques de téléphone plus que d’autres au village.

Les autres multinationales de la connectivité qui se bousculent au village sont celles qui font commerce du crédit de communication et des mégas à travers la vente de leurs nano-puces téléphoniques. Dans ce registre, le français Orange et le sud-africain MTN semblent tenir la vedette. Mais dans la liste des participants, seulement 20% sont porteurs d’une puce téléphonique sud-africaine. Ainsi, P1 est le seul participant abonné chez MTN. Les autres participants (P2, P3, P4 et P5) disposent d’une puce Orange. Cette nette domination d’Orange s’explique en partie par le fait que cette multinationale française est l’opérateur historique de la connexion internet en Côte d’Ivoire. La croissance et l’expansion d’Orange sont nettes : en 2022, « en générant un résultat net de 123,3 milliards FCFA, la filiale a représenté 80% du bénéfice du groupe (établi à 153,5 milliards FCFA fin 2022) »[1]. De plus, il y a longtemps qu’Abidjan est la capitale ouest-africaine d’Orange, avec le raccordement et le placement sous supervision des filiales libérienne et burkinabè sous la direction ivoirienne du groupe. A partir d’Abidjan, Orange est devenu « un groupe régional réalisant plus de 800 millions d’euros de chiffres d’affaires et comptant plus de 16 millions de clients »[2]. Mais la concurrence semble rude entre les deux groupes : au premier trimestre 2023, une source indiquait que dans les filiales du groupe MTN, « « le chiffre d’affaires le plus élevé (171,8 milliards de Francs CFA) a été réalisé en Côte d’Ivoire »[3]. En conséquence, MTN et Orange Côte d’Ivoire s’efforcent d’élargir l’espace numérique ivoirien en pénétrant les villages et d’entretenir leur dynamique de croissance en créant de nouveaux « connectés ». Les villages et les campagnes sont pour ainsi dire de vastes domaines d’exploration et de nouvelles opportunités pour la guerre commerciale entre les compagnies internationales de téléphonie mobile et d’internet, qui se soucient peu du faible niveau d’équipement des campagnes en sources d’énergie comme l’électricité, pour alimenter les appareils connectés.

3.2. Au cœur de la pragmatique des usages

La pragmatique des usages des objets connectés révèle d’autres formes de pensée, pour les unes collectives et propres au milieu rural, et pour d’autres spécifiques aux positionnements individuels face aux opportunités offertes par la connexion aux réseaux sociaux. Lorsqu’on les interroge sur l’utilité du téléphone connecté, les participants répondent qu’on l’utilise pour se « connecter à Internet et aux réseaux sociaux » (P1), « recevoir mes appels de mes proches » (P2), « recevoir de l’argent et communiquer » (P3), « échanger et faire des ventes en ligne » (P4) et, enfin, « M’informer sur l’actualité et être en contact avec mes proches » (P5). Une pensée collective se dégage autour d’une réalité : la fonction d’accès à la toile et l’utilité de la communication à distance dévolues aux objets connectés. Une telle convergence explique sans doute la représentation en banalité de la connexion à distance en milieu villageois. En effet, un sondage lancé aux répondants au cours des entretiens sur leurs observations concernant le niveau d’usage des objets connectés a révélé une forte tendance des participants à montrer la présence devenue ordinaire de l’équipement en téléphones intelligents. Ainsi, P1 pense que « presque tout le monde » au village a un téléphone intelligent, de même que P2 qui considère que c’est « la plupart » des gens qui disposent de cet outil d’accès à la toile. Si P3 parle vaguement d’une population d’« Au moins 20 personnes », P5 parle de « La majorité, 20 ». Ce que confirme P4, qui considère que c’est « pratiquement tout le monde [qui] est connecté ici [au village] ».

Collectivement, les répondants reconnaissent qu’il y a des activités communautaires qui demandent absolument d’être connectées pour se réaliser et se développer. Il y va ainsi du travail « Dans les associations, pour les recrutements et le suivi du train de vie et pour partager des évènements heureux et bien d’autres, retrouver des personnes qu’on a perdues de vue » (P1). Ce besoin est confirmé pour « L’association des femmes et la tontine» (P2), de même que pour « différentes plateformes en ligne, principalement sur WhatsApp» (P3). Ce qui est devenu la norme au village, c’est que pour mener « Les réunions d’associations, on organise des échanges sur WhatsApp» (P4). Les réseaux connectés servent donc à créer et dynamiser « Les groupes d’entretiens » (P5).

Une fois établie cette reconnaissance commune de l’utilité des objets et des réseaux connectés, on doit se rendre à l’évidence que la pragmatique des usages est morcelée et très personnalisée. Elle confine aux stratégies et aux attentes individuelles. En d’autres termes, on ne s’empare pas des objets connectés pour les mêmes raisons au village : il existe une variété de réponses sur l’utilité des objets connectés dans les activités professionnelles et la vie en communauté virtuelle nécessitant régulièrement une connexion aux réseaux sociaux. Dans cette pragmatique d’usages et selon leurs attentes individuelles, les répondants oscillent entre deux pôles : faire de bonnes affaires ou travailler avec la connexion aux réseaux, ou utiliser ceux-ci pour entretenir une communauté virtuelle avec leurs proches. Sur ce point, P1 a besoin d’être connecté pour son « travail » et pour « Échanger à distance ». Par contre, cette fonction de communication est primordiale pour P2, qui utilise la connexion avant tout pour entretenir sa communauté virtuelle, « Communiquer avec mes proches et m’informer ». Chez P3, ce sont les activités commerciales qui demandent une connexion régulière : « Mon commerce de boubous en ligne », ainsi qu’« Échanger avec les autres » pour entretenir la vie en communauté virtuelle. C’est entre les « activités champêtres » et la nécessité de « Renforcer la communication » que P4 situe le besoin d’une connexion régulière aux réseaux connectés, alors que P5 pense que la connexion aux réseaux sociaux sert essentiellement à « Échanger avec mes proches ».

Au-delà, plusieurs pôles d’individuation s’ouvrent dans les usages d’objets connectés au village. Le premier est le choix des supports et la fréquence de connexion. Si tous les participants se connectent sur les réseaux sociaux grâce à leurs téléphones portables, certains y restent en moyenne 20 minutes à une heure par jour (P1, P2 et P3), voire par semaine (P5) tandis que d’autres y vivent pratiquement : « Je suis connecté pratiquement tout le temps, 20h par jour » (P3). Le deuxième est l’usage de la publicité sur les réseaux sociaux. Les participants se distinguent aussi par les usages de la publicité sur les objets connectés. Si les uns s’en détournent (P1) ou se contentent des méthodes plus traditionnelles et locales comme le « bouche à oreille » (P2), d’autres s’emparent, sans hésiter, de l’opportunité offerte par les réseaux sociaux : « Oui, je fais la publicité de mes articles traditionnels et de mes boubous sur Facebook, WhatsApp et Tiktok. Je publie les photos et les vidéos de mes produits » (P3). Le troisième est la place que les uns et les autres accordent aux réseaux sociaux dans les relations avec les proches au loin. Cette place est « importante » (P1, P4), « très importante » (P2 et P3). P5 est seul à penser que les réseaux sociaux, « C’est pas trop important » dans les relations avec les proches qui vivent au loin. Le quatrième est la capacité des uns et des autres à se passer des réseaux sociaux dans les relations avec les proches qui vivent au loin. Se priver de réseaux sociaux est tout à fait possible pour les uns (P1, P2, P3, P4), mais inenvisageable pour d’autres (P5). Le cinquième est la dépendance à l’égard des réseaux sociaux pour certains services connectés. Chacun se fait une liste individuelle des choses inenvisageables sans objets connectés : recherches et communication (P1 et P5), « Communiquer avec mes proches qui sont loin, suivre l’actualité, regarder des vidéos comiques » (P2). Un participant pense même qu’« Actuellement, il est impossible de se lancer dans le monde des affaires sans les réseaux sociaux. Aussi, c’est difficile d’avoir de la visibilité sans eux » (P3). Dans le même sens, P4 pense que « Je ne peux plus commander des produits, semences, et communiquer avec mes proches sans les objets connectés [en réalité les appareils de connexion, nda] ».

3.3. Inégalités villageoises devant les appareils de connexion

La pénétration villageoise des réseaux sociaux est un facteur d’inégalité. Elle fait passer une frontière nouvelle entre ceux qui disposent des moyens d’accès aux réseaux sociaux et ceux qui n’en disposent pas. Ces moyens vont de la possession d’un poste de téléphone à la maîtrise des codes et des normes de navigation dans les réseaux sociaux. Dans le premier cas, avoir un poste de téléphone Android qui fonctionne fait entrer son propriétaire dans la nouvelle catégorie de l’élite du village, celle composée de ceux qui sont « modernes » parce que « connectés ». Ceux qui aspirent à la connexion sont donc des candidats à cette nouvelle élite numérisée. Ils développent des techniques d’appartenance par procuration à cette élite connectée en communiquant le contact d’un co-villageois connecté à des proches ou à des tiers pour recevoir une information ou un coup de fil sur un objet connecté (téléphone ou ordinateur) appartenant à autrui. De fait, les propriétaires de téléphones connectés en milieu rural sont le noyau central d’une élite connectée qui rend des services à ceux qui sont exclus du réseau en raison de la non-possession d’un objet connecté adapté. Les membres de cette élite connectée sont des points de contact et des centrales d’appel du village. Dans notre cas d’étude, tous les participants à l’enquête sont passés par ce genre d’assistance numérique avant de devenir eux-mêmes propriétaires de téléphones connectés. Or l’assistance numérique n’est pas toujours gratuite. Si pour certains participants ce service était systématiquement « payant » (P2 et P4) ou seulement « par moments » (P3), d’autres affirment que le coût « dépend des personnes » (P5) ou est défini par la situation du demandeur : « Quand c’est une vieille personne c’était gratuit mais avec les jeunes 50f par personne » (P1).

Ce pouvoir de connecté sur le non-connecté a été établi en raison du monopole d’accès à la connexion : « Vu qu’il [le propriétaire d’un appareil connecté] est le seul, il a la possibilité de faire valoir ses droits sur les autres » (P3). Les rares personnes connectées des villages « faisaient faire des rangs aux personnes [demandeuses des services en ligne] et s’en glorifiaient » (P1). Elles se faisaient prier et pouvaient faire chanter les usagers sur qui elles détenaient tous les secrets par le biais des conversations écoutées ou des messages stockés dans leurs téléphones qui servaient de centrales de communication. Ce pouvoir a progressivement disparu dans les villages pour restituer leur intimité aux usagers, en raison de deux facteurs. Le premier facteur est l’apparition des entrepreneurs de la connexion aux réseaux sociaux. En effet, comme en ville, les inégalités d’accès des habitants aux réseaux sociaux connectés ont généré des métiers dédiés comme le « Call box » ou des cybercafés. Dans les deux villages du cas d’étude, cette présence d’entrepreneurs des services de la toile n’a pas toujours été observée. Les gens ont préféré continuer d’aller vers d’autres gens connectés plutôt que vers des lieux exclusivement dédiés, pour échanger dans leurs boîtes électroniques ou recevoir aussi des communications (sur WhatsApp notamment). Dans les villages où le marché de la téléphonie a pris pied, les opérateurs du business des réseaux sociaux sont les mêmes et ne sont jamais diversifies, offrant tous les services à coûts modérés pour essayer d’être attractifs. Ce monopole d’un service tarifé sur tous les segments des nécessités de la connexion est un professionnalisme et une facilité qui détournent de l’assistance des propriétaires privés d’objets connectés. En même temps, ce monopole montre que la profondeur de marché est faible, notamment en raison des solutions individuelles pour résoudre les problèmes de connexion (téléphone personnel, recours au tiers ou à un membre de la famille, etc.). D’où le second facteur de recul du pouvoir du connecté sur le non-connecté, à savoir la démocratisation des objets portables individuels et connectés.

3.4. Des changements sociaux profonds

L’irruption et la démocratisation progressive des appareils de connexion n’est pas qu’un phénomène urbain qui changent les termes de l’engagement (Amato et ali, 2021), au risque de transformer les sites virtuels ainsi générés en « nouveaux espaces de contestation et de reconstruction de la politique » (Richaud, 2017, p. 29-44). Du côté du monde rural aussi, ces évolutions technologiques ont profondément changé le rapport des villageois à la communication et à la modernité technologique. Sur la communication, les répondants constatent qu’on « On ne se déplace plus chez la seule personne pour communiquer. Ça facilite aussi la communication avec nos proches. Tout le monde est connecté ». Cette démocratisation sonne aussi la fin d’un monde ancien. Face aux réseaux sociaux, les autorités administratives et traditionnelles sont les premières victimes du vent de changement que les objets connectés font souffler sur le village. Avant les objets connectés, ces autorités communiquaient par voie de « délégations, envoyés spéciaux » (P1), « griots » (P2), « Avec le tam-tam parleur, les griots, les envoyés du chef » (P3), « Par courrier et par des griots » (P4) ou encore « Les messages pour transmettre l’information aux villageois » (P5). Un débat à distance a éclaté entre participants sur ce que les réseaux sociaux ont fondamentalement introduit et changé, notamment autour de l’effet de capitulation ou non de ces formes anciennes de communication. Pour les uns, le chef de quartier, de village ou l’administration auront du mal à gérer les populations sans les réseaux sociaux. Être connecté et devenu une voie d’accès privilégiée aux administrés, « faire passer des annonces » (P5), « Pour passer des informations pour la population, pour faire des campagnes » (P1), ou plus simplement « Pour être plus proche de la population, démocratiser les débats publics, informer les populations et bien d’autres » (P3). Il est évident que dans tous compartiments de la vie quotidienne et de l’administration, les objets connectés et les réseaux sociaux « sont devenus incontournables pour transmettre des informations » (P5). Pour les autres, dans les faits, des autorités de certains villages continuent d’exercer leur autorité en étant hors-connexion et certains répondants pensent même que « la connexion n’a rien à voir avec le pouvoir exécutif » (P4) et qu’une personne incarnant une autorité publique « n’a pas besoin d’être connectée pour exercer son pouvoir» (P2). Certains, plus nuancés, pensent que face aux réseaux sociaux, l’autorité administrative ou traditionnelle « a toujours le pouvoir mais il sera difficile pour lui de continuer à fonctionner à l’ancienne, vu que les gens sont de plus en plus connectés » (P3).

En dépit de ce débat, un point de consensus se dégage entre les participants autour des réseaux sociaux : il y a un changement d’époque en cours. Trois marqueurs de ce changement d’époque introduit par la pénétration des réseaux sociaux au village sont repérables. Le premier est la démocratisation de l’accès à l’information. Avec l’arrivée des réseaux au village, « tout le monde est informé au même titre » (P1), « tout le monde a la possibilité d’entrer en contact avec qui il veut, sans intermédiaire et de s’informer, de se cultiver » (P2). Cet accès à l’information touche à « notre mode de consommation et la facilité d’avoir accès aux produits » (P4). Avec la connexion en ligne, « les dépenses ont augmenté mais on peut facilement trouver les produits recherchés » (P3). Le second est l’assaut des jeunes sur ces appareils de connexion. Plus agiles que leurs aînés, ces jeunes sont plus présents sur les réseaux sociaux. On peut même dire que « la jeunesse est devenue esclave des réseaux sociaux et entraîne assez de méfaits » (P1). Pour cette jeunesse, il y a un risque de sombrer dans « la promotion de la dégradation des mœurs » (P4) qui se déroule en ligne. D’où la nécessité de « commencer l’éducation et l’utilisation à bon escient des réseaux sociaux à nos enfants dès le bas âge » (P3). Le troisième est la transformation de l’identité sociale des villages. Pour les participants, les réseaux sociaux bousculent les pratiques sociales locales et « décrochent des activités communautaires » (P3). La différence de diagnostic se fait cependant entre les alarmistes qui pensent qu’il y a péril en la demeure et que tout est perdu, et les réformistes, qui pensent que l’avènement des réseaux sociaux est une opportunité pour « Moderniser la tradition et nos coutumes » (P3). Pour les premiers, « Il n’y a plus de tabous : actuellement tout est diffusé sur les réseaux sociaux et cela dégrade nos traditions » (P1). En cela même, nos traditions (modes de vie, communication, etc.) ont irréversiblement « perdu de leur valeur » (P5) avec l’entrée des réseaux sociaux au village, qui a engendré la « dégradation des liens communautaires. Les contes ne se font plus. Les jeunes ne respectent plus les interdits » (P2). Avec les réseaux sociaux, « l’individualisme a pris le dessus » et changé « notre manière de vivre avec les autres » (P5). Les réformistes pensent cependant que tout n’est pas perdu et qu’il est essentiel d’« enseigner aux jeunes les valeurs de nos cultures » (P1), de leur « enseigner les traditions» (P2). De ce point de vue, « Il sera avantageux d’adapter nos cultures à ce progrès. Sinon, elle risque de ne plus exister à l’avenir » (P3). L’une des stratégies seraient d’« Associer les réseaux sociaux aux cultes ancestraux » (P4).

5. Résultats et discussion

Au bout de notre parcours, cette recherche est parvenue à quelques résultats identifiables. D’abord, nous sommes parvenus à clarifier les mécanismes d’appropriation villageoise du design et des fonctionnalités des objets connectés. L’inscription de ces objets dans l’environnement rural n’a pu se dérouler que grâce à la capacité des villageois à comprendre l’importance et l’utilité de ces objets connectés nouveaux à résoudre certains de leurs problèmes quotidiens : communiquer au loin, s’informer, saisir des opportunités et faire des affaires. Cette appropriation réussie montre qu’il n’existe pas de différence entre les lieux de vie quant à l’intérêt de se saisir d’un outil nouveau comme les réseaux sociaux pour résoudre les problèmes posés par la distance entre les gens et les écarts entre les villes et les villages en matière d’équipements publics, de santé, d’éducation et d’affaires. Pourtant, la banalisation de la téléphonie mobile se fait au détriment des tablettes et des ordinateurs portables connectés, dont P1 et P3 n’ont repéré aucun dans leur environnement villageois. Pour leur part, P2 et P5 ont détecté respectivement deux et trois pièces d’objets connectés autres que le téléphone portable, ce qui est insignifiant au regard du nombre important et ci-haut noté de téléphones intelligents en circulation dans le village. Or ce sont les ordinateurs et les tablettes connectées qui sont en usage dans les formations à distance et l’appropriation utile de l’économie numérique. Les réseaux sociaux se répandent donc dans les villages ivoiriens au gré des efforts individuels et sans aucun effort de centralisation autour des pôles et des centres d’apprentissage et de vulgarisation. Ce travail reste donc à faire pour une appropriation utile et éducative des réseaux sociaux, tant décriés par les plus âgés des participants qui ont dénoncé le mauvais parti pris par les jeunes au contact de ce nouveau monde qu’est internet. Le second résultat de notre recherche a consisté à mettre en évidence les facteurs socio-pragmatiques qui constituent l’intelligence locale (local knowledge) de cette adhésion aux usages des réseaux sociaux (Gertz, 1988). Au vu des formes de pensée construites et décrites par les participants eux-mêmes tout au long de ces lignes, il s’est avéré que chacun va aux réseaux sociaux par le chemin qui lui est particulier et aisé. Le réseau de téléphones mobiles du village s’est construit pour répondre à des besoins individuels et continuera de se développer au gré de la volonté des individus d’intégrer le réseau des gens connectés : être connecté est donc un choix libre de chaque individu qui se trouve au pas de la porte de la modernité. Les villages ivoiriens n’attendent donc pas d’ordres venus du dehors pour intégrer cette grande démocratie libérale que constituent les TIC.

En troisième lieu, les entretiens au cours de l’étude de cas nous ont permis d’identifier clairement les nouvelles inégalités sociales construites autour de la diffusion des réseaux sociaux au village. Posséder ou ne pas posséder un objet connecté ne garantit pas la même place au sein de la communauté villageoise : au fil du temps, la banalisation des objets connectés a fini par déchoir les premiers propriétaires de téléphones connectés de leur piédestal de « maître des horloges » qui leur était conféré par ceux qui passaient par eux pour accéder à leurs proches. Cette recherche a montré en quoi la pénétration villageoise des réseaux sociaux a introduit de nouvelles inégalités entre les gens, heureusement vite corrigées par la banalisation du téléphone connecté.

Enfin, la prise de parole des participants a montré les inquiétudes villageoises à propos de la définition de l’identité sociale en contexte de réseaux sociaux. La pensée villageoise a évalué l’impact des usages des réseaux sociaux sur les traditions, la culture locale et les habitudes collectivement admises et stabilisées. Avec une jeunesse qui y va sans retenue et sans esprit critique, les réseaux sociaux bousculent, voire disqualifient ces codes et habitus anciens ; pour le meilleur ou pour le pire ? La recherche n’a pas pu trancher, et la polémique reste vive. Mais ceux qui n’ont pas capitulé pensent que cette polémique aidera à mieux éduquer les jeunes et le reste de la population pour une meilleure éducation autour des réseaux sociaux.

Au bout de ce parcours, une critique en règle de la démarche et des résultats de nos analyses peut consister essentiellement à montrer que si le pragmatisme constructiviste observé et soutenu dans nos propos au sujet des usages des réseaux sociaux au village a clairement bousculé le dualisme, celui-ci n’a pas dit son dernier mot : on ne peut pas réellement sortir de la complémentarité (dualiste pour le coup) équipement/développement. On ne saurait prendre au sérieux la pénétration villageoise des réseaux sociaux et encore moins miser sur cette innovation technologique au regard du sous-équipement criard en équipements de base (électricité, antennes-relais). Dans la hiérarchie des priorités, ces équipements doivent précéder l’expansion des réseaux sociaux dans des brousses sous-éclairées ou les digérer comme contraintes, notamment par les technologies durables de la production de l’énergie solaire ou toute autre énergie alternative et propre.

Conclusion

En somme, la pénétration des réseaux sociaux au village met en branle une pragmatique des usages à plusieurs facettes que nous avons mis du prix à décrypter par le dépouillement des entretiens semi-directifs administrés aux villageois eux-mêmes. Cette démarche a permis de voir qu’en marge des débats dominants sur la régulation des réseaux sociaux qui agitent le monde scientifique et le champ politique (Poullet, 2021, p. 19-30), on peut mettre en évidence les stratégies d’accès des populations rurales au cyberespace, leurs modes d’acquisition des supports de connexion et de choix des opérateurs, de même que différents types d’inégalités entre ceux qui disposent des appareils de connexion au village et ceux qui n’en disposent pas. On a aussi pu voir qu’un pouvoir politique ou administratif hors-connexion était en passe de perdre la main sur le contrôle politique de l’information et de laisser faire les voies alternatives qui se développent de manière quasi-anarchique sur les réseaux sociaux. En clair, les enjeux de l’entrée des villages dans les réseaux sociaux dépassent largement le cadre d’une simple problématique de connexion : ils engrangent d’autres enjeux comme ceux du pouvoir et de la connaissance.

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La bibliographie est à reprendre intégralement suivant les normes CAMES.

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L’ÉVOLUTION DU CONCEPT D’AMITIÉ À L’ЀRE                              DES RÉSEAUX SOCIAUX : VERS LA NUMÉRISATION                             DE LA RELATION INTERLOCUTIVE

Koffi KOUASSI

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

skouassikoffi@yahoo.fr

Résumé :

Cet article aborde la thématique de l’amitié en ligne sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat, et WhatsApp. Interpellés par l’appellation « ami », proposée par l’architecture technique de ces sites, terme qui nous semble assez réducteur pour faire état de la complexité des liens noués dans ces univers numériques, nous questionnons les définitions et les pratiques de l’amitié au sein des dits réseaux sociaux, pour les confronter avec la conception socio-culturelle africaine, et ce à la lumière de la philosophie de Francis Jacques. Alors que Francis Jacques privilégie les relations directes, nous observons un changement de paradigme opéré par les réseaux sociaux, toutes choses qui modifient notre compréhension de l’amitié, et la manière dont nous interagissons. Avec une démarche à la fois comparative et démonstrative, l’objectif de notre étude est de montrer que la numérisation de la relation interlocutive a transformé la nature de nos interactions sociales. C’est donc la tension entre les avantages et les défis de cette transformation qui est mise en évidence.

Mots clés : Amitié, Communication, Interaction, Relation interlocutive, Réseaux sociaux numériques.

Abstract:

This article addresses the theme of online friendship on social networks such as Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat, and WhatsApp. Prompted by the term “friend,” as suggested by the technical architecture of these sites, a term that seems quite limiting to express the complexity of relationships formed in these digital realms, we explore the definitions and practices of friendship within these social networks. We compare them with the socio-cultural conception in Africa, illuminated by the philosophy of Francis Jacques. While Francis Jacques favors direct relationships, we observe a paradigm shift brought about by social networks, all of which alters our understanding of friendship and the way we interact. Through a comparative and demonstrative approach, the goal of our study is to demonstrate that the digitization of interpersonal relationships has transformed the nature of our social interactions. Therefore, the tension between the benefits and challenges of this transformation is highlighted.

Keywords : Communication, Digital social networks, Friendship, Interaction, Interpersonal, Relationship.

Introduction

L’avènement des réseaux sociaux a profondément transformé la manière dont les hommes interagissent et se connectent à travers le monde. L’Afrique, en particulier, est témoin d’une adoption massive des réseaux sociaux, créant ainsi de nouvelles opportunités de communication, de création de liens sociaux ou de nouvelles amitiés. L’amitié, en effet, est une valeur profondément enracinée dans les sociétés africaines, mise en marche par des liens sociaux étroits et des réseaux d’entraide. Cette orientation traditionnelle de l’amitié, qui privilégie la proximité dans la relation, trouve un écho favorable dans la philosophie relationnelle de Francis Jacques. Pour lui, dans l’amitié, « la relation humaine peut être directe, i.e. fondée sur la présence. » (1985, p. 132).

Cependant, les réseaux sociaux ont introduit de nouveaux paradigmes dans la façon dont les amitiés sont formées, entretenues et perçues. Cette évolution rapide, soulève des questions pertinentes, sur la façon dont les valeurs africaines de l’amitié s’articulent avec les dynamiques des relations virtuelles. Le phénomène des réseaux sociaux, qu’il s’agisse de Facebook, Instagram, Twitter, ou d’autres plateformes, a profondément modifié la dynamique traditionnelle de l’amitié. Sommes-nous en train de vivre une numérisation de la relation interlocutive au détriment de l’authenticité des amitiés ? Autrefois, l’amitié était associée à des interactions directes, à la proximité physique et à la confidentialité des échanges.

Aujourd’hui, les liens amicaux s’étendent bien au-delà de ces limites géographiques, et nos relations sont de plus en plus influencées par la médiation des écrans et des claviers. « Dans la société planétaire et câblée où nous vivons, (…) tout le monde est en relation impersonnelle avec tout le monde. Chacun éprouve le sentiment d’être à la fois perdu et solitaire » (F. Jacques, 1982, p. 10).

Face à cette transformation, il est inévitable de s’interroger sur la qualité et à la nature de ces nouvelles amitiés numériques. Comment l’évolution des réseaux sociaux a-t-elle remodelé le concept d’amitié et la nature de nos relations interpersonnelles ? Quels sont les avantages, et les inconvénients de cette numérisation de la relation interlocutive, quant à, pour notre bien-être émotionnel, et notre compréhension du concept d’amitié ?

Notre objectif, à travers ce travail, est de mieux comprendre comment la technologie a redéfini un aspect fondamental de notre expérience humaine : l’amitié. Ainsi, à partir d’une approche à la fois comparative et démonstrative, nous examinerons les implications de cette numérisation de la relation interlocutive, en analysant les transformations des pratiques sociales et culturelles, ce à la lumière de la pensée jacquéenne. Comment y parvenir sans d’abord mettre en exergue les caractéristiques de la conception africaine de l’amitié, puis nous pencher sur les nouvelles formes d’amitiés qui émergent en ligne, en dressant les conséquences sur la vie privée et les défis de leur maintien.

1. La conception africaine de l’amitié

L’amitié, enracinée dans les valeurs culturelles, revêt une signification profonde dans le contexte africain. Comment se caractérise-t-elle ?

1.1. Les caractéristiques de l’amitié en Afrique

En Afrique, l’amitié, traditionnellement revêtait de multiples caractéristiques qui peuvent varier d’une culture à une autre. Cependant, il existe certains éléments communs qui définissent cette orientation de l’amitié. Quelles sont les caractéristiques clés de la vision africaine de l’amitié ?

L’une des caractéristiques de l’amitié en Afrique est la solidarité et entraide. Chez les Africains, l’amitié est généralement associée à un sens fort de solidarité et d’entraide. Les amis sont prêts à se soutenir mutuellement dans les moments difficiles, c’est-à-dire, des moments de besoins émotionnel, matériel ou spirituel. Ils partagent des joies et des peines. Comme le souligne F. Jacques (1985, p. 132), dans l’amitié, « la relation humaine peut être directe, i.e. fondée sur la présence. (…) Elle est en tout cas réciproque ».

En plus de la solidarité et l’entraide, l’amitié en Afrique se traduit par la confiance et la loyauté. La confiance est une valeur fondamentale. Il n’est pas superfétatoire de dire que la confiance est un pilier de l’amitié africaine. Autrement dit, les amis se font mutuellement confiance et maintiennent des secrets partagés. Ils sont prêts à partager leurs pensées les plus intimes, sans crainte de se voir exposer publiquement. Cette confiance permet de construire des liens durables, et de créer un environnement de communication ouvert et respectueux. « Ainsi, l’abus de confiance n’est rien d’autre qu’une pure trahison » (C. Pacific, 2011, p. 23).

La loyauté envers les amis est hautement valorisée, et grâce à cette valeur, les amitiés sont souvent considérées comme durables et résistantes. Par ailleurs, la coexistencecommunautaire apparait comme l’une des caractéristiques essentielles de l’amitié sur le continent africain. Contrairement aux cultures européennes, l’amitié en Afrique ne se limite pas aux relations individuelles. Elle est ancrée dans la coexistence communautaire. Les amis sont souvent considérés comme faisant partie de la famille élargie, et sont intégrés dans les activités et les responsabilités communautaires. Les amitiés sont entretenues dans un cadre plus large de relations interpersonnelles et sociales. C’est pourquoi selon F. Jacques (1985, p. 92) l’amitié « comporte une régulation propre, une pertinence ».

Pour Jacques, en effet, l’amitié ne se limite pas à une simple association informelle, ou à des liens superficiels ; mais elle comporte une régulation spécifique et une pertinence. En d’autres termes, l’amitié, telle que conceptualisée par Jacques, n’est pas un concept vague ou arbitraire, mais plutôt un ensemble de normes et de significations qui guident et donnent une direction aux relations amicales. Lorsqu’il parle de « régulation propre », Jacques suggère que l’amitié n’est pas anarchique ou dénuée de règles. Ces règles peuvent inclure des attentes mutuelles, des limites personnelles respectées, et une certaine éthique relationnelle. Ainsi, l’amitié ne se forme pas de manière aléatoire, mais elle est façonnée par des normes et des valeurs partagées qui contribuent à maintenir et à réguler la relation.

En Afrique, l’amitié est également caractérisée par un fort sentiment d’échange et de partage. Les amis, se soutiennent en partageant des ressources, des connaissances et des expériences. Ils s’engagent dans des échanges émotionnels, intellectuels et matériels, créant ainsi un lien profond et mutuellement bénéfique. « Mais comment jouerait-on sur les attentes, les émotions, les surprises d’un partenaire, si l’on n’était pas d’abord en relation avec lui ?», s’interroge F. Jacques (1985, p. 133). Enfin, le respect mutuel et l’honneur sont des valeurs importantes dans l’amitié en Afrique. Les amis se respectent les uns les autres dans leurs différences et leurs opinions. L’honneur joue un rôle crucial, car les amis sont perçus comme des personnes faisant partie intégrante de nous-mêmes. On ne saurait donc les déshonorer.

C’est un honneur d’être choisi comme parrain ou marraine lors des rites et des cérémonies, car cela consolide l’amitié. Dans de nombreuses cultures africaines, il faut le dire, des rituels et des cérémonies spécifiques marquent la formation et le renforcement des amitiés. Ces relations jouent un rôle clé lors des célébrations et des événements sociaux en Afrique, tels que les célébrations de mariage, des naissances, ou les périodes de deuil. En de telles circonstances, les amis sont présents physiquement : « C’est un individu concret, physiquement situe hic et nunc » (F. Jacques, 1985, p. 107), qui soutient et participe activement aux moments importants de la vie sociale des proches. Ainsi, lors d’une cérémonie de mariage, les amis jouent un rôle essentiel en contribuant financièrement, en aidant à l’organisation de l’événement et en apportant leur présence chaleureuse. L’amitié nécessite une entrée en dialogue.

À vrai dire, elle est d’abord indéterminée. Elle s’accommode ensuite d’une écoute intéressée. L’oreille, sens de la nuit, est soupçonneuse. Celui-ci écoute et profite, celui-là vous voit venir les yeux mi-clos. Il écoute avec attention, et même avec contention. (…) Vivre en dialogue, c’est se mettre en condition d’écoute de l’autre. (F. Jacques, 1985, p. 93).

Ces événements symboliques renforcent les liens d’amitié au sein de la société. En Afrique, l’amitié est bien plus qu’une simple relation individuelle. Elle s’inscrit dans un contexte social et culturel plus large, contribuant à la cohésion sociale, à la transmission des valeurs et au soutien mutuel au sein de la société africaine.Elle incarne des valeurs telles que la solidarité, la confiance, le partage, la loyauté et l’entraide. L’amitié en Afrique est une force puissante qui redynamise le tissu social et contribue au bien-être et à l’épanouissement des individus en relation au sein de leurs communautés.

1.2. L’acte amical comme expression directe du langage

La problématique des réseaux sociaux numériques met au jour la question du langage. Chaque utilisateur cherche à se faire voir, à paraître ; à se faire entendre, à entendre et à se faire écouter ou à écouter les autres. C’est pourquoi, J. Ellul (2014, p. 7) affirme que « chacun est fait de la confrontation de ce qu’il voit et de ce qu’il entend, de ce qu’il donne à voir et de ce qu’il parle ». Cette propension à vouloir tout dire a « donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui ne parlaient qu’au bar après un verre de vin, sans nuire à la collectivité, alors qu’aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles » (J. Colombain, 2019, p. 41).

En Afrique, la parole, tout comme l’acte amical est encadré. La parole a un espace où elle s’exprime. Cet espace, c’est la relation interlocutive, établie entre un locuteur et un allocutaire, de face à face, en présentiel. Dans son ouvrage L’espace logique de l’interlocution, F. Jacques (1982, p. 133) affirme que c’est dans la communauté que la parole est signifiante, et non sur les réseaux sociaux : « La relation interlocutive constitue une spécification au discours de la relation interpersonnelle. Dans le dialogue, elle est directe, in praesentia. » En effet, les réseaux sociaux numériques sont un espace hybride, le lieu par excellence de la subjectivité, qui se traduit par des “likes” sur les publications ou des commentaires rapides.

F. Jacques (1982, p. 155) considère que la véritable amitié se manifeste dans la présence, de face à face. C’est pourquoi, il pense que « pour que je reconnaisse l’autre comme étant un moi, il importe que je le voie faire sur moi ce que je me vois faire sur lui ». La référence au drame n’est pas toujours présente, mais il semblerait que le moment fondateur de l’amitié soit associé à des événements dramatiques comme un décès, des problèmes familiaux. Comme l’explique Bidart (1991, p. 38), « l’ami, c’est la personne exceptionnelle dans le moment exceptionnel ».

La qualité de l’amitié prime sur la quantité. Avoir un ami fiable, et présent dans les moments difficiles, est souvent plus précieux que de nombreux contacts superficiels. L’idée de pouvoir compter sur un ami en cas de coup dur, souligne la confiance mutuelle qui est essentielle dans une amitié directe. « Un ami, c’est celui qui sera là quand vous aurez vraiment besoin de quelque chose. Vous pouvez compter sur lui en cas de coup dur » (Bidart, 1997, p. 18). La confiance repose sur la certitude que l’ami sera là pour offrir son soutien sans jugement ni hésitation. Présent, il trouve les mots appropriés pour apporter son réconfort et sa consolation.

Dans la perspective de F. Jacques, l’acte amical se pose comme un acte de langage. Ainsi, la relation interlocutive et le dialogue jouent un rôle central dans l’amitié de face à face. Parler d’interlocution, c’est sortir du schéma classique de la communication, pour promouvoir la communicabilité. « On appellera communicationen général, tout processus de mise en commun des messages entre êtres humains, quels que soient le degré d’uniformité du code utilisé, qui s’applique aux mots et aux discours en contexte interlocutif » (F. Jacques, 1985, pp. 13-14). Communiquer, ce n’est pas transmettre un sens déjà déterminé, c’est au contraire constituer un sens en commun, entre ami.

F. Jacques (2005, p. 36) s’interroge alors : « Qu’est-ce que dire sinon que le contexte de communication nous expose à un procès pragmatique ? ». Son approche met en commun, entre deux amis, un message, dont le sens est à construire ensemble. Les amis doivent être en relation interlocutive, pour rendre à l’amitié toute sa réalité. En effet, on peut dire avec Francis Jacques qu’une amitié n’est

signifiante pour autant qu’elle est mise en communauté entre des énonciateurs, qui sont par ailleurs en relation interlocutive actuelle. Une telle condition passe généralement inaperçue, alors qu’elle est fondamentale et même fondationnelle (F. Jacques, 1983, p. 49).

La relation interlocutive suppose alors la conjugaison du même et de l’autre, avec le désir de parler à quelqu’un et avec quelqu’un. Dans cette conception, l’amitié va au-delà de simples interactions sociales pour devenir une relation profonde basée sur le partage et l’écoute mutuels et la présence réelle et non virtuelle. Cela se perçoit en filigrane dans cette question de F. Jacques (1979, p. 150) : « Si on ne s’entend pas, que pourrait-on se dire ? ». L’amitié véritable est fondée sur un dialogue authentique, c’est-à-dire en présentiel entre les individus. On récuse avant tout, une conception de l’amitié dont le contenu serait le résultat « de l’activité symbolique d’un locuteur individuel » (F. Jacques, 1983, p. 51). Le dialogue dans l’amitié de face à face, directe, permet également d’établir une connexion interpersonnelle profonde.

Il n’y a pas d’un côté moi qui signifie et d’un autre côté toi qui comprends. Au fur et à mesure que je parle, j’écoute, ou plutôt : je parle l’écoute que je te prête de ma propre parole. Quant à l’allocutaire, il s’efforce d’entendre le message pour ainsi dire de l’oreille du locuteur (F. Jacques, 1983, p. 62).

Les amis, on le voit, ne se contentent pas de parler, mais ils prennent également le temps de s’écouter. Tout comme l’acte de langage, l’acte d’amitié « n’est pas de l’ordre des choses qu’on peut faire seul » (F. Jacques, 1983, p. 60).

En somme, la relation interlocutive et le dialogue dans l’amitié de face à face dépassent la superficialité des interactions sociales pour créer une connexion profonde et significative entre les individus. La vraie amitié est dialogale, et « exige une certaine parité des présences et des participations personnelles » (F. Jacques, 1985, p. 96). Autrement dit, en tant qu’acte de langage, les actes amicaux sont des

actes réels de communication qui ont, inter alia, pour effet de modifier les rapports entre ceux qui communiquent. (…) Je crois qu’il faut rompre une bonne fois avec le narcissisme philosophique de l’ego. (…) La subjectivité n’est ni pour soi, ni pour l’autre, elle est originellement capacité d’être et de se maintenir en relation (F. Jacques, 1982, p.157).

Cette orientation de l’amitié met l’accent sur l’écoute, l’empathie et la confiance, contribuant ainsi à la construction et au renforcement des liens sociaux authentiques. Mais, d’hier à aujourd’hui, quel est l’impact des réseaux sociaux sur l’amitié ?

2. La communication digitale dans les relations amicales

L’amitié, concept intemporel qui a évolué au fil des siècles, se trouve aujourd’hui redéfinie par les avancées technologiques et l’avènement des réseaux sociaux sur notre continent. Quels sont, pour la plupart du temps, les réseaux sociaux sur lesquels se déploie le phénomène de l’amitié en Afrique ? Bien plus, quelle est l’implication de leur utilisation, en Afrique, sur la relation interpersonnelle ? Et, dans un tel contexte, quels sont les défis qui s’imposent à nous face à la numérisation de la relation interlocutive ?

2.1. Les principaux réseaux sociaux numériques populaires en Afrique

L’adoption et l’utilisation des réseaux sociaux en Afrique ont connu une croissance significative ces dernières années. En réalité, « le besoin auquel répondent les réseaux sociaux semble universel : on le retrouve sur tous les continents et dans toutes les cultures » (D. Cardon, 2019, p. 432). Selon F. Scheid et E. Castagné (2015, p. 20), « les réseaux sociaux touchent entre 1,2 et 1,5 milliard d’individus ». Les avancées technologiques, l’accessibilité croissante à Internet et la popularité des smartphones ont contribué à cette tendance. Ces raisons expliquent l’adoption et l’utilisation croissantes des réseaux sociaux en Afrique.

Nous pouvons dresser, avec F. Scheid et E. Castagné (2015, p. 17), la liste des principaux réseaux sociaux populaires en Afrique, accompagnée de statistiques générales sur leur utilisation par région.

En dixans, les réseaux sociaux sont entrés dans notre vie et dans celle des entreprises. Certains d’entre eux, comme Facebook, ont atteint une phase de maturité. Mais de nouveaux venus ont fait une entrée fracassante ces toutes dernières années : c’est le cas notamment de réseaux fondés sur le partage de photos ou de vidéos (comme Instagram, Snapchat ou Vine), qui sont portés par le développement de l’Internet mobile. (F. Scheid et E. Castagné, 2015, p. 17).

Facebook est le réseau social le plus populaire en Afrique, avec une large adoption à travers le continent.Selon les données de 2020, les pays d’Afrique de l’Ouest tels que le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal ont enregistré un nombre élevé d’utilisateurs actifs sur Facebook. L’Afrique du Sud, l’Égypte et le Maroc figurent également parmi les pays avec une forte présence d’utilisateurs de Facebook. En plus de Facebook, vient en seconde place WhatsApp.

WhatsApp est une application de messagerie instantanée très populaire en Afrique. Elle permet aux utilisateurs d’envoyer des messages textes, des appels vocaux, ainsi que des documents en fichiers joints. Elle permet de partager des photos et des vidéos. Cette application est utilisée pour les communications personnelles et professionnelles et est très populaire en Afrique. Les statistiques indiquent que WhatsApp est largement utilisé à travers le continent africain. Des pays tels que la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria et l’Égypte sont connus pour avoir un nombre élevé d’utilisateurs actifs sur WhatsApp.

Twitter, Instagram et Snapchat sont également présents sur le continent africain. Twitter, Instagram, LinkedIn et Snapchat sont, en effet, très populaires en Afrique, surtout en tant que plateforme pour les discussions en temps réel et les débats publics. Twitter offre une plateforme de microblogging où les utilisateurs peuvent publier et partager des messages courts, appelés « tweets ». Twitter est souvent utilisé pour discuter de questions d’actualité, d’événements en direct et pour s’engager dans des débats publics. « Les années passent et Twitter voit grossir ses rangs. (…) L’utopie d’une grande conversation mondiale serait-elle en train de devenir réalité ? », s’interroge J. Colombain (2019, p. 17).

Quant à Instagram, il gagne en popularité en Afrique, en particulier parmi les jeunes utilisateurs intéressés par le partage de photos et de vidéos. Les utilisateurs peuvent partager des photos et des vidéos, appliquer des filtres, ajouter des légendes et interagir avec d’autres utilisateurs en aimant et en commentant les publications. « De nouveaux réseaux sociaux centrés sur le partage d’image (Pinterest, Instagram) ou la vidéo (Vine) et généralement destinés à un usage mobile (Snapchat) ont acquis une réelle popularité ces dernières années » ajoutent F. Scheid et E. Castagné (2015, p. 21). LinkedIn en tant que réseau social professionnel permet d’établir des connexions professionnelles, de partager des opportunités d’emploi, et de développer des réseaux professionnels.

Bien que Snapchat ne soit pas aussi répandu que certains autres réseaux sociaux en Afrique, il gagne aussi en popularité parmi les jeunes utilisateurs. Il permet, en effet, de partager des photos et des vidéos éphémères avec des amis, ainsi que de découvrir du contenu éphémère d’autres utilisateurs. Ces réseaux sociaux sont quelques-uns des plus populaires en Afrique. L’adoption des réseaux sociaux en Afrique continue d’évoluer avec le temps, reflétant les préférences et les besoins des utilisateurs locaux. Pour saisir cette transformation provoquée par le numérique, écoutons F. Scheid et E. Castagné :

La caractéristique essentielle de ce phénomène social est la possibilité offerte de transformer facilement chaque internaute en émetteur potentiel d’un message vers plusieurs autres personnes simultanément, donc de partager ou rendre public de l’information vers son réseau (amis, relations, fans, lecteurs, auditeurs) (2015, p. 4-5).

Ces différents réseaux sociaux numériques ont eu un impact réel sur la conception africaine de l’amitié.

2.2. L’impact des réseaux sociaux sur les relations interpersonnelles en Afrique

Les réseaux sociaux numériques ont gagné en popularité sur notre continent. Les utilisateurs africains se sont appropriés ces plateformes pour rester en contact avec leurs « amis », pour partager des contenus, pour s’engager dans des discussions et surtout pour participer à des communautés virtuelles. L’adoption des réseaux sociaux a modifié les dynamiques sociales en Afrique. Les utilisateurs peuvent interagir avec des individus de différents pays, partager des expériences, participer à des débats et se tenir au courant des actualités mondiales. Les réseaux sociaux ont également facilité le maintien des liens familiaux, et amicaux à distance en permettant des échanges virtuels réguliers. Les réseaux sociaux en Afrique ont fourni une plateforme pour l’expression personnelle et la participation civique.

Les utilisateurs africains peuvent partager leurs opinions, leurs préoccupations et leurs aspirations, contribuant ainsi aux discussions sur des questions politiques, sociales et culturelles. Les réseaux sociaux sont devenus un espace pour la voix des individus et des communautés. Avec leur avènement en Afrique, une nouvelle forme d’amitié a émergé. Les plateformes telles que Facebook, Twitter et WhatsApp vont permettre la création des liens virtuels entre individus éloignés géographiquement. Les frontières sont abolies, et l’amitié se construit désormais au-delà des limites géographiques. En analysant cette transformation à la lumière de la philosophie de F. Jacques, nous remarquons que nous sommes confrontés à une réalité nouvelle où les interactions en ligne remodèlent la nature même des liens amicaux.

F. Scheid et E. Castagné (2015, p. 14) mettent en relief leur impact : « Avec les réseaux sociaux, le bouche à oreille, devenu électronique, a un impact bien plus fort qu’auparavant : l’ampleur, la rapidité et les conséquences de ces conversations sont démultipliées. » Internet a changé la conception commune de l’amitié. En effet, « la démocratisation d’Internet et l’incroyable popularité des réseaux sociaux modifient en profondeur le comportement des individus et donc des consommateurs. » (F. Scheid et E. Castagné, 2015, p. 4). Dans un contexte africain, en pleine expansion numérique, l’appellation « ami » adoptée par les plateformes en ligne suscite des questionnements profonds.

Cette appellation, énoncée par l’architecture technique des réseaux sociaux, nous semble restreindre la richesse et la complexité des relations que nous entretenons ordinairement sinon traditionnellement. En effet, « les technologies de la communication peuvent donner le sentiment d’une inversion d’influence entre une humanisation démiurgique et une hominisation attrape-tout, menacée par le post-humain » (F. Jacques, 2010, p. 157). Face à ce constat, nous constatons que les réseaux sociaux ont altéré les définitions et les pratiques de l’amitié. Jadis définie par des interactions de face à face et des liens personnels étroits, l’amitié s’est étendue au-delà des frontières géographiques grâce à la connectivité numérique.

Cette évolution complexe et stimulante de l’amitié, ouvre une fenêtre sur la manière dont les individus créent, maintiennent et vivent l’amitié dans le monde numérique contemporain. « Avec le numérique, nous sommes entrés dans une nouvelles civilisations » précise D. Vinck (2016, p. 17). En réalité, « l’accélération de cesdéveloppements a profondément modifié la distinction entre public et privé. Le rapport à l’intimité en est affecté de manière définitive : les dirigeants de Google supposent que le concept-même de vie privée va disparaître » (D. Cardon, 2019, p. 5). L’analyse de cette évolution implique de considérer la subjectivité des utilisateurs tout en explorant les dynamiques intersubjectives. Dans le contexte des réseaux sociaux, en effet, les individus se connectent à travers des interactions numériques, partageant des moments de leur vie quotidienne, exprimant leurs opinions et échangeant des émotions.

Ces interactions en ligne, bien qu’elles puissent manquer de la profondeur des rencontres en personne, constituent néanmoins des actes de langage essentiels qui façonnent la nature même de l’amitié numérique. Cette analyse de l’évolution de l’amitié nous éclaire sur la dualité entre la subjectivité et l’intersubjectivité. Les utilisateurs créent des profils qui reflètent leur individualité, leurs intérêts et leurs aspirations, contribuant ainsi à la subjectivité numérique. Cependant, ces profils deviennent des points de convergence où des individus partageant des affinités similaires, se connectent et interagissent. Les groupes en ligne, les pages communautaires et les forums de discussion deviennent des espaces intersubjectifs où des amitiés virtuelles sont nouées sur la base d’intérêts mutuels, transcendant les barrières géographiques et culturelles.

2.3. Les défis de la numérisation de la relation interlocutive

L’évolution de la nature de l’amitié en Afrique, à l’ère des réseaux sociaux numériques n’est pas sans susciter des questions sur la profondeur et la durabilité des liens numériques. Les échanges en ligne peuvent être moins immédiats et intenses que les interactions de face à face. En effet, les amitiés numériques peuvent être fugaces. Cependant, contrairement à Francis Jacques, nous pensons qu’il faut considérer ces liens avec nuance. L’analyse de cette transformation nous pousse à repenser notre compréhension de l’amitié, dans un monde de plus en plus connecté.

Les interactions numériques, bien qu’elles semblent être superficielles, sont des manifestations légitimes de l’intersubjectivité. Elles peuvent être source de soutien, d’enrichissement culturel et même d’activisme social. Cette évolution offre une toile complexe de subjectivité et d’intersubjectivité. Les interactions numériques transcendent les distances physiques et permettent aux individus de créer des liens, de partager des expériences et de construire une communauté virtuelle. Mais, comme toute œuvre humaine, nous constatons que les réseaux sociaux numériques en eux-mêmes sont bons. C’est l’usage qu’on en fait qui pose problème. En effet,

sur tous les espaces de dialogue de ce que l’on appelle alors le web 2.0, le ton monte. Sur les sites d’actualités, les commentaires sont de plus en plus violents qu’il faut fermer. (…) Tout le monde insulte tout le monde. Ce n’est plus une grande conversation mondiale, mais une bagarre générale (J. Colombain, 2019, p.18).

Même si ces différentes plateformes nous permettent d’être en contact avec le monde entier, nous pensons qu’il est judicieux de les réguler, pour ne pas qu’ils deviennent des réseaux « asociaux ». Limitons notre temps sur ces réseaux, pour consacrer du temps à ceux qui sont avec nous au quotidien. Car, ce n’est pas la quantité des amis qui compte, mais la qualité. Il nous faut trouver et établir un équilibre entre les deux espaces pour ne pas être coupé de la réalité dans laquelle nous vivons. En fait, nous sommes, selon J. Ellul (2014, p. 7), confrontés à

deux univers constitués à partir de là, deux univers non contradictoires, le plus souvent du moins, et en tout cas non séparés. (…) et le juste des deux produit l’équilibre de la personne. Car, il est dangereux de privilégier l’un, de façon triomphale, au détriment de l’autre.

Conclusion

À l’ère des réseaux sociaux et de la numérisation de la relation interlocutive, l’amitié a subi une transformation profonde, bouleversant les fondements mêmes de ce concept fondamental. Cette évolution a apporté des avantages considérables, mais elle a également soulevé des défis, et des questions sur la nature de nos relations interpersonnelles.Cetteévolution du concept d’amitié à l’ère des réseaux sociaux, reflète l’ampleur des changements sociaux et technologiques, auxquels notre société africaine est confrontée.

Ces outils technologiques ont élargi nos horizons, créé de nouvelles formes d’expression de l’amitié et offert des opportunités uniques pour maintenir des relations à distance. Cependant, ils ont également soulevé des questions sur la superficialité, la vie privée et le bien-être émotionnel. Ainsi, l’avenir de l’amitié, à l’ère numérique, dépendra-t-il de notre capacité à naviguer dans cet environnement complexe. Il faudra réfléchir aux nouvelles normes et aux bonnes pratiques pour préserver des amitiés authentiques et significatives en ligne. Le concept d’amitié continue d’évoluer, tout comme les technologies qui le façonnent, et il demeure un domaine d’exploration passionnant pour la sociologie, la psychologie et la philosophie. En fin de compte, l’essence de l’amitié, qu’elle soit virtuelle ou réelle, réside dans la connexion et la compréhension mutuelle ou intersubjective, et c’est là que réside sa véritable valeur, quel que soit le support de sa mise en œuvre.

Références bibliographiques

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SCHEID François et CASTAGNE Enora, 2015, Les fiches outils des réseaux sociaux, Paris, Eyrolles.

VINCK Dominique, 2016, Humanités numériques, la culture face aux nouvelles technologies, Le cavalier Bleu.

LES RÉSEAUX SOCIAUX NUMÉRIQUES :                                     VERS UNE DÉPENDANCE DES ALGORITHMES                                   ET LA DÉCONSTRUCTION DES IDENTITÉS SOCIALES

Tiasvi Yao Raoul AGBAVON

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

raoulagbavon@hotmail.com

Résumé :

Les réseaux sociaux ne sont pas une nouvelle forme de liens sociaux ou de rapprochement entre plusieurs individus. La plupart des associations, des organisations, des sociétés d’individus forme des réseaux à l’intérieur desquels des relations sociales sont bâties selon l’orientation et les objectifs visés. Avec l’avènement et le développement du numérique, cette tendance à se créer des liens sociaux a connu un regain d’intérêt qui prend une autre forme. Au-delà de toute présence et de tout contact physique, les réseaux sociaux numériques ouvrent des perspectives relationnelles inouïes. Quoiqu’il en soit, toutes les constructions de réseaux numériques dépendent entièrement d’algorithmes conçus dans ce cadre. Dès lors, l’utilisation des réseaux sociaux soumet leurs utilisateurs au développement d’algorithmes qui forge et force subrepticement la représentation d’une dématérialisation et d’une déconstruction des identités sociales. Ainsi, analyser le mécanisme de la dépendance aux algorithmes dans le développement des réseaux sociaux numériques en rapport avec la déconstruction des identités sociales est l’objet de cette contribution. À partir, des conceptions déterministe bernardienne et normativiste canguilhémienne, il s’agit de mettre en évidence les plausibilités d’une décadence des rapports sociaux entre individus, pris dans l’immensité des réseaux numériques qui font presque perdre le sens de la réalité matérielle autour de nous par la déconstruction et la reconfiguration des identités sociales.

Mots clés : Algorithmes, Dématérialisation, Identité sociale, Numérique, Réseaux sociaux.

Abstract:

Social networks are not a new form of social link or connection between individuals. Most associations, organisations and societies of individuals form networks within which social relationships are built according to their orientation and objectives. With the advent and development of digital technology, this tendency to create social links has seen a resurgence of interest, taking on a new form. Beyond any physical presence or contact, digital social networks open up unprecedented relational possibilities. In any case, all digital network constructions depend entirely on algorithms designed within this framework. Consequently, the use of social networks subjects their users to the development of algorithms that surreptitiously forge and force the representation of a dematerialisation and deconstruction of social identities. The aim of this paper is to analyse the mechanism of dependence on algorithms in the development of digital social networks in relation to the deconstruction of social identities. Based on Bernardian deterministic and Canguilhémian normativist conceptions, the aim is to highlight the plausibility of a decadence in social relations between individuals, caught up in the immensity of digital networks which, through the deconstruction and reconfiguration of social identities, almost make us lose all sense of the material reality around us.

Keywords : Algorithms, Dematerialisation, Digital, Social identity, Social networks.

Introduction

Sans nul doute, le numérique touche presque tous les secteurs de la vie humaine, car il « a envahi nos vies. Il semble qu’il soit désormais incontournable pour réaliser de nombreux actes du quotidien » (E. Vidalenc, 2019, p. 7). Des tâches les moins difficiles au plus ardues, le numérique apporte ses solutions à la société, ce qui soumet cette dernière à en dépendre autant que faire se peut. Avec le développement d’Internet et des applications qui crée un espace-cyber à l’instar des réseaux sociaux, plusieurs problèmes naissent, à savoir la question de la fracture numérique qui est loin d’être facile à résoudre, et surtout celles de l’impact du numérique sur les relations sociales qui semblent être assez absorbées par une dématérialisation à outrance.

Les réseaux sociaux numériques sont ambivalents. Autant ils permettent le rapprochement de personnes éloignées, autant ils éloignent des personnes proches sur le plan physique. De plus, ils ne se donnent pas sans applications conçues et développées en ce sens. De toute évidence, les réseaux sociaux, en plus des membres qui se mettent en réseau, créent un autre lien avec les concepteurs et développeurs de ces outils numériques. Au fond, en créant les réseaux sociaux numériques, ce n’est pas moins une suite d’algorithmes mise en jeu. Dès lors, n’y a-t-il pas un lien fondamental entre les réseaux sociaux numériques et les algorithmes ? Un tel lien, ne pourrait-il pas se manifester dans un rapport de dépendance qui peut avoir des impacts considérables sur les rapports sociaux physiques et sur les conceptions identitaires ? Autrement dit, les communautés numériques et leur expansion ne dépendent-elles pas d’une dimension algorithmique qui pourrait transformer les rapports sociaux et conduire à la dégradation des identités sociales ?

Cette réflexion, qui se veut une analyse du rapport des réseaux sociaux numériques aux algorithmes et leur impact sur les identités sociales, s’élabore à partir des conceptions théoriques de Claude Bernard et de Georges Canguilhem que sont le déterminisme et la normativité. Ainsi, il s’agit, dans une démarche analytique, d’identifier premièrement le déterminisme des réseaux sociaux physiques et celui qui est afférent à ceux du numérique. Cela va permettre de comprendre une forme de normativité des relations sociales à travers le numérique, afin de relever dans l’expansion des réseaux sociaux numérique le danger lié à une plausible dégradation subreptice des identités sociales.

1. L’ancrage territorial et l’identité sociale comme déterminisme des réseaux sociaux physiques

Selon C. Bernard (2013, p. 371), « le déterminisme est la condition nécessaire d’un phénomène ». En ce sens, les conditions requises pour qu’un phénomène se manifeste constituent son déterminisme. Ainsi, on peut parler, à partir de cette conception bernardienne, du déterminisme de tel ou tel phénomène comme l’ensemble des conditions qui favorisent son apparition. Dans cette même perspective, on peut considérer certaines conditions comme étant le déterminisme d’une pratique, d’un événement, etc. Dès lors, en analysant les réseaux sociaux physiques comme un phénomène, il s’agit de rechercher leur déterminisme, mieux d’identifier les conditions qui favorisent et assurent leur constitution et leur maintien.

À en croire C. Bernard (1942, p. 144), « tous les phénomènes de la nature sont latents jusqu’à ce qu’une condition déterminante les mette en évidence ». Ainsi, un phénomène est mis en évidence par une ou plusieurs conditions nécessaires. À cet effet, il ne serait pas incongru d’affirmer que tout réseau social se développe dans un espace géographique donné qui en est une condition. « On peut alors émettre l’hypothèse que la proximité géographique est une condition nécessaire » (S. Dulucq et P. Soubias, 2004, p. 114). Au fond, toute société se développe sur un territoire bien précis, ce qui crée un lien viscéral entre le type de société et son espace. Par exemple, on parle de société africaine pour désigner celle qui appartient à l’espace africain, de société européenne ou occidentale pour celle qu’on identifie et qu’on considère comme appartenant à cet espace. De la sorte, une société donnée fonctionne, de prime abord, à partir d’une appartenance à un territoire, une localité physique bien précise. C’est ce sentiment d’appartenance territoriale qui constitue la base de toute société.

Toute appartenance à un territoire donnée confère une certaine identité, d’où chaque individu d’une société quelconque se reconnaît, s’identifie comme appartenant à une certaine localité. Jusque-là, ce type de rapport social se noue au sein d’une communauté sur un territoire physique qui en est la condition déterminée. Pourtant, si l’espace géographique constitue une condition nécessaire, donc un déterminisme des réseaux sociaux physiques, cela ne satisfait pas absolument comme caractéristique singulière de ces réseaux. À dire vrai, cette condition « doit en effet s’accompagner du partage de valeurs communes. Enfin, il importe de prendre en compte les règles élaborées dans ce nouveau contexte et les institutions impliquées » (S. Dulucq et P. Soubias, 2004, p. 114). Ce sont les valeurs communes, partagées par un certain groupe sur un territoire donné, qui forgent les liens sociaux.

Les réseaux sociaux obéissent, de facto, à deux conditions qui constituent leur déterminisme, il s’agit de l’ancrage territorial auquel s’ajoute le partage de valeurs communes. Car, si plusieurs individus peuvent se retrouver sur un territoire donné, cela n’est pas suffisant pour créer un réseau social. Il faut indubitablement que ces individus aient en commun des valeurs auxquelles ils s’identifient tous. Comme le souligne V. Lemieux (2013, p. 12), « les réseaux sociaux reposent sur des rapports d’identification [et] le sentiment d’appartenance à une entité sociale commune ». Or, le sentiment d’appartenance à une entité sociale commune qui s’enracine dans un espace physique commun peut aussi aller au-delà de cet espace. Quoi qu’il en soit, pour qu’un réseau social soit créé, les deux conditions fondamentales à satisfaire sont l’espace et l’identification à cet espace par des valeurs communes. Avec l’émergence du numérique, l’espace physique semble ne plus être un obstacle au regroupement d’individus partageant les mêmes valeurs. Certes, la condition spatiale reste de mise, mais sa dimension absolument matérielle requiert une approche à l’aune du numérique.

2. De l’ancrage territorial à l’espace numérique : le passage des réseaux sociaux physiques aux réseaux sociaux numériques

L’ancrage territorial, en étant une condition sine qua non des réseaux sociaux physiques, ne saurait être appréhendé de la même manière à l’ère du numérique. Dans nos sociétés modernes, « on ne peut plus vivre « sans numérique » » (E. Vidalenc, 2019, p. 7). Le numérique qui « s’est imposé au début de ce siècle » (idem) force la société à faire preuve de normativité au sens canguilhémien du terme. Certes, il n’y a pas une analyse afférente à une situation pathologique, mais à voir l’incursion du numérique dans nos vies, il convient de relever que les normes qui, autrefois, guidaient la société ne sauraient demeurer immuables.

Chez G. Canguilhem (1984, p. 191), « la régulation sociale tend donc vers la régulation organique et la mime », cela permet d’analyser la normativité sociale et en prenant pour référence la normativité biologique qui est tout autre chose. On peut, à cet effet, penser une analogie entre ces deux formes de normativité, même si Canguilhem ne nie pas toutes distinctions entre la régulation de la société et celle des êtres vivants. « Dans le cas de la société, la régulation est un besoin à la recherche de son organe et de ses normes d’exercice. Dans le cas de l’organisme, au contraire, le fait du besoin traduit l’existence d’un dispositif de régulation » (G. Canguilhem, 1984, p. 188). C’est dire que la normativité sociale est fonction de normes externes et collectives, tandis que celle du vivant est interne et individuelle. E. Sfara (2018, p. 27) illustre bien la normativité biologique en ces termes : « L’organisme du vivant adapte en dernière analyse sa propre norme physiologique à la variabilité du contexte ». S’agissant de la société, en tenant compte du fait que la société mime l’organisme, on pourrait affirmer que celle-ci adapte aussi ses normes en fonction du contexte. De la sorte, si un réseau social se développe selon la condition spatiale et que celle-ci est transférée dans l’espace virtuel, il convient de noter que celui-ci en devient aussi une condition à laquelle peuvent s’ajouter d’autres.

La transformation de la société est patente, et la « révolution numérique est en train de provoquer une remise à plat radicale de la société et de ses représentations » (D. Cohen, 2022, p. 12). Le virtuel a pris une place prépondérante dans nos sociétés, qu’on ne saurait s’en départir aisément. À cet effet, J.-G. Ganascia affirme : « Le constat s’impose donc : le numérique s’insinue partout dans nos relations mondaines, il les fait et les défait par le truchement des réseaux sociaux, il contribue à l’établissement de liens avec nos semblables et, par-là, à la fabrique du tissu social. Personne n’y échappe vraiment. » En tout état de cause, les liens sociaux actuels ne peuvent faire fi du numérique.

Les contraintes de l’espace sont désormais levées avec l’espace virtuel. En effet, celui-ci résout les difficultés liées à la distance et à l’ancrage territorial. Si, avant l’espace numérique, le fait d’avoir des valeurs communes était étroitement lié à l’appartenance à une localité donnée, l’espace numérique au contraire devient le lieu de retrouvailles d’individus aux valeurs communes. Au fond, il y a un même processus de nouement des relations sociales dans les espaces physique et virtuel. Pour le premier, les individus sont au sein d’une communauté et créent des liens. Pour le second, les liens sociaux sont soumis aux principes du numérique qui nécessitent que des personnes aux valeurs communes, ou qui adhèrent à de mêmes idéaux, se mettent en réseau par le truchement d’applications avec internet.

Les réseaux sociaux numériques ne sont pas possibles sans internet et des applications conçues en ce sens. Car, « internet est un « réseau des réseaux », un tissu de connexions permettant à différentes machines d’échanger des informations entre elles et (souvent) à de grandes distances » (R. Stamboliyska, 2017, p. 16). C’est à partir de ce réseau des réseaux que l’espace numérique vit et se constitue comme tel. Partant, les relations sociales que l’on noue au-delà de l’espace physique, sans tenir compte des grandes distances, sont devenues une certaine norme sociale.

Toutes les sociétés modernes, par les réseaux sociaux numériques, se sont érigées de nouvelles normes en mettant en évidence ce qu’on peut appeler leur normativité numérique. Plus besoin de trouver un espace physique pour converser, tenir des réunions, etc., l’espace virtuel offre ce cadre. Toutefois, ce cadre n’est pas circonscrit dans une localité bien précise, il est presque illimité à condition d’avoir l’équipement adéquat. L’espace numérique se trouve à portée de main. Il est partout où on le souhaite et l’on peut s’y rendre à tout moment. Or, l’immensité de l’espace virtuel donne droit à une pluralité de réseaux sociaux. Les applications et les plateformes numériques, à l’instar de facebook, whatsapp, instagram, tweeter, telegram, etc., sont devenues des cyber-espaces de rencontres, d’échanges, de création de liens sociaux. C’est ce qui leur confère le nom de réseaux sociaux. Qui plus est, leur usage fait d’eux des acteurs clés dans les différents processus de socialisation en ayant transformé la nécessité physique des relations sociales en nécessité virtuelle.

Quoi qu’il en soit, toutes les sociétés modernes actuelles n’échappent pas aux applications des réseaux sociaux qu’on considère comme tels. L’expansion et l’utilisation des applications appelées “réseaux sociaux” soumettent les utilisateurs à des choix parmi tant d’autres. Des plus connues aux moins connues, ces applications sont nombreuses dans l’espace virtuel et peuvent avoir un impact considérable sur les représentations sociales. D’autant plus qu’ils sont de plus en plus utilisés dans le monde, en Afrique en particulier, leur expansion dans cette région cache de potentiels dangers afférents au cyber-espace et met en évidence la question des identités sociales.

3. L’expansion des réseaux sociaux numériques en Afrique : la dimension algorithmique des communautés numériques et la dégradation des identités sociales

Parler du numérique, c’est toujours faire référence

à l’ensemble des procédés et techniques qui permettent de transformer n’importe quel objet en ensemble de données binaires, les algorithmes informatiques qui traitent ces données (y compris les conserver et en prendre soin) ainsi que les procédés qui génèrent des rendus tangibles des résultats obtenus, notamment sous la forme visuelle, sonore ou d’objets physiques. (D. Vinck, 2016, p. 9).

Dans cette approche du numérique selon Vinck, ce qui attire notre attention est en rapport avec les algorithmes informatiques qui traitent les données. En effet, « un algorithme consiste en la description d’une suite d’opérations élémentaires non ambiguës. Il s’achève après un nombre fini d’étapes et produit un résultat. Dans la plupart des cas, un algorithme requiert des données, dont la taille est nécessairement finie » (P. Hernert, 2002, p. 5). Ainsi, le développement et la programmation d’une application informatique passent par un ensemble d’algorithmes conçu en sens. Dans le contexte des applications désignées par les réseaux sociaux, c’est toujours le même processus qui est opérant. On procède toujours en décrivant une suite d’opérations élémentaires, dont les étapes sont préalablement définies en vue de produire un traitement de données massives. Tout se passe comme si la virtualisation de l’espace numérique des réseaux sociaux était dépendante de ces processus algorithmiques qui, eux aussi, dépendent de leurs concepteurs.

D’une manière ou d’une autre, « la reconnaissance des liens est une condition nécessaire au maintien du réseau » (V. Lemieux, 2000, p. 32). Ce déterminisme du réseau, articulé à la normativité cyber-sociale imposée par le numérique, n’est pas sans contraintes. Dans un premier moment, les réseaux sociaux numériques exigent des équipements adéquats, puis dans un deuxième moment ils requièrent des applications qui sont développées dans cette optique. Toutefois, ces deux dimensions dans l’usage des réseaux sociaux numériques ne sont pas les seules à prendre en compte dans l’usage de ces réseaux. Il y a, à dire vrai, une troisième condition, la plus cruciale d’ailleurs, qui est celle afférente au concepteur de la plateforme ou de l’application qui est un déterminisme algorithmique non négligeable. De la sorte, derrière toute application, il faut voir un ensemble de procédés d’algorithmes qui traduit un déterminisme algorithmique d’une part, et d’autre part à une certaine normativité imposée par cela.

Les communautés recherchent toujours des moyens de communication puissants, ce qui les conduit à construire leur réseau autour de la messagerie instantanée, dont la plus stratégique qui se donne avec les supports mobiles est « désormais sous l’emprise de Facebook et de ses deux applications phares : Facebook Messenger et WhatsApp » (N. Smyrnaios, 2016, p. 79). Les liens de reconnaissance ou d’identification au groupe sont, à cet effet, modélisés à partir de ce qu’offrent ces applications. Ainsi, l’adhésion à un groupe, bien qu’elle soit soumise à la condition d’une identification commune au groupe, dépend aussi de la possibilité d’avoir accès aux équipements nécessaires et d’être en conformité avec les conditions d’utilisation de l’application. Il va sans dire qu’au-delà des règles de la communauté, s’ajoutent d’autres règles qui dépendent de la politique d’utilisation de l’application et des algorithmes qui la constituent. Avec les réseaux sociaux donc, on a affaire à des médias numériques qui assurent la liaison entre des individus qui s’identifient à des valeurs qu’ils partagent, mais aussi ces individus sont soumis aux exigences de ces médias.

L’identité d’un groupe social, à travers les réseaux sociaux numériques, n’est plus définie uniquement par ses membres, elle est désormais en interaction avec les algorithmes de ces applications qui s’enrichissent des données de tous leurs utilisateurs. Il n’y a donc pas un réseau social destiné à une seule communauté en ligne. À la vérité, l’application qui sert de média social l’est pour tous les groupes sociaux qui s’y retrouvent dans une sorte de pléthore de réseaux sociaux au sein d’une application dénommée à cet effet. Les applications des réseaux sociaux sont, à dire vrai, des réseaux de réseaux où ces derniers dépendent en partie de ces applications. Cela introduit subrepticement au sein de tous les réseaux sociaux une sorte d’identité commune aux utilisateurs des réseaux sociaux numériques au-delà de leurs identités intrinsèques.

Au fond, au-delà de l’interface présentée par l’application, se trouvent des algorithmes conçus selon un modèle bien précis et qui n’est pas forcément approprié à tous les groupes. La question des liens d’appartenance reste posée, d’autant plus que chaque groupe social peut interagir de sorte que ses membres soient à la fois membre de plusieurs réseaux au risque de rendre évanescente la notion d’identité sociale. On passe d’une certaine identité collective à une identité numérique où les interactions sont guidées par des modèles prédéfinis et déterminés par l’intelligence artificielle. C’est cette situation que dépeint J.-G. Ganascia (2022, p. 8) en ces termes :

Nos échanges, qu’ils soient intimes ou professionnels, passent dans leur quasi-intégralité par l’entremise de signaux électromagnétiques. Et l’intelligence artificielle utilise, manipule, recommande, transforme ces signaux, voire en produit d’autres sous forme textuelle, picturale, acoustique ou vidéo, tous réduits à des flux d’information qui attestent, trahissent, influencent nos vies affectives, émotionnelles et professionnelles. Nos existences sociales s’en trouvent fortement affectées. Au-delà, en devenant un forum d’échange commun à tous, le cyberespace accède au statut d’espace public, ce qui modifie profondément la condition humaine qui devient de plus en plus numérique.

Les identités sociales admettent, ainsi, une autre variable qui est une forme d’acculturation numérique. Les liens sociaux dépendent d’une identité numérique qui peut être manipulée à souhait en produisant des mœurs hybrides qui n’émanent pas d’un ancrage culturel social, mais de conditions algorithmiques qui pourraient façonner les représentations de la réalité. Les identités sociales pourraient subir, à cet effet, des transformations subtiles dans le rapport à la réalité virtuelle qui détermine désormais les conditions de l’altérité et de ce qui est acceptable ou pas.

Les réseaux sociaux numériques, mieux les applications dénommées comme telles, peuvent aussi, par leurs concepteurs, se réserver le droit d’orienter les choix des communautés sociales qui dépendent de leurs politiques d’utilisation. Or, si les communautés sociales veulent un accès au numérique en utilisant leurs propres normes culturelles, elles doivent concevoir des applications privées en vue de se protéger d’une certaine atteinte à leurs valeurs sociales et à leurs données privées. Cela nécessite de repenser l’utilisation des réseaux sociaux numériques en les limitant aux fins de communications plutôt que de se laisser absorber totalement par elles en perdant de vue la réalité matérielle qui demeure le support incontestable des relations sociales.

Conclusion

Les réseaux sociaux numériques ne sont rien d’autres que des applications conçues pour assurer la communication entre les membres d’une communauté sociale. Si le déterminisme des réseaux sociaux, en général, tient lieu dans le sentiment d’appartenance territoriale et identitaire, le numérique impose aux sociétés une normativité sociale qui doit le prendre en compte. Le numérique « s’insinue partout dans nos relations mondaines, il les fait et les défait par le truchement des réseaux sociaux, il contribue à l’établissement de liens avec nos semblables et, par-là, à la fabrique du tissu social. Personne n’y échappe vraiment » (J.-G. Ganascia, 2022, p. 8). Or, cette fabrique du tissu social dépend en quelque sorte des politiques définies à partir des algorithmes conçus à cet effet. « Il en résulte une évolution des habitudes de vie en société et des mœurs » (J.-G. Ganascia, 2022, p. 8) qui peuvent aller jusqu’à avoir un impact considérable sur les identités sociales en les déconstruisant.

La déconstruction des identités sociales pourrait se percevoir à l’aune d’une dématérialisation exacerbée des relations sociales et d’une ouverture incontrôlée à toutes sortes de pratiques et de représentations sociales controversées. La dynamique du numérique et la dimension algorithmique des réseaux sociaux numériques ne doivent pas être perdues de vue comme si celles-ci étaient dépourvues d’impacts sur les considérations identitaires et les possibilités d’une atteinte à la diversité culturelle et identitaire. La dépendance aux algorithmes des applications des réseaux sociaux ne doit aucunement être occultée si tant est qu’une hyper-connectivité en soit tributaire et façonne les identités subtilement de manière individuelle, et pouvant entraîner une répercussion sur les collectivités sociales par leur reconfiguration et leur déconstruction.

Références bibliographiques

BERNARD Claude, 1942, Le cahier rouge, Paris, Gallimard.

BERNARD Claude, 2013, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, Flammarion.

CANGUILHEM Georges, 1984, Le normal et le pathologique, Paris, Puf.

COHEN Daniel, 2002, Homo numericus. La civilisation qui vient, Paris, Albin Michel.

DULUCQ Sophie et SOUBIAS Pierre, 2004, L’espace et ses représentations en Afrique, Paris, KARTHALA.

GANASCIA Jean-Gabriel, 2022, Servitudes virtuelles, Paris, Seuil.

HERNERT Patrice, 2002, Les algorithmes, Paris, Puf.

LEMIEUX Vincent, 2000, À quoi servent les réseaux sociaux ?, Québec, Les Éditions de l’IQRC.

SMYRNAIOS Nikos, 2016, « L’effet GAFAM : stratégies et logiques de l’oligopole de l’internet », in Communication & langages, N°188, Paris, NecPlus, p. 61-83.

STAMBOLIYSKA Rayna, 2017, La face cachée d’internet, Paris, Larousse.

VIDALENC Éric, 2019, Pour une Écologie numérique, Paris, Les petits matins.

VINCK Dominique, 2016, Humanités numériques. La culture face aux nouvelles technologies, Paris, Le Cavalier Bleu Éditions.

POUR UNE RÉINVENTION DES SOCIÉTÉS AFRICAINES NUMÉRISÉES À LA LUMIÈRE DE LA PENSÉE DE ROUSSEAU

Adjoua Marie Jeanne KONAN

Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (Côte dIvoire)

mk_jeanne@yahoo.fr

Résumé :

L’avènement et l’expansion du numérique dans le monde sont à l’origine de nombreux bouleversements dans les sociétés humaines. Ces transformations sont très remarquables et très profondes sur le continent africain. Contrairement à l’Occident où a été inventé le numérique pour des besoins particuliers, ce nouvel outil sert à tous les usages en Afrique. Ses capacités et potentialités avérées en font un outil commun et pratique présent dans tous les milieux. Cette pulvérisation du numérique impacte si fortement le quotidien des Africains allant jusqu’à subir, à une grande envergure ses effets. Aujourd’hui, nos sociétés sont carrément en pleine mutation : il y a de plus en plus de créations d’auto-emplois par les jeunes grâce au numérique. L’émergence de start-up ou les self-making en est la parfaite illustration. Toutefois, si on peut se féliciter des bienfaits de cette révolution technologique, il n’est pas mal fondé de penser le numérique est à la base de la dégradation des valeurs culturelles portées par le continent, berceau de l’Humanité. D’où l’urgence d’une réinvention des sociétés africaines. Celle-ci se traduit en termes de révision, par nos gouvernants, du processus d’implantation du numérique, de mise en œuvre de politiques de contrôle et de règlementation de son usage par la promotion des valeurs culturelles africaines.

Mots clés : : Développement, Éducation, Numérique, Perversion des mœurs, Réinvention, Science, Technique, Valeurs africaines.

Abstract:

The advent and expansion of digital technology in the world are at the origin of numerous upheavals in human societies. These transformations are very remarkable and very profound on the African continent. Unlike the West where digital technology was invented for specific needs, this new tool serves all purposes in Africa. Its proven capabilities and potential make it a common and practical tool present in all environments. This pulverization of digital technology has such a strong impact on the daily lives of Africans, going so far as to suffer its effects on a large scale. Today, our societies are completely changing: there is more and more self-employment creation by young people thanks to digital technology. The emergence of start-ups or self-making is the perfect illustration of this. However, if we can welcome the benefits of this technological revolution, it is not ill-founded to think that digital technology is the basis of the degradation of the cultural values ​​held by the continent, the cradle of Humanity. Hence the urgency of a reinvention of African societies. This is reflected in terms of review, by our leaders, of the digital implementation process, implementation of control policies and regulation of its use through the promotion of African cultural values.

Keywords : Development, Education, Digital, Perversion of morals, Reinvention, Science, Technology, African values.

Introduction

L’appellation Siècle des Lumières trouve sa justification dans les grandes et multiples découvertes opérées dans les domaines de l’industrie, de la médecine et des sciences et techniques. Bien que commencées longtemps avant, c’est au XVIIIè siècle que se consolident les conclusions de ce long processus d’évolution. Ces découvertes, quoique bénéfiques aux hommes, ont fait l’objet de critiques nombreuses et suscité d’énormes inquiétudes de la part de philosophes. Ceux-ci ont plus cristallisé leur attention sur les impacts négatifs que le développement des sciences et des arts a eu sur la société humaine. Rousseau reste et demeure l’un des penseurs de cette époque tant il était préoccupé par les usages pervers de la science et l’éducation à inculquer aux citoyens. Charlatan diseur de bonnes aventures pour certains, ringard aux antipodes de l’évolution pour d’autres, Rousseau ne semble pas avoir atteint les objectifs escomptés, par son message, Voltaire, convaincu de cet échec, désavoue clairement Rousseau lorsqu’il dit :

J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie ; vous plairez aux hommes à qui vous dites leurs vérités, et vous ne les corrigerez pas. Vous peignez avec des couleurs bien vraies les horreurs de la société humaine dont l’ignorance et la faiblesse se promettent tant de douceurs. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre Bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. (J.-J. Rousseau, 1971, p. 237).

L’actuel degré d’évolution technologique de l’humanité et toutes ses dérives quotidiennement décriées, en sont d’édifiants témoignages. De ce fait, sa pensée pointait déjà du doigt le projet technoscientifique cartésien. En effet, dans la sixième partie du Discours de la méthode, R. Descartes (2000, p. 99) recommande aux hommes de « se rendre comme maître et possesseur de la nature » par la connaissance des sciences. Quatre cents ans après Rousseau, la succession des évènements malheureux dans le monde actuel invite à revisiter sa pensée empreinte de valeurs socio-éducatives. En effet, le monde numérisé vit quotidiennement les revers de son évolution scientifico-technologique. Aboutir à un monde hautement scientifique est devenu le dessein des grandes instances mondiales dont l’Organisation des Nations Unies (ONU). Celles-ci recommandent une politique de vulgarisation du numérique et appuient en ce sens les efforts des pays à l’échelle mondiale. Ainsi, le numérique est présent dans tous les secteurs d’activités avec des effets bien visibles. Désormais, l’analphabète, ce n’est plus celui qui ne sait pas lire ni écrire ; c’est plutôt celui qui ne possède aucune notion du numérique. Dans ce monde de technologies, les sociétés africaines en voie de développement, connaissent d’énormes difficultés quant à la maîtrise et à l’usage du numérique dans un environnement totalement différent de celui d’où provient cet outil. En effet, les rencontres et découvertes que favorise internet, les nombreuses opportunités qu’il offre et son ouverture sur le monde suscitent chez les jeunes, le désir de partir à l’aventure, plus précisément vers l’Europe perçue comme un eldorado. L’avènement des réseaux sociaux tend à heurter, voire à bouleverser les valeurs africaines sur lesquelles repose d’ailleurs une bonne partie de l’éducation inculquée aux jeunes, levain de la société. Considérant ces bouleversements, comment la morale de Rousseau pourrait-elle permettre aux sociétés africaines de se réinventer et connaître un développement prodigieux et surtout durable ?

Suivant un plan tripartite, nous présentons d’abord les caractéristiques du monde numérique. Ensuite, nous mettons à nu les revers du numérique dans les sociétés africaines. Enfin, nous proposons dans une perspective rousseauiste, la culture des valeurs africaines comme piste de solution à la crise du numérique.

1. Du monde numérisé

Avant sa propagation, le numérique existait principalement sous la forme de quelques appareils tels le Computer ou l’Ordinateur. Il a été mis en œuvre pour des besoins en matière de stratégiques militaires et des sciences historiques dans le cadre des recherches et de leur vulgarisation. Mais la deuxième moitié du XXe siècle voit l’expansion fulgurante de cet instrument. En effet, enclenché en Amérique, le phénomène numérique s’est très rapidement étendu sur tous les autres continents. Il ne sert pas seulement dans les entreprises, il est aussi usité dans tous les autres secteurs d’activités, et ce, à travers les ordinateurs, les téléphones portables, les tablettes et autres appareils connectés à internet. L’expansion du numérique, telle qu’observée, témoigne du caractère indispensable de cette nouveauté technologique qui incite à sa compréhension.

1.1. Du sens du numérique

Le terme numérique du latin numerus, signifie nombre. Est dit numérique, ce qui relève des nombres, ce qui se fait avec des nombres ou ce qui est représenté par des nombres.

Dans le cadre de l’utilisation du numérique tel que cela se déroule dans le monde numérisé actuel, le symbolisme des nombres paraît mieux indiqué pour nous éclairer à quelques niveaux. Symbolisme vient de symbole. La philosophie définit le symbole comme étant « un signe concret évoquant par un rapport naturel quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir ». En partant de cette définition, on voit que le symbolisme des nombres ramène à l’aptitude humaine à traduire les nombres par analogie comme porteurs de sens et de valeurs. Cette compréhension des choses date de l’Antiquité avec les pythagoriciens qui assimilaient les choses à des nombres, J.-P. Delahaye (2021, p. 8) citant Aristote dit ceci : « Puisque les nombres étaient pour eux la réalité première du Cosmos, les pythagoriciens considéraient que les nombres étaient à la base de toute chose. » Par exemple, un et esprit sont identiques en musique. Les intervalles des tons sont des rapports de nombres. Cela montre la nature du nombre. Or, celui-ci nombre n’est pas un symbole ni du concret en lui-même. Il est de nature abstraite. Si le numérique est ce qui est représenté par les nombres, alors le numérique est extraordinairement abstraction, malgré tous ses outils et tous ses instruments. Pour M. Vitali-Rosati (2014, p. 63), « s’il est vrai que nous communiquons et que nous nous informons aujourd’hui surtout avec l’ordinateur, il serait réducteur de dire que le numérique n’est que cela. ». En effet, le numérique a un large périmètre. Il compte dans ses rangs un puissant élément qu’est Internet. Ce large pouvoir du numérique a favorisé son insertion dans les secteurs d’activités et son incorporation dans la société comme un des moyens nécessaires à sa construction.

Il y a encore quelques décennies, on pouvait penser que les ordinateurs et les technologies numériques étaient destinés uniquement aux sciences dures, les sciences exactes dont le calcul et les mathématiques sont les principaux outils. Cette idée est manifestement fausse aujourd’hui : le numérique habite l’ensemble de nos vies et touche aussi, et surtout, à nos activités purement « humanistes », ou même « humaines ». (M. E. Sinatra et M. Vitali-Rosati, 2014, p. 27)

Cette indication montre que la société trouve dans le numérique les critères fondamentaux relatifs à l’organisation de ses activités, à leurs résultats et aux connaissances qui s’en dégagent. Dans ce procès de l’existence des humains, le numérique ne transforme pas seulement le domaine des activités et des savoirs, il reconditionne aussi les esprits et toutes les dispositions sociales antérieures. Il crée ainsi une réalité sociale dont le contrôle et la totale maîtrise impose une nouvelle science appelée les humanités numériques. À ce propos, A. Casagrande et L. Vuillon (2017, p. 116) écrivent :

Le tournant numérique pris par nos sociétés a bouleversé en profondeur les conditions de production et de diffusion des savoirs. Pour faire face à ces changements, un nouveau domaine transdisciplinaire de recherche a vu le jour au travers d’un manifeste rédigé en 2010 : les humanités numériques. Ce domaine de recherche, loin de remettre en cause les travaux déjà effectués en sciences humaines et sociales (SHS), vient au contraire renforcer leur pertinence en intégrant les méthodes, les savoir-faire et les outils du numérique.

1.2. Les sociétés africaines numérisées

L’Afrique est un continent avec des sociétés aux infrastructures peu développées. Elle est aussi l’un des continents les moins avancés technologiquement. De ce fait, même si on peut parler de présence du numérique sur le continent, la différence avec celle des pays des continents développés est notable. La numérisation du monde intervient dans un espace déjà sectorisé au regard du niveau de développement. L’évolution économique, scientifique et technologique à travers les différents continents, a permis une classification des pays selon leur niveau de développement. C’est d’ailleurs dans cette optique que C. Duarte (2021, p. 18), Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et conseillère spéciale pour l’Afrique, soutient que « la fracture mondiale continuera de se creuser si les dirigeants africains ne recueillent pas les bénéfices potentiels de la Recherche, du Développement et de l’Innovation (R–D–I). ».

L’actuelle classification du monde en pays développés et pays sous-développés ou pays en voie de développement témoigne de la profondeur de la fracture en question. Il faut noter que le retard économique accusé par la plupart des pays africains constitue une entrave à leur évolution technologique et une incontestable difficulté dans leurs efforts pour le développement.  Le problème d’accès à Internet dans les pays africains se pose avec acuité. Même les utilités existentielles telles que l’énergie électrique, l’éducation, l’inclusion financière et la réglementation demeurent très insuffisantes, voire inexistantes dans la plupart desdits pays. Visiblement, les conditions nécessaires à la véritable numérisation semblent faire défaut sur le continent africain. C’est pourquoi sans doute C. Duarte (2021, p. 18-19) tire sur la sonnette d’alarme lorsqu’elle dit ce qui suit :

Pour l’instant, les sociétés civiles semblent plus prêtes que les dirigeants à adopter les technologies numériques. Ce secteur s’est développé en Afrique sans aucune aide publique, par le biais des couveuses et de start-up, de plateformes technologiques et de centres de données. Les activités du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) se répandent sur tout le continent et les jeunes africains ripostent aux défis posés par la COVID-19 au moyen des technologies numériques.

La promptitude de la jeunesse dans les pays africains à s’approprier le numérique démontre d’une part, qu’elle est autant influencée et que conditionnée par les capacités et les potentialités du numérique. Elle exprime d’autre part, l’adoption de l’idée que le web sert à autre chose qu’à la seule communication. Dans les pays africains, la jeunesse profite en conséquence de la vulgarisation mondiale du numérique pour s’assumer et pour s’affirmer. À une époque où la précarité dans les pays africains inhibe tout espoir d’un avenir certain, la jeunesse africaine apparemment laissée pour compte, tente de s’inventer. Tant bien que mal, elle essaie de s’en sortir grâce au numérique à travers les sites web sur internet. Aujourd’hui, par le web, les pratiques connaissent des changements majeurs dans leur ensemble avec de nouveaux prototypes de production, d’émission et de réception du savoir. Pour rappel, Web est un mot anglais et est l’ellipse de World Wide (signifie mondial) et Web (toile d’araignée). C’est un système hypermédia public fonctionnant sur internet et qui permet de consulter des pages mises en lignes dans des sites. (https://fr.wiktionary.org/wiki/Web). La numérisation devient le moyen pour remédier d’une certaine manière à la lenteur des politiques.

2. Rousseau aujourd’hui

L’utilisation du numérique par les populations africaines rehausse certainement l’économie de nos États, mais on observe aussi d’énormes désagréments. Il est présentement à l’origine de certaines crises des valeurs en Afrique. L’utilisation d’un outil ne se limite pas au simple usage qu’on en fait, souligne K. Marx. De même, la numérisation a en vérité déterminé des pratiques et, partant, modifier la manière d’être au monde des populations africaines. La constante interaction entre l’homme et les outils numériques qu’il manipule a créé un nouveau paradigme de l’exister qui tend à supplanter les valeurs africaines.

2.1. Les revers du numérique dans les sociétés africaines

Aujourd’hui, quand on dit que quelqu’un fait usage du numérique, on pense à l’utilisation qu’il fait de cet outil en oubliant l’influence que celui-ci a sur lui. On évoque une relation à sens unique et à l’avantage de l’utilisateur. Ce qui n’est pas évident. Rousseau affirmait d’ailleurs que le progrès technoscientifique a fait de l’homme un esclave qui dépend des machines et des outils. L’utilisateur subit aussi les effets du numérique jusqu’à la transformation de son être. Mieux, il devient un homme numérisé, c’est-à-dire un être modifié par le numérique dont le rapport à soi et à l’extérieur sont calqués sur ceux présentés par l’internet. Il y a, à vrai dire des revers ou des impacts ontologiques d’internet sur les individus. C’est actuellement le cas des sociétés africaines. En effet, si la numérisation des sociétés africaines a été salutaire pour les pays africains par l’engagement responsable de leur jeunesse à se prendre en charge à travers la création des start-up, ce sursaut s’est vraisemblablement effectué au préjudice de ces sociétés elles-mêmes. Comme dit R. Descartes (2000, p 35) en ces termes :

Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux qui n’ont rien vu. Mais lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays ; et lorsqu’on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci.

Les comportements et les pratiques nouveaux, pire la nouvelle éthique que dessert internet sur les différents sites web suscitent beaucoup d’inquiétudes dans le monde et particulièrement dans nos sociétés africaines. En effet, le numérique produit et construit en occident est le fruit de ses réalités culturelles. Autrement dit, internet transporte à la base, une culture étrangère à celle de l’Afrique. L’urgence de se réaliser grâce à Internet voile la perversion culturelle qui lui est immanente et qu’il colporte. Or, déclare K. Marx (1982, p. 307-308), « la conscience ne peut jamais être autre chose que l’être conscient, et l’être des hommes est leur processus de vie réel. »

Au demeurant, l’expansion du numérique a entraîné la vulgarisation du téléphone portable et bousculé les habitudes, le mode de vie des populations en manque de repères. Par ‘‘mode de vie’’, il faut entendre les us et coutumes, les valeurs culturelles qui sont censées rythmer la vie de celles-ci. Et c’est en ce sens qu’on pourrait faire cas ici, d’un conflit de civilisations. La colonisation a fait des sociétés africaines des sociétés hybrides, c’est-à-dire des sociétés avec des cultures diluées par les valeurs du colon. Les valeurs proprement africaines noyées dans les valeurs du colonisateur ont perdu de leur authenticité. Elles vivent depuis l’ère des indépendances dans un mixage, une hybridité culturelle

Le numérique arrive dans un espace fragilisé par l’hybridité culturelle. Cela accentue le risque de la perte totale de toutes les éventuelles africanités encore subsistantes. Le numérique prend le caractère d’une force apte à organiser et à nourrir la distanciation, le silence, l’indifférence avec les autres. Il construit et consolide en même temps, la rupture avec l’environnement immédiat. Avec tout ce qu’offre internet, qu’il s’agisse des assemblées, des lieux de travail ou des foyers, tout internaute est happé et arraché à son entourage et à son environnement. Les gens ne sont présents que physiquement ; leurs esprits naviguent au-delà du pensable. En ce sens, l’affirmation de R. Dumont selon qui « l’Afrique est mal partie » demeure d’actualité.

En effet, le constat est tout net que là aussi, les sociétés africaines partent perdantes en ce sens que le numérique bouleverse toutes leurs cultures de fond en comble et leur en impose de nouvelles. En clair, l’outil numérique a généré des pratiques avec leurs sens propres, qui ont modifié notre façon d’être au monde et aussi notre nature. Il est devenu le nouvel instrument de reconditionnement de l’Africain, le nouveau procédé qui sape les fondements des sociétés africaines après la colonisation. Internet transmet des valeurs et us étrangers qui ne sont pas en adéquation avec ceux des africaines. Ils se retrouvent à la merci d’une éducation du numérique qui opère silencieusement. C’est pourquoi, les regards sont tournés vers les dirigeants africains. La plupart des populations sont des victimes du numérique du fait du silence et de la passivité des politiques. L’absence de véritables dispositifs de contrôle du numérique favorise la rupture d’avec nos cultures. Les sociétés africaines connaissent de nouveaux paradigmes culturels au mépris des valeurs culturelles africaines existantes. Le respect des anciens est mis sous l’éteignoir par la perversité de la génération présente. L’éthique et l’amour du prochain, des vertus considérées prioritaires dans la tradition africaine ont pratiquement disparu chez cette génération du numérique. M. Towa (1985, p. 38) écrit que « notre mode d’être, c’est nous-mêmes en tant que nous voulons nous affirmer et nous faire reconnaître par nos œuvres ».

2.2. La réinvention des sociétés africaines à l’ère du numérique

Le numérique est sans aucun doute, la manifestation du progrès technique lui-même attesté comme l’émanation de celui de l’esprit humain cher à Condorcet. Il est la phase présente de l’évolution de l’humanité. Le numérique démontre l’avancement de l’intelligence de l’homme et de son désir de dominer l’univers. Outre ses nombreux avantages, le numérique, en tant que produit de la science a, ses revers qui ne sont pas négligeables. Déjà J.-J. Rousseau (1964, p. 9) soulignait ceci :

Où il n’y a nul effet, il n’y a point de cause à chercher : mais ici l’effet est certain, la dépravation est réelle et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. On a vu la vertu s’enfuir à mesure que leur lumière s’élevait sur notre horizon, et le même phénomène s’est observé dans tous les temps et dans tous les lieux. 

En fait, cette opinion qui court-circuite les idéaux de progrès et de bonheur du Siècle des Lumières dont il est lui-même issu, est la réponse à la question que Rousseau s’est lui-même posée dans son Discours sur les sciences et les arts : celle de savoir « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs ». Cette critique contre la science et les arts à l’origine selon lui, de la perversion des mœurs, de l’éloignement des hommes de la vertu, a encore une résonnance de nos jours. En effet, nous sommes aujourd’hui, sous l’emprise des machines qui sont ironiquement les fruits de notre propre ingéniosité. Pire, nous devenons de plus en plus semblables à ces avatars anesthésiés et désensibilisés que nous avons nous-mêmes conçus et produits. Avec l’avènement fulgurant de la technologie numérique de pointe, notre environnement se métamorphose à un rythme effréné, effarant et effrayant. La triste réalité est que cette métamorphose nous dérobe de notre humanité et, de facto, nous rabaisse et nous enlaidit. Le triomphe de la science est le lieu de la perte, de la corruption et de la perversion de l’homme. C’est ce même diagnostic que fait Kant (2004, p 113) qui s’interrogeait à cet effet et en ces termes : « Comment peut-on rendre les hommes heureux si on ne les rend ni moraux ni sages ?» C’est dire que nous ne vivons pas encore dans une époque de moralisation tant le progrès scientifique croit en même temps que la misère des hommes. C’est pourquoi, Rousseau de son côté, va s’investir dans l’éducation qui reste incontournable dans le développement du genre humain. Certes, la misère de l’humanité est liée à l’évolution des sciences détachée des normes morales. Or la question morale est d’emblée une question qui a trait à l’éducation. Comme l’a fait Rousseau au siècle des Lumières, pour la jeunesse victime d’un manque ou d’une mauvaise éducation, il y a lieu de procéder à un perfectionnement moral de l’africain, ’c’est-à-dire de l’amener à être vertueux.

Rousseau ne sous-estimait pas les effets salutaires de la science. Il ne voyait pas cette dernière comme un phénomène intrinsèquement malfaisant. Bien au contraire, pour lui, si elle est utilisée à bon escient, elle peut être une source infinie de bien-être. Elle peut à ce titre, contribuer à la perfection morale, voire au développement de l’homme. L’usage raisonné de la technique ; d’une technique que Rousseau ne condamne pas dans l’absolu, promeut le perfectionnement moral et social. Dans ce sens, le numérique étant l’expression même de l’avancement des sciences, il urge pour les humains, de porter un regard attentif sur son usage. Mais, cette tâche incombe à l’échelle de la société civile, aux pouvoirs publics. C. Duarte (2001, p. 20) le signifie clairement en ces termes : cependant l’adoption massive des technologies numériques implique aussi que les dirigeants doivent comprendre et gérer les complexes répercussions juridiques et éthiques qu’ont les technologies sur la société, y compris la vie privée, les données et la fraude fiscale. C. Duarte attire l’attention sur la tâche qu’ils ont à accomplir avec l’avènement du numérique. Cela revient à dire que les sociétés africaines numérisées ont besoin d’être réinventées à partir de valeurs qui ne s’accommodent pas toujours avec celles de l’Occident. Dans le contexte actuel de numérisation des sociétés africaines, et au regard des transmutations qui y interviennent, il apparaît capital pour les dirigeants africains, de songer au perfectionnement moral des populations en puisant aux sources de la tradition. Il y a comme on le voit, une urgence de reconquête de soi. Le modèle de cette reconquête de soi se perçoit aisément chez Rousseau. Et ce choix se justifie bien d’après l’affirmation de J. M Goulemont (2012, p. 53) notant que : « la philosophie de Rousseau se fonde d’abord sur une évaluation morale de la société. Cette dernière, selon lui, repose sur une contradiction entre le dire et le faire, car les pratiques des élites ne coïncident pas avec le discours moral ou les principes dont elles se réclament ».

En effet, le quotidien de nos sociétés africaines actuelles se retrouve bien dans le constat de Rousseau décrit ici par Goulemont. Dans le Discours sur les sciences et les arts, J.-J. Rousseau (1964, p. 56) fait cette révélation :

On n’a jamais vu de peuples une fois corrompus, revenir à la vertu. En vain vous prétendriez détruire les sources du mal ; en vain vous ôteriez les aliments de la vanité, de l’oisiveté et du luxe ; en vain même vous ramèneriez les hommes à cette première égalité, conservatrice de l’innocence et source de toute vertu : leurs cœurs une fois gâtés le seront toujours ; il n’y a plus de remède, à moins de quelque grande révolution.

D’une part, J.-J. Rousseau (1964, p. 36) se montre pessimiste concernant une reconversion de l’homme tombé dans la déchéance quand il affirme ce qui suit :

La science est très bonne en soi, cela est évident ; et il faudrait avoir renoncé au bon sens pour dire le contraire. (…) Mais la science toute belle, toute sublime qu’elle est, n’est pas faite pour l’homme ; il a l’esprit trop borné pour y faire de grands progrès, et trop de passions dans le cœur pour n’en pas faire un mauvais usage.

Et d’autre part, Rousseau manifeste son optimisme quant à la transformation intellectuelle et morale de l’homme. Autrement dit, seule une réforme de l’entendement humain peut permettre de retrouver la vertu, la bonté originelle perdue. J.-J. Rousseau présente la révolution comme la voie de rachat des cœurs gâtés ou du moins des peuples corrompus. Dans le contexte actuel de nos cultures, il s’agit, ainsi que le dit W. E Mbumua (1970, p. 11) d’une 

nécessité impérieuse, urgente, d’une véritable révolution culturelle pour extirper toutes les manifestations du néo-colonialisme culturel nocif, pour secouer la tendance à l’imitation sans discernement ou le passéisme aveugle. Cette révolution implique à la fois révolution de la pensée, de la mentalité, et de l’action.

En nous inspirant de la pensée morale de Rousseau, nous pouvons saisir cette révolution comme une sorte de subversion des valeurs.  Pour nous, celle-ci, au regard de la crise du numérique, se traduit en termes d’adéquation du numérique avec les valeurs africaines (respect de la dignité humaine, tolérance, tempérance etc.). Toute chose qui nécessite la révision par nos gouvernants du processus d’implantation du numérique. Cela exige la mise en œuvre de politiques d’encadrement, de contrôle et de règlementation de l’emploi du numérique par ses usagers.

La crise du numérique est sans nul doute une crise des valeurs due au développement des sciences et des arts. Autant la société du XVIIIe siècle a été perçue comme une société de consommation, autant vivons-nous dans une société consumériste rythmée par les prouesses technoscientifiques dont les effets indésirables conduisent à la perversion des mœurs. Le phénomène des rumeurs et des fake news a fait que les informations qui émanent des réseaux sociaux, constituent des sources de nuisance. Et c’est en ce sens que les prescriptions et les valeurs traditionnelles que sont la transparence, l’exactitude de l’information, le respect de la vie privée, la vérification des sources, la responsabilité du sujet pensant constituent l’éthique devant réguler l’espace médiatique du numérique. La dépravation des mœurs est fonction de la liberté qu’internet donne dans le champ médiatique. Si une tête bien faite a plus de valeur qu’une tête bien remplie, comment alors parvenir à avoir une tête bien faite si ce n’est par l’éducation qui est porteuse de développement. La définition qu’en donne J. Ki-Zerbo (1990, p. 16) est assez illustrative quand il dit ceci : « L’éducation, c’est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés. » Cet investissement à long terme qui conditionne le devenir de toute société et produit forcément des fruits, est celui qu’ont fait tous les pays dits développés auxquels nous voulons ressembler. Une société qui renonce à prendre en compte les valeurs qui la fondent, ensevelit son propre avenir. C’est une « société suicidaire » ; d’où la nécessité d’une réinvention des sociétés africaines à l’ère du numérique.

Conclusion

Créé en Occident pour des besoins d’exercices stratégiques militaires, le numérique représente l’une des plus grands marqueurs de l’évolution scientifico-technologique. Alors qu’il est présent dans la société occidentale au sens où il régente toutes les activités humaines, c’est, à la faveur de la crise du Covid 19 que le numérique connait un grand rayonnement, surtout dans les sociétés africaines. Ses nombreuses potentialités et ses atouts, source de curiosité, attirent préalablement la jeunesse africaine qui en a fait un instrument d’action et d’affirmation de soi. Il favorise l’auto-emploi au sens où il contribue à la création de « self-making » et de « start-up ».

Cependant, derrière cette image reluisante du numérique transparaissent ses revers qui ont trait principalement à l’usage que les hommes en font. Les fakes news ou fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux en sont l’illustration parfaite. Elles traduisent certainement un malaise profond, et l’appel rousseauiste à la vertu constitue une voie sûre à explorer par les pouvoirs publics. Dans le cadre de notre réflexion, la vocation du politique, c’est de réguler l’usage du numérique autour de valeurs dans lesquelles les Africains sont à même de se retrouver, de se reconnaître sans les aliéner. En ce sens, les modèles asiatiques de rattrapage et de reconstruction après colonisation, pourraient permettre aux Africains, d’adapter les technologies importées à leurs réalités culturelles.

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LES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION (TIC), VECTEURS DE RESILIENCE ET DE RELIANCE DES PEUPLES

Ghislain Thierry Maguessa EBOMÉ

École Normale Supérieure, Université Marien NGOUABI (République du Congo)

ghisebome@gmail.com

Résumé :

Cet article est une analyse empirique du mythe Kèl élong que partagent les communautés Bekwel et Ko’zimé du Cameroun, du Congo et du Gabon. À travers cet article nous montrons que ces peuples font usage des réseaux sociaux pour reconstituer une réalité sociologique, culturelle et cultuelle dont l’enjeu est l’inclusion des peuples. Nous dégageons que cette réalité ne peut être possible qu’à partir d’une éthique de la résilience et d’une éthique de la reliance.

Mots clés : Kèl élong, Reliance, Résilience, Réseaux sociaux.

Abstract:

This article is an empirical analysis of the Kèl élong myth shared by the Bekwel and Ko’zimé communities of Cameroon, Congo and Gabon. Through this article we show that these people use social networks to reconstruct a sociological, cultural and religious reality whose stake is the inclusion of people. We show that this reality cannot only be possible on the basis of an ethic of resilience and an ethic of connection.

Keywords : Kèl élong, Connection, Resilience, Social networks.

Introduction

Cet article a été présenté dans une communication lors du colloque international organisé par le Département de philosophie de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké du 07 au 09 octobre 2023 sous le thème : « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines ».

Ainsi, cet article est une analyse empirique et factuelle qui rend compte de la reconstruction d’un espace historico-culturel à partir des forums virtuels. Cet espace est celui créé par les intellectuels et notables Bekwel et Ko’zimé du Cameroun, du Congo et du Gabon à partir du mythe de la traversée : Kèl élong. Cet article comprend trois moments. Le premier moment est celui de l’analyse du mythe Kèl élong afin de dégager sa compréhension partagée par les communautés Bekwel et Ko’zimé. Le deuxième moment consiste à montrer que la rencontre et la reconstitution autour de ce mythe peuvent être considérées comme constitutives d’une éthique de la résilience, tandis que le troisième moment présente ces rencontres comme étant constitutives d’une éthique de la reliance. Cette structuration permet de répondre aux questions fondamentales suivantes : à quelle proportion les TICS ont-elles contribué à la reconstitution de l’espace historico-culturel des peuples Bekwel et Ko’zimé ? (i). En quoi les Tics permettent-elles la résilience des peuples ? (ii). Les Tics ne contribuent-elles pas à féconder la reliance des peuples ?

L’enjeu de cet article est de montrer, à partir d’une approche analytique basée sur des faits empiriques, l’intérêt des réseaux sociaux, mieux des TIC, dans un contexte où, de plus en plus, certaines analyses condamnent leur asociabilité, leur arrachement des solidarités. C’est un paradoxe qu’il faut comprendre puisqu’en réalité, en arrachant des solidarités physiques, les réseaux sociaux construisent des solidarités virtuelles qui deviennent progressivement des solidarités réelles. C’est ce passage de la solidarité virtuelle à la solidarité réelle qui est ici en exergue.

1. Analyse du mythe de la traversée « Kèl élong » ou « kôl élong » ou « Koh elo’o »

Dans cet article nous désignerons ce mythe par Kèl élong. Le mythe à partir duquel se construit cet article est partagé par les peuples Bekwel et Ko’zimé installés dans le bassin du Congo, précisément à l’Est du Cameroun dans la région du Haut Nyong, de la Boumba – Ngoko et de la Dja-Lobo, au nord du Congo dans le département de la Sangha et au Gabon dans la région de l’Ogooué-Ivindo.

Si au Gabon et au Congo, les Bekwel ou Bakwele, ou encore Bekwil, sont un peuple homogène parlant la même langue d’environ 50.000 locuteurs au Congo et 12.000 locuteurs au Gabon. Ils vivent dans le département de la Sangha (Congo) et des régions de Mekambo et de la Zadié (au Gabon). Quant au peuple Ko’zimé, installé au Cameroun, il s’agit d’un grand groupe regroupant la plupart des ethnies qui parlent des langues ayant la même souche linguistique et se réclamant du même mythe de la traversée. On peut citer, sans être exhaustif, les ethnies suivantes : Ndjems, Bekwel, Badjoué, Mpiemo, les Bangato. Ces différents groupes, au Cameroun, au Congo et au Gabon sont divisés en clans identiques qui se reconnaissent du même ancêtre. Ils partagent les mêmes mythes et légendes. Ils ont les mêmes rites initiatiques et la même relation à la divinité.

Le mythe fondamental que partage ces peuples est celui de la traversée, ceci pour justifier leur installation dans les espaces géographiques qu’ils occupent actuellement au Cameroun, au Congo et au Gabon. Ce mythe de la traversée est appelé suivant que l’on est au Congo, « Kèl élong » ou « Kôl élong » au Congo, au « kôl élong » au Gabon, et « Ko’elo’o » au Cameroun.

Il s’agit d’un récit épique des migrations qui a conduit ce peuple du bassin de l’Éthiopie antique au bassin du Congo. Cette épopée a eu lieu entre la fin du 17e siècle et le début du 18e siècle. L’histoire retient que c’est la grande période des guerres tribales et ethniques auxquelles la plupart des peuples n’échapperont pas. L’exemple révélateur de la charismatique reine Abla Pokou qui a conduit le peuple baoulé depuis le Ghana jusqu’en Côte d’Ivoire suite à une guerre de succession fait partie des grandes vagues d’immigration du 18e siècle. Ainsi, à la quête d’un espace vital, les peuples Bekwel et Ko’zimé ont été pourchassés dans la région soudanaise puis dans le nord du Cameroun actuel par un peuple guerrier, les Fulbés.

Face aux atrocités qui ont victimisé ce peuple, conduit par un patriarche dont le nom n’est jamais révélé, il décida un jour d’aller à la découverte de l’inconnu. Il se trouva face à un obstacle impossible à enjamber, qui serait une grande étendue d’eau. Le récit légendaire n’arrive pas à désigner cette grande étendue d’eau même si certains critiques comme Geschiere (1981, p. 519), parle de la Sanaga au Cameroun. Toutefois, le récit précise que devant l’obstacle, le patriarche demanda à l’ensemble de la communauté qui l’accompagnait de ne faire aucun mouvement. Il se replia avec quelques initiés pour construire un pont mystique, semble-t-il avec sa verge. Une fois ce pont construit, il organisa la traversée, mettant son peuple à l’abri des poursuivants.

C’est ce mythe de la traversée que les Bekwel du Congo désignent par « Kèl élong ou Kol élong » et les Ko’zimé du Cameroun par « Koh elo’o ». Dans les différentes langues parlées dans ces aires géographiques et culturelles, cette désignation est un euphémisme consacré pour éviter de désigner impudiquement ou imprudemment la « verge » qui aurait sauvé le peuple des atrocités subies sur l’autre rive. On parle ainsi de la liane mystique.

Quelle que soit la considération que l’on peut accorder au récit mythique et à certaines légendes, nous sommes tout au moins interpellés par la survivance de ce mythe dans la conscience collective ou communautaire de ces peuples que la colonisation a séparés. La trame du récit et sa puissance fondatrice n’ont pas été altérées par la force du temps. Ainsi, le mythe Kèl élong s’inscrit parmi les récits ethniques fondateurs qui structurent l’imaginaire collectif des peuples Bekwel et Ko’zimé. Ce mythe est doté d’une charge symbolique qui sert désormais de lien inoxydable et incorruptible des peuples qui le partagent. M. Cheucle (2014, p. 35) partage ce point de vue :

Plusieurs groupes Makaa-Njem partagent la même anecdote relatant la traversée d’une rivière sur un pont mystique, traversée qui symboliserait la séparation de plusieurs groupes. Cependant, il est difficile de savoir à quel endroit précis aurait eu lieu cette séparation, et à quelle date remonterait-elle.

Suivant le classement de Guthrie, l’ethnie Bekwel classée A85b fait partie du groupe Makaa. Ainsi, malgré la déstructuration de la mémoire collective et sociale des populations africaines par la colonisation, le mythe de la traversée est resté vivant et vivace dans la conscience de ces peuples. On doit relever que pendant plus d’un siècle, ces peuples sont restés sans contacts physiques réels par manque d’un réseau routier. Apprendre que de l’autre côté de la frontière, il y a des peuples qui parleraient la même langue que soit relevait d’une curiosité à nourrir et à satisfaire. Bien plus, si les rares habitants des villages frontaliers pouvaient ainsi attester de cette vérité, il était insoutenable de croire que ces peuples partageaient le même mythe fondateur. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le témoignage de Sa Majesté Ziengle Touth, Ko’zimé du Cameroun, Maire de la ville de Mindourou, département du Haut-Nyong au Cameroun, lors de la première édition du festival des peuples Ko’zimé, en novembre 2020 : « Mon père m’a élevé en me parlant toujours du mythe Koh’ elo’o. Il nous disait que nous vivions à l’époque, après la traversée, avec un peuple voisin qui était des serviteurs de Dieu. C’était le peuple Bekwel. Un jour, ce peuple qui ne supportait pas ce que les autres faisaient autour du village, avait décidé de quitter la terre pour aller vivre auprès de Dieu. Ce peuple reviendra un jour nous parler d’amour et de réconciliation. C’est le peuple Bekwel ».

L’analyse de ce témoignage, et en suivant son auteur, le peuple Bekwel était un peuple mythique dont la réalité était à peine perceptible et rationnelle, puisque, son existence était révélée par un mythe. Pour lui, rencontrer physiquement, et à Mindourou, lieu de sa naissance et où, l’on lui racontait le récit de la traversée, les Bekwel étaient la réalisation du miracle et l’affirmation incontestable du récit paternel.

Ces peuples n’ont pas entretenu d’échanges culturels et cultuels depuis la fin de la colonisation. Ils ont profité des liens individuels, d’abord sur Facebook, puis sur WhatsApp, pour créer un cadre d’échange virtuel et réel regroupant les intellectuels et quelques leaders d’opinions de ces communautés vivant au Cameroun, au Congo et au Gabon. Ainsi, depuis novembre 2020, ils se retrouvent, chaque année, autour d’un festival dont l’objet est de construire, mieux de reconstruire les liens de solidarité et les valeurs intrinsèques à leur communauté. En effet, lors de ces cérémonies, les festivaliers venus des trois pays voisins se partagent, en marge des réjouissances collectives bien organisées, des expériences épistémiques liées à la disparité géographique de leur culture commune, en mettant en avant les reliques historiques qui ont fécondé leur identité. L’édition 2023 est innovante de par la particularité de son organisation. Un appel à texte complet a été lancé pour la conférence du festival de la communauté Kol Elo’oh, Mbang 2023. Il s’agira, en l’occurrence, de soumettre des propositions de communication sur le thème intitulé “Identité du peuple Koh Zime et valorisation de sa riche diversité culturelle”. L’objectif consiste à approfondir les connaissances sur ce mythe auquel ils sont culturellement liés par leur regard de l’intérieur sans ignorer les intelligences extérieures qui ont donné leurs versions des faits.

Pour Geschiere (1981, p. 519), « il s’agirait de la traversée de la Sanaga au Cameroun. Cette origine commune du centre Cameroun se vérifie dans les différents écrits parlant des groupes Makaa-Njem. (…) aujourd’hui encore, plusieurs d’entre eux sont installés au Sud de la Sanaga. Des guerres ethniques auraient été à l’origine d’une fuite vers le Sud, c’est ainsi que plusieurs groupes, comme les Bekwel et les Djem, ont migré en direction du Gabon et du Congo sous la forte pression des groupes Fang (Beti, Pahouin). »

Dans tous les cas, cette région où se dressent les frontières entre le Congo, le Gabon et le Cameroun fut, sans conteste, objet des convoitises des puissances coloniales. Elle fut le siège d’affrontements entre les français et les allemands durant la première guerre mondiale et des résistances des peuples de la région face à la pénétration coloniale (C.G. Maguessa-Falanga, 1984, p. 15).

2. Mythe de la traversée et résilience

L’analyse de la donnée principale de cette réflexion, c’est-à-dire le mythe de la traversée, permet de dire que grâce aux réseaux sociaux, particulièrement à WhatsApp, les peuples Bekwel et Ko’zimé ont accentué leur résilience traditionnelle. En effet, s’il faut considérer la résilience comme la capacité à résister à l’épreuve, à absorber une perturbation et à se réorganiser pour continuer à vivre malgré certaines agressions exogènes, nous pouvons affirmer à partir de la donnée mise en exergue que les peuples Bekwel et Ko’zimé travaillent désormais à la consolidation des valeurs intrinsèques de leur tradition.

Ce processus de consolidation des valeurs, est une expression de la résilience communautaire, en ce sens qu’il est un travail double de psychologie et de psychanalyse individuelle et collective pour surmonter les désastres de la séparation. Nous pouvons affirmer, sans réserve, que dans ce processus de reconstruction et de quête de vitalité communautaire, les individus mobilisent différents ressorts psychologiques pour reconstituer un espace de vie libérer des traumatismes d’un passé enfoui dans le subconscient collectif qu’il véhicule au moyen du mythe de la traversée. Dans ce sens, ils déploient une stratégie communautaire et identitaire dont l’objet est de construire une réalité de vie, mieux, de réussir une réalisation sociale avec pour objectif de surmonter quelques vulnérabilités qu’ils rencontrent dans le déploiement de leur existence avec des peuples voisins. Dans une telle perspective, la résilience ouvre au champ coextensif de la politique, de l’économie, de la religion, puisqu’il s’agit, au-delà de la reconstitution du moi collectif ou communautaire, de revitaliser la cohésion sociale et les valeurs du vivre-ensemble.

Nous ne devons pas éluder les considérations qui confèrent à la résilience, en la considérant comme une réalité interactionnelle dont, l’objectif est la possibilité de développement par des mécanismes de réorganisation et de renouvellement de la mémoire individuelle et collective. De ce point de vue, le processus de résilience ouvre indubitablement aux principes d’adaptabilité et de transformabilité sociale.

Le principe d’adaptabilité contribue à donner et à renforcer la résilience des facteurs liés au changement, tandis que le principe de transformabilité permet l’innovation. À partir de ces deux principes, nous comprenons que la résilience est refus de la fatalité. Ici, il revient aux peuples Bekwel et Ko’zimé d’aller au-delà de leur histoire partagée, de subsumer le traumatisme de la séparation pour construire, mieux co-construire une histoire nouvelle, à partir des ressorts que leur confèrent les technologies de l’information et, surtout les routes d’intégration. Le caractère dynamique des réseaux sociaux, particulièrement les groupes WhatsApp, est à souligner puisqu’il a été l’élément ayant aidé à enclencher ce processus.

D’ailleurs, les différentes discussions qui s’organisent sur les différentes plateformes virtuelles de ces communautés montrent aisément qu’elles travaillent à tourner une page sombre de leur histoire, pour développer des nouvelles opportunités et potentialités qui doivent aider à construire une nouvelle histoire. Ainsi, la résilience est un concept innovant pour conjurer les faiblesses du passé, et solliciter l’émergence des nouvelles forces. À ce titre, elle évoque la mondialisation et ouvre sur ce que A. Sen (1992) appelle les capabilités. La résilience augmente les capabilités communautaires et individuelles en permettant la co-construction psychosociale de la communauté.

En effet, depuis les rencontres de Mindourou en 2020, sur les forums virtuels des communautés Bekwel et Ko’zimé s’organisent de manière récurrente des discussions sur des thématiques de renaissance culturelle, de spiritualité, de culte et de sociologie de ces communautés. Il s’agit des échanges qui développent auprès de cette génération des capacités diverses dont les principales sont les capacités d’absorption, d’adaptation et de transformation.

La capacité d’absorption prend essor à partir du moment où, cette génération qui vivifie le mythe commun de la traversée trouve à partir du récit de Kèl élong un moyen susceptible de leur donner le pouvoir de rebondir dans un environnement culturel concurrentiel et de s’affirmer aujourd’hui ou demain, comme une culture forte. Elles se donnent alors la force d’anticiper et de planifier l’avenir de leurs communautés respectives.

Dans un contexte mondial de plus en plus marqué par la confrontation culturelle, les discussions virtuelles donnent à la nouvelle génération de ces communautés la capacité d’ajuster leur regard sur le monde, en évitant de refermer leur culture sur elle-même. C’est une perspective qu’il faut louer et encourager, dans ce sens qu’elle permet une certaine flexibilité de l’avenir. La flexibilité est une attitude nécessaire à la revalorisation culturelle dans un contexte où la mondialisation est couverte par un certain nombre d’incertitudes de notre avenir. Ainsi, comme l’affirme, W. Ader, 2000, « Il s’agit de la capacité des communautés humaines à supporter les chocs ou les perturbations externes et à se relever de telles perturbations »

3. Mythe de la traversée et reliance

La considération que les technologies de l’information et de la communication ont acquise dans la revitalisation du mythe de la traversée Kèl élong montre qu’elles peuvent aussi favoriser une forme de reliance des peuples. Il sied de rappeler que, le concept de reliance a été inventé par le penseur belge M. Boll de Bal (1985, p.12), en soulignant ceci : « résolument situé dans une approche systémique, le concept de reliance a ensuite été décliné dans différentes approches des sciences humaines et sociales. Dans une conception anthropologique, la reliance est considérée à la fois dans sa dimension identitaire en tant que reliance à soi (reliance psychologique), solidaire en tant que reliance aux autres (reliance sociale), citoyenne en tant que reliance au monde (reliance culturelle, écologique ou cosmique ». En tant que reliance sociale, elle permet de créer les liens entre les acteurs sociaux séparés : « Relier étant l’acte de créer ou recréer des liens, établir ou rétablir une liaison entre une personne et soit un système dont elle fait partie, soit l’un des sous-systèmes » (Boll de Bal, 2003, p. 103).  Elle ne tend pas non plus à réduire les contradictions, mais au contraire à adopter une attitude dialogique en pensant simultanément aux contradictions et aux complémentarités.

Dans le contexte africain postcolonial, le concept de reliance est aujourd’hui usité dans le cadre des études qui permettent de comprendre les avatars que les cultures traditionnelles ont subis face à la modernité occidentale. Il s’agit des avatars ayant conduit à la séparation, à la division, mieux à la deliance des sociétés africaines. La reliance sociale ou communautaire devient le créneau ou le vecteur de la sauvegarde de l’identité commune, du raffermissement et de la compréhension des peuples. Dans ce sens, elle vivifie la mémoire par le renforcement de la communion fraternelle, qui permet, l’émergence de l’individu au sein de la société en générant le moi collectif.

Nous pouvons dire que l’éthique de la reliance est une forme d’esthésie et une forme de psychanalyse pratique et active qui ressuscite le refoulé pour construire un nouveau type d’imaginaire dont le but est d’affermir l’engagement social et communautaire. C’est effectivement ce que réussissent les communautés Bekwel et Ko’zimé depuis bientôt quatre éditions du festival dédié à la reconstruction du pont mystique de Kèl élong.

En considérant sa place dans la reconstruction des sociétés africaines fragmentées par les effets néfastes de la colonisation, la reliance peut être considérée comme le paradigme de la postmodernité. Considérée comme une prise de conscience des dérives et des désolations de la colonisation vécue comme le siècle de la rupture, de la désintégration, de la division et des disjonctions. La modernité des sociétés traditionnelles africaines, calquée sur le modèle du paradigme de la postmodernité, se construit sur et à partir du rétablissement du lien, de la revitalisation des solidarités, de l’altérité, de l’intermédiation, du décloisonnement.

Ce travail est celui que réalisent à travers divers forums WhatsApp les communautés Bekwel et Ko’zimé qui ont réussi à établir ou à rétablir le pont de la traversée, Kèl élong, dans sa version moderne, c’est-à-dire aidée par le développement des réseaux sociaux.

La reliance est perçue par E. Morin (2004b, p. 269) comme une norme éthique pour réaliser les interactions durables : « Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-Patrie ».  E. Morin met l’accent sur l’éthique de la communauté en tant que forme particulière de l’éthique de la reliance et de la solidarité : « Le sentiment de communauté est et sera source de responsabilité et de solidarité, elles-mêmes sources de l’éthique » (2004, p. 17). En suivant la conception morinéenne, la reliance est une construction socio-culturelle, qui intègre le ressenti, les cognitions et les cultes. C’est pourquoi les émotions, mieux les fonctions psychologiques, jouent un rôle fondamental dans la reliance. Nous notons aussi que la reliance se construit par des symboles et des faits historiques. En effet, la relation entre les hommes est médiatisée par des symboles, incarnation de certaines pratiques culturelles, des représentations, des légendes et des mythes, et par l’histoire.

Pour mieux comprendre la reliance que suggère les TICS dans l’univers Bekwel et Ko’zimé, il faut s’appuyer sur le caractère heuristique de la reliance chez E. Morin, voire chez M. Maffesoli. Celui-ci pense que la reliance est une éthique de l’affect qui permet de tisser les liens solides entre les individus, en favorisant l’intensité des relations. Elle valorise la communauté émotionnelle, en encourageant le sentiment d’appartenance par les mythes, les contes et les petites histoires comme des vecteurs de communion.

Á partir du mythe Kèl élong et les réseaux sociaux, les communautés Bekwel et Ko’zimé travaillent à la construction d’une conscience reliante comme la condition d’une culture partagée afin de transcender la fragmentation communautaire vécue comme un traumatisme et passer à une phase dynamique de l’inclusion qui doit aller au-delà des simples politiques d’intégration sous-régionale ou régionale. Construire la conscience reliante est une perspective idoine pour affirmer et affermir le lien social.

C’est d’ailleurs dans ce sens que doivent se comprendre les différentes rencontres que réalisent les communautés ayant en partage le mythe Kèl élong depuis novembre 2020. Il s’agit des occasions de partage des vertus de la fraternité, de l’entraide et, surtout, un lieu d’approfondissement du lien culturel et cultuel. Ces occasions d’échanges permettent aussi de renouer avec l’histoire afin de créer les conditions d’entente, de convivialité et d’échange. Puisque dans ces conditions, l’éthique de la reliance exige une connaissance de l’histoire et de ses enjeux.

L’éthique de la reliance est une quête de sens ou une quête d’existence. Elle est une quête de sens parce qu’elle se déploie comme projet d’humanisation à partir de sa perspective psychosociale. Cette perspective est d’autant déterminante puisqu’ aide à instaurer à la fois la conscience du « Moi », c’est-à-dire une promotion du sujet en situation, et le dialogue avec l’autre. Il s’agit d’une altérité fonctionnelle qui au bout devient une quête permanente de reliance. C’est comme un appel à la quête permanente de reliance que nous pouvons comprendre cette citation de J. Grondin (2003, p. 5-6) :

« C’est parce que nous sommes projetés dans cette existence et que nous avons conscience de cet être-projeté, dans ce qu’il a d’irréversible et de tragique, que la pensée s’éveille en nous. La pensée essentielle porte sur le sens de cette existence : que faisons-nous ici ? Pourquoi et pour qui sommes-nous là ? Que devons-nous, que pouvons-nous y faire ? Que nous est-il permis d’espérer ? » (Jean Grondin, 2003, p. 5-6).

La question du sens de la vie est une question existentielle, celle du « je » projeté dans une relation avec l’autre et avec lui-même, au sens où l’entend C. V. Laclasse (2012, p. 23).

La question de la quête de sens est d’abord un travail d’intériorisation, de dialogue intérieur, dans notre lieu intérieur de rencontre de ces pensées qui s’agitent en nous soit une interrogation sur le sens de notre existence et de ce qui rend la vie digne d’être traversée.

La question du sens de la vie ouvre sur celle de l’espérance, espérance de survie ou de conservation de soi. Cette espérance est celle de la rencontre attendue. C’est comme si les peuples Bekwel et Ko’zimé attendaient ce moment, cette rencontre. C’est comme si ces peuples vivaient intérieurement une attente au sens de J. Grondin (2003, p.72) : « c’est que l’espoir de sens est d’abord une attente, une « expectative », un a priori qui me permet de vivre, de vivre avec autrui et d’agir ». L’espoir porte à agir et à interagir : « C’est cet espoir qui fonde notre humanité, notre civilité, notre être-en-commun dans un espoir partagé » (J. Grondin, 2003, p. 76). Ce titre a besoin d’être documenté pour renforcer le lien entre vos arguments et les faits analysés. Ces faits font cruellement défaut !

Conclusion

En somme, cet article qui analyse la portée du mythe Kèl élong a permis de montrer et de capitaliser l’intérêt des réseaux sociaux dans la reconstitution des sociétés africaines précoloniale. En effet, ayant compris l’impossibilité d’un recul qui les replongerait dans un passé qui n’existe plus, les Bekwel et Ko’zimé travaillent, à partir et grâce aux réseaux sociaux, à se donner la possibilité de vivifier une réalité ancestrale partagée : le mythe de la traversée Kèl élong. Il s’agit d’un travail à consolider afin de construire une éthique de la résilience et une éthique de la reliance nécessaire au passage de l’intégration politique des États africains, à l’inclusion solidaire des peuples.

Références bibliographiques

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MORIN Edgard, 2004b, La méthode 6, Paris, Seuil.

AXE 7 : RÉSEAUX SOCIAUX ET SEXUALITÉ

LA CYBERSEXUALITÉ EN AFRIQUE : LE CORPS-SEXE               ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ

Oliver P. NGUEMA AKWE

Université Omar Bongo Libreville (Gabon)

oliviernguema@yahoo.fr

Résumé :

La notion de sexualité en anthropologie entraîne une réflexion quasi-totale sur le fondement de la conception sociale du corps humain en Afrique. Loin d’être une simple donnée naturelle, le corps est également le produit d’une conception culturelle sociale et la vitrine d’un peuple à un moment donné de son histoire. Au Gabon, l’on utilise davantage l’image du corps pour spécifier les catégorisations du corps. Le corps, ce symbole donc use une société pour véhiculer ses fantasmes sexuels, ce corps est perçu comme une identité sociale. Cette identité pose un problème de reconnaissance lié aux différents usages qu’entretiennent les Gabonais sur le corps et la sexualité. D’autant plus que le débat autour de la sexualité est d’abord un débat autour du corps de la femme. La jeunesse gabonaise semble prendre de la distance vis-à-vis de la tradition sexuelle africaine et s’investit pleinement sur l’utilisation des réseaux sociaux à la découverte du sexe digital, sexe sans corps ou du cybersexe, mère de toutes les influences et véritable outil de transformations sociales. De là, nais, une nouvelle sociabilisation appelée la cybersexualité. Cet article a pour but de décoder les mécanismes de l’effondrement de la culture sexuelle traditionnelle africaine. Pour ce faire, nous nous inscrivons dans l’approche de l’anthropologie du corps. Les méthodes utilisées dans ce travail sont l’observation participante et l’analyse du contenu. Ces méthodes nous ont permis de décrypter le phénomène de la cybersexualité et ses modalités de production en Afrique.

Mots clés : Corps, Culture, Gabon, Réseaux sociaux, Sexualité.

Abstract:

The notion of sexuality in anthropology involves an almost total reflection on the basis of the social conception of the human body in Africa. Far from being a mere natural fact, the body is also the product of a social cultural conception and the showcase of a people at a given moment in its history. In Gabon, the body image is used more to specify the categorizations of the body. The body, this symbol therefore uses a society to convey its sexual fantasies, this body is perceived as a social identity. This identity poses a problem of recognition related to the different uses that the Gabonese people have on the body and sexuality. Especially since the debate around sexuality is first and foremost a debate around the woman’s body. The Gabonese youth seems to distance themselves from the African sexual tradition and is fully invested in the use of social networks to discover digital sex, bodyless sex or cybersex, mother of all influences and real tool of social transformations. Hence, a new socialization called cybersexuality. This article aims to decode the mechanisms of the collapse of traditional African sexual culture. To do this, we inscribe ourselves in the approach of the anthropology of the body. The methods used in this work are participant observation and content analysis. These methods allowed us to decipher the phenomenon of cybersexuality and its production modalities in Africa.

Keywords : Body, Culture, Gabon, Social Networks, Sexuality.

Introduction

Parler du corps et de la sexualité en Afrique n’est toujours pas chose aisée. Le sujet prêt à confusion et semblent heurter les sensibilités même les plus aguerries. Le monde universitaire lui-même n’échappe pas à cette particularité du non-dit scientifique en Afrique. Une sensibilité certainement entretenue par les croyances religieuses, mais surtout par la culture traditionnelle. Quand le tabou s’invite dans le monde scientifique, il n’est généralement plus possible de l’ignorer étant donné qu’il fait partie intégrante de la société. De ce fait, il se traduit comme, étant un fait de société. Un fait social doit alors être reconnu comme tel qu’après-être examiné et confronté à la stricte mécanique méthodologique scientifique universelle dont il répond. Cet article met à jour un phénomène nouveau par ses mécanismes de production, ce phénomène est celui de la cybersexualité en Afrique. Une pratique devenue tendance presque mondiale que se doit t’interroger l’anthropologie. En effet, on remarque dans les sociétés africaines globales, une pratique de consommation du corps aimé d’autrui. Le corps sublimation de l’Être, fascination de l’âme et exaltation sociale deviennent un pur objet de désir sexuel et de fantasme érotique voir pornographique qui se transforme en un corps-sexe, un corps-marchandise, un corps-objet, un corps placé. Cette transformation métaphorique du corps fait transparaître une idée non seulement sociale du devenir actuel du corps au Gabon par exemple, mais surtout fait naître une nouvelle forme de sociabilisation basée sur le dépassement du proscrit à la découverte du plus qu’interdit. Décupler le plaisir de la consommation du corps intouchable de l’autre au moyen de l’internet et ses attributs est aujourd’hui un mode de vie de la jeunesse gabonaise qui cultive l’abnégation et l’abandon total de la culture sexuelle ancestrale. Cette consommation indirecte et insaisissable voir intouchable du corps de l’autre se vit par l’entremise du web et à l’aide des écrans et par des procédés multiformes appelés cybersexe ; donc les résultats révèlent la mort du corps vivant et la destruction de la pratique sexuelle traditionnelle africaine.

Le corps dans son entièreté est considéré au Gabon comme la base de toute réalisation humaine. Il est vu comme le prolongement de l’humain et le déterminant d’une culture. Faire de ce corps un objet de consommation à travers les écrans est considéré comme un phénomène de destruction quasi-total, c’est-à-dire la perte de la considération traditionnelle du corps humain et ces représentations ainsi que des symboliques que se font les Gabonais de la notion du corps. Il est donc impératif de s’interroger sur l’avènement de cette pratique au Gabon et sur les mécanismes sociétaux de l’effondrement de la culture sexuelle traditionnelle gabonaise enclenchée, favorisée et développée par les réseaux sociaux. De ce fait, qu’est-ce qui peut être à la base de la cybersexualité au Gabon ? Et comment se manifeste-t-elle ? Quel impact cette pratique a-t-elle sur la culture sexuelle traditionnelle ? Ces interrogations bien que simplistes à la base évoquent une multitude de procédures et des questionnements propres à un phénomène méconnu de la tradition africaine. Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous nous inscrivons dans l’approche de l’anthropologie du corps et de l’interactionnisme symbolique. La première hypothèse probable à la base de cette pratique en Afrique est sans doute le refoulement des actes psychotiques issus du contact avec la culture occidentale. La seconde hypothèse concernant sa manifestation semble être le résultat de la libération des mœurs et de l’évolution des mentalités. Enfin, la troisième hypothèse sur l’impact de la cybersexualité sur la culture sexuelle africaine semble-t-elle est la destruction d’un maillon essentiel du vivre-ensemble communautaire et l’instauration d’une nouvelle mode de sexualité mondiale.

Ce travail s’articule autour de trois grandes parties et chaque partie est structurée en sous-points. Ainsi, la première partie a pour titre le corps et ces sexualités traditionnelles africaines, la deuxième partie a pour titre la cybersexualité et ces formes africaines, enfin la troisième partie s’intitule la cybersexualité et la modernité sexuelle. Ces parties rythmeront ce travail critique sur le corps et la cybersexualité en Afrique.

1. Méthodologie

Les orientations théoriques de ce travail sont d’une part, celle de l’anthropologie du corps et du religieux, d’autres parts celle de l’interactionnisme symbolique. Ce cadre théorique est mis en œuvre pour s’appuyer sur des résultats de terrain vérifiables. La méthode utilisée dans ce travail est l’observation participante en vue de répondre scientifiquement aux interrogations posées plus haut. Les techniques utilisées sont des entretiens semi-directifs. L’enquête de terrain a eu lieu dans la province de l’Estuaire du Gabon plus précisément dans la ville de Libreville ou vit la grande majorité de la jeunesse gabonaise. L’enquête a eu lieu au cours du mois de février 2023 auprès de quatorze (14) personnes à savoir 6 femmes et 8 hommes, dont la tranche d’âge, varie entre 16 et 42 ans. Ses derniers ont été interrogés sur toutes les facettes de la cybersexualité et de son impact dans la société moderne.

2. Présentation des résultats de l’étude

2.1 Le corps et ses sexualités traditionnelles africaines

2.1.1. La sexualité africaine

Le corps, notion transversale des sciences sociales et humaines longtemps restées ancrer dans le domaine de la médecine et de la biologie est sortie de ce carcan dans les années 1934 grâce aux études de Marcel Mauss qui ont relevé les structures élémentaires du corps notamment son utilisation dans les sociétés dites traditionnelles. C’est ainsi qu’en Afrique notamment au Gabon chez le peuple fang, le corps et ses représentations se vivent à travers la sexualité qui est un acte de foi et d’inter complémentarité pour ceux qui la pratique. Loin de toute prétention dominatrice liées à la sexualité, la société traditionnelle africaine dans son ensemble a su comment procéder par rapport à la sexualité. Elle est donc longtemps restée une pratique régulée par les instances traditionnelles qui finalement ont trouvé des apports bénéfiques et surtout des aspects de l’équilibre sociétal.

La sexualité traditionnelle africaine était une sexualité dite équilibrée sur le plan mental et moral, mais aussi sur le plan écologique et économique. Sur le plan mental, cette sexualité produisait des biens faits au couple dans la mesure où elle éradiquait les tensions au sein du ménage et instaurait l’harmonie conjugale. Ses effets bénéfiques dans la société dite traditionnelle sont révélés par plusieurs témoignages de terrains notamment celui de monsieur Edou Ndong Paulin. « Le rapport sexuel est le remède d’un ménage heureux, par le passé, le couple couchait le plus souvent pour rétablir l’ordre conjugal et le rapport sexuel était un véritable remède de problème de couple ». Cet équilibre familial traditionnel à perdurer par le strict respect des prohibitions liées à la sexualité. Parmi lesquelles : la pratique de la fornication, de l’inceste, de l’adultère et de la sodomie. L’institution traditionnelle interdisait une sexualité non encadrée. Le côté moral de la sexualité équilibrée dans la société traditionnelle africaine mettait également en avant le côté écologique.

Parler de l’écologie semble être un fait nouveau et mis à la mode aujourd’hui par des sociétés dites développées. On pense à tort que l’écologie n’a aucun lien direct avec la sexualité. Or, en Afrique traditionnelle donc nous avons hérité les pratiques d’après le récit de madame Blandine Okome Mba révèle que :

L’écologie est une pratique ancienne et entretien un lien étroit pour ne pas dire direct avec la sexualité. La tradition culturelle de la sexualité africaine savait qu’il y avait des lieux prohibés par la pratique de la sexualité. Des lieux tels que : la forêt sacrée, la rivière, le champ. La préservation de la nature passe également par le comportement sexuel que l’on entretient face à elle.

La préservation physique de la nature dépend en grande partie de l’apport mystique et spirituel que conjuguent les occupants de cet espace naturel. Un rapport sexuel dans la forêt éloigne les génies et détruit l’équilibre mystique de la terre. « Si tu veux avoir une bonne récolte et une vie meilleure, il ne faut jamais avoir des rapports sexuels en forêt ». Sur le plan économique, en rapport avec l’équilibre mystique de la terre, les villageois qui par le passé vivaient exclusivement des produits issus de l’agriculture veillaient scrupuleusement au respect de cette norme, car une forêt dite « maudite » par une sexualité non-conforme à la nature rend la terre infertile donc pas de bonne récolte pour vendre. De même, plus le couple est bien dans sa tête (psychologiquement), plus il peut travailler.

Une sexualité à peser donne plus de force au corps pour des durs travaux comme des travaux champêtres ce qui donne un revenu économique assez conséquent pour les villageois. C’est pour cela qu’O. Ertzscheid (2007, p. 8) affirme que : « Le corps est l’interface d’une économie ». Ce qui confirme qu’un corps en forme bien portant est une source de capacité de travail. Une sexualité équilibrée dont le corps facilite les échanges est longtemps restée une source économique pour les sociétés dites traditionnelles africaines.

2.1.2. La colonisation sexuelle africaine

Les structures traditionnelles gabonaises avant, les indépendances ont connu une normalisation évidente de la sexualité comme l’affirment plusieurs récits de notre enquête à l’exemple du récit d’Ondaga Clotaire que voici :

J’ai vécu avec mes parents et mon père était chef de canton. Il m’a toujours expliqué la vie conjugale qu’ils avaient avant l’indépendance du Gabon. Une vie rangée et gérée par des principes traditionnels, mais avec l’arrivée des blancs au Gabon, tout à changer, et pire depuis les années 80, la tradition n’est plus celle qu’elle était notamment en matière de sexualité. Aujourd’hui, les hommes couchent entre eux et les femmes entre elles.

D’après ce récit, c’est avec l’arrivée des colons au Gabon que l’on assiste à un bouleversement des structures traditionnelles. Un bouleversement accru dans le domaine de la sexualité. Une sexualité jadis équilibrée et jugée de noble va souffrir d’un chambardement ou la norme traditionnelle est proscrite au détriment de l’interdit. Les colons vont donc transformer de l’intérieur les façons de faire et de concevoir le corps et la sexualité au Gabon. Ce comportement non sacré de la sexualité occidentale heurte la valeur traditionnelle de la pratique sexuelle, car, pour les traditionalistes gabonais, le sacré est inviolable et vénérer. Le non-respect du tabou par exemple en matière de sexualité fait en sorte que la peur de l’interdit et de ces conséquences disparaît. On transgresse l’interdit pour le plaisir sexuel de la jouissance ; c’est à ce titre que par exemple l’interdiction d’avoir les rapports sexuels entre les membres d’une même famille devient une expérience enrichissante, entretenue et valorisée par les colons et expérimentée par plusieurs Gabonais comme l’affirme monsieur Moussavou Dieudonné « de plus en plus des jeunes gabonais ne restent plus les interdits liés à la sexualité. Plusieurs d’entre eux sont issues des mêmes familles couches ensemble jusqu’à faire des enfants. C’est le cas de ma propre fille ». Les actes jugés « légaux » dans le monde animal ou la prohibition de l’inceste n’existent pas sont désormais légitime chez les humains qui en aliénant leurs instincts d’hommes passent sans difficulté d’ordre moral de l’état de nature à l’état de culture. Pour P. Descola (2005, p. 81) « seule la société naturaliste (occidentale) produit cette frontière entre soi et autrui ». Reprenant ainsi la philosophie d’Apollodore 4ᵉ siècles, avant J.-C. qui fessait l’apologie du libertinage sexuel ou « le tout pour le goût » était le mot d’ordre d’une bonne vie et d’une vie heureuse.

La dépravation sexuelle a littéralement chamboulé les mœurs de la jeunesse gabonaise et favorisé l’instauration de la dépravation singulière de la sexualité. Les hommes deviennent les femmes et les femmes deviennent les hommes. Le cadre familial ancestral est détruit de l’intérieur par la pratique de la « toute jouissance ». Pour E. Pierra (2017, p. 30) « les mots homosexuels et hétérosexuels sont inconnus au bataillon ! Ce qui compte, c’est être un citoyen mâle et libre, pour jouir du pouvoir de pénétration ». Une jouissance pour le simple plaisir sans restriction. Ce qui a fini par catégoriser la société gabonaise en deux groupes de personnes qui vivent la sexualité d’une manière différente : d’un côté ceux qui pénètrent et de l’autre côté ceux qui sont pénétrés. Ces deux groupes d’individus animent désormais la sexualité gabonaise.

Comme disait Apollodore 4ᵉ siècles AV J.-C. : « les courtisanes, nous les avons pour le plaisir ; les concubines, pour les soins de tous les jours, les épouses, pour avoir une descendance légitime et une gardienne fidèle du foyer… ». Cette philosophie, qui a longtemps contribué à la tradition sexuelle romaine, semble désormais inscrite en lettre d’or dans la mentalité gabonaise ou ce qui était sacré comme le lien du mariage devient désormais un simple acte symbolique. « Dans le lit conjugal, on ne se préoccupe donc pas de prendre du plaisir, mais accomplir correctement une pratique civique, à fin, d’engendrer des citoyens » disait E. Pierra (2017, p. 56). Le statut sexuel des Gabonais de la jeune génération est donc remodelé selon les orientations et les pratiques sexuelles venues d’ailleurs.

Dans ce que nous appelons « colonisation sexuelle », plusieurs techniques et pratiques sexuelles sont apparues au Gabon, notamment la pratique de la prostitution sur Internet. Une pratique qui réduit le corps de la femme en une simple marchandise. E. P. D. Aki Engo et O. Nguema Akwe (2023, p. 196) affirment à ce sujet que : « Les techniques sexuelles venues d’ailleurs font du corps de la femme gabonaise une marchandise sexuelle ou le corps est un atout personnel de rendement monétaire ». Le corps de la femme gabonaise est mis en vente au plus offrant comme une marchandise. Plus le corps de la jeune femme a des formes généreuses, plus elle séduit et peut mieux se vendre. Cette pratique de la prostitution par Internet est fortement présente dans les grandes villes du Gabon ou la mentalité du « sexe intérêt gagnant, gagnant » devient une norme. « Toutes les jeunes femmes qui comme moi vivent à Libreville, Port-Gentil Oyem ou Franceville ont au moins une fois vendu leurs corps d’une manière ou d’une autre pour de l’argent » nous dit Prisca Ntsona. Ces pratiques de sexualités jadis méconnues par la culture traditionnelle sont véhiculées par les ONG venues d’ailleurs, mais également par le web qui prône la reconstruction d’une identité sexuelle mondiale.

2.2. La cybersexualité et ses formes africaines

2.2.1. Le web et le système de placement sexuel

La notion de cybersexualité est le résultat de la contraction de deux mots au sens diamétralement différent. Il s’agit d’un côté le confixe grec « cyber » qui renvoi selon l’approche étymologique d’A. Martinet (1979, p. 8) au domaine du réseau internet et à toutes les manipulations du web. De l’autre côté, il y a le préfixe grec « sexualité » qui renvoie aux différentes façons de faire le sexe à partir des outils techniques et technologiques associant l’internet et la pratique sexuelle au travers des écrans. Delà, naît le sexe digital ou le cybersexe conséquences de toutes les pratiques sexuelles digitales appelées cybersexualité. Ainsi défini, le phénomène de la cybersexualité a envahi l’Afrique et ses formes de manifestation restent un corpus pour le chercheur qui se penche sur la question. La première forme d’existence de la cybersexualité au Gabon est sans doute celle qui met en valeur le corps de la femme à des fins de séduction, d’attirance, d’érotisme et de la pornographie.

Cette forme tient son existence à partir d’un phénomène qui gangrène les grandes villes africaines et que chaque culture nomme par sa conviction. Au Cameroun par exemple, le phénomène est appelé « vendeuse de piment », en Guinée-Équatoriale « tchoco-tchoco », en Côte d’Ivoire « Kpôclé » et au Gabon « tué tué ». Cet ensemble de noms représente une réalité commune celle de la prostituée. Le phénomène en lui-même est également nommé, c’est ainsi qu’au Cameroun, on l’appelle « la waga », en Guinée Équatoriale « la prusta », en Côte d’Ivoire « le bizi » et au Gabon « la bôro ». Un phénomène qui entraîne facilement les jeunes femmes à cette première forme d’existence de la cybersexualité. Au Gabon, cette première forme est le phénomène de placement qui est un véritable système au Gabon.

Le système de placement est selon O. Nguema Akwe et E. P. D. Aki Engo (2023, 110) « une pratique ancestrale qui a connu une mutation quittant du placement familial au placement interpersonnelle ». En clair, il s’agit de mettre en relation sexuelle deux inconnues dont le but est d’échanger les services sexuels contre de l’argent. Les jeunes femmes vont donc envahir les réseaux sociaux et des sites et applications spécialiser ou elles peuvent se vendre, c’est-à-dire ventre leur corps telle une marchandise ou les clients peuvent se servir à volonté. La femme devient un objet de plaisir, un véritable objet sexuel qui a pour fenêtre d’expression et d’exposition internet.

La deuxième forme de cybersexualité que connaît le Gabon est celle de la pornographie infantile et adulte. En effet, de nombreux sites internet mettant en valeur des vidéos pornographiques des mineurs et adultes qui se propagent à vitesse grande V sur la toile. Cette fleuraison de sites et vidéos a pour but de se faire de l’argent. Les jeunes filles gabonaises aimant l’argent facile se laissent aller au contrôle d’un système qui est en apparence géré par les Gabonais, mais après une vérification attentive, on se rend compte que les véritables bénéficiaires de ce « bizness » sont des Occidentaux. Ce phénomène place le corps au-devant de la scène comme un vulgaire objet. Pour D. Le Breton (2006, p. 22) « Le corps est clairement surnuméraire (…) que certains nomment déjà un post humanité ».

2.2.2. Le sexe virtuel et sa vivacité africaine

La pratique sexuelle virtuelle issue de la cybersexualité se manifeste avec une acuité sans précédent. Son expérimentation par la jeune population gabonaise révèle la vivacité de cette pratique. Le mot d’ordre dans cette façon de plaire et de faire plaisir ou donnée du plaisir charnel à distance est « l’évolution » d’après certains jeunes Gabonais, nul ne le dit avec plus de précision que Dibangoye Yannick « il faut évoluer avec son temps, actuellement, c’est le tout numérique et digital et les rapports sexuels ne sont pas en reste donc tout s’accompagne. C’est aussi cela avoir une sexualité libre, profonde ». Cette façon de faire entraîne les auteurs à assumer une sexualité dite « libre et profonde », c’est-à-dire sans limites. Les Gabonais, praticiens de cette sexualité virtuelle disent vivre une vie conséquente par rapport à celle dont ils ont toujours vécu.  O. Nguema Akwe (2019, p. 10) « Le couple qui pratique l’amour à distance à l’aide des supports sexuelle et numériques trouve généralement qu’il s’agit d’un acte banal est une façon de se donner du plaisir et de faire plaisir ». Ainsi, l’acte sexuel est ramené à un acte purement exécutoire où le « tout osé » est permis. L’acte sexuel va donc se vivre comme étant un véritable challenge, un véritable concours, un match de gala où chacun joue son titre. La philosophie du « tout osée » va conduire les tourtereaux à ce moment précis d’activer des modules de la pratique sexuelle encore méconnue de la sexualité traditionnelle africaine.

L’un des modules est le partage des photographies nues des deux partenaires. Cette exposition volontaire du corps nu à travers les écrans par l’envoi des photographies est appelée faire des « nudes », c’est-à-dire envoyé des photos nues de son corps à son ou sa partenaire éloigné(e) géographiquement. Dit-on, c’est un signe d’amour, d’excitation et de plaisir ? Faire l’amour à distance par écrans interposés avec des nudes est une des formes de la cybersexualité gabonaise. Pour D. Le Breton (1992, p. 35), « La cybersexualité réalise pleinement cet imaginaire de la disparition du corps, et même de l’autre. L’érotisme atteint le stade suprême de l’hygiène avec le corps virtuel ». Un imaginaire enrichi par le sentiment de dominer la création qui est le corps. L’Homme se sent alors comme « un petit ou demi-dieu ». Par ce phénomène de cybersexualité, on imagine dorénavant la fin du corps physique ou sa mort. Concevoir l’homme sans le corps est la première règle de la cybersexualité qui vise à dépasser le social pour créer le cybersocial. Cette vision du monde sans le corps physique dans les interactions humaines notamment dans la sexualité est une idéologie fortement marquée par la nouvelle forme de communication entretenue par les nouvelles technologies et techniques de communication et d’information qui modélisent la manière de penser et de concevoir les relations humaines. Ce qui traduit le délaissement de l’existence du corps physique, comme, étant un poids que la société devrait, s’en défaire. Ce rejet du corps physique au détriment du cybercorps et des risques potentiels de la disparition du toucher, des sensations et du goût véritable est analyser comme la disparition de la société telle que nous la connaissons.

Au Gabon, la cohésion sociale est fortement marquée par le toucher, le vivre-ensemble, donc le corps est l’élément clé et l’élément moteur de la socialisation. Penser vivre sans un rapport étroit au corps de l’autre est certainement la mort subite de la culture gabonaise et cette mort programmée provient de l’utilisation abusive des réseaux sociaux par la jeune génération. Bien que définie comme une évolution technique et technologique, les réseaux sociaux entraînent une forte destruction non seulement de la culture traditionnelle gabonaise dans son rapport à la sexualité, ils entraînent également une rupture totale quasi-inévitable des rapports sociaux en lien avec le corps de l’autre. Une distanciation se crée, se conçoit et s’entretient mutuellement au point où le corps devient cet objet qu’il faut s’en éloigné pour créer une sociabilisation nouvelle à travers la cybersexualité.

3. La cybersexualité et la modernité sexuelle africaine

3.1. La technosexualité

La technosexualité peut-être définie comme l’utilisation de certains objets à des fins sexuels que l’on appelle vulgairement objet sexuel. Parmi les objets sexuels utilisés par la jeunesse gabonaise, figure ce que l’on appelle « les sex-toys ». Un sex-toy peut être défini comme un objet conçu pour stimuler le plaisir sexuel et améliorer l’intimité entre les individus. Parmi eux, il y a la représentation du gland sous forme plastique, des canetons en plastique souvent de couleur jaune. À celle-là, ça ajoute l’ensemble des objets initialement utilisés pour la torture physique dans des prisons, des commissariats de police ou des centres de tortures. Ces objets servent également à des pratiques sexuelles pour ceux qui adorent la douleur corporelle et la souffrance physique pendant les ébats sexuels. Loin d’être de simples objets de fascination, ces objets ont une symbolique toute autre pour des adeptes des formes élémentaires de la sexualité. « Si je ne me sens pas soumise et légèrement torturée par tout objet initialement prévu pour cela, je n’atteins pas l’orgasme et pour moi le rapport sexuel est nul » confit Georgette Bandinga. Les objets sexuels sont donc au quotidien de la vie amoureuse de plusieurs Gabonais et deviennent des indispensable comme le dit P. Kuiline (2023, p. 22) ;

le monde de la sexualité humaine a évolué au fil des siècles, et les sex-toys ont émergé comme un élément essentiel de cette évolution. Ces objets, variés dans leur forme, leur taille et leur fonction, ont une longue histoire qui remonte à l’Antiquité. Les sex-toys ne sont pas seulement des outils de plaisir, mais aussi des symboles de la manière dont les sociétés ont abordé et exploré la sexualité.

Cette façon de faire du sexe avec des objets est ce que l’on nomme la technosexe ou la techno sexualité, très connue dans des pays de l’Occident. Cette pratique devient plus que jamais virale dans des grandes villes gabonaises. Cette pratique a été vulgariser par l’internet, mais également à travers le contact physique qui s’opère le plus souvent entre les ONG implantées dans les différentes villes du Gabon et la population. De ces contacts, naissent évidemment des collaborations qu’on appelle « collaboration sexuelle » entre les populations locales et celle venue d’ailleurs. Ces collaborations donnent naissance à de diverses formes d’expériences sexuelles. Des formes parfois interdites par les coutumes et les us gabonais. De ces mélanges, naît une nouvelle façon d’apprécier la sexualité. Les objets sexuels font partie de ce grand ensemble de techniques et de pratiques qui solidifient la cybersexualité.

3.2. La sexualité transformative

On entend par sexualité transformative, le procédé ou processus personnel de changement d’identité sexuelle. Un changement lié par le changement de genre. Quitter par exemple du genre masculin pour le genre féminin. Un changement qui se fait de suite d’une opération chirurgicale de changement de sexe. Il faut également noter qu’une autre définition de la sexualité transformative est celle qui détermine le rôle ou la place qu’occupe un partenaire sexuel au sein du couple. L’idéologie de la sexualité transformative a donnée naissance à l’approche transgenre. En parcourant le web notamment sur Wikipédia avec B. Thomas (2015), il résulte :

Qu’une personne transgenre, ou trans, est une personne dont l’expression de genre et/ou l’identité de genre s’écartent des attentes traditionnelles reposantes sur le sexe assigné à la naissance. Toutes les personnes transgenres ne se reconnaissent pas dans le système binaire homme/femme.

C’est-à-dire que tout être humain selon son identité sociale de genre, qu’il soit masculin, féminin ou non-binaire, ne reflète pas sa personnalité ou ne correspond pas à son sexe biologique de naissance. Cette sexualité transformative s’applique dans la vie quotidienne par des actes jugés contre-nature. C’est ainsi que les personnes de même (genre) donc de même sexe arrivent à entretenir une vie de couple. Il en a de même avec ceux qui estiment ne pas naître dans le « bon corps », ils se reconnaissent femme dans leur fond intérieur alors que biologiquement, ils sont nés hommes. Ils feront donc un recours à la chirurgie pour changer de sexe. D’autres personnes entretiennent une vie sexuelle avec leurs animaux de compagnie, c’est que l’on appelle la zoophilie. Toutes ses façons de vivre la sexualité étaient par le passé méconnu de la jeunesse africaine. De nos jours, par le canal de l’internet, et par les expériences subjectives personnelles, plusieurs jeunes Africains s’adonnent à cette sexualité transformative soit par simple curiosité sexuelle ou par avidité. Selon R. Vincent (2022, p. 18), « l’expérience sexuelle des individus du même genre répond le plus souvent au besoin de la découverte heureuse, fantasme sexuel ou à une obligation impersonnelle ».

Le jeu de vivre pleinement sa sexualité et de se confronter au regard des autres est vécu comme une mort symbolique. Une mort ou le jugement d’autrui décuple le plaisir d’avoir bravé l’interdit et d’avoir atteint la connaissance suprême de la sexualité. Ainsi, dans une relation, la nudité du couple lors d’un rapport sexuel entraîne immédiatement l’acceptation d’être psychologiquement sans défense devant le regard de son partenaire de sexe. La fragilité de l’autre partenaire sexuelle révèle être une porte ouverte pour enclencher la sexualité transformative.

4. Discussion des résultats

Les résultats obtenus sur le terrain ont révélé une pratique ou une utilisation abusive des techniques de cybersexualité au Gabon. Cette nouvelle forme de sexualité est présente dans toutes les villes du Gabon. Comme le dit C. Raisky (2003, p. 46) « il s’agit d’un phénomène grandissant dans tous les pays du monde qu’on soit du Sud global ou du Nord pays développé, la pratique du sexe par l’intermédiaire de l’internet reste constante à l’heure actuelle ». À la lumière de cette citation, on comprend que le Gabon n’est pas le seul pays dans lequel la pratique de ce phénomène de cybersexualité est d’actualité. La question qu’on doit se poser est celle de savoir si dans d’autres pays africains le phénomène décrit plus haut à un impact aussi négatif que celui qu’il a engendré au Gabon. Le Cameroun, pays voisin en enregistre également un fort taux des pratiques de la cybersexualité, mais cette pratique semble être surveillé par des mécanismes de protection de la société civile.

La cybersécurité est certainement le moyen le plus efficace pour atténuer un phénomène grandissant qui entraîne une perte considérable des valeurs culturelles traditionnelles des pays africains, c’est le cas du Gabon. La modernité rime avec la cybersexualité nous dit H. Christoph Askani (2008, p. 189) « le voyageur du cyberspace n’est plus attaché à un corps physique, la cybersexualité réalise pleinement cet imaginaire de la disparition du corps, et même de l’autre et voir la mort de la sexualité traditionnelle ». Faut-il alors concevoir la modernité comme la fin ou la mort de la sexualité traditionnelle comme le pense H. Christoph ? Pourtant, le Cameroun pays voisin avec le Gabon semble maîtriser ce phénomène qui terrasse la culture traditionnelle. La Chine, plus loin géographiquement avec le Gabon a mis en place un système de protection face à l’utilisation par des enfants de l’internet. Cette méthode porte ses fruits et ce serait peut-être l’une des solutions pour préserver ce qui reste d’une culture déjà fragilisée par des emprunts de tout genre.

Conclusion

À la fin de cette étude, nous remarquons il en ressort que la jeunesse gabonaise dans son ensemble est exposée à ce phénomène de la cybersexualité et que toutes les couches sociales n’échappent pas à cette pratique au Gabon. La culture sexuelle traditionnelle semble être à l’arrière-plan au nom de la modernité. Cette nouveauté sociale place le corps-sexe entre tradition et modernité. L’expérimentation par la jeunesse gabonaise des techniques nouvelles et la découverte du plaisir interdit sont le résultat d’une culture gabonaise en déperdition. Il est plus que jamais nécessaire de faire recourt à ce que le Gabon traditionnel a de plus cher, c’est-à-dire l’éducation ancestrale pour remédier à ce qui semble être un génocide culturel. Cette nouvelle pratique sexuelle serait le fruit de la mondialisation des échanges. Reste à savoir si cette mondialisation rythme avec la disparition progressive de l’identité traditionnelle gabonaise.

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LA CRITIQUE DE LA BANALITÉ SEXUELLE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX À L’AUNE DU PHILOSOPHER ARENDTIEN

Amoin Elise KOUADIO

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

pikouloufe@gmail.com

Résumé :

Appréhendée comme refus ou absence total de penser, de réflexion et nihilisme axiologique d’un individu, l’approche arendtienne de la banalité du mal semble se refléter à l’ère des réseaux sociaux en Afrique où règne une banalisation des pratiques sexuelles. Créés originairement pour une communion entre les individus, les réseaux sociaux s’inscrivaient dans l’optique philosophique du cosmopolitisme. Cependant, l’on assiste, depuis peu, à une téléréalité exhibitionniste où la sexualité connait une perversion à travers les réseaux sociaux. Ici, il s’agit de montrer que le mésusage des réseaux sociaux a participé à la désacralisation et à la dépravation de la sexualité dans les sociétés. Dès lors, en quel sens les réseaux sociaux banalisent-ils la sexualité ? Résoudre ce problème nécessite le recours aux méthodes analitico-historique et critiques pour étudier l’impact des réseaux sociaux sur la sexualité en Afrique. Ce travail se veut une contribution de retour au principe humaniste et cosmopolitique des réseaux sociaux, à une autonomie du penser et à une éthique de la sexualité.

Mots clés : Afrique, Banalité du mal, Éducation, Réseaux Sociaux, Sexualité.

Abstract:

Understood as an individual’s total refusal or absence of thought, reflection and axiological nihilism, Arendt’s approach to the banality of evil seems reflected I the era of social networks in Africa where a trivialization of sexual practices reigns. Originally created for communion between individuals, social networks were part of the philosophical perspective of cosmopolitanism. However, we have recently witnessed an exhibitionist reality show where sexuality is perverted through social networks. Here, it is about showing that the misuse of social network has contributed to the desacralization, and depravity of sexuality in societies. So in what sense do social networks trivialize sexuality? Solve this problem requires the use of analytical-historical and critical methods for study the impact of social networks on sexuality in Africa. This work is intended to be a contribution to the return to the humanist and cosmopolitical principle of social networks, to an autonomy of thought and to an ethics of sexuality.

Keywords : Africa, Banality of evil, Education, Social networks, Sexuality.

Introduction

Sur les réseaux sociaux, l’on assiste aujourd’hui à une banalisation de la sexualité. Initialement conçus pour informer et former ses utilisateurs en mettant à leur disposition une panoplie d’informations et de savoirs, les réseaux sociaux et internet s’inscrivent dans l’accomplissement de l’interconnexion des hommes de notre monde cosmopolitique à l’image d’une toile d’araignée. Bien qu’ils présentent de nombreux avantages, ces outils de communication et de formation sont malheureusement détournés de leur usage initial en se muant en un grand danger sur plusieurs plans. C’est le cas de l’éducation de la jeunesse qui se détériore manifestement, comme l’on peut s’en apercevoir sur la toile. Vu la constante vulgarité enseignée, la dignité humaine et l’éducation entrent en crise puisque la jeunesse préfère s’auto-éduquer sur internet que de s’adresser à des personnes ressources. En quel sens les réseaux sociaux banalisent-ils la sexualité ? Que faire pour parvenir à un usage responsable de ceux-ci ? La valorisation arendtienne de la pensée n’est-elle pas le remède contre la banalisation de la sexualité sur les réseaux sociaux ? Ces questions seront analysées en partant sur la base d’une triade méthodologique, notamment les méthodes historique, analytique et critique qui devrait nous permettre de retourner ou de recourir à l’idéal cosmopolitique des réseaux sociaux, de développer une autonomie morale des internautes et une éthique de la sexualité.

1. Exposition des réseaux sociaux comme réalisation du cosmopolitisme

Selon le dictionnaire français, les réseaux sociaux peuvent être définis comme des sites (ou des applications mobiles) qui permettent aux usagers et aux internautes de partager du contenu personnel, de créer une page et d’échanger des informations, des photos, des vidéos avec une communauté d’amis et de connaissances. Cette communauté est tout d’abord virtuelle sur Internet. Elle est un système immense de télécommunications informatique développé au niveau international, qui permet d’accéder à des données de toutes sortes, textes, musique, vidéos, photos, grâce à un codage universalisé. Les réseaux sociaux représentent une des matérialisations du cosmopolitisme de Diogène de Sinope (v 413-327av J.-C.) et de Kant (1724-1804) dans leur vision d’unifier le monde entier en universalisant l’homme pour faire de lui un citoyen du monde au-delà de ses origines sans toutefois oublier sa particularité.

L’objectif de ces réseaux est la démocratisation de l’accès aux informations à travers la création d’une toile relationnelle qui renforce et consolide les relations humaines. Cet objectif est confronté à des difficultés dans la mesure où les réseaux sociaux et Internet sont utilisés à d’autres fins qui tendent à nuire aux processus d’humanisation et d’éducation de l’homme, surtout en Afrique où la culture numérique est encore traditionnelle. Il est important de reconnaitre ses bienfaits dans toutes les activités. Mais, les réseaux sociaux ont aussi un caractère ambivalent c’est-à-dire qu’ils ont des avantages et des inconvénients. « La turbulence Internet, qui constitue un progrès social, économique et culturel sans nom au XXIe siècle, s’immisce dans toutes les sphères de fonctionnement de notre société sous le couvert de moyens d’information, de communication et de réseautage ». (M. St-Pierre, 2021, p. 14). Comme le dit Marjolaine St-Pierre, aucun secteur n’échappe à ce nouvel outil. L’éducation qui selon M. Soëtard (2001, p. 2) « sera l’arche qui permettra de sauver l’humanité sociale du déluge » n’y fait pas exception.

La sexualité est vue comme l’ensemble des phénomènes de la reproduction biologique des organismes et des comportements sexuels qui permet la reproduction. À la réalité, l’éducation et la sexualité sont des sujets complexes, mais couramment abordés sur les réseaux sociaux par bon nombre d’individus prétendant être des spécialistes ou des coaches. Cela résulte au fait qu’elles font malheureusement l’objet d’une réelle déviation à l’ère du métavers.

Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle important dans l’éducation de notre société. En effet, la formation et l’information des individus font partie de leurs principaux objectifs. Cela s’explique par le fait qu’ils mettent à la disposition des hommes une panoplie d’informations et de savoirs qui leur donnent une ouverture sur le monde extérieur. Dans ce contexte de l’éducation-formation, ils donnent la possibilité de poursuivre l’éducation en ligne en faisant des recherches approfondies. La preuve de ses bienfaits se voit avec le fait que ses réseaux disposent de toute sorte d’information et d’apprentissage dans toutes les sphères de la vie. Tous (parents, enfants, enseignants, fonctionnaires et ménagères) peuvent se former sur les réseaux sociaux. Dorénavant, l’utilisation des réseaux sociaux est une affaire de tous que ce soit dans les foyers, les institutions éducatives et les services. Ce nouveau moyen de communication individuelle et collectif est incontournable dans tous les domaines de l’existence humaine. Cependant, il est bon de savoir que le mésusage de ces moyens de technologies numériques peut affecter négativement les systèmes éducatifs, car la science sans la conscience ne poursuit que la ruine de l’âme comme le disait Rabelais. Selon une idée des Pensées de Blaise pascal, la vérité est dynamique. La différence des cultures représente un souci dans la compréhension et l’interprétation des contenus sur internet en ce sens que les réalités diffèrent d’un État à un autre, les contenus des publications aussi.

Le sujet de la sexualité en Afrique a toujours été un tabou. La preuve en est que rarement les parents et leurs enfants en parlent, car cela est considéré comme une perversion, le sexe étant mystifié et sacralisé. Pourtant, tous les individus doivent tôt ou tard être éduqués sur la sexualité pour un épanouissement et la connaissance de la santé sexuelle. L’Afrique, encore traditionnelle, privilégiant l’enseignement de la moralité, n’aborde pas ce sujet avec aisance. L’éducation africaine n’est pas totalement ouverte à tout ce qui est nouveauté et bouleversement de la culture traditionnelle. Ainsi, une bonne « éducation ne peut se passer ni de l’autorité ni de la tradition » (J.-P. Dumas, 2017). La bonne éducation est l’avenir de toute sociétéd’après Arendt. C’est pourquoi, elle estime qu’il est de la responsabilité des adultes, c’est-à-dire des parents de veiller à une bonne éducation de leurs enfants pour assurer leur développement harmonieux et épanoui. Ce qui sous-entend qu’ils doivent les préparer et former à une culture numérique de sorte à maitriser et utiliser raisonnablement et rationnellement les outils technologiques en général.

D’après H. Arendt, (1972, p. 228) « c’est bien le propre de la condition humaine que chaque génération nouvelle grandisse à l’intérieur d’un monde déjà ancien et par suite former une génération nouvelle pour un monde nouveau ». Pour ce faire, cette formation revient aux adultes selon Arendt. Le refus d’assumer pleinement cette responsabilité pousse la jeunesse à se tourner vers les réseaux sociaux où il se crée un monde coupé des parents et enseignants. Dans ce monde ouvert et disposé à répondre à ses préoccupations, l’enfant se sent épanoui et écouté sans être jugé ou grondé. Ces réseaux sociaux sont devenus tellement viral que Team Mouv’ (2022) affirme à radio France que « de nombreux comptes ont été lancés et sont suivis par des centaines de milliers de personnes ». En effet, le sexe n’étant plus tabou depuis un certain nombre d’année, il est abordé par tous sur internet, où les comptes sont tenus soit par des sexothérapeutes ou des sexologues qui sont des spécialistes ; soit par des personnes qui n’ont fait aucune étude sur la pédagogie de la sexualité. Les followers de ces comptes sont en majorité des adolescents, des jeunes et certains adultes à la recherche de connaissance sexuelle. Ils ont tous en tête de déconstruire le mystère autour de la sexualité. Ainsi, « Masturbation, plaisir féminin, consentement, etc., les réseaux sociaux répondent aux questions qu’ils n’osent poser à personne » (T. Mouv’, 2022), dans la mesure où cela peut se faire de façon anonyme.

2. Des réseaux sociaux aux réseaux sexuels

Selon la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948, en son article premier, « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Cette règle universelle n’est pas que pour des personnes physiques, elle est aussi valable pour les personnes virtuelles sur les médias sociaux. Les réseaux sociaux donnent la liberté à tous sur Internet, ce qui accorde la possibilité à tous de créer son image et son identité virtuelle. Le sujet de la sexualité étant complexe trouve plus d’aisance dans le monde virtuelle dans le sens où l’anonymat est respecté.

Dans le domaine de la sexualité, les réseaux jouent à première vue un rôle d’éducateur pour les autodidactes sexuels que sont les jeunes. De nos jours, pas seulement eux mais pour certains adultes qui y vont pour mieux gérer leurs vies de couples. Ainsi tout le monde y trouve son compte parce que sur Internet, tout se fait de sorte à parler et être écouté en toute liberté. Étant plus outillés à l’utilisation de ces nouvelles technologies de télécommunication, les jeunes sont les plus nombreux sur ces sites. La carence d’éducation sexuelle se voit comblée ici où ils sont libres de poser toutes leurs préoccupations sans craintes ni jugement. L’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux s’est énormément développé chez les jeunes de 13 à 25 ans. À regarder de plus près, cet intervalle indique la période des années de collège et d’université. Selon Hannah Arendt (1972, p. 232), « il existe un monde de l’enfant et une société fermée entre les enfants qui sont autonomes et qu’on doit dans la mesure du possible laisser se gouverner eux-mêmes ». Les adolescents, dans leur monde, refusent tout accès aux adultes dans la mesure où ces derniers ne répondent pas favorablement à leurs inquiétudes rattachées à la puberté.

De nos jours, la jeunesse trouve une panoplie d’informations sexuelles sur Internet. Les jeunes sont plus tranquilles quand ils sont sur les réseaux sociaux, car ils peuvent converser sans restriction des thèmes marginalisés par l’éducation sexuelle classique. De plus, des adultes y vont pour apprendre des nouvelles techniques pour mieux gérer leur foyer ; parce que ces gens trouvent les pratiques habituelles traditionnelles et vieux jeux. Or l’être humain est enclin à la recherche de l’extraordinaire. Dans un entretien de Hélène Joubert (2022) sur « comment les médias sociaux transforment la sexualité », le médecin sexologue et andrologue, André Corman dit clairement :

nous nous sommes aperçus combien les médias sociaux avaient transformé la sexualité dans toutes ses composantes, de la rencontre aux pratiques sexuelles, en passant par la notion d’intimité et par-là même, nos prises en charge en santé sexuelle, du soin à l’information et l’éducation (Hélène Joubert.

Du fait d’être une période compliquée et agitée, la puberté nécessite une attention particulière des jeunes adolescents, ce dont ils ne bénéficient pas toujours de la part des parents. Par ailleurs, le corps de l’adolescent connait un processus physique et émotionnel de développement qui génère des envies et des pulsions qu’il est tenté de satisfaire. Vouloir répondre aux besoins de ce plaisir pousse ainsi à manifester des conduites à risque et à l’affirmation de soi. S’il n’est pas bien encadré et éduqué, il subsiste une forte probabilité pour que le jeune adolescent tombe dans toute sorte de délinquance surtout lorsqu’il est sous l’influence d’un nouveau groupe. Comme le dit Arendt, les droits ont égalisé l’enfant et l’adulte. Les parents en retour ont fui leur responsabilité de guides pour laisser l’enfant à son propre sort influencé par ses paires. C’est ce à quoi on assiste dorénavant dans notre société. Les actuels établissements éducatifs sont minés de fléaux comme la drogue, la violence en milieu scolaire. Une nouvelle tendance très dangereuse qui est la « tontine sexuelle » fait ravage de plus en plus dans nos sociétés par-dessus tout dans les écoles ; ce dont on ne parle pas vraiment, malgré que cela joue réellement sur la santé physiologique et psychologique de ses acteurs. La tontine sexuelle, « tchêp » ou « train » dans le langage ivoirien représente un phénomène qui mine notre milieu éducatif. Elle est une sorte de prostitution juvénile. Elle se manifeste de la manière suivante : des élèves cotisent entre eux pour s’offrir des parties de sexe libre. Les filles qui s’y adonnent le font le plus souvent moyennant de l’argent. Dans un reportage sur LE 360 Afrique madame Odile Pohan, une psychologue ivoirienne explique cette pratique malsaine en déclarant qu’elle

consiste pour des groupes d’adolescents à lever régulièrement des fonds, qu’on peut estimer à environ 2.000 FCFA par jour et par individu, dans une caisse commune et à tour de rôle, un membre du groupe utilise l’argent récolté pour avoir des rapports sexuels avec des filles dans un hôtel, une résidence meublée ou dans un endroit de leur choix.

Cela représente un cancer qui gangrène le milieu scolaire, car cette prostitution est faite par les élèves. Une autre pratique appelé partouze des élèves est à dénoncer : elle consiste pour des groupes d’élèves ou d’étudiants à se réunir et de se cotiser de l’argent qu’ils offrent à une ou plusieurs filles. Ils font l’amour en série, au hasard avec des pratiques sexuelle variées, érotiques et inhabituelles. Comme preuve, nous pouvons citer l’arrestation d’un réseau d’élèves présumés acteurs de partouze démantelé à Yaoundé au Cameroun médiatisée par la chaine de télévision canal 2 international le 15 mars 2021.

À la réalité, la dépravation sexuelle n’a pas commencé avec l’avènement des réseaux sociaux. Comme nous le rappelle le romancier Maurice Couturier dans son article « La banalisation de la sexualité à l’ère postmoderne », cette banalisation a pris son envol avec la publication des ouvrages érotiques tels que Lotita édité en 1995 et Fanny hill en 1966 à Paris que l’église jugeait dépravant. De ce fait, n’ayant plus de limite légale, le voile des interdits fut levé ; ainsi « la banalisation du sexe prend des allures infiniment plus intellectuelles » (M. Couturier, 1990, p. 56). Pour Couturier (1990, p. 58), cette acceptation entrainera une crise dans la mesure où « l’enfer a disparu depuis que la censure a cessé d’imposer sa loi ». Pourtant, « la sexualité, si elle se manifestait d’une façon trop précoce, romprait toutes les barrières et emporterait tous les résultats si péniblement acquis par la culture » (S. Freud, 2003, p. 69). N’eut été la condition naturelle de l’homme qui le prédispose à la sexualité à partir d’un moment de sa vie, il serait dans une débauche sexuelle sans pourtant que la culture l’influence.

Sur les réseaux, on retrouve aujourd’hui des sites de rencontres relationnelles et sexuelles souvent à travers des vidéos non régulées pour certains âges. Par exemple, les groupes comme mougouli rapide, mougouli.com, mougou-pan, mougoupan Abidjan qui sont des groupes de rencontre brève sans avenir à la base, sur Facebook, Snapchat ou WhatsApp.

De plus nous avons des sites de rencontre, de commande et de livraison de filles qui vendent des services sexuels et bien d’autres à la demande du client pour toutes les destinations. Comme sites, nous pouvons énumérer : Locanto et Jedolo. Jedolo est une agence en ligne d’escorte bizi en Côte d’ivoire. Sur Google et ses dérivés, on a un exemple de fonctionnement de Jedolo, bizi qui veut dire prostitution en langage ivoirien. On y découvre une forme de prostitution modernisée, différente de la méthode classique où les filles étaient en bordure de route. Le plus fréquent de nos jours est que sur Jedolo ou les autres groupes, les filles décrivent leurs profils avec leurs positions et tarifs, avec des publications de vidéos et photos de leur nudité pour la séduction. Le client visite et fait son choix de gereuse de bizi. Exemple de profil : « 2coup et 1pipe 5000 frs cfa à Koweït (abidjan). » une jeune fille de 19 ans qui décrit son compte en ces mots « une femme noire nouvellement arrivée, épaisse, potelée et sexy, est disponible dans sa résidence pour satisfaire votre envie comme jamais auparavant, venez goûter la douceur que vous ne pourrez jamais regretter ». (Victoria R., 2023). Un autre compte au pseudo de partouze à Angré deux minettes. Une page VIP, avec elle « promo partouze deux nouvelles baiseuses : pipe, baise-nous deux en même temps, riviera palmeraie Angré carrefour chawarma » Des filles de 18 ans qui n’acceptent que des hommes. Il y a plusieurs comptes catégorisés en : urgent, vip, top et premium. La prostitution et le proxénétisme sont de plus en plus faits par le biais des réseaux sociaux. En raison de l’anonymat des comptes, les parents ne peuvent plus vraiment suivre leurs enfants qui s’accrochent plus sur les téléphones au lieu de partager des moments physiques et psychologiques avec les personnes de la maison.

Les réseaux sociaux, des sites permettant d’interagir avec un réseau de connaissances, de s’ouvrir au monde et de se former, sont utilisés à des fins immorales. Leur mésusage ainsi que leur contenu éducatif sur la sexualité ont des effets négatifs sur la psychologie et le comportement des individus, en particulier sur la jeunesse. La libre accessibilité des jeunes à Internet et ses applications numériques les exposent à des contenus sexuels illimités qui ne sont généralement pas de leur âge. Ainsi, ils ont tendance à visionner, à échanger ou à reproduire des vidéos pornographiques sans aucune forme de discernement.

Les retombées de la banalisation de la sexualité sont nombreuses et variés. Entre autres, nous pouvons citer : les grossesses non désirées et/ou précoces, la transmission des maladies et infections sexuelles (IST, MST, VIH/SIDA), les agressions sexuelles (viol et violence sexuelle), la pornographie, la pédophilie, les avortements à risque, la zoophilie, la croissance de l’homosexualité : l’exemple de la communauté des ADO GAY COT IVOIRE, un groupe privé de jeune homosexuel avec plus de 221 membres… Ces répercutions sont plus visibles dans les temples de savoir. Pour lutter contre cette gangrène, l’UNESCO, en 2001, introduit l’éducation à la sexualité dans les programmes éducatifs. Sur le terrain, le succès de cette implémentation dans les programmes scolaires fait face à de nombreuses difficultés au nombre desquelles la réduction du volume horaire exigée pour bien former les jeunes en éducation sexuelle. C’est la raison pour laquelle, il est donné de constater un fort taux d’autodidactes sexuels ; ce qui nuit au développement des sociétés.

Normalement, l’éducation sexuelle ne vise nullement à pervertir davantage les jeunes, mais plutôt à poser des bases fondamentales de la sexualité. L’idée est de créer des programmes éducatifs pour apporter les bonnes réponses aux questions que se posent les adolescents et les enfants. En Afrique, cette éducation est dangereuse en dehors de la cellule familiale parce que « l’enfant a besoin d’un milieu protégé où il puisse grandir. C’est le domaine privé de la famille ». (P. Foray, 2001 p. 84). Malheureusement, dans les familles africaines, on n’aborde pas ces sujets que les parents considèrent être des « bêtises ». L’Afrique, toujours encré dans la tradition, reste rattachée aux valeurs morales. Ainsi, il est presque impossible de voir une personne âgée aborder ces sujets avec la jeunesse. Dans les sociétés liquéfiées de plus en plus comme l’appelle Zygmunt Bauman, le capitalisme sauvage et l’individualisme ravagent la conscience des hommes de sorte que la morale et l’éthique sont banalisées. Aujourd’hui, le m’as-tu vu sur des images superficielles et les relations artificielles ont tellement pris de l’ampleur que tout le monde veut paraitre jeune, riche et connu. La sacralité de la vie et la dignité de la personne humaine sont devenues des lettres mortes au profit de l’argent et de la quête de la popularité par n’importe quel moyen. Plus que jamais, l’on est aujourd’hui dans l’obligation morale de faire preuve d’un esprit de discernement avant de s’aventurer sur ce vaste champ des réseaux sociaux. Ce d’autant plus qu’ils sont des interfaces où le sexe, la nudité et l’intimité y sont exposés, voire banalisés.

Les réseaux sociaux sont bondés d’informations, de comptes détenus par des personnes non expertes ou spécialistes qui interviennent sur des sujets en s’auto proclamant spécialistes ou éducateurs. Le respect de la liberté d’expression est le droit le plus respecté sur cette toile relationnelle. C’est pourquoi Umberto Eco considérait que les plateformes numériques donnent la liberté d’expression à des légions d’imbéciles qui s’auto proclament experts ou pseudo coaches. Aujourd’hui ces derniers ont le même droit de parole qu’un expert de formation ; d’ailleurs, ils sont plus suivis que les personnes aguerries pour cette tâche. Ainsi sur les réseaux sociaux, tout est permis et les publications qui y sont faites ne font vraiment pas de distinction sur followers.

3. L’éthique comme solution à la banalisation de la sexualité sur les réseaux sociaux

D’après E. Kant (2018, p. 197), « c’est dans la treizième ou quatorzième année qu’habituellement se développe chez l’adolescent le penchant au sexe (quand cela arrive plus tôt, c’est que les enfants ont été égarés et corrompus par de mauvais exemples) ». C’est pourquoi, l’adolescent a besoin de suivi rigoureux à la puberté. Du coup, une interpellation de chaque entité sur la question de l’utilisation des réseaux sociaux et à l’éducation sexuelle est plus que nécessaire dans notre société qui a pour opium les médias sociaux et Internet. Au lieu de verser l’eau de bain avec le bébé, il faudrait plutôt faire un brassage entre les réseaux sociaux et l’éducation sexuelle. Cela pourrait se faire en responsabilisant les parents, les enfants, les coaches en ligne, les enseignants et les agents de santé sexuelle et toutes autres structures d’éducation sur le danger de l’influence négative des réseaux sociaux sur la jeunesse qui manque réellement de formation sexuelle théorique. L’Afrique doit comprendre que l’éducation à la sexualité n’est pas une insertion à la sexualité ou une incitation à la pratique mais une préparation, une ouverture d’esprit de l’enfant à pouvoir mieux organiser son intimité. Les adultes doivent savoir que la sexualité touche l’intimité de l’individu, elle doit donc être abordée avec douceur et professionnalisme.

C’est ici le lieu de faire la promotion des méthodes contraceptives et de l’intelligence artificielle. Les contraceptions permettent aux individus de mieux organiser leur sexualité, car ces méthodes améliorent les conditions socio-économiques, le maintien des jeunes à l’école et réduit le taux de mortalité maternelle et infantile. Concernant l’intelligence artificielle, elle propose des programmes de contenus adaptés aux personnes en fonction de l’âge en plus des contrôles parentaux sur les programmes des enfants ou adolescents de sorte à ce que le suivi éducationnel des jeunes soit avantageux.

Comme paradigme de solution éducatif, il est nécessaire de réinventer une nouvelle éducation digitale qui viendra renforcer l’éducation familiale et scolaire. En effet, l’avènement de l’internet donne d’assister à une montée fulgurante de personnes dites « influenceuses » qui influencent négativement les internautes dans le sens de la dépravation des mœurs et de la désacralisation de nos cultures. Cependant, les africains, généralement conservateurs, voient en cela un risque dans la mesure où les réseaux sociaux ne font plus de la sexualité un sujet tabou. Comprenons que ces influenceurs comme caoch Hamond Chic, Lolo Beauté, le Révérant Camille Makosso, Aya Robert, Lesly 5etoiles, pour ne citer que ceux-là, ne font pas de différence de contenus quand ils font leurs publications dans la société liquéfiée dans laquelle les hommes sont devenus superflus et artificiels. Ils donnent des cours de jambes en l’air sans réserve surtout avec des expressions très grossières.

La recherche de gain qui prime sur tout, nous amène à nous tourner vers les écrits de Hannah Arendt pour son amour du monde ; parce que « si penser, c’est vraiment comprendre ce qui fait la nouveauté et la spécificité de notre temps, Hannah Arendt est au XXème siècle une philosophe sans équivalent » (A. Coll., 2006, p. 3). La banalité du mal chez Hannah Arendt peut être comparable à la banalité du sexe dans notre société africaine actuelle droguée par les réseaux sociaux.  Selon Arendt, tous sont coupables de la décadence de nos valeurs dans la mesure où chacun fuit ses responsabilités et ceux qui représentent des modèles aujourd’hui pour nos enfants n’ont aucune teinture philosophique. Pour elle, « rien n’est plus dangereux que d’arrêter de penser » (A. Coll., 2006, p. 2). Cela signifie que les parents ou les enfants, les politiques, tous, nous sommes appelés à réfléchir sur l’éducation numérique et l’éducation sexuelle scolaire et familiale pour préserver la dignité de notre culture en pleine évolution. En Côte d’Ivoire, la HACA (Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle), une institution qui est en charge de la régularisation de la communication audiovisuelle et dont la mission principale est de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la communication audiovisuelle dans le cadre de la loi, doit s’investir davantage dans le contrôle des contenus des publications pour la préservation de la dignité humaine.

Dans l’apprentissage de l’enfant, l’éducation a des vertus qui visent « non seulement à développer une intelligence du monde mais conduire à des prises de décision responsables tant au monde dans lequel nous voulons vivre » (V. Lemiere, 2019, p. 2). Pour ainsi dire l’éducation en formant l’enfant, fabrique déjà les futurs responsables soucieux du bien-être de l’humanité. De plus, Pour la préservation de la dignité humaine et de nos valeurs, nous devons promouvoir une éthique de la sexualité qui ne peut se faire sans une éducation de la jeunesse à la sacralité de la sexualité et une éthique des technologies numérique en particulier des réseaux sociaux. À cela, faut-il ajouter la nécessité d’une prise de conscience des responsabilités de chaque entité humaine dans la formation citoyenne et vertueuse des ambassadeurs de demain.   

Conclusion

La banalisation de la sexualité qui fait ravage de nos jours est en partie due au mésusage et à la trop grande liberté qu’a la jeunesse sur les réseaux sociaux. « Ici, l’effet est certain, la dépravation est réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection ». (J.-J. Rousseau, 2011, p. 11). Il est clair que en facilitant les conditions et les relations humaines, les métavers participent à l’éducation et à la formation de tous. Mais lorsqu’ils sont éloignés de leurs trajectoires, nous devons nous poser des questions. Parce que la pensée se définit par « non ce que nous choisissons de faire mais ce que nous faisons de toute façon par condition ». (H. Faes, 2015, p. 344). L’être humain doit reconsidérer la raison de sorte à redonner de la valeur à la dignité humaine. L’homme, par son humanisme, doit pour s’en sortir habiter le monde pour l’avenir harmonieux de l’espèce humaine. Mener une vie conforme à la dignité humaine permettra à la jeunesse de mieux s’outiller pour l’âge adulte. Vu que la dépravation sexuelle est une réalité dans nos sociétés africaines, il est plus que nécessaire de penser à une éducation à la sexualité et au digital dans les politiques éducatives et familiales et à la sensibilisation des jeunes afin de les responsabiliser. L’Afrique ne doit pas fuir le monde, mais l’habiter au sens heideggérien pour la sauvegarde des valeurs africaines.

Références bibliographiques

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LES RÉSEAUX SOCIAUX OU L’ALTER-ÉGO DES RÉSEAUX                       DE LA SEXUALITÉ

Mohamed CAMARA

Université Alassane OUATTARA (Côte dIvoire)

mohcame@yahoo.fr

Résumé :

Internet est le premier média consommé sans modération par une jeunesse en quête de repère. Néanmoins, son usage intensif n’est pas dépourvu de risques et de toute source potentielle de dommage ou d’effet nocif. En effet, ces menaces sont susceptibles d’altérer significativement l’intégrité physique, morale et psychologique des adolescents. Progressivement, les réseaux sociaux se transforment en un véritable espace de communication et de marketing dédié à la sexualité des adolescents. Leurs perceptions de la sexualité, qui évoluent de façon vertigineuse et effrayante, sont totalement aux antipodes de l’enseignement éducatif. Ainsi, le changement drastique de leurs comportements occasionne des violences sexuelles et de consommations abusives d’alcool et de substances nocives. Dès lors, le web devient une plate-forme pour assouvir les pulsions sexuelles. Aussi, les réseaux sociaux adoptent-ils des codes de bonne conduite en incrustant un logiciel particulier ayant pour vocation de réguler les mœurs légères.

Mots clés : Éducation, Jeunesse, Internet, Réseaux sociaux, Sexualité.

Abstract:

The Internet is the first media consumed without moderation by young people in search of direction. However, its intensive use is not without risks and any potential source of damage or harmful effects. Indeed, these threats are likely to significantly alter the physical, moral and psychological integrity of adolescents. Gradually, social networks are transforming into a real communication and marketing space dedicated to adolescent sexuality. Their perceptions of sexuality evolve in dizzying and frightening ways. They are completely at odds with educational teaching. Thus, the drastic change in their behavior causes sexual violence and excessive consumption of alcohol and harmful substances. From then on, the web becomes a platform for satisfying sexual urges. Also, social networks adopt codes of good conduct by embedding specific software intended to regulate loose morals.

Keywords : Education, Youth, Internet, Social networks, Sexuality.

Introduction

Les progrès technologiques actuels dans le domaine du numérique offrent aux adolescents de nombreux avantages et de nouvelles perspectives. Ils favorisent la créativité et l’expression des opinions. Progressivement, et contre toute entente, l’avènement de l’internet est devenu une plateforme tous azimuts dédiée à l’industrie pornographique. La gent féminine est l’une des premières victimes d’harcèlement sexuel. Dès lors, les rapports sexuels deviennent le principal centre d’attraction du réseau. Comment cet outil médiatique influence-il le rapport des adolescents à la sexualité ? En quoi mettent-ils en péril les relations intimes de la femme dans la société ? La réponse à ces différentes interrogations va se décliner selon un tryptique bien défini : d’abord, nous allons aborder la spécificité des réseaux sociaux. Ensuite, nous identifierons l’impact négatif des réseaux sociaux sur la sexualité des jeunes et enfin, nous apporterons les mesures idoines de protection et de moralisation pour affronter ses dangers.

1. La spécificité des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux offrent à leurs utilisateurs tout type de contenus en ligne. Ils permettent de constituer un réseau d’amis, de connaissances ou de relations professionnelles.

1.1. La notion des médias et des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux et les médias ont pour vocation de créer une communauté et une interaction entre les différentes personnes. Comme le stipule S. Attia (2019, p. 78) « Facebook est le réseau généraliste grand public. Il offre la possibilité de créer une page sans avoir de compte, vous devez jouer la proximité avec vos contacts, montrer l’envers du décor. Sa ».  Le média social est un canal de transmission, de diffusion ou de délivrance des informations accessibles ou ouvertes à l’ensemble des personnes, tels sont les cas de la télévision, de la radio, de la presse écrite, des affichages, des panneaux publicitaires… L’utilisation des réseaux sociaux implique des choix et des responsabilités de la part d’autrui. L’environnement de travail qui favorise l’engagement des acteurs sociaux est bidirectionnel. En fonction du sujet ou du contenu du message, par le biais d’une connexion internet, les membres optimisent toute sorte de conversation, afin d’affiner ou de développer leurs carnets d’adresse. La création du groupe réfère à une entité sociale identifiable et structurée. Les membres possèdent des traits, des buts et des intérêts communs. Ils tissent des liens dans la réciprocité, mettent en exergue des règles de conduite, détiennent des valeurs communes dans le suivi constant de leurs objectifs. Le partage des informations à travers des conversations pertinentes, crédibles et ciblées, est la primauté préférentielle dont bénéficient tous les membres. L’impact et l’intérêt de vos conversations occasionnent la hausse croissante du nombre de visiteurs en ligne. La communauté créée prend de l’ampleur de façon exponentielle. Ainsi, les médias sociaux et les réseaux sociaux sont deux canaux qui se croisent et se recouvrent en partie. Leurs stratégies de communication ont pour but d’analyser ou d’influencer le comportement de la masse. Les deux plateformes se livrent à une véritable concurrence dans l’opinion publique. Les réseaux sociaux sont des sites dédiés au partage. Ils font partie intégrante des médias. Ils ont pour vocation de mettre les utilisateurs en relation.

1.2. L’apport des réseaux sociaux dans la société

Dans l’univers de la technologie de l’information et de la communication, le réseau social réunit une pluralité de personnes ayant des accointances, des attirances et des intérêts qui se rencontrent fréquemment. Ils échangent sur un sujet précis ou sur un objectif particulier. Les utilisateurs, qu’ils soient professionnels, amateurs ou particuliers, partagent des informations, à partir d’un profil créé, qui est un espace sur lequel on publie, on échange et on consulte toute sorte de contenus comprenant des vidéos, des photos, des images, des graphismes. Ces personnes, d’horizons divers, ne partagent pas le même espace géographique. Ram Fa Fall (2022, p. 13) note que « les réseaux sociaux sont en revanche des sites dont le but est de mettre les utilisateurs en relation entre eux, d’où le concept de réseautage, de partage. Ils constituent donc une infime partie des médias sociaux. Ce sont les blogs, les forums, les wikis, etc. Ram Fa Fall (2022, p. 14) renchérit en disant que « Si le média social s’appuie sur la communication digitale, le réseau social quant à lui a pour but de mettre les utilisateurs en relation. ». En outre, les réseaux sociaux sont des plateformes incontournables qui favorisent la proximité et participent à la promotion et à la notoriété de l’être humain. Les plus en vogue sont : Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn, YouTube, Snapchat, TikTok. Les réseaux sociaux de messagerie ou de conversation sont WhatsApp, Messenger, WeChat, Viber. Si certains moteurs de recherche sont utilisés à des fins personnels, d’autres, en revanche, se consacrent au domaine professionnel : twitter, LinkedIn, Vidéo.

– Facebook est le plus grand et le plus populaire des plateformes dans le monde. Sa maison mère « Meta » est l’une des plus grandes entreprises mondiales. Il permet aux consommateurs de créer une page et de diffuser ses différentes activités et actualités par le biais de divers contenus à une communauté.

– YouTube est l’une des plates formes les plus explorées et visitées au monde. Créé en 2005, il est le premier site en ligne consacré à toutes sortes de vidéos. Ses fonctionnalités sont consacrées à la diffusion des messages, au partage et au commentaire des contenus.

– Twitter est utilisé généralement pour les messages momentanés et brefs. C’est le moteur préféré des journalistes, des artistes, des célébrités et des hommes politiques.

– LinkedIn est un réseau utilisé par les cabinets de recrutement. L’accès aux fonctionnalités se fait par les particuliers et les entreprises.

– Viadeo est un moteur de recherche français. C’est l’alter égo du site LinkedIn. Les entreprises, les PME et les commerciaux en font un usage régulier.

– Instagram est le site de la représentation ou de la reproduction d’un être, d’un objet ou d’un concept. Il publie les dessins, les photos, les vidéos, les films…

– Snapchat est un service en ligne composé du nom Snap (photo) et du verbe chat (bavarder). C’est une application gratuite qui permet d’envoyer et de partager des vidéos brèves et des photos. L’utilisation du chat en direct par le canal de la vidéo est très fréquente.

Les plus gros consommateurs des réseaux sociaux sont les adolescents. Mais des études ont démontré que ces plateformes numériques engendrent chez des jeunes des comportements à risques ou des modes de vie contraires à la morale conventionnelle.

2. L’impact négatif des réseaux sociaux sur la sexualité des adolescents

Les adolescents sont les plus gros consommateurs des réseaux sociaux. Les dangers liés à leurs usages sont devenus alarmants et les parents s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants.

2.1. La manifestation de la sexualité sur la plateforme

Les réseaux sociaux ont rendu les adolescents vulnérables. Leur mauvais usage, parfois excessif perturbe la vie des adolescents et les expose à la dépravation sexuelle). Le rapport à la sexualité des adolescents. En effet, aborder la question de la sexualité avec les adolescents en Afrique, était un sujet tabou. La société surveillait étroitement le comportement quotidien des jeunes. Les mesures de contrôle étaient coercitives et souvent mêmes répressives. Cette sexualité était abordée selon les normes et règles en la matière. Le pouvoir parental reposait sur la crainte de sanctions redoutées par les jeunes. Ainsi, les adultes se donnaient les moyens de, selon l’avis de P. Gabillet et M. Sergent, (2020, p. 93) « cadrer la conduite par l’injonction, la menace de sanctions, voire la force, le tout étant de persuader un acteur de faire ce qu’il ne ferait pas naturellement en l’absence de la menace en question ». Dès lors, l’autorité parentale paraît primordiale et même justifiée dans la protection des droits et devoirs du rejeton. Actuellement, on assiste à un changement radical des relations entre les jeunes et la sexualité. Ce qui fait dire à M. Bozon (2012, p. 126) que « l’adolescence est bornée d’une part par les premières manifestations de la puberté et de l’autre par le passage à la sexualité génitale ». Ainsi, tout jeune pubère doit être initié par l’expérience à la réalité sexuelle.

Ce processus social et particulier a pour vocation de lui permettre d’acquérir des savoirs et connaissances de façon évolutive. La sexualité de la jeunesse, à travers le web, se présente sous des formes variées et des aspects différents : d’abord on assiste à des échanges d’informations relationnelles, ensuite, on aborde des conversations intimes entre les membres d’une communauté en ligne, et enfin, les jeunes découvrent les rapports sexuels en visionnant de façon accrue des sites pornographiques. Les jeunes filles, dans l’optique de s’informer sur la santé sexuelle, finissent par être prises au piège par des anonymes. Elles n’arrivent plus à se libérer de l’emprise des réseaux pervers. L’intimité des adolescents obéit à une contrainte dans le cocon familial. Pour y échapper, elles utilisent d’avantage le numérique dans le but d’assouvir leurs pulsions sexuelles. M. Bozon (2012, p. 132) évoque « un alarmiste sexuel », pour qualifier le désarroi des parents face à l’attitude sexuelle de leurs progénitures. A. Vuattoux et al. (2020, p. 103) vont plus loin en affirmant que « Ces pratiques de l’internet en matière de sexualité sont genrées : les jeunes hommes s’informent sur le timing de l’éjaculation, tandis que les filles s’intéressent à la santé sexuelle ». Les plateformes numériques offrent une occasion rêvée aux jeunes, à l’insu des parents, d’échanger autour de contenus érotiques. Ils mettent en relief leurs connaissances acquises par la confrontation et l’enrichissement des points de vue des participants. À travers les partages de vidéos et de photos érotiques, ils intègrent d’autres réseaux ayant les mêmes finalités et les mêmes intentions inavouées. G. Fraisse (2017, p 204) soutient que « dans ce cadre, le consentement est envisagé par les auteurs comme le fruit d’une négociation à trois niveaux – intime (de soi à soi), contractuel (avec l’autre), collectif (au regard des normes sociales) ». Ainsi, le web devient l’espace de prédilection des adolescents, en dehors de la cellule familiale et de leurs établissements scolaires. M. Bergstrom (2019, p. 113) dit que « les chances de rencontrer un partenaire sur Internet, comme dans la vie réelle, dépendent de l’interaction complexe de trois variables individuelles : l’âge, le genre et le milieu social ».

En outre, une des manifestations les plus pernicieuses sur le web ou le téléphone mobile est le phénomène de la « Sextape ». Elle prend de plus en plus de l’ampleur et est déterminée par la mode. Elle correspond aux goûts, aux mœurs et au style du moment. Ce mot féminin anglais désigne une vidéo qui montre des personnes accomplissant des relations sexuelles.  Selon l’avis de T. Mboguerienne (2023, p. 13), « une sextape est une vidéo pornographique destinée à un visionnage privé. Autrefois, ce sont les célébrités qui en sont les protagonistes, mais de nos jours, les sextapes sont devenues une tendance pratiquée par un bon nombre de personnes ». Elle était prisée par les personnes célèbres, mais actuellement, les adolescents la pratiquent avec une intense admiration. Les téléphones mobiles appelés smartphones montrent des collégiens, en plein acte érotique ou dans des positions sexuelles impudiques. Le phénomène devient banal et prend des proportions inquiétantes. Pour Pascal de Sutter et al. (2016, p. 26) « Se filmer en pleins ébats sexuels n’est pas réservé aux footballeurs. La sextape devient un phénomène de société ». Les motivations sont diverses. Elles peuvent provenir pèle mêle de la jalousie, la haine, la vengeance, ou pour la recherche effrénée des biens matériels tels que l’argent ou des avantages de toutes sortes. Elle est également appelée « revenge porn » ou « sextorsion » ou « sexting » et elle provoque une véritable décrépitude morale et psychologique qui rejaillit sur la société. Elle est conçue dans un cadre purement privé et ne doit pas faire l’objet de diffusion. Dans bien des cas, les adolescents, sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, enregistrent eux-mêmes leurs ébats sexuels. Dans certaines circonstances, l’enregistrement se fait souvent, sans le consentement des acteurs. Par inadvertance, ou par mauvaise foi, cette vidéo tombe entre les mains de personnes toxiques dont l’intention est de nuire ou de faire pression afin d’extorquer de l’argent ou tout autre avantage, sous la menace d’une révélation scandaleuse, compromettante ou diffamatoire.  Ainsi, par sentiment de réserve, pudeur, ou tout en voulant préserver sa dignité, des personnes sont tentées de suivre à la lettre les exigences des maîtres chanteurs. Les victimes de cette machination ont la possibilité de porter plainte, avec des preuves palpables et tangibles. En faisant des captures de l’écran relatives à tous les messages reçus. On peut créer des alertes à votre identité par l’entremise de Google Alerte.

Dès lors, lorsqu’un contenu malveillant fait allusion à vous, on est automatiquement avisé par mail. En France, la diffusion d’une image intime, sans le consentement d’autrui, peut faire l’objet d’une plainte. Ce délit appelé « revenge porn » est passible d’un emprisonnement de deux ans assorti d’une amende de 60.000 Euros. Dans bien des cas, la diffusion volontaire de certaines vidéos a pour but d’accroitre la popularité du concerné. Les relations entre les adolescents et le monde des adultes ont connu un véritable soubresaut depuis l’avènement des réseaux numériques. Les parents, au moyen de préceptes et de théories, exerçaient une influence prépondérante sur le comportement de leurs progénitures. Avec une autorité excessive souvent justifiée, ils les soumettaient à leurs volontés.

Après la puberté, l’environnement des jeunes devient un espace propice à la propagation vertigineuse de la sexualité. En voulant vaille que vaille se soustraire de l’emprise familiale, ils trouvent refuge dans le web, en visionnant et en pratiquant de façon éhontée, les relations sexuelles. Cette liberté sexuelle outrancière est la résultante de la prolifération, de la mainmise et de l’accession, de façon commode, aux réseaux dédiés à l’érotisme. Les parents sont complétement déboussolés et se retrouvent dans l’extrême embarras, au niveau de l’orientation éducative de leurs rejetons. Cette consommation tous azimuts de la pornographie crée un véritable malaise dans l’environnement familial. Ce mouvement d’angoisse et d’agitation sociale place les parents dans une situation de stress et d’inconfort apparemment sans issue. Patricia Greenfield, (cité par Y. Leroux, 2012, p. 62) affirme qu’« Internet, qu’on présente comme un espace de partage des savoirs et de discussion, n’est en fait pour les adolescents qu’un immense « pornoland » ».

2.2. Les problèmes rencontrés en ligne par les adolescents

Les problèmes rencontrés en ligne par les adolescents font allusion au harcèlement, la pornographie, la pédophilie, la sextape, les sollicitations sexuelles. Les jeunes sont confrontés à des difficultés et à des confusions majeures dans leur vécu quotidien avec les adultes. Ils sont en perpétuel conflit avec les normes et les valeurs sociales établies (Y. Leroux, 2012, p. 64) dit que « les adolescents peuvent rencontrer trois problèmes en ligne : les sollicitations sexuelles, le harcèlement en ligne et les images pornographiques ». L’usage des sources digitales bouleverse les contextes sociaux et culturels. Au fil du temps, la normativité s’effilochait petit à petit et faisait place à la pauvreté et à la violence. En effet, l’accès au coût forfaitaire de l’internet a favorisé le nombre croissant des adolescents sur les réseaux sociaux. Cela a occasionné des conséquences fâcheuses dans le milieu socio-éducatif des jeunes. Des pervers, en camouflant leurs identités, invitent les jeunes filles à des moments de jeux et de gaieté, avec une grande liberté dans le langage. Ces instants de détente et de rire se transforment, en une agression sexuelle. Ainsi, sous l’effet des produits nocifs qui stimulent et éveillent des sentiments intenses, les vicieux pratiquent un viol individuel ou collectif sur des pauvres innocentes. Ils brandissent le spectre de la menace incessante et permanente. Ces agressions sexuelles soumettent les adolescentes à leurs propres désirs sans le consentement éclairé de la victime. Selon la nature des gestes commis, elles peuvent prendre plusieurs formes, notamment, les attouchements sexuels, les actes de pénétration sexuelle, les embrassades non consenties, les agressions sexuelles avec ou sans contact…Les effets néfastes de ces actes provoquent des problèmes émotionnels et de santé mentale telles que la dépression, une faible estime de soi, des idées de suicide.

L’on assiste régulièrement sur le numérique, à des formes de harcèlement sexuel. La résurgence de propos et d’attitudes de façon itérative a pour but de susciter les liens sexuels, à travers des messageries instantanées. Les canaux les plus utilisés sont le Facebook, le WhatsApp, l’émail…Cette invitation sexuelle, qui revient de façon redondante et en des termes récurrents, agit négativement sur le comportement physique et cognitif de la victime. Le bourreau se plaît et se complaît dans le supplice qu’il lui fait subir. En général, les auteurs sont de sexe masculin. Une psychologue américaine, Patricia Greenfield, (cité par Y. Lerouy, 2012, p. 62) souligne qu’« Internet, qu’on présente comme un espace de partage des savoirs et de discussion, n’est en fait pour les adolescents qu’un immense « pornoland ». Les enfants sont constamment en contact avec des contenus sexuels » T. Coualnault, (2022, p. 14) aborde dans le même sens en soulignant que « Le smartphone permet notamment le maintien des relations amicales et amoureuses et la conservation de souvenirs ».

À travers les médias sociaux en particulier, les jeunes mettent en avant leur couple et leurs amitiés ». Patricia Greenfield va plus loin en affirmant que « ce contact est à l’origine de violences sexuelles, modifie leurs attitudes envers l’autre sexe ou leurs conceptions des relations sexuelles » (cité par Coualnault, 2022, p. 15). La prolifération des sites sexuels porte atteinte à la dignité des êtres humains. Les adultes doivent privilégier des mesures de protection, d’assistance et de de surveillance, en faveur des jeunes.

3. La protection des adolescents face à la sexualité sur le Web

Les images liées à la sexualité manifeste de l’adolescent sur le web prennent des proportions inquiétantes. Les adultes doivent mettre en œuvre des valeurs communes partagées par les adolescents et la société.

3.1. Observation des déviances sexuelles des adolescents

Les décideurs doivent procéder par des démarches ou des méthodes d’examen mettant en jeu des critères variables. Ils doivent mettre à nu les défauts et imperfections du numérique, dans l’optique d’établir un véritable diagnostic. La sexualité par l’entremise de l’industrie pornographique sur le web représente les informations, les images, les photos, les vidéos, les dessins… mettant en scène des actes érotiques qui excitent et suscitent l’envie chez les adolescents. L’érotisme qui s’érige en mode de vie se situe aux antipodes de l’éducation sexuelle. Elle s’éloigne dans bien des cas de la vision authentique de la formation de la progéniture. Les symboles et règles combinatoires qui permettent de comprendre, de véhiculer ou de codifier l’industrie érotique.

Les adolescents font l’objet d’invitations à grande échelle sur le net. Des personnes immatures exploitent sexuellement des jeunes filles en quête permanemment de repère ou de référence sur les réseaux du web. Les jeunes filles font l’objet constant d’agression psychologique. Les commentaires, précédés de manifestations, de provocation, ou d’une action préméditée, s’expriment avec violence et brutalité. Le préjudice subi par la gent féminine vise à instituer une influence déterminante dans le contexte du numérique. Cette stigmatisation à outrance, perpétrée par un pervers, consiste à ternir la réputation de la victime sur le net. Les jeunes, en particulier les filles, sont les plus exposées à toutes sortes de dommages, de préjudices et d’effets nocifs à l’égard de leur personne. Les conséquences fâcheuses de cette manipulation peuvent occasionner la psychose, la dépression, le malaise existentiel ou le traumatisme. Ainsi, la famille, les adultes, l’école, la société doivent mettre ensemble une synergie d’action afin d’empêcher ou d’influencer par anticipation cette situation.

3.2. Résolution de la crise sexuelle des adolescents

Les adultes se doivent de mettre en œuvre une stratégie visant à garantir la mise en œuvre effective des droits et libertés des jeunes. L’élaboration d’un plan d’actions coordonnées, d’opérations habiles, permet de résoudre de manière efficiente, les risques liés à la dépravation des mœurs, à la drogue et à l’alcool. Les informations sur le web évoluent de façon exponentielle. Les dommages et préjudices produits pendant leurs usages se propagent rapidement et varient d’une époque à l’autre. Cette situation, aux ramifications complexes, impactent fortement l’avenir des jeunes. Les établissements socio professionnels doivent organiser périodiquement des journées d’étude, avec des expositions des stands, créer des sites numériques, inviter les adolescents à fréquenter ces sites contrôlés par des professionnels du net. Ceux-ci se chargeront de mettre en place des programmes éducatifs pour la bonne utilisation du web.

L’État, par le biais du ministère de l’éducation, doit mettre en place des cellules psychologiques pour protéger les adolescents. Elles doivent être animées par les leaders d’opinion charismatiques appelés « créateurs de contenu ». Pour B. Bathelot (2023, p. 232), il faut « un individu qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique peut influencer les comportements de consommation dans un univers donné ». Ceux qui sont chargés de l’animation de la communauté numérique doivent proposer des contenus (photos, images, vidéos, bandes dessinées) qui influencent positivement la sexualité des adolescents. La stratégie adoptée consiste à mettre en place un emploi du temps consacré aux réseaux sociaux.

De plus, l’intervention des professionnels de la santé permettra aux plus vulnérables des adolescentes, de mieux comprendre le mécanisme de fonctionnement et de protection de leur corps, en le mettant à l’abri des multiples risques liés à la santé. Les jeunes ont fort besoin d’appartenir à une communauté qui les rassure. En collaboration avec des personnes ressources disponibles, ils peuvent échanger, s’informer, poser toutes leurs préoccupations, en toute sécurité. L’apport des adultes et des parents est totalement indéniable dans la réussite de ce vaste programme. Ils doivent en être les premiers animateurs et le présenter aux autorités compétentes.

Des séances d’éducation sexuelles et ses différents risques doivent être enseignés dans les établissements scolaires. Selon Anne Bacus, psychologue, sexologue et psychothérapeute, (2005, p. 75) note que : « si nous confions aux autres (médias, sites Web, publicités ou grands de la cour d’école) le soin de s’en charger, [nos enfants] débuteront leur apprentissage avec une vision biaisée de la sexualité, ce qui ne facilitera ni leur vie intime, ni leur vie relationnelle ». Dès lors, elle poursuit (Op. cit., p. 76) en affirmant que « Même si la pudeur est un frein, pensez à aborder avec lui les questions relatives à la sexualité ! ». Aussi, la pornographie ne doit-elle pas servir de tremplin aux adultes pour conscientiser et sensibiliser la jeunesse. « La conscientisation est un processus très spécifique qui assure le passage de la « conscience naïve » et de « conscience critique » (P. Freire, 2018, page). Le personnel éducatif doit s’armer d’une stratégie pédagogique comme appui pour appréhender l’environnement psychologique et social des adolescents. Cette approche qui définit des objectifs afin de les atteindre, incitent les enfants à s’ouvrir aux autres. Ces facteurs dynamiques régulent les pensées et les émotions portées sur le sexe des adolescents. Face à leurs droits, devoirs, libertés et responsabilités qui sont les siennes, ils sont aptes à l’apprentissage et prompt à faire évoluer positivement leurs visions sexuelles. Ces contenus éducatifs portés sur l’érotisme, favorisent une conversation et un dialogue entre les adultes et les jeunes.

Conclusion

La démocratisation de l’outil numérique a contribué à diversifier les modes de communication et de socialisation des jeunes. Ils font partie d’une communauté virtuelle qui partage et poste des informations. Néanmoins, l’usage excessif de l’internet n’est pas dépourvu de risques et de conséquences néfastes. L’un des fléaux auxquels les adolescents sont exposés se résume à des contenus à caractère sexuel. L’accès à l’information autour de la pornographie est un phénomène qui prend de l’envergure dans les réseaux sociaux. L’impact négatif sur le comportement émotionnel des jeunes peut se présenter sous une pluralité de formes. Les adultes doivent s’imprégner de l’usage numérique de ceux-ci afin d’anticiper sur les mesures de prévention et d’accompagnement. Aussi, la communication préventive devient-elle un moyen incontournable pour annihiler la propagation des scènes érotiques.

Références bibliographiques

ATTIA Sophie, 2019, Utiliser les réseaux sociaux pour vendre, Paris, Dunod.

BACUS Anne, 2005, L’autorité : pourquoi, comment. De la petite enfance à l’adolescence, Paris, Marabout.  

BATHELOT Bertrand, 2023, Marketing d’influence, Paris, Encyclopédie illustrée.

BERGSON Marie, 2019, Les nouvelles lois de l’amour : sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, Paris, La Découverte.

BOZON Michel, 2012, « Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes : Le garçon sans frein et la fille responsable », in Agora débats/jeunesses 2012/1, N°60, ville, édition, p. 121-134.

COUALNAULT Thelma, 2022, « Identité et sexualité sur internet : une autre idée de l’affirmation de soi ? », in Mondes sociaux, Toulouse, Université de Toulouse.

DE SUTTER Pascal et XHONNEUX Morgane, 2016, « Petites Sextapes entre amis », in Cerveau et Psycho ?, Paris, édition.

FALL Fa Ram, 2022, « Quelle est la différence entre Réseaux Sociaux et Médias Sociaux ? », in Kafunel.com, Dakar, Sopanacom,

FRAISSE Geneviève, 2017, Du consentement, Paris, Seuil.

FREIRE Paulo, 2018, Paulo Freire et la pédagogie de la conscientisation, Paris, Harmattan.

GABILLET Philippe, SERGENT Martin, 2020, Pouvoirs et Influences, Paris, Dunod.

TOGUYALLAH Mboguerienne, 2023, Sextape, une pratique qui prend de l’ampleur, N’djamenah, Tchad Infos.

VUATTOUX Arthur, MAINGUY Yaelle Anselme, 2020, Les jeunes, la sexualité et internet, Paris, François Bourin.

YANN Leroux, 2012, « Internet, Sexualité et Adolescence », in Enfances et Psy, Paris, édition, p. 61-68.

AXE 8 : RÉSEAUX SOCIAUX ET NORMES JURIDIQUES

LES ENTREPRISES BURKINABÈ À L’ÉPREUVE DES RETOURS D’EXPÉRIENCES : CAS DU GROUPE FACEBOOK CONSOM’ACTION-BF

Esther Delwendé KONSIMBO

Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

estherkonsimbo@yahoo.fr

Résumé :

Les « outils sociaux font sauter les obstacles à l’expression publique et les goulots d’étranglement qui caractérisaient les médias de masse. […] Le paysage des médias se transforme du fait de la communication et la publication personnelles qui rassemblent maintenant des fonctions qui jusqu’alors étaient séparées » (C. Shirky, 2008). En effet, ils sont impressionnants les moyens d’expressions sollicités à l’âge de la technologie. Ils peuvent être utilisés comme des outils de débat ou de marketing. Les réseaux sociaux sont un canal d’information. Ils ont un rôle de prescription, d’interpellation, d’engagement et de mobilisation. Le site le plus représentatif de cette définition est Facebook. Ce site met en relation ses utilisateurs afin de partager leurs expériences et de consolider leurs contacts. « La force particulière des réseaux sociaux comme Facebook fut de transformer cette circulation accélérée du scandale en coordination pour l’action » (D. Bouillier, 2013, p. 6). Consom’Action-BF est un groupe Facebook dédié au partage d’expériences positives ou négatives, de consommation de biens et services au Burkina et dans sa diaspora. Cette plateforme veut redonner au client sa place dans ce nouvel espace de consommation. Elle entend contribuer à l’organisation de l’expression citoyenne et à la recherche de l’équilibre social. L’objectif de cet article est de montrer comment, à partir des réseaux sociaux, les citoyens burkinabè interagissent et donnent leurs avis sur les biens et services, en partant du modèle théorique de la sociologie des usages.

Mots clés : Consom’Action, Facebook, Participation, Réseaux sociaux, Usages

Abstract:

Social tools are breaking down the barriers to public expression and the bottlenecks that characterized mass media […]. […] The media landscape is being transformed by personal communication and publication, which now bring together functions that were previously separate” (C. Shirky, 2008). Indeed, the means of expression called upon in the age of technology are impressive. They can be used as tools for debate or marketing. Social networks are an information channel. Their role is to prescribe, question, engage and mobilize. The site most representative of this definition is Facebook. This site connects its users to share experiences and consolidate contacts. “The particular strength of social networks like Facebook was to transform this accelerated circulation of scandal into coordination for action” (D. Bouillier, 2013, p. 6). Consom’Action-BF is a Facebook group dedicated to sharing positive and negative experiences of consuming goods and services in Burkina Faso and its diaspora. This platform aims to give customers back their place in this new consumer space. It aims to contribute to the organization of citizen expression and the search for social balance. The aim of this article is to show how, using social networks, Burkinabe citizens interact and give their opinions on goods and services, based on the theoretical model of the sociology of uses.

Keywords : Consom’Action, Facebook, Participation, Social networks, Uses.

Introduction

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont multiplié les possibilités de communication et de transmission de l’information. Au-delà de la consommation numérique de l’information, Internet permet à l’individu d’interagir. Internet est devenu un moyen de communication incontournable avec plus de 5 milliards d’utilisateurs au 31 décembre 2021 (https://www.internetworldstats.com/stats.htm). Le web 2.0 a permis la prise de parole du citoyen, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux qui sont devenus un moyen de communication plébiscité par des milliards d’utilisateurs. Les réseaux sociaux numériques sont donc de nouveaux moyens d’expression de plus en plus sollicités. Le réseau social Facebook met en relation ses utilisateurs afin qu’ils partagent du contenu et des expériences et qu’ils gardent le contact. Depuis 2010, c’est le site Internet le plus visité au monde. C’est aussi le réseau social le plus utilisé au Burkina Faso. Au 31 décembre 2022, Facebook, 3 159 938 077 utilisateurs (https://www.internetworldstats.com/facebook.htm).

Les réseaux sociaux grâce à leur interactivité favorisent la participation en offrant à chacun a la possibilité de s’exprimer. Par réseaux sociaux nous entendons « un ensemble d’acteurs et les relations qu’ils entretiennent entre eux à distance, par l’intermédiaire de plateformes informatiques via Internet et les mobiles » (J.-P. Lafrance, 2013, p. 113). C. Gibout (2000, p. 565) fait le pont entre Internet et la gouvernance axée sur le citoyen : « Le web favoriserait l’avènement d’une citoyenneté renouvelée où les individus, par l’entremise de la machine, deviendraient toujours plus impliqués et participeraient à la mise en place directe de la décision collective ».

Certains citoyens préfèrent utiliser les émissions interactives (Affairage sur la radio Ouaga FM, Ça me concerne sur la Radio Horizon FM, etc.) pour dénoncer la mauvaise qualité des services publics. D’autres s’appuient sur des personnes influentes sur les réseaux sociaux ou des associations de consommateurs pour défendre leurs droits et ou critiquer. Cependant, l’accès à ces canaux d’expressions sont souvent limités, difficiles d’accès ou insuffisants.

En outre sur le web, nous constatons une explosion de plateformes sur lesquelles chaque citoyen peut donner son point de vue, se prononcer sur les sujets d’actualité qu’ils soient politiques, économiques, sociaux. Les internautes ne se privent point de cette opportunité. Le citoyen a donc trouvé une nouvelle façon d’être entendu, de partager son quotidien, sans passer par les médias traditionnels, les médias de masse. Le web devient le porte-voix citoyen dans des espaces publics devenus pluriels (J.-F. Daunais, 2017, p. 7). Des influenceurs se sont d’ailleurs spécialisés dans les critiques de produits divers. C’est ainsi que l’on retrouve des youtubeurs ou des facebookeurs qui donnent leur avis sur ce qu’ils utilisent ou consomment : produits de beauté, restaurants, films, livres, musique, etc. Nous convenons donc avec (C. Shirky, 2008 que les « outils sociaux font sauter les obstacles à l’expression publique et les goulots d’étranglement qui caractérisaient les médias de masse. […] Le paysage des médias se transforme du fait de la communication et la publication personnelles qui rassemblent maintenant des fonctions qui jusqu’alors étaient séparées ».

Pour s’exprimer sur les sujets concernant le Burkina Faso, des Burkinabè de la diaspora utilisent principalement les réseaux sociaux avec des influences diverses. Pour cela, l’on peut dénombrer des acteurs plus connus comme Maix Somé, Naim Touré, Aminata Rachow. À côté d’autres acteurs burkinabè ils critiquent, partagent leurs expériences et leurs opinions.

C’est dans ce contexte de liberté d’expression sur Internet et dans les réseaux sociaux qu’est né en octobre 2018 le groupe Facebook Consom’Action-BF (https://web.facebook.com/groups/286430085525582/) qui est une plateforme de partage d’expériences de consommations de toutes natures concernant les biens et services au Burkina Faso et sa diaspora. C’est aussi un espace participatif dans le sens où il mobilise ses membres pour exposer leur satisfaction ou leur insatisfaction à l’égard d’un prestataire de service ou un fournisseur de biens.

La question de recherche est alors : comment les membres du groupe Facebook Consom’Action-BF régulent-ils la société de consommation burkinabè ? L’hypothèse est que les consommateurs à travers leurs observations obligent les fournisseurs de biens et services à améliorer leur prestation, tout en créant une communauté d’entraide.

L’objectif de cet article est d’analyser le processus par lequel les internautes burkinabè de Consom’Action-BF influencent les entreprises burkinabè par leurs retours d’expérience et leur prise de positions sur les réseaux sociaux numériques. Nous analyserons ainsi comment les internautes burkinabè expriment leurs satisfactions et leurs mécontentements sur leur consommation des biens et services publics.

Nous allons mobiliser la méthodologie de la sociologie des usages. Par la suite, nous présenterons les types de publications postées, les secteurs les plus interpellés et les effets de ces interpellations. La méthodologie utilisée dans cet article est une étude de cas. Les données présentées sont issues de Consom’Action-BF d’octobre 2018 à décembre 2022. L’analyse des 15 596 publications a permis de connaitre essentiellement les types de contenu de la plateforme. L’utilisation obligatoire des hashtags a facilité la catégorisation des contenus. Les statistiques ont été fournies par les administrateurs de la plateforme. La démarche est celle d’une analyse des publications. Il s’agit de présenter les services et/ou biens ayant fait l’objet d’une critique, de la nature des critiques ainsi que ses effets sur les concernés.

Consom’Action-BF a été retenu, car c’est l’une des plateformes les plus dynamiques de l’espace numérique burkinabè. Les membres du groupe sont appelés les Consom’Acteurs. Le 27 août 2023, le groupe comptait 171 900 Consom’Acteurs et 11 000 mentions J’aime. Une charte disponible en téléchargement libre dans le groupe régule les échanges, garantit le respect des droits de chacun. Consom’Action-BF permet aussi bien aux professionnels qu’aux consommateurs de s’exprimer. De plus, Facebook est un lieu dans lequel les idées et les opinions s’échangent entre des milliards d’utilisateurs. Le détenteur d’un compte se sent libre de s’adresser directement à son audience, sans intermédiaire et sans que son message ne soit déformé.

Le cadre théorique de cette étude est établi à partir de concepts issus de la sociologie des usages. La sociologie des usages est un champ pluriel de différents regards sociaux appliqués à nombreux modes d’usages. Dans notre cas, c’est l’axe de la socialisation de la technique qui sollicite notre réflexion. Celle-ci « s’interroge sur la relation entre l’innovation technique et les transformations de la société » (J. Jouët, 2000, p. 496). La notion d’usage apparaît d’abord à travers les recherches anglo-saxonnes portant sur les « usages et gratifications ». Par celles-ci, on ne s’interroge plus sur « ce que les médias font aux individus, mais sur ce que les individus font des médias » (J. Jouët, 2000, p. 493).

L’objectif est de montrer comment, à partir des réseaux sociaux, les citoyens burkinabè interagissent et donnent leurs avis sur les biens et services. Pour cela nous avons également eu un entretien semi-dirigé avec le fondateur qui était assisté d’un administrateur du groupe. Il s’agissait à travers cette entrevue de comprendre les raisons de création, le fonctionnement, les difficultés rencontrées et les interactions des membres de Consom’Action-BF.

1. Consom’Action-BF : un groupe dynamique

Les administrateurs du groupe traitent une centaine de requêtes quotidiennement, mais en moyenne une vingtaine de publications est affichée chaque jour dans le groupe. Pour faciliter les échanges, des règles ont été proposées.

1.1. Les formes d’expression dans le groupe

Parmi les règles de publication, il y a l’obligation d’utiliser des hashtags. Un hashtag est un mot-lien qui permet de référencer les sujets par thématiques. Dans le cas du groupe Consom’Action-BF, les hashtags permettent de référencer les interventions. À travers ces étiquettes, les administrateurs veulent s’assurer que les publications sont conformes aux objectifs du groupe. Ces hashtags permettent de référencer et classer les différentes interventions. Ils permettent également le recueil de données statistiques. Ces hashtags peuvent être divisés en trois (3) groupes. Ceux exprimant le degré de satisfaction, correspondant aux étoiles sur d’autres plateformes. Ils sont issus de la langue locale mooré, même si le fondateur préfère dire que c’est une simple codification, un « langage de transaction ». « Il fallait trouver quelque chose d’original, et qui puisse parler au grand nombre, soient-ils Burkinabè » précise-t-il. La langue mooré est la plus parlée au Burkina Faso avec 52,9% de locuteurs selon le dernier recensement de la population burkinabè (Institut National de la Statistique et de la Démographie, 2022, p. 48). Les hashtags répertoriés par Consom’Action-BF :

#kasomayé (ce n’est pas bon en langue mooré), anciennement #karissa (dégoutant en mooré) pour un retour d’expérience négatif,

Photo N°1 : Le #karissa d’une cliente à l’endroit d’une boutique de vente de téléphone portable

https://m.facebook.com/groups/286430085525582/permalink/1008600836641833/?mibextid=Nif5oz, consulté le 20 août 2023.

  • #yasoma (c’est bon en langue mooré) pour un retour d’expérience positif,
  • #katayé (ce n’est pas suffisant en langue mooré) pour un retour d’expérience mitigé.

La deuxième catégorie concerne la réaction ou l’interaction avec les professionnels. #bfrésolu pour le compte-rendu de résolution d’un litige et #bfréponse pour le droit de réponse. L’existence du droit de réponse est un gage d’équité que les professionnels interpellés sur la plateforme peuvent utiliser pour réagir.

Photo N°2 : Exemple de réaction d’une entreprise suite à un #karissa

https://m.facebook.com/groups/286430085525582/permalink/1009153693253214/?mibextid=Nif5oz, consulté le 20 août 2023.

Quant à la dernière catégorie, elle regroupe deux hashtags. Le premier, #bfinfo, permet aux internautes de partager une information de portée et d’intérêt général et non promotionnelle à la communauté. Le deuxième, #bfquestion, permet de poser des questions pour obtenir des renseignements sur des sujets bien particuliers, demander des retours d’expériences et recommandations de professionnels.

Photo N°3 : Exemple de #bfquestion

https://m.facebook.com/groups/286430085525582/permalink/1494245721410673/?mibextid=Nif5oz, consulté le 29 octobre 2023

La majorité des publications, 71%, sont des #bfquestions. Ce qui signifie que les interpellations sont plus nombreuses. « Je pense qu’on a comblé un vide. Il y a des associations de défense des consommateurs, mais là où nous on s’insère c’est être un interlocuteur direct pour le consommateur qui a un problème avec un prestataire ou un fournisseur. C’est vraiment de l’échange d’informations. C’est surtout ça qui a attiré les gens » (Entretien avec le fondateur de la plateforme, 13 octobre 2023).

En général, les citoyens sont très souvent ceux-là mêmes qui reviennent utiliser #bfresolu pour expliquer la résolution du problème qu’ils avaient posé. Consom’Action-BF à travers ses publications a donc les caractéristiques de la production de l’information en ligne proposées par J. Denouël, F. Granjon et A. Aubert (2014, p. 32) : « témoignages, contre-expertises, veilles et commentaires sont les formes énonciatives qui cadrent les expressions de la production d’information en ligne ».

1.2. Peu de réactions officielles des entreprises

Les profils des professionnels interpellés dans le groupe sont divers. Il s’agit de sociétés de télécommunication, de voyage, des agences bancaires, d’assurances, des centres santé ou des sociétés d’organisation d’événementiels. Aucun secteur n’est épargné par le Consom’Acteur pour exprimer sa satisfaction ou son insatisfaction. Mais on constate qu’il y a peu de #bfréponse. En effet les droits de réponse représentent 2% des publications des 15 596 publications, contre 11% de #kasomayé et 4% de #katayé. Pour le fondateur, les entreprises réagissent sans utiliser le hashtag dédié :

il n’y en a pas beaucoup qui décident de publier dans le groupe pour réagir. Vous allez les voir intervenir en commentaire, la plupart du temps, ça se fait en inbox. Vous allez les voir venir dire madame, inbox. La plupart du temps il y en a qui ne réagissent pas avec la page de leur organisation, mais qui envoient des employés convier le Consom’Acteur qui se sera plaint. Je pense que ce sont des enjeux stratégiques.

Pourtant #bfréponse leur est consacré, car c’est l’unique moyen pour un professionnel de pouvoir s’exprimer ou de pouvoir publier dans Consom’Action-BF. Les réponses ont des effets divers sur la plateforme. Elles peuvent contribuer à restaurer la confiance ou la crédibilité des entreprises, à apaiser ou renforcer le mécontentement des consommateurs. Cependant la gestion d’une telle plateforme n’est pas aisée.

1.3. Une modération stricte

Consom’Action-BF veut organiser la parole du consommateur. Ce cadre d’expression commence à être assez contraignant selon l’administrateur. Il exige une connexion Internet et une présence permanente sur Facebook. Ce qui devenait compliqué pour les huit (8) administrateurs bénévoles du groupe. Avec l’augmentation des requêtes, leurs différentes activités quotidiennes, il devient difficile pour eux d’assurer convenablement leurs tâches. Afin de limiter le temps de validation, une équipe de huit (8) modérateurs est en train d’être formée. Ceux-ci reçoivent une compensation pécuniaire. Ils aideront ainsi les administrateurs dans la régulation du groupe.

Pour publier dans Consom’Action-BF, il faut accepter la chartre et respecter les 10 règles des administrateurs. Tout membre interagissant sur la plateforme se soumet d’office à la Charte. Mais au-delà, l’usage même de la plateforme, notamment pour ce qui est de faire une publication, nécessite la connaissance de la codification et du fonctionnement du groupe. À l’opposé d’autres groupes, où les usagers sont habitués à s’exprimer « normalement », Consom’Action-BF impose des règles qui nécessite une sorte d’initiation. C’est en lisant la Charte que des membres comprendront les hashtags.

Il y a aussi le temps de modération qui est incompris. À cause du nombre de requêtes à modérer, les administrateurs accusent souvent du retard. Autre difficulté, les publications à modérer demandent une interaction en privé entre les modérateurs et les auteurs. Les membres qui sont pressés de voir leur publication apparaitre, et le plus souvent ne lisent pas leur notification, se retrouvent frustrés, et demeurent dans l’incompréhension. Ceci est lié à la fracture numérique, car Consom’Action-BF utilise des concepts qui sont mieux connus dans d’autres pays. « On nous taxe souvent d’être à la solde des professionnels en question, tout en oubliant qu’il y a des fois où on n’a même pas encore lu la publication. C’est le temps d’administration qui fait ça. Mais comme les gens sont un peu impatients et ignorent les ressources techniques auxquelles nous faisons appel, ils s’imaginent tout un tas de choses » (administrateur, entretien du 13 octobre 2023).

2. La nécessité de trouver un modèle économique viable

La question du modèle économique qui permettra au consommateur de pouvoir être, de pouvoir bénéficier toujours de la plateforme est toujours posée par les administrateurs. La solution trouvée pour le moment est l’édition d’un webzine, Conso’Mag dont le premier numéro a paru en août 2023. Le 22 août 2023, le fondateur du groupe annonçait la création d’un magazine digital mensuel gratuit, dont l’URL est https://heyzine.com/flip-book/ConsoMag.

C’est à la fois le guide ultime pour les consommateurs éclairés, et la source d’inspiration pour les entrepreneurs et professionnels connectés du Burkina Faso et de la diaspora. » il est destiné aussi bien aux professionnels qu’aux consommateurs. « Vous êtes un consommateur : régalez-vous, car il est conçu pour vous : vous informer, vous former, et vous divertir. Vous êtes un professionnel : profitez d’une expertise de qualité, rare, généreuse et surtout gratuite pour rester à la page et faire de la relation client votre force.

Photo N°4 : La Une du premier numéro du magazine

(https://heyzine.com/flip-book/ConsoMag?fbclid=IwAR1KpW6jYxC6qfew2aBye7q5MnOYt-xS72WhjXo2433DM0Rmzt0r2FnLCn8#page/1 du 27 août 2023).

Les recettes publicitaires du magazine serviront à couvrir entre autres les dépenses liées à la gestion du groupe. Mais, comment éviter le conflit d’intérêts entre les mêmes entreprises, indexées dans Consom’Action-BF et annonceurs dans Conso’Mag ? Le fondateur et l’administrateur trouvent que le problème ne se pose pas, car ils l’ont intégré dans leur réflexion. La publicité sera présente uniquement dans le journal. La parution du webzine a d’ailleurs été annoncée dans le groupe. Les entreprises auraient également compris que l’expression de la parole sur Consom’Action n’est pas contre leurs intérêts et qu’il est indispensable pour elles d’avoir une bonne réputation.

3. Les effets de la participation sur la gouvernance des secteurs et structures concernés

Avec la place grandissante d’Internet dans le quotidien, il y a création de « communautés d’usagers » autour de dispositifs techniques communs (J. Jouët, 2005). C’est par la formation de ces communautés d’usagers que se construit une possible mobilisation socionumérique, qui peut entre autres cheminer selon un modèle de participation citoyenne.

Le citoyen dans le cadre d’une participation ou d’une expression citoyenne est un individu qui fait usage de la technologie pour des échanges. L’expression citoyenne est un élément de la participation. Par participation nous entendons le dialogue entre différentes parties que sont les consommateurs d’une part et les producteurs ou fournisseurs de biens et services d’autre part. L’usager passe d’un statut de consommateur passif à celui d’« acteur ».

La participation citoyenne en relation avec les RSN prend tout son sens, car le citoyen est au cœur du processus communicationnel. Les réactions des fournisseurs de biens et services vont de l’acceptation au déni. L’acceptation se manifeste par une résolution à l’amiable en dehors de la plateforme ou par l’utilisation du #bfréponse ou #bfrésolu. Quant au déni, son expression est l’action en justice.

Selon le fondateur de Consom’Action-BF, cinq (5) à six (6) procédures judiciaires ont été menées et gagnées. Les administrateurs, de manière aléatoire étaient indexés et désignés comme complices de diffamation, l’auteur de la publication étant le principal assigné. Ces procédures sont à l’origine de l’adoption de #kasomayé en remplacement du #karissa. En effet en mooré, karissa exprime le dégout. Anticipant les nouveaux problèmes que pourraient engendrer ce hashtag, et au vu de la manifestation des frustrations, #katayé a été l’alternative.

4. Du virtuel à l’action sur le terrain

Après avoir organisé la parole pendant cinq (5) ans dans le monde virtuel, les administrateurs de Consom’Action-BF ont décidé de passer à l’action sur le terrain. « On est resté dans un stade neutre jusqu’à présent. Maintenant pour que le mouvement ne s’essouffle pas, il fallait passer à des étapes supérieures qui nécessiteraient de passer du virtuel au réel. Or dans l’univers juridique burkinabè, le regroupement de personnes autour d’une question donnée est encadré. » (Entretien avec l’administrateur, 13 octobre 2023). C’est ainsi que l’association a été créée en août 2023. C’est ce que soulignait D. Bouillier (2013, p. 6) : « La force particulière des réseaux sociaux comme Facebook fut de transformer cette circulation accélérée du scandale en coordination pour l’action ».

Une association est, selon le fondateur et l’administrateur, l’outil par excellence de regroupement autour d’une question donnée, dans un but non lucratif. L’association Consom’Action est en train d’être structurée de manière « formelle et méticuleuse afin d’accueillir le flux de personnes qui viendra » selon les interviewés. Son but est d’assurer l’effectivité du droit des consommateurs, un droit qui n’existe pas encore au Burkina. Cette association a donc pour ambition entre autres de défendre et d’accompagner au quotidien les consommateurs.

Comme l’écrivaient E.D. Konsimbo et L. D. Batcho (2017, p. 98),

les réseaux sociaux sont un canal d’information. Ils ont un rôle de prescription, d’interpellation, d’invite à l’engagement, de mobilisation. Mais la mobilisation sur la toile uniquement ne suffit pas. Elle doit être portée physiquement pour que la lutte puisse aboutir. Après être informé, il faut donc être convaincu du bien-fondé de la lutte et s’engager, car les réseaux sociaux, ou Facebook, à eux seuls, ne peuvent changer le monde.

Conclusion

Les citoyens ont aujourd’hui un pouvoir décisionnel grâce à Internet. Leurs voix, maintenant portées par la puissance de la diffusion des RSN, sont une force. C’est le cas du groupe Facebook Consom’Action-BF dont le but est de permettre aux Burkinabè et à la diaspora de donner leur avis sur la fourniture de biens et services. Les droits de réponse concernent seulement 2% des publications contre 15% de contenus représentant les retours d’expériences mitigées ou négatives. Toutefois, des litiges ou des incompréhensions sont réglées en dehors de la plateforme. La majorité des publications portent sur des questions, ce qui dénote de l’importance de cette plateforme pour avoir des informations sur des biens et services à partir de l’expérience d’utilisateur. Consom’Action-BF a rencontré un engouement qui a amené son fondateur à passer à l’action à travers la création d’une association de défense des droits des consommateurs. Mais le passage du virtuel au réel sera-t-il réussi ?

Références bibliographiques

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DAUNAIS Jean-François, 2017, La participation citoyenne par une mobilisation à travers les réseaux socionumériques à l’échelle municipale, Mémoire présenté comme exigence partielle de la maitrise en communication, Université du Québec à Montréal.

DENOUËL Julie, GRANJON Fabien, AUBERT Aurélie, 2014, Médias numériques et participation : entre engagement citoyen et production de soi, Paris, Mare & Martin.

« FACEBOOK USERS IN THE WORLD », 2023, in https://www.internetworldstats.com/facebook.htm, consulté le 25 septembre 2023.

GIBOUT Christophe, 2000, « Internet : de la citoyenneté retrouvée à la citoyenneté confisquée », in Invention et réinvention de la citoyenneté, Actes du Colloque International, Université de Pau et des Pays de l’Adou, p. 563-571, Pau, Editions Joëlle Sampy.

INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DE LA DEMOGRAPHIE, 2022, Cinquième recensement général de la population et de l’habitation du Burkina Faso : Synthèse des résultats définitifs, Institut national de la statistique et de la démographie (INSD).

KONSIMBO Esther Delwendé, BATCHO Lucien D., 2017, « Les réseaux sociaux numériques dans l’action collective au Burkina Faso : cas du Balai citoyen », in Colloque international Mouvements sociaux et changements politiques en Afrique, p. 87-104, Ouagadougou, Presses Universitaires de Ouagadougou.

LAFRANCE Jean-Paul, 2013, La Civilisation du Clic. La vie moderne sous l’emprise des nouveaux médias, Paris, L’Harmattan.

SHIRKY Clay, 2008, Here Comes Everybody : The Power of Organizing Without Organizations, USA, Penguin Press.

WORLD INTERNET USAGE AND POPULATION STATISTICS, « Year Estimates », 2023, in https://www.internetworldstats.com/stats.htm, consulté le 25 septembre 2023.

PACIFIER L’USAGE DES RÉSEAUX SOCIAUX PAR UN CADRE LÉGISLATIF : LE CAS DE LA LOI SUR LA CYBERCRIMINALITÉ EN CÔTE D’IVOIRE AVEC FACEBOOK

Waliyu KARIMU

Université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY Abidjan-Cocody (Côte dIvoire)

wallykarim@yahoo.fr

Résumé :

Depuis près d’une vingtaine d’années, Internet et les réseaux socionumériques bouleversent totalement les relations entre les hommes. C’est le cas de Meta (anciennement Facebook), dispositif du Web participatif très populaire en Côte d’Ivoire, avec environ six millions d’utilisateurs, selon le site web DataReportal. Si les fondateurs de cette plateforme grand public l’avaient envisagée comme un instrument d’interaction et de socialisation, certains usages qui en découlent suscitent régulièrement des inquiétudes. C’est donc ce qui a motivé des États comme la Côte d’Ivoire à s’entourer de dispositifs juridiques pour assurer la régulation de ce réseau socionumérique très populaire dans le monde.

Notre recherche qui s’inscrit dans le champ des sciences de l’information et de la communication, est menée dans une approche qualitative. Elle repose principalement sur l’analyse de contenu d’une dizaine d’articles de la loi sur la cybercriminalité adoptée le 19 juin 2013.

L’étude aboutit à plusieurs résultats. Cette loi ivoirienne sur la cybercriminalité ne comporte qu’une dizaine d’articles dédiés à la répression des abus sur les réseaux socionumériques. Elle identifie également sept principales dérives. En outre, trois de ses clauses sont assorties de peines d’emprisonnement allant de 5 à 20 ans, sans compter les amendes lourdes qui ont pour but de dissuader les internautes qui seraient tentés de les outrepasser. Nos résultats révèlent des insuffisances contenues dans cette législation qui date d’une dizaine d’années et qui ne tient pas compte des nombreuses dérives multiformes observables sur Facebook en Côte d’Ivoire. Elle ignore ainsi les évolutions des usages de cette plateforme.

Mots clés : Cadre législatif, Côte d’Ivoire, cybercriminalité, régulation, réseaux socionumériques.

Abstract:

For almost twenty years, the Internet and social networks have completely changed relationships between people. This is the case of Meta (formerly Facebook), a very popular participatory Web device in Ivory Coast, with around six million users, according to the DataReportal website. If the founders of this general public platform had envisaged it as an instrument for interaction and socialization, certain uses resulting from it regularly give rise to concerns. This is therefore what motivated states like Ivory Coast to surround themselves with legal mechanisms to ensure the regulation of this very popular socio-digital network in the world.

Our research, which falls within the field of information and communication sciences, is carried out using a qualitative approach. It is mainly based on the content analysis of around ten articles of the law on cybercrime adopted on June 19, 2013.

The study yields several results. This Ivorian law on cybercrime only includes around ten articles dedicated to the repression of abuse on socio-digital networks. It also identifies seven main deviations. In addition, three of its clauses carry prison sentences ranging from 5 to 20 years, not to mention the heavy fines which are intended to deter Internet users who would be tempted to disregard them. Our results reveal inadequacies contained in this legislation which dates back around ten years and which does not consider the numerous multifaceted abuses observable on Facebook in Côte d’Ivoire. It therefore ignores changes in the uses of this platform.

Keywords : Côte d’Ivoire, cybercrime, legislative framework, regulation, socio-digital networks.

Introduction

En Côte d’Ivoire, les arrestations suivies d’emprisonnements de cyber activistes, influenceurs, vidéastes et autres producteurs de contenus sur les réseaux socionumériques (RSN) se sont multipliées ces derniers mois, au point d’être désormais monnaie courante. Le dernier cas en date et qui a défrayé la chronique est celui de Louise Makosso, plus connue sous le pseudonyme Lolo Beauté. Nous utiliserons indistinctement dans cette recherche, les deux dénominations : Meta et Facebook. Sur sa page Meta, Lolo Beauté se présente comme « influenceuse, conseillère en business et conseillère matrimoniale » (https://www.facebook.com/Lolobeauteofficiel). Elle compte plus d’un million de followers, terme anglais qui se traduit en français par abonnés. Cette influenceuse a été interpelée à sa descente d’avion, à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, en provenance de Paris, le 3 juin 2023.

Avant elle, deux autres visages bien connus des internautes ivoiriens ont vécu les mêmes déboires. Il s’agit de « Peter 007 », de son vrai nom Niangoran Assalé Pierre incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) le 29 novembre 2022 et de dame Arlette Zaté, arrêtée le 1er juillet 2021 à l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et qui a également été placée sous mandat de dépôt à la MACA pendant un mois.  Peter 007 a finalement été libéré le lundi 9 août 2023. À sa sortie de prison, son avocat Me Ange Rodrigue Dadjé a prononcé les phrases suivantes : « Je viens de récupérer Peter. Merci infiniment au président de la République, au ministre de la Défense, à toutes les autorités pour leur indulgence et leur clémence. Je pense que Peter a bien compris la leçon » (https://www.facebook.com/angerodrigue). Nous nous limitons à ces quelques exemples, même s’il en existe d’autres (les cas Love Gugu, Kadi Joli, Serge Koffi le drone, pasteur Israël N’Goran, etc.).

Il n’est pas inutile de rappeler les faits qui sont reprochés à quelques-unes de ces célébrités susmentionnées du Meta ivoirien. Lolo Beauté a été accusée « d’attentats à la pudeur », après avoir exhibé accidentellement ses parties intimes sur les réseaux socionumériques, notamment Meta et TikTok. Peter 007, quant à lui, aurait non seulement tenu des propos graves à l’encontre du président Alassane Ouattara, mais se serait également rendu coupable de faits d’apologie de coup d’État contre le régime ivoirien. On n’en saura pas davantage sur les motifs exacts de son incarcération, en raison de sa libération intervenue sans jugement. De son côté, Arlette Zaté, elle, a proféré dans un live (direct) sur Facebook, des propos jugés injurieux et outrageants à l’encontre de l’ex Première dame, Simone Ehivet Gbagbo accusée d’infidélité.

Ces arrestations et emprisonnements en cascade viennent rappeler aux utilisateurs ivoiriens d’Internet et des réseaux socionumériques (social networking sites, en anglais) que la liberté d’expression est certes constitutionnelle et effective en Côte d’Ivoire, mais elle comporte des limites bien définies par des normes. En effet, la liberté d’expression qui est un des principaux droits de l’Homme, est garantie par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789. Ces deux clauses indiquent respectivement que : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public prévu par la loi » ; et que « La libre communication des pensées et des options est un des biens les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » (Hottelier & McGregor, 2010). On remarque, à la lecture de ces articles repris dans la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, que la prise de parole dans l’espace public est strictement encadrée. Ainsi, au nombre de ces textes juridiques qui balisent la libre expression sur la Toile, nous entendons dans cette recherche faire spécifiquement référence à la loi ivoirienne sur la cybercriminalité adoptée le 19 juin 2013.

En procédant à une médiatisation tous azimuts des arrestations et emprisonnements de ces blogueurs, influenceurs, et autres activistes populaires, les pouvoirs publics de Côte d’Ivoire semblent viser un objectif principal : montrer que la liberté d’expression et d’opinion sur Internet et les réseaux socionumériques est régulée à travers l’application des lois prises à cet effet. Nous verrons plus loin dans cette recherche que l’État ivoirien dans sa volonté de pacifier les prises de parole multiples et diverses en ligne, c’est-à-dire, « apaiser, ramener au calme » (https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9P0015) ou mettre de l’ordre dans les divers usages de la liberté d’expression, procède par des sanctions qui peuvent paraître sévères. Certes, il existe une pluralité de plateformes numériques, mais nous nous intéressons particulièrement dans cette étude à Facebook (S. Livingston & al. 2015), réseau socionumérique à travers lequel les infractions susnommées ont été commises dans le contexte ivoirien.

1. Problématique de l’étude

1.1. L’insuffisance des modes de régulation internes aux GAFAM

Pendant longtemps, les pays confrontés aux utilisations massives et incontrôlées d’Internet et des réseaux socionumériques ont hésité à imposer des restrictions. Ils redoutaient à juste titre les protestations régulières des démocrates et des associations des droits humains qui ont toujours milité pour un renforcement de la liberté d’expression et d’opinion sans aucune condition. C’est pour cette principale raison que ces États semblaient s’en remettre aux modes de régulation internes aux GAFAM, acronyme employé pour désigner Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (N. Smyrnaios, 2017 ; B. Beaude, 2021).

Prenons l’exemple de Facebook, la plateforme numérique grand public qui connaît un succès fulgurant dans nombre de pays, comme en Côte d’Ivoire où elle totalise environ six millions d’usagers réguliers, selon le site web DataReportal (www.datareportal.com). La gouvernance de ce réseau social numérique, telle que l’ont défini ses concepteurs, repose sur « les standards de la communauté », soit un ensemble de ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Ces normes prévoient lutter contre toutes sortes de dérives, au nombre desquelles :

– violence et comportement criminel (violence et incitation, organisations et personnes dangereuses, coordination d’actes dangereux et promotion d’actes criminels, fraude et tromperie…) ;

– sécurité (suicide et automutilation, harcèlement et intimidation, violations de la vie privée…) ;

– contenu répréhensible (discours haineux, contenu violent et explicite, nudité et activités sexuelles des adultes…) et

– intégrité et authenticité (contenu indésirable, cybersécurité, comportement non authentique, fausses informations…) ; (https://transparency.fb.com/fr-fr/policies/community-standards/?source=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2Fcommunitystandards).

Toutefois, les modalités de régulation des contenus en ligne mises en œuvre par les fondateurs de Facebook et listées plus haut, font l’objet de critiques parfois virulentes. Comme le remarque Romain Badouard, Facebook et les autres géants du Net sont « accusés de se livrer à des opérations de censure » (R. Badouard, 2020, p. 13).

1.2. La loi sur la cybercriminalité, une réponse étatique

Il faut rappeler que l’un des pères fondateurs d’Internet (R. Hauben, 2003), en l’occurrence Tim Berners-Lee, avait pensé l’Internet comme un no man’s land. De ce fait, il devait échapper à toute idée de gouvernance. Autrement dit, la censure et la surveillance de cet outil de communication constitueraient un danger pour la démocratie. Certes, la liberté d’expression et d’opinion est inscrite en lettres d’or dans nombre de constitutions, cependant, les nombreux abus constatés un peu partout dans le monde, obligent les pouvoirs publics à s’imposer une régulation. Pour cela, des textes sont adoptés et visent à prévenir et freiner les dérapages qui s’accroissent au fil des années.

Romain Badouard perçoit dans toutes ces formes de régulation, aussi bien celles relevant des pouvoirs publics que des plateformes numériques, des « pouvoirs de limitations, de filtrage et de blocage de la parole » (R. Badouard, 2020, p. 11). Ainsi, en France et en Allemagne par exemple, des dispositifs juridiques ont été prises pour contrôler les prises de paroles sur Internet et sanctionner d’éventuelles dérives. Badouard remarque d’ailleurs que « les lois française et allemande, qui prévoient des amendes à destination des plateformes si celles-ci ne retirent pas les contenus qui leur sont signalés sous vingt-quatre-heures, laissent courir un risque de sur-censure (…) » (R. Badouard, 2020, p. 13).

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a légiféré pour encadrer l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion via les réseaux socionumériques en adoptant la loi n°2013-451 du 19 juin 2013 relative à la lutte contre la cybercriminalité. Le pays emboîte ainsi le pas à d’autres États africains tels que le Mali, le Burkina Faso, le Benin ou encore le Sénégal, pour ne citer que ces exemples. Forts de ces textes juridiques spécifiques datant de juin 2013, les pouvoirs publics ivoiriens se dotent également d’une police spéciale chargée d’assurer la veille permanente sur Internet et les réseaux socionumériques et traquer les abus. Il s’agit de la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité (PLCC). Dans une déclaration publique, le patron de la Direction de l’informatique et des traces technologiques (DITT), un démembrement de la PLCC, a affirmé en décembre 2021 que la PLCC reçoit en moyenne entre 4500 et 5000 plaintes par an. Celles-ci sont redirigées vers les tribunaux ivoiriens qui procèdent à des condamnations dont les plus retentissantes dans l’opinion publique sont citées plus haut.

Dotée de cet arsenal juridique, la Côte d’Ivoire veut à son tour contrôler et pacifier les contenus abondants charriés à longueur de journée par Internet et les plateformes numériques grand public. C’est ce qui fonde Bruno Hénocque à affirmer que « l’un des principaux enjeux de la société digitale est de rechercher un point d’équilibre entre d’une part les principes de liberté sur le Web (liberté d’expression, d’information, de réunion et d’opinion) et d’autre part, la garantie d’une protection des données à caractère personnel et de la vie privée, en plein accord avec la jurisprudence (…) » (B. Hénocque, 2014, p. 63). Il s’agit concrètement pour l’État ivoirien de lutter vigoureusement contre tous les dérapages qu’ils soient sous la forme de textes, d’images, et de documents et qui sont commis sur les plateformes numériques. Nous l’avons déjà indiqué dans les paragraphes précédents, des arrestations et des incarcérations se sont multipliées relativement à ces contenus en ligne répréhensibles et jugés non conformes aux normes juridiques édictées notamment dans cette loi ivoirienne sur la cybercriminalité.

Cependant, le terme cybercriminalité peut prêter à confusion, d’où l’intérêt de le définir afin de lever les équivoques. En effet, dans l’entendement populaire, la cybercriminalité se rapporte au phénomène de broutage qui « émerge en Côte d’Ivoire au début des années 2000 » (E. F.-S. Adou, 2022, p. 1-2), c’est-à-dire une forme d’escroquerie sur Internet. Mais cette loi du 19 juin 2013, dans son chapitre 1 article premier, en donne une définition très précise mais assez large et qui va au-delà des arnaques opérées sur Internet. La cybercriminalité est entendue comme un « ensemble des infractions pénales qui se commettent au moyen ou sur un réseau de télécommunication ou un système d’information ». De façon explicite, cette loi énumère les délits suivants considérés comme relevant de la « cybercriminalité ainsi que les infractions pénales dont la constatation requiert la collecte d’une preuve électronique » (chapitre 2, art.3) :

– infractions spécifiques aux technologies de l’information et de la communication (chapitre 3) ;

– atteintes à la propriété intellectuelle (chapitre 4) ;

– agissements illicites sur les réseaux de communication électronique (chapitre 5) ;

– responsabilité des prestataires techniques de service en ligne (chapitre 6) et

– adaptation des infractions classiques aux technologies de l’information et de la communication (chapitre 7).

Pour notre part, nous nous intéressons uniquement aux transgressions recensées dans le chapitre 7 de la loi sur la cybercriminalité et relatives aux diverses modalités d’expression sur les réseaux socionumériques, principalement Facebook.

2. Approche théorique et méthodologique

2.1. Les abus du Net au prisme de la sociologie des réseaux sociaux et des usages

Notre recherche se situe dans le double champ de la sociologie des réseaux sociaux et des usages. Si Internet a eu le mérite d’avoir popularisé la notion de réseaux sociaux, il convient d’admettre qu’elle était employée à l’origine pour qualifier les liens d’interactions et de sociabilités entre individus (P. Mercklé, 2011, S. Beuscart & al., 2019). Son évocation permet d’entrevoir une très grande variété de contextes sociaux : réseaux d’amitié entre élèves ou étudiants d’une institution, entre employés d’une entreprise, ou encore entre membres d’une grande famille, etc. Cependant, depuis environ une vingtaine d’années, les réseaux sociaux en ligne désormais appelés réseaux socionumériques, entraînent des bouleversements significatifs dans les rapports entre les hommes (S. Abiteboul & J. Cattan, 2022). Pour être plus précis et afin de bien appréhender leurs enjeux, usages et spécificités, ces réseaux socionumériques, dont Facebook est le fer de lance, ont été initialement théorisés par Dana Boyd et Nicole Ellison comme : « des services en ligne permettant à des individus d’y construire des profils publics ou semi-publics, de les connecter avec d’autres profils et de naviguer à travers ces connexions. Même si ces services ne sont plus seulement accessibles aux “individus”, mais aussi à toutes sortes d’organisations et de collectifs… Ils permettent aux utilisateurs d’articuler et de rendre visibles leurs réseaux sociaux » (D. Boyd & N. Ellison, 2007, p. 211). Quant à Thomas Stenger et Alexandre Coutant, ils ajoutent que, les RSN sont « des sites web qui fondent leur attractivité essentiellement sur l’opportunité de retrouver ses “amis”, d’interagir avec eux par le biais de profils, listes de contacts et applications à travers une grande variété d’activités » (T. Stenger & A. Coutant, 2011, p. 13).

Contrairement à leur vocation originelle, celle de contribuer à « construire, renforcer, ou maintenir le capital social des individus, et plus généralement, le lien social », (T. Stenger & A. Coutant, 2011), ils engendrent de plus en plus de situations conflictuelles (D. Boullier, 2019). Ce constat permet d’interroger les usages (J. Jouët, 2011) que les internautes font de ces dispositifs du web participatif. Comme le remarque Loïc Ballarini, « la diversité des réseaux socionumériques laisse entrevoir la diversité des approches envisageables pour leur étude » (https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/reseaux-socionumeriques).

Dans cette recherche, nous considérons les pratiques des utilisateurs identifiés ci-dessous. Nous les analysons sous le prisme de la loi sur la cybercriminalité adoptée en Côte d’Ivoire. Nous nous posons ainsi les questions suivantes : quelles sont les fautes reprochées aux influenceurs et autres bloggeurs à la lumière de cette loi ? Quelles sont les sanctions encourues par ces usagers en cas de manquement ? Les sanctions édictées dans ce texte juridique sont-elles de nature à empêcher les récidives ?

Cette recherche vise ainsi un double objectif : faire ressortir le caractère répressif de la loi ivoirienne de 2013 sur la cybercriminalité, en réponse à un usage contestable des réseaux socionumériques en contexte ivoirien ; et souligner les insuffisances de cette législation qui date d’une dizaine d’années déjà. Dans cette perspective, nous formulons l’hypothèse suivante : la régulation d’Internet et des réseaux socionumériques, à travers un cadre législatif particulièrement répressif ne suffit pas à éradiquer tous les abus qui sont commis en ligne par les internautes.

2.2. Une analyse critique de la loi sur la cybercriminalité

Notre travail est mené dans une approche qualitative. Il repose principalement sur l’analyse critique d’une dizaine d’articles (articles 58 à 66) contenus dans cette loi sur la cybercriminalité à l’aune des usages habituels qui sont ceux d’un certain nombre d’usagers de Facebook. Nous rappelons que le texte qui comporte un total de 79 articles est reparti en huit chapitres.

Nous nous intéressons particulièrement à la dizaine d’articles du chapitre sept intitulé « Adaptation des infractions classiques aux technologies de l’information et de la communication » (loi sur la cybercriminalité) ; en d’autres termes, les infractions liées à l’usage des réseaux socionumériques par des bloggeurs et influenceurs ivoiriens. Nous examinons les faits qui leur sont reprochés et qui leur ont valu des peines de prison à la lumière des différents articles de ce chapitre sept de la loi sur la cybercriminalité.

3. Résultats de l’étude et discussion

3.1. Principaux résultats

Dans le cadre de cette étude, nous analysons des articles contenus dans la loi sur la cybercriminalité adoptée le 19 juin 2013. De façon précise, nous avons procédé à une lecture minutieuse et analytique de neufs articles (articles 58 à 66) de cette disposition juridique qui concernent exclusivement les contenus diffusés via les RSN. Nous constatons que les dérapages sur ces plateformes grand public et punis par cette loi sur la cybercriminalité ne concernent que les cas suivants :

– les menaces de mort ou de violence ;

– le fait de proférer des expressions outrageantes, méprisantes ou des invectives ;

– le fait de nier ou d’approuver des actes de génocides et crimes contre l’humanité ;

– le fait de produire ou diffuser des données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine ;

– le fait de diffuser un mode d’emploi ou un procédé permettant la fabrication de moyens de destruction, des informations au suicide ;

– le fait de divulguer une fausse information tendant à faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise ;

– le fait de diffuser une fausse information « faisant croire à un sinistre ou à toute situation d’urgence (source : loi sur la cybercriminalité de juin 2013).

On distingue ainsi un ensemble de sept principales infractions qui sont mentionnées dans cette loi sur la cybercriminalité et qui visent les contenus édités sur les plateformes numériques comme Facebook. Si l’on considère les faits reprochés aux bloggeurs et influenceurs identifiés dans le cadre de notre étude, on peut remarquer que la majorité d’entre eux se sont rendus coupables du « fait de proférer des expressions outrageantes, méprisantes ou des invectives » (article 60). C’est ce délit qui a été reproché à Love Gugu, Arlette Zaté, Peter 007 et Kady Jolie. Quant à l’influenceuse surnommée Succès et à l’activiste Serge Koffi le drone (à l’état-civil Ebiba François Fiacre Yapo), ils ont tous les deux été condamnés pour « le fait de divulguer une fausse information tendant à faire croire qu’une destruction, une dégradation ou une détérioration de biens ou une atteinte aux personnes a été commise ou va être commise » (article 65).

On remarque aussi que d’autres usages des RSN de ces « célébrités » n’ont aucun lien avec des délits identifiés dans le chapitre 7 de la loi sur la cybercriminalité et relatif « aux infractions classiques aux technologies de l’information et de la communication » ; à savoir :

– le fait pour toute personne de créer, de diffuser ou de mettre à disposition sous quelque forme, que ce soient des écrits, messages, photos, sons, vidéos, dessins ou toute autre représentation d’idées ou de théories, de nature raciste ou xénophobe ;

– le fait pour toute personne de nier, d’approuver ou de justifier, intentionnellement, des actes constitutifs de génocide ou de crimes contre l’humanité ;

– le fait pour une personne de diffuser ou de mettre à disposition d’autrui, un mode d’emploi ou un procédé permettant la fabrication de moyens de destruction de nature à porter atteinte à la vie, aux biens ou à l’environnement ;

– le fait pour toute personne de diffuser ou de mettre à disposition d’autrui, des procédés ou des informations d’incitation au suicide ; (source : loi sur la cybercriminalité de juin 2013).

En considérant les neuf articles de cette loi particulière qui régentent les modalités de prise de parole en ligne, trois parmi ces articles sont particulièrement répressifs, en termes de peines privatives de liberté. Il s’agit des articles 58, 59 et 66 sanctionnés par 10 à 20 ans d’emprisonnement (pour les deux premiers cités), et par 5 à 10 ans d’emprisonnement (pour le troisième). Ces sanctions pénales révèlent par ailleurs l’importance que les autorités judiciaires accordent particulièrement à certains abus de loi sur la cybercriminalité. Ce sont : apologie du racisme ou de la xénophobie, menace de mort ou de violence et menace de destruction, de dégradation ou de détérioration de biens ou atteinte aux personnes, lorsqu’elle est matérialisée par un écrit, une image, un son, une vidéo ou toute autre donnée.

Cependant, d’un point de vue pécuniaire, ces trois dérives ne sont pas les plus réprimées. Les amendes semblent plus lourdes dans les cas suivants : nier, approuver ou justifier, intentionnellement, des actes constitutifs de génocide ou de crimes contre l’humanité (75 à 100 millions francs CFA, art.61) et menacer de mort ou de violence, en utilisant des propos à caractère raciste, xénophobe, ethnique, religieux (20 à 40 millions de francs CFA, art. 59).

3.2. Discussion

En adoptant la loi sur la cybercriminalité en juin 2013, l’État ivoirien a pour objectif de lutter sévèrement contre les excès liés aux usages des réseaux socionumériques. Cependant, le législateur n’a pris en compte que quelques exemples sur les multiples abus observables sur les plateformes grand public. De plus, seuls neufs articles leur sont consacrés, sur les 79 que comporte la loi sur la cybercriminalité. On peut en déduire que les pouvoirs publics n’ont considéré qu’une poignée de dérives qui représentent à leurs yeux les plus importantes. Elles sont d’ailleurs sanctionnées par des peines d’emprisonnement et d’amendes parfois sévères, de nature à dissuader toute tentative de violation de cette législation.

Nous rappelons que la loi actuelle qui date de juin 2013, ne prend pas en compte l’évolution des usages multiples et divers qu’on peut constater sur Facebook, un réseau social numérique très prisé par les internautes ivoiriens. Les cas de diffusion des fausses informations sont les plus emblématiques. La loi sur la cybercriminalité n’identifie que deux types de fausses informations, les « fake news », là où aujourd’hui, il en existe sous plusieurs formes et « sous de nouveaux visages » (Sauvageau, Thibault & Trudel, 2018). Nous pouvons citer également d’autres méfaits qui se déclinent sous différents aspects, tels que les cybers harcèlements, les diffamations et autres atteintes à la vie privée (Montevrin, 2019). Enfin, on note dans cette loi ivoirienne de 2013, un silence sur la responsabilité des GAFAM (Forest, 2020) relativement aux abus qui sont commis sur leurs plateformes, alors que celle des « fournisseurs de services (article 72) y est bien stipulée en leur qualité de « personnes morales » (article 69).

Notre étude met en lumière les difficultés des pouvoirs publics à identifier les nombreux abus charriés par Internet et les réseaux socionumériques et à les contrôler convenablement. Ce constat trouve une résonnance dans les réserves de Monique Dagnaud qui souligne l’impossibilité de réguler les contenus sur Internet et les réseaux socionumériques (Dagnaud, 2020).

Conclusion

Au total, notre recherche examine la question de la régulation des dérives répandues sur Internet en général, et sur les réseaux socionumériques en particulier, à travers la plateforme grand public Facebook. Nous interrogeons les différents régimes de sanctions prévus dans la loi ivoirienne sur la cybercriminalité du 19 juin 2013, adoptée en réponse à des utilisations inappropriées et observées particulièrement chez des blogueurs et influenceurs ivoiriens. Nous montrons également les insuffisances contenues dans cette législation.

L’étude souligne que les contrevenants à la loi du 19 juin 2013 sur la cybercriminalité sont sanctionnés et parfois durement. Le principe même des condamnations peut s’expliquer par la loi constitutionnelle qui proclame certes la liberté d’expression et d’opinion, mais avertit que « (…) tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

Cependant, si les cas de violation de la loi sur la cybercriminalité sont abondants en lien avec un accroissement exponentiel des interactions sur Facebook, les arrestations et les peines prononcées, elles, paraissent assez faibles proportionnellement aux nombres d’usagers ivoiriens de la plateforme grand public. On constate dans le contexte ivoirien, que ce sont surtout les profils célèbres qui s’avèrent être dans le viseur des pouvoirs publics. Les anonymes qui composent la majorité des quelques six millions d’utilisateurs réguliers de Facebook, eux, ne semblent pas être inquiétés. On peut comprendre la démarche étatique qui est celle de réprimer durement pour servir d’exemple aux millions de personnes qui suivent régulièrement ces vedettes du Net. Cibler particulièrement ces influenceurs et blogueurs peut être perçu comme une manière de lancer un avertissement ferme à tous ceux qui seraient tentés de reproduire les mêmes agissements répréhensibles. En outre, on se rend bien compte qu’avec l’évolution des usages multiples et diversifiés de Facebook, les neuf articles de cette loi de 2013 s’avèrent bien insuffisants pour mieux appréhender et réprimer l’ensemble des dérives qui abondent sur la plateforme grand public. Enfin, nous remarquons, en analysant cette loi sur la cybercriminalité, l’absence d’articles qui indiquent clairement une synergie entre l’État ivoirien et les GAFAM.

Cette recherche pourrait être enrichie en prenant en compte d’autres dispositifs en lignes ou plateformes socionumériques à l’instar de TikTok et Instagram qui rencontrent de plus en plus d’énormes succès en Côte d’Ivoire.

Références bibliographiques

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DAGNAUD Monique, 2020, « Réguler Internet ? Même pas en rêve », in Constructif, 56, 50-53, in https://doi.org/10.3917/const.056.0050, consulté le 25 juin 2023.

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FOREST David, 2020, Le droit au défi du numérique : Libertés et propriété à l’ère d’Internet, Paris, L’Harmattan.

HAUBEN Ronda, 2003, À la recherche des pères fondateurs d’Internet. Pourquoi a-t-on besoin d’une histoire d’Internet ? , Multitudes, N°11, vol.1, p 193-199, https://doi.org/10.3917/mult.011.0193, consulté le 25 juin 2023.

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SMYRNAIOS Nikos, 2017, Les GAFAM contre l’internet. Une économie politique du numérique, Bry-sur-Marne, INA Éd.

STENGER Thomas & COUTANT Alexandre, 2011, « Ces réseaux numériques dits sociaux », in Hermès, N°59, Paris, CNRS éditions, p. 8-17.

SYNTHÈSE FINALE DU COLLOQUE

SYNTHÈSE DU RAPPORT GÉNÉRAL DU COLLOQUE INTERNATIONAL PLURIDISCIPLINAIRE

1. Synthèse du rapport général

Sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, de l’accompagnement du Fonds pour la Sciences, la technologie et l’innovation ; de l’autorité de régulation des télécommunications de Côte d’Ivoire ; de l’UNESCO, de la Revue Perspectives philosophiques du Département de Philosophie, le colloque international pluridisciplinaire s’est tenu les 5, 6 et 7 octobre 2023 à l’Université Alassane Ouattara, précisément au Campus 2. Ce colloque international pluridisciplinaire s’est déroulé sous la Présidence scientifique du Prof.  Lazare Marcelin POAME, Professeur titulaire, (Philosophie de la technique, Bioéthique, Éthique des technologies, Gouvernance et Management de l’enseignement supérieur, Académie royale de Belgique, Chaire UNESCO de Bioéthique) de l’Université Alassane Ouattara, Bouaké, République de Côte d’Ivoire, autour du thème suivant : « Réseaux sociaux et dynamique des sociétés africaines ». Ce colloque a enregistré la participation de soixante-neuf (69) contributeurs (cf. liste des contributeurs en annexe) venus de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, du Congo Brazzaville, de la France, du Niger, et du Sénégal.

1.1. Cérémonie d’ouverture

La cérémonie d’ouverture a eu lieu le jeudi 5 octobre 2023. Elle a débuté par l’allocution du Président du Comité d’Organisation, Dr Maître de Conférences SANOGO Hamed Karamoko. Il a souhaité la cordiale bienvenue à tous les participants ; remercié le Chef de Département de Philosophie de l’Université Alassane Ouattara pour la confiance qu’il a bien voulu placée en lui, et salué l’engagement de tous les membres des différentes commissions du colloque. 

Ensuite, l’honneur est revenu au Chef de Département, Prof. Traoré Grégoire, de remercier le représentant du Ministre de l’enseignement supérieur et celui du Président de l’Université Alassane Ouattara, en la personne de monsieur le Directeur de l’UFR Communication, Milieu et Société, Prof. ASSOUMA Bamba, pour leur contribution à l’organisation effective du colloque. Par ailleurs, il a tenu à féliciter le comité d’organisation pour la qualité du travail effectué et à saluer la mobilisation de tous les partenaires et acteurs autour des enjeux du colloque.

Prenant la parole à la suite du Chef de Département, monsieur le Directeur de l’UFR Communication, Milieu et Société, Prof. ASSOUMA Bamba, au nom du Ministre de tutelle, du Président de l’Institution et en son nom propre, s’est félicité de la tenue de ce colloque international pluridisciplinaire organisé par le Département de Philosophie dont il est lui-même membre. Tout en saluant l’esprit et l’intérêt du colloque à l’ère des réseaux sociaux numériques, il a circonscrit le cadre de la réflexion en appelant les participants à identifier et à proposer les idées, des analyses et des pistes susceptibles de favoriser l’avancement de la recherche scientifique et la renaissance qualitative de nos États à l’ère du numérique. Ainsi, il a déclaré ouvert les travaux du colloque.

1.2. Les sessions

Les sessions du colloque se sont déroulées les 5 et 6 octobre 2023 autour de soixante-neuf (69) communications et huit (8) axes de réflexion, repartis en quartes (4) sessions dont deux (2) plénières et dix-huit (18) ateliers.

Axe 1 : Réseaux sociaux et démocratie

La quintessence des idées développées à travers cet axe présente le caractère ambivalent des réseaux sociaux dans son intérêt démocratique. D’une part, l’on voit en ce nouvel espace d’échange et de communication une voie d’expression de certains droits fondamentaux en Afrique. Facebook, Twitter, Messenger, WhatsApp, etc., en tant qu’espaces de participation et d’inclusion démocratique, constituent désormais pour les Africains le vecteur idoine pour passer les mots d’ordre des luttes sociales prônées par les mouvements sociaux. D’autre part, ces nouvelles plateformes d’échange présentent le risque d’une liberté qui se fait liberticide. Aussi, l’on retient que les réseaux sociaux sont au nombre des principes fondamentaux des systèmes démocratiques, car ils présentent la parfaite illustration d’un monde où les individus jouissent d’une liberté d’expression espérée. Mais, ces réseaux de communication affichent un revers qui les ouvrent sur une crise : celle de la liberté contrôlée par les géants du numérique et souvent par des acteurs politiques qui en font un instrument de désinformation et de désunion. Ainsi, dans l’optique d’accorder aux réseaux sociaux leur avantage démocratique, des normes éthiques lui sont nécessaires.

Axe 2 : Réseaux sociaux et éducation

D’un point de vue sociologique, le monde éducatif, en Afrique, devra tenir compte des nouvelles technologies qui se posent comme un défi contemporain. Les réseaux sociaux numériques ou RSN se posent, en effet, aujourd’hui comme des espaces de communication de soi permettant aux jeunes de communiquer sur leurs images et leurs préférences. Partant de plusieurs enquêtes menées sur WhatsApp et Messenger auprès de jeunes Africains, l’on aboutit au résultat qu’il importe de comprendre la conduite de la jeunesse africaine à travers les RSN afin de penser son éducation contemporaine. De même, s’il s’est avéré que les RSN contribuent, d’une part, à la formation scolaire des élèves et étudiants, l’on pourrait, à rebours, regretter qu’il serve à la tricherie et expose à la médiocrité.

Axe 3 : Réseaux sociaux et société durable

Les communicants de cet axe de réflexion ont exposé sur l’écriture électronique, référence faite au Short Message Service ou SMS, communément appelé texto, de rapports communautaires et de recherches scientifiques. Le progrès actuel des sociétés africaines ne saurait se passer des réseaux sociaux. Ainsi, pour exemple, les SMS sont une écriture numérique qui mérite d’être appréhendée parce qu’ils s’imposent à l’univers des réseaux d’information et de communication. Aussi, pour leur donner un mode fonctionnel plus cohérent, faudra-t-il les reposer sur des normes d’écriture scientifique susceptibles de les valoriser. Cependant, une fois encore, l’image paradoxale du numérique transparaît puisqu’il présente le risque de la négation de soi, des autres et même de l’humanité.

Axe 4 : Réseaux sociaux et dignité humaine

Les réseaux sociaux sont aujourd’hui incontournables. Ils représentent un catalyseur potentiel pour l’amélioration de la vie humaine. Malheureusement, cette vocation première a fait place à la dépravation des mœurs due au mauvais usage de ces réseaux. D’où une éthique des réseaux sociaux à promouvoir pour l’humanisation de l’homme.

Axe 5 : Réseaux sociaux et environnement

La crise environnementale est l’un des défis les plus pressants de notre époque, et la sensibilisation du public est cruciale pour mobiliser des actions significatives. Ainsi, il est impérieux que l’on réconcilie la nature et l’homme et procède à une éducation écologique. Ce qui sous-tend que l’on prenne en compte la santé de l’homme et la santé de la nature. L’outil numérique doit aider à respecter la valeur de chaque espèce. Partant, les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans cette sensibilisation, en permettant une diffusion rapide et efficace d’informations et en facilitant la mobilisation des citoyens en faveur de l’écocitoyenneté.

Axe 6 : Réseaux sociaux et identité sociale

Partant des considérations déterministes de Claude Bernard et de Georges Canguilhem, les réseaux sociaux, en tant que nouvelle forme de liens sociaux, avec le développement des algorithmes, forgent et forcent la représentation d’une matérialisation et d’une déconstruction des identités sociales. Il appert ici les plausibilités d’une décadence des rapports sociaux entre les individus. Par conséquent, une littératie numérique s’avère indispensable. 

Axe 7 : Réseaux sociaux et sexualité

Nous assistons, de nos jours, sous nos tropiques à la banalisation de la sexualité. Les rapports amoureux sont en souffrance. La construction de l’identité des jeunes oscille entre la dépersonnalisation des messages d’éducation à la santé et la pornographie. Au lieu d’être un moyen d’éducation, les réseaux sociaux numériques apparaissent alors comme néfastes.

Axe 8 : Réseaux sociaux et normes juridiques

Les réseaux sociaux, en tant qu’espaces publics, exigent de la part des utilisateurs une capitalisation des apports et des opportunités qu’ils offrent. De plus, la formation sur la sécurité en ligne et la gestion des informations est importante pour garantir que les utilisateurs bénéficient pleinement de ces plateformes tout en évitant les risques potentiels. C’est dire que les utilisateurs doivent faire montre d’esprit critique et en faire un usage responsable et judicieux. Cela suppose un encadrement éthique et juridique. 

2. Les recommandations du colloque

Le colloque a formulé les recommandations suivantes.

2.1. Au ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique

  • Renforcement des capacités des Enseignants-Chercheurs et Chercheurs à l’usage des Tics et des Réseaux sociaux numériques.

2.2. À l’Autorité de Régulation des Télécommunications

  • Renforcement de la censure et de la protection des droits numériques et de la vie privée.
  • Renforcement du contrôle parental dans l’usage des réseaux sociaux numériques.

2.3. Aux communautés sociales

  • Veiller à un accompagnement éthique des réseaux sociaux numériques.
  • Veiller à un usage sain des réseaux sociaux numériques pour la sauvegarde des liens sociaux.

2.4. Aux États

  • Dégager une journée internationale de rupture numérique pour favoriser un retour à soi et à la vie familiale.
  • Promotion de l‘inclusion numérique aux fins d’une participation citoyenne.
  • Sensibilisation et éducation aux médias sociaux numériques et aux médias traditionnels.
  • L’implication des acteurs majeurs (Chercheurs, Enseignants-Chercheurs).

Fait à Bouaké, le 7 octobre 2023

Le Colloque


[1] Sikafinance.com, La data, principal moteur de croissance du groupe Orange Côte d’Ivoire.

[2]Jeune Afrique, 26/01/2016

[3] Digitalbusiness.africa : « Télécoms : Avec 156 milliards de FCFA de chiffres d’affaires au 1er septembre 2023, MTN Cameroun bouscule les codes », disponible sur https://www.digitalbusiness.africa.

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    Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines

    ISSN : 2313-7908

    N° DÉPÔT LÉGAL 13196 du 16 Septembre 2016

    Indexation : Mir@bel et HalArchive.

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